SEANCE DU 22 MAI 2001
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la sécurité quotidienne.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le ministre, vous nous proposez un projet de loi relatif à la
sécurité quotidienne, et le Parlement s'attend à examiner un texte de fond sur
ce qui est devenu, avec l'emploi, la préoccupation majeure des Français.
En effet, renforcer le droit à la sûreté, pour reprendre les termes de la
Déclaration des droits de l'homme, mettre en place les conditions de la
sécurité au quotidien, et ce quelle que soit la portion de notre territoire,
telle est bien l'aspiration commune.
Oui, il faut faire cesser cette spirale de la violence : de plus en plus de
crimes et de délits, commis par une population de plus en plus jeune, puisque
la part de mineurs augmente de façon inquiétante, des peines et des sanctions
de plus en plus lourdes, des prisons surpeuplées dont on commence à peine à
mesurer le degré d'inhumanité et le caractère criminogène.
Comme dans nombre d'autres pays développés, l'inégalité des revenus, la crise
de la famille et le discrédit des institutions, les ravages de la toxicomanie,
l'inadaptation de nos structures judiciaires, au sens large du terme, font
basculer les citoyens dans un sentiment d'insécurité. La démocratie en est
atteinte et les risques d'aventure ne sont pas loin, ainsi que le montrent
divers exemples européens.
Dès sa constitution, en 1997, le Gouvernement a pris conscience de ce danger
et, courageusement, il a infléchi la politique traditionnelle de la gauche en
ce domaine. Il a lancé quelques grands chantiers, dont la police de proximité
est le plus important. Puis, l'élan a semblé retomber tandis que le contexte du
dialogue avec les nationalistes corses obscurcissait le message de fermeté.
Vous avez senti sans doute qu'il vous fallait reprendre l'initiative, monsieur
le ministre. Mais force est de constater que la tentative ne convainc pas.
Pourquoi présenter un projet de loi au titre si ambitieux et au contenu
intéressant, certes, mais disparate ? C'est, je le crains, une erreur
d'appréciation qui permet à l'opposition parlementaire, tout particulièrement à
la majorité sénatoriale, de s'engouffrer dans la brèche et de relancer le débat
sur le point le plus sensible, celui de la délinquance juvénile.
Certains de nos collègues, transformant votre modeste et pragmatique texte de
loi - et, de ce point de vue, il est utile - font assaut de mesures répressives
contre les mineurs en réformant ou plutôt en déformant la structure de
l'ordonnance de 1945 déjà durcie au fil des ans.
Vous nous placez, monsieur le ministre, dans une position délicate en nous
demandant d'approuver sans ajouts substantiels - c'est la loi du genre -
quelques mesures utiles et même nécessaires sur le contrôle des armes à feu,
sur la sécurité dans les transports publics ou sur la répression des
falsifications de cartes bancaires.
A l'issue de ce débat, que dirai-je de plus à mes administrés qui viennent se
plaindre chaque semaine d'incivilités, de dégradations, de vols dans les
voitures, ou de cambriolages ? Pourtant, je suis maire d'une commune, encore
modérément paisible de 4 000 habitants, et non pas à la tête d'une ville aux
quartiers transformés en zones de non-droit, où les voitures flambent, où la
police et les pompiers sont « caillassés », où les commerces ferment.
Bref, faire profil bas sur le thème de la sécurité quotidienne reviendrait à
renoncer à exercer mon mandat de parlementaire.
Votre projet de loi incite à entrer dans le débat sans en fournir vraiment le
moyen, et c'est dommage.
Il existe une solution de facilité, qui ne sera évidemment pas la mienne,
celle qui est retenue par la commission. Elle prend appui sur votre texte très
technique pour réécrire l'ordonnance de 1945 à la sauvette. Elle tente de faire
passer la France d'un système où l'éducation et la prévention sont prioritaires
dans le traitement de la délinquance des mineurs à une politique où la
répression et la prison deviendraient la norme, quel que soit l'âge du
coupable.
Il ne lui importe guère qu'il puisse s'agir d'enfants de dix ans, puisque
l'objectif avoué, affiché par le rapporteur, consiste à transcrire dans la loi
les mesures sécuritaires prévues par les états généraux de l'alternance,
c'est-à-dire la droite, entrant ainsi de plain-pied dans la campagne
présidentielle,...
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Ce n'est pas nous qui avons inscrit ce texte à l'ordre du
jour !
M. Gérard Delfau.
...sans égard pour les petits Français que cette attitude condamnerait à tout
jamais.
Mes chers collègues, ne commettez pas cette mauvaise action ! Je sais qu'au
sein de la majorité certains hésitent à endosser cette responsabilité.
Il est un deuxième sujet qui m'inquiète tout autant : celui qui consiste à
faire du maire une sorte de shérif, cumulant les fonctions, bien connues, de
protection sociale, de gestion des infrastructures et de l'urbanisme, de
développement économique, avec celles, inédites, d'un magistrat chargé de faire
respecter la loi, au besoin en requérant la force publique, demain sans doute
en la dirigeant ?
Qui peut penser que la séparation des pouvoirs, caractéristique de nos
démocraties depuis Montesquieu, gagnerait à s'arrêter à la porte de nos
municipalités ? Faut-il faire ce cadeau empoisonné à nos collègues élus pour,
ensuite, nous émouvoir des dérapages et voter des lois pour en prémunir la
population ? A la jonction de ces deux thèmes - délinquance des mineurs et
pouvoir du maire - faut-il vraiment instaurer le couvre-feu du temps de guerre
pour faire régresser la délinquance des enfants ? Cette mesure est liberticide
et, comme telle, elle engendrerait un climat propice à toutes les angoisses ;
elle multiplierait les causes de délits ; elle stigmatiserait une partie de
notre jeunesse par une interdiction dont la portée symbolique serait par elle
durement ressentie ; elle serait une faille dans la République. Mes chers
collègues, ne faites pas ce geste, qui n'est pas conforme à la tradition du
Sénat !
Dès lors que je rejette l'orientation du rapport de la commission des lois et
que je regrette l'insuffisance du texte venu de l'Assemblée nationale, il n'est
pas facile d'amender, vous en conviendrez. Toute contre-proposition se
heurterait à un double refus : celui de la majorité du Sénat et sans doute le
vôtre, monsieur le ministre.
Pourtant, je ne veux pas fuir mes responsabilités sur un dossier aussi
brûlant. A l'intention du Gouvernement, et non pas seulement à l'intention du
ministre de l'intérieur, je voudrais esquisser quelques pistes pour traiter de
façon plus adéquate ce problème de société. Je le ferai en m'en tenant au
registre de la prévention-répression sans aborder en amont les causes profondes
de cette montée de la délinquance ; l'inégalité des ressources entre citoyens
et territoires, le luxe tapageur des nantis, le culte de la Bourse, le relatif
échec de l'école dans sa mission d'intégration sont évidemment à la source de
cette malédiction.
Même dans ce contexte défavorable, il est possible d'inverser la tendance et
de pacifier progressivement nos relations sociales. C'est une oeuvre de longue
haleine, qui doit reposer sur des choix collectivement assumés. Les suggestions
que je vais faire sont ma modeste contribution.
Le plus urgent, à mon sens, c'est de ne plus voter de textes de loi sur la
sécurité quotidienne - si ce n'est à la marge, sur les cartes bancaires par
exemple - avant d'avoir procédé à un débat devant la nation. Evidemment, il
faudra s'interdire les surenchères et, surtout, étayer cette réflexion avec des
exemples concrets et de proximité.
Faisons l'histoire de toutes les politiques qui se sont succédé depuis mai 68
jusqu'à aujourd'hui.
Evaluons comment, à partir du septennat de M. Giscard d'Estaing, la montée du
chômage a généré le décrochage d'une frange de plus en plus importante de la
population, avec une incidence évidente sur la délinquance, même si ce n'est
pas l'unique facteur de la dégradation du lien social.
Prenons le temps de faire un bilan sans complaisance ni parti pris des
institutions qui concourent à la protection de la jeunesse.
Ecoutons les éducateurs, les travailleurs sociaux, les militants associatifs,
le personnel pénitentiaire et, bien sûr, les forces de sécurité.
Rétablissons le dialogue avec ces hommes et ces femmes sur qui nous nous
déchargeons du poids des Français mal dans leur peau ou, tout simplement,
dangereux pour la société.
Je me souviens de la longue matinée que j'ai passée à la maison d'arrêt de
Villeneuve-lès-Maguelone, il y a trois ans. J'en suis sorti bouleversé, et sans
doute transformé. Pourquoi ce rendez-vous n'a-t-il pas été renouvelé ?
Dans le même ordre d'idées, prenons le temps d'écouter les universitaires et
les acteurs de terrain qui, depuis le rapport Bonnemaison, font vivre ou
étudient des expériences de prévention de la délinquance chez les mineurs.
Cherchons à évaluer les dispositifs, à débusquer les freins, à faire connaître
ce qui marche. Faire régresser la petite délinquance, réintégrer la frange de
nos jeunes en délicatesse avec notre société d'adultes vaut bien les moyens
d'une cause nationale. A quand un « téléthon » des réussites en la matière, une
mise en valeur de l'exemplarité ?
S'agissant du rôle des élus locaux, j'ai indiqué plus haut mon hostilité à
toute confusion des genres. Laissons à l'Etat la compétence régalienne de la
sécurité des citoyens ! C'est l'une des bases de l'égalité républicaine.
En revanche, le maire et son conseil municipal doivent s'impliquer dans la
prévention et faciliter l'acquisition des bases de la citoyenneté chez nos
jeunes. Depuis les conseils intercommunaux de prévention de la délinquance, les
CIPD, jusqu'aux contrats locaux de sécurité, deux initiatives engagées par un
gouvernement de gauche, les tentatives en ce domaine ont été nombreuses.
Pour avoir assumé, dès les années quatre-vingt, avec mon équipe municipale,
sans moyen financier, la naissance, puis la « survie » d'un CIPD, je peux vous
dire que l'Etat s'est montré incapable d'assurer la continuité du soutien aux
pionniers que nous étions. Le conseil général s'est tenu à l'écart, préférant
financer des actions ciblées pour les jeunes et le conseil régional ne sait
même pas que le sujet existe.
Aussi ma deuxième recommandation se résume-t-elle en une formule :
décloisonnons, évaluons les dispositifs, transposons ce qui marche en
n'hésitant pas à aider prioritairement ceux qui innovent, y compris dans les
zones rurales et les villes moyennes.
La troisième orientation est bien la lutte contre toutes les formes de
toxicomanie, puisque la drogue est le vecteur de la dépendance et du trafic
d'argent. Jusqu'à présent, ceux qui se sont engagés dans ce combat ont été mal
secondés par le corps médical, peu soutenus par les pouvoirs publics.
Dans ce domaine, tout ou presque est à faire, puisque l'on a pu voir récemment
des médecins et des pharmaciens comparaître devant les instances de leur ordre
respectif pour avoir distribué des médicaments de substitution, dans des
conditions aléatoires, à des toxicomanes dangereux ou gravement agressifs. Ils
assumaient, à leurs risques, une mission d'intérêt général, et on a tenté d'en
faire des coupables. Navrant ! C'est le signe d'un dysfonctionnement grave du
système, et cela doit alerter le Parlement.
