SEANCE DU 9 MAI 2001
M. le président.
« Art. 64. - L'article L. 231-12 du même code est ainsi modifié :
« 1° Le premier alinéa devient le I de l'article ;
« 2° Après le premier alinéa, il est inséré un II ainsi rédigé :
« II. - Lorsqu'à l'issue d'un contrôle réalisé par un organisme agréé, à la
demande de l'inspecteur du travail ou du contrôleur du travail, par délégation
de l'inspecteur du travail dont il relève et sous son autorité, ce dernier
constate que les travailleurs se trouvent dans une situation dangereuse
résultant d'une exposition à une substance chimique cancérigène, mutagène ou
toxique pour la reproduction, à un niveau supérieur à une valeur limite de
concentration fixée par le décret pris en application de l'article L. 231-7, il
met en demeure l'employeur de remédier à cette situation.
« Si, à l'issue du délai fixé dans la mise en demeure et après vérification
par un organisme agréé, le dépassement persiste, l'inspecteur du travail ou le
contrôleur du travail, par délégation de l'inspecteur du travail dont il relève
et sous son autorité, peut ordonner l'arrêt temporaire de l'activité concernée.
» ;
« 3° Les trois derniers alinéas constituent un III ;
« 4° Au premier alinéa du III, après les mots : "pour faire cesser la
situation de danger grave et imminent", sont insérés les mots : "ou la
situation dangereuse" et, après les mots : "autorise la reprise des travaux",
sont insérés les mots : "ou de l'activité concernée". »
Sur l'article, la parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
L'article 64 du projet de loi étend aux salariés qui se trouvent dans une
situation dangereuse résultant d'une exposition à une substance chimique
cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction, les dispositions de
l'article L. 231-12 du code du travail, qui s'appliquaient jusqu'à présent aux
seuls salariés travaillant sur des chantiers du bâtiment et des travaux
publics. Cette disposition est une innovation positive, et je l'approuve à deux
titres. D'abord, parce qu'elle harmonise la prévention des risques pesant sur
des salariés exerçant des activités différentes mais exposés à des dangers
d'une même gravité. Ensuite, parce que, indirectement certes, elle reconnaît
implicitement la potentielle dangerosité et la très haute toxicité de nombreux
produits. Elle montre un début de reconnaissance de la nécessité de protéger
les salariés d'un nombre considérable de produits susceptibles de nuire très
gravement à leur santé.
C'est donc, madame la secrétaire d'Etat, une mesure de progrès mais timide,
bien trop timide, eu égard à tout ce qui reste à faire, à toutes les décisions
qui doivent être prises, à tous les choix que nous devons au plus vite faire en
matière de prévention et de réparation des accidents du travail et des maladies
professionnelles.
Si je ne peux que me réjouir de l'extension des dispositions de l'article L.
231-12 du code du travail aux salariés qui sont exposés à des substances
chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques, permettez-moi, madame la
secrétaire d'Etat, de vous faire part de mon étonnement, et même de ma
déception, de voir une fois de plus le Gouvernement présenter des dispositions
essentielles, portant sur des questions fondamentales de santé publique, dans
le cadre d'un projet mêlant les licenciements, la formation professionnelle,
les droits des personnes handicapées, l'Institut national des invalides, ou
encore la lutte contre les discriminations dans la location de logements.
Madame la secrétaire d'Etat, je me fais ici le relais d'un grand nombre de
salariés, de victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles,
d'associations, de syndicats, de médecins et d'inspecteurs du travail :
pourquoi le Gouvernement n'engage-t-il pas une réforme d'envergure du droit du
travail, s'agissant notamment de la protection de la santé des salariés ? Nous
sommes nombreux à penser que la législation sociale doit être remise à plat et
que, dans le cadre des accidents du travail et des maladies professionnelles,
le législateur doit être saisi d'un projet de loi visant à garantir aux
salariés une réglementation qui soit en conformité avec leur droit le plus
fondamental : le droit à la préservation de la vie.
