SEANCE DU 17 AVRIL 2001


AGENCE FRANÇAISE
DE SÉCURITÉ SANITAIRE
ENVIRONNEMENTALE

Adoption d'une proposition de loi
en nouvelle lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, de la proposition de loi (n° 216, 2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, créant une Agence française de sécurité sanitaire environnementale. [Rapport n° 250 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis pour traiter de la création de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale.
Les travaux menés par votre rapporteur, deux lectures dans votre enceinte et trois lectures à l'Assemblée nationale, ont permis à chacun de faire entendre son point de vue et de nourrir un débat fondamental sur cette agence.
Sa création s'inscrit dans une nouvelle étape de la sécurité sanitaire.
La politique de sécurité sanitaire constitue sans doute l'évolution la plus originale des politiques de santé. Les crises sanitaires des vingt dernières années ont en effet conduit notre pays à engager une réflexion sur la réduction des risques, puis à mettre en place des dispositifs d'évaluation, de surveillance et d'intervention.
En particulier, les lois du 4 janvier 1993 et du 1er juillet 1998 ont permis de constituer un dispositif institutionnel important avec la création des agences de sécurité sanitaire et de l'Institut de veille sanitaire. Le Conseil national de sécurité sanitaire, instance de coordination, se réunit désormais sous ma présidence pour examiner les grands enjeux de cette politique. Dans le même temps, des réglementations nouvelles fixent les conditions dans lesquelles chacun des acteurs du système de santé doit veiller à limiter les risques et intervenir en cas de besoin.
Cet apport considérable, auquel la Haute Assemblée a, je tiens à le souligner devant vous, mesdames, messieurs, fortement contribué, s'est réalisé dans un laps de temps relativement court.
Il est temps aujourd'hui de franchir une nouvelle étape dans la construction de la sécurité sanitaire.
Nous avons mis en place des institutions et des réglementations de sécurité sanitaire qui encadrent désormais strictement les produits de santé. Nous avons développé dans le même temps une politique de qualité des soins grâce notamment à l'instauration des procédures d'accréditation et au dispositif de lutte contre les infections nosocomiales dans le milieu hospitalier, bien que cette lutte ne soit jamais gagnée d'avance, les personnes lucides savent même que nous ne parviendrons pas, hélas ! à contrôler complètement les infections.
Les sécurités sanitaires alimentaire et environnementale se développent de manière concomitante. C'est le sens de la création en 1999 de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments ainsi que de nos débats de ce soir sur l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale. Tout le monde s'accorde, je crois, sur les principes qui doivent guider notre action dans ce domaine et sur l'objectif que nous poursuivons. Les principes sont clairs : qualité et indépendance de l'expertise, renforcement des missions d'évaluation et de gestion des risques, transparence des décisions et priorité donnée à la protection de la santé publique. L'objectif est de pouvoir compléter rapidement le dispositif mis en place en 1998. La création de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale - l'AFSSE - doit permettre tout à la fois d'organiser et d'assurer l'indépendance de l'évaluation des risques dans ce domaine, et de donner en amont une vraie priorité à la recherche et à l'expertise sur ces sujets.
Le souci que nous avons tous de renforcer la sécurité sanitaire dans le domaine de l'environnement laissait espérer qu'un accord unanime pourrait se dégager sur ce texte. Tout comme votre rapporteur, je regrette dans ce contexte l'échec de la commission mixte paritaire. Je ne crois pas utile ici de détailler à nouveau les raisons qui ont conduit le Gouvernement à se prononcer contre certains amendements que vous proposez, notamment ceux qui sont relatifs à l'intégration dans l'AFSSE de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques, l'INERIS. Tout a été dit sur le sujet par Mme Voynet.
Le premier constat qu'il faut dresser est un constat de carence. Nous ne disposons pas, en France, des équipes et des laboratoires nécessaires pour alimenter le travail d'expertise.
Le second constat est celui de la dispersion et du manque de cohérence.