Quatrième piste : mieux cerner, s'il en est encore temps, le rôle des polices
municipales. La croissance continue de leurs effectifs nous achemine, dans les
dix ans qui viennent, vers la reconstitution des milices municipales de
l'Ancien régime, avec une inégalité flagrante à la clé selon que la commune
aura peu ou beaucoup de ressources.
Certains amendements de la droite sénatoriale esquissent cet horizon : le «
maire-shérif », doté d'une police ayant pleine compétence sur le territoire
communal et ne dépendant que de lui, est-ce cela que l'on veut ?
Si cette évolution se confirmait, il n'y aurait d'autre solution que de
proposer la « départementalisation » de ces agents, comme on l'a fait pour les
pompiers, afin de rétablir un minimum d'équité et d'encadrement.
Bien sûr, à cette éventualité je préfère la poursuite de la mise en place du
système d'îlotage pour la police nationale et un budget plus substantiel du
ministère de la défense, afin de compenser la faiblesse des effectifs de la
gendarmerie dans les zones à forte progression démographique, du moins là où
elle est installée.
Dans ce propos forcément lacunaire, je n'ai certes pas voulu avancer de
solution miracle. Et j'ai choisi de ne pas proposer des mesures d'enfermement
pour les jeunes délinquants. L'exemple des Etats-Unis, est là pour montrer, si
besoin était, que le « tout-répressif » engendre le délit et le crime, au lieu
de les éradiquer. M. le rapporteur devrait méditer ce constat.
Il n'y a pas de raccourci en la matière ; seul un travail patient, porté par
une majorité de citoyens, peut faire reculer la délinquance des jeunes. Seul
l'apprentissage de la responsabilité, facilité par des adultes-référents, donne
des repères de moralité. Toute autre politique serait inefficace et, de
surcroît, indigne de la patrie des droits de l'homme.
Le dire, ce n'est pas faire preuve d'angélisme. C'est vouloir réformer en
profondeur les établissements d'accueil pour les mineurs, humaniser les
prisons, rendre leur dignité à tous les agents du système pénitentiaire et à
tous ceux qui se dévouent dans le secteur social, donner un rôle éminent, mais
spécifique, à l'éducation nationale, aussi bien qu'aux municipalités,
rapprocher la force publique du terrain et soutenir l'action de nos policiers
et gendarmes. C'est enfin, évidemment, confirmer la place centrale de la
justice et des magistrats dans la « sécurité quotidienne » de la nation.
Telle est la position que, au nom des sénateurs radicaux de gauche, je
soutiendrai tout au long du débat.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la sécurité
est aujourd'hui au centre des préoccupations de nos concitoyens. C'est que, à
bien des égards, ils ont le sentiment d'une montée inéluctable de l'insécurité,
ce qui suscite une progression non moins inéluctable du sentiment
d'insécurité.
L'insécurité touche, on le sait, principalement les populations les plus
défavorisées et constitue en cela une des formes les plus criantes de
l'injustice sociale. Pour les plus démunis, l'insécurité s'ajoute en effet à la
violence économique et sociale dont ils sont les principales victimes.
Que penser d'une société qui, sans état d'âme et au nom d'une rentabilité
exclusivement financière, n'hésite pas à sacrifier des milliers de salariés du
jour au lendemain, attisant ainsi un sentiment d'insécurité face à l'avenir
?
L'insécurité traduit ainsi la violence des rapports sociaux, dont la
délinquance des mineurs n'est, à mes yeux, qu'une manifestation.
Elle nous touche dans notre quotidien le plus banal, au travers du simple fait
de se nourrir ou de respirer qui, si l'on songe à la crise de la vache folle ou
au problème de l'amiante, finit par être source de dangers.
Comment ne pas comprendre, dès lors, la très forte attente de nos concitoyens
en matière de sécurité et leur besoin permanent d'être rassurés ? Cette attente
est le révélateur de la crise d'une société confrontée à de nouveaux risques,
pour laquelle le progrès n'a plus les vertus pacificatrices et prometteuses de
bien-être que lui prêtaient naguère les hommes des Lumières.
On ne s'étonnera donc pas que le projet de loi relatif à la sécurité
quotidienne finisse par rassembler des dispositions qui touchent à des
problèmes très différents, ce qui donne au bout du compte un texte très
hétéroclite.
A l'origine, il s'agissait d'apporter des réponses pratiques à des problèmes
concrets, clairement identifiés : armes à feu, animaux dangereux, sécurité des
cartes bancaires.
En l'absence de ligne directrice susceptible de fédérer l'ensemble, il était
inévitable que les députés, en écho aux préoccupations multiples de leurs
concitoyens, amendent fortement le texte, qui traite maintenant de divers
autres sujets : fichier des empreintes génétiques, encadrement des
rave-parties,
sécurité dans les transports publics...
A l'arrivée, nous nous trouvons devant un texte plus disparate encore qu'il ne
l'était à l'origine, un véritable DDOS, le « s » signifiant cette fois - et,
espérons-le, pour cette seule fois ! - « sécuritaire ».
Si l'on rapproche ce projet du projet de loi portant mesures urgentes à
caractère économique et financier, on ne peut que déplorer cette inflation de
textes législatifs fourre-tout qui finissent par faire perdre à la loi sa
cohérence et son essence même : dire le droit, dire la règle générale.
Sans nier l'intérêt des dispositions proposées, on peut considérer que la
démarche du Gouvernement est en effet critiquable. La solution des « petits pas
» aurait pu se comprendre si nous n'avions eu le sentiment, les uns et les
autres, que nos concitoyens attendaient une réponse plus volontaire aux
problèmes de sécurité.
Quelques années après le colloque de Villepinte, qui a vu s'épanouir le
concept de police de proximité, il est en effet nécessaire d'en régénérer les
fondements. C'est ce qu'a finalement tenté de faire l'Assemblée nationale en
posant, à l'article 17, les principes directeurs en matière de sécurité.
« La sécurité est un droit fondamental. Elle est une condition de l'exercice
des libertés et de la réduction des inégalités », proclame le premier alinéa,
qui reprend largement les dispositions de la loi d'orientation et de
programmation pour la sécurité de 1995.
L'inscription d'un tel principe, auquel la Déclaration des droits de l'homme
et du citoyen de 1789 donne pourtant déjà valeur constitutionnelle, peut
laisser perplexe. Néanmoins, dans la mesure où il fixe clairement un double
objectif, l'exercice des libertés et la réduction des inégalités, il me semble
tout à fait essentiel.
Il s'oppose en effet à un certain nombre de propositions faites par la droite
et qui, selon moi, mettent en péril le principe d'égalité.
Deuxième principe fondateur : la « coproduction » en matière de sécurité. Ce
terme, qui n'est pas très heureux, avouons-le, permet d'inscrire plus fermement
dans la loi l'objectif d'un véritable partenariat en matière de sécurité, en
affirmant la nécessité de l'association de tous les acteurs privés ou publics
au quotidien. A l'heure des contrats locaux de sécurité, cette systématisation
apparaît fort heureuse.
Suffit-elle à redonner son essence au projet ? La droite parlementaire n'en a
pas jugé ainsi, qui ne nous propose rien de moins que de « créer les conditions
d'une véritable politique de la sécurité », pour reprendre les mots de notre
rapporteur, Jean-Pierre Schosteck.
Cette véritable politique de sécurité passe, selon elle, essentiellement par
deux voies : l'accroissement du pouvoir des maires en matière de sécurité et la
lutte contre la délinquance des mineurs. Vaste et ambitieux programme, qui ne
pourrait recevoir, monsieur le rapporteur, que notre assentiment dans une
situation où les maires, assaillis de toutes parts par les problèmes liés à
l'accroissement de la délinquance, se sentent souvent démunis et isolés pour y
répondre.
Pourtant, nous ne pouvons rejoindre nos collègues de la droite sur le terrain
qu'ils se sont choisi ; les solutions qu'ils nous proposent sont moins la
preuve d'une réflexion de fond sur la question que la traduction d'un besoin
d'affichage politique à l'approche d'échéances électorales.
On connaît bien le refrain démagogique des chantres de la droite sur le thème
de la sécurité, dont on sait pertinemment quelle « clientèle » il vise...
S'agissant du rôle des maires, seul point susceptible de se rapporter
directement au projet de loi en discussion, que nous propose la droite
sénatoriale ?
S'il n'était question que de renforcer l'information du maire, nous ne
pourrions qu'y être favorables, sachant que la notion de coproduction
l'implique également. Mais, en fait d'association du maire, les dispositions
proposées par la droite, qui ne trouve rien de mieux que de transformer le
projet de loi en tract électoral, ouvrent le chemin, de façon plus ou moins
larvée, vers la dislocation de notre conception républicaine de la sécurité :
le caractère national de la police, « garantie nécessaire de l'égalité de tous
les citoyens devant la sécurité », serait en effet sérieusement mis en péril si
étaient adoptées certaines des dispositions proposées.
Certes, je rends grâce à la commission des lois d'avoir repoussé les
amendements les plus dangeureux, tendant à la création d'une « police
territoriale de proximité », placée sous l'autorité d'un maire devenu shérif à
la française, ce qui sonnerait le glas de l'Etat républicain unitaire.
Il n'empêche que la démarche reste dangereuse tant pour les citoyens que pour
les maires eux-mêmes. Je prendrai deux exemples.
Le premier concerne l'information sur les affaires en cours. Il est en effet
prévu que le maire sera informé par le procureur de la République des plaintes
déposées dans le ressort de sa commune et des raisons des classements sans
suite.
Je rappelle que tous les gardes des sceaux, depuis M. Méhaignerie jusqu'à Mme
Lebranchu, ont insisté sur le fait que le politique ne devait pas intervenir
dans les affaires en cours en interdisant les instructions dans les dossiers
individuels.
Si vous adoptez cette disposition prévoyant une information directe sur les
plaintes, vous ouvrez une véritable boîte de Pandore, car vous donnez au
politique les moyens d'intervenir dans le cours de la justice, au mépris de la
séparation des pouvoirs.
Le deuxième exemple a trait à la possibilité pour le maire de se constituer
partie civile. Cette proposition participe également de cette dérive vers une
politisation de l'action publique en mettant le maire en concurrence avec le
ministère public, soupçonné d'inaction coupable.
En effet, dans un tel système, le parquet serait contesté dans son rôle de
représentation de l'intérêt général dans la mesure où vous présentez l'action
du maire sous l'angle d'une sorte d'action publique accessoire, et non pas au
même titre que l'action civile, donc privée, telle qu'elle est conçue dans le
procès pénal.
Cela ne peut produire qu'une confusion préjudiciable au principe de la
séparation des pouvoirs. A quand le gouverneur à l'américaine, messieurs de la
droite ?
Je ne peux pas croire que cette évolution servira la cause des maires. Ces
propositions ont pour but, nous dit-on, de réagir au fait que « aux yeux des
électeurs, le maire est tenu pour responsable de la sécurité dans la commune
».
M. Gérard Larcher.
C'est quand même ce qui se passe !
M. Robert Bret.
Mais avec ce que vous proposez, il sera comptable du moindre fait !
M. Gérard Larcher.
Il l'est déjà !
M. Robert Bret.
Est-ce réellement lui rendre service ?