Je vous le dis clairement : il est incompréhensible que, comme c'est le cas
actuellement - et depuis très longtemps, j'en conviens, madame la secrétaire
d'Etat - de nombreuses dispositions, majeures, concernant les dangers et la
prévention des risques au travail, soient abrogées, modifiées, créées par voie
réglementaire.
En effet, depuis plus de cinquante ans, une grande partie de la législation en
la matière évolue par le biais de décrets et d'arrêtés. Je crois nécessaire de
rompre avec cette tradition malheureuse, et de proposer au Parlement
d'harmoniser et d'améliorer notre droit en la matière.
A ce stade de mon intervention et puisque j'évoque la question des
dispositions réglementaires, je souhaite revenir sur le décret publié le 3
février 2001 au
Journal officiel
, établissant des règles particulières
de prévention des risques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la
reproduction. Il est un lien direct avec l'article 64 du projet de loi de
modernisation sociale. A vrai dire, je ne crois pas que ce décret aille
exactement dans le sens d'une meilleure protection sociale, sanitaire et
médicale des salariés.
La vive protestation des médecins du travail à son égard ne dément pas mes
propos : ce décret revient en somme à demander à ces médecins d'établir un
certificat de non-contre-indication médicale à l'exposition à certains
cancérogènes.
Madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je vous le demande : qui
peut, sans risque pour sa santé et pour la santé de ceux qui l'entourent,
s'exposer à des produits toxiques ?
On demande aux médecins du travail de faire une sorte de laissez-passer
permettant aux salariés de manipuler des substances chimiques qui compromettent
gravement leur santé, voire, hélas ! leur vie.
La logique de l'adaptation du travail à l'homme doit maintenant, plus que
jamais, prendre clairement le pas sur la logique de l'aptitude du salarié au
poste de travail.
Le principe de précaution est ici mal utilisé. le retrait des femmes enceintes
de leur poste de travail lorsque celui-ci les expose à des produits
cancérogènes l'illustre bien : par cette disposition, on oublie que le risque
de contamination existe avant même que la femme sache qu'elle est enceinte, dès
la conception de l'enfant. Sur cet aspect, comme sur d'autres, nous devons à la
fois plus et mieux prendre en compte les propositions et les critiques des
médecins et des inspecteurs du travail : elles sont constructives, madame la
secrétaire d'Etat ! Ces hommes et ces femmes sont les relais des salariés ; ils
doivent être les gardiens de la santé de ceux-ci dans le cadre professionnel.
Toutefois, pour cela, madame la secrétaire d'Etat, vous ne l'ignorez pas, des
mesures doivent être prises.
Réformer la médecine du travail, en créant, immédiatement, au moins 2 000
postes, en payant mieux les médecins, en renforçant leur rôle de prévention, en
assurant leur indépendance vis-à-vis des employeurs, en leur attribuant - et
c'est le plus important - des pouvoirs de coercition sur ces derniers, grâce à
l'instauration d'une mesure sanctionnant le délit d'entrave à leur activité,
voilà qui aiderait les salariés à préserver leur santé !
En dehors de la question de la médecine du travail, il me paraît fondamental,
comme je l'évoquais voilà quelques instants, de mettre en place une
réglementation qui incite réellement à la diminution des risques, des accidents
du travail et des maladies professionnelles, et à une meilleure réparation de
ces accidents, de ces pathologies qui frappent un très grand nombre de nos
concitoyens.
De véritables mesures pénalisantes, des sanctions financières lourdes contre
les employeurs qui négligent la législation et leurs obligations
constitueraient des « menaces » vraiment dissuasives.
De même, assurer un système de suivi, tout au long de la vie du travailleur -
c'est une question importante - de son dossier médical permettrait, le cas
échéant, de mieux déceler d'éventuels risques et de retrouver le ou les
employeurs qui ont exposé le salarié à des dangers graves, voire mortels.
Il faut en finir avec les demi-mesures, qui ne font que faire perdurer les
risques encourus par les salariés : il faut interdire totalement l'utilisation
de produits cancérogènes, toxiques, dangereux pour la santé et la reproduction.
Nous le savons, et vous le savez vous-même, madame la secrétaire d'Etat, c'est
désormais techniquement possible.