C'est le souci du Gouvernement de répondre à ce double constat, dans cet ordre, qui a pu créer quelques différences d'approche.
Ce que nous souhaitons faire, c'est créer des moyens qui n'existent pas aujourd'hui, mettre en place un cadre qui accueille et développe de nouvelles équipes et s'appuie, en les fédérant, sur les efforts de prise en compte des impacts environnementaux sur la santé de multiples organismes de recherche et d'expertise.
La question de l'intégration de tel ou tel organisme devra de nouveau être envisagée et discutée sur la base du rapport prévu à l'article 3. Mais j'ai le sentiment qu'il est temps maintenant, après un an de débats parlementaires, de rassembler nos volontés pour oeuvrer de concert à combler les carences que nous avons tous constatées : il faut créer l'agence sans délai, la doter des moyens lui permettant de se mettre en place et procéder aux recrutements de qualité qui lui permettront de répondre aux questions qui, n'en doutons pas, lui seront posées très rapidement.
S'agissant des moyens du nouvel établissement public que nous vous proposons de créer, le Gouvernement a souhaité doter l'AFSSE dès cette année de 37 millions de francs et créer une quarantaine d'emplois nouveaux. Ce n'est, bien sûr, qu'un début et les moyens consacrés à l'agence devront croître rapidement à l'avenir, comme ce fut d'ailleurs le cas pour les autres agences que nous avons eu l'occasion et le plaisir de créer ensemble.
La proposition du Gouvernement approuvée par le Parlement de mette en place les crédits permettant de créer l'AFSSE avant même la fin du débat parlementaire témoigne de la volonté commune de l'exécutif et de la représentation nationale d'avancer rapidement sur ce sujet.
Mme Voynet et moi-même avons demandé à nos services de travailler, dès le vote de la loi, à l'élaboration des textes nécessaires pour que l'agence soit mise en place avant l'été et procède aux recrutements prévus dès cette année, car il y a effectivement urgence en la matière. On peut en effet rappeler non seulement les attentes fortes de l'opinion publique en matière de sécurité de l'environnement, mais aussi la nécessité de rattraper le retard pris en matière d'évaluation des risques liés aux substances chimiques, cela aussi bien en France que dans les autres pays de l'Union européenne.
Force est de constater que certains produits chimiques nuisent gravement à la santé humaine en entraînant des souffrances et des morts prématurées. Parmi les nombreux exemples bien connus, il faut citer l'amiante, notoirement responsable de cancers du poumon et de mésothéliomes, ou le benzène, qui provoque des leucémies. Bien que ces substances aient été totalement interdites ou aient fait l'objet d'autres restrictions, ces mesures sont trop souvent intervenues alors que leurs conséquences néfastes étaient malheureusement déjà apparues.
L'incidence de certaines maladies, comme le cancer testiculaire chez les jeunes hommes et les allergies, a considérablement augmenté au cours des dernières décennies, et les causes sous-jacentes n'ont pas encore été déterminées.
Le manque de connaissances concernant les effets de nombreux produits chimiques sur la santé humaine est une source de préoccupation. La population s'inquiète - et cela se conçoit aisément - lorsque l'on évoque l'exposition des enfants à certains phtalates libérés par les jouets, ou les concentrations de dioxines et furanes mesurées dans le lait maternel. Ces exemples trahissent l'insuffisance de nos connaissances actuelles en matière de substances chimiques existantes.
C'est pourquoi je considère, tout comme votre commission, que l'Agence de sécurité sanitaire environnementale aura un rôle fondamental à jouer sur l'évaluation du risque chimique.
En ce qui concerne le risque nucléaire, vous avez approuvé le principe de fusionner l'Office de protection contre les rayonnements ionisants, l'OPRI, et l'Institut de protection et de sûreté nucléaire, l'IPSN, dans le cadre d'un établissement public autonome chargé de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, l'IRSN. Cette solution, suggérée par le rapport que M. Jean-Yves Le Déaut a remis au Premier ministre le 7 juillet 1998 - je m'en souviens - a été retenue après un long travail de concertation. Je dois dire que les choses n'ont pas évolué très vite depuis la remise de ce rapport !