Je suis assez perplexe : d'un côté vous nous faites voter, messieurs de la
droite, des textes destinés à limiter des mises en jeu jugées abusives des
maires - voyez le texte sur les délits non intentionnels ou la réforme des
pouvoirs des chambres régionales des comptes - et, de l'autre, vous faites
peser sur lui la responsabilité de tout acte de délinquance.
J'avoue ne pas bien comprendre le cheminement de votre pensée.
J'en viens maintenant à ce qu'il y a de plus navrant dans les propositions de
la droite et qui concerne la délinquance des mineurs.
N'avez-vous pas l'impression, chers collègues, d'en faire trop sur un sujet
aussi important et complexe ? Les plus éminents spécialistes font preuve, eux,
d'une modestie et d'une prudence dont vous seriez avisés de vous inspirer.
M. Gérard Larcher.
Ils ne font rien !
M. Robert Bret.
Oui, l'augmentation de la délinquance des mineurs, qui préoccupe au premier
chef les Français, est inquiétante. Mais, au-delà de l'augmentation
quantitative, la progression de la part des jeunes dans la délinquance doit
être croisée avec la réponse systématique qui caractérise le droit pénal des
mineurs. C'est sur les formes qu'elle revêt que nous devons concentrer notre
attention : plus jeune, plus violente, et donc beaucoup plus difficile à gérer,
la délinquance des jeunes est d'autant plus redoutable pour les maires que
leurs concitoyens ont le sentiment d'une impunité.
Quelle démarche convient-il d'adopter ? La réponse, visible à court terme,
réside-t-elle dans l'« élimination » du problème, comme le suggère la droite ?
En enfermant les jeunes à problèmes derrière des murs, on croit protéger la
société mais sans apporter pour autant de solution à moyen et à long terme.
Je dois dire qu'à l'Assemblée nationale la droite s'est surpassée dans cette
voie du « tout-sécuritaire », et je ne peux que déplorer que la droite
sénatoriale ait estimé nécessaire d'enfoncer le clou. La lutte contre les
mineurs délinquants n'a jamais fait une politique de lutte contre la
délinquance des mineurs ! La solution répressive, si elle est plus rapide et
plus visible, s'avère, une fois dépouillée de sa dimension éducative,
impuissante à régler le problème de fond, le taux de récidive des mineurs
incarcérés le prouve.
La majorité sénatoriale à la commission des lois a affirmé ne pas vouloir «
enfermer » les jeunes délinquants, mais elle n'hésite pourant pas à envisager
la détention provisoire en matière correctionnelle pour les mineurs de treize à
seize ans, à l'opposé même des positions défendues lors de l'examen du projet
de loi renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes et dans
le cadre des commissions d'enquête sur les prisons. J'y vois plus qu'une
contradiction !
Autre proposition avancée : abaisser la majorité pénale à dix ans en
permettant le prononcé d'une peine pénale autre que l'emprisonnement. Que peut
être cette peine ? Un travail d'intérêt général ? Mais il n'est pas possible de
faire travailler un mineur de treize ans !
Cet abaissement de la majorité pénale apparaît ainsi, à bien des égards, en
totale contradiction avec les conventions internationales, au premier chef avec
la convention internationale des droits de l'enfant, qui a pourtant été
ratifiée et constitue donc une obligation juridique.
En outre, mes chers collègues, l'option que vous choisissez fait complètement
l'impasse sur les causes de la délinquance des mineurs.
A l'accroissement de la délinquance des enfants correspond - l'ignorez-vous ?
- l'augmentation de la maltraitance. Un rapport sur ce point du ministre
délégué à la ville montrait sans ambiguïté que les mineurs sont plus souvent
victimes qu'auteurs de violences.
Il n'est pas possible, mes chers collègues, d'occulter ainsi une des faces de
la réalité pour ne se concentrer que sur l'autre. Les juges des enfants vous le
diraient mieux que moi, si tous les mineurs en danger ne deviennent pas des
mineurs délinquants, tout mineur délinquant a été un jour ou l'autre un mineur
en danger.
M. Gérard Larcher.
Continuons !
M. Robert Bret.
Les sénateurs communistes refusent également de souscrire à la logique de
stigmatisation des parents que les membres de la droite sénatoriale tentent, de
façon certes plus subtile que leurs collègues de l'Assemblée nationale,...
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
C'est déjà ça !
M. Robert Bret.
... mais tout aussi inacceptable, de promouvoir. La majorité sénatoriale
propose ainsi non pas la suppression des allocations familiales - je rappelle
d'ailleurs qu'elles constituent un droit non pas pour les parents mais pour la
famille - mais la mise sous tutelle des parents, et, mes chers collègues, nous
avons de justesse échappé en commission au reversement à la victime !
On sait que les parents doivent au contraire être encouragés quand ils se
trouvent en situation difficile. Il ne faut pas les vilipender comme vous le
faites en les déclarant coupables
a priori.
C'est d'autant plus
inopportun qu'il existe déjà des textes permettant de sanctionner pénalement
les parents qui, par leur comportement, mettent en danger la sécurité, la
moralité ou l'éducation d'un enfant mineur. N'ajoutons pas des lois à d'autres
lois.
Je ne connais pas de père ou de mère qui ne soit profondément affecté par la
délinquance de leur enfant. On sait également que tout nouvel élément de
fragilisation de parents dans un contexte économique et affectif déjà souvent
difficile - chômage, exclusion, divorce - aggrave un peu plus les risques de
voir l'enfant s'enfoncer dans la délinquance. La logique de la sanction n'a
donc de sens que si elle est accompagnée de mesures positives permettant
d'aider les familles en difficulté.
L'expérience des centres d'éducation renforcée ou des centres de placement
immédiat, de même que les petites unités testées au centre des jeunes détenus
de Fleury-Mérogis démontrent l'inutilité de la répression sans l'objectif de la
réinsertion : resocialisation et éducation sont les deux maîtres-mots.
Mon groupe refusera d'accompagner la droite sénatoriale dans son entreprise de
décomposition du droit des mineurs et je suis particulièrement reconnaissant au
Gouvernement de ne pas la suivre dans cette voie et d'affirmer sa volonté de
rester fidèle aux principes directeurs de l'ordonnance de 1945, en particulier
dans sa dimension éducative.
Non que cette ordonnance doive être sanctifiée, mais je refuse de me prêter à
sa remise en cause sous couvert d'adaptation. Vous estimez qu'il faut faire
évoluer les choses : proposez de vraies solutions au lieu de vous contenter
d'affichages médiatiques !
La constitution d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information ne
serait-elle pas une meilleure solution ? Cela permettrait de procéder à une
véritable mise à plat et de dresser un bilan objectif de l'application de
l'ordonnance de 1945, que beaucoup estiment insatisfaisante faute de moyens.
Je suis heureux de constater que cette proposition que j'avais faite la
semaine dernière en commission des lois a trouvé un écho favorable auprès des
présidents de groupes de la majorité sénatoriale, qui viennent de déposer une
proposition de résolution en ce sens.
M. Gérard Le Cam.
C'est la mode !
M. Robert Bret.
En définitive, les moyens constituent le seul point sur lequel les sénateurs
du groupe communiste républicain et citoyen rejoignent la commission des lois :
une vraie politique de lutte contre la délinquance des mineurs coûte cher,
chacun le sait. Elle implique la mise en place de petites structures, cela a
été rappelé, et le recrutement de personnels qualifiés.
En conclusion, les sénateurs de mon groupe refuseront, tout en déplorant le
caractère hétérogène du présent projet de loi, de suivre la droite sénatoriale
dans son entreprise électoraliste.
Ils choisiront de s'inscrire dans la ligne du texte voté à l'Assemblée
nationale, quitte d'ailleurs à rejeter des dispositions adoptées dans la
précipitation, sans réelle réflexion ou sans débat de fond, comme l'article qui
prévoit la saisie du matériel de sonorisation lors des manifestations non
autorisées.
M. Gérard Le Cam.
Il vaut mieux saisir la drogue !
M. Robert Bret.
De même, les dispositions relatives aux services de sécurité internes de
certains services publics nous semblent devoir être retravaillées.
Tel sera le sens des amendements que nous proposerons.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en octobre
1997, soit quelques mois après son entrée en fonctions, le Premier ministre a,
au cours du colloque de Villepinte, clairement défini les fondements de son
action dans le domaine de la sécurité dans les termes suivants : un droit pour
tous qui, lorsqu'il n'est pas garanti, produit de l'inégalité au détriment des
plus faibles et des plus pauvres. C'était, je le répète, en octobre 1997.
Il y a donc quelque malveillance à prétendre que la gauche vient de découvrir,
en sous-entendant plus ou moins que c'est pour des raisons électorales,
l'importance de la sécurité pour les Français. L'insécurité, qu'il s'agisse
d'une perception objective des faits ou d'un sentiment plus ou moins précis,
est au coeur des préoccupations de nos concitoyens, et le Gouvernement s'en
préoccuppe depuis toujours.
Le rapport de M. Schosteck et les propos tenus à la tribune ou en commission
par les différents orateurs de la majorité sénatoriale, de même que la
décision, prise aujourd'hui par la conférence des présidents, d'allonger la
durée de la discussion générale et l'inscription, au-delà des délais, de trois
nouveaux orateurs - ce qui met d'ailleurs un peu à mal notre règlement
intérieur - semblent en fait indiquer que c'est la droite qui est en train de
se construire, ici même au Sénat, un programme électoral !
Ce programme est fondé d'abord sur l'idée que le Gouvernement n'a rien fait.
C'est évidemment une idée fausse, et je le démontrerai. Il s'appuie ensuite sur
quelques idées forces, qui mettent en évidence nos différences en matière de
sécurité. Sur ce sujet qui préoccupe également la droite et la gauche, les
solutions de droite et celles de gauche ne sont pas les mêmes !
Sans nier, bien au contraire - et même si l'expression ne m'enchante pas - la
nécessité d'une « coproduction » de sécurité, nous ne pouvons accepter une
sorte de démission programmée de l'Etat et le transfert de l'essentiel des
pouvoirs à l'échelon local. Une telle évolution serait particulièrement
dangereuse.
C'est le premier point.
Second point, sans angélisme particulier et sans contester le moins du monde
l'utilité, voire la nécessité, d'une certaine répression, nous croyons aussi à
l'éducation et à la prévention. Prévention, répression, éducation, dans un
mixage et dans un ordre variable, selon les circonstances et les individus,
devraient être les trois piliers d'une politique en direction des jeunes, que
vous voulez à l'inverse axer sur le « tout répressif », avec, comme mesure
phare, la pénalisation outrancière de la délinquance des mineurs.
Malgré le talent de M. le rapporteur, je ne crois donc pas, sur le fond, son
intervention. Il n'est pas vrai que le Gouvernement se soit contenté de
formules sans lendemain et d'un simple affichage. Au contraire, outre la
politique active de baisse du chômage - c'est le socle premier de la limitation
de la délinquance - outre la politique de la ville, « politique vigoureuse », a
dit à bon droit le Premier ministre, le Gouvernement a donné tout son sens à la
politique de proximité de la police.
Certes, la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité, la
LOPS, faisait référence à la proximité, mais le précédent gouvernement n'a
guère cru devoir en faire une réalité sur le terrain.