Prenons l'exemple des éthers de glycol, sur lesquels je reviendrai
ultérieurement. En ce domaine les risques et les dangers sont désormais
connus.
L'enquête récemment menée sur les salariés de l'usine IBM de Corbeil-Essonne
qui sont exposés à ces solvants fait apparaître des taux de cancers des
testicules et de leucémies anormalement très élevés et confirme cette idée.
Faudra-t-il attendre, comme pour l'amiante, que le nombre de morts se
multiplie pour décider l'interdiction totale des éthers ?
Que dirons-nous sinon dans cinq, dix, quinze ou vingt ans, comme nous sommes
aujourd'hui obligés de le faire pour les victimes de l'amiante, aux personnes
atteintes d'un cancer dû à leur exposition aux éthers, aux veufs, aux veuves, à
leurs enfants ?
Comment pourrons-nous justifier le maintien de l'autorisation d'utilisation de
ces solvants face à des vies écourtées, des familles anéanties par la mort de
parents, de frères, de soeurs, que les pouvoirs publics n'auront pas su ou pas
voulu protéger de conditions de travail déplorables et d'employeurs
irresponsables ?
M. le président.
Veuillez conclure, madame Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Je conclus, monsieur le président.
Nous devons aider les médecins et les inspecteurs du travail à jouer
efficacement leur rôle. L'article 64 va en ce sens, mais il constitue un pas
trop timide, qui laisse la place à une potentielle persistance de situations
dangereuses pour la santé et la vie des salariés.
Vous avez déclaré, lors de la discussion générale, madame la secrétaire
d'Etat, vouloir améliorer, avec le concours des députés et des sénateurs, le
projet de loi de modernisation sociale que vous nous soumettez aujoud'hui. Mon
intervention et les trois amendements que je m'apprête à défendre, au nom du
groupe communiste républicain et citoyen, s'inscrivent dans ce souci de
collaboration et d'amendements positifs. J'espère, madame la secrétaire d'Etat,
mes chers collègues, que vous vous y rallierez.
M. le président.
Par amendement n° 181, M. Gournac, au nom de la commission des affaires
sociales, propose de compléter le premier alinéa du texte présenté par le 2° de
l'article 64 pour insérer un II dans l'article L. 231-12 du code du travail par
la phrase suivante : « La mise en demeure est faite suivant les modalités
prévues aux articles L. 611-14 et L. 620-4. »
La parole est à M. Gournac, rapporteur.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
L'article 64 ajoute une procédure nouvelle, similaire à celle
qui est déjà prévue pour les chantiers et les travaux publics, qui permettra à
l'inspecteur du travail, ou à un contrôleur du travail ayant reçu délégation,
d'ordonner l'arrêt temporaire d'une activité dès lors qu'un employeur, après
une mise en demeure, continue de dépasser les valeurs limites d'exposition à
une substance dangereuse pour ses salariés.
J'ai constaté que la procédure présentée à cet article ne prévoyait pas
explicitement de règles formelles pour garantir notamment que le comité
d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le CHSCT, puisse être
informé de la mise en demeure effectuée par l'inspecteur du travail, comme
c'est le cas pour les interventions de droit commun.
Je propose donc un amendement visant à garantir que la mise en demeure est
faite par notification écrite à l'employeur et inscrite sur le registre des
observations et mises en demeure, qui peut être consulté par les membres des
CHSCT et, à défaut, par les délégués du personnel.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
Sagesse !
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 181, pour lequel le Gouvernement s'en remet à
la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 396, MM. Fischer, Muzeau et les membres du groupe communiste
républicain et citoyen proposent, dans le second alinéa du texte présenté par
le 2° de l'article 64 pour insérer un II à l'article L. 231-12 du code du
travail, de remplacer le mot : « peut » par le mot : « doit ».
