SEANCE DU 3 MAI 2001
GROUPEMENTS À CARACTÈRE SECTAIRE
Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de
loi (n° 431, 1999-2000), modifiée par l'Assemblée nationale, tendant à
renforcer la prévention et la répression à l'encontre des groupements à
caractère sectaire. [Rapport n° 192 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président, monsieur
le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat examine aujourd'hui
en deuxième lecture la proposition de loi sur les groupements sectaires déposée
par M. About.
Il s'agit d'une proposition de loi importante, qui vient très opportunément
compléter notre droit afin d'améliorer l'action des pouvoirs publics, déjà
largement engagée comme M. Jean-Jack Queyranne avait eu l'occasion de vous
l'indiquer lors de la première lecture de ce texte, à l'encontre du phénomène
sectaire.
Je tiens donc à remercier M. About de son initiative, qui a permis à la
représentation nationale de réfléchir de façon approfondie sur cette question
douloureuse et complexe.
Douloureuse, parce que les dommages causés par les mouvements sectaires,
essentiellement à l'encontre de personnes vulnérables et de leur famille,
constituent une réalité incontestable.
Complexe, parce que la lutte légitime contre les dérives sectaires ne doit pas
porter atteinte aux libertés individuelles et collectives que garantit un Etat
démocratique soucieux de respecter les droits de l'homme.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Cette problématique essentielle, qui avait guidé les
travaux du Sénat en première lecture, a évidemment gouverné les débats devant
l'Assemblée nationale.
Prenant en compte plusieurs propositions de loi déposées par des députés sur
le sujet, et notamment celle de Mme Picard, l'Assemblée nationale a, comme vous
le savez, modifié ou complété le texte initial sur plusieurs points.
En premier lieu, l'Assemblée nationale a remplacé la procédure de dissolution
administrative envisagée par M. About, qui complétait à cette fin la loi de
1936 sur les groupes de combats et les milices privées, par une dissolution
judiciaire.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale est directement inspiré, sur le
fond, de celui qui avait été initialement envisagé par M. About : la
dissolution d'une personne morale n'est notamment possible que lorsque ont déjà
été prononcées plusieurs condamnations pour certaines infractions
limitativement énumérées.
La dissolution est toutefois décidée par le tribunal de grande instance, à
l'issue d'une procédure judiciaire garantissant les droits de la défense, et
non par décret du Président de la République.
Je me réjouis que la commission des lois du Sénat ait accepté ce dispositif,
sous réserve de quelques modifications sur lesquelles je m'exprimerai lors de
l'examen des amendements.
En second lieu - je cite brièvement ces dispositions car elles font l'objet
d'un consensus entre les deux assemblées - la proposition de loi de M. About a
été complétée, à la suite d'amendements déposés tant par la commission des lois
de l'Assemblée nationale que par le Gouvernement, par plusieurs articles
étendant la responsabilité pénale des personnes morales pour un certain nombre
d'infractions, notamment de crimes ou délits contre les personnes, qui peuvent
être commises au sein de mouvements sectaires.
Le bien-fondé de ces différentes dispositions est évident, notamment en ce
qu'elles prévoient, pour les infractions les plus graves, la peine de
dissolution.
L'Assemblée nationale a par ailleurs complété le texte par des dispositions
limitant l'installation et la publicité des groupements sectaires.
La commission des lois du Sénat entend supprimer les deux dispositions donnant
au maire la possibilité d'interdire à des groupements sectaires - dans des
conditions similaires à celles qui sont prévues par l'article 1er sur la
dissolution judiciaire - leur installation à moins de cent mètres de certains
lieux sensibles, comme les écoles, ou de refuser la délivrance d'un permis de
construire.
Elle s'est demandé si ces pouvoirs ne devaient pas être confiés aux préfets
plutôt qu'aux maires, et des amendements en ce sens ont d'ailleurs été déposés
par les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen et par les
membres du groupe socialiste. Je m'expliquerai sur ce point lors de l'examen
des amendements, tout en indiquant dès à présent que les interrogations de la
commission des lois ne sont pas sans justification, mais qu'il s'agit là d'une
question relativement complexe.
Enfin, l'Assemblée nationale a institué une nouvelle infraction : le délit de
manipulation mentale.
Si l'amélioration de l'arsenal législatif en matière pénale paraissait
justifiée, la création d'une telle infraction n'était toutefois pas sans
soulever d'importantes difficultés au regard des risques d'atteintes aux
libertés fondamentales.
Mon prédécesseur, Mme Elisabeth Guigou, avait fait part de ses interrogations
lors de la discussion de ce texte devant l'Assemblée nationale, interrogations
qui l'avaient conduite à saisir de cette question la Commission nationale
consultative des droits de l'homme.
L'avis donné par cette commission, et que le Gouvernement a immédiatement
remis à la commission des lois du Sénat et à son rapporteur, M. About, a permis
d'approfondir la réflexion et de parvenir à une solution satisfaisante.
Celle-ci, qui recueille également l'agrément de Mme Picard, consiste non pas à
créer une nouvelle incrimination de manipulation mentale, mais à améliorer le
délit d'abus frauduleux de l'état de faiblesse, en étendant légèrement les
éléments constitutifs de cette infraction.
Ainsi modifié, ce délit permettra de condamner le fait d'abuser
frauduleusement de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse d'une
personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l'exercice
de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son
jugement pour conduire cette personne à un acte ou à une abstention qui lui
sont gravement préjudiciables.
J'observe que le terme « sujétion » est préféré au terme « dépendance », et
qu'une modification similaire est faite par la commission des lois du Sénat
dans les autres dispositions de la proposition de loi. Cette expression paraît
effectivement mieux appropriée.
La commission des lois du Sénat propose, par ailleurs, l'institution d'une
circonstance aggravante lorsque l'infraction est commise par le dirigeant d'un
groupement qui a pour objet de créer ou de maintenir de telles sujétions.
Elle propose, enfin, d'insérer cette infraction dans le livre II du code pénal
consacré aux crimes et aux délits contre les personnes, dans lequel cette
infraction a en effet plus sa place que dans le livre II du code consacré aux
crimes et délits contre les biens, où elle figure actuellement.
Ces nouvelles dispositions permettent ainsi de réprimer en tant que telles les
dérives sectaires, sans porter atteinte à la liberté de conscience.
Elles présentent ainsi un caractère équilibré et reçoivent en conséquence le
plein accord du Gouvernement.
La proposition de loi de M. About me paraît constituer un exemple privilégié
du rôle du Parlement dans la recherche de solutions aux problèmes que peut
connaître notre société.
Le phénomène sectaire existe depuis de nombreuses années, et il a donné lieu à
des prises de conscience successives de l'opinion publique et des pouvoirs
publics qui ont permis d'améliorer progressivement les conditions dans
lesquelles ce phénomène doit être maîtrisé et combattu.
Notre droit était toutefois à cet égard encore imparfait, et les dispositions
de la présente proposition de loi, qui résultent d'une coordination et d'une
complémentarité parfaites entre le Sénat, l'Assemble nationale et le
Gouvernement, permettent d'améliorer très sensiblement notre arsenal
juridique.
Elles constituent une avancée significative permettant à un Etat démocratique
de se doter, dans des conditions respectueuses des droits de l'homme, des
dispositions nécessaires pour lui permettre de lutter utilement contre des
groupements portant justement atteinte à ces valeurs essentielles. Je vous
demande donc de les adopter.