La police de proximité, c'est pourtant plus de policiers sur le terrain.
L'actuel gouvernement a su reconnaître l'importance des moyens humains et
adopter en conséquence une politique volontariste de recrutement. C'était
nécessaire, et même urgent, car le remplacement des gardiens de la paix partant
en retraite - leur nombre est estimé à 25 000 pour la période 1998-2003 - avait
été insuffisamment anticipé par le précédent gouvernement. Le gouvernement
actuel a donc dû non seulement faire face à ces départs, mais aussi procéder à
des recrutements supplémentaires - 3 300 -, en particulier dans la dernière
période.
Cet effort en personnels s'accompagne d'un effort en matériels, puisque, en
quatre ans, le budget d'investissement de la police a augmenté de 33 %.
Monsieur le ministre, pour votre gloire...
M. Roger Karoutchi.
Holà !
M. Jean-Claude Peyronnet.
... et pour notre satisfaction esthétique,...
M. Roger Karoutchi.
Bravo...
M. Jean-Claude Peyronnet.
... il eût été utile d'« habiller » le projet de loi de quelques idées
générales. Vous avez fait d'autres choix : celui du refus de la grandiloquence,
celui de vous attacher systématiquement aux mesures concrètes, celui de la
modestie, mais celui de l'efficacité.
On ne peut à la fois critiquer, au nom de l'inefficacité, le Gouvernement
lorsqu'il propose un projet de loi prétendument trop général, et contester le
présent projet de loi, qui aborde de façon concrète, voire technique, les
problèmes liés à la sécurité et tente de les résoudre.
Nous ne croyons donc pas à l'efficacité d'une « municipalisation » de l'action
publique en matière de sécurité telle qu'à petites touches elle se dessine dans
le texte de la commission des lois. Nous croyons même qu'une telle évolution
serait dangereuse.
Quant au renforcement de l'information des maires en matière de sécurité, il a
fait son apparition dans le projet de loi grâce à un amendement gouvernemental.
Ainsi, le préfet associe le maire à la définition des actions de prévention de
la délinquance et de lutte contre l'insécurité, et l'informe régulièrement des
résultats obtenus. Nous souscrivons tout à fait au concept, apparu lors du
colloque de Villepinte, de « coproduction » de sécurité ainsi défini, concept
qui sous-tend l'article 17 du projet de loi amendé par l'Assemblée
nationale.
La consécration législative du partenariat traduit la reconnaissance de
l'utilité d'une action commune mais - nous y tenons - dans le champ de
compétence respectif de chacun pour lutter contre la délinquance.
Monsieur le ministre, vous avez, à cette fin, adressé une circulaire aux
préfets leur demandant de mieux associer les maires aux actions de prévention
et de lutte contre la délinquance.
Toutes les questions de sécurité, écrit M. le rapporteur, ne peuvent être
réglées par circulaire. Nous sommes bien d'accord. Mais peut-on prétendre que
le Gouvernement n'agisse pas au-delà des idées générales et lui reprocher de
mobiliser les fonctionnaires sur ce sujet ? On a l'impression que la droite
sénatoriale s'attache plus à l'affichage qu'à l'efficacité. Mettons tout dans
la loi, même si nous savons que nous ne pourrons rien en faire !
La commission des lois a décidé de surenchérir avec une franchise un peu
ingénue. Les propositions de la commission, écrit M. le rapporteur dans son
rapport, sont largement inspirées des travaux approfondis conduits lors de la
convention sur la sécurité qui s'est tenue récemment dans le cadre des ateliers
parlementaires de l'alternance. On peut légitimement s'en inquiéter : l'action
de la commission est donc sous-tendue non par le souci de la sécurité mais par
sa volonté de voir afficher son programme électoral avant l'heure.
Ainsi, la commission souhaite octroyer un droit d'information au maire sur les
suites judiciaires données à une infraction, permettre à ce dernier d'exercer
l'action publique, accroître ses pouvoirs de police dans les zones où la police
est étatisée et lui permettre de requérir les forces de police étatisées dans
le cadre de son pouvoir de police.
Elle souhaite également lui permettre de déclarer le couvre-feu pour les moins
de treize ans et de créer une police territoriale de proximité regroupant les
fonctionnaires de police nationale et les fonctionnaires de police municipale.
On l'aura compris, il s'agit en fait d'aboutir à la « municipalisation » ou à
la « territorialisation » de la police nationale.
Cette solution n'est pas acceptable, car elle est fondamentalement contraire à
notre modèle républicain. Elle n'est satisfaisante pour personne mais -
l'avez-vous bien mesuré ? - à part pour quelques shérifs de vocation, elle
n'est surtout pas satisfaisante pour les maires, qui rempliront tout à la fois
les fonctions de maire, bien sûr, mais aussi celles de procureur, de préfet, et
- pourquoi pas ? - de juge d'instruction ou de chef de milice !
Ont-ils vraiment les moyens d'assumer ces nouvelles prérogatives ? Pour un
certain nombre d'entre eux, est-il souhaitable même de leur octroyer ces
nouveaux moyens ? Les maires ont-ils été bien avertis de l'extrême lourdeur des
responsabilités qui pèseraient désormais sur leurs épaules ? Les a-t-on bien
informés qu'ils n'auraient rien à gagner à ce que l'Etat se déleste sur eux
d'un pouvoir mais surtout d'un devoir qui revient à celui-ci ? Les maires
auront-ils les moyens de résister aux pressions sécuritaires de certains de
leurs administrés ?
Il faut le répéter : la sécurité est une compétence régalienne de l'Etat et
elle doit le rester. Tout ce qui relève des compétences des maires et renforce
leur pouvoir d'action, comme les dispositions relatives aux épaves ou aux
chiens dangereux, doit être accepté. Au contraire, tout ce qui va dans le sens
d'un empiètement sur les compétences régaliennes au nom d'une prétendue
efficacité doit être traité avec la plus extrême prudence.
Si la solution n'est pas dans la municipalisation de l'action publique en
matière de sécurité, elle n'est pas non plus dans la pénalisation à outrance
des mineurs. Mon ami Robert Badinter dira tout à l'heure mieux que moi les
dérives gravissimes qui résulteraient d'une telle évolution, et je me
contenterai, sur ce point, de quelques notations.
Il n'existe pas, dans notre droit, de principe d'irresponsabilité pénale en
faveur de tous les mineurs. C'est bien qu'il en soit ainsi, ne serait-ce que
pour des raisons pédagogiques. Pour autant, cette responsabilité ne peut et ne
doit conduire à ce que les sanctions appliquées aux mineurs ne prennent en
compte la situation particulière de ces délinquants. L'ordonnance de 1945 a
établi un âge à partir duquel un mineur est passible d'une sanction pénale
susceptible d'aller jusqu'à la peine privative de liberté ; il est aujourd'hui,
on le sait, de treize ans. La commission des lois propose d'abaisser à dix ans
l'âge à partir duquel une sanction pénale, hors, je vous le concède,
l'hypothèse de la peine privative de liberté, peut être infligée à un mineur.
Cette proposition est non seulement inutile mais dangereuse. Nous ne saurions
accepter que le passage devant un tribunal pour mineurs soit abaissé à dix ans
tant le traumatisme d'une telle comparution nous paraît disproportionné avec
l'âge précoce qui serait celui du prévenu.
Cette proposition est inutile et l'argumentation soutenue pour la justifier le
prouve : il faut que le mineur rencontre une sorte de butée suffisamment tôt.
Or, cette butée existe. En effet, l'ordonnance de 1945 prévoit certains
mécanismes permettant d'apporter une réponse appropriée à ces hypothèses : ce
sont les mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation.
M. le rapporteur écrit que « ces mesures ne sont plus adaptées à l'évolution de
notre société et de la délinquance ». Veut-on nous dire que la protection,
l'assistance, la surveillance et, surtout, l'éducation ne sont plus de mise
pour ces mineurs ? Au contraire, nous croyons que ces éléments sont de plus en
plus d'actualité.
L'éducation, qui, encore une fois, n'exclut pas la répression, est un acquis
républicain, elle est et doit rester la priorité.
Elle seule permet à un jeune de trouver, ou de retrouver l'équilibre
nécessaire pour devenir un adulte responsable. L'éducation est le fondement de
la citoyenneté ; cette dernière est indispensable à une politique réussie de
sécurité. Que cette éducation soit particulière et encadrée par des mesures de
protection, d'assistance et de surveillance est nécessaire et suffisant.
Cette proposition est dangereuse parce qu'elle donne l'illusion de
l'efficacité, alors qu'il n'en est rien et que ses effets pervers sont
nombreux. Les exemples observés outre-Manche et, surtout, outre-Atlantique
montrent qu'une telle pénalisation ne fait pas nécessairement diminuer la
délinquance. Quant aux effets pervers, ils viendront de la marginalisation de
ces jeunes délinquants, alors même qu'il peut arriver que cette marginalisation
soit recherchée comme le symbole d'un « caïdat » revendiqué. Il convient donc
de combattre avec force cette mauvaise idée.
De même, l'instauration d'un couvre-feu ne peut être une réponse appropriée à
la délinquance juvénile. Elle risque non seulement de soumettre les maires à
des pressions insoutenables, mais aussi de n'apporter aucune réponse
individualisée. Or seule la réponse individualisée permettra de lutter
efficacement contre la délinquance des plus jeunes. On ne peut donc, là encore,
que repousser une telle proposition, dont l'application serait au demeurant
difficile. Que fait-on du mineur trouvé dans la rue à une heure tardive et qui,
je le concède volontiers, n'a rien à y faire à partir d'un certain moment ?
M. Gérard Larcher.
Eh bien oui ! On le ramène chez lui.
M. Jean-Claude Peyronnet.
On le ramène chez lui, me dit-on. Encore faudrait-il qu'il ait un chez lui.
Encore faudrait-il qu'il ait une vraie famille. Or, la plupart du temps, ce
n'est pas le cas.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Tout de même !
M. Jean-Claude Peyronnet.
Que fait-on ? On le conduit au commissariat ? On le conduit dans un
établissement départemental pour l'enfance, sans précaution, sans préparation ?
Je ne crois pas que ces solutions soient satisfaisantes.
D'autres propositions émanant de la commission ne soulèvent, en revanche, pas
d'objection majeure, en tout cas dans leur principe : il s'agit, notamment, de
l'hypothèse de la provocation d'un mineur à commettre un délit, de
l'aggravation de certaines peines en cas de participation d'un mineur agissant
en qualité d'auteur ou de complice, et de la possibilité de prononcer une
amende civile contre les parents qui ne comparaissent pas, sous réserve, bien
sûr, de leur solvabilité.
L'insécurité ne sera pas combattue en s'attaquant à de fausses pistes. Elle
doit être combattue par la police de proximité, par la mise en oeuvre de
dispositifs concrets, ce que s'efforce de faire le présent projet de loi.
Dans cette discussion générale, je n'aborderai pas les mesures concrètes -
sûrement les plus efficaces - proposées par le Gouvernement sur le renforcement
des moyens de la police de proximité, sur la réglementation des armes où un
compromis intéressant me semble avoir été trouvé à l'Assemblée nationale, sur
les dispositions du code de la route concernant la grande vitesse et sa
répression ou la conduite sous l'effet de substances psychotropes. J'aurai
largement l'occasion de donner l'opinion de mon groupe lors de l'examen des
articles, demain et la semaine prochaine.
