SEANCE DU 17 MAI 2001
M. le président.
« Art. 10. - Le premier alinéa de l'article 11 de la loi n° 77-808 du 19
juillet 1977 est remplacé par quatre alinéas ainsi rédigés :
« Sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa, sont interdits, pendant
les deux semaines qui précèdent chaque tour de scrutin, la publication, la
diffusion et le commentaire, par quelque moyen que ce soit, de tout sondage tel
que défini à l'article 1er, s'il n'a pas été réalisé par un organisme ayant
souscrit la déclaration prévue à l'article 7, au moins trois mois avant le
premier tour de scrutin.
« Sans préjudice des mêmes dispositions, dans les cas prévus à l'article 9 et
lorsque la publication, la diffusion ou le commentaire du sondage est intervenu
pendant les deux semaines qui précèdent un tour de scrutin, la mise au point
demandée par la Commission des sondages doit être, suivant le cas, diffusée
dans un délai de vingt-quatre heures et de manière que lui soit assurée une
audience équivalente à celle de ce sondage, ou insérée dans le plus prochain
numéro du journal ou de l'écrit périodique à la même place et en mêmes
caractères que l'article qui l'aura provoquée et sans aucune intercalation.
« Lorsque, pendant les deux semaines qui précèdent un tour de scrutin, un
sondage tel que défini à l'article 1er a été publié ou diffusé depuis un lieu
situé hors du territoire national, la Commission des sondages peut faire
programmer et diffuser dans un délai de vingt-quatre heures une mise au point
par les sociétés nationales de radiodiffusion et de télévision. Elle peut
aussi, le cas échéant, exiger des organes d'information qui, en France,
auraient fait état sous quelque forme que ce soit de ce sondage, la diffusion
ou l'insertion, suivant le cas, dans les conditions prévues à l'alinéa
précédent.
« Le jour qui précède chaque tour de scrutin ainsi que pendant le déroulement
de celui-ci, sont interdits, par quelque moyen que ce soit, la publication, la
diffusion et le commentaire de tout sondage tel que défini à l'article 1er.
»
Par amendement n° 1, MM. Peyronnet, Allouche et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent de compléter le texte présenté par cet
article pour remplacer le premier alinéa de l'article 11 de la loi n° 77-808 du
19 juillet 1977 par un alinéa ainsi rédigé :
Toutefois, la publication, la diffusion et le commentaire des résultats
individualisés par circonscription de tout sondage tel que défini à l'article
1er sont interdits pour les scrutins uninominaux, à l'exception de celui
relatif à l'élection du Président de la République, pendant la semaine qui
précède chaque tour de scrutin ainsi que pendant le déroulement de celui-ci.
»
La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Cet amendement tente de réconcilier deux aspects contradictoires en matière de
sondages : la légitime information des citoyens pendant la dernière semaine
avant le scrutin - je ne reviens pas sur ce thème, déjà largement traité, ni
sur les incidences de l'évolution technologique - et les risques,
principalement de dérive financière et de manipulations, que cette information
peut faire peser sur certains scrutins.
Dérive financière, parce que si l'on n'adopte pas des dispositions
particulières pour les scrutins uninominaux, tout au moins pour les élections
législatives, on incitera à la multiplication des sondages et donc à des
dépenses tout à fait excessives.
Manipulations, parce qu'il sera très difficile, malgré tous les efforts des
rédacteurs de la proposition de loi, de maîtriser la qualité des sondages.
Pour un scrutin national, on peut imposer aux grands instituts de sondage des
règles en sachant qu'ils les respecteront. En revanche, si l'on favorise la
multiplication des sondages locaux, on favorisera du même coup l'apparition
d'instituts de sondage locaux qui risquent fort d'être des officines et de «
bidonner » les sondages.
Cela peut fausser le débat et, s'il y a une action judiciaire à cause du «
bidonnage », elle ne trouvera sa conclusion que longtemps après l'élection.
C'est pourquoi je crois souhaitable d'exclure du champ de la loi les scrutins
uninominaux, tout particulièrement les législatives, bien que les cantonales
soient aussi concernées.