(Applaudissements sur les travées socialistes
et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - M. le rapporteur
applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur
le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons
aujourd'hui en deuxième lecture la proposition de loi tendant à renforcer la
prévention et la répression à l'encontre des sectes, groupements portant
atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales. Je suis
particulièrement heureux que la proposition de loi que j'ai déposée en 1995 ait
été adoptée par le Sénat en décembre 1999, puis examinée et enrichie par
l'Assemblée nationale. Je regrette simplement qu'il ait fallu autant de temps
pour que ce texte revienne devant la Haute Assemblée.
Pendant longtemps, on a affirmé que nous disposions de tous les instruments
nécessaires pour lutter contre les dérives sectaires. Or, si le droit actuel
est effectivement suffisant pour combattre les comportements individuels, il
n'en va pas de même en ce qui concerne la lutte contre les groupements
sectaires eux-mêmes. Et c'est ce manque que la proposition de loi dont nous
débattons aujourd'hui doit nous permettre de combler.
Je rappelle que le texte que nous avons adopté à l'unanimité en première
lecture prévoyait, pour l'essentiel, la possibilité pour le Président de la
République de dissoudre par décret des groupements dangereux condamnés
pénalement à plusieurs reprises. Cette procédure était placée sous le contrôle
du Conseil d'Etat.
Nous avons également souhaité prévoir la responsabilité pénale des personnes
morales pour certaines infractions fréquemment commises par les sectes, à
savoir l'exercice illégal de la médecine et de la pharmacie. Je sais que des
inquiétudes se sont manifestées à propos de ce renforcement des sanctions
pénales en matière d'exercice illégal de la pharmacie. En effet, notre
réglementation n'est pas entièrement claire en ce qui concerne la définition
des produits qui ne peuvent être mis en vente que par les pharmacies. Or notre
propos dans cette proposition de loi est bien de lutter contre les dérives
sectaires, et non d'intervenir dans la difficile question de savoir quels
produits peuvent ou non être vendus en dehors des pharmacies.
Aussi, madame la ministre, nous souhaiterions savoir où en est la réflexion du
Gouvernement sur les moyens de régler la question de la parapharmacie, des
médicaments dits « frontière », car le renforcement des sanctions en matière
d'exercice illégal de la pharmacie doit s'accompagner du règlement de cette
question dans le respect des textes européens qui existent en ce domaine.
Cette mise au point étant faite, j'en viens aux modifications apportées à la
proposition de loi par les députés.
L'Assemblée nationale a approuvé notre proposition prévoyant la possibilité de
dissoudre ces groupements dangereux. Cependant, elle n'a pas retenu, comme le
rappelait madame la ministre, la procédure de décret présidentiel, lui
préférant une procédure judiciaire.
L'Assemblée nationale a surtout apporté plusieurs compléments à la proposition
de loi. Elle a étendu à de nombreuses infractions nouvelles la responsabilité
pénale des personnes morales. Elle a en outre prévu des dispositions limitant
l'installation et la publicité des groupements sectaires. Ainsi, les maires
pourraient désormais interdire l'installation dans certaines zones de
groupements sectaires condamnés à plusieurs reprises. Enfin et surtout,
l'Assemblée nationale a créé un délit de manipulation mentale, disposition qui,
vous le savez, a suscité un vif émoi, notamment de la part des représentants
des grandes confessions religieuses.
Saisie par le garde des sceaux, la Commission nationale consultative des
droits de l'homme a estimé inopportune la création du délit de manipulation
mentale.
Dans ces conditions, la commission des lois du Sénat a souhaité procéder à des
auditions avant d'examiner en deuxième lecture la présente proposition de loi.
Elle a entendu les représentants des grandes confessions religieuses, les
membres des associations de lutte contre les dérives sectaires, le président de
la mission interministérielle de lutte contre les sectes et, enfin, le
président de la Commission nationale consultative des droits de l'homme.
Au terme de ces auditions, la commission a recherché les moyens de concilier
la liberté de croyance, à laquelle nul d'entre nous ne veut porter atteinte, et
la nécessité de lutter contre des groupements qui bafouent régulièrement les
lois de la République.
Quelles sont, compte tenu de cet objectif, les propositions de la commission
des lois ?
Tout d'abord, nous proposons de supprimer le délit de manipulation mentale,
qui a suscité beaucoup d'inquiétude. Nous proposons plutôt de déplacer le délit
d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse et de le compléter,
conformément au souhait de la Commission nationale consultative des droits de
l'homme. Je rappelle qu'actuellement, ce délit n'est constitué qu'en cas d'abus
de l'état de faiblesse d'un mineur ou d'une personne particulièrement
vulnérable en raison d'une déficience physique ou psychique. Or telle n'est
pas, à l'origine, la situation des personnes qui entrent dans des groupements
sectaires. Nous proposons donc que le délit soit constitué non seulement en cas
d'abus de la situation de faiblesse d'un mineur ou d'une personne
particulièrement vulnérable, mais également en cas d'abus de la situation de
sujétion psychologique ou physique d'une personne résultant de pressions graves
ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, surtout pour
conduire cette personne à une abstention ou à un acte qui lui soit gravement
préjudiciable.
Ainsi, nous évitons de créer un délit spécialement consacré aux sectes et nous
inscrivons la lutte contre certains groupements dangereux dans un cadre
juridique déjà bien connu du juge pénal.
Par ailleurs, la commission des lois propose d'accepter la procédure
judiciaire de dissolution proposée par l'Assemblée nationale, dès lors que
celle-ci a retenu une procédure à jour fixe, qui peut donc être conduite très
rapidement.
Toutefois, pour que cette procédure soit efficace, nous souhaitons, madame la
ministre, que le juge puisse dissoudre toutes les structures d'un même
groupement sectaire, dès lors que chacune d'elles a subi au moins une
condamnation. Faute d'une telle disposition, le juge ne pourrait dissoudre que
la structure installée dans le ressort de son tribunal, et la procédure
n'aurait alors aucune efficacité.
Enfin, nous nous sommes longuement interrogés sur les dispositions limitant
l'installation des groupements à caractère sectaire. Le texte donne aux maires
le droit d'interdire l'installation de sectes condamnées pénalement à proximité
de certains lieux comme les écoles.
Mais le maire est-il véritablement à même d'identifier un groupement sectaire,
d'avoir connaissance des condamnations subies par ce groupement ? Ne
risque-t-il pas de se voir reprocher son inaction s'il n'a pas été informé de
l'installation d'une secte ?
Certains de nos collègues ont pensé que les préfets étaient mieux à même
d'exercer un tel pouvoir. Ce point sera débattu lors de la discussion des
amendements, et nous attendons avec impatience de connaître l'avis du
Gouvernement à cet égard.
Telles sont, mes chers collègues, les propositions de la commission des lois.
Le texte que nous vous proposons ne porte atteinte ni à la liberté de croyance
ni à la liberté d'association. Il a simplement pour objet de veiller à ce que
ces libertés fondamentales s'exercent dans le plein respect des lois de la
République.
A cet égard, j'estime que les attaques portées contre cette proposition de loi
émanent soit de personnes mal informées, soit de personnes pour qui le respect
de la liberté et des lois n'est pas une priorité.
Ce texte ne combat pas les minorités religieuses. Il ne s'attaque qu'aux
groupements condamnés pénalement. La procédure de dissolution ne concernera que
des groupements condamnés à plusieurs reprises pour des délits, pour des faits
graves, et je ne vois pas comment on peut prétendre que cela porte atteinte à
la liberté d'association ou à la liberté religieuse. Les associations de toutes
sortes sont une richesse pour notre pays.