En conclusion, je dirai que la courte histoire de ce texte prouve combien le
sujet préoccupe les parlementaires et, à travers eux, nos concitoyens, dont ils
reflètent l'opinion. En effet, comportant initialement seize articles, il en
comptait trois fois plus à son arrivée au Sénat, lequel le nourrira encore de
ses apports particuliers.
Ce sujet sensible mérite un débat serein et approfondi. Il mériterait que l'on
mette constamment en parallèle, ici plus qu'ailleurs, les propositions et leur
applicabilité. Il mériterait aussi que chacun se dégage des préoccupations qui
n'en font qu'un élément tactique du débat électoral à venir.
Pour ce qui nous concerne, nous, les membres du groupe socialiste, sommes
prêts à voter le texte du Gouvernement tel qu'il a été amendé par l'Assemblée
nationale avec, éventuellement, quelques aménagements. Mais pour toutes les
raisons que j'ai largement explicitées, nous ne voterons pas, en revanche, un
texte qui serait décalqué sur la position majoritaire de la commission des lois
du Sénat.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les
travées du groupe communiste, républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà donc
un texte qui a officiellement vocation à renforcer la sécurité quotidienne et
qui traite pêle-mêle de la détention des armes, des cartes de paiement et de
leur sécurité, du placement des animaux dangereux, du passage vers la
Grande-Bretagne des voyageurs, des excès de vitesse et des
rave-parties.
En revanche, il parle superficiellement du rapport mairie-sécurité, alors que
c'est la réalité du quotidien, et il traite, une fois encore, la police
municipale avec une certaine légèreté, me semble-t-il, l'assimilant pour ses
pouvoirs en matière de police judiciaire aux adjoints de sécurité qui, eux, ont
moins de trois mois de formation.
Je voudrais remercier M. le rapporteur, qui a eu le courage, sans être
toujours soutenu, d'aller au fond sur deux sujets - l'association des maires
aux actions de sécurité et la délinquance des mineurs, notamment des très
jeunes mineurs - et d'avoir voulu, par ses propositions, mettre en accord le
texte avec un titre qui se voulait accrocheur.
Monsieur le ministre, lors du conseil de sécurité intérieure du 30 janvier
dernier, vous avez constaté une croissance de 6 % des faits de délinquance, et
les premiers mois de 2001 ne sont pas bons, en tout cas en Ile-de-France,
notamment dans la grande couronne.
Alors, votre texte répond-t-il aux questions de fond ? On a beau le lire et le
relire, on ne voit pas où vous souhaitez aller. Quelle est votre politique ?
Quelle est votre stratégie ? Quel est votre plan d'action ?
En fait, nous attendions un vrai texte, qui aurait porté sur la proximité
partagée, et non sur la proximité imposée.
Aujourd'hui, les contrats locaux de sécurité et les conventions de
coordination police nationale - police municipale n'ont pas fait l'objet de
réels débats locaux ; à quelques exceptions près, dont ma commune, Rambouillet,
parce que nous l'avons voulu, ils ont trop souvent été décrétés d'en haut.
Aujourd'hui il faut le dire - je l'ai peu entendu depuis cet après-midi -,
nombre de ces contrats sont essoufflés, les partenaires doutent et, monsieur le
ministre, la justice est si souvent absente !
M. Jean-Jacques Hyest.
Eh bien voilà !
M. Gérard Larcher.
Oui, ce partenaire-là a totalement disparu !
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est tout le problème !
M. Gérard Larcher.
Or, sans le partenaire justice il n'y a pas réellement de contrat local de
sécurité.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
C'est vrai !
M. André Vallet,
rapporteur pour avis.
Eh oui !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Même à Rambouillet ?
M. Gérard Larcher.
Même à Rambouillet !
Oui, je voudrais évoquer quelques instants ce qui me paraît essentiel,
fondamental, pour répondre au défi que nous pose la sécurité quotidienne, et la
réponse ne peut venir que d'un partenariat équilibré et complet entre le
représentant de l'Etat et le maire.
Dans vos propositions, monsieur le ministre, vous réduisez le maire à n'être
qu'un partenaire de l'amont, en limitant son rôle à la définition des
nécessaires - j'insiste sur « nécessaires » - actions de prévention, et quant à
l'aval il n'a droit qu'à l'information régulière, et j'ose espérer qu'il ne
sera pas privé de la connaissance d'un certain nombre de noms.
Je ne suis ni pour le shérif ni pour les milices, ces mots faciles que j'ai
entendus ce soir dont certains considèrent qu'il suffit de les prononcer pour
clore les débats. Or ce n'est pas avec ces noms-là que l'on va clore le débat
sur ce partenariat nécessaire entre le représentant de l'Etat et le maire.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Très bien !
M. Gérard Larcher.
Oui, il faut aller plus loin, et, pardonnez-moi, je vais citer la logique de
la circulaire du 28 octobre 1997 concernant les contrats locaux de sécurité :
le maire doit être « le partenaire de la coproduction de sécurité publique
».
C'est donc sur l'ensemble des actions de prévention, de dissuasion et de
sécurité, y compris la fixation des objectifs et actions de la police de
proximité et le porter à connaissance du résultat des actions, que le maire et
le préfet doivent être partenaires. Cela recouvre l'ensemble des questions de
sécurité, de proximité et de délinquance de voie publique.
Il y a, chez moi, non pas volonté de municipaliser la police nationale, mais
volonté de créer ce partenariat de proximité.
L'ordre public - que certains appellent la police d'ordre - et les services
spécialisés doivent, à mes yeux, rester du ressort exclusif de l'Etat.
Je dirai maintenant quelques mots sur un autre sujet, l'article 13, relatif
aux chiens dangereux.
On ne peut qu'être favorable à la procédure des quarante-huit heures.
Toutefois, je souhaite qu'au cours de nos débats nous précisions la notion de «
danger grave et immédiat ».
Il nous faut réfléchir à la procédure de contrôle des déclarations qui doivent
être faites en mairie concernant les chiens qui appartiennent aux catégories
pouvant présenter un caractère de dangerosité. En effet, la solution actuelle
ne semble pas être très efficiente. La plupart du temps, ce sont ceux qui n'ont
pas l'intention de détourner leur animal en arme par destination qui font les
déclarations. Les autres omettent de le faire.
Oui, mes chers collègues, j'appelle de mes voeux un grand texte qui décline
une nouvelle politique de sécurité quotidienne, que j'appelle de la proximité
partagée.
Proximité partagée avec le maire qui, avec le représentant de l'Etat, est au
coeur du dispositif.
Proximité partagée avec une méthode : c'est le schéma directeur de prévention,
de dissuasion et de sécurité.
Proximité partagée avec la création d'un corps de policiers de ville, qui est
non pas leur municipalisation - il n'en est pas question - mais, au contraire,
leur spécialisation au quotidien et qui rejoint pour partie la police de
proximité.
Proximité partagée avec la réforme de la justice des mineurs.
Je pense à une réflexion sur l'échevinage d'une justice de proximité, car le
rappel à la loi est si peu fait ou si mal fait qu'il n'y a jamais de signaux
envoyés au primo-délinquant ; le délinquant, qui se retrouve à Versailles, par
exemple, lorsqu'il a commis son cinquième, sixième ou septième fait ne comprend
pas pourquoi on ne l'a jamais rappelé à l'ordre auparavant. Il est dans un état
d'incompréhension quand il rencontre le procureur.
Je pense aussi aux moyens et aux actions de la protection judiciaire de la
jeunesse, ainsi qu'aux internats renforcés alternatifs à la prison inadaptée ou
à l'incroyable hypocrisie du retour immédiat dans le quartier. Il faut que nous
ayons ces alternatives-là.
Je pense aussi, monsieur le ministre, à la déjudiciarisation du petit
judiciaire pour avoir des réponses de type contraventionnel plus efficaces et
surtout immédiates.
La proximité partagée exige aussi un plan d'action et de responsabilisation en
direction des familles et de l'éducation - le mot « éducation » me paraît
préférable à celui de « formation » - et des contrats avec des bailleurs
sociaux, transporteurs et associations.
Ce texte que j'appelle de mes voeux devra aussi imaginer l'évolution de la
politique de la ville, avec la question de l'utilité de la délégation
interministérielle à la ville - le rapporteur pour avis du budget de la
politique de la ville que je suis soulève ce point chaque année -, délégation
qui n'est plus qu'un guichet distributeur et qui n'imagine plus grand chose. Ce
texte devra imaginer aussi les budgets nécessaires.
Nous devons tous réfléchir à la vraie « tolérance zéro », car, je le répète, à
force de n'envoyer aucun signal aux primo-délinquants, à ne plus jamais
distinguer le bien du mal, on nourrit en fait l'exclusion, car la violence est
bien l'un des symptômes et l'un des facteurs de cette exclusion.
Et qui sont les victimes de la violence si ce ne sont d'abord les plus faibles
et les plus pauvres ? Qui est gêné par les occupants illégaux des halls
d'immeuble si ce ne sont les locataires des HLM qui n'ont plus droit à leur
tranquillité ? Lorqu'on habite les beaux quartiers, on peut toujours élaborer
des théories ; mais lorsqu'on habite au septième étage et qu'il faut enjamber
des jeunes à l'entrée des immeubles, je peux vous dire que, à ce moment-là, la
qualité de la vie, la tranquillité et la sérénité ne sont plus assurées. C'est
une réalité : c'était le cas ce week-end à Thiais ou à Sartrouville. Et nous en
entendons parler en permanence !
Qui reste dans un collège où règne la violence si ce n'est l'enfant issu d'une
famille modeste ? L'enfant issu d'une famille ayant des relations ne reste pas
au lycée Gagarine de Trappes et optient une dérogation pour aller ailleurs !
Voilà la vérité ! Le pauvre est assigné à résidence dans son quartier. Celui
qui n'est pas pauvre, celui qui a des relations va ailleurs. C'est cela la pire
des inégalités !
Qui est utilisé dans les bandes dures, si ce n'est le très jeune, faible,
isolé ?
Voilà bientôt 212 ans, l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen plaçait la sûreté, aux côtés de la liberté, de la propriété et de la
résistance à l'oppression, comme l'un des droits imprescriptibles de l'homme.
Cet article est d'une singulière actualité.
S'agissant de la sécurité, je ne me situe vraiment pas sur la même ligne que
vous, monsieur le ministre ! Quand je lis dans un grand journal du matin que,
comme le rappelait tout à l'heure Roger Karoutchi, 45 % des lycéens franciliens
ont été victimes de violences, j'enregistre cela comme l'aveu d'un échec, de
notre échec, de votre échec. C'est notre échec à tous ! Dès lors, je me dis que
ce n'est pas avec les mêmes mots et les mêmes théories que nous sortirons de
l'échec.
Nous sommes à mon avis appelés collectivement, au-delà même de nos
sensibilités, à affronter avec lucidité ce problème de la violence, de
l'insécurité. En effet, que signifie l'inscription au fronton des monuments de
la République des mots « Liberté, Egalité, Fraternité » quand chacun se boucle
chez soi, par peur de l'autre, quand les gens ont peur de se rencontrer ? La
sécurité quotidienne, c'est réapprendre à vivre ensemble dans l'harmonie et en
se respectant les uns les autres. Mais pour cela, il faut une vraie volonté !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait.