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
La finalité de cet amendement est, d'un point de vue général, de s'assurer de
la préservation de la santé des salariés qui sont exposés à un danger grave et
imminent résultant d'une exposition à une substance chimique cancérogène,
mutagène ou toxique pour la reproduction. Sur le plan technique, nous proposons
de remplacer, dans le second alinéa du texte présenté par le 2° de l'article
64, le mot « peut » par le mot « doit », c'est-à-dire de faire de l'arrêt
temporaire de l'activité concernée une décision obligatoire et systématique, et
non une faculté laissée à l'inspecteur du travail.
Il est urgent de mettre en oeuvre un tel principe. J'appuierai ma
démonstration sur l'exemple de l'utilisation faite actuellement des produits
cancérogènes, et plus particulièrement des éthers de glycol. Notamment en
matière de produits cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction,
produits visés à l'article 64, tout reste à faire. Qu'il s'agisse des éthers de
glycol, des solvants et des produits noirs utilisés dans la construction
routière - je pense au bitume - ou encore du benzène, de très nombreux salariés
sont, aujourd'hui encore, confrontés, quotidiennement, trop souvent de façon
inconsidérée, à des produits chimiques qui recèlent des dangers ne faisant plus
de doute pour personne.
J'ai pris, tout à l'heure, l'exemple des éthers de glycol, sur lequel
j'interpelle en vain le Gouvernement depuis plusieurs années : quatre d'entre
eux, tout particulièrement nocifs, sont désormais interdits dans les
médicaments et les cosmétiques, et leur usage est limité dans les produits
d'entretien domestiques. Ces éthers, connus sous les dénominations EGME, EGMEA,
EGEE et EGEEA, sont reconnus comme des facteurs de cancers depuis au moins
1982, date à laquelle un premier avis d'alerte a été lancé par l'Etat de
Californie, tandis que, quelques mois plus tard, un rapport publié par le
centre de toxicologie et d'écologie de l'industrie chimique européenne tendait
aux mêmes conclusions alarmistes sur les effets de ces solvants sur la santé et
la reproduction. Depuis, les études aboutissant toutes à des conclusions
identiques se multiplient. Un nombre considérable de salariés, en France et
dans le monde entier, est concerné ! Qu'on en juge par cet inventaire à la
Prévert retraçant quelques-unes des professions confrontées à l'utilisation de
ces substances chimiques : peinture, industrie navale et aéronautique,
bâtiment, imprimerie, industrie textile, Ponts et chaussées, coiffure,
photographie, industries métallurgiques et mécaniques, maroquinerie, industrie
automobile. Cette liste n'est donc pas exhaustive. Comment les éthers de la
série E pourraient-ils être dangereux pour les consommateurs, puisqu'ils ont
été interdits dans la fabrication des cosmétiques et des produits ménagers,
mais non pour les salariés qui les manipulent quotidiennement ?
Compte tenu du mode d'utilisation de ces substances comme solvants destinés à
s'évaporer, toute inhalation ou tout contact cutané avec le produit liquide ou
la vapeur entraîne un risque important pour les utilisateurs, consommateurs et
salariés.
Il n'y a pas d'impossibilité technique à la substitution : certains éthers de
glycol de la série P pourront - et sans surcoût ! - remplacer ceux de la série
E. C'est d'ailleurs le choix qu'ont fait certains fabricants depuis plus de dix
ans.
Par conséquent, il faut accélerer le processus de substitution, avec effet
contraignant pour les entreprises.
Je constate que cette interdiction n'a toujours pas été décidée ; mais
a-t-elle été envisagée ? La Suède a pris cette décision pour les éthers de la
série E en juin 1990 ! Une fois de plus, madame la secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, nos voisins d'Europe du Nord sont positivement en avance sur nous en
matière de protection sociale, de protection de la santé et de la vie des
salariés !
En attendant que le Gouvernement prenne des mesures concrètes et rapides pour
aller dans ce sens - et je précise ici que mon propos sur les éthers ne doit
pas faire oublier d'autres produits tout aussi nocifs et toxiques - il me
paraît nécessaire de prévoir que l'inspecteur du travail doit ordonner l'arrêt
temporaire de l'activité concernée lorsque, à l'expiration du délai de la mise
en demeure, et après vérification par un organisme agréé, le dépassement de la
valeur limite de concentration persiste. Tel est l'objet de l'amendement n°
396.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac,
rapporteur.