Très concrètement, il serait ainsi possible de publier pendant la dernière
semaine précédant l'élection des résultats de sondages globaux, en nombre de
sièges ou en pourcentage, traduisant l'évolution des intentions de vote des
électeurs à l'échelle nationale - on pourra ainsi indiquer que telle formation
peut espérer dix sièges supplémentaires à l'Assemblée nationale par rapport aux
sondages précédents - mais il serait impossible de publier les résultats
individuels dans chaque circonscription.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
La commission a émis un avis favorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Le Gouvernement s'en remet à la
sagesse du Sénat sur ces questions relatives aux sondages.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
M. Daniel Hoeffel.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Il s'agit en l'occurrence d'exclure la publication de résultats individualisés
par circonscription. Je voudrais avoir la certitude que cela n'exclut en rien
la publication, la diffusion et le commentaire des résultats globaux.
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Nous sommes d'accord.
M. Daniel Hoeffel.
C'est sous cette réserve que je voterai pour l'amendement n° 1.
M. Alain Joyandet.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Joyandet.
M. Alain Joyandet.
Cet amendement me gêne. Tout à l'heure, M. le rapporteur a fort bien distingué
deux catégories de citoyens : ceux qui étaient informés et ceux qui ne
l'étaient pas.
Exclure de la nouvelle loi le milieu local revient à créer à nouveau deux
catégories de citoyens, alors que l'on sait très bien que des sondages
individuels sont de toute façon réalisés dans les circonscriptions locales - on
l'a vu lors des dernières élections municipales - et que certains de nos
concitoyens, eux, en disposent.
Quant aux piètres garanties qu'offriraient les « officines » qui viendraient à
se créer dans les départements pour couvrir les législatives, je ne m'en
inquiète pas. Après tout, pourquoi devrait-on en province avoir nécessairement
affaire aux seuls instituts de sondage qui oeuvrent à l'échelle nationale,
souvent très sollicités et très chers ? Pourquoi des instituts répondant à des
normes de qualité ne pourraient-ils pas travailler sérieusement ? Je peux en
témoigner, des sondages réalisés, à la demande de divers groupes politiques
dans un département rural que je connais bien se sont révélés d'une très grande
qualité et très proches des résultats du scrutin.
Je ne veux pas aller contre l'avis de la commission, mais je ne vois pas
pourquoi les candidats aux législatives et leurs électeurs n'auraient pas les
mêmes informations que les candidats aux autres élections et leurs électeurs.
Cela ne semble pas avoir beaucoup de sens et témoigne de beaucoup de méfiance à
l'égard de la province. Des sondages publiés récemment ont donné lieu à la
saisine d'offices spécialisés pour examiner les modalités de leur organisation.
Ils n'émanent pourtant pas d'instituts de province ...
Pour ma part, je souhaite donc vivement une uniformisation de la législation
entre Paris et la province.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Entre l'information légitime du citoyen et le libre jeu démocratique, il faut
trouver un équilibre. En l'occurrence, il m'a semblé que les risques de dérives
étaient importants.
Je précise malgré tout, notamment à l'intention de M. Hoeffel, que le texte
permet une publication globale de l'ensemble des prévisions à l'échelon non
seulement national mais aussi départemental. Nous voulons simplement supprimer
les publications de sondages individuels.
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Permettez-moi de rappeler qu'il n'est pas interdit de faire
des sondages pendant même la semaine précédant l'élection.
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Absolument !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Tout le monde peut demander un sondage afin de l'exploiter.
Seule la publication en est interdite à l'heure actuelle.
S'agissant des élections législatives et cantonales, à ma connaissance, très
peu de sondages d'opinion sont organisés localement dans la semaine qui les
précède. Les instituts de sondage font des analyses à l'échelon national ; les
sondages de dernière minute à la sortie des bureaux de vote en sont un
exemple.
De plus, un sondage coûte cher. L'amendement n° 1 tend à introduire une
certaine équité et comprend un aspect financier, puisque il tend à éviter des
dépenses excessives dans la semaine précédant les élections locales.
En outre, l'électeur ne s'intéresse pas aux sondages par canton ou par
circonscription : il veut connaître la tendance nationale.
Dans un premier temps, le dispositif sera applicable à l'élection
présidentielle. Nous verrons comment les instituts de sondage réagiront.