En conclusion, je dirai simplement ceci : oui à la liberté de croyance, oui à
la liberté d'association, mais non à l'utilisation de ces libertés pour
perpétrer des crimes ou des délits.
Je pense sincèrement que la navette parlementaire nous a permis de parvenir à
un texte d'équilibre, qui, je l'espère, recueillera, mes chers collègues, votre
soutien le plus large.
(Applaudissements sur des travées des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste et du groupe communiste républicain et
citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
J'ai plaisir à souligner une nouvelle fois la qualité du rapport que vient de
nous présenter notre excellent collègue Nicolas About.
M. Nicolas About,
rappporteur.
Je vous remercie, monsieur le président.
M. le président.
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en première
lecture, le groupe socialiste, malgré les réserves exprimées par ma collègue
Dinah Derycke et moi-même, avait apporté son soutien à la proposition de loi de
notre collègue Nicolas About, comptant sur la navette pour améliorer et
enrichir le texte. En effet, aborder la lutte contre les sectes dangereuses par
la loi du 10 janvier 1936 ne nous apparaissait pas comme la démarche la plus
heureuse.
Nos doutes portaient aussi sur l'efficacité de l'article 1er en ce qu'il ne
permettait pas de répondre aux situations d'urgence dans le cas de mouvements
dangereux jamais condamnés ou de procédures judiciaires en cours.
A cela s'est ajoutée, à la suite de la première lecture à l'Assemblée
nationale, la création du délit de manipulation mentale. Celui-ci a suscité de
vives protestations de la part de certains représentants des grandes Eglises
constituées et des observations de la Commission nationale consultative des
droits de l'homme, laquelle ne jugeant pas opportune la création de ce délit
spécifique, a cependant reconnu que cela ne portait pas atteinte aux droits de
l'homme et aux libertés. Notons néanmoins que le délit de manipulation mentale
n'a pas fait l'unanimité contre lui. Des membres éminents de l'Eglise
catholique, notamment, se sont exprimés en faveur de sa création, montrant le
clivage entre ceux qui jugent le droit actuel suffisant et ceux qui considèrent
nécessaire de le renforcer. D'ailleurs, les Eglises ont également leur rôle à
jouer pour lutter contre les dérives sectaires : elles devraient être plus
vigilantes et intransigeantes envers celles qui peuvent se développer à leur
marge.
Certes, il convient de mieux faire fonctionner notre arsenal juridique ; mais
en rester là serait méconnaître les évolutions du phénomène sectaire :
certaines sectes sont devenues des professionnelles de la mue pour déjouer les
contrôles des pouvoirs publics et les décisions judiciaires.
Aujourd'hui, il revient donc au Sénat de travailler à l'amélioration de cette
proposition de loi.
Dans cette perspective, on peut se féliciter qu'à l'issue d'un travail en
commun des rapporteurs de chaque assemblée un accord soit intervenu concernant
l'abandon du délit de manipulation mentale, au profit de l'extension et du
déplacement, dans le code pénal, du délit d'abus frauduleux de l'état
d'ignorance ou de faiblesse d'une personne. Ainsi, nous évitons de créer un
délit spécifique pour les groupements sectaires au profit d'un renforcement du
droit existant. Celui-ci va dans le sens des recommandations de la Commission
nationale consultative des droits de l'homme. Et, sauf à utiliser la mauvaise
foi coutumière de certaines sectes, cette nouvelle disposition ne pourra donc
pas prêter le flanc à la critique : tout risque de dérive est écarté.
Le récent procès de l'Ordre du temple solaire a montré les difficultés
rencontrées par la justice pour dégager les responsabilités de l'unique prévenu
accusé d'avoir suscité une « dynamique homicide » ayant conduit au suicide
collectif de seize personnes dans le Vercors, en 1995. On peut espérer que
l'extension du délit d'abus de faiblesse rendra la tâche de la justice plus
aisée.
Je regrette, pour ma part, que le traitement de ce procès par les médias n'ait
pas permis de mettre plus en évidence, auprès du grand public, les méthodes
coercitives d'aliénation des sectes ; mais peut-être est-ce tout simplement dû
à la complexité même de l'affaire.
En ce qui concerne l'article 1er, l'utilisation d'une législation d'exception,
la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées,
ainsi que la dissolution administrative ne sont plus retenues, ce qui répond à
nos réserves exprimées en première lecture.
La dissolution judiciaire permettra ainsi de respecter les droits de la
défense et du débat contradictoire.
Par ailleurs, M. le rapporteur propose de considérer comme une même personne
morale les personnes morales juridiquement distinctes, mais qui, par leur
dénomination ou leur statut, cherchent à atteindre le même objectif et sont
unies dans une communauté d'intérêts. Même si les sectes sont passées maîtres
dans l'art de se dissimuler derrière des masques acceptables, cette disposition
va dans le bons sens.
Restent cependant des insuffisances certaines. La dissolution judiciaire ne
résout pas la question de l'urgence à agir pour protéger les personnes ou
l'ordre public, en dehors du cas spécifique de la menace terroriste.
S'il faut exiger deux condamnations définitives pour dissoudre, on peut
attendre bien longtemps : les déboires liés à l'instrution du procès contre la
scientologie le montrent de manière fort éloquente.
C'est pourquoi nous proposons deux amendements importants visant à accélérer
la procédure.
En premier lieu, il s'agit de rendre possible la dissolution de la personne
morale dès la première condamnation définitive de cette dernière, ou de ses
dirigeants de fait ou de droit, et non à la suite de plusieurs
condamnations.
En second lieu, il s'agit de permettre au juge d'instruction de placer la
personne morale sous contrôle judiciaire et d'assortir de sanctions le
non-respect des obligations de ce contrôle. Cet amendement est très important,
car il autorise une véritable action de prévention, en attendant la
condamnation judiciaire.
L'examen de cette proposition de loi a donné lieu à un intense
lobbying
des sectes. Comme nombre de sénateurs, j'ai été le destinataire d'une série
de
mails
de protestation envoyés par quelques adeptes de la
scientologie.
Ce qui me choque, en revanche, c'est d'abord la prise de position d'une
cinquantaine de parlementaires du Conseil de l'Europe demandant au Sénat de
retarder la discussion de ce texte, et même de s'aligner sur les travaux du
Conseil de l'Europe pour légiférer. C'est ensuite la déclaration du
sous-secrétaire d'Etat aux droits de l'homme des Etats-Unis exprimant sa
préoccupation au sujet de la proposition de loi qui menacerait, selon
Washington, la liberté religieuse en France.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Ils feraient mieux de s'occuper de leurs affaires !
M. Serge Lagauche.
L'administration américaine a en effet quelque difficulté à intégrer le fait
que la France, en vertu de la loi de 1905 de séparation de l'Eglise et de
l'Etat, ne reconnaît aucune religion.
Ces deux déclarations prouvent deux choses : l'impact de la stratégie de
lobbying
de la scientologie et le fait que cette proposition de loi,
incontestablement, dérange les sectes. Je crois donc que, tout en réaffirmant
notre refus de mettre en place une législation d'exception, nous sommes en
train d'élaborer une loi à la fois garante des libertés fondamentales et
relativement efficace contre les groupements les plus dangereux.