L'amendement n° 396 concerne la procédure d'intervention
d'urgence lorsqu'un salarié est exposé à des concentrations trop élevées de
substances chimiques toxiques ou cancérigènes.
Le projet de loi prévoit que, si la concentration est toujours dépassée après
un délai prévu dans une mise en demeure, l'inspecteur du travail peut ordonner
l'arrêt temporaire de l'activité concernée.
L'amendement n° 396 tend à prévoir que l'inspecteur du travail a une
obligation d'intervenir et non pas une simple faculté.
En théorie, il n'est pas inutile de laisser un pouvoir d'appréciation à
l'inspecteur du travail, notamment s'il constate que l'employeur est de bonne
foi et que le problème est sur le point d'être résolu.
Cela étant, ce pouvoir de l'inspecteur du travail paraît finalement
difficilement applicable dès lors que la procédure est lancée et que les
salariés sont informés. Par ailleurs, il est bien prévu un référé devant le
tribunal de grande instance en cas de désaccord entre l'inspecteur du travail
et l'employeur.
Par conséquent, la commission souhaiterait connaître l'avis du Gouvernement
avant de se prononcer.
M. le président.
Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
Je voudrais tout d'abord dire à Mme la sénatrice que
j'ai écouté avec beaucoup d'attention tant son intervention sur l'article 64
que son argumentation sur l'amendement n° 396.
J'ai bien noté le niveau des exigences qu'elle souhaite ; je remarque que
l'article 64 de ce projet de loi de modernisation sociale va dans ce sens, ce
qu'elle a d'ailleurs reconnu.
Néanmoins, le Gouvernement ne peut pas vous suivre, madame Beaudeau.
En effet, l'initiative de la mise en oeuvre de la procédure d'arrêt temporaire
des activités entraînant une exposition à une substance chimique cancérigène,
mutagène ou toxique pour la reproduction, prévue par le code du travail, doit
rester soumise à l'appréciation des agents de contrôle qui sont les seuls
capables d'évaluer, sur la base des constats qu'ils effectuent, les moyens à
mettre en oeuvre pour faire cesser sur-le-champ des situations de danger grave
et imminent liées au dépassement des valeurs limites de concentration fixées
réglementairement. Les situations rencontrées sont en effet d'une extrême
diversité et ne permettent pas d'imposer aux inspecteurs ou aux contrôleurs du
travail la conduite à tenir dans de telles circonstances.
M. le président.
Quel est, en définitive, l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac,
rapporteur.
La commission émet un avis défavorable.
M. le président.
Madame Beaudeau, l'amendement n° 396 est-il maintenu ?
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Oui, monsieur le président.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 396.
M. Gilbert Chabroux.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Chabroux.
M. Gilbert Chabroux.
L'article 64 permettra aux inspecteurs du travail de mettre fin à une activité
exposant des salariés à des substances chimiques particulièrement dangereuses
lorsque les valeurs limites d'exposition professionnelle sont dépassées de
façon réitérée.
On mesure l'importance de cet article quand on sait que le nombre de salariés
exposés à de telles substances est estimé à un million.
Quand on évoque ces risques, on pense tout particulièrement, comme Mme
Beaudeau, à certains éthers de glycol dont les effets néfastes commencent à
être bien connus, suffisamment en tout cas pour que des mesures d'interdiction
ou de substitution par des produits moins nocifs soient prises sans
attendre.
Ce devrait être le cas pour les quatre éthers de glycol les plus toxiques de
la série E. Ces produits sont interdits pour les usages domestiques,
pharmaceutiques et cosmétiques, comme l'a rappelé ma collègue, mais ils ne le
sont pas de façon suffisamment claire en milieu professionnnel.
Le décret paru le 1er février dernier interdit d'affecter « des femmes
enceintes à tout poste de travail les exposant à des agents toxiques pour la
reproduction », pour éviter des malformations foetales, mais il ne dit rien sur
les hommes et ne prend pas en compte le caractère cancérigène potentiel de ces
produits pour l'ensemble du personnel. Il y a pourtant eu suffisamment de
signes d'alerte et de cas de cancer pour que des mesures soient prises.
