SEANCE DU 17 MAI 2001
DIVERSES DISPOSITIONS
EN MATIÈRE ÉLECTORALE
Adoption des conclusions modifiées
de deux rapports d'une commission
(Ordre du jour réservé)
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion :
1° Des conclusions du rapport (n° 309, 2000-2001) de M. Patrice Gélard, fait
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur la
proposition de loi organique (n° 6, 2000-2001) de MM. Josselin de Rohan, Pierre
André, Jean Bernard, Roger Besse, Jean Bizet, Paul Blanc, Gérard Braun,
Dominique Braye, Mme Paulette Brisepierre, MM. Louis de Broissia, Robert
Calmejane, Auguste Cazalet, Gérard César, Jacques Chaumont, Gérard Cornu,
Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Xavier Darcos, Luc Dejoie,
Jacques-Richard Delong, Christian Demuynck, Charles Descours, Michel Doublet,
Paul Dubrule, Alain Dufaut,
Xavier Dugoin,
Daniel Eckenspieller, Michel
Esneu, Gaston Flosse, Bernard Fournier, Philippe François, Yann Gaillard,
Patrice Gélard, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Francis Giraud,
Daniel Goulet, Alain Gournac, Adrien Gouteyron, Georges Gruillot, Hubert
Haenel, Jean-Paul Hugot, André Jourdain, Alain Joyandet, Roger Karoutchi,
Lucien Lanier, Gérard Larcher, Edmond Lauret, René-Georges Laurin, Dominique
Leclerc, Jean-François Le Grand, Serge Lepeltier, Simon Loueckhote, Max Marest,
Philippe Marini, Pierre Martin, Paul Masson, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM.
Jean-Luc Miraux, Bernard Murat, Paul Natali, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin,
MM. Paul d'Ornano, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Jacques Peyrat, Henri de
Richemont, Victor Reux, Jean-Pierre Schosteck, Louis Souvet, Martial
Taugourdeau, René Trégouët, Jacques Valade, Alain Vasselle, Jean-Pierre Vial,
Serge Vinçon et Guy Vissac, tendant à harmoniser les conditions d'éligibilité
aux mandats électoraux et aux fonctions électives.
2° Des conclusions du rapport (n° 310 2000-2001) de M. Patrice Gélard, fait au
nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage
universel, du règlement et d'administration générale sur :
- la proposition de loi (n° 7, 2000-2001) de MM. Josselin de Rohan, Pierre
André, Jean Bernard, Roger Besse, Jean Bizet, Paul Blanc, Gérard Braun,
Dominique Braye, Mme Paulette Brisepierre, MM. Louis de Broissia, Robert
Calmejane, Auguste Cazalet, Gérard César, Jacques Chaumont, Gérard Cornu,
Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Xavier Darcos, Luc Dejoie,
Jacques-Richard Delong, Christian Demuynck, Charles Descours, Michel Doublet,
Paul Dubrule, Alain Dufaut,
Xavier Dugoin,
Daniel Eckenspieller, Michel
Esneu, Bernard Fournier, Philippe François, Yann Gaillard, Patrice Gélard,
Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Francis Giraud, Daniel Goulet,
Alain Gournac, Adrien Gouteyron, Georges Gruillot, Hubert Haenel, Jean-Paul
Hugot, André Jourdain, Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Lucien Lanier, Gérard
Larcher, Edmond Lauret, René-Georges Laurin, Dominique Leclerc, Jean-François
Le Grand, Serge Lepeltier, Simon Loueckhote, Max Marest, Philippe Marini,
Pierre Martin, Paul Masson, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean-Luc Miraux,
Bernard Murat, Paul Natali, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin, MM. Paul d'Ornano,
Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Jacques Peyrat, Henri de Richemont, Victor
Reux, Jean-Pierre Schosteck, Louis Souvet, Martial Taugourdeau, René Trégouët,
Jacques Valade, Alain Vasselle, Jean-Pierre Vial, Serge Vinçon et Guy Vissac,
tendant à harmoniser les conditions d'éligibilité aux mandats électoraux et aux
fonctions électives ;
- la proposition (n° 280, 2000-2001) de MM. Alain Dufaut et Patrice Gélard
tendant à permettre à des élus se trouvant dans une situation
d'incompatibilité, en raison de l'acquisition d'un mandat en remplacement d'un
autre élu, de la faire cesser en démissionnant du mandat de leur choix ;
- la proposition de loi (n° 57, 2000-2001) de M. Daniel Hoeffel, Patrice
Gélard et Charles Jolibois modifiant la loi n° 77-080 du 19 juillet 1977
relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion.
La conférence des présidents a décidé qu'il serait procédé à une discussion
générale commune des conclusions de ces deux rapports.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes amenés à
débattre aujourd'hui de quatre propositions de loi, la première de nature
organique et les trois autres ordinaires, relatives à divers articles du code
électoral ou de la loi de 1977 sur les sondages.
Notre code électoral est devenu parfaitement obsolète et illisible. Je ne fais
que reprendre ici les propos tenus par le président Braibant en sa qualité de
président de la commission supérieure de codification. Il a notamment déclaré
que, s'il est des codes qu'il faut rapidement réécrire, ce sont bien le code
électoral ainsi que le code général des impôts, mais pour d'autres raisons.
Un problème de lisibilité se pose donc et le Conseil constitutionnel a émis de
sévères observations eu égard à l'obsolescence du code électoral.
Nous sommes donc saisis de quatre propositions de loi : une première
organique, déposée sur l'initiative de M. Josselin de Rohan et cosignée par
soixante-dix-huit de nos collègues, une deuxième, déposée sur l'initiative de
M. Alain Dufaut et de moi-même visant à réparer un oubli en matière
d'incompatibilité, une troisième, émanant de MM. Hoeffel et Jolibois et de
moi-même, relative aux sondages d'opinion, déposée à la suite d'un colloque qui
s'est tenu au Sénat et qui a mis l'accent sur la nécessité de réformer la loi
de 1977 ; enfin, une quatrième, relative aux élections locales, déposée par M.
de Rohan et les mêmes soixante-dix-huit cosignataires.
Pour effectuer le présent rapport, nous avons été amenés à rencontrer les
représentants du ministère de l'intérieur et du ministère de la fonction
publique. Ils nous ont encouragés dans une certaine mesure, à poursuivre dans
la voie qu'avaient ouverte les propositions de loi, c'est-à-dire le toilettage
du code électoral.
Nous avons également rencontré les représentants des organisations
professionnelles et des organisations représentatives d'un certain nombre de
fonctionnaires qui sont touchés par les inéligibilités. Nous nous sommes
trouvés en parfaite harmonie avec ces interlocuteurs. Les fonctionnaires ont
eux-mêmes reconnu que les inéligibilités sont une garantie de leur
indépendance. Ils ont fait part de leur attachement au maintien de ce système
dans la fonction publique, ce qui nous a confortés dans notre position.
Je vais essayer de reclasser les différents éléments contenus dans les
propositions de loi.
La proposition de loi organique porte essentiellement sur les inéligibilités
applicables aux parlementaires. Sur ce point, nous devions absolument donner
suite aux observations formulées par le Conseil constitutionnel, qui se sont
faites de plus en plus vives à l'encontre du législateur.
Dans les observations qu'il a formulées à la suite des élections sénatoriales
du 24 septembre 1995, le Conseil constitutionnel déclarait : « Cette liste » -
la liste des inéligibilités - « devrait faire l'objet d'un réexamen par le
législateur organique afin d'y apporter les précisions et les actualisations
nécessaires en fonction des évolutions statutaires et fonctionnelles
provoquées, notamment, par les mesures prises en matière de décentralisation et
de déconcentration. »
Dans ses observations consécutives au renouvellement sénatorial de 1998, il
insistait en indiquant notamment qu'il considérait comme urgente la révision de
la liste des fonctions entraînant l'inéligibilité.
Nous sommes en 2001 : trois années se sont écoulées depuis ces observations du
Conseil constitutionnel. Il est vraisemblable que, si nous ne prenons pas dès
maintenant des mesures, celui-ci risque, lors des élections législatives de
l'année prochaine, de se départir de la placidité qu'il a manifestée jusqu'à
maintenant.
Il est donc urgent de toiletter un texte qui est devenu obsolète,
incompréhensible dans un certain nombre de cas et qui, notamment, énumère des
fonctions qui ont depuis longtemps disparu, omettant des fonctions qui, elles,
sont apparues depuis.
Je ferai remarquer que le législateur organique avait prévu une inéligibilité
pour le Défenseur des enfants mais que ce texte a été déclaré non conforme à la
Constitution par le Conseil constitutionnel pour des raisons de procédure. La
commission vous propose donc de prévoir l'inéligibilité au Parlement du
Défenseur des enfants, à l'instar de ce qui est prévu pour le Médiateur de la
République.
Je n'entrerai pas dans le détail de la liste des inéligibilités ; je ferai
simplement remarquer qu'un certain nombre d'emplois ont disparu depuis fort
longtemps - par exemple celui de chef de division de préfecture, dont on ne
sait plus très bien ce que c'est - et qui figurent encore dans la liste.
D'autres y figurent également alors qu'il s'agit d'emplois au sein
d'entreprises devenues des entreprises privées, comme la Manufacture des
tabacs.
En revanche, il y a des oublis manifestes : les membres des chambres
régionales des comptes sont éligibles - en l'occurrence, on a tout simplement
oublié de mettre à jour le code électoral - de même que les magistrats des
cours administratives d'appel, alors que les juges des tribunaux administratifs
ne le sont pas.
Nous avons donc entrepris de corriger tout cela. Nous l'avons fait avec le
concours des services du ministère de la fonction publique, qui nous ont fait
part de la difficulté qu'il y avait à mettre à jour des listes aussi complexes
et alors que les appellations ont changé au fil du temps.
Dans la mesure du possible, nous avons actualisé les appellations des
catégories de fonctionnaires. J'en profite pour attirer l'attention du
législateur sur la nécessité de vérifier que les nouvelles professions que l'on
crée, pourvues de nouvelles appellations, sont bien transcrites dans le code
électoral.
Nous avons également tenu compte du fait que la décentralisation est entrée en
application depuis 1981 et que le statut des fonctionnaires territoriaux est
devenu très largement comparable au statut des membres du corps préfectoral. Il
était devenu nécessaire d'appliquer aux hauts fonctionnaires territoriaux,
c'est-à-dire les chefs des services des grandes villes, les mêmes
inéligibilités que celles qui sont applicables au corps préfectoral.
S'est posé un problème d'harmonisation des délais d'inéligibilité : trois ans
pour les préfets, un an pour les sous-préfets et six mois pour la plupart des
autres catégories. Nous avons porté l'ensemble des inéligibilités à un an (sauf
celle des préfets qui resterait fixée à trois ans) à un an pour une raison
pratique qui découle directement de la loi sur le financement des partis
politiques. En effet, les comptes de campagne peuvent être ouverts un an avant
l'élection. Il était donc normal de faire coïncider la période d'inéligibilité
avec la période pendant laquelle peuvent exister les comptes de campagne. Cette
distinction n'a suscité aucune critique de la part de nos interlocuteurs des
chambres régionales des comptes, du Trésor ou de la fonction préfectorale.
Autre toilettage indispensable : les professeurs titulaires de chaire ayant
disparu depuis 1968, la disposition du code électoral les visant devait être
modifiée. En application d'ailleurs de la jurisprudence du Conseil
constitutionnel, nous avons donc toiletté le statut des professeurs, statut que
nous avons étendu, comme la plupart des pays, aux directeurs de nos grands
organismes de recherche.
Voilà pour la loi organique.
Quant à la loi ordinaire, elle reprend pour l'essentiel les dispositions
d'inéligibilité applicables aux députés et aux sénateurs. Dans ce domaine
encore, nous avons harmonisé les règles : désormais, les mêmes règles
s'appliquent, qu'il s'agisse d'élections au conseil municipal, au conseil
général ou au conseil régional, et ces règles sont en quasi totale harmonie
avec celles qui régissent les élections des députés et des sénateurs.