Mais n'oublions pas le caractère transnational des sectes et son corollaire :
le nécessaire développement de la coopération internationale. De son côté, le
Conseil de l'Europe s'était prononcé officiellement, en 1999, pour la création
d'un observatoire européen sur les sectes. Aussi, pouvez-vous, nous indiquer,
madame la ministre, quel est l'état d'avancement des discussions sur ce sujet
au sein même de l'Union européenne ?
(Applaudissements sur les travées
socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. -
M. Bonnet applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition
de loi tendant à renforcer la prévention et la répression à l'encontre des
groupements à caractère sectaire cherche des réponses et des parades à un
certain nombre de dérives qui mettent en péril l'homme et sa liberté ; nous
connaissons tous des exemples et des témoignages qui les mettent en
évidence.
Les propositions présentées par notre collègue Nicolas About découlent de ce
constat, et je les comprends. Il est cependant nécessaire qu'elles soient
entourées d'un maximum de précautions et, à cet égard, trois questions méritent
d'être posées.
La première concerne la définition des sectes. L'Etat saura-t-il discerner et
désigner les sectes alors que les sociologues les plus avertis n'arrivent pas à
se mettre d'accord sur ce qu'est vraiment une secte ? Les sectes ne
naissent-elles pas parce que les institutions religieuses, philosophiques,
politiques et notre société en général ne sont plus en mesure de répondre aux
inquiétudes et aux interrogations et à la quête d'espérance des hommes ?
N'oublions pas que beaucoup de mouvements religieux ont été qualifiés de secte
au départ et que la définition peut varier selon les époques et selon les
contextes.
M. Michel Caldaguès.
C'est exact !
M. Daniel Hoeffel.
La deuxième interrogation concerne les notions subjectives auxquelles il est
fait appel pour déterminer l'action d'un groupement à caractère sectaire.
La manipulation mentale, notion excessive et dangereuse, a heureusement été
abandonnée, et je vous en remercie, monsieur le rapporteur. Mais ne risque-t-on
pas de la voir réapparaître autrement ?
M. Michel Caldaguès.
Bien sûr !
M. Daniel Hoeffel.
Certaines formes de publicité ou de propagande, la foi ou les convictions
rayonnantes d'un prédicateur ou d'un orateur qui séduit ou qui subjugue peuvent
entraîner le meilleur et le pire et porter atteinte à la liberté de conscience
et à la liberté d'expression, sans qu'il s'agisse nécessairement d'un délit
d'abus frauduleux de l'état de faiblesse.
Ma dernière question concerne l'opportunité et la nécessité d'élaborer une
loi. Les textes qui existent ne sont-ils pas suffisants ? Ne disposons-nous pas
d'une panoplie de mesures permettant de sanctionner tout acte contraire à la
démocratie, tout groupement en contradiction avec les lois de la République ?
D'ailleurs, si, par certains agissements, des personnes morales, c'est-à-dire
les groupements en tant que tels, se mettent en contradiction avec les lois de
la République, elles peuvent et doivent être poursuivies, voire dissoutes, sans
qu'il soit nécessaire pour cela d'introduire une législation antisectes
spécifique.
M. Michel Caldaguès.
Très juste !
M. Daniel Hoeffel.
Mais ce serait méconnaître l'une de nos originalités qui consiste à répondre
sur tous les plans à un problème en empilant des dispositions législatives et
réglementaires plutôt qu'en veillant à l'application de celles qui existent. Et
nous y participons tous ! Faut-il, pour établir une comparaison avec un sujet
d'actualité, lutter contre le délit de vitesse en créant le délit de grande
vitesse ?
Je conclurai en souhaitant que ceux qui sont chargés d'appliquer les
propositions présentées par M. le rapporteur, dont l'objet est de protéger la
liberté, respectent scrupuleusement l'esprit qui nous aura guidé dans ce débat
qui interpelle notre conscience. Puisse la liberté sortir gagnante de cette
discussion !
(Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, parmi les
phénomènes qui marquent notre époque, on constate une prolifératin d'organismes
plus ou moins religieux qui, dans certains cas - il faut bien en convenir - ont
fait reculer les bornes de la possession des âmes et celles de la naïveté
humaine. Ce ne sont pas là des phénomènes contemporains ni inédits.
On pourrait en rechercher les raisons. On pourrait se demander, par exemple,
si les Eglises ayant pignon sur rue répondent entièrement au besoin de
spiritualité que ressentent un certain nombre de personnes qui, n'y trouvant
pas ce à quoi elles aspirent, sont entraînées à rechercher d'autres
satisfactions. Mais ce n'est pas le lieu d'en débattre ici.
Toujours est-il que les phénomènes que je viens d'évoquer ont provoqué dans
l'opinion une perplexité mêlée d'effroi, un sentiment d'impuissance, et même
jusqu'à un certain abandon de la rationalité.
J'ai eu l'occasion, dans mon entourage, d'avoir des discussions à ce sujet, en
prélude à ce débat, et, par moments, je me suis demandé si l'on n'allait pas me
parler de sorcellerie. J'avais l'impression que l'on était revenu pas très loin
du Moyen-Age. Il est tout à fait évident, par ailleurs, que ce phénomène a été
considérablement aggravé par le coup de tonnerre de l'affaire du Temple
solaire.
C'est pourquoi certains se sont demandé si le fait qu'une organisation
d'hommes puisse disposer d'une telle puissance mortifère totalement gratuite ne
dépassait pas l'entendement et s'il ne fallait pas appliquer des remèdes de
choc à cette situation.
C'est donc à juste titre que les pouvoirs publics et la justice ont réagi lors
de cette affaire effroyable, et je les en approuve. Il y a eu procès ; celui-ci
va vers sa conclusion, ce qui prouve bien qu'il y a des textes, et je ne puis
que m'en féliciter.
En présence de cette monumentale anomalie qu'a révélée l'affaire du Temple
solaire, certains ont considéré qu'il fallait tenter de résoudre le problème à
l'aide de moyens spécifiques.
Pour donner une idée de la difficulté de l'entreprise, je vais user d'une
image, mes chers collègues : supposez, sur une étagère, des récipients de
tailles très variables, qui vont de la grande jarre à la fiole minuscule, en
passant par le magnum et par la bouteille, dont certains contiennent des
poisons, d'autres des placebos, sans que l'on sache très bien lesquels, dans
quel ordre et dans quelle proportion. Et il s'agit de rédiger une seule et même
étiquette pour toute l'étagère ! Car telle est bien la question posée.
La commission et son rapporteur, M. Nicolas About, ont fait un travail
considérable pour tenter une gageure, et je suis impressionné par la quantité
de textes qu'ils ont recensés quant aux infractions susceptibles de permettre
d'apposer un sceau d'infâmie sur les dirigeants de certaines associations.
M. About a évoqué tout à l'heure l'entorse aux règles d'exercice de la
profession de pharmacien. Je ne considère pas qu'il faille approuver ce genre
d'entorse. Mais, tout de même, entre celle-ci et des actes qui mettent en cause
la vie des gens, il y a plus qu'une nuance !
Ce n'est pas seulement par le nombre que cette liste impressionnante
d'infractions frappe les esprits, c'est aussi par sa disparité - je viens de le
dire, il y a un peu de tout ! - et par l'absence de rapport de certaines de ces
infractions avec ce que l'on appelle les déviations sectaires. Il en est qui
n'ont strictement aucun rapport avec ces déviations sectaires, qui ne
constituent même pas des indices, qui peuvent être totalement indépendantes.
Mes chers collègues, on peut trouver des pédophiles dans des organisations
tout à fait respectables. C'est, hélas ! déjà arrivé. Je ne pense pas que cela
mette en cause l'existence même ou la respectabilité de ces organisations. Mais
ce n'est qu'une réflexion au passage.