Cette réforme doit être l'occasion, à mes yeux, d'accroître les moyens de la radioprotection, dans la continuité des importants efforts de remise à niveau mis en oeuvre depuis trois ans et dont l'OPRI avait principalement bénéficié.
Trop souvent, le débat sur les risques sanitaires radioactifs sert de prétexte pour introduire d'autres débats connexes sur l'avenir et sur les options techniques du nucléaire.
La radioprotection est une discipline de santé publique, ce qui sous-entend une doctrine et une éthique propres.
En ce qui concerne la tutelle du futur IRSN, le Gouvernement a décidé qu'elle sera assurée par les ministères chargés de la recherche, de l'industrie et, bien sûr, de l'environnement et de la santé.
M. Claude Huriet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Pas de la défense ! (Sourires.)
M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé. Ces tutelles seront précisées dans le décret pris en application de l'article 4 A.
Le Gouvernement a également décidé de maintenir en dehors du futur IRSN les activités de contrôle réglementaire qui sont actuellement exercées par l'IPSN et l'OPRI. Il s'agit là d'un souci de cohérence avec le principe de ne pas confier au même organisme les fonctions d'exploitation, d'évaluation et de contrôle. Les activités que mène actuellement l'IPSN dans les domaines relatifs à la défense et au contrôle du désarmement chimique seront maintenues au sein du Commissariat à l'énergie atomique. Le décret pris en application de l'article 4A permettra également de traduire ces décisions du Gouvernement.
Mais, au-delà des structures et de leur organisation, il importe aujourd'hui de mener une réflexion comparative sur ces différents domaines, sur les méthodologies retenues comme sur les risques pris en compte. Les actions de sécurité sanitaire méritent également une évaluation comparative avec les risques comportementaux majeurs, comme les accidents de la route, les conduites addictives ou les accidents de la vie domestique.
En effet, les décisions de sécurité sanitaire comportent toujours le risque de leur disproportion. Elles peuvent même s'avérer contraires aux objectifs recherchés si elles n'établissent pas une hiérarchie des risques et des moyens dont dispose la collectivité et qui sont par nature limités. Cette hiérarchie est nécessaire pour l'application stricte et intransigeante du principe de précaution - chaque fois qu'un risque est présent ou plausible et que les conséquences sont graves, durables ou irrémédiables - mais aussi pour l'affirmation du principe de responsabilité : responsabilité du politique pour les risques collectifs, responsabilité partagée pour les risques individuels.
Cette responsabilité partagée suppose un effort majeur de pédagogie du risque auquel je tiens particulièrement.
Il nous faut assurer l'information des citoyens et permettre l'exercice d'un droit de choisir : risque acceptable ou inacceptable, ressenti ou objectif. Il y a place pour une démarche de responsabilité des experts et des hommes politiques certes, mais aussi des citoyens.
Comment proportionner un danger alimentaire ou un risque sur l'environnement ? Comment comparer le coût de mesures destinées à réduire un risque hypothétique, mais potentiellement très grave, à celui de mesures qui viseraient à endiguer un risque moins grave mais plus probable ? Cela suppose des approches différenciées et adaptées à chaque secteur. Cette réflexion est d'autant plus nécessaire que le déploiement de moyens considérables sur certains risques peut conduire à négliger des risques éventuellement plus menaçants dans d'autres domaines.
Le Conseil national de sécurité alimentaire a mandaté plusieurs groupes de travail sur ces sujets. Il rendra plublic la synthèse de ces travaux. J'organiserai, dans ce cadre, une journée nationale de réflexion sur ce thème, et l'un des sujets majeurs que je retiendrai sera à l'évidence cette nécessaire pédagogie du risque. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Huriet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l'échec de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi tendant à la création d'une agence française de sécurité sanitaire environnementale, l'Assemblée nationale a rétabli, le 6 février 2001, son texte en nouvelle lecture.