Seules quelques dispositions diffèrent des dispositions existantes, mais elles
nous semblent s'imposer d'elles-mêmes.
Première disposition nouvelle : l'incompatibilité entre, d'une part, les
fonctions de président de conseil régional, de président de conseil général ou
de maire d'une commune de plus de 100 000 habitants et, d'autre part,
l'exercice de fonctions publiques non électives. Une rapide étude a démontré
que pratiquement aucun président de conseil général, aucun président de conseil
régional, aucun maire d'une commune de plus de 100 000 habitants ne continue à
exercer une fonction publique.
Ces élus sont placés ou en détachement ou sous un autre statut, qu'ils aient
démissionné ou pris leur retraite, mais, dans les faits, aucun président de
conseil régional ne continue à être fonctionnaire, aucun président de conseil
général ne continue à être directeur d'école, aucun maire de grande ville ne
continue à être agent des postes et télécommunications.
M. Guy Allouche.
Parce qu'ils sont parlementaires !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Pas tous, monsieur Allouche !
M. Josselin de Rohan.
Ce seraient sinon de mauvais fonctionnaires !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Cette disposition va dans le sens de la revalorisation des
fonctions électives locales. En rapprochant leur statut de celui des députés et
des sénateurs, on valorise en effet les fonctions de président de conseil
régional ou de maire de grande ville. C'est un pas de plus dans la voie du
rapprochement entre les grands responsables territoriaux et les élus
nationaux.
La deuxième nouvelle disposition vise à combler un oubli, ou une lacune, dans
nos récentes lois sur l'interdiction du cumul des mandats. Ainsi, lorsqu'un élu
acquiert un mandat le plaçant dans une situation d'incompatibilité, il doit
abandonner le mandat le plus ancien. Bien. Mais, contrairement à ce que l'on a
prévu pour les élections européennes, on n'a pas traité le cas de l'élu local
qui figure en queue de liste et qui, quelques années après l'élection, devient
conseiller municipal ou conseiller régional à la suite du décès ou de la
démission de ceux qui le précédaient sur la liste. Or, selon le principe que
retient la jurisprudence, il sera présumé avoir acquis son mandat à la date à
laquelle a cessé celui de l'élu placé immédiatement avant lui sur la liste, ce
qui peut avoir pour effet de l'obliger à renoncer à un mandat acquis par
élection peu de temps auparavant.
C'est la raison pour laquelle je propose que, dans ce domaine, on applique la
disposition prévue par la loi du 5 avril 2000 pour les députés européens :
lorsqu'un suivant de liste, quelques mois ou quelques années après l'élection,
acquiert automatiquement un mandat en tant que suivant de liste, il choisit
lui-même le mandat qu'il veut abandonner. C'est, me semble-t-il, la formule la
plus sage et la plus simple.
La proposition de loi prévoyait par ailleurs le placement de droit en
disponibilité pour les fonctionnaires accédant à certaines fonctions électives,
au lieu du détachement. Or la disponibilité présente plusieurs inconvénients,
dont le principal est de ne pas garantir une réintégration. On a constaté,
après une rapide étude, que le délai moyen pour obtenir à nouveau un emploi
conforme aux aspirations de l'intéressé est de l'ordre de un an à dix-huit
mois, voire plus, alors que le détachement garantit - c'est son premier
avantage - la réintégration dans le poste dans des délais beaucoup plus
rapides.
Deuxième avantage du détachement : le détaché peut continuer d'appartenir à
son corps, notamment au regard de ses années d'ancienneté et de cotisations
pour la retraite.
Il fallait par ailleurs régler le problème de l'avancement. La règle, pour les
députés et les sénateurs, c'est uniquement l'avancement à l'ancienneté, et
jamais l'avancement au choix. On a généralisé ce système pour les
fonctionnaires accédant aux fonctions de maire d'une ville de plus de 100 000
habitants, ou de président d'un conseil général ou régional.
Sur la question de l'avancement, les représentants des grands corps de l'Etat
ont aussi émis un avis plutôt favorable sur nos propositions.
Dernier point sur lequel il convient de s'arrêter, et j'en ai déjà dit un mot
en introduction : les suites du colloque qui s'est tenu au Sénat il y a
quelques mois sur les sondages d'opinion.
A ce colloque participaient des universitaires, des représentants des
formations politiques, des syndicats et des instituts de sondage, des
journalistes - bref, un large panel - et tous ont souligné le caractère
obsolète de la loi de 1977 sur la publication des sondages d'opinion.
C'est le secret de Polichinelle ! Tout le monde sait en effet que l'on peut
avoir connaissance des sondages d'opinion jusqu'au jour même du scrutin grâce
aux techniques modernes. Lorsque la loi de 1977 a été adoptée, chacun savait
d'ailleurs déjà qu'il suffisait d'acheter...
M. Josselin de Rohan.
...
La Tribune de Genève !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
...
La Tribune de Genève
, en effet, ou
Le Soir de
Bruxelles
pour être parfaitement au courant de ce qui allait se passer le
lendemain, du moins d'après les sondages d'opinion.
Ce processus s'est plutôt accentué ces temps derniers grâce aux techniques
modernes. Le câble et le satellite nous ont donné un accès facile aux
télévisions étrangères et à ce qui se dit sur les ondes de nos voisins la
veille de nos scrutins. Surtout, il y a maintenant Internet et le
mail
grâce auxquels n'importe qui peut prendre n'importe quand connaissance des
sondages d'opinion, y compris ceux qui sont établis à la veille du scrutin.
Il convient donc de mettre les textes en harmonie avec la réalité. Ne pas
autoriser la publication des sondages jusqu'à la veille des scrutins non
seulement ne correspond plus à la réalité, mais cela porte atteinte à l'égalité
des droits démocratiques de nos concitoyens : une catégorie de Français connaît
les sondages alors qu'une autre - celle des Français qui n'ont pas accès aux
nouveaux moyens de communication - ne les connaît pas. Il y a là une anomalie,
et même une aberration, qu'il convient de corriger.
J'ajoute que la plupart des législations européennes autorisent la publication
des sondages et on peut se demander si l'interdiction de la publication des
sondages est conforme à la Convention européenne des droits de l'homme.
Le problème s'est posé devant les tribunaux et sur ce point, la jurisprudence
a beaucoup hésité.
Si la Cour de cassation, dans un arrêt ancien, et le Conseil d'Etat ont estimé
que la loi pouvait, dans une certaine mesure, limiter la publication des
sondages, le tribunal de Paris a, dans cinq arrêts, reconnu la licéité de leur
publication au regard de la Convention européenne des droits de l'homme. Ces
arrêts ont été annulés par la cour d'appel et ont donné lieu à un recours
devant la Cour de cassation, qui n'a pas encore rendu son arrêt. Une hésitation
demeure donc.
Je prendrai aussi l'exemple récent des élections municipales à Paris.
Tous les jours, nous connaissions les sondages d'opinion grâce aux
Guignols
de l'info,
qui déguisaient, certes, les résultats des sondages, mais il
suffisait de décoder ce que représentaient les carottes et les pommes de terre
pour connaître ces résultats jusqu'à la dernière minute.
Ajoutons, monsieur le ministre, qu'il n'est peut-être pas très normal que seul
le ministre de l'intérieur ait tous les sondages d'opinion, jour par jour,
heure par heure !
(M. le ministre sourit.)
Tous nos concitoyens devraient peut-être y avoir
accès.
Enfin, le peuple français est devenu mûr en matière politique et il sait
décoder les sondages. L'exemple des dernières élections municipales l'a
démontré. L'électeur ne se fait pas manipuler par un sondage : celui-ci
l'informe, le motive, le mobilise, mais ce n'est pas lui qui décide de son
vote. C'est aussi faire confiance au peuple français que de libéraliser la
publication des sondages.
Seule réserve : il convient d'empêcher la publication de sondages par
circonscription pour les scrutins uninominaux. Un amendement en ce sens a été
déposé.
Pour le reste, pour les élections présidentielles, pour toutes les élections
au scrutin proportionnel et au plan national pour les élections au scrutin
majoritaire, deux garde-fous à la règle selon laquelle les sondages d'opinion
pourront être publiés jusqu'à la veille du scrutin sont prévus.
Premier garde-fou : les instituts de sondage politique devront exister au
moins trois mois avant l'élection. C'est une garantie minimum pour éviter que
des instituts de sondage
ad hoc
ne se créent à la dernière minute.
Deuxième garde-fou : le renforcement des conditions du droit de réponse de la
commission des sondages permettra à celle-ci de réagir si des sondages ne sont
pas conformes à la déontologie. A ce propos, monsieur le ministre, il serait
bon que la commission des sondages diligente des poursuites pénales plus
fréquemment qu'elle ne le fait. La loi de 1977 prévoit en effet des sanctions
pénales pour violation de la déontologie lorsque les sondages ne respectent pas
les règles élémentaires de la morale en matière d'études et de statistiques.
Je me permettrai enfin de faire un voeu, monsieur le ministre. Il me semble
indispensable que les dispositions du code électoral relatives aux
inéligibilités soient toilettées avant les prochaines élections. Je souhaite
donc très vivement que vous fassiez en sorte qu'un texte soit rapidement soumis
à l'Assemblée nationale. Nous répondrions ainsi à la demande d'un très grand
nombre de futurs candidats, qui connaîtraient ainsi au moins les règles du jeu,
et nous serions en conformité avec les exigences du Conseil constitutionnel,
exigences que nous n'avons que trop tardé à respecter.
(Applaudissements sur
les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, l'ordre du jour réservé du Sénat a prévu
l'examen des conclusions de la commission des lois, sur un ensemble de
propositions de loi à caractère organique ou ordinaire, qui ont trait aux
fonctions électives ainsi qu'au régime juridique de la publication des
sondages.
Le texte élaboré par la commission des lois et rapporté par M. Gélard pourrait
être qualifié de texte portant diverses dispositions d'ordre électoral - sans y
mettre naturellement la moindre nuance péjorative - et j'ai bien entendu
l'appel de M. Gélard pour qu'il soit procédé à son examen à l'Assemblée
nationale afin qu'il y ait un rapprochement des positions entre les deux
assemblées.
Dans mon propos, je distinguerai les trois grandes parties de ce texte, qui
ont chacune une problématique spécifique.
D'abord, s'agissant des dispositions qui, de façon générale, traitent des
conditions d'accès des fonctionnaires aux mandats électoraux et dont
l'initiative revient à M. de Rohan, je dirai qu'elles ont une apparence
technique mais qu'elles recouvrent aussi une réalité politique.
L'apparence, c'est la volonté parfaitement louable - et le Gouvernement
pourrait volontiers y adhérer - d'apporter des réponses techniquement et
juridiquement satisfaisantes à des situations complexes qui appellent
indiscutablement une clarification et une actualisation des textes en
vigueur.
La réalité, c'est la volonté évidente, dans les dispositions proposées, de
réduire la place des fonctionnaires dans la vie publique, pour éviter ce que
l'auteur de la proposition de loi appelle leur « propension à truster les
mandats électoraux ». Le Gouvernement ne saurait souscrire à un tel objectif,
quand bien même il pourrait partager le légitime souci d'une remise en ordre
des textes applicables.
Je prendrai pour exemple l'organisation proposée par ce texte au régime des
inéligibilités. L'inéligibilité est en effet une restriction à l'exercice d'une
liberté publique fondamentale. Elle doit donc conserver un caractère
exceptionnel et limité dans le temps et dans l'espace.
Selon une jurisprudence déjà ancienne du Conseil d'Etat, l'inéligibilité ne
peut se présumer. Elle doit être explicitement prévue par la loi, ce qui
explique le caractère détaillé de la liste des fonctions dont les titulaires
sont inéligibles. L'inéligibilité vise en effet à écarter des personnes qui
exercent des fonctions, des professions, des activités qui leur confèrent une
influence déterminante sur l'électorat, qui sont susceptibles d'orienter les
suffrages, de porter atteinte à l'égalité de la compétition électorale, et donc
de fausser le résultat des élections.