M. About et la commission ont donc tenté de résoudre la quadrature du cercle,
à savoir donner une définition des contenants et des contenus de l'étagère. Il
fallait que ces définitions fussent précises, intelligibles, directement
utilisables par ceux qui sont chargés d'appliquer la loi, et qu'au surplus
elles ne fussent pas redondantes. Mission impossible, on le voit dans le texte
!
Nous verrons cela plus en détail lors de la discussion des articles. En
l'instant, je me bornerai à faire quelques observations.
Quant aux contenants, je suis frappé par le fait que, dans l'intitulé du
texte, on utilise l'appellation avant la définition. C'est tout à fait
extraordinaire !
La commission avait été plus prudente en première lecture, puisqu'il était
question de « renforcer le dispositif pénal à l'encontre des associations ou
groupement, constituant, par leurs agissements délictueux, un trouble à l'ordre
public ou un péril majeur pour la personne humaine ». C'était précautionneux.
On donnait la priorité à la définition par rapport à l'appellation.
Cette fois, monsieur About, vous allez droit au but. L'Assemblée nationale
vous a précédé en parlant de « groupements à caractère sectaire ». Vous, vous
parlez tout simplement de « sectes », en prenant soin d'ajouter : « ,
groupements portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés
fondamentales ».
Là, c'est trop ou pas assez ! En effet, si nous dressons ici, mes chers
collègues, une liste exhaustive des groupements qui portent atteinte aux droits
de l'homme et aux libertés fondamentales, nous ne nous en tiendrons pas à ce
que l'on appelle les sectes, c'est tout à fait évident. Aussi, je ne comprends
pas très bien la présence de ce membre de phrase dans l'intitulé.
Je ferai une autre observation, sur le contenu cette fois. Je n'ai relevé, je
dois le dire, quant au contenu même des turpitudes à sanctionner, aucune
définition qui me satisfasse complètement, et ce n'est pas une critique, car
c'est pratiquement impossible.
Alors, en combinant ces deux quadratures du cercle, monsieur About, vous
paraissez être victime d'une illusion, celle selon laquelle deux notions à demi
précises constitueraient une notion précise. Moi, je ne le crois pas.
Effectivement, une notion à demi précise sur le contenant et une notion à demi
précise sur le contenu, cela ne fait pas une notion précise sur le tout, en
tout cas pas à mes yeux.
Par ailleurs, j'ai été particulièrement frappé, en me reportant aux débats de
première lecture, de lire ce propos dans la bouche de l'une de nos collègues :
« En ce qui concerne le pouvoir législatif, la présence de la représentation
française de... - figure ici le nom d'une église supposée sectaire -... dans la
tribune de l'Assemblée nationale, le 8 février 1996, avait choqué les
républicains que nous sommes ».
Mais, mes chers collègues, en d'autres temps - je parle des années noires -,
il y a eu des écrits qui reprochaient la présence de quelqu'un à un endroit
donné en raison de son appartenance à une communauté.
(M. le rapporteur
s'exclame.)
C'est un processus extrêmement dangereux, dont beaucoup peuvent
garder un très mauvais souvenir. Ce type de raisonnement peut conduire aux
pires excès.
Un autre sujet d'inquiétude était pour moi le dernier alinéa de l'article 1er,
qui créait un amalgame, une sorte de contagion de la responsabilité totalement
inacceptable au regard des considérations démocratiques. Vous avez, par voie
d'amendement, atténué la mesure : on ne peut plus condamner ou dissoudre une
association parce que, loin de là, une autre association a eu dans ses rangs
des personnes qui ont commis des turpitudes. C'était d'une iniquité
farouche.
Mais, au passage, vous enregistrez un gain - si j'ose dire - en ce sens qu'il
n'est plus nécessaire que soient intervenues deux condamnations. Une seule
suffit. Autrement dit, l'amélioration que vous apportez est - je n'hésite pas à
le dire - dans une certaine mesure, fallacieuse.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Je n'ai jamais proposé cela !
M. Michel Caldaguès.
Permettez-moi de lire l'amendement en cause : « Le tribunal de grande instance
peut prononcer, au cours de la même procédure la dissolution de plusieurs
personnes morales mentionnées au premier alinéa dès lors que ces personnes
morales poursuivent le même objectif et sont unies par une communauté
d'intérêts » - je vous demande un peu ! - « et qu'a été prononcée à l'égard de
chacune d'entre elles ou de ses dirigeants de droit ou de fait, au moins une
condamnation pénale... » Ce n'est plus deux, je le répète, c'est une !
M. Nicolas About,
rapporteur.
Cela veut dire qu'il y en a eu plusieurs !
M. Michel Caldaguès.
Plusieurs, en additionnant celles qui ont pu être prononcées contre des
associations différentes.
M. Nicolas About,
rapporteur.
La même association !
M. Michel Caldaguès.
Quoi qu'il en soit, mon inquiétude demeure, même si je remarque que vous avez
essayé d'améliorer votre texte.
Monsieur About, je ne veux pas engager un dialogue avec vous, car M. le
président pourrait m'en faire le reproche.
M. le président.
Je vous remercie de le rappeler, monsieur Caldaguès.
(Sourires.)
M. Michel Caldaguès.
Je prends mes précautions, monsieur le président.
(Nouveaux
sourires.)
Aussi dirai-je à la cantonade...
M. le président.
A vos collègues dans l'hémicycle, tout simplement.
M. Michel Caldaguès.
Soit, monsieur le président, mais aussi à ceux qui ne sont pas dans
l'hémicycle, si vous le permettez !
Je voudrais donc faire la réflexion suivante, car elle peut expliquer nos
débats : sont-ils nombreux, parmi nous, ceux qui, à l'âge adulte ou à
l'adolescence, au moment où l'on commence à comprendre les choses, ont connu
les années où notre pays était privé de liberté ?
La liberté a un goût différent selon qu'on en a connu ou non la privation.
Cela me paraît être un élément essentiel s'il on veut mieux comprendre
certaines de nos différences d'approche.
Moi, monsieur About, je reste très marqué par cette époque. J'en ai gardé le
sentiment qu'il ne faut pas mettre n'importe quel texte entre toutes les mains.
Le gouvernement de la collaboration - puisque c'est de lui qu'il s'agit - a,
certes, élaboré des lois d'exception - Dieu sait lesquelles ! - mais il a aussi
utilisé des lois existantes, lois que nos bons devanciers de la IIIe République
avaient votées, avec la meilleure bonne foi du monde, sans savoir qui les
appliquerait.
Cette constatation est restée très présente dans mon esprit et doit nous
inciter à prendre beaucoup de précautions lorsque, avec une parfaite bonne
conscience, nous élaborons un texte qui risque, sinon, dans certains
circonstances, d'être mal utilisé.
J'ajoute que, à l'époque dont je parle, les textes ont été appliqués non pas
par des magistrats d'exception, madame le garde des sceaux, mais par des
magistrats professionnels ! Et ils étaient dirigés par tels de vos devanciers,
qui étaient de grands juristes, ce qui ne nous a épargné ni les iniquités, ni
les persécutions, ni une grave détérioration dans l'exercice de nos libertés.
C'est un thème de réflexion que je voulais vous soumettre.
Ma dernière observation sera pour exprimer mon inquiétude devant la faculté
accordée - et ce n'est pas la première fois - à « toute association reconnue
d'utilité publique régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date
des faits... » d'exercer les droits reconnus à la partie civile. C'est
peut-être la porte ouverte aux pires déviations.