Les divergences de fond entre l'Assemblée nationale et notre assemblée portent principalement sur le contenu de la future agence de sécurité sanitaire. Les débats en commission mixte paritaire se sont cristallisés sur cette question et celle-ci a échoué sur l'article 2, relatif aux missions et aux moyens de cette agence.
Au cours de la première comme de la deuxième lecture, la commission a mis en évidence les défauts de conception et le manque de moyens de la nouvelle agence, qui jouerait « le rôle de tête de réseau » en « assurant une meilleure coordination entre les organismes existants » et en fédérant les compétences. Ce dispositif apparaît inadapté pour plusieurs raisons.
De même que pour la sécurité sanitaire des produits de santé et celle des aliments avant le vote de la loi du 1er juillet 1998, il manque en France, en matière de sécurité sanitaire de l'environnement, une véritable instance d'évaluation des risques susceptible d'éclairer les pouvoirs publics pour assurer la prévention et la gestion des crises.
Les interactions entre la santé et l'environnement, qu'il soit naturel ou transformé par l'homme, font intervenir encore plus de facteurs que dans le domaine alimentaire. Ce simple constat conduit déjà à plaider pour une structure forte.
En deuxième lieu, les attentes de l'opinion publique auxquelles vous venez de faire référence à l'instant, monsieur le ministre, sont aussi importantes dans le domaine des relations entre la santé et l'environnement qu'elles le sont dans celui de la sécurité sanitaire alimentaire et dans celui de la sécurité des produits de santé.
En troisième lieu, la future agence devrait avoir vocation à jouer un rôle majeur à l'échelon européen. Pensez-vous, monsieur le ministre, que la « tête de réseau » pourra imposer la France comme partenaire auprès des pays de l'Union européenne, dans un domaine si sensible ?
Le règlement du Conseil européen du 23 mars 1993 a prévu une procédure d'évaluation des risques sur la sécurité, l'environnement et la santé humaine pour près de 100 000 substances chimiques existantes et nouvelles commercialisées en Europe. La tâche est immense même s'il n'est pas nécessaire de « doublonner » les travaux d'expertise conduits par les industriels eux-mêmes. La France ne peut demeurer en retrait alors que certains de nos voisins sont déjà dotés d'organismes puissants et efficaces, tels que l'Institut national de la santé et de l'environnement hollandais, le RIVM, que j'ai eu l'occasion de visiter en tant que rapporteur. La visite était particulièrement instructive et je regrette que certains membres du Gouvernement n'aient pas pris le temps de se rendre aux Pays-Bas pour voir quelle pouvait être la dimension d'un organisme puissant susceptible de répondre aux attentes de l'opinion. On ne se contente pas là d'une simple tête de réseau !
Enfin, en quatrième lieu, il est essentiel de respecter la cohérence d'ensemble du dispositif de sécurité sanitaire mis en place par la loi du 1er juillet 1998, et je remercie M. le ministre d'avoir rappeler comment, dans un souci de collaboration, par une approche commune des problèmes posés et une recherche de solutions concertées, nous avons pu en commun apporter des réponses adéquates. Permettez-moi de déplorer qu'il n'en ait pas été de même cette fois-ci.
Les deux agences ont chacune été bâties autour d'un « noyau dur », même si cette démarche, en ce qui concerne l'AFSSA, a parfois rencontré des résistances, ce qui ne fut pas le fait du ministre délégué à la santé ou de son administration, je dois le dire.
Suivant la même démarche, le Sénat a proposé de bâtir la future AFSSE à partir de l'établissement public qui, par sa taille, par les compétences qui lui sont déjà attribuées et par son expérience, est le mieux à même de fournir un « socle » adéquat : l'Institut national de l'environnement industriel et des risques, l'INERIS.