Le but de ces dispositions n'est donc pas uniquement de réguler le recrutement
des élus en fonction de leur activité professionnelle. Le Gouvernement, vous le
comprendrez, ne peut s'associer à l'exposé des motifs de la proposition de loi
initiale de M. de Rohan, qui relève que la « refondation de la vie politique »
- je reprends les termes - repose sur un plus sûr moyen : « prendre soin
d'éviter que les mandats électoraux ne soient trustés par des personnes
exerçant des professions leur donnant un avantage prépondérant par la nature
même des fonctions et de l'autorité qu'elles exercent dans leur ressort ».
On ne saurait en effet, quel que soit le jugement que l'on porte sur le poids
respectif de telle ou telle profession parmi les parlementaires et les élus
locaux, prétendre restreindre l'exercice d'une liberté fondamentale.
Cela étant dit, la refonte de la liste des inéligibilités mérite d'être
entreprise. Compte tenu du caractère factuel des fonctions énumérées, ces
listes portent évidemment la marque de l'époque à laquelle elles ont été
établies, même si elles ont connu des ajouts et des modifications, notamment en
1986 et en 1988. C'est ce qui a amené le Conseil constitutionnel, dans ses
observations relatives aux élections sénatoriales, à suggérer leur réexamen. Ce
dernier nécessite un travail minutieux, tant sur les fonctions que sur le
statut des agents qui les exercent.
L'harmonisation qui est annoncée par votre proposition de loi ne peut
consister simplement en un « copier-coller » de la liste de l'article L. 195
dans celle de l'article L.O. 133 du code électoral. Ainsi, certaines
modifications sont d'ores et déjà intégrées au code électoral, par exemple
l'inéligibilité des membres du corps préfectoral aux élections cantonales.
Mais, surtout, la liste comprend encore des mentions obsolètes, malgré le
travail rédactionnel qui a été effectué par la commission des lois.
C'est pourquoi le Gouvernement a d'ores et déjà entrepris, sous la conduite du
ministre de l'intérieur et du ministre de la fonction publique et de la réforme
de l'Etat, un travail interministériel d'analyse et d'actualisation de la liste
des fonctions emportant inéligibilité.
Il faut cependant que les choses soient claires. Il s'agit d'actualiser ces
listes en y incluant des fonctions nouvelles. Je prends l'exemple du directeur
d'une Agence régionale de l'hospitalisation. Il faut y intégrer aussi les
emplois de direction de la fonction publique territoriale. Mais on ne saurait,
sans encourir la censure du Conseil constitutionnel, élargir cette liste pour
limiter l'accès des fonctionnaires aux mandats électoraux.
Pour les mêmes raisons, le Gouvernement n'est pas favorable, en l'état, aux
dispositions proposées sur le régime de détachement des fonctionnaires exerçant
un mandat local. Ces propositions interfèrent avec le projet de loi sur la
démocratie de proximité, qui sera examiné en conseil des ministres la semaine
prochaine. Ce projet de loi entend, au contraire, mieux articuler mandat et
activité professionnelle, alors que vous proposez finalement d'instaurer des
règles plus contraignantes pour les fonctionnaires, règles qui ne répondent pas
à une véritable nécessité et qui s'analysent, une fois encore, comme une sorte
de suspicion à leur égard.
Je ferai la même observation s'agissant de l'allongement de six mois à un an
de la durée de l'inéligibilité professionnelle. La justification qui en est
donnée par l'exposé des motifs est le souci de cohérence avec le dispositif sur
les comptes de campagne. Mais ne risque-t-on pas ainsi d'écarter plus longtemps
de la candidature des fonctionnaires présents dans la vie locale ?
S'agissant des dispositions relatives au cumul des mandats, qui reprennent les
propositions de MM. Gélard et Dufaut, je me réjouis tout d'abord que le Sénat,
dans son souci de corriger un problème posé par l'application de l'article L.
46-1 du code électoral dans sa rédaction issue de la loi du 5 avril 2000,
manifeste son attachement à la mise en oeuvre effective des dispositions
relatives au cumul des mandats auxquelles le Gouvernement et sa majorité sont,
en effet, très attachés.
Dans le cas visé par la proposition de loi, il s'agit des personnes déjà
titulaires de deux mandats locaux - qui est le maximum autorisé par la loi - et
qui, par le mécanisme du suivant de liste, accèdent à un troisième mandat, soit
de conseiller municipal, soit de conseiller régional. Dans ce cas, et
conformément au caractère général des dispositions actuelles, ce dernier mandat
est considéré comme le plus récemment acquis. Prenons le cas d'une personne
élue conseiller général ou conseiller municipal en mars 2001 et qui,
postérieurement, peut devenir conseiller régional à la suite de la démission
d'un précédent de liste : ce nouveau conseiller régional ne pourra pas renoncer
à ce dernier mandat, quand bien même l'élection régionale a lieu en 1998. Le
Gouvernement avait bien perçu ce qu'une telle lecture de l'article L. 46-1
pouvait avoir
in fine
de contraire à la volonté du législateur, qui
consistait précisément à empêcher qu'une personne démissionne, aussitôt élue,
de son dernier mandat.
Encore convient-il de relever que, pour les suivants de liste des
représentants au Parlement européen qui sont déjà titulaires de deux mandats
acquis antérieurement, la même loi est plus souple puisqu'elle permet de
choisir le mandat qu'ils veulent abandonner.
Ce problème a fait l'objet de l'une des questions soumises à l'avis du Conseil
d'Etat en juin 2000. La réponse qu'il a apportée est sans ambiguïté : le mandat
acquis par le suivant de liste pour pourvoir un siège devenu vacant est bien le
dernier mandat acquis, celui qui ne peut être abandonné. Il y a donc une
lecture littérale de l'article tel qu'il est rédigé aujourd'hui.
Se posera en 2004, lors de l'élection des représentants au Parlement européen,
le problème des personnes déjà titulaires de deux mandats locaux qui deviennent
député européen et qui pourront cumuler ces trois mandats, tandis que celles
qui seront élues au Parlement européen et qui acquerraient ultérieurement un
autre mandat devront en abandonner un.
Je vois donc tout l'intérêt qu'il pourrait y avoir à corriger dès à présent
cette situation, qui a pu produire ses effets dans un certain nombre de cas
puisqu'on a vu des démissions intervenir après les élections municipales.
Toutefois, le Gouvernement estime qu'il n'est pas encore opportun, un an après
l'entrée en vigueur du texte, et surtout parce que les différents contentieux
n'ont pas encore été tranchés, de modifier la loi. Il nous paraît nécessaire de
prendre un peu de recul, mais la discussion parlementaire peut aider avant
d'envisager des correctifs d'ensemble.
Enfin, s'agissant des adaptations de la législation sur les sondages
d'opinion, la proposition de loi déposée sur l'initiative de M. Hoeffel vise à
répondre à un débat qui a été ouvert depuis plusieurs années.
En interdisant de publier des sondages d'opinion pendant la semaine qui
précède un scrutin, la loi du 19 juillet 1977 entendait préserver la libre
détermination du citoyen. Cette loi pouvait être appréciée positivement. Mais
chacun sait que les règles en vigueur sont de moins en moins adaptées à la
diversification des modes d'accès à l'information. Cette diversification ne
fait que s'amplifier avec le développement d'Internet. Elle produit des effets
pervers. Des sondages dont la qualité ne peut être contrôlée sont de fait
diffusés. Tous les citoyens n'en ont pas connaissance, mais ces sondages
peuvent servir à nourrir toutes les rumeurs à la veille d'une élection, et
certains médias, par différents procédés, notamment satiriques, ont tendance,
par ce biais, à s'affranchir de la loi. C'est pourquoi le Gouvernement n'est
pas, par principe, opposé à la modification de la législation. Toutefois, ce
sujet important mériterait sans doute d'être traité dans un texte spécifique,
après un débat plus approfondi. Je crois que la proposition de loi présente
l'intérêt d'engager le débat sur ce point. Aussi, sur cet aspect, je m'en
remettrai à la sagesse de la Haute Assemblée.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me
réjouis que le Sénat ait fait le choix d'étudier aujourd'hui, dans le cadre de
son ordre du jour réservé, les deux propositions de loi que j'avais pris
l'initiative de déposer cet été avec une grande partie des collègues de mon
groupe.
A cet égard, je tiens à remercier d'emblée notre excellent rapporteur, M.
Gélard, pour le travail minutieux et remarquable qu'il a dû accomplir pour
harmoniser les conditions d'inéligibilités professionnelles, règles qui, nous
avons eu l'occasion de le constater, méritaient, depuis de nombreuses décennies
déjà, un toilettage approfondi.
La genèse de ces propositions de loi est très simple. Il suffit d'ouvrir un
code électoral aux articles concernant ces inéligibilités pour être frappé par
la monotone succession de professions interdites, interminable litanie faisant
coexister des métiers qui soit n'existent plus depuis longtemps, soit n'ont
rigoureusement rien en commun.
L'opacité de cette énumération de plus de cent catégories professionnelles
présentait au moins un avantage pour certains. Il régnait une telle variété de
situations que les plus rusés pouvaient sans nul doute allègrement naviguer
entre les statuts pour n'être jamais frappés par la moindre inéligibilité.
Vous me permettrez, à mon tour et après M. le rapporteur, de citer quelques
exemples qui suffisent à eux seuls à démontrer la pertinence et la nécessité
d'une harmonisation des conditions d'inéligibilité.
Tout d'abord, les militaires ainsi que les magistrats peuvent être candidats
aux élections européennes alors que le principe de l'inéligibilité de ces deux
corps est posé dans les dispositions du code électoral communes aux différentes
élections.
De plus, selon le principe que nous venons de rappeler, les magistrats ne
peuvent être candidats à un mandat, mais, faisant exception à cette règle, les
magistrats des chambres régionales des comptes peuvent tout de même devenir
parlementaires alors que les autres mandats leur restent interdits.
Par ailleurs, si les préfets de région ainsi que les autres préfets ne peuvent
être députés ou conseillers municipaux, ceux-ci peuvent tout de même devenir
conseillers généraux ou conseillers régionaux.
L'incohérence de ce système atteint son paroxysme avec les emplois de
préfecture puisque les chefs de division de préfecture peuvent solliciter tous
les mandats à l'exception de ceux de parlementaires mais
a contrario
les
directeurs et chefs de bureau de préfecture peuvent être parlementaires et
exercer n'importe quel autre mandat à l'exception du mandat de conseiller
municipal.
Les ingénieurs des eaux et forêts ne peuvent pas devenir parlementaires alors
que les agents des eaux et forêts le peuvent mais ne peuvent pas devenir
conseillers généraux ou conseillers régionaux.
Enfin, le dispositif devient ubuesque dans les postes et télécommunications
puisque les directeurs ne peuvent pas être parlementaires mais le mandat de
conseiller général ou de conseiller régional leur reste accessible. En
revanche, les directeurs départementaux ne peuvent être ni l'un ni l'autre,
alors que, dans le même temps, les inspecteurs départementaux peuvent être
parlementaires mais en aucun cas conseillers généraux ou régionaux.
Permettez-moi d'interrompre ces élucubrations qui, avant de provoquer votre
lassitude, auront eu au moins, je n'en doute pas, le mérite de justifier à
elles-seules la nécessité de mettre un terme à ces situations plus que
bizarres.
Il est aisé de comprendre les raisons pour lesquelles nous en sommes arrivés
là. La loi de 1875 était fort claire. Elle avait fixé les principes de base de
l'inéligibilité relative, considérant à juste titre qu'un fonctionnaire
exerçant une fonction d'autorité et de prestige dans un ressort quelconque ne
pouvait utiliser à des fins électorales cet avantage. Les lois de 1902, de 1912
et celles qui ont suivi compliquèrent, touche après touche, le dispositif,
instaurant, au gré des majorités et des coalitions d'intérêts, de nouvelles
inéligibilités pour certaines professions ou excluant du dispositif telle ou
telle catégorie professionnelle.