Monsieur le ministre, en lisant et en écoutant vos propos, je suis frappé par
votre goût des mots : vous adorez les mots ! Vous jouez avec eux, vous les
substituez les uns aux autres : sauvageons pour délinquants, délinquants pour
criminels, incivilité pour délit, banlieues difficiles pour quartiers de
non-droit... Et vous aimez tellement les mots que vous en faites une politique
!
Vous reconnaissez l'insécurité non pas, sans doute, à sa juste mesure, mais
vous la reconnaissez, et, au lieu de l'affronter réellement, vous y répondez
virtuellement par une politique du discours. Vous dites le mot pour ne pas
faire la chose.
Sécurité au quotidien ? Bravo ! Mais rien dans votre projet de loi ne me
semble pouvoir y mener sérieusement. Hélas ! comme dit le proverbe chinois, «
le mot chien ne mord pas », et je crois votre politique condamnée à l'échec.
On attendait une loi d'orientation sur la sécurité intérieure,...
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
En 1995, il y en a eu une !
M. Bernard Plasait.
... et vous nous présentez un texte rassemblant des mesures hétéroclites,
certes utiles mais bien loin de ce qui serait nécessaire.
Pour réussir une politique de sécurité, il faut une volonté farouche -
l'expression est de Julien Dray - qui ne capitule pas devant le politiquement
correct.
Pourquoi, par exemple, refuse-t-on de réformer sérieusement l'ordonnance de
1945 ? Parce que l'on tombe, une fois de plus, dans le piège du débat
théologique « prévention - répression ». Or c'est un débat que je trouve idiot.
La prévention vaut toujours mieux que la répression. « Mieux vaut prévenir que
guérir... » Mais quand la prévention a échoué, que faut-il faire ? C'est à ce
moment que toute proposition faisant référence à la répression est jugée
suspecte, sentant le soufre et susceptible de dérives d'extrême-droite.
Mais alors, si c'est être extrémiste que de considérer la répression légitime
et nécessaire, il va falloir dénoncer la dérive droitiste de qui a dit : « La
répression, c'est le rappel à la règle, c'est le contraire du laxisme qu'on a
laissé se développer depuis trente ans sur le thème "il est interdit
d'interdire" », à savoir Jean-Pierre Chevènement.
Si c'est être extrémiste que penser la sanction comme partie intégrante de
l'éducation, alors il va falloir stigmatiser l'archaïsme de qui a dit : « Punir
le manquement à la loi est le seul moyen de donner les repères nécessaires à la
vie citoyenne », à savoir Jean-Pierre Chevènement.
Si c'est être extrémiste qu'être convaincu que les dispositions de
l'ordonnance de 1945 ne sont pas d'intangibles Tables de la loi que l'on peut
adapter aux réalités nouvelles, alors il va falloir asperger d'eau bénite le
diable qui, à la question : « Faut-il réformer l'ordonnance de 1945 ? », a
répondu : « Oui, évidemment ; quand l'éducation a visiblement échoué, que
fait-on pour réprimer l'activité de petits casseurs qui en sont souvent à leur
trentième ou quarantième infraction ? », à savoir Jean-Pierre Chevènement.
Au vrai, monsieur le ministre, de quoi s'agit-il sinon de mettre un terme au
scandale de l'impunité qui encourage la délinquance, qui révolte les honnêtes
gens et qui décourage la police ?
Faut-il alors réformer l'ordonnance de 1945 pour pouvoir jeter des gosses en
prison ? Mais qui pourrait proposer de pourrir, peut-être définitivement, des
enfants qu'il s'agit aussi d'essayer de sauver ?
Ce que nous voulons, c'est exactement le contraire : renoncer à l'éducation et
à la prévention ? Bien sûr que non ! Mais ne pas renoncer non plus à la
sanction, nécessaire à la protection de la société comme à l'éducation des
mineurs.
Actuellement, en matière de délits, la détention provisoire est impossible
pour les jeunes âgés de treize à seize ans. La conséquence, c'est non pas moi,
mais un juge pour enfants de l'est de la France qui la tire : « un
multirécidiviste de quinze ans rentre en vainqueur dans son quartier ». Or, si
le délinquant est vainqueur, c'est que les éducateurs et la société ont perdu
la partie.
Si nous croyons qu'il faut absolument réformer l'ordonnance de 1945, c'est
parce que nous estimons que la punition proportionnée à la faute dès le premier
manquement à la loi est le seul moyen de fixer les repères pour vivre dans les
valeurs de la nation française. En bref, nous voulons que le juge puisse donner
un bon coup de pied dans les fesses d'un gosse de dix ans pour lui éviter
peut-être d'aller en prison à dix-huit ans.
La délinquance des mineurs liée à l'augmentation vertigineuse des vols avec
violence constitue un véritable drame, mais il n'est pas le seul. Comment ne
pas évoquer ce qui touche un grand nombre de banlieues, à savoir l'organisation
d'une économie souterraine liée au vol organisé et à la drogue ? Pour le bon
exercice de cette économie,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Dépénalisez le haschisch !
M. Bernard Plasait.
...on attaque les porteurs d'uniformes, tels que les policiers ou les
pompiers, voire les médecins pour les dissuader d'entrer sur un territoire ; on
incite les enfants âgés de dix à quatorze ans à semer le chaos dans les cités
pour que les jeunes âgés de seize à vingt-deux ans puissent tranquillement
faire leur
business
; on lutte contre la concurrence par de véritables
guerres de bandes qui utilisent de plus en plus d'armes à feu avec des méthodes
importées de Los Angeles.
Dès lors, monsieur le ministre, votre texte me semble inadapté et incapable de
répondre à cette guerre des rues, qui constitue un véritable défi à la
République et à la démocratie.
On ne part pas au combat contre des criminels utilisant des armes de guerre
avec un sabre de bois !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je regrette
qu'il n'y ait pas plus de sénateurs et de personnes présentes dans les tribunes
pour constater l'énergie avec laquelle nos collègues, à cette heure déjà
avancée, sont capables de maintenir le rythme de la discussion. Ceux qui
croient que la juvénilité a quitté le coeur des sénateurs seraient abusés. J'ai
admiré la conviction avec laquelle, depuis le début de la soirée, alors qu'il
s'agit, si je puis dire, d'un supplément de programme, chacun a défendu avec
une admirable énergie son point de vue. Je ne suis pas sûr que le mien sera
dans la même tonalité que celui du précédent orateur...
Monsieur le ministre, je ne pensais pas intervenir dans la discussion
générale. Vous avez en effet présenté un projet de loi qui a de grands mérites
techniques. Il est bon que, d'une façon panoramique, à tel ou tel moment de la
législature, le ministre compétent et ardent veille ainsi à ce qu'il soit porté
remède à tel ou tel défaut de la législation existante. Cela m'est arrivé
aussi, et je plaisantais alors en disant qu'il s'agissait d'un projet de loi
portant diverses dispositions d'ordre judiciaire ; dans votre cas, il s'agit
d'un texte portant diverses dispositions concernant la sécurité.
C'est une démarche utile et tout à fait souhaitable dans l'optique d'une bonne
gestion ministérielle et législative.
Ce texte, relevant non pas d'une inspiration fondamentale mais d'une
préoccupation légitime, je ne croyais donc pas nécessaire d'intervenir jusqu'à
ce que je découvre, dans les amendements déposés, une batterie - il n'y a pas
d'autre terme ! - tendant à modifier profondément l'ordonnance de 1945
concernant la protection judiciaire de la jeunesse.
J'indique dès l'abord que je laisse de côté les dispositions concernant le
code pénal, plus particulièrement celles qui portent sur une éventuelle
aggravation des sanctions s'agissant des majeurs qui exploitent, tirent parti
ou incitent les mineurs à commettre des délits. Sur ce point, si je formule,
lors de la discussion des amendements, des observations, elles seront d'ordre
technique.
Non, ce sont les amendements visant l'ordonnance de 1945 que j'ai relevés. Je
me bornerai à énoncer les mesures les plus spectaculaires : faciliter la
retenue des enfants de dix à treize ans dans les locaux de police ; abaisser à
dix ans au lieu de treize ans l'âge auquel un enfant pourra être condamné à une
peine ; permettre de prononcer à l'égard des enfants de dix ans des peines de
travail d'intérêt général ; se donner la possibilité d'incarcérer pour quinze
jours, à la suite d'un incident à contrôle judiciaire, les enfants de treize
ans pour de simples délits ; revenir à la possibilité de placer les enfants de
moins de seize ans en détention provisoire - cette possibilité avait été
supprimée en 1987 par M. Chalandon et la majorité de l'époque - pour une durée
de quinze jours renouvelable une fois ; permettre de citer devant le tribunal
pour enfants dans un délai de dix jours les jeunes déjà connus avec pour souci
d'obtenir la condamnation éventuelle à une peine d'emprisonnement ; retirer les
allocations familiales à la famille comprenant un jeune délinquant au risque
d'ailleurs - nous y reviendrons - de sanctionner les autres enfants de la
famille ; enfin - c'est la cerise sur le gâteau ! - changer la dénomination du
tribunal pour enfants. Voilà ce que l'on demande de modifier dans l'ordonnance
de 1945 !
J'indique que, sur chacun de ces points, je serai amené à intervenir dans la
discussion des articles.
Mais nous en sommes au stade de la discussion générale, et il ne me paraît pas
inutile de rappeler à la Haute Assemblée, s'agissant de ce que l'on appelle la
protection judiciaire de la jeunesse, quelques considérations fondamentales que
l'on ne doit pas perdre de vue.
Il est absolument certain que la délinquance des mineurs, en constante hausse,
notamment au cours des dix dernières années - plus particulièrement encore,
selon moi, au cours des sept dernières années - suscite, à juste titre, de la
part des victimes une exaspération croissante et de la part des élus une
préoccupation constante.
Je veux marquer que l'on ne saurait voir dans cet accroissement de la
délinquance des mineurs l'expression de ce que l'on pourrait appeler le laxisme
des magistrats de la jeunesse. Je me borne à relever - et les magistrats le
font, je dois le dire, avec beaucoup d'affliction eux-mêmes - que, pour la
seule période 1993-1998, le nombre de peines d'emprisonnement pour délits est
passé de 6 475 à 13 169. C'est dire l'augmentation considérable des peines
d'emprisonnement prononcées.
En présence de cette situation et de la tension qui en résulte, je veux
rappeler à la Haute Assemblée qu'il n'y a pas de domaine dans lequel le
législateur doive agir avec plus de circonspection que le droit pénal des
mineurs.
En effet, la délinquance des mineurs n'est pas simplement un problème qui
concerne la sécurité quotidienne ou l'ordre public. Au-delà des atteintes aux
biens et aussi - il faut le dire - des violences causées aux personnes adultes
et aux mineurs, la délinquance des mineurs pose un double problème.