Nous nous sommes efforcés de montrer, au cours de notre deuxième lecture, que les objections de certaines catégories de personnels de l'INERIS ne tenaient pas si l'on faisait preuve de volonté.
Le fait que l'INERIS soit doté d'attributions en matière de sécurité environnementale, et non pas seulement de sécurité sanitaire, apparaît en effet comme un atout plutôt que comme un handicap, dans la mesure où la bonne perception du risque sanitaire en matière d'environnement nécessite de prendre en compte sans restriction tous les facteurs susceptibles d'intervenir. En outre, comme on l'a vu, les directives européennes plaident pour une conception large de la mission de la nouvelle agence.
Par ailleurs, les prestations commerciales actuellement assurées par l'INERIS auprès des entreprises, et dont la Cour des comptes s'est émue, peuvent progressivement être reconverties ou adaptées, prolongeant ainsi le mouvement que vous avez vous-même amplifié.
Les questions relatives au statut de droit privé des personnels ne semblent pas constituer un obstacle dirimant dans la mesure où le législateur est parfaitement habilité à garantir, en tant que de besoin, le maintien des droits acquis et même à déroger aux règles traditionnellement imposées par la jurisprudence au pouvoir réglementaire pour définir le caractère d'un établissement public.
Le Sénat, au cours de la deuxième lecture, a donc recherché une possibilité de compromis.
La définition de la mission de la nouvelle agence, utilement précisée avec le concours précieux - irremplaçable allais-je dire - de notre collègue François Autain, a été encore complétée afin de recouvrir les risques « directs et indirects » que les facteurs environnementaux peuvent faire courir à la santé de l'homme.
Corollaire de cet élargissement d'approche, la dénomination de l'agence intègre, sans ambiguïté, la notion de « prévention des risques industriels et chimiques ».
Par ailleurs, il a été garanti au niveau de la loi que les moyens, droits et obligations de l'INERIS seraient intégralement transférés à la nouvelle agence afin d'éviter tout risque de découpage artificiel de l'organisme au détriment des compétences des personnels.
Enfin, le Sénat a explicitement autorisé la nouvelle agence à poursuivre, pendant trois ans, les activités de prestations aux entreprises actuellement assurées par l'INERIS, afin de ménager la période de transition nécessaire pour permettre l'élaboration du nouveau cadre déontologique d'exercice de ces activités.
La position du Sénat est apparue respectueuse des droits de chacun et je n'en veux pour preuve que la lettre adressée par le syndicat de l'encadrement de l'INERIS, le 3 avril, à M. Bernard Kouchner lui demandant son appui. Je cite quelques passages de cette lettre qui, certainement, vous est parvenue, monsieur le ministre.
« Nous ne pouvons que faire un constat d'échec sur la création d'une agence qui aurait dû apporter beaucoup à la population française dans la prévention de la santé liée à des phénomènes environnementaux.
« Nous ne comprenons pas que l'INERIS ne soit pas intégralement dans la nouvelle agence dont les objectifs seraient élargis. »
« Nous ne comprenons pas la volonté gouvernementale de créer une troisième agence aussi réduite sur un sujet aussi vaste. »
Il est donc faux de dire, monsieur le ministre, comme certains membres du Gouvernement l'ont fait, qu'une opposition des personnels de l'INERIS se manifestait à l'encontre de la proposition sénatoriale ; acte doit nous en être donné.
Notre démarche est sans doute celle qui protège le mieux les personnels de l'INERIS d'un risque de démantèlement, car la période dans laquelle nous entrons, période de préparation d'un nouveau rapport sur la rationalisation du système d'expertise dans le domaine de la sécurité environnementale, ne protège pas totalement l'INERIS d'un risque de « dépeçage ».
Enfin, la démarche suivie par le Gouvernement pour la création de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, à partir de la fusion de deux organismes existants, suffirait à montrer que celui-ci n'hésite pas, à l'occasion, à restructurer en profondeur des établissements publics, quelles que soient les contraintes ou les inquiétudes qui en résultent pour les personnels.