Nous souhaiterions donc plus de clarté et de fermeté dans la réglementation
qui, pensons-nous, doit être durcie.
C'est bien l'objet de l'amendement n° 396, qui tend à rendre obligatoire la
cessation d'activité temporaire de l'entreprise à partir du moment où il a été
dûment constaté par un inspecteur du travail que les salariés sont exposés à un
danger grave et imminent résultant d'une exposition à une substance chimique
cancérigène, mutagène ou toxique.
Dans ce cas, la fermeture de ce lieu de travail ne peut se concevoir comme une
simple possibilité mais doit bien s'envisager comme une obligation, et ce au
regard de la santé même des salariés.
Nous sommes donc favorables à l'adoption de cet amendement.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 396, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 397, MM. Fischer, Muzeau et les membres du groupe communiste
républicain et citoyen proposent de rédiger ainsi le 4° de l'article 64 :
« 4° Au premier alinéa du III, les mots : "Lorsque toutes les mesures ont été
prises pour faire cesser la situation de danger grave et imminent" sont
remplacés par les mots : "Lorsque la situation de danger grave et imminent a
cessé". »
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cet
amendement n° 397 relève, lui aussi, d'une volonté d'application stricte du
principe de précaution en matière de santé au travail. Il nous paraît en effet
nécessaire de remplacer, au 4° de l'article 64, les mots : « Lorsque toutes les
mesures ont été prises pour faire cesser la situation de danger grave et
imminent », par les mots : « Lorsque la situation de danger grave et imminent a
cessé ».
Cette formulation nous semble plus pertinente que celle qui prévaut
actuellement dans l'article L. 221-12 du code du travail, qui, elle, peut
prêter à confusion ou, tout au moins, laisser une porte ouverte à une
éventuelle contestation de la part de l'employeur.
Il s'agit donc ici de renforcer la protection des salariés travaillant sur un
chantier de bâtiment ou de travaux publics, ou exposés à des produits
cancérigènes, toxiques ou mutagènes.
En effet, cet amendement tend à faire prendre en compte, à l'occasion de
l'examen de la question de la reprise des travaux, non tant le fait que des
mesures aient été prises, que le résultat de ces mesures, c'est-à-dire
l'écartement de tout danger menaçant les salariés.
Nous pensons en effet que, dans ce cadre, il faut imposer à l'employeur une
obligation de résultat et non une obligation de moyens. L'amendement n° 397
fait apparaître cette contrainte plus clairement que ne le fait l'article 64
tel qu'il a été adopté au mois de janvier dernier par l'Assemblée nationale.
De façon plus générale, cet amendement s'inscrit dans une perspective de
responsabilisation des employeurs, visant à mieux prévenir les risques, à
protéger davantage et plus efficacement les salariés des dangers inhérents à
leur activité professionnelle et/ou à leurs conditions de travail.
Dire que les travaux peuvent reprendre « lorsque toutes les mesures ont été
prises pour faire cesser la situation de danger grave et imminent » risque,
madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, d'être source de
contestation, et d'ouvrir la voie à de nombreux recours juridictionnels de la
part des employeurs.
Je prendrai un exemple simple : un inspecteur du travail, ayant contrôlé un
chantier ou une entreprise, a constaté un danger grave et imminent, et a
ordonné à l'employeur de prendre des mesures pour remédier à cette situation
dangereuse. L'employeur, peut-être de bonne foi, mettra en oeuvre une panoplie
de mesures susceptibles de remédier à la situation de danger. Une fois ces
dispositions prises, et si le danger n'a pas été écarté, que fera-t-il ? Il
aura tout loisir de faire redémarrer l'activité ou le chantier concerné, au
moins temporairement.
Il me paraît précisément dangereux que le résultat des mesures prises par
l'employeur ne lie pas l'inspecteur ou le contrôleur du travail. Il s'agit ici,
en effet, de responsabiliser les employeurs, afin de mieux prévoir les risques
et de prévenir les dangers.