Ces propositions de loi étaient donc sous-tendues par deux principes fort
simples au demeurant : d'une part, il s'agissait d'harmoniser les règles en
vigueur afin qu'une profession engendrant une inéligibilité pour un certain
type d'élection entraîne en conséquence la même inéligibilité pour les autres
scrutins ; d'autre part, il s'agissait de confirmer à nouveau le principe de
1875 selon lequel les fonctionnaires exerçant une fonction d'autorité ou de
prestige ne peuvent être candidats dans le ressort de leurs compétences et de
l'actualiser à la situation de 2001 dans la mesure où il n'aura échappé à
personne que la fonction publique, ses missions et ses métiers se sont
largement développés depuis les débuts de la IIIe République.
L'extension du régime des inéligibilités professionnelles pour tenir compte du
développement de la fonction publique est à la fois nécessaire et équitable.
J'en veux pour preuve, par exemple, le fait que le directeur de cabinet d'un
président de conseil régional ne peut se présenter nulle part dans la région,
pas même en tant que conseiller municipal dans une petite commune, alors que le
directeur de cabinet du maire de la capitale régionale peut légalement siéger
au conseil général du département de la ville chef-lieu. Rien ne justifie cette
inégalité de traitement.
Il est juste non seulement d'harmoniser les règles, mais également de tendre
vers l'extension de ce régime des inéligibilités professionnelles à toutes les
fonctions d'autorité.
Les esprits chagrins ou malicieux ne manqueront sans doute pas de considérer
de manière un peu hâtive que ces propositions de loi ne visent que les
fonctionnaires, seuls à bénéficier de l'exercice des fonctions locales
d'autorité.
Mais il est temps d'atténuer les déséquilibres qui se manifestent entre les
chances des candidats issus de la société civile et celles des candidats
émanant de la fonction publique. Les agents publics représentent 25 % des
actifs dans notre pays contre 17 % en Allemagne ou 15 % au Royaume-Uni. Et
pourtant, plus de 40 % des députés élus en 1997 à l'Assemblée nationale sont
des fonctionnaires.
Est-il normal que, dans un département du sud-ouest de la France - vous
constatez que je reste extrêmement vague pour ne pas être accusé d'être
déplaisant
(sourires)
-...
M. Alain Dufaut.
Nous avons compris !
M. Josselin de Rohan.
... six parlementaires sur sept soient issus du secteur public ? On pourrait
trouver des cas semblables dans bien d'autres départements.
Le pays réel n'est plus reflété dans sa diversité. La société du statut écrase
la société du risque. Aussi, ne saurait-on s'étonner du divorce croissant entre
les opinions publiques et certaines des assemblées censées les représenter.
(MM. Del Picchia et Joyandet applaudissent).
Un observateur note que la classe politique est désormais issue en majeure
partie de la haute fonction publique ; c'est le système des castes appliqué à
la France : « La politique est de plus en plus réservée à cette caste. Très
rares sont ceux qui, originaires du privé, peuvent survivre dans le métier de
la politique. Sauf à hériter de moyens politiques importants. Cette caste a en
effet le privilège de pouvoir faire de la politique un métier puisque ses
membres sont détachés et qu'ils disposent d'une assurance emploi illimitée et,
même, de fonds de pension pour leur retraite. Il faut évidemment mettre fin à
ce privilège, si on veut aérer la vie politique française et faciliter son
renouvellement. C'est pourtant très simple : il suffit de contraindre les
fonctionnaires à démissionner dès lors qu'ils briguent un mandat électif. Une
loi suffit, voilà un bel engagement de campagne électorale. »
M. Jean-Pierre Schosteck.
Tout à fait !
M. Josselin de Rohan.
« Chiche !
« C'est ce que font les Anglais, et la qualité de la politique anglaise n'est
pas ridicule comparée à la nôtre. »
Quel est l'ultra-libéral qui tient ces propos iconoclastes ? C'est M. Serge
July,...
M. Jean-Pierre Schosteck.
Tiens, tiens !
M. Josselin de Rohan.
... chroniqueur plus proche de la majorité plurielle que de la majorité
sénatoriale !
Vous noterez que nos propositions ne sont pas aussi radicales que celles de M.
July.
M. Guy Allouche.
Il n'était pas maoïste, avant ?
M. Josselin de Rohan.
Nous ne demandons pas la démission des agents publics préalablement à la
candidature à des fonctions électives, mais souhaitons simplement rééquilibrer
un peu l'égalité des chances devant le suffrage.
Vous me permettrez de regretter que, malgré la grande convergence de vues sur
l'ensemble, certaines de nos propositions n'aient pas été retenues par la
commission des lois : le placement de droit en disponibilité, au lieu du
détachement, du fonctionnaire nommé membre du Gouvernement, élu parlementaire
national ou européen, président d'un conseil général ou régional ou maire d'une
ville de plus de 100 000 habitants semblait tout à fait acceptable. Nous
connaissons beaucoup de cas de fonctionnaires qui ont été placés en
disponibilité pour exercer des emplois soit dans des entreprises publiques,
soit dans des entreprises privées, et qui ont pu réintégrer leur administration
d'origine sans aucun dommage pour eux ni même, d'ailleurs, pour leur avancement
ultérieur, et je pense que l'on aurait pu en faire autant pour le Parlement. Le
détachement est en effet un filet de sécurité supplémentaire dont ne disposent
en aucune manière les membres de la société civile.
Ce qui me semble moins acceptable, c'est que des fonctionnaires placés en
position de détachement pour l'exercice d'un mandat puissent, une fois leur
corps réintégré, bénéficier tout de même d'avancement et d'augmentation de leur
rémunération comme s'ils avaient continué à exercer leur profession. Mais, sur
ce point, un tempérament très utile a été apporté.
Il me semblait que mettre fin à ces privilèges ne pouvait être qu'un
indicateur fort d'une volonté politique de mettre fin à des privilèges ne
concernant qu'un petit nombre.
J'exprime en revanche ma plus grande satisfaction de voir les dispositions
relatives à l'avancement des fonctionnaires durant l'exercice de leur mandat
reprises et les seuils abaissés.
Nos propositions de loi n'ont jamais eu l'ambition de bouleverser les règles
électorales en vigueur. M. le rapporteur de la commission des lois en a
parfaitement défini l'esprit lorsqu'il écrit qu'elles ont pour but de «
préserver la liberté de l'électeur, aucun candidat ne devant se trouver en
situation, par l'influence ou l'autorité que lui confèrent ses fonctions,
d'orienter le vote de l'électeur dans l'espace où il les exerce. Il convient
aussi de préserver l'indépendance de l'élu dont les décisions ne doivent en
aucune manière interférer avec des fonctions administratives d'autorité ».
N'est-ce pas le Conseil constitutionnel lui-même qui, à deux reprises - vous
l'avez d'ailleurs dit, monsieur le rapporteur -, a appelé le législateur à
réexaminer les listes des personnes inéligibles au Parlement afin de les
adapter aux évolutions de la société et de ses institutions ?
Nous espérons que les propositions de loi recueilleront l'adhésion de la Haute
Assemblée. Elles sont une contribution modeste à la modernisation de notre vie
publique, mais elles s'inscrivent - M. le ministre a eu tout à fait raison de
le noter - dans une perspective beaucoup plus vaste qui doit conduire à une
véritable réforme de nos moeurs et de nos pratiques politiques.
A ce sujet, il nous semble indispensable d'entreprendre une réflexion
approfondie sur les raisons qui conduisent tant de nos concitoyens
n'appartenant pas à la sphère publique à se désintéresser des mandats électifs
ou à se détourner de la vie politique. Nous devons nous efforcer de trouver des
remèdes à cette situation. Ce ne sont pas seulement certains avantages ou
certains privilèges qui entaînent une emprise excessive de la fonction publique
sur le monde politique. Celle-ci règne plus souvent par défaut que par souci
extrême de domination. Elle occupe un vide qu'on ne songe pas à lui
disputer.
Aussi ne suffit-il pas de mettre des bornes aux ambitions électorales des
fonctionnaires ; il faut encourager ceux qui ne le sont pas à solliciter les
suffrages de leurs concitoyens et leur faciliter l'accès aux mandats
électifs.
Cet objectif nous semble aussi pressant, aussi important, aussi souhaitable
que la recherche de la parité entre les hommes et les femmes dans les fonctions
électives. Nous devons rechercher la parité entre la société civile et la
société administrative afin d'assurer un libre accès aux fonctions électives.
Il ne saurait en effet exister deux catégories de citoyens : ceux qui peuvent
exercer des mandats et des charges et ceux à qui cette possibilité serait de
fait refusée.
Je m'étonne quelque peu des propos aimablement polémiques de M. le ministre
des relations avec le Parlement : selon lui, la volonté de mettre des bornes à
certains excès s'expliquerait par une hostilité à l'égard de la fonction
publique. Voilà qui m'amuse beaucoup dans la mesure où, tout comme le doyen
Gélard, j'ai effectué la totalité de ma vie professionnelle au service de
l'Etat ! Par conséquent, il est plutôt plaisant de se voir accuser d'hostilité
à la fonction publique. Vos propos, monsieur le ministre, me font quelque peu
penser à ces dévots de l'époque de Louis XIV, qui stigmatisaient
Tartufe
, parce que en combattant l'hypocrisie, on portait atteinte à
l'Eglise. Ainsi, en voulant mettre un terme à certains excès ou du moins les
réprimer, ce serait à la fonction publique que l'on s'attaquerait. Cela ne
trompe personne !
L'extrême sensibilité que vous manifestez, monsieur le ministre, n'aurait-elle
pas comme fondement le soutien que vous trouvez auprès de certaines catégories
de personnels, qu'il vous faut donc ménager, plutôt que la recherche d'un
véritable équilibre dans ce pays ?
Quoi qu'il en soit, vos propos laissent, à mon avis, mal augurer de la suite
de notre proposition de loi, et je doute fort que vous mettiez beaucoup de zèle
à la défendre devant l'Assemblée nationale, même si je ne me faisais pas
beaucoup d'illusions à cet égard. Mais je vous le dis tout de suite, monsieur
le ministre : nous avons entamé aujourd'hui un débat qu'il nous faudra ensuite
ouvrir devant la nation. Ne doutez pas que, lors des prochaines consultations
électorales, nous le fassions, et ce dans le souci, non pas, bien entendu,
d'opposer une catégorie de Français éminemment respectable à une autre, mais de
réformer nos institutions, de les moderniser et d'agir dans le sens d'une
beaucoup plus grande équité.
Telles sont les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, je souhaite que
vous votiez ces propositions de loi, dans les termes mêmes retenus par la
commission.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant
d'aborder le fond de notre débat, je présenterai une remarque sur le contenu
des séances mensuelles réservées par priorité à l'ordre du jour fixé par le
Sénat.
La réforme de 1995, qui nous permet de consacrer une journée par mois à
l'étude des propositions de loi, est une conquête des parlementaires faisant
suite à une revendication présentée depuis fort longtemps.
J'observe cependant que ces séances mensuelles réservées par priorité à
l'ordre du jour fixé par le Sénat se transforment, au fil des mois, en séances
fourre-tout : M. le ministre a parlé pudiquement de « diverses dispositions »
ce qui n'est pas péjoratif puisque l'intitulé de certains projets de loi
comporte une telle formule.
Néanmoins, peut-être nous faudra-t-il veiller à l'avenir à aborder, au cours
des séances de ce type, des sujets longuement préparés et mûrement réfléchis,
si possible, liés entre eux. C'est ainsi qu'aujourd'hui, par exemple, il est
difficile de discerner un lien direct entre les sondages d'opinion et
l'indispensable toilettage du code électoral !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Ah bon ! Pourquoi ? Les sondages concernent bien les élections !