J'ai évoqué hier, lors de la discussion du projet de loi de modernisation
sociale, une affaire scandaleuse survenue voilà quelques années. Une
association s'était portée partie civile contre un membre en exercice du
Gouvernement à qui l'on reprochait un livre dans lequel se trouvaient des
propos, maladroits, je le reconnais, et qui étaient qualifiés - abusivement - «
d'incitation à la haine raciale ».
Comment s'est terminée cette affaire, mes chers collègues ? Je n'ai pas
apporté à la tribune l'article qui en a rendu compte, à l'époque, dans un grand
journal du soir, mais sachez qu'il y a eu « négociation » ! Il a même été
question - tenez-vous bien, mes chers collègues - que l'auteur supposé de
l'incitation à la haine raciale rétrocède à l'association une partie de ses
droits d'auteur !
L'affaire était à tel point scandaleuse qu'au sein de cette association un
grave différend est né, à la suite duquel les dirigeants ont été mis en
minorité. Mais l'affaire ne s'est réglée, selon le quotidien en question, que
lorsque l'on a appris que le Gouvernement renouvelait sa subvention à ladite
association !
Tout cela est-il très digne ? L'affaire ne nous renvoie-t-elle pas à un
article du code pénal, mes chers collègues ?
Dès lors, donner aux associations la faculté de se porter partie civile est
leur offrir une arme à manier avec la plus grande précaution si l'on veut
éviter les excès.
En conclusion, mes chers collègues, il n'est pas douteux que certaines
organisations pratiquent ce qu'il faut bien appeler un certain conditionnement
à l'égard de leurs adhérents. Mais il ne faudrait pas que le souci légitime de
combattre de tels abus passe, lui aussi, par le conditionnement.
Or les conditionnements existent. En voici un exemple scandaleux que je
soumets à votre vigilance.
Voilà quelques mois, nos assistants parlementaires ont reçu une lettre, dont
voici un extrait significatif : « A l'approche de l'examen de la proposition de
loi "About-Picard" tendant à renforcer la prévention et la répression à
l'encontre des groupements à caractère sectaire, il nous paraît important de
vous inviter » - vous, c'est-à-dire les assistants parlementaires - « à la plus
grande prudence.
« Vous recevrez sans doute des appels téléphoniques sollicitant un entretien
avec votre sénateur. Vos interlocuteurs évoqueront les thèmes de liberté de
conscience, de pluralité des religions. Sans dénier l'intérêt philosophique que
ces thèmes peuvent présenter » - intérêt philosophique ? Il s'agit, mes chers
collègues, de la liberté de conscience et de la pluralité des religions, rien
de moins ! - « nous vous déconseillons d'entrer dans la discussion » - on
s'adresse aux collaborateurs des parlementaires, alors même que les
parlementaires n'ont d'autre mission précisément que d'entrer dans la
discussion ! -, « nous vous suggérons de demander à votre interlocuteur un
document écrit et de mettre fin à l'entretien.
« Si vous souhaitez répondre aux courriers que nous recevons » - il s'agit de
notre courrier, mes chers collègues - « actuellement en nombre par la poste ou
par Internet, sachez que les groupements à caractère sectaire utilisent à leur
avantage les signatures et les phrases privées de leur contexte. Un simple
accusé de réception devrait vous en prémunir. »
Voilà le type de pression, de conditionnement qui a pu être exercé dans le dos
des parlementaires auprès de leurs collaborateurs. Permettez-moi de vous dire
que c'est absolument scandaleux !
M. le président.
Pour la bonne information de nos collègues, monsieur Caldaguès, pouvez-vous
m'indiquer qui sont les expéditeurs de ce courrier adressé aux assistants de
parlementaires ?
M. Michel Caldaguès.
Je ne mettrai pas en cause à cette tribune ceux qui sont les expéditeurs de ce
courrier, que je connais et qui ne sont pas en mesure de répondre. Mais, si
vous le voulez, j'en ferai part au président du Sénat.
M. le président.
Monsieur Caldaguès, si je vous demande cette précision, c'est parce que, en
tant que président de l'AGAS, l'association pour la gestion des assistants de
sénateurs, j'ai aussi un devoir de précaution auprès des assistants de
sénateurs.
M. Michel Caldaguès.
Monsieur le président, je vous tiendrai informé, de même que M. le président
du Sénat qui, d'ailleurs, ne manquera sans doute pas de vous saisir, encore que
vous ne soyez absolument pas responsable.
M. Nicolas About,
rapporteur.
On va bientôt voter, et l'on nous laisse entendre qu'il y a
des manipulations ! C'est un procédé insidieux et inacceptable !
M. Michel Caldaguès.
En tout cas, je garantis l'authenticité de ce texte !
M. le président.
Monsieur Caldaguès, je ne mets pas en doute votre propos, mais, compte tenu de
sa gravité,...
M. Michel Caldaguès.
Oui, il est grave !
M. le président.
... puisque, semble-t-il, un document interne au Sénat a circulé auprès des
assistants des sénateurs, j'ai simplement souhaité, pour la bonne information
de nos collègues, que cette précision fût donnée. Mais si vous la transmettez à
M. le président du Sénat ainsi qu'au président de l'AGAS, sachez qu'il sera
fait le meilleur usage de ce courrier.
M. Michel Caldaguès.
Je vous en remercie, monsieur le président. En tout cas, je ne peux pas citer
nommément, à cette tribune, des personnes qui n'ont pas la possibilité de me
répondre. Je crois que c'est la moindre des choses, et c'est l'usage dans cette
enceinte.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Nous ne sommes donc pas les auteurs de ce courrier !
M. Michel Caldaguès.
Non, absolument pas, ce n'est pas du tout ce que j'ai voulu dire !
M. Nicolas About,
rapporteur.
La manipulation mentale n'est donc pas chez nous ?
M. Michel Caldaguès.
Non, bien sûr, elle n'est pas chez vous ! Mais elle existe, je l'ai rencontrée
!
Encore une fois, je vous en donne acte bien volontiers, monsieur le
rapporteur, vous n'êtes pas à l'origine de ce courrier, et je n'ai jamais rien
dit de tel. D'ailleurs, ce n'est pas l'habitude sur nos travées. Reste que cela
peut se passer à l'intérieur du Sénat.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Avant un vote, la précision est importante !
M. le président.
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Michel Caldaguès.
Mes chers collègues, en conclusion, faut-il ne rien faire ? Non, il ne faut
pas rester inactif. Il faut appliquer sans faiblesse notre code pénal et
réprimer les infractions. C'est ce que je demande en règle générale, et je ne
vois pas pourquoi je ne le demanderais pas s'agissant du type d'infraction dont
nous débattons aujourd'hui. Il faut donc appliquer le code pénal sans
faiblesse, et je me tourne, bien entendu, vers le garde des sceaux, mais ce
n'est pas une objurgation limitative, madame.
S'il y a des lacunes, définissons de nouvelles infractions et de nouvelles
peines, mais faisons-le avec une extrême précaution et avec une extrême
précision pour ne pas donner lieu à des dérives. Il faut en quelque sorte
ciseler la législation répressive, de façon que le pouvoir législatif ne soit
pas indirectement laissé à la jurisprudence, ce qui serait pour lui une
reculade.