Concernant l'IRSN, qui constitue en quelque sorte un deuxième volet à ce texte, volet qui n'était d'ailleurs pas prévu dans la proposition de loi, le Sénat a accepté le principe de la fusion entre l'Office de protection contre les rayonnements ionisants et l'Institut de protection et de sûreté nucléaire.
Comme l'ont souligné plusieurs de nos collègues membres de la commission des affaires économiques, la mesure aurait dû être examinée lors de la discussion du « projet de loi relatif à l'information en matière nucléaire, à la sûreté et à la protection contre les rayonnements ionisants ». D'ailleurs, l'intitulé même de ce projet de loi montre que c'est dans ce dernier, et non dans celui dont nous délibérons ce soir - vous avez dit tout à l'heure, monsieur le ministre, que cette restructuration faisait écho à certaines propositions du rapport Le Déaut, lequel date de 1998 -, qu'il eût été logique de faire figurer ces propositions.
Je précise que le secrétaire d'Etat à l'industrie a confirmé, le 29 mars dans cet hémicycle, le dépôt dans les prochains mois de ce texte autrement ambitieux.
Par ailleurs, le Sénat a procédé à l'adoption de deux amendements concernant deux problèmes particuliers, sur l'initiative de nos collègues membres du groupe d'études sur l'énergie, présidé par M. Henri Revol, ainsi que des membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Concernant les activités de recherche en sûreté sur les réacteurs, qui garantissent la fiabilité des futures centrales nucléaires, le Sénat a estimé qu'elles devaient continuer à ressortir aux activités de recherche conduites par le CEA.
S'agissant par ailleurs des ministères de tutelle, le Sénat a souhaité que lesdites activitées soient inscrites dans la loi de manière analogue à ce qui est prévu dans la proposition de loi pour l'AFSSE. Il a donc indiqué que le futur IRSN serait placé sous la tutelle conjointe de quatre ministères, à savoir ceux de l'industrie, de la défense, de l'environnement et de la santé.
L'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, a tenu à revenir intégralement à son texte de deuxième lecture, y compris en rejetant les quelques amendements sénatoriaux qui avaient fait l'objet d'un avis favorable ou de sagesse, de la part du Gouvernement, concernant la définition des missions de l'agence et son rôle d'appui technique et scientifique.
S'agissant de l'IRSN, la situation apparaît particulièrement paradoxale en ce qui concerne la définition des tutelles puisqu'on nous affirme qu'elles ont été tranchées par arbitrage tout en refusant de transcrire cet arbitrage dans la loi, montrant ainsi que celui-ci est bien précaire.
La commission mixte paritaire a échoué, dans un climat qui contrastait, aux yeux de chacun d'entre nous, avec le climat consensuel de travail en commun - je l'ai évoqué après vous-même, monsieur le ministre - qui avait présidé à l'élaboration de la loi du 1er juillet 1998.
J'avais vu un signe positif dans le fait que, à l'issue de notre deuxième lecture, Mme la ministre ait dit espérer de tout coeur que l'on arrive à dégager une solution qui, quelle qu'elle soit, permettrait la mise en place de l'agence dans les meilleurs délais.
Cette proposition de loi nous offrait l'occasion de franchir une étape importante en érigeant une agence de sécurité sanitaire environnementale digne de ce nom et qui ne soit pas seulement une « coquille vide ».
Aussi, je ne peux que regretter que, à deux reprises, lorsque des voix soutenant la majorité gouvernementale exprimaient une divergence à propos d'un refus de compromis, des suspensions de séance aient été demandées, chacune aboutissant à un retour strict à la « discipline de groupe ».