M. Guy Allouche.
Oui, les sondages d'opinion concernent naturellement les élections ! Mais je
pense qu'il faut éviter de traiter aussi vite des sujets difficiles et
sensibles, qu'il faut prendre le temps d'analyser les sujets présentés dans le
cadre de l'ordre du jour réservé, conquête des parlementaires qu'il faut
veiller à bien utiliser.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Il y a donc des questions qui ne doivent pas être posées ? Cela me rappelle
des choses !
M. Guy Allouche.
M. Schosteck fait toujours dans la nuance ! On le connaît !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Autant que vous !
M. Guy Allouche.
Mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui un ensemble de textes qui
traitent du régime des inéligibilités et incompatibilités pour les différents
mandats électoraux, de la situation du fonctionnaire qui interrompt son
activité professionnelle pour exercer un mandat ou une fonction élective et de
la révision de la législation de 1977 relative aux sondages d'opinion.
Toutes ces questions méritent une attention particulière, et le fait que les
dispositions proposées soient d'origines diverses ne doit pas nous faire perdre
de vue que nous abordons un sujet fondamental, en démocratie, qui intéresse
tout d'abord directement la liberté de vote du citoyen, sa qualité éventuelle
de candidat et son information à l'occasion de l'organisation de consultations
électorales, mais également l'indépendance de l'élu, quand il est
fonctionnaire, à l'égard du pouvoir politique.
S'agissant des dispositions relatives au suivant de liste, je ne m'étendrai
pas sur la proposition visant à accorder à l'élu ayant acquis automatiquement
un mandat local en tant que suivant de liste une liberté de choix entre des
mandats incompatibles.
Certes, on peut considérer, monsieur le rapporteur, qu'il s'agit là d'une
solution de bon sens.
(M. le ministre approuve.)
Il est vrai que vous
avez mis l'accent sur un cas particulier, et qui l'est d'autant plus lorsque le
suivant de liste accède à une fonction quatre ou cinq ans après les
élections.
En fait, nos travaux de l'an dernier avaient leur logique, et surtout ils
étaient sous-tendus par une forme de respect du citoyen et de l'électeur. En
effet, nous sommes nombreux à penser qu'il n'est pas normal que quelqu'un fasse
campagne pour se faire élire à une fonction importante, conduise parfois une
liste et, une fois élu, démissionne. Nous nous étions conformés à une logique
et, comme l'a dit M. le ministre, je pense qu'il est un peu tôt pour
reconsidérer ce qui a été fait l'an dernier, même si, je le répète, il y a du
bon sens, monsieur le rapporteur, dans les propos que vous avez tenus.
Approfondissons, là aussi, notre réflexion, mais veillons au respect de
l'électeur.
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Monsieur Allouche, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Guy Allouche.
Je vous en prie, monsieur Gélard.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Monsieur Allouche, je voudrais simplement vous poser une
question : pourquoi a-t-on prévu la liberté de choix entre des mandats
incompatibles pour les députés européens ? Je pense qu'en réalité ce point a
été omis dans la loi relative aux élections régionales et municipales. En
revanche, les députés européens, qui peuvent obtenir leur mandat deux ou trois
ans après les élections, sont libres de choisir.
M. Alain Dufaut.
C'est pareil !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche.
Nous n'allons pas reprendre aujourd'hui le débat sur le cumul des mandats,
monsieur le rapporteur. Beaucoup d'entre nous et nombre de nos collègues
députés ont effectivement plaidé pour cette liberté de choix, car initialement
le dispositif était plus rigide : il prévoyait que les députés européens ne
pourraient pas prétendre à un autre mandat. Un assouplissement a été introduit
- mais ne m'en faites pas grief - alors que, au départ, une distinction était
établie sur ce point entre mandat national et mandat européen.
Encore une fois, j'affirme qu'il y a du bon sens dans les propositions qui
nous sont faites aujourd'hui ; mais nous devons prendre garde à respecter les
électeurs, et les Français nous le font savoir régulièrement.
S'agissant de l'actualisation et de l'harmonisation des régimes des
inéligibilités professionnelles, les textes en vigueur concernant les élus
méritent un toilettage, car certains d'entre eux ne correspondent plus à la
réalité et, dans l'ensemble, ils manquent de cohérence. Une harmonisation
s'impose donc.
La matière étant d'interprétation stricte, les cas d'inéligibilité doivent
être prévus par un texte que le juge doit interpréter de façon rigoureuse. Le
Conseil constitutionnel a dénoncé cette situation par deux fois, en invitant le
législateur à agir. N'est-il pas pour autant hâtif d'opposer aux élus locaux de
manière symétrique et sans distinction la liste des catégories de personnes
inéligibles au Parlement ? La question peut être légitimement posée.
Or, au seul motif de ne pas alourdir le régime des inéligibilités, M. le
rapporteur ne prend pas en considération la catégorie des mandats et fonctions,
le nombre d'habitants et le ressort du mandat local dans sa proposition
d'harmonisation. Celle-ci repose sur un travail d'analyse peut-être incomplet
et ne permettant pas de distinguer, selon leur importance, les mandats et
fonctions. Pourtant, la taille de la collectivité ou la nature de la fonction
représentent des critères pertinents, à prendre en considération.
Le passage de six mois à un an de la durée de l'inéligibilité professionnelle
fera l'objet de la même observation de ma part. Dans le droit actuellement en
vigueur, cette durée est non pas uniforme, mais graduée : trois ans pour les
préfets, un an pour les sous-préfets et six mois pour les autres fonctionnaires
d'autorité. Elle est également souple dans son application puisque, pour les
seules élections locales, les fonctionnaires partant en retraite sont
éligibles, même s'ils ont cessé d'exercer leurs fonctions dans le ressort
depuis moins de six mois. Ils ont cet avantage.
Par conséquent, la proposition de porter de six mois à un an la durée de
l'inéligibilité n'est-elle pas disproportionnée au regard de la spécificité de
certains mandats ? En tout état de cause, cela contraindrait le fonctionnaire
d'autorité à renoncer peut-être prématurément à l'exercice de ses fonctions.
En ce qui concerne le régime des incompatibilités professionnelles, l'exposé
des motifs des propositions de loi initialement déposées par M. de Rohan est
suffisamment explicite, même s'il ne mentionne pas expressément les
fonctionnaires d'autorité. Il indique que l'objet de ces propositions de loi
est « d'éviter que les mandats électoraux soient "trustés" par des personnes
exerçant des professions leur donnant un avantage prépondérant par la nature
même des fonctions et l'autorité qu'elles exercent dans leur ressort ». En
fait, elles ne visent que l'exercice des fonctions électives par des
fonctionnaires, et les propos tenus à cette tribune par M. de Rohan n'ont
porté, pour l'essentiel, que sur ces derniers. Je ne m'y attendais pas !
M. Josselin de Rohan.
De quoi parle-t-on ? C'est le sujet !
M. Guy Allouche.
M. le ministre disait que vos propositions, monsieur de Rohan, comportaient un
aspect technique, mais aussi un aspect politique.
M. Josselin de Rohan.
Je n'ai pas dit le contraire !
M. Guy Allouche.
J'ai envie de faire remarquer à M. le ministre que M. de Rohan est le
président non pas d'un club de pétanque, mais d'un groupe politique, et que
tout ce qu'il fait est politique.
M. Josselin de Rohan.
Evidemment !
M. Guy Allouche.
Mais ce n'est pas un reproche !
(Rires.)
Ce débat, nous l'avons d'ailleurs eu en commission des lois, et les
interventions de certains de nos collègues ont été révélatrices, parce qu'elles
ont porté entièrement sur le sort privilégié des fonctionnaires. En
l'occurrence, monsieur de Rohan, vous êtes le symbole même du travers français
!
M. Josselin de Rohan.
Ah bon ?
(Sourires.)
M. Guy Allouche.
Plutôt que d'inciter les citoyens à se tourner vers l'action politique, plutôt
que de dire, à l'heure où l'on s'inquiète du désintérêt des Français pour la
chose publique, que nous devons nous efforcer à encourager le plus grand nombre
possible de nos concitoyens, quelle que soit la catégorie sociale à laquelle
ils appartiennent, à faire de la politique, ...
M. Alain Dufaut.
Il l'a proposé !
M. Guy Allouche.
... vous voulez pénaliser ceux qui souhaitent s'engager dans cette voie.
M. Josselin de Rohan.
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Allouche ?
M. Guy Allouche.
Je vous en prie, monsieur de Rohan. Je ne veux pas me priver de ce plaisir !
(Sourires.)
M. le président.
La parole est à M. de Rohan, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Josselin de Rohan.
Monsieur Allouche, je comprends très bien que vous me reprochiez les propos
que j'ai pu tenir, mais je suis très étonné que vous me reprochiez des propos
que je n'ai pas tenus.
En effet, si vous aviez écouté mon intervention, vous auriez constaté que
j'énonçais très précisément ce que vous venez de dire, à savoir qu'il
s'agissait non pas seulement d'empêcher des excès, mais aussi de donner l'envie
et la possibilité à d'autres d'accéder aux fonctions électives. J'ai dit, et je
suis désolé de devoir me citer, que la fonction publique régnait par défaut, et
j'ai même ajouté - je le pense sincèrement, pour avoir été moi-même
fonctionnaire - qu'elle ne cherchait pas à dominer la vie de ce pays, mais
qu'il en était ainsi parce que la force des choses y conduisait. C'est tout
!
Je vous remercie de m'avoir permis de vous interrompre, monsieur Allouche, car
je voulais faire cette mise au point.
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche.
Vous semblez découvrir aujourd'hui, monsieur de Rohan, une situation qui
perdure depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies. Mais, monsieur de
Rohan, au temps où vous aviez les moyens d'agir, ...
(Exclamations amusées
sur les travées du RPR.)
M. Josselin de Rohan.
Ah, voilà !
M. Guy Allouche.
... pourquoi n'avez-vous pas élaboré un statut de l'élu ?
M. Josselin de Rohan.
Vous ne l'avez pas fait non plus !
M. Guy Allouche.
Nous avons commencé. Le dispositif est certes encore très imparfait, ...
M. Josselin de Rohan.
Ça oui !
M. Guy Allouche.
... je le reconnais, mais pourquoi n'avez-vous jamais formulé aucune
proposition visant à définir un statut de l'élu ?
M. Josselin de Rohan.
C'est vous qui êtes au pouvoir !
M. Guy Allouche.
Vous dressez aujourd'hui un constat qui relève de l'évidence.
M. le président.
Monsieur Allouche, permettez-moi de vous faire observer que le Sénat a pris
l'initiative, par l'intermédiaire de plusieurs de ses membres, de déposer une
proposition de loi sur le statut de l'élu. Ce texte a récemment fait l'objet de
très longs débats dans cette enceinte, et nous attendons maintenant avec
impatience que le Gouvernement en saisisse l'Assemblée nationale.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. Guy Allouche.
Je vous remercie, monsieur le président, de cette précision, mais je visais,
dans mon propos, les formations politiques considérées à l'échelon national, et
non pas seulement mes collègues de la majorité sénatoriale, bien entendu !
M. Josselin de Rohan.
Ils n'en font pas partie ?
M. Guy Allouche.
Cela étant, M. de Rohan prend ses sources chez M. Serge July.
M. Josselin de Rohan.
Quelle horreur !
M. Guy Allouche.
Pas du tout !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Horresco referens !
M. Josselin de Rohan.
Je croyais que c'était votre ami !
M. Guy Allouche.
C'est un constat que je fais, monsieur de Rohan : vous vous inspirez des
propos de M. Serge July, j'espère donc que vous en tiendrez également compte
dans bien d'autres domaines.
M. Josselin de Rohan.
Nous verrons !
(Sourires.)
M. Guy Allouche.
S'agissant des fonctionnaires, je vous le dis sincèrement, nous ne pouvons pas
accepter vos déclarations, et puisque vous avez affirmé que ce point ferait
l'objet de la prochaine campagne électorale, je vous dis : chiche !
M. Philippe François.
Comme dit July !