Nous croyons, en effet, qu'aucune impulsion de la prévention des risques
professionnels ne peut être efficace dans un contexte de déresponsabilisation
des employeurs. La présomption de l'imputabilité de la responsabilité à
l'employeur doit rester un principe intangible. Or, vous le savez, nombre
d'atteintes à la santé, particulièrement des cancers d'origine professionnelle,
sont aujourd'hui à la charge du régime général de la sécurité sociale. C'est
inadmissible !
Il est tout autant inadmissible de voir que les scandales, les situations
d'exposition à des dangers, des produits et des risques majeurs persistent sans
que soient mises en place des dispositions législatives et réglementaires
permettant aux médecins et aux inspecteurs du travail de s'opposer à ce qu'il
convient parfois d'appeler le « laxisme » et la « négligence » des
employeurs.
L'aggravation des conditions de travail reste actuellement la dominante. Sur
le terrain, elle a pour corollaire une sous-déclaration des accidents du
travail et des maladies professionnelles. L'exemple de l'usine Renault, au
Mans, est à ce titre significatif : en deux ans, les salariés, avec l'aide de
leur comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ont fait
nettement reculer les pressions de la direction. Les accidents déclarés avec
arrêt sont ainsi passés de treize en 1999 à quarante-quatre en 2000 !
Ces écarts, dont on sait bien qu'ils trouvent aisément leur équivalent dans
une grande partie des entreprises françaises, montrent deux choses.
Tout d'abord, l'urgence à doter les acteurs sociaux, économiques, médicaux et
juridiques d'outils statistiques fiables et fidèles à la réalité en termes de
bilan sanitaire et de décompte des accidents du travail et des maladies
professionnelles est plus que jamais évidente.
Par ailleurs - c'est le second élément que nous enseigne ce type d'écarts -,
certains employeurs n'hésitent toujours pas à masquer la vérité des dangers
auxquels ils exposent leurs salariés : pour des raisons financières, les effets
réels du travail sont souvent minimisés, des enquêtes sont censurées, et de
plus en plus d'entreprises dissimulent les accidents. Cela n'a rien de bien
étonnant, car le cynisme de certains, réfléchissant au fait que les entreprises
cotisent à la branche accidents du travail - maladies professionnelles de la
sécurité sociale en fonction du nombre et de la gravité des accidents qu'elles
déclarent, incite bien à ce type de comportement irresponsable. Résultat : de
nombreux employeurs font pression sur leurs salariés pour qu'ils ne déclarent
pas les accidents, et c'est le régime général, c'est-à-dire la collectivité,
qui règle la facture à leur place, du fait de leur refus de reconnaître le
caractère professionnel de certaines affections.
Ces quelques éléments illustrent bien la nécessité de renforcer le rôle de
prévention des médecins du travail, renforcement qui ne pourra se faire sans
une augmentation sensible du nombre de ces médecins.
Les employeurs ont une obligation légale autant que morale de protéger leurs
salariés ; or, ils ne la remplissent pas toujours. Il appartient dès lors aux
pouvoirs publics de sanctionner des agissements inadmissibles.
Je suis convaincue que l'amendement n° 397, en visant à clarifier la nature
des obligations de l'employeur et à renforçer le rôle de prévention de
l'inspecteur du travail, va dans le sens d'une meilleure prise en charge de la
santé au travail et des droits de tous les salariés, dont la préservation de la
santé constitue une ressource sociale, sanitaire et économique majeure de notre
pays.
Voilà pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à adopter l'amendement n°
397.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Mme Beaudeau a exposé de façon très complète l'ensemble des
arguments.
La commission comprend l'objectif de l'amendement n° 397. Elle observe
néanmoins que, dans la rédaction actuelle, l'employeur doit aviser l'inspecteur
du travail qui, après vérification, autorisera la reprise des travaux.
Considérant que la disposition présentée dans l'amendement n° 397 sera la
source de contestations, elle émet un avis défavorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
Défavorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 397, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 64, modifié.
(L'article 64 est adopté.)
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