SEANCE DU 25 AVRIL 2001
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 414, le Gouvernement propose d'inserer, après l'article 32,
un article additionnel ainsi rédigé :
« Le deuxième alinéa de l'article L. 432-1 du code du travail est remplacé par
les dispositions suivantes :
« Le comité d'entreprise est obligatoirement informé et consulté sur les
projets de restructuration et de compression des effectifs. Il émet un avis sur
l'opération projetée et ses modalités d'application et peut formuler des
propositions relatives à la situation et aux perspectives économiques de
l'entreprise. Cet avis et ces propositions sont transmis à l'autorité
administrative compétente.
« Le comité d'entreprise peut se faire assister d'un expert-comptable dans les
conditions prévues au premier alinéa de l'article L. 434-6.
« L'employeur est tenu de fournir au comité d'entreprise une réponse motivée
aux propositions émises au cours d'une seconde réunion qui se tient dans un
délai minimal de quinze jours à compter de la date de la première réunion.
« Les dispositions de l'alinéa précédent ne sont pas applicables aux
entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 449, présenté par Mme
Borvo, MM. Muzeau, Fischer et les membres du groupe communiste républicain et
citoyen, et tendant :
I. - Dans la deuxième phrase du premier alinéa du texte présenté par
l'amendement n° 414, après les mots : « émet un avis », à insérer le mot : «
suspensif ».
II. - Après le deuxième alinéa du texte présenté par l'amendement n° 414, à
insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le comité d'entreprise dispose d'un délai de quatre mois pour élaborer cet
avis. »
Par amendement n° 229, M. Estier, Mme Dieulangard, MM. Cazeau, Chabroux, Mme
Printz et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer,
avant l'article 32, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le deuxième alinéa de l'article L. 432-1 du code du travail, les mots :
"en temps utile" sont remplacés par les mots : "deux mois avant la date de mise
à exécution prévue". »
La parole est à Mme le ministre, pour défendre l'amendement n° 414.
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Cet amendement, comme je viens
de l'indiquer, complète le précédent, n° 413.
Il prévoit, pour renforcer les attributions du comité d'entreprise en cas de
projet de restructuration, la tenue de deux réunions séparées par un délai de
quinze jours et l'attribution au comité d'entreprise d'un droit à expertise.
Ces dispositions sont destinées à garantir que tous les moyens sont mis en
oeuvre pour permettre au comité d'entreprise d'utiliser le plus efficacement
possible son droit d'intervention sur le projet même de restructuration. Il
pourra s'appuyer sur l'expertise externe qui devra être financée par
l'employeur.
D'autre part, l'employeur sera tenu de donner une réponse motivée aux
propositions du comité d'entreprise au cours de la seconde réunion, qui se
tiendra également dans le cadre de la procédure prévue par le livre IV du code
du travail.
Il s'agit, là encore, de bien distinguer la phase de discussion contradictoire
sur le bien-fondé des mesures de restructuration de celle qui, dans le cadre du
livre III, porte sur la procédure de licenciement elle-même.
M. le président.
La parole est à M. Muzeau, pour défendre le sous-amendement n° 449.
M. Roland Muzeau.
Nous estimons, d'une part, que, faute de préciser que l'avis du comité
d'entreprise est suspensif, on ouvrirait la voie à de nombreux contentieux.
Nous proposons, d'autre part, de prévoir que le comité d'entreprise dispose
d'un délai de quatre mois pour élaborer son avis. En effet, ce n'est pas en
quelques jours qu'il peut sérieusement étudier le contenu du dossier.
M. le président.
La parole est à M. Chabroux, pour présenter l'amendement n° 229.
M. Gilbert Chabroux.
Cet amendement tend à lever toute ambiguïté dans le calendrier de mise en
oeuvre de la procédure de licenciement économique.