Mes chers collègues, pour terminer, permettez au membre de la commission de la
défense et des forces armées que je suis une image militaire : nous devons non
pas répandre un tapis de bombes, mais définir des cibles, procéder à des
frappes chirurgicales et éviter à tout prix des dommages collatéraux. En
d'autres termes, nous ne devons prendre aucun risque au détriment des libertés
publiques et individuelles.
(M. Hamel applaudit.)
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur Caldaguès, je suis inquiète. Je ne sais pas si vous parliez en votre
nom propre ou au nom de votre groupe, mais j'estimais, et les débats de la
commission des lois me le laissaient à juste titre penser, que nous arrivions,
après des péripéties qui, certes, ont montré la difficulté de légiférer en
matière de renforcement de la lutte contre le phénomène sectaire, à un
consensus. Je tenais, d'ailleurs, à remercier M. About du rôle qu'il a joué
dans ce résultat que j'espère encore possible.
M. Michel Caldaguès.
Timeo Danaos et dona ferentes ! (M. le rapporteur proteste.)
Mme Nicole Borvo.
Monsieur Caldaguès, vous nous laissez perplexes ! Oui, il faut légiférer,
malgré des difficultés que nul n'ignore, parce que la dernière décennie a été
marquée par une prise de conscience, qui n'est pas nouvelle, de l'ampleur et
des méfaits du phénomène sectaire. Il est passé, pour reprendre l'expression de
M. Bouchereau, du stade de « phénomène social inquiétant » à celui de «
problème de sécurité publique de premier plan ».
Cette prise de conscience s'est d'abord traduite par le souci de mieux former
les intervenants publics au phénomène sectaire : la mise en place de
différentes structures d'alerte au sein de la police et de la gendarmerie - les
« cellules de vigilance » -, l'institution de « correspondants sectes » dans
les parquets généraux, mais également la mise à contribution des écoles
constituent un système de veille permanent.
Je ne veux pas oublier non plus le rôle joué par la mission interministérielle
de lutte contre les sectes, qui succède à la délégation interministérielle.
Combinée avec celle des associations reconnues d'utilité publique que sont le
CCMM et l'UNAFDI, son action permet d'avoir une meilleure connaissance d'un
phénomène sectaire éminemment protéiforme en perpétuelle mutation et, ainsi, de
tester la pertinence et l'efficacité de nos outils de lutte.
La contribution du Parlement au renforcement de cette lutte n'est pas moindre.
Je citerai les deux commissions d'enquête parlementaire créées dans la dernière
décennie et l'institution de nouveaux dispositifs de lutte, en particulier la
loi du 18 décembre 1998 sur le contrôle de l'obligation scolaire, mais aussi la
possibilité donnée aux associations susvisées de se constituer partie civile
prévue dans la loi du 30 juin 2000. Autant d'outils vraiment utiles.
Aujourd'hui, il s'agit de renforcer le dispositif répressif en s'attaquant
plus directement aux personnes morales elles-mêmes, afin de permettre leur
dissolution en urgence ou de s'opposer à leur implantation, ou encore de
prononcer des peines contre le groupement sectaire lui-même.
Qui - certainement pas moi ! - songerait à nier l'action particulièrement
néfaste de certains mouvements sectaires ? Le procès de l'Ordre du temple
solaire nous rappelle cruellement à quel point cette action est nuisible, et on
ne peut qu'être ému et ébranlé par la détresse des familles des victimes,
souvent dans l'incapacité d'agir.
Attentatoires à tous les droits de la personne humaine jusqu'à la vie
elle-même, les agissements des sectes qualifiées de dangereuses mettent
également en cause la société tout entière sur le plan économique le plus
souvent, mais parfois même dans ses fondements démocratiques.
En même temps, il est vrai, la légitimité même de l'objectif visé doit nous
conduire à la plus extrême vigilance quant aux moyens à employer : il nous
impose une conduite irréprochable du point de vue du respect des libertés
fondamentales. C'est le travail qui a été effectué au cours d'un processus,
certes long, mais qui a permis un réel respect des libertés que l'on constate
dans le texte aujourd'hui proposé.
Il est, en particulier, essentiel de préserver la liberté constitutionnelle de
pensée et de croyance. N'oublions pas que cette liberté fait partie intégrante
de nos principes démocratiques et républicains. Consacrée par la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen, la constitution du 4 octobre 1958 et la
loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat, cette liberté est
également l'objet d'un engagement international de la France au titre de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales.
C'est en ce sens que le groupe communiste républicain et citoyen avait exprimé
ses plus vives réticences à l'égard d'un processus de dissolution
administrative, même très encadré. Au-delà de nos doutes quant à l'efficacité
d'un tel dispositif - il n'y a qu'à voir les pressions du Congrès américain !
-, il ne nous avait pas paru offrir toutes les garanties nécessaires, en
particulier du point de vue des droits de la défense.
Nous sommes évidemment beaucoup plus favorables au système de dissolution
judiciaire qui, sans préjuger l'efficacité du dispositif, garantit le respect
des droits de la défense. Nous sommes d'ailleurs heureux que la commission des
lois se soit ralliée à cette proposition.
Plus que la question procédurale, c'est la création d'un délit de manipulation
mentale qui a soulevé de nombreuses interrogations, c'est-à-dire, en réalité,
la question de savoir si la lutte contre les sectes nécessite ou non
l'élaboration d'une législation spécifique. Les sénateurs du groupe communiste
républicain et citoyen n'y sont pas favorables, comme l'avait rappelé mon
collègue Thierry Foucaud en première lecture.
Le code pénal actuel permet souvent d'incriminer les mouvements sectaires :
les violences, les escroqueries, les abus sexuels, l'exercice illégal de la
pharmacie ou de la médecine, mais aussi les abus frauduleux de l'état de
faiblesse sont autant de délits qui ont permis la condamnation de groupements
dangereux. Il est vrai que le problème réside souvent dans l'application de
cette législation pénale.
La création d'un délit de manipulation mentale pourrait certes permettre
d'agir plus en amont, avant même que se produisent les cas extrêmes que j'ai
cités. Elle comporte néanmoins certains dangers. Les réserves des organismes
qui ont été interrogés par le Gouvernement, et les protestations des
représentants des églises et des mouvements officiels religieux en
témoignent.
On sait d'ailleurs que la Commission nationale consultative des droits de
l'homme comme la Ligue des droits de l'homme se sont montrées particulièrement
réticentes à l'égard de l'institution d'un délit « d'exception », et ont, au
contraire, suggéré un aménagement des textes généraux relatifs à l'abus de
faiblesse.
Une telle position ne revient pas à méconnaître le danger de ces mouvements,
elle consiste à poser la question des infractions et, ainsi, à mettre en
exergue la prévention.
Le texte qui nous est présenté ici tient compte de ces observations. Il
résulte des travaux communs des rapporteurs de nos deux assemblées, du
Gouvernement et de la mission interministérielle de lutte contre les sectes, la
MILS.
Le choix s'est porté sur un élargissement du délit d'abus de faiblesse - le
terme « abus » est évidemment essentiel - d'une personne « en état de sujétion
psychologique ou physique résultant de pressions graves ou réitérées ou de
techniques propres à altérer son jugement ». L'insertion dans le code pénal au
chapitre consacré aux atteintes contre les personnes de cette nouvelle
définition du délit d'abus de faiblesse devrait lever les obstacles au
déclenchement de l'action publique par le ministère public qui se heurtait
jusque-là aux entrées volontaires en sectes.