M. Guy Allouche.
Chiche, et tant mieux ! En effet, vous verrez comment les fonctionnaires
réagiront !
J'ajoute que lorsque les Français se prononcent à l'occasion des élections,
ils choisissent une candidate ou un candidat en fonction non pas de sa
profession, mais de sa personnalité et de ses convictions. Or, quand je suis
intervenu à cette tribune lors du débat sur le cumul des mandats, ou plutôt sur
le non-cumul des mandats, de nombreux collègues siégeant à droite de
l'hémicycle m'ont dit qu'il fallait laisser l'électeur libre de choisir, y
compris, éventuellement, un « cumulard ».
M. le président.
Il est souverain !
M. Guy Allouche.
Vous parlez d'or, monsieur le président, comme toujours... ou presque !
(Rires.)
Par conséquent, en suivant cette logique, il faut également laisser l'électeur
libre de désigner un fonctionnaire s'il le souhaite.
M. Josselin de Rohan.
Il n'a pas le choix !
M. Alain Dufaut.
Il n'y a que des fonctionnaires !
M. Guy Allouche.
Il est question, dans le rapport de M. Pierre Mauroy, du statut de l'élu ;
j'espère que, très prochainement, le Parlement débattra de ce sujet, car cela
devient urgentissime !
M. Alain Dufaut.
On est d'accord !
M. Guy Allouche.
Il devient urgentissime de permettre à tous les citoyens, quelle que soit leur
condition professionnelle, d'accéder aux mandats électifs.
Enfin, j'évoquerai la publication des sondages d'opinion.
A cet égard, la commission des lois nous suggère de retenir le dispositif de
la proposition de loi visant à modifier la loi de 1977 et à restreindre
l'interdiction de publier ou de diffuser des sondages à la veille et au jour du
scrutin.
Toutefois, elle assortit cette autorisation de garanties supplémentaires en
renforçant les pouvoirs de la commission des sondages.
La démarche équilibrée et prudente du rapporteur témoigne de la difficulté
qu'il y a à légiférer dans une matière sensible qui intéresse l'information du
citoyen et la capacité de ce dernier à choisir ses représentants en toute
clairvoyance et en toute responsabilité.
La loi de 1977 partait d'une intention louable : donner aux électeurs le temps
de la réflexion en les plaçant à l'abri de l'influence des enquêtes
d'opinion.
Cette préoccupation est toujours d'actualité, mes chers collègues.
Il serait irresponsable d'ouvrir un espace de liberté sans prévenir les
possibles débordements qui transformeraient un sondage, simple instrument
d'analyse et d'information préélectoral, en élément de propagande politique. Le
risque existe d'une atteinte indirecte ou même volontaire à la sincérité du
scrutin.
Dans ces conditions, il convient d'ouvrir la réflexion sur le rôle et les
pouvoirs accrus accordés à la commission des sondages et sur l'aggravation des
sanctions, non seulement à l'égard de l'organe de presse qui a commandé et
acheté le sondage, mais aussi à l'encontre de l'organisme ayant réalisé ce
sondage.
M. le président.
Oui, très juste !
M. Guy Allouche.
Quoi qu'il en soit, il me paraît qu'un tel sujet mérite un approfondissement,
et je veux remercier les auteurs de la proposition de loi, ainsi que notre
rapporteur, d'avoir engagé aujourd'hui cette réflexion. Ce n'est que le début
et, effectivement, il nous faudra aller beaucoup plus loin.
En effet, nous connaissons aujourd'hui notre faible capacité d'action face aux
effets de la mondialisation de l'économie. Nous voilà aujourd'hui confrontés à
la mondialisation de l'information, grâce au développement des techniques
nouvelles de communication numérique. Quelle doit être la position du
législateur ? Doit-il abroger une loi sous prétexte qu'elle est mal respectée
ou qu'elle ne peut plus y être appliquée ? Doit-on continuer à entretenir une
certaine inégalité entre citoyens résultant de l'accès différencié aux
technologies modernes de l'information ? Peut-on encore considérer l'électeur
comme une personne trop influençable pour bénéficier de ce type d'information
?
La digue érigée voilà plus de vingt ans ne peut plus résister. Mais ce n'est
pas en légiférant sans approfondir la réflexion que l'on pourra convenablement
mettre à plat la législation en vigueur et fixer des règles du jeu
transparentes pour les électeurs comme pour les sondeurs.
Quand je parle de renforcer les moyens de la commission des sondages,
j'entends par là qu'il faut lui donner tous les moyens d'intervenir, si
possible avant la publication. Monsieur le rapporteur, vous affirmiez que la
commission avait un pouvoir de réaction en cas d'abus : mais c'est un effet
a posteriori
.
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Il y a toujours l'engagement écrit !
M. Guy Allouche.
Imaginons que, demain, un sondage manipulé très orienté soit publié à
quarante-huit heures d'un scrutin national important. Le scrutin se déroule
dans des conditions serrées ; la victoire est obtenue avec quelques milliers de
voix. On peut penser que le sondage d'opinion qui a été publié n'a pas été sans
influence. Nous connaissons tous ce que j'appellerai le « panurgisme » des
médias : un média diffuse les résultats d'un sondage, lesquels sont repris à
tous les échelons, national, régional, départemental, local, bref par tous et
cela peut avoir une influence sur le comportement des électeurs.
Verra-t-on le Conseil constitutionnel annuler une élection si la commission
s'aperçoit, quarante-huit heures après, qu'il y avait manipulation ? C'est une
hypothèse qu'il ne faut pas écarter.
Bien sûr, nous ne pouvons pas aller contre le vent de l'histoire pas plus que
nous ne pouvons arrêter le progrès de la communication, mais encore faut-il
s'efforcer de le canaliser.
C'est la raison pour laquelle il faut approfondir encore la réflexion, et le
colloque qui s'est tenu ici-même, au Sénat, a permis de poser ces problèmes.
Vous savez, monsieur le rapporteur, que les spécialistes de la question sont
très partagés sur ce point. Ils sont pour la liberté qui serait ainsi accordée
mais, dans le même temps, au nom de la protection même des organes de presse et
de leur fonction, ils souhaitent que des sanctions puissent être prévues si
toutefois il y avait des abus.
Pour conclure, mes chers collègues, je vais une fois encore m'adresser très
cordialement à M. de Rohan.
M. André Jourdain.
Il le cherche !
(Sourires.)
M. Guy Allouche.
Quand on le cherche, on le trouve toujours !
(Nouveaux sourires.)
Monsieur de Rohan, vous avez coutume, et je vous comprends, de mettre en avant
l'idée selon laquelle le grand chantier de la modernisation de la vie politique
a été mis en oeuvre par l'actuel Président de la République.
M. Josselin de Rohan.
Entre autres !
M. Guy Allouche.
Je vous comprends, ...
M. Josselin de Rohan.
Mais c'est vrai !
M. Guy Allouche.
... mais comprendre, est-ce pour autant admettre et partager le propos ?
M. Josselin de Rohan.
Vous avez encore du chemin à faire !
M. Guy Allouche.
Une chose est sûre, et, dans ce domaine, ma mémoire est fidèle : c'est bien
l'actuel chef de l'Etat qui a fait la réforme de 1995 sur la session unique.
Je ne sais pas quelle appréciation chacun de nous porte aujourd'hui sur la
session unique, ...
M. Josselin de Rohan.
Qu'en pense M. Fabius ?
M. Guy Allouche.
... mais j'ai le souvenir des débats au Sénat. Nous avions comme rapporteur
notre éminent président de la commission des lois et j'étais l'un des orateurs
inscrits. Aujourd'hui, à titre personnel, le bilan que j'en tire n'est pas
celui qui était espéré.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
A qui la
faute ?
M. Guy Allouche.
Je fais mienne une remarque de M. le président de la commission des lois. Je
la trouve tellement juste qu'il me permettra de me l'approprier un peu : « On
fait plus mal aujourd'hui ce qu'on ne faisait déjà pas bien hier. »
Voilà ce qui est à mettre à l'actif de l'actuel chef de l'Etat !
M. le président.
Ce texte a été voté à la quasi-unanimité !
M. Josselin de Rohan.
M. Fabius était pour, je vous le signale, et vos amis aussi !
M. Guy Allouche.
Lui, c'est lui ; moi, c'est moi !
(Rires.)
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Me
permettez-vous de vous interrompre, monsieur Allouche ?
M. Guy Allouche.
Je vous en prie, monsieur le président.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission, avec l'autorisation de
l'orateur.
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Monsieur Allouche, vous m'avez aimablement
cité, et je confirme les propos que vous m'avez attribués. Permettez-moi
cependant d'approfondir un peu.
C'est au cours d'une conversation, peut-être avec vous, monsieur Allouche -
nous en avons souvent ! - que j'ai comparé la réforme de la session à la
théorie de l'autoroute : plus on construit d'autoroutes, plus le nombre de
voitures augmente. Eh bien, plus on allonge la durée des sessions, plus le
nombre de lois augmente ! Et l'échec de la réforme tient en grande partie à
l'attitude du Gouvernement...
M. le ministre lève les bras au ciel)
ou
plutôt des gouvernements qui, nous le constatons en cette fin de session, mais
aussi tout au long des neuf mois, nous inondent de textes d'un intérêt parfois
limité, insuffisamment préparés et qui engendrent les résultats que nous
connaissons : des lois sont votées, mais jamais appliquées.
Ainsi donc, on aurait pu peut-être trouver quelques avantages à l'allongement
de la durée des sessions, mais, sans doute pour cette raison et pour d'autres,
auxquelles nous avons d'ailleurs quelquefois réfléchi en commun, le travail
parlementaire ne s'en est pas trouvé amélioré, c'est le moins que l'on puisse
dire.
M. le président.
Veuillez poursuivre monsieur Allouche.
M. Guy Allouche.
Effectivement, en 1995, tant ici même qu'à Versailles, j'avais émis un certain
nombre de réserves et évoqué les risques que nous courions avec cette réforme.
Aujourd'hui, nombre de ces risques se vérifient.
Donc, monsieur de Rohan, je reconnais au Président de la République d'avoir
mis en chantier et accompli cette réforme de la session unique. En revanche,
d'autres réformes ont été engagées depuis 1997, réformes que je ne rappellerai
pas aujourd'hui, elles feront l'objet d'un débat que nous aurons très
prochainement.
M. Philippe François.
Les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse, par exemple !
M. Guy Allouche.
Je ne peux pas vous empêcher, monsieur de Rohan, de vous approprier certaines
choses, mais alors, optons pour la multipropriété !
M. Josselin de Rohan.
Vous êtes « partageux » par définition.
(Rires.)
M. Guy Allouche.
C'est notre nature même !
Plus sérieusement, au nom de la modernisation de la vie publique, depuis 1997,
bien des choses ont été faites. Je vais citer simplement la parité.
M. Josselin de Rohan.
Continuez, nous vous y invitons !
M. Guy Allouche.
Nous savons dans quelles conditions le débat a eu lieu au Sénat.
Je sais que bien des collègues, dans cet hémicycle comme à l'Assemblée
nationale, qui étaient très hostiles au texte se sont vite aperçus qu'ils
avaient commis une erreur.
Telles sont les remarques que je voulais formuler au nom du groupe socialiste.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Après les quatre excellentes interventions qui viennent d'être prononcées par
quatre fonctionnaires, j'invite M. Hoeffel à prendre la parole. (Sourires.)
M. Guy Allouche.
Mais qui préside le Sénat aujourd'hui ?
(Sourires.)
Un président de la République fonctionnaire... un président du Sénat
fonctionnaire...
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Et la totalité du Gouvernement !
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'excellent
rapport présenté par notre collègue Patrice Gélard a pour objet d'actualiser et
d'harmoniser les conditions d'éligibilité aux mandats électoraux et aux
fonctions électives. Ces dispositions correspondent à une nécessité, et nous
les approuvons.
Mon intervention concernera plus particulièrement les dispositions relatives à
la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion, à propos
desquels j'apporte mon entier soutien aux conclusions présentées par M. le
rapporteur.