J'ai ainsi proposé que l'appellation d'« institut » soit substituée dans un premier temps à celle d'« agence », et ce dans l'attente du rapport, déjà prévu dans la proposition de loi elle-même, qui doit déterminer de manière définitive le contour des futurs transferts d'organismes et de laboratoires. Il s'agit de l'article 3, selon lequel l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale remet au Gouvernement, dans un délai de deux ans à compter de l'entrée en vigueur de la loi, un rapport sur la rationalisation du système national d'expertise dans son domaine de compétence.
Monsieur le ministre, je vous fais confiance, à vous personnellement. Mais la démarche suivie actuellement en ce qui concerne la révision des lois dites de bioéthique de 1994 constitue un précédent qui me laisse pensif, voire dubitatif. En effet, le législateur avait exprimé sa volonté et le Premier ministre avait pris un engagement lors de la séance d'ouverture des journées publiques du Comité consultatif national d'éthique, engagement aux termes duquel le conseil des ministres devait être saisi, avant la fin du mois de mars, d'un projet de loi visant à modifier la loi de 1994, afin que le Parlement puisse commencer à en débattre au cours du deuxième trimestre 2001. Or nous sommes à la mi-avril et personne, pas plus M. le Premier ministre qu'un autre membre du Gouvernement, ne rappelle cet engagement. Je doute, dès lors, que celui-ci pourra être tenu.
Voilà pourquoi, monsieur le ministre, je suis de plus en plus sceptique quant à la capacité ou à la volonté du Gouvernement - sauf changement politique intervenant d'ici là - de tenir le rendez-vous que, deux ans auparavant, il aura lui-même proposé de faire figurer dans la loi.
En commission mixte paritaire, l'amendement lui-même a bien été adopté dans un premier temps ; toutefois, après une suspension de séance demandée par M. Jean Le Garrec, le vote définitif sur le texte modifié de l'article 2 n'a pas recueilli de majorité, ce qui témoigne de la volonté de faire échouer la commission mixte paritaire.
Le refus du compromis est d'autant plus flagrant que la proposition de loi inclut un nouvel organisme en matière de radioprotection et de sûreté nucléaire qualifié lui-même d'Institut ; M. Aschieri, rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, admet au demeurant - il a répondu affirmativement à la question que je lui posais à ce sujet - que la création de l'IRSN préfigure bien celle d'une « quatrième agence » de sécurité sanitaire chargée du nucléaire. La démarche en deux étapes ne s'applique donc pas dans tous les cas.
Par ailleurs, on ne peut que regretter que nos collègues de l'Assemblée nationale aient confirmé que la future « Agence » de sécurité sanitaire environnementale ne prendrait pas en considération le risque lié aux ondes électromagnétiques, alors que l'on connaît l'importance que revêt ce risque pour nos concitoyens.
Ce comportement contraste donc bien avec ce que nous avons vécu voilà quelques années.
Il convient de rappeler qu'en septembre 1997 le Gouvernement de M. Lionel Jospin avait accepté l'inscription à l'ordre du jour prioritaire des deux assemblées de la proposition de loi relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme, issue des travaux de notre commission menés par Charles Descours et moi-même, et déposée le 22 avril 1997, au moment où le gouvernement de M. Alain Juppé était en fonctions.
A l'époque, M. Hervé Gaymard, alors secrétaire d'Etat à la sécurité sociale, avait approuvé les propositions sénatoriales, ce qui ne devait pas vous empêcher, monsieur le ministre, alors que vous étiez devenu secrétaire d'Etat à la santé, de les reprendre pour en faire la base de discussion entre le Sénat et l'Assemblée nationale.
S'agissant de la discussion elle-même, malgré des divergences parfois fortes entre l'Assemblée nationale et le Sénat, notamment sur la nature des pouvoirs de contrôle et d'inspection qui devaient être attribués à l'AFSSA, la commission mixte paritaire réunie le 12 mai 1998 devait finalement réussir dans un esprit très constructif.
Autres temps, autres moeurs...
Trois ans après, force est de constater que le climat a changé. Le Gouvernement se montre plus soucieux d'afficher la création d'une nouvelle agence que de lui donner les moyens d'avoir une réelle autorité.
