SEANCE DU 2 MAI 2001
Lutte contre le harcèlement moral au travail
M. le président.
Par amendement n° 278, M. Caldaguès propose de rédiger comme suit cet intitulé
: « Lutte contre le harcèlement moral ».
La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès.
Cet amendement, tendant à modifier l'intitulé du chapitre III
bis
du
titre II, n'a de raison d'être que si l'amendement n° 280 rectifié, que je vais
défendre dans un instant, est adopté. Par conséquent, je demande la réserve de
l'amendement n° 278 jusqu'après examen de l'amendement n° 280 rectifié.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur cette demande de réserve ?
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Favorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Favorable.
M. le président.
La réserve est ordonnée.
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, puisque nous abordons le dispositif relatif
au harcèlement moral, permettez-moi quelques remarques préliminaires.
Un premier travail réalisé par les services du ministère de l'emploi et de la
solidarité avait montré, à la fin de 1999, l'importance des pratiques de
harcèlement moral et la nécessité de réfléchir rapidement aux mesures qu'il
convenait de prendre pour les combattre.
A l'occasion de la discussion, en première lecture, à l'Assemblée nationale,
du projet de loi de modernisation sociale, j'ai pris l'initiative, en accord
avec de nombreux députés de la majorité, d'introduire quelques amendements,
compte tenu de la nécessité d'intervenir rapidement pour faire cesser ces
comportements inacceptables. Il s'agissait de la première initiative jamais
prise pour introduire dans le code du travail des dispositions sur le
harcèlement moral.
Mais j'ai souhaité aussi que nous nous en tenions à quelques dispositions pour
permettre d'ancrer cette notion dans le code du travail en attendant la
présentation du rapport du Conseil économique et social, saisi par le Premier
ministre sur ce sujet, et la suite des débats au Parlement.
En quelque sorte, nous avons eu un premier débat à l'Assemblée nationale à
partir des différentes propositions qui avaient été faites, des travaux
qu'avait menés le ministère de ma conviction personnelle et qu'il fallait que
cet important sujet fût traité dans la loi avec la conscience que nous aurions
grand intérêt à tenir compte des travaux du Conseil économique et social.
En écoutant les représentants des associations qui accueillent les victimes de
harcèlement moral, on prend conscience, en effet, de l'intensité de la
souffrance qu'ils décrivent chez les personnes qui ont eu à subir le
harcèlement moral. Bien sûr, les formes de harcèlement peuvent être différentes
: les objectifs des auteurs, les réactions de l'environnement de travail, les
réactions de la victime elle-même, toutes les situations sont très diverses.
Cependant,
in fine,
ce qui doit être retenu, c'est que la personne qui
subit ce harcèlement souffre profondément, et c'est bien cela qui est
intolérable.
Le harcèlement moral est un processus de négation de la dignité, un acte de
violence, une atteinte à l'intégrité de la personne. Il ne saurait y avoir de
justification à de tels comportements, ni du côté des individus qui s'y livrent
ou qui le tolèrent, ni du côté des entreprises qui laissent se développer en
leur sein des pratiques de ce type.
La réussite économique, les impératifs de gestion, la nécessité de respecter
des délais toujours plus contraints ne peuvent avoir en effet pour conséquence
de laisser tolérer de tels comportements.
La relation de subordination - qui marque l'existence du contrat de travail et
en même temps le caractérise - n'induit nullement la domination. Cette
subordination ne peut porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne.
L'entreprise doit, elle aussi, protéger les libertés publiques.
La circonstance tirée de ce que le travail se réalise pour le compte d'un
employeur et au sein d'un espace privé - celui de l'entreprise - est sans effet
sur le respect de ces droits fondamentaux, qui ne doivent souffrir aucune
exception.
Je veux convaincre les entreprises et, plus généralement, toutes les
collectivités de travail qu'il est de leur responsabilité de s'opposer au
développement de telles pratiques. D'abord, bien sûr, parce que ces pratiques
sont attentatoires à la dignité des personnes, comme je viens de le dire,
ensuite, parce qu'elles sont totalement improductives.
Il est donc de la responsabilité des chefs d'entreprise, des dirigeants
d'organisme, de ne pas tolérer ce type de comportement, d'être vigilants sur
l'existence du processus de harcèlement moral dans leurs structures, de veiller
à ne pas leur donner prise en ayant notamment un discours équilibré à l'égard
de l'encadrement, à l'égard des dirigeants des entreprises et en ne laissant
jamais, vraiment jamais penser que toutes les méthodes sont bonnes dans la
conduite des hommes et des femmes pour atteindre les objectifs fixés.