Je conçois que l'on puisse éprouver des hésitations à modifier l'article 11 de
la loi de 1977 et à limiter à la veille du jour du scrutin l'interdiction de
publier des sondages, et non plus à la semaine précédant le scrutin.
Certains affirment que les sondages sont de nature à porter atteinte à la
sérénité et à la liberté de choix de l'électeur, lesquelles sérénité et
libertés supposent qu'il y ait une semaine sans sondages.
Je ne crois pas que cet argument soit fondé.
Le fait que les résultats électoraux puissent démentir les sondages, en France
et ailleurs, ce qui est d'ailleurs relativement fréquent, démontre que
l'électorat sait préserver sa liberté de choix. Et à ceux qui incriminent les
sondages, on peut rétorquer que la volonté de certains médias d'orienter
l'opinion ou de certains responsables d'exprimer des préférences en se fondant
sur des critères de moralité sur mesure, sont autant, sinon davantage, de
nature à fausser la liberté de jugement des électeurs, dans notre pays ou chez
nos voisins.
Cela ramène le rôle des sondages à de justes proportions. Gardons-nous de les
considérer comme des manipulateurs d'élections !
Encore faut-il que la publication et la diffusion des sondages soient adaptées
à notre temps et qu'un quart de siècle après le vote de la loi de 1977 celle-ci
soit mise à jour. C'est pour cette raison que l'institut Alain Poher a
organisé, en octobre dernier, un colloque et que l'opportunité du dépôt d'une
proposition de loi s'en est dégagée.
Plusieurs arguments militent en sa faveur.
Le premier, amplement rappelé, est l'apparition des nouvelles technologies qui
constitue un élément important. Peut-on, désormais, interdire de publier dans
les journaux français ce qui est accessible sur Internet à tous ceux qui en ont
la possibilité ? Il n'y a pas lieu de faire des discriminations entre initiés
et non-initiés. Il faut qu'il y ait égalité d'accès aux sondages pour
chacun.
Le deuxième argument est que mieux vaut publier des sondages que d'alimenter
des rumeurs aux fondements incertains. A cet égard, le sondage publié et sa
transparence sont des éléments démocratiques importants.
Le troisième argument tient au fait que, dans beaucoup de pays européens en
Grande-Bretagne, en Allemagne et dans les pays scandinaves - l'autorisation
illimitée des sondages est la règle, sans que la démocratie en souffre.
Pourquoi ne pas s'aligner sur ce qui est applicable chez nos voisins ? Il me
paraît de plus en plus naturel de tenir compte de ce qui se passe chez nos
partenaires.
La France à l'heure de son clocher
était un titre à succès voilà
cinquante ans ; il ne peut plus l'être aujourd'hui.
Mais il est évident que cette liberté accrue des sondages suppose le respect
de principes et d'une déontologie, faute de quoi, sans eux, il ne saurait y
avoir de véritables sondages. C'est la raison pour laquelle un certain nombre
de règles doivent encadrer le recours aux sondages et il est opportun de
retenir les trois conditions proposées par le rapporteur : subordination de la
publication du sondage à sa réalisation par un organisme déclaré auprès de la
commission des sondages ; exigence de la publication de mises au point en cas
de violation de la législation ; possibilité de mises au point par la
commission des sondages dans le cas de réception, en France, de sondages
publiés à l'étranger.
Ainsi, les sondages ne seraient ou ne resteraient qu'un élément d'information
parmi d'autres ; il y aurait un peu plus de place pour la transparence et un
peu moins pour la rumeur infondée ; la liberté et l'égalité dans l'accès à
l'information y gagneraient, tout en étant encadrées.
Ce sont autant de facteurs qui justifient amplement l'approbation des
propositions présentées au nom de la commission des lois par notre collègue M.
Gélard.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Dufaut.
M. Alain Dufaut.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon
intervention portera surtout sur la proposition de loi n° 280, qui concerne
plus spécifiquement l'incompatibilité liée au remplacement d'un autre élu.
Si j'ai pris l'initiative de déposer cette proposition de loi en urgence, avec
le soutien précieux de mon collègue Patrice Gélard, c'est parce que les effets
pervers de la loi sur le cumul des mandats engendrent, après les deux élections
cantonales et municipales des 11 et 18 mars, une série de dysfonctionnements
aux conséquences dommageables pour la démocratie locale.
Au-delà du scepticisme que je partageais avec nombre de mes collègues de la
majorité sénatoriale au regard d'une modification législative présentée dans
l'urgence par le Gouvernement, nous avions tous raisons de nous inquiéter
également d'un dispositif extrêmement complexe dont nous étions loin de
maîtriser toutes les conséquences.
Effectivement, il apparaît aujourd'hui clairement que la réforme, née des lois
organique et ordinaire de juillet 1999, est parfois incohérente et qu'elle
aboutit à des effets pernicieux de nature à remettre même en cause « l'objectif
ambitieux de modernisation de la vie publique » clairement affiché à l'époque
par le Gouvernement.
Il s'agit pourtant, monsieur le ministre, d'un problème sérieux, qui aurait
réclamé un traitement réfléchi et cohérent.
Le Sénat, dont une des fonctions est de prendre en compte les intérêts des
collectivités locales, ne peut en aucun cas se désintéresser des problèmes
auxquels se heurtent ces collectivités comme l'avenir de la décentralisation,
l'évolution du statut de l'élu local - qui vient d'être évoquée - et la
question du cumul des mandats.
Mais reconnaissez avec moi qu'il faut le faire après mûre réflexion, dans la
sérénité, et surtout pas dans la précipitation. Je reprends les propos que M.
Allouche tenait tout à l'heure : les sujets sensibles ne doivent pas être
traités dans l'urgence. Or, force est de le constater, nous sommes aujourd'hui
confrontés aux conséquences négatives du manque de préparation de ce texte, qui
a été élaboré dans une précipitation telle que nous sommes obligés de corriger
les imperfections qui en résultent. Cela est confirmé par la récente décision
du Conseil d'Etat dont nous avons eu connaissance le 6 avril - c'était un
vendredi, je m'en souviens très bien - décision annulant la circulaire du 28
août 2000 du ministère de l'intérieur, relative à la limitation du cumul et des
fonctions électives.
Cela crée sur le terrain des situations tout à fait ubuesques. Ainsi, des élus
qui n'avaient pas encore démissionné profitent en quelque sorte de cet
avantage, tandis que ceux qui avaient démissionné ont la possibilité de faire
des recours auprès des préfets alors qu'ils ont dégagé des places qui ont été
prises par d'autres lorsqu'il s'agissait, bien sûr, d'élections comme les
municipales, qui ont lieu à la proportionnelle. Très franchement, je ne sais
pas ce qui va se passer.
Mais un autre problème, encore plus grave, est également apparu, c'est celui
que le rapporteur, mon collègue Parice Gélard, vient d'exposer et qui justifie
le dépôt de notre proposition de loi.
Sans revenir sur le dispositif que nous proposons, permettez-moi d'insister
sur la situation ubuesque dans laquelle se trouvent aujourd'hui, sur le
terrain, de nombreux élus locaux en illustrant mon propos par un exemple. S'il
concerne directement l'un de mes collègues membre du conseil général de
Vaucluse, il concerne aussi - je le sais, car j'ai fait des recherches
entre-temps - une multitude d'autres élus sur le territoire.
Cet exemple illustre le cas que vous avez évoqué tout à l'heure, monsieur le
ministre. Une personne colistière aux élections régionales de mars 1998, mais
non élue bien que sa liste ait obtenu des sièges, obtient, en mars 2001, les
mandats de conseiller général et de maire en s'engageant, auprès de ses
électeurs, à assumer pleinement ses deux mandats.
Simultanément, frappés par la loi sur le cumul des mandats, un ou plusieurs
conseillers régionaux de sa liste de 1998 choisissent de démissionner de ce
mandat régional. Résultat, cette personne se verra élue d'office - cela vient
d'être expliqué - conseiller régional, même si elle ne le souhaite plus, à une
date postérieure à sa double élection de conseiller général et municipal de
mars 2001. De fait, elle se trouvera dans l'obligation légale de démissionner
de l'un des deux mandats acquis en mars 2001 - ces mandats étant plus anciens -
même si elle est en droit de considérer cette obligation comme quasiment
illégitime - osons le qualificatif ! - puisqu'en réalité le scrutin le plus
ancien est bien celui des régionales de 1998.
De plus, monsieur le ministre, sur ce point qui me paraît excessivement
important, ces élections régionales de 1998 - cela ne vous aura pas échappé -
sont antérieures à la promulgation de la loi sur le cumul des mandats. Très
franchement, je ne comprends pas la décision du Conseil d'Etat ! Elle a
vraiment de quoi surprendre.
En effet, il n'est pas interdit de penser que la personne qui aurait eu
connaissance de ce dispositif et de ses conséquences avant 1998 n'aurait
peut-être pas été candidate sur une liste régionale à cette époque-là !
Enfin, comment ne pas évoquer - on a des exemples dans tous les départements -
ces différentes élections partielles de maires qui font démissionner tout leur
conseil municipal, à seule fin d'être réélus à sa tête postérieurement à leur
nomination au conseil régional. Ce n'est pas normal !
De telles situations sont vraiment antidémocratiques, parce que les effets qui
s'ensuivent sont contraires à ce que souhaitaient le Gouvernement et le
législateur.
Je conclurai en rappelant la volonté du législateur.
Le dispositif, qualifié par certains de dispositif « anti-locomotive »,
introduit pour éviter que des élus ne démissionnent aussitôt après leur
élection, se retourne contre des élus qui souhaitent, au contraire, respescter
leurs concitoyens en poursuivant la tâche pour laquelle ils viennent d'être
récemment élus ou réélus.
Le respect des électeurs implique de laisser aux élus la possibilité de
conserver le mandat pour lequel ils ont été élus à peine un mois auparavant.
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, vous comprendrez qu'il nous
apparaît fondamental d'améliorer un dispositif législatif qui fait la preuve
criante de ses failles.
Si j'ai bien compris votre propos introductif, votre position consiste à
vouloir prendre du recul et à attendre de voir ce qui va se passer. Cette
attitude est d'autant plus inacceptable que c'est maintenant que le problème se
pose avec acuité ! Nous devons donc agir rapidement afin d'éviter toutes ces
élections de rattrapage qui, vous en conviendrez, monsieur le ministre, mes
chers collègues, ne font pas honneur à la démocratie locale !
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
(M. Jacques Valade remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
présidence de m. jacques valade
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux
questions bien différentes dominent le débat de ce matin : les incompatibilités
électorales et l'organisation des sondages d'opinion. Je regrette d'ailleurs
que la confusion soit créée sur des thèmes si distants.
Sur les incompatibilités électorales, les sénateurs communistes s'étonnent que
la majorité sénatoriale, hostile au projet de loi qui tentait de réduire le
cumul des mandats, aborde le sujet de la fonction élective par un biais aussi
étroit.
Il est étroit, mais aussi tendancieux, car la majorité de la commission des
lois cible essentiellement les fonctionnaires.
Si je reconnais bien volontiers qu'un toilettage, une harmonisation, une
adaptation sont nécessaires, l'évolution même des fonctions rend caduc un
certain nombre de dispositions anciennes.
Cela étant dit, je ne peux que m'interroger tout d'abord sur une omission.
Seuls les fonctionnaires seraient-ils détenteurs d'une capacité d'influencer
les électeurs ?
En 1998, lors du débat sur le cumul des mandats, nous avions suggéré
d'introduire dans la loi des dispositions concernant les administrateurs de
société et, plus généralement, les détenteurs du pouvoir économique.
M. Josselin de Rohan.
Ils ne représentent pas l'intérêt général !
M. Robert Bret.
Je vous laisse la responsabilité de vos propos, cher collègue de Rohan.
M. Josselin de Rohan.
Je l'assume très bien !