Le premier, trop souvent esquivé, est celui de la responsabilité. Il n'échappe
à personne que l'enfant de douze ans, le pré-adolescent ou l'adolescent de
quatorze ans, voire le mineur de seize ans, qui dégrade, qui vole, qui même
agresse des personnes, n'en est jamais arrivé à ce stade de rejet de l'ordre
établi et des valeurs de notre société par le simple effet d'une volonté
méditée, d'un projet réfléchi qui serait l'expression d'une sorte de libre
arbitre criminel.
Il faut bien, dans leur cas, que toutes les barrières sociales et tous les
repères moraux de notre société aient cédé. A travers chaque acte de violence
grave de l'enfant ou de l'adolescent s'inscrit un constat d'échec ou de
démission. A ce stade, tout ce qui contribue - je n'ose mettre ce verbe à
l'imparfait - à éduquer l'enfant et à le préparer à trouver sa place dans la
société a failli : la famille, bien sûr, mais aussi l'éducation, l'école, les
églises, les mouvements associatifs. Plus rien n'a fonctionné.
Il n'y a pas de pervers enfantin voué dès le premier âge à la délinquance. Ce
qui existe, en revanche, ce sont les abandons, les renoncements, les démissions
et - pourquoi ne pas le dire ? - les fautes des adultes.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Robert Badinter.
C'est pourquoi l'accroissement de la délinquance des jeunes, et surtout de la
plus violente, constitue, en même temps qu'une indiscutable grave menace pour
l'avenir, une évidente condamnation de notre société, c'est-à-dire de nous, les
adultes.
C'est pourquoi aussi ce problème, plus que tout autre, appelle à une réflexion
critique et profonde sur nous-mêmes et sur les défaillances de notre temps à
l'égard des plus jeunes.
La seconde considération porte, elle, sur les modalités du traitement pénal
des mineurs. Depuis près d'un siècle, en particulier depuis 1912, mais surtout
depuis 1945, tous les travaux psychologiques qui ont été conduits, depuis
Piaget jusqu'à Dolto et après, sur l'enfance et l'adolescence ont imprégné la
justice des mineurs de cette évidence : l'enfant ou le mineur délinquant est
non pas un adulte en réduction, comme sur les tableaux du xvie siècle, où l'on
peint les petites filles et les petits garçons avec la perruque et les
vêtements de l'adulte, mais un être en devenir.
L'ordonnance de 1945, qui est, aujourd'hui encore, un très grand texte dans
l'histoire de notre droit, en affirmant la primauté des mesures d'éducation, de
surveillance et de traitement social s'agissant des mineurs délinquants a été
tout entière été inspirée par ce constat.
On ne saurait perdre de vue, à la faveur des exaspérations quotidiennes ou des
faits divers, cette vérité profonde : l'approche de la délinquance des mineurs
ne peut pas être calquée sur le système répressif édifié pour lutter contre la
délinquance des adultes. Pareille assimilation, pareille inclinaison ne peuvent
qu'entraîner les plus graves échecs.
Je demande à la Haute Assemblée de conserver présent dans son esprit un simple
chiffre tout au long de la discussion : le taux de récidive des mineurs qui ont
été emprisonnés atteint 75 % dans les cinq ans qui suivent.
De ce rappel découle une considération qui, elle, est d'ordre purement
méthodologique, mais qui est très importante. M. Hyest en a d'ailleurs déjà
fait état.
Toute modification importante - tel est bien le cas, s'agissant des
amendements proposés - de l'ordonnance de 1945 ne doit pas être décidée par le
Parlement sans que soient préalablement intervenues des auditions et
consultations de spécialistes, notamment des magistrats de l'enfance, des
psychiatres, des éducateurs, des policiers des services intéressés. C'est
indispensable.
Je rappelle, à cet égard, que, lorsque la dernière modification législative
est intervenue, c'est-à-dire, si j'ai bonne mémoire, lorsque, en 1996, nous
avons été saisis par M. Toubon d'un texte qui avait ses mérites, vous avez
organisé, monsieur le président de la commission des lois - j'en ai le vif
souvenir - une journée passionnante et très importante d'auditions de
spécialistes qui nous ont en effet considérablement éclairés.
Or, aujourd'hui, cette exigence méthodologique, face, je le rappelle, à des
problèmes de l'importance de ceux qu'on soulève dans les amendements en cause,
a été complètement omise. Ces amendements ont été jetés dans le cours de la
discussion à l'Assemblée nationale par des groupes politiques. Je ne sache pas
que soit intervenu, en tout cas ici, un travail, une réflexion en commun - je
veux dire tous ensemble - sous l'autorité du président de la commission des
lois, pour nous éclairer sur les raisons qui justifient leur vote immédiat.
Rien que cette considération, s'agissant d'un texte de cette importance et
compte tenu de la particulière gravité du problème, nous interdirait de nous
rallier à cette précipitation dans ce domaine sensible.
Dès lors, la justification que l'on avance pour agir - je n'ose parler de
mesures improvisées ! - c'est l'urgence qu'il y a à agir face au développement
de la délinquance des adolescents et des préadolescents. Fort bien ! J'ai dit
moi-même que cette montée et ce durcissement ne sont pas discutables.
Je poserai toutefois une question préalable : sommes-nous en présence d'un
vide juridique, puisque notre commune préoccupation, notre commune exigence,
dirai-je, est évidemment de voter des lois, ou tout simplement en présence
d'une mise en oeuvre insuffisante de moyens légaux existants ?
Le moins que l'on puisse dire, c'est que, s'agissant de la protection
judiciaire de la jeunesse, le législateur n'a pas chômé. J'ai relevé que
l'ordonnance de 1945 a connu, à ce jour, vingt modifications importantes depuis
son origine. Les dernières - je les ai évoquées - remontent à 1995-1996.
Quant aux moyens mis en oeuvre, je rappelle que ceux qui ont été mis à la
disposition de la protection judiciaire de la jeunesse ont très sensiblement
augmenté depuis 1997. Les budgets alloués à ce secteur ont augmenté chaque
année, depuis 1998, de 7 % à 15 % - c'était en 2000 - lorsque le budget de la
justice, lui, ne progressait globalement que de 3 % à 4 %.
Je rappelle également, simplement pour mémoire, que les budgets alloués à la
protection judiciaire de la jeunesse n'avaient augmenté que de 1,5 % en 1997 et
de 5,5 % en 1996.
Je rappelle encore que seulement 230 postes avaient été créés pour la
protection judiciaire de la jeunesse entre 1995 et 1997, et que 1 010 ont été
créés de 1998 à 2001.
Enfin, je rappelle qu'une cinquantaine de lieux à encadrement éducatif
renforcé, que nous devons à l'initiative de M. Toubon, ont été ouverts, ce qui
représente cinq cents places, et que l'on doit en ouvrir d'autres, malgré la
difficulté qu'il y a, on le sait, à recruter des personnels.
Mais, surtout, que l'on n'aille pas croire que, s'agissant de l'approche
judiciaire du problème, les choses n'ont pas changé dans les cinq dernières
années. Et ce changement est intervenu essentiellement et principalement sur
l'initiative des magistrats eux-mêmes.
Je rappelle que, à l'exemple du tribunal de Bobigny, se sont généralisés la
pratique du traitement en temps réel des procédures, le rendez-vous judiciaire
et la mise en oeuvre de mesures, notamment de réparation, qui font que, dans la
quasi-totalité des cas, aujourd'hui - bizarrement, personne ne semble s'en
rendre compte ! - l'acte de délinquance du mineur identifié ne reste pas sans
réponse judiciaire.
Le slogan de la « tolérance zéro », que l'on brandit maintenant à l'image des
Etats-Unis - ce n'est certainement pas ce que ce pays a de mieux ! - est donc
déjà pratiqué sans aucune ostentation démagogique dans la plupart des
juridictions pour mineurs de France.
La première démarche consiste à apprécier les résultats obtenus par les
méthodes nouvelles. J'indique qu'à Bobigny même, tribunal le plus exposé qui
soit dans ce domaine, - dans 93 % des cas, les mineurs ainsi présentés à la
justice ne récidivent pas.
Par conséquent, c'est seulement lorsque l'on aura apprécié et analysé plus
profondément ces résultats, que l'on aura examiné les manques et les
améliorations qui peuvent encore être apportés qu'il conviendra d'apprécier
s'il y a lieu de modifier le cadre légal.
Les auteurs des amendements ont choisi la voie contraire, sans doute parce
qu'ils se sont dit qu'il est plus facile de changer la loi que de changer les
choses. Un grand homme politique italien, qui a connu, ensuite, à tort, bien
des ennuis avec la justice, me disait un jour : « Quand on ne sait pas quoi
faire, on peut toujours changer la loi ».
Ce n'est pas ainsi, me semble-t-il, que l'on doit procéder s'agissant de la
protection judiciaire de la jeunesse et de l'ordonnance de 1945. Pourquoi ?
Parce que les amendements qui sont présentés - nous aurons l'occasion d'y
revenir demain - ne permettront pas d'atteindre l'objectif visé. En revanche,
ils dénaturent singulièrement et l'inspiration du texte et certains de ses
aspects les plus précieux.
Encore une fois, nul ne peut, en l'état actuel des choses, demeurer
indifférent face à la délinquance juvénile. Pour ma part, je serais prêt à
prendre toutes les initiatives pour la création de commissions chargées
d'examiner les moyens mis à la disposition de cette cause, à condition qu'elle
ne soit pas comme cela décidée
in extremis
par certaines personnalités
de la majorité sénatoriale, assez singulièrement d'ailleurs.
C'est sur l'ensemble que nous pourrions nous pencher, pour déterminer la ligne
à adopter. Mais aucune raison sérieuse ne peut justifier cette entreprise
destinée à mettre à bas, pierre à pierre, morceau par morceau, un dispositif
qui a toujours su s'adapter aux données nouvelles de la délinquance juvénile.
Adaptons-le encore, améliorons-le encore : il est perfectible, mais les
principes sur lesquels il se fonde demeurent valables.
J'ai tenu à les rappeler parce qu'il est rare qu'un texte réussisse aussi
bien, non pas dans l'angélisme, non, mais dans l'union de deux qualités qui me
paraissent essentielles en justice : la lucidité et l'humanité.
(Très bien !
et applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Joyandet.
M. Alain Joyandet.
Monsieur le ministre, en vous écoutant cet après-midi, je me suis demandé si
vous n'étiez pas un ancien footballeur, en ce sens que vous avez fait vôtre la
stratégie selon laquelle la meilleure défense est l'attaque !
C'est ainsi que vous avez commencé par nous rappeler la loi d'orientation de
1995, que, selon vous, nous n'aurions pas appliquée : autant dire que vous
n'êtes pas très à l'aise.
En tout cas, un fait politique mérite d'être relevé : nous avons retrouvé, mes
chers collègues, le droit, l'autorisation de parler des questions de sécurité
!
Depuis quatre ans, nous interpellons le Gouvernement sur le problème de la
sécurité des personnes et des biens, qui n'est plus assurée au quotidien dans
notre pays. En effet, la délinquance ne cesse de progresser, non pas seulement
d'ailleurs dans les cités difficiles, mais un peu partout dans le pays et, en
particulier, la délinquance des jeunes.
En réponse à ces différentes interpellations, nous avons pu entendre un
discours directement inspiré de cette interdiction à nous faite de parler de la
sécurité. A cet égard, je tiens, à mon tour, à souligner la responsabilité qui
a été celle de la gauche dans cette situation, monsieur le ministre.