Ainsi, pour reprendre l'actualité malheureuse de ces jours-ci, une personne
diminuée par la maladie pourrait être protégée par le biais de ce nouveau
délit, malgré son adhésion volontaire à un groupement sectaire.
Pour autant, la liberté de croyance n'est pas mise en cause en tant que telle,
puisque ce qui est sanctionné, c'est l'« abus frauduleux » de l'exploitation de
l'état de faiblesse d'une personne. C'est donc bien sous l'angle de la faute
constituée par l'abus et la fraude que l'on « attaque » le mouvement sectaire.
Je considère que c'est parfaitement légal, parfaitement justifié.
Un deuxième élément différencie la proposition de loi telle qu'elle a été
adoptée par l'Assemblée nationale du texte issu de nos travaux : la
responsabilité des personnes morales est, en effet, très fortement étendue.
Je partage les réserves évoquées en filigrane dans le rapport de la commission
des lois : la responsabilité pénale des personnes morales est une innovation de
la loi de 1994 portant réforme du code pénal. Or - nous avions évoqué ce point
lors du débat relatif aux délits non intentionnels -, la courte histoire de ce
délit n'est pas concluante et nous devrions, avant de penser à étendre son
champ d'application, être capable d'en dresser le bilan.
Enfin, s'agissant des pouvoirs du maire, le texte de l'Assemblée nationale a
le mérite de poser une question essentielle : celle de la capacité des maires à
faire face aux dérives sectaires.
On connaît la difficulté de certains maires à s'opposer à l'implantation, sur
leur commune, de mouvements que l'on peut qualifier de sectaires, Néanmoins, il
n'est pas certain, à mon sens, que l'octroi de pouvoirs directs en la matière
ne soit pas une arme à double tranchant qui se retourne contre le maire.
C'est pourquoi nous vous proposons de confier au représentant de l'Etat le
soin de définir un périmètre « sensible » à l'intérieur duquel un mouvement
antérieurement condamné du point de vue judiciaire ne pourrait s'implanter,
sachant que le maire pourra toujours appeler l'attention sur les agissements de
certains mouvements dans sa commune. Cet amendement nous semble se situer dans
le droit-fil du délit d'abus de faiblesse en se concentrant sur des zones où
les personnes peuvent être particulièrement exposées. Mais nous écouterons avec
attention l'avis des uns et des autres et nous pourrions, me semble-t-il, nous
mettre d'accord.
Le groupe communiste républicain et citoyen soutiendra, quoi qu'il en soit, le
texte proposé par la commission des lois. Ce texte nous semble acceptable par
tous dans la perspective de contrecarrer le phénomène sectaire.
En guise de conclusion, vous me permettrez néanmoins de m'attarder un instant
sur l'intitulé même de la proposition de loi : la proposition de loi vise à «
renforcer la prévention et la répression à l'encontre des groupements à
caractère sectaire ».
Avec ce texte, il est vrai, la France sera à la pointe de la répression. C'est
utile. Sera-t-elle pour autant mieux armée contre la constitution de
groupements sectaires ?
La Ligue des droits de l'homme mettait récemment en garde les pouvoirs publics
dans les termes suivants : « Plus qu'en d'autres domaines, la multiplication de
la législation ne saurait remplacer l'action concrète des pouvoirs publics et
des associations ».
Les réponses se situent certainement bien en amont du répressif, par
l'identification et la lutte contre les causes de l'entrée en secte, dont on
sait qu'elles résident pour beaucoup dans la crise des repères, dans le malaise
de notre société. De nombreuses études sociologiques soulignent combien le
développement du phénomène sectaire renvoie la société à ses propres
contradictions. Aussi le débat sur les phénomènes eux-mêmes est-il loin d'être
clos.
En tout cas, je crois que nous avons besoin de cette loi qui nous permettra de
lutter plus efficacement contre les manifestations de ces groupements
sectaires.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen, sur les travées socialistes ainsi qu'au banc de la
commission.)
M. Nicolas About,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Je voudrais tout d'abord remercier Mme Borvo : effectivement,
il vaut mieux prévenir que punir.
Je voudrais également m'adresser à M. Hoeffel. Chrétien comme lui, je sais les
risques qui ont été évoqués par les Eglises, et j'ai fait miennes les
préoccupations à la fois des Eglises traditionnelles et de M. Hoeffel. Je crois
donc que le texte auquel est parvenue la commission met tout à fait à l'abri
toutes les religions du risque de le voir utilisé abusivement à leur
encontre.
M. Emmanuel Hamel.
Est-ce bien certain ?
M. Nicolas About,
rapporteur.
Peut-être y aura-t-il un jour un problème ! Mais un pouvoir
n'a pas besoin de ce texte pour devenir fascisant. C'est l'utilisation du texte
qui fait le fascisme, ce n'est pas le texte lui-même.
M. Michel Caldaguès.
C'est l'occasion qui fait le larron !
M. Nicolas About,
rapporteur.
Par conséquent, le jour où il y aura ce type de pouvoir, peu
importe le texte en vigueur, il sera de toute façon détourné dans un mauvais
but.
Je tiens à ajouter, puisque l'occasion m'en est donnée par mon excellent
collègue Emmanuel Hamel, que, aujourd'hui, le médecin que je suis, le
parlementaire que je suis ont la certitude que l'on trouve dans les sectes des
enfants dénutris, des enfants qui ne sont pas éduqués, pas scolarisés, qu'on y
trouve aussi des adultes assujettis ou qui se font escroquer. Tout cela est
certain, ce n'est pas « peut-être » !
(M. Caldaguès s'exclame.)
M. Christian Bonnet.
Très bien !
M. Nicolas About,
rapporteur.
Or, aujourd'hui, les organisations ne tombent pas sous le
coup de la répression de la personne morale, et c'est sur ce point que je
voudrais terminer.
Monsieur Caldaguès, vous nous avez dit que nous avions le choix, que nous
étions comme un pharmacien devant des étagères sur lesquelles se trouvaient le
bon médicament, le placebo, la fiole vide, l'eau et éventuellement du poison.
Mais pas du tout, monsieur Caldaguès. Nous sommes devant un magasin qui nous
propose la publicité mensongère, la fraude, l'atteinte volontaire à la vie, les
tortures et les actes de barbarie, les violences, les menaces, le viol, les
agressions sexuelles, les entraves aux mesures d'assistance !
M. Michel Caldaguès.
Pas uniformément ! C'est là qu'est l'imposture !
M. Nicolas About,
rapporteur.
Mais si ! C'est cela que nous voulons condamner.
Ne prétendez pas à la tribune du Sénat que nous sommes en train de faire un
texte pour condamner les innocents ; nous sommes là pour protéger les plus
faibles, ceux qui ont besoin du soutien de la loi, nos enfants en
particulier.
MM. Christian Bonnet et Jacques Machet.
Très bien !
M. Nicolas About,
rapporteur.
Je crois d'ailleurs que, ce soir, nous pourrons faire le
point de cet effort extraordinaire, de ce consensus qui se dégage au niveau du
Parlement français pour protéger les plus faibles d'entre nous, c'est-à-dire
nos enfants et ceux qui, de par la maladie ou certaines actions conduites sur
eux, sont éventuellement en situation de faiblesse ou en état de sujétion.
Ainsi, nous aurons fait un grand pas dans la défense des plus malheureux
d'entre nous.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, du RDSE et du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Je rappelle que, en vertu de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des propositions de loi, la discussion des
articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont
pas encore adopté un texte identique.
Chapitre Ier
Dissolution civile de certaines personnes morales
Article 1er