Je ne peux qu'être frappé par la modicité des moyens prévus pour la future agence : 38 millions de francs, avez-vous dit, avec création de quelques dizaines d'emplois. Incluez-vous, monsieur le ministre, dans les quarante emplois créés, les emplois qui seront détachés de l'INERIS, ce qui constitue, à l'évidence, le début d'un dépeçage. Votre réponse m'intéressera.
J'ajoute que, comme le souligne notre collègue Philippe Adnot, à la suite d'un récent contrôle, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, dispose de près de 2 milliards de francs de trésorerie inutilisés par suite de défaut de prévision et d'un surdimensionnement volontaire des crédits. D'une part, cela montre bien qu'il existe déjà une agence qui a une vocation en matière d'environnement, même si ses attributions sont quelque peu différentes et, d'autre part, cela permet de rapprocher ces 2 milliards de francs de trésorerie des 37 millions de francs accordés « généreusement » par le Gouvernement dans la loi de finances pour 2001.
Faute d'une volonté de répondre en profondeur à la réalité des enjeux, le nouveau dispositif apparaît pour ce qu'il est : un collège d'experts supplémentaire qui alourdira les structures administratives sans les améliorer. En matière d'environnement, la réforme de la sécurité sanitaire sera une réforme en trompe-l'oeil !
Je vous proposerai donc, mes chers collègues, de rétablir les amendements adoptés par notre assemblée en deuxième lecture, laissant ainsi encore une chance à l'Assemblée nationale de choisir une meilleure solution. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis de nombreux mois, nous débattons, sans parvenir à un accord, de la création d'une Agence française de sécurité sanitaire environnementale. Quand tous les éléments semblaient réunis pour obtenir, dans des délais acceptables, l'adoption rapide d'un texte permettant la création de cette agence, de multiples obstacles sont apparus, notamment dans la définition du périmètre de compétence de cette dernière.
A présent, pour notre groupe, deux obstacles subsistent : d'une part, l'intégration au sein de l'AFSSE de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques l'INERIS ; d'autre part, le débat sur le champ des compétences et des tutelles de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, qui résulterait de la fusion de l'Office de protection contre les rayonnements ionisants et de l'Institut de protection et de sûreté nucléaire ; sur ce dernier point, nous préférons la rédaction proposée par notre Haute Assemblée.
Les difficultés surgies de ce texte résultent d'une insuffisance de débat sur des enjeux extrêmements importants pour notre pays.
Ainsi, l'absence d'accord s'agissant du périmètre des compétences de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire révèle combien un débat est nécessaire sur le nuclèaire dans notre pays, notamment sur son utilisation énergétique.
Comme nous l'indiquions lors de la deuxième lecture de ce texte, il n'est pas acceptable que ce qui relève de la sûreté nucléaire ne fasse pas l'objet d'un débat associant l'ensemble des acteurs de la filière et le Parlement, mais aussi, plus largement, tous nos concitoyens. Les vides du texte concernant les tutelles de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire révèlent l'absence de transparence sur cette question.
Enfin, le transfert de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques nous semble bien précipité et nous préférerions que cette décision intervienne à l'issue de la mise en place de la future Agence française de sécurité sanitaire environnementale.
Compte tenu des éléments qui précèdent, le groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendra sur le texte qui nous est proposé en souhaitant qu'un accord intervienne dans les meilleurs délais, afin de doter notre pays d'un instrument que nous souhaitons efficace dans le domaine de la sécurité sanitaire environnementale.
L'actualité apporte chaque jour la preuve qu'il est plus que jamais nécessaire d'oeuvrer à une meilleure investigation en matière de risques, notamment de risques sanitaires liés à l'environnement. Aussi souhaitons-nous la mise en place de cette agence dans les meilleures délais.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

TITRE Ier

SÉCURITÉ, VEILLE
ET ALERTE SANITAIRES ENVIRONNEMENTALES


TITRE II