SEANCE DU 17 MAI 2001


M. le président. Par amendement n° 3, MM. Schosteck et Dufaut proposent d'insérer, après l'article 9, un article additionnel ainsi rédigé :
« La première phrase du premier alinéa de l'article L. 262 du code électoral est ainsi rédigé :
« Au premier tour de scrutin, il est attribué à la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés un nombre de sièges égal à 60 p. 100 du nombre des sièges à pourvoir, arrondi, le cas échéant, à l'entier supérieur lorsqu'il y a plus de quatre sièges à pourvoir et à l'entier inférieur lorsqu'il y a moins de quatre sièges à pourvoir.
La parole est à M. Schosteck.
M. Jean-Pierre Schosteck. Mon amendement vise à corriger les effets pervers dont on a pris véritablement conscience à l'occasion des résultats des dernières élections municipales.
En effet, il est tout de même paradoxal qu'une liste élue au premier tour avec, par exemple, 51 % des voix perde des sièges de façon très importante par rapport à ce qu'elle aurait obtenue si elle n'avait recueilli une majorité de voix qu'au second tour, réalisant un meilleur score du fait du retrait d'autres listes entre les deux tours. La ville principale du département dont vous êtes l'élu, monsieur le président, fournit une parfaite illustration de cette situation.
Cela n'aurait qu'une incidence négligeable - la liste arrivée en tête, qu'elle soit élue au premier ou au second tour, dispose de toute façon d'une confortable majorité - si nous n'étions de plus en plus engagés dans des structures intercommunales où la répartition du nombre des sièges peut être déterminante. La communauté urbaine de Bordeaux fournit à cet égard un exemple éclairant : il eût mieux valu pour M. Juppé que sa liste fût élue au second tour qu'au premier.
Il y a donc là un effet paradoxal, et à mon avis tout à fait fâcheux, que nous n'avions pas mesuré à l'origine.
S'y ajoute un effet psychologique : le système tel qu'il s'applique actuellement incite à la désunion, à l'établissement de listes différentes.
En effet, si l'élection intervient au premier tour, toutes les listes qui ont obtenu plus de 5 % des voix participent à la répartition, alors que, en cas de second tour, seules les listes ayant obtenu au moins 10 % des voix au premier tour peuvent se maintenir et avoir ainsi des chances d'obtenir des sièges.
Tous ces effets négatifs en cascade pourraient, me semble-t-il, être réparés en donnant une espèce de prime à la liste élue dès le premier tour. Je propose 60 % des sièges, mais on pourrait parfaitement envisager un autre pourcentage.
M. Guy Allouche. Pourquoi pas 90 % ?
M. Jean-Pierre Schosteck. Ça, c'est de la caricature !
En tout cas, mon propos est essentiellement d'attirer l'attention sur ces effets fâcheux que j'ai décrits.
M. le président. Merci, mon cher collègue, de cet amendement très judicieux.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. M. Schosteck pose là un vrai problème ; la liste élue au premier tour se trouve effectivement désavantagée en raison de la multiplicité des listes, mais cela n'est pas vrai dans tous les cas.
Cependant, certains considèrent déjà la représentation de la minorité actuelle comme insuffisante, estimant que 75 % des sièges pour la majorité, c'est déjà beaucoup.
J'ajouterai que, dans les communautés d'agglomérations, le problème ne se pose pas puisque, pour chaque commune membre, seule la majorité y est représentée. En revanche, c'est vrai, il peut se poser dans les communautés urbaines.
Les effets qu'a décrits M. Schosteck peuvent d'ailleurs se retrouver, d'une certaine manière, dans les scrutins régionaux, qui sont aussi des scrutins à prime.
Tout cela fait ressortir la nécessité d'un toilettage de l'ensemble de notre droit électoral, qui a été trop rapidement adopté et dont les conséquences n'apparaissent qu' a posteriori , sur le terrain.
La question soulevée par notre collègue est intéressante, mais la commission des lois a estimé que cet amendement avait un peu un caractère de cavalier par rapport à l'objet de ce débat. On me dira que ce ne serait qu'un cavalier de plus ! Quoi qu'il en soit, les problèmes en cause sont trop importants pour qu'on puisse prétendre les régler simplement avec cet amendement.
C'est la raison pour laquelle, monsieur Schosteck, la commission souhaiterait que vous retiriez cet amendement, quitte à le présenter ultérieurement à nouveau, lors de l'examen d'autres textes.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Le Gouvernement n'est pas favorable à cet amendement, qui aurait pour effet d'augmenter la prime majoritaire et, par là, de réduire la place de l'opposition.
La loi de 1982 a représenté un progrès, monsieur Schosteck, et ce progrès est unanimement reconnu. (M. le président de la commission et M. le rapporteur acquiescent.)
M. Guy Allouche. Ce n'était pas le cas à l'époque !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Je pense que, par rapport au système antérieur, dans lequel la liste arrivée en tête détenait tous les sièges au sein des conseils municipaux des communes les plus importantes, le fait que l'opposition dispose maintenant d'environ 25 % des sièges offre tout de même un équilibre, permettant à la majorité de gouverner réellement et à l'opposition d'entretenir le débat démocratique.
Je ne crois donc pas qu'il serait judicieux de réduire ainsi le poids de l'opposition. En tout cas, une telle proposition mériterait - je rejoins ici le rapporteur - une réflexion plus approfondie.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 3.
M. Guy Allouche. Je demande la parole contre l'amendement... à moins qu'il ne soit retiré.