On se souvient de l'immense retentissement qu'a eu le premier livre de Mme
Hirigoyen, en 1998. Cela tient tout simplement au fait qu'il s'est produit un
véritable phénomène d'identification, qui peut paraître quelquefois abusif, de
la part de très nombreux salariés concernés par les situations décrites qui
leur semblaient proches de celles qu'ils avaient, peu ou prou, vécues
personnellement ou dont ils avaient été témoins.
Le retentissement de ce livre montre aussi que des phénomènes profonds sont à
l'oeuvre dans le monde du travail.
Voilà pourquoi je pense qu'il faut prendre ce sujet très au sérieux et
réfléchir au plus vite à ce qui peut être fait pour enrayer le développement
des pratiques de harcèlement moral au travail.
Le harcèlement moral est d'abord un risque inhérent à l'activité
professionnelle : c'est ce que précise l'un des amendements déposés par le
Gouvernement pour enrichir le texte élaboré par l'Assemblée nationale.
Dès lors, il est nécessaire d'envisager les mesures à prendre pour que ce
risque soit combattu efficacement au sein des entreprises, et plus généralement
d'ailleurs au sein de toutes les organisations.
La première difficulté consiste à adopter la bonne définition du harcèlement
moral. Cette dernière est évidemment essentielle parce qu'elle va déterminer le
champ d'application des mesures qui seront prises.
Je suis attachée à ce que la définition soit la plus précise possible afin
d'éviter que des agissements, bien sûr répréhensibles, mais d'une gravité bien
moindre, ne soient traités de la même manière que le harcèlement moral
proprement dit. Ainsi, toute situation de stress au travail ne peut bien
entendu pas être assimilée à du harcèlement moral. La notion ne peut pas
devenir un réceptacle pour toute une série de dysfonctionnements internes aux
entreprises, qui sont d'une autre nature et qui appellent des mesures qu'il
n'appartient pas aux pouvoirs publics de décider.
Compte tenu de ces objectifs, dans la définition que je propose, le
Gouvernement retient la notion de répétition, insiste sur l'atteinte à la
dignité de la personne concernée et fait clairement le lien entre ces pratiques
et la création de conditions de travail humiliantes ou dégradantes.
Cependant, dans le prolongement des travaux du Conseil économique et social,
cette définition mérite d'être complétée.
Je suis, tout d'abord, favorable à un élargissement du champ du harcèlement
moral aux pratiques qui concernent des collègues sans exiger qu'il existe une
relation d'autorité entre le harceleur et le harcelé. Les éléments dont nous
disposons semblent montrer que ce n'est pas le cas le plus fréquent : il paraît
même très minoritaire, mais il est tout aussi inacceptable, et la seule
sanction disciplinaire, qui est du ressort de l'employeur, peut paraître
insuffisante. Je suis donc convaincue qu'il n'y a pas lieu de maintenir un
traitement différent entre ces deux situations, comme, d'ailleurs, le fait bien
apparaître le rapport du Conseil économique et social.
Il me paraît également utile d'intégrer des éléments contenus dans la
définition proposée par le Conseil économique et social, qui portent notamment
sur l'altération de la santé physique ou mentale de la victime du harcèlement
moral.
Enfin, s'agissant de la fonction publique, les associations qui sont au
contact des victimes signalent effectivement que de nombreux cas de harcèlement
moral avéré se produisent au sein des trois fonctions publiques.
En l'absence de recensement précis de l'ensemble des cas, il est difficile
d'avoir une estimation sûre de l'ampleur du phénomène, mais il n'est pas
douteux que cela représente plus du tiers de l'ensemble des cas. Pour ce motif,
mais aussi parce qu'il n'y a pas de raison de principe,
a priori,
que
les règles de protection qui bénéficient aux salariés du secteur privé ne
soient pas aussi applicables au sein des administrations de l'Etat, des
collectivités territoriales ou des établissements hospitaliers, le Gouvernement
souhaite que des dispositions modifiant en ce sens le statut de la fonction
publique soient votées.
Dès lors que l'on retient l'idée que le harcèlement moral est un risque
professionnel à part entière, il convient de s'attacher à mettre en place des
politiques de prévention efficaces. Il s'agit aussi de sanctionner et de
réparer.
Sur ce chapitre de la prévention, de la réparation et de la sanction, quelques
dispositions figuraient dans le texte voté en première lecture, qui étaient
loin de faire le tour de la question. Les travaux du Conseil économique et
social, là encore, permettent d'aller plus loin aujourd'hui. Nous y reviendrons
dans le détail en examinant les amendements, mais je veux d'ores et déjà vous
donner mon sentiment général.