Je crains, comme M. Peyronnet, qu'à l'échelon local les garanties en matière
de qualité des sondages ne soient pas les mêmes qu'à l'échelon national. On
risque donc d'aboutir à de graves distorsions. On l'a vu lors des dernières
élections municipales, certains des sondages d'opinion publiés étaient
télécommandés. On sait que, dans certains organismes, le point supplémentaire
vaut, par exemple, 20 000 francs ! Il faut éviter ce type de dérapage.
Dans cette optique, l'amendement n° 1 est un texte d'attente. Si la
déontologie l'emporte, on pourra généraliser la règle à tous les sondages.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Larché.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
La déontologie voudrait que je
quitte le banc de la commission pour rejoindre mon siège afin de dire mon
hostilité personnelle à cette disposition et à l'ensemble de cette proposition
de loi. Je ne voterai pas contre les dispositions que le Sénat va sûrement
adopter compte tenu de la position de la commission. Je me contenterai de
m'abstenir et, à cet instant, je voudrais expliquer pourquoi.
On soutient qu'il y a une hypocrisie. C'est vrai, mais quel système social et
politique ne suppose pas, pour bien fonctionner, une certaine dose d'hypocrisie
?
L'amendement proposé par M. Peyronnet va d'ailleurs à l'encontre de cette
critique puisque, là, l'hypocrisie est admise dans la mesure où il n'y aura pas
de sondage à l'échelon des circonscriptions législatives ou des cantons.
Bien sûr, il y a le bouche à oreille, et même Internet, mais je voudrais vous
rendre attentifs à deux faits qui ne manqueront pas de se produire.
Le vendredi précédant l'élection présidentielle, jusqu'à minuit, heure à
partir de laquelle la diffusion d'une telle information ne sera plus possible,
sur toutes les radios et toutes les télévisions, seront diffusées des
déclarations selon lesquelles, par exemple, M. Durand a toutes ses chances
d'être élu et M. Dupont court tous les risques d'être battu.
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Ce sera 50/50 !
(Sourires.)
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Peut-être, mais on pourra annoncer
aussi que c'est 60/40 !
Il est de coutume, et c'est un moment important de la campagne présidentielle,
qu'il y ait un grand débat, débat qui peut influencer le vote. En 1974, au
cours d'un tel débat, M. Mitterrand avait été quelque peu mis en difficulté par
M. Valéry Giscard d'Estaing, grâce à une réplique, peut-être préparée à
l'avance mais ô combien opportune : « Monsieur Mitterrand, vous n'avez pas le
monopole du coeur ! » Chacun se souvient de l'effet de cette déclaration. De
mauvaises langues disent que cela faisait partie des formules disponibles.
D'autres affirment qu'elle a été spontanée. Peu importe ! Cela a produit un
certain effet.
Si un grand débat entre les deux candidats a lieu au cours de la deuxième
semaine, on diffusera sur toutes les radios et sur toutes les télévisions un
sondage indiquant que M. Durand l'a emporté nettement sur M. Dupont, ou
l'inverse. Une chose est de parvenir à un dispositif permettant ces
déclarations publiques, qui seront reprises avec un effet considérable compte
tenu des modalités mêmes de ces déclarations ; une autre chose est un
dispositif qui, en effet, comportait une certaine dose d'hypocrisie - on ne le
savait pas ou on le savait ; il y avait le bouche à oreille - mais dans lequel
il n'y avait pas cette prise de position d'ensemble qui, selon moi, peut avoir
un effet démobilisateur, peut-être aussi un effet mobilisateur.
Si le vendredi soir qui précède l'élection on dit aux électeurs que le
résultat est acquis d'avance, ne va-t-on pas renforcer une certaine tendance à
l'abstention ?
J'ai donc un certain nombre de doutes, et je tenais à les exprimer.
L'article 10 va sans doute être voté dans quelques instants puisque
l'amendement y afférent, qui a été présenté, avec le talent que chacun lui
connaît, par mon ami Patrice Gélard, a été adopté à une très large majorité par
la commission. Pour ma part, je ne voterai pas contre, je m'abstiendrai, pour
marquer mon inquiétude quant aux conséquences du vote qui sera émis dans un
instant.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, accepté par la commission et pour lequel
le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 10, ainsi modifié.
(L'article 10 est adopté.)
TITRE V
DISPOSITIONS DIVERSES ET TRANSITOIRES
Article additionnel avant l'article 11