M. le président. Pour l'instant, il ne l'est pas et, de toute façon, la discussion est intéressante.
Je vous donne donc la parole, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche. En effet, monsieur le président, la discussion est intéressante. N'avez-vous pas vous-même, faisant sans doute référence à une situation que vous connaissez mieux que quiconque, qualifié l'amendement de « judicieux » ?
J'essaie de comprendre ce que souhaite M. Schosteck. Mais il nous ramène vingt ans en arrière. Quel était l'objectif du législateur en 1982 ? Il était double : d'une part, assurer une vraie majorité à l'équipe en place pour qu'elle puisse réellement diriger la commune ; d'autre part, faire en sorte que les autres courants politiques de la commune puissent participer à l'action municipale.
A l'époque - mais je vais le dire tout bas, pour que personne ne l'entende à l'extérieur (Sourires) -, la droite n'en voulait pas, tout comme elle n'avait pas voulu de la décentralisation. Aujourd'hui, tout le monde reconnaît que c'est un bon système.
Lorsque nous avons abordé la question du scrutin régional - et même avant -, nous avons été nombreux à dire que la prime majoritaire aux élections municipales s'était révélée trop forte. En effet, elle lamine les courants minoritaires, qui ne peuvent pas être tous représentés.
Dans ces conditions, je souhaite, moi aussi, que M. Schosteck retire son amendement et que puisse s'engager ultérieurement une réflexion d'ensemble sur cette question, réflexion intégrant notamment les effets de la prime majoritaire sur l'intercommunalité.
Cela étant, aujourd'hui, j'y insiste, dans toute la France, bien des maires de toutes tendances politiques, estiment que cette prime est trop forte. Dès lors qu'une majorité confortable de sièges permet à un maire de conduire normalement les affaires de sa commune, personne n'a intérêt à ce que la minorité soit réduite à la portion congrue.
M. Alain Dufaut. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dufaut.
M. Alain Dufaut. M. le ministre prétend que, si cet amendement était adopté, il y aurait une prime pour la majorité.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Une prime supplémentaire !
M. Alain Dufaut. Non ! C'est même le contraire.
Je prendrai l'exemple d'une commune que je connais bien : Avignon. N'y voyez aucune malignité !
M. Josselin de Rohan. Mme Guigou, peut-être... (Sourires.)
M. Alain Dufaut. Nous avons manqué l'élection dès le premier tour à 62 voix près, sur 35 000 suffrages exprimés. Nous avons donc obtenu pratiquement 50 % des suffrages. Finalement après le second tour, nous avons eu 44 élus, avec 63,61 % des voix. Or, si nous avions eu ces 62 voix qui nous ont manqué au premier tour, nous n'aurions eu que 40 sièges au conseil municipal !
Au soir du 11 mars, bien sûr, nous étions déçus. Mais, après réflexion, nous nous sommes dit que, grâce au second tour, nous aurions sans doute, finalement, davantage d'élus.
Du fait du second tour, l'opposition, quant à elle, est passée de 13 à 9 élus.
Si la règle des 60 % que nous proposons s'était appliquée avec une élection au premier tour, nous aurions eu 42 élus, au lieu des 44 que nous avons eus à l'issue du second tour. Cela me paraît donc tout à fait raisonnable.
M. Jean-Pierre Schosteck. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Schosteck.
M. Jean-Pierre Schosteck. Je voudrais simplement que l'on ne dénaturât point mes propos.
En proposant cette solution, je n'ai pas voulu réduire la place de l'opposition. Je n'ai jamais été le moins du monde hostile à la représentation des courants minoritaires dans les conseils municipaux, et j'étais plutôt d'accord pour qu'un tel système, avec une part de proportionnelle, s'applique aussi aux scrutins régionaux.
Ce que j'ai voulu signaler, c'est l'anomalie qu'illustrent Avignon, Bordeaux et d'autres communes, une anomalie telle qu'on puisse être amené à préférer être élu au second tour plutôt qu'au premier, de manière à avoir davantage de sièges.
Qu'on m'en donne simplement acte : ce qui motive ma démarche, ce n'est pas je ne sais quelle volonté de réduire la place de l'opposition dans les conseils municipaux. Cela n'a d'ailleurs guère d'importance dans la réalité qu'elle ait un ou deux sièges de plus, l'essentiel étant qu'elle soit présente au conseil municipal.
Je dis, premièrement, qu'il y a une iniquité et, deuxièmement, qu'elle pousse à la division et perturbe le libre jeu démocratique, car elle entraîne la constitution de listes fondées sur le simple espoir que, le maire sortant étant assuré d'être réélu au premier tour, elles obtiendront 5,1 % des suffrages et donc un siège.
Cela ne concourt pas véritablement à un fonctionnement harmonieux de la démocratie locale. Mais je ne veux évidemment pas ouvrir une guerre de tranchées : je retire mon amendement puisque M. le rapporteur me dit que la discussion pourra être reprise ultérieurement de façon sans doute beaucoup plus approfondie.
Au passage, je vous signale que j'étais prêt à déposer une proposition de loi qui aurait permis cette discussion plus approfondie.
Je retire donc mon amendement pour vous être agréable, mais avec l'espoir que ma proposition de loi viendra effectivement un jour en discussion.
M. le président. L'amendement n° 3 est retiré.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je veux donner acte à M. Schosteck de ce qu'il demande : il soulève un véritable problème d'équité, ce problème n'est pas résolu et nous sommes prêts à l'aborder à nouveau. (M. le ministre opine.)

TITRE IV

LES SONDAGES ÉLECTORAUX

Article 10