La reconnaissance du harcèlement moral comme un véritable risque professionnel
emporte certaines conséquences : la compétence des représentants du personnel
au travers du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ;
l'introduction de clauses dans le règlement intérieur prohibant le harcèlement
moral ; le rôle du médecin du travail, en particulier par le biais de l'article
L. 241-10-1 du code du travail.
S'agissant d'une réelle discrimination, il convient également d'étendre aux
cas de harcèlement moral le système de protection prévu pour les témoins et
victimes ainsi que la capacité d'action substitutive des organisations
syndicales tels qu'ils ont été prévus par le projet de loi sur la lutte contre
les discriminations déposé par le groupe socialiste à l'Assemblée nationale et
qui termine son parcours devant les deux assemblées.
De même, et c'est le sens d'un amendement déposé par le Gouvernement, il
convient de retenir le même régime de la preuve.
Reste la question de la sanction. Le projet de loi de modernisation sociale
contient d'ores et déjà certaines dispositions dans ce domaine. Des sanctions
disciplinaires sont prévues. Par ailleurs, la rupture du contrat de travail
intervenue à la suite du harcèlement moral est nulle de plein droit, ouvrant
ainsi droit, pour le salarié concerné, soit à des dommages-intérêts, soit à une
réintégration.
Plusieurs d'entre vous proposent d'instaurer une sanction pénale. Je connais
bien ce débat, qui se pose dans beaucoup de domaines. Chaque fois que l'on crée
une nouvelle catégorie de droit, on se pose la question de la sanction et,
naturellement, de la sanction pénale.
Nous sommes très attachés, en France, à l'aspect symbolique de la sanction
pénale. Je ne méconnais pas, bien sûr, cet aspect des choses. Il est important,
mais je ne suis pas
a priori
convaincue de l'efficacité de la sanction
pénale par comparaison avec des sanctions civiles bien imaginées, correctement
proportionnées et bien utilisées par les demandeurs, d'autant qu'il existe déjà
dans le code pénal des incriminations qui peuvent être utilisées et qui le
sont, bien qu'encore rarement, dans ces situations.
Sur cet important point des sanctions pénales, je souhaite écouter vos
arguments et ceux de vos collègues de l'Assemblée nationale avant de prendre
une position définitive.
Je terminerai en disant qu'il est indispensable de mettre en place un système
de prévention, de sanction, de réparation à la hauteur de la souffrance subie
par les victimes de harcèlement moral : l'incompréhension de ce qui lui arrive,
l'absence de solutions évidentes pour s'en sortir, la culpabilisation, tout
simplement l'épuisement, l'éloignent du chemin qui conduit au retour de la
confiance en soi et, par conséquent, de la volonté de ne plus subir, de
dénoncer et de se battre pour retrouver sa dignité.
J'ai la conviction que les acteurs de l'entreprise ont un rôle majeur à jouer
pour aider les victimes et je suis favorable, comme je l'ai précisé, à ce que
l'on renforce leurs compétences.
Voilà ce que je voulais vous dire en introduction des débats sur ce sujet qui
est particulièrement important, qui est tout à fait nouveau, et sur lequel
j'espère que nous pourrons légiférer en toute sérénité. Je souhaite que nous
évitions de tomber dans ce qui pourrait être une mauvaise utilisation de la
loi. Je reconnais toutefois qu'il s'agit là de situations humaines et sociales
à traiter avec plus de pertinence.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Gournac, rapporteur.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Madame le ministre, vous avez devant vous un rapporteur ravi
!...
Dans la déclaration que j'ai faite il y a quelques jours, je proposais que les
collègues de travail soient aussi punis quand ils sont complices ou directement
coupables de harcèlement moral.
Je proposais également, au nom de la commission des affaires sociales,
d'intégrer la fonction publique dans le dispositif au vu non seulement du
rapport du Conseil économique et social, mais aussi du très bon rapport de
l'association des directeurs des ressources humaines.
Je suis également ravi de voir que vous ne voulez pas ajouter des sanctions
pénales, comme je l'ai demandé.
Nous allons donc, ce soir, pouvoir travailler efficacement. Le harcèlement
moral, ce n'est pas une question politique. En effet, il s'agit de défendre des
personnes, qui sur leur lieu de travail, souffrent. Parfois, cela va jusqu'au
suicide. Nous devons donc faire preuve de respect à l'égard des victimes.
Toutes les avancées seront remarquables.
Pour terminer, je dirai que je suis fier que le Sénat ait fait toutes ces
propositions et que j'ai été étonné que l'Assemblée nationale ne les ai pas
présentées.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
Article 50 ter