M. Robert Bret.
Il va sans dire que la droite sénatoriale a refusé catégoriquement une telle
proposition.
Améliorer la transparence de la vie politique exige sans nul doute de créer de
nouvelles incompatibilités sur ce point.
J'ai même entendu en commission des lois l'un de nos collègues évoquer la
possibilité d'intégrer dans ce régime les directeurs d'école !
M. Josselin de Rohan.
Tout à fait !
M. Robert Bret.
Cette idée, dans son excès, révèle l'agressivité de certains à l'égard des
fonctionnaires.
Ne croyez-vous pas, chers collègues, que le patron d'une entreprise ou
l'actionnaire principal, dispose, dans une collectivité locale, voire dans une
circonscription électorale, d'une influence beaucoup plus importante que bon
nombre de fonctionnaires ?
Un autre signe de cette agressivité à l'égard des fonctionnaires, c'est la
volonté d'étendre la mise en cause de l'avancement au choix des maires de
villes de plus de 100 000 habitants et des présidents de conseils généraux.
Cette proposition est symptomatique de ce texte, un texte très ciblé, comme je
l'ai déjà dit.
Autrement dit, mes chers collègues, et sans esprit chagrin, monsieur de Rohan,
nous n'approuvons pas la manière dont la gestion des incompatibilités est
abordée aujourd'hui par la majorité sénatoriale.
Notre désapprobation est d'autant plus nette que deux questions, étroitement
liées à la précédente, sont éludées : le cumul des mandats et le statut de
l'élu.
Ne croyez-vous pas, mes chers collègues, que le jeu démocratique peut être
faussé par le cumul des mandats ? N'est-il pas plus important d'être député ou
sénateur pour se présenter à un mandat municipal que d'être inspecteur de telle
ou telle administration ?
Il est étonnant que ce soit la majorité sénatoriale, chantre du cumul des
mandats, qui fouille ainsi aujourd'hui le régime des incompatibilités. C'est un
peu trop l'histoire du serpent qui se mord la queue...
Le deuxième point porte sur le statut de l'élu.
Plutôt que de tirer vers le bas le nombre des fonctionnaires, ne faut-il pas
mieux donner aux salariés du privé la possibilité d'être élus dans de bonnes
conditions ?
Ne voulant pas d'un retour à une politique des notables, nous pensons qu'il
est à l'honneur de la fonction publique de créer les conditions pour ses agents
d'être élus. Nous attendons que les dirigeants d'entreprises privées créent les
mêmes conditions pour leurs salariés.
A l'heure où chacun se préoccupe d'une meilleure adéquation de l'activité du
Parlement avec le quotidien pour éviter ce divorce croissant entre élus et
population, que vous avez évoqué, monsieur de Rohan, l'entrée des salariés en
plus grand nombre dans ses assemblées est plus que souhaitable.
M. Josselin de Rohan.
Voilà !
M. Robert Bret.
Le deuxième axe de ces deux propositions de loi, quelque peu fourre-tout, il
est vrai, a trait aux sondages d'opinion.
A cet égard, je regrette tout d'abord qu'un débat d'une telle importance pour
la vie politique vienne ainsi presque en catamini.
Je ne ferai que rappeler une position ancienne des sénateurs communistes :
l'utilisation excessive des sondages d'opinion, notamment dans une période
électorale, est nuisible pour la démocratie.
Nous ne souhaitons pas, en effet, que s'instaure une véritable démocratie par
procuration.
Or, comment ne pas constater, durant ces dernières années, en parallèle à la
réduction du débat d'idées, une augmentation de l'utilisation des sondages
comme arme fatale politique ? L'avalanche est telle, dans certains cas, que les
électeurs peuvent se poser la question de la nécessité de voter.
Prenez l'exemple du référendum sur le quinquennat. Le martèlement sur la
victoire écrasante du oui a-t-il favorisé la mobilisation des électeurs ? De
toute évidence, non !
L'importance prise par les sondages dans la vie politique, accompagnée d'un
décrochage croissant d'une élite politique des réalités quotidiennes, nous
interpelle fortement.
La levée de l'interdiction de publication des sondages dans la dernière
semaine ne peut, selon nous, qu'accroître l'influence malsaine des estimations,
souvent peu fiables, des instituts de sondage sur la vie politique,
En effet, la contradiction est grande entre l'aspiration populaire à une
réelle démocratie des institutions et cette tentative d'accroître les capacités
de manipulation de l'opinion, car c'est bien en définitive de cela qu'il
s'agit, que ce soit volontaire ou involontaire.
Les modifications apportées par notre collègue Patrice Gélard en sa qualité de
rapporteur, qui tendent à améliorer la qualité des sondages, ne peuvent nous
convaincre que toujours plus de sondages serait une avancée pour la démocratie,
même si, comme vous, monsieur le rapporteur, je pense qu'aujourd'hui
l'évolution de nouveaux moyens de communication, l'accès à l'Internet, crée une
inégalité d'information.
La réflexion première doit porter sur les mesures à prendre pour redonner
corps et signification au débat politique.
Par ailleurs, les dispositions qui nous sont proposées ne manqueraient pas,
si nous les adoptions, de nourrir un lourd contentieux.
Ces quelques remarques visent, mes chers collègues, à montrer combien un débat
trop rapide sur le problème des sondages d'opinion n'est pas souhaitable.
Comment expliquer, par exemple, que la commission des affaires culturelles
n'ait pas été saisie sur ce point ?
Cette question mériterait en effet, comme nombre de mes collègues l'ont dit
avant moi, qu'on lui consacre plus de temps. Elle mériterait surtout d'être
traitée dans un cadre plus vaste. Le débat devrait porter sur le respect de la
loi dans la société de l'information. Ce n'est pas le cas de la présente
proposition de loi.
Vu l'ensemble de ces critiques, les sénateurs du groupe communiste républicain
et citoyen ont fait le choix de ne pas présenter d'amendement sur ce texte qui
leur inspire les plus vives réserves. Ils s'abstiendront sur l'ensemble des
deux propositions de loi et ils voteront contre certains articles, notamment
celui qui concerne les sondages électoraux.
(Applaudissements sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur celles du
groupe socialiste.)
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Les interventions que nous avons entendues m'inspirent
quelques remarques.
La première porte sur l'utilité de l'ordre du jour réservé.
M. Allouche a déclaré que, à cette occasion, nous ne discutions pas de
questions très importantes. Au contraire, nous avons abordé ce matin des
questions très importantes ! Nous avons en effet évoqué l'obsolescence du code
électoral.
La liste des inégibilités que nous proposons est sans doute imparfaite, mais
la faute ne nous en revient pas. Nous avons sollicité voilà plusieurs semaines
le concours des deux ministères concernés. Nous avons obtenu, dans un premier
temps, une certaine coopération, qui s'est ensuite interrompue au milieu du
gué.
Monsieur le ministre, le Conseil constitutionnel a par deux fois stigmatisé
l'obsolescence du code électoral, et il risque de le faire une troisième fois
en 2001. La navette entre le Sénat et l'Assemblée nationale devrait nous
permettre d'aboutir à une rédaction presque parfaite, serais-je tenté de dire,
avec votre concours, bien évidemment, monsieur le ministre. C'est la raison
pour laquelle j'insiste pour que nous nous mettions en conformité avec les
règles qui régissent les inéligibilités.
M. Bret s'est interrogé : comment se fait-il que, dans le code électoral, on
n'ait visé que les fonctionnaires et pas d'autres catégories ? La réponse
remonte à la Constitution de la IIe République, mon cher collègue.
La révolution de 1848, qui a constitué une avancée vers le suffrage universel,
s'est faite contre les fonctionnaires qui étaient élus députés à l'époque de
Louis-Philippe. Le début de la IIe République marque l'interdiction, pour les
fonctionnaires, d'être élus.
En réalité, l'Etat honorait ainsi les fonctionnaires. Il les mettait sur un
certain piédestal en leur imposant des inéligibilités. Ce n'était pas parce
qu'ils étaient fonctionnaires qu'on les rendait inéligibles, c'était, au
contraire, parce qu'ils étaient détenteurs d'une autorité de l'Etat, de la
représentation de l'intérêt général, et pour valoriser leur fonction.
M. Josselin de Rohan.
Tout à fait !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Les fonctionnaires eux-mêmes étaient partisans de ces règles
d'inéligibilité.
Monsieur le ministre, vous considérez qu'un an est une durée trop longue.
Peut-être ! Mais, à ce moment-là, prenons la décision de réduire le délai de
publication des comptes de campagne à six mois avant une élection.
M. Josselin de Rohan.
Voilà !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre ! Un
fonctionnaire bénéficierait de tous les atouts qu'offre sa fonction, il
pourrait dire que c'est la machine préfectorale ou la machine municipale qui a
tourné, tandis qu'un candidat non fonctionnaire serait soumis à un examen très
précis de ses comptes de campagne.
Il convient de réduire la période d'examen des comptes de campagne à six mois.
Un an c'est trop long.
Cette réduction serait d'ailleurs plus conforme aux règles que l'on voudrait
imposer aux chambres régionales des comptes : dans les six mois précédant une
élection, elles devraient s'abstenir de publier des observations sur la gestion
des collectivités territoriales concernées par le scrutin.
La navette entre l'Assemblée nationale et le Sénat devrait permettre
d'améliorer considérablement le texte sur ce point.
En dehors des obsolescences, il est d'autres éléments qu'il faut faire valoir,
comme l'a souligné tout à l'heure notre collègue Alain Dufaut.
A cet égard, monsieur le ministre, vous avez vous-même cité un exemple : dans
une île lointaine, un élu a démissionné de son poste de conseiller général pour
être réélu immédiatement à ce même poste ; du coup, son mandat de conseiller
général n'était pas le plus ancien de ses mandats, mais, au contraire, le plus
récent.
On nous a reproché de ne pas avoir suffisamment travaillé les textes dont nous
débattons ce matin. Je ne partage pas ce point de vue. Nous les avons
travaillés peut-être plus que ceux qui sont soumis par le Gouvernement dans
l'urgence, que nous avons d'autant moins le temps d'étudier qu'ils sont
extraordinairement complexes !
Selon moi, ce qui fait la richesse de l'ordre du jour réservé, c'est qu'il
nous permet d'aborder des questions que le Gouvernement n'a pas le temps de
traiter - ce que je comprends très bien - ou ne veut pas traiter. A ce
moment-là, nous servons d'aiguillon, si je puis dire, nous soulevons de vrais
problèmes et nous disons qu'il faut les résoudre.
Certains nous ont reproché ce DDOE, ce texte portant diverses dispositions
d'ordre électoral. Ils ont raison sur le fond. Mais il s'agissait de gagner du
temps.
Monsieur le ministre, il faudra qu'un jour on songe à organiser nos débats
parlementaires différemment pour faire en sorte que nous ayons plus de temps
pour élaborer plus de lois mieux étudiées.
Mes chers collègues, si nous avons regroupé quatre textes, c'est à la demande
de la conférence des présidents, justement pour gagner du temps. Au lieu
d'avoir quatre discussions générales de deux heures chacune, on a une seule
discussion générale commune.
Les dispositions de ces textes sont quelque peu disparates, certes, mais la
discussion d'aujourd'hui nous permet d'aborder, pour la première fois, la
question des sondages. Le Sénat fait ainsi preuve de modernité et j'espère que
l'Assemblée nationale et le Gouvernement saisiront la balle au bond.
C'est un vrai problème. On ne peut pas continuer hypocritement à accepter que
certains aient connaissance des sondages jusqu'au jour du scrutin tandis que
d'autres n'ont pas la même faculté parce qu'ils n'ont ni l'argent, ni la
culture, ni les moyens nécessaires. Il s'agit là de modernité, peut-être
beaucoup plus que dans certains textes que nous avons adoptés dans le passé.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. Josselin de Rohan.
Quelle logique !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...
La discussion générale commune est close.
CONDITIONS D'ÉLIGIBILITÉ AUX MANDATS ÉLECTORAUX