Il a fallu que le peuple de gauche lui-même vous sanctionne aux dernières
élections municipales pour qu'en toute hâte vous soumettiez au Parlement, au
bénéfice de l'urgence, un texte très décousu, que fort heureusement la
commission a rendu cohérent et innovant.
Souvenez-vous, mes chers collègues, de ces interventions répétées des membres
de la majorité du Sénat, auxquels le gouvernement socialiste répondait à chaque
fois en disant qu'il était bien indécent de parler des questions de sécurité.
Nous étions comme enfermés dans des dogmes du style : « Il est interdit
d'interdire », « L'aide sociale fera le reste » !
Eh bien, non ! Quand on a tout tenté par l'insertion, par la prévention, par
l'action sociale, quand une minorité refuse tout et ne comprend que le langage
de la violence, à un moment donné, il faut punir. Hélas, notre arsenal
législatif actuel ne le permet pas, et je me réjouis, monsieur le ministre, de
l'entendre dire sur l'ensemble des travées. Pendant des années, nous l'avons
clamé, ce qui nous a voulu d'être accusés de vouloir récupérer les voix de
l'extrême droite qui, pendant ce temps, d'ailleurs, faisait votre bonheur
électoral.
(M. le ministre proteste.)
Aujourd'hui, vous faites un pas en
nous proposant un texte qui est un signe politique plus qu'une véritable
avancée législative, pour tenter de résoudre les problèmes qui se posent à
nous.
Le déroulement de nos débats montrera le sérieux des propositions du Sénat et
l'excellence du travail de notre rapporteur et de la commission, qui se sont
largement inspirés d'ailleurs des travaux des ateliers de l'alternance.
Le texte tel qu'il nous arrive de l'Assemblée nationale est notoirement
insuffisant. Nous l'avons enrichi, nous l'avons amélioré. Mais, monsieur le
ministre, vous avez, en réponse, un peu caricaturé nos travaux.
Les relais d'opinion ont bien fonctionné, si j'en juge par une page d'un
quotidien du matin, qui ne soutient pas la majorité sénatoriale et sur laquelle
s'étalait hier en gros caractères le titre suivant : « Le Sénat sans pitié pour
les mineurs de banlieue ». Et, chose assez cocasse, il suffisait de retourner
la page pour lire toute une liste de faits divers aux titres évocateurs : «
Quand la justice fait fi de ses incohérences », « 45 % des lycéens franciliens
victimes de violences », « Incidents dans le Val-de-Marne et dans les Yvelines
», « Ciel, mes bijoux », « Exilé pour insultes »,... et j'en passe. Cela prouve
l'incohérence de tout ce que nous avons pu lire depuis quelques jours à propos
des propositions du Sénat qui ont été très largement déformées, et c'est bien
dommage.
Mais revenons à votre texte, monsieur le ministre.
Vous voulez contrôler le commerce des armes, et vous avez raison. Mais vous ne
dites toujours pas ce qu'est un armurier. La définition serait intéressante et
éviterait un certain nombre de problèmes.
Vous ne pouvez pas passer non plus sous silence le sujet essentiel de la
délinquance des mineurs, et il n'est pas envisageable de traiter ces questions
sans redéfinir le rôle des maires.
Les propositions du Sénat comblent ces insuffisances, ou ces absences, mais
elles ne suffiront pas à endiguer durablement la délinquance des jeunes en
général et des mineurs en particulier.
A cet égard, monsieur le président, monsieur le rapporteur, vos propositions
vont dans le bon sens.
Monsieur le ministre, vous le savez, notre appareil répressif est incomplet.
Entre la prison et la rue, aucun véritable dispositif offrant un nombre de
places suffisant n'est mis à la disposition des magistrats pour extraire de son
milieu social habituel la toute petite minorité de jeunes qui empoisonnent la
vie de nos concitoyens. Si la prison n'est pas une solution, la liberté et
l'impunité totale non plus.
Cette préoccupation de nos concitoyens sera l'objet de la commission d'enquête
qui - nous l'espérons - sera très rapidement créée.
Un sujet aussi sensible, aussi difficile ne peut être traité dans l'urgence,
mais la solution du problème doit être rapide, sauf à risquer que nos
concitoyens, rejetant toute politique de prévention, ne se radicalisent. Quand
on sait les efforts que nous déployons, les uns et les autres, sur le terrain,
dans la proximité, avec une efficacité qui n'est plus à démontrer, on mesure
les conséquences dommageables qu'aurait une telle dérive.
M. Badinter, égal à lui-même, nous a fait une brillante démonstration, d'un
ton un peu moralisateur, comme à son habitude. S'il avait encore été présent
dans l'hémicycle, j'aurais pu lui dire que les plus beaux raisonnements
intellectuels, les plus belles références aux textes de l'après-guerre,
trouvent toujours leurs limites dans le témoignage du plus humble de nos
concitoyens, qui n'a pas la chance de couler des jours heureux dans le vie
arrondissement.
(M. Carle applaudit.)
M. Gérard Delfau.
Oh la la !
M. Robert Bret.
Lui, il habite sans doute dans une HLM !
M. Alain Joyandet.
Mais M. Badinter est parti et il ne m'aura donc pas entendu.
M. Gérard Delfau.
C'est d'une mesquinerie !
M. Alain Joyandet.
Rapporteur spécial des crédits de la ville, je me suis rendu dans des
quartiers dits « sensibles ». Je n'ai pu que constater, hélas ! au-delà de la
belle démonstration à laquelle je faisais référence, mon cher collègue, même si
cela vous gêne un peu,...
M. Robert Bret.
Pas du tout !
M. Alain Joyandet.
... que tous les efforts entrepris pour la prévention, l'éducation,
l'insertion, étaient réduits à néant dans l'opinion du fait de l'absence de
punition pour ceux qui la méritent. Manque de volonté politique ? Dogme en
passe d'être révisé ? Je ne sais pas. Toujours est-il que tant la droite que la
gauche ont manqué de moyens, et vous en manquez toujours, monsieur le ministre.
Le membre de la commission des finances que je suis note que les budgets
cumulés des ministères de la justice et de l'intérieur sont inférieurs au coût,
en année pleine, pour le budget de l'Etat de la mise en oeuvre des 35 heures
!
M. Gérard Larcher.
C'est exact !
M. Alain Joyandet.
C'est dire, mes chers collègues, comment notre pays hiérarchise ses priorités
! Il me semble du devoir d'un Etat moderne de s'interroger sur les priorités
qu'il entend se donner. Et cela va bien au-delà de la réforme de la seule
ordonnance relative aux lois de finances, qui nous oblige, d'une année sur
l'autre, à voter 93 % des crédits sans pouvoir rien y toucher.
Ce phénomène de la délinquance est d'actualité et exige des moyens financiers,
raison supplémentaire pour réviser nos procédures budgétaires et peut-être
remettre à plat, en termes de financement, les priorités de l'Etat, puisque la
réalité des volontés politiques se mesure finalement à l'affectation budgétaire
dont elles font l'objet, et non à telle ou telle incantation sans lendemain.
La sécurité des personnes et des biens, enfin, monsieur le ministre,
constitue, je crois, la première action sociale, tant il est vrai que ce sont
toujours les plus démunis qui sont les plus vulnérables. Il y a longtemps que
les forts, ceux qui ont les moyens, ont privatisé leur sécurité. Il y a
longtemps que les forts et les puissants n'ont plus besoin du ministre de
l'intérieur ou du ministre de la justice pour assurer leur sécurité : il y a
longtemps qu'ils font appel aux sociétés privées !
D'ailleurs, il n'y a qu'à regarder le développement économique du secteur de
la sécurité privée pour constater combien l'Etat, dont la sécurité des
personnes et des biens est l'une des missions régaliennes, a failli dans ce
domaine, et ce, monsieur le ministre, en remontant bien au-delà des quatre
dernières années.
M. Gérard Larcher.
C'est exact !
M. Alain Joyandet.
Face à ce phénomène qui s'amplifie, il faudrait peut-être que tous ensemble
nous essayions de trouver les solutions les meilleures.
Quant aux maires, cher Gérard Larcher, nous ne sommes pas des shérifs et nous
n'avons pas envie de le devenir. Nous souhaitons simplement que les maires
soient un tout petit peu concernés et participent à ce que vous avez appelé une
coproduction de la sécurité. Parlant de « coproduction », on peut voir en nous
des acteurs - pas des comédiens - prêts, certes, à jouer, mais à condition
d'être placés sous les ordres du même metteur en scène et d'avoir le même
scénario. Pour le moment, les maires n'ont pas accès à toutes les informations
qu'ils souhaitent.
Les maires que nous sommes, monsieur le ministre, sont à votre disposition,
mais un certain nombre d'entre nous pensent que la sécurité des personnes et
des biens reste une grande mission de l'Etat ; nous pouvons y contribuer au
plus près du terrain, mais en aucun cas nous ne voulons nous substituer à vous,
ou à votre successeur, quand l'alternance se sera produite, bientôt, je
l'espère.
En tous cas, le texte que nous propose la commission démontre une parfaite
connaissance du terrain et, même s'il ne constitue pas un aboutissement, il est
d'une très grande qualité.
En attendant les constats et les recommandations de la commission d'enquête
sur la délinquance des mineurs, commission qui, je l'espère, sera mise en place
très rapidement, nous soutiendrons les présentes propositions de la commission,
sérieuses, cohérentes, novatrices, qui font suite aux nombreuses dispositions
introduites par l'Assemblée nationale, preuve que ce texte, légèrement
insuffisant, pèche non pas par le trop mais par le pas assez. C'est en cela,
monsieur le ministre, que nous voulons vous aider.
(Applaudissements sur les
travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai, comme
toujours, suivi avec l'attention qu'elle méritait l'intervention de notre
éminent collègue Robert Badinter.
Respectueux de ses convictions, je vais m'attacher, sur le seul point précis
de la délinquance des mineurs, compte tenu de la réserve que je me suis imposée
depuis quelque vingt ans sur les sujets relevant de votre compétence, monsieur
le ministre, je vais donc, dis-je, m'attacher à faire entendre mes propres
convictions, tout aussi solides, mais antagonistes. Je vais également
m'efforcer de démontrer sereinement, comme l'a souhaité notre excellent
collègue M. Peyronnet, qu'il est tout à la fois urgent de juguler la montée des
violences, dont les auteurs sont de plus en plus jeunes, et possible de le
faire sans déroger aux principes de base de l'ordonnance de 1945.
Et d'abord, l'urgence.
D'occasionnelle qu'elle était, la délinquance des mineurs se banalise. De
bénigne, elle devient inquiétante. Hier le fait d'adolescents, elle est
aujourd'hui le fait de gamins, qu'ils soient filles ou garçons.
A Montpellier, un adolescent de quatorze ans avoue avoir agressé et violé sept
femmes !
A Bavay, deux garçons de quatorze ans incendient un collège.
A Ronchin, un adolescent du même âge tue un camarade de collège de treize ans
à coups de couteau.
A Briey, cinq élèves brûlent Sébastien, leur camarade, avec du fer blanc
chauffé au chalumeau. On évoquait cette affaire au journal de TF 1 ce soir.
A Blainville