Le flou qui règne actuellement dans le code du travail sur la question,
pourtant capitale, des délais de prévenance du comité d'entreprise en cas de
projet de compression d'effectifs a pu donner à certains patrons le sentiment
qu'ils pouvaient aisément s'affranchir de ces règles. Je pense évidemment ici à
Marks & Spencer puisqu'il a fallu que le juge, en dernier recours, demande la
reprise de la procédure.
Il est nécessaire que les salariés, premiers concernés, soient avertis de ce
projet dans un délai décent et selon les procédures prévues, et non par voie de
presse dans les heures qui précèdent la mise en oeuvre du plan de
licenciements, avec une désinvolture inacceptable à leur encontre.
Nous proposons donc que, de manière générale, le comité d'entreprise soit
averti deux mois avant la date de mise à exécution prévue de tout projet de
compression d'effectifs.
Il est, en effet, bien évident que les groupes multinationaux, mais aussi les
entreprises moins importantes qui procèdent à la fermeture d'unités de
production n'improvisent pas ces décisions. Elles doivent être prises et
budgétisées à l'avance.
Même dans les entreprises de télécommunications, que l'on nous cite
actuellement comme contraintes de réagir dans l'urgence aux fluctuations du
marché, on ne nous fera pas croire que les décisions de fermetures d'usines et
de licenciements par dizaines de milliers en comptant la sous-traitance, sont
prises en cinq minutes, presque sur un coin de table !
Si tel était le cas, la situation serait encore plus grave que ce que l'on
peut imaginer et la compétence des dirigeants, largement rémunérés et pourvus
de
stock-options
, devrait être mise en cause. Les actionnaires semblent
d'ailleurs s'en inquiéter de plus en plus, puisque ces revirements finissent,
après un effet largement positif sur les cours de la Bourse, par faire peser un
soupçon d'impéritie sur les dirigeants de l'entreprise. Ce n'est là qu'un juste
retour des choses !
A propos des actionnaires, je précise aussi que l'argument selon lequel le
droit boursier s'oppose à ce qu'une annonce de cette nature soit faite à
l'avance, afin de préserver, en quelque sorte, la pureté du jeu spéculatif,
n'est pas, à nos yeux, recevable.
Ce qui est en cause ici, c'est, non pas, en effet, le bénéfice plus ou moins
important que des actionnaires vont réaliser, mais le salaire, le seul revenu
de gens, de familles entières, dont la vie va se trouver saccagée.
Il n'est donc pas tolérable que ces licenciements, qui ont pour seul objet
l'augmentation des profits boursiers, soient imposés dans l'urgence aux
salariés. Le comité d'entreprise doit pouvoir se saisir dans un délai
raisonnable et suffisant du projet de compression d'effectifs afin de débattre
des alternatives et des possibilités offertes aux salariés.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées socialistes. - M. Delfau applaudit
également.)
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 414 et 229, ainsi que
sur le sous-amendement n° 449 ?
M. Alain Gournac,
rapporteur.
La commission est défavorable au sous-amendement n° 449.
L'insertion du mot « suspensif » ne reflète pas du tout notre état d'esprit.
M. Roland Muzeau.
Ce n'est pas une question d'état d'esprit ! C'est une affaire de démarche !
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Eh bien, nous ne sommes pas dans la même démarche !
En revanche, la commission est favorable à l'amendement n° 414, qui est très
proche de l'amendement n° 109 qu'elle a déposé, à deux différences près.
Alors que l'amendement n° 109 traite des annonces au public ayant des
conséquences sur l'emploi, l'amendement n° 414 concerne les projets de
restructuration. Le comité d'entreprise est autorisé à formuler des
propositions et à se faire assister d'un expert comptable. Nous approuvons
cette disposition, que nous n'avions pas envisagée.
Ces deux amendements paraissent complémentaires puisqu'ils tendent l'un et
l'autre à renforcer le dialogue dans l'entreprise et à rechercher une meilleure
solution. Il est donc logique que la commission des affaires sociales émette un
avis favorable sur l'amendement n° 414.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur le sous-amendement n° 449 et sur
l'amendement n° 229 ?
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je ne suis pas favorable au
sous-amendement n° 449.
Quant à l'amendement n° 229, je partage entièrement, monsieur Chabroux, votre
souci de donner suffisamment de temps aux représentants des salariés pour
pouvoir réaliser une analyse, puis exprimer leur position. Mais je pense que
l'amendement n° 414 répond à ce souci en imposant la tenue de deux réunions
séparées par un délai de quinze jours au minimum. Si les représentants des
salariés estiment ne pas avoir suffisamment de temps, ils peuvent toujours
demander que ce délai soit allongé. Cela se fait sous le contrôle du juge.
Puisque le code du travail ne fixe aucun délai en matière d'information et de
consultation du comité d'entreprise, le juge a été amené à décider que le
comité d'entreprise doit disposer d'un délai d'examen suffisant, qui varie
selon la complexité du projet.
C'est pourquoi je n'approuve pas la proposition d'enfermer la consultation du
comité d'entreprise dans un délai prédéfini. Dans l'amendement n° 229, le délai
est de deux mois et, au fond, l'inspiration est à peu près la même dans le
sous-amendement n° 449, où le délai est de quatre mois.
La précision n'est pas nécessaire à partir du moment où, sous le contrôle du
juge, en arguant du fait que les obligations générales d'information et de
consultation ne sont pas remplies, les représentants des salariés pourront
toujours demander la prolongation du délai.
Par conséquent, il me semble nécessaire de laisser aux partenaires la
souplesse d'apprécier, dans l'entreprise, la durée souhaitable du délai, qui
peut varier infiniment.
Je serais plutôt tentée de demander le retrait de l'amendement n° 229.
D'ailleurs, je pourrais, pour les mêmes raisons, faire la même demande aux
auteurs du sous-amendement n° 449.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Nous retirons l'amendement n° 229.
M. le président.
L'amendement n° 229 est retiré.
Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 449.
M. Bernard Murat.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Murat.
M. Bernard Murat.
Je voudrais quand même répondre à notre collègue, car il faut bien savoir
qu'au-delà des multinationales et des problèmes posés par les délits d'initié -
car c'est bien de cela qu'il s'agit - si l'on sort de la dimension hexagonale
de cette discussion, on est dans un monde complètement virtuel. Comment, en
effet, imaginer que les actionnaires internationaux vont tenir compte des
dispositifs dont nous discutons aujourd'hui ?
M. Gérard Delfau.
Alors, levons la séance !
M. Bernard Murat.
Ils valent même pas au niveau de l'Europe.
J'ajouterai ceci pour illustrer la question : faisons abstraction des
actionnaires et appliquons à une PME-PMI ce genre de mécanique. Que va-t-il se
passer ? Les banques, immédiatement informées des difficultés de l'entreprise,
vont, comme l'on dit, « fermer le robinet » pendant que se prolonge ce délai
d'information et de consultation.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Vous vous rendez compte de ce que vous êtes en train de dire ?
M. Bernard Murat.
Mais c'est comme ça que les choses se passent ! C'est la vie réelle, madame
!
M. Philippe Marini.
Oui, c'est la vie réelle ! Pas la vie virtuelle !
Mme Nicole Borvo.
Heureusement que vous êtes là pour nous ramener à la vie réelle ? La World
Company nous donne des leçons de vie réelle !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 449, repoussé par la commission et par
le Gouvernement.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 414.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Cet amendement permet d'impliquer le comité d'entreprise, par l'information et
la consultation, sur les projets de restructuration et de compression des
effectifs.
C'est l'objectif que nous voulions atteindre lorsque nous proposions de
préciser dans le code du travail que c'est deux mois avant, et pas seulement en
temps utile, que le comité d'entreprise doit être saisi des projets de
compression des effectifs.
Nous soutenons votre amendement, madame la ministre ; il apporte des
précisions sur ce qui aurait dû avoir lieu durant ce délai de deux mois. Je
crois que les démarches que vous définissez impliquent en elles-mêmes
l'existence d'un délai significatif.
Nous n'abordons pas la question de la même façon, mais c'est bien à la même
avancée que nous travaillons pour en faire un acquis important.
Je veux encore rappeler que notre ambition est d'empêcher que les annonces
sauvages et humiliantes de licenciements seront d'abord faites au public. Il
s'agit en particulier de contrecarrer, en permettant d'en discuter le
bien-fondé, les licenciements absurdes effectués dans les entreprises qui font
des bénéfices.
Nous voterons donc cet amendement n° 414.
M. Roland Muzeau.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Nous voterons l'amendement du Gouvernement, en regrettant qu'un délai
supplémentaire pour l'instruction des dossiers ne nous ait pas été accordé.
En effet, je crois qu'il serait dangereux de surestimer la capacité des
organisations syndicales et des comités d'entreprise à gérer, dans un laps de
temps très court, des dossiers extrêmement complexes. N'oublions pas que
l'employeur, avec les organisations qui l'entourent, ont pu y consacrer des
mois, voire un peu plus.
S'en remettre au seul juge pour déterminer les délais d'instruction accordés
au comité d'entreprise pour élaborer des contre-propositions n'est pas de
nature à faciliter la vie de l'entreprise.
Cela étant, nous considérons tout de même que l'amendement du Gouvernement va
dans le bons sens, et nous le voterons.
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Je voudrais revenir sur
la position de la commission à propos de l'amendement n° 414.
Vous voyez, madame la ministre, que nous n'avons pas tout passé à la
tronçonneuse. Sur cet amendement - et sur un autre, d'ailleurs, que nous
considérons comme important et sur lequel nous donnerons un avis de sagesse -
nous n'avons pas voulu prendre d'attitude systématique. Tel n'était pas notre
objectif, malgré ce qui a pu être dit.
M. Henri de Raincourt.
Nous ne sommes pas conservateurs !
M. Gérard Delfau.
Pas trop !
M. Henri de Raincourt.
Ça dépend des moments !
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Je crois utile de
rappeler que nous avons travaillé dans des conditions acrobatiques. Ces
amendements nous ont été communiqués hier soir. Nous les avons examinés ce
matin, pour pouvoir en débattre cet après-midi, après qu'a eu lieu, à la
demande du Gouvernement, une modification de discussion des différents titres
du projet de loi.
M. Philippe Marini.
C'est vraiment du bon travail parlementaire !
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Et si nous avons
préféré, sur un certain nombre d'amendements, donner soit un avis favorable,
soit un avis de sagesse - je pense à l'amendement n° 416, que nous examinerons
tout à l'heure et qui est extrêmement important - c'est parce que vous avez
levé l'urgence, madame le ministre. Nous comptons sur la période qui séparera
cette première lecture de la suivante pour consulter tous les partenaires et
obtenir un avis circonstancié.
Je voudrais que l'on sache bien que la commission des affaires sociales du
Sénat n'élague pas systématiquement tout ce qui vient d'un autre bord politique
; nous allons d'ailleurs voter un certain nombre d'amendements de nos collègues
socialistes. Nous sommes simplement animés par la volonté de faire du bon
travail !
M. Henri de Raincourt.
Très bien !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 414, accepté par la commission.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, après l'article 32.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Gournac, rapporteur.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Si je demande la parole, c'est pour souligner qu'il est
possible de parvenir à l'unanimité.
M. Guy Fischer.
Il n'y a pas eu l'unanimité ! Certains membres de l'UREI ont voté contre !
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Disons la quasi-unanimité... On pouvait en douter...
Malgré tout ce qu'on a entendu chez certains, il est donc possible de trouver
la ... quasi-unanimité. Nous venons d'en avoir la preuve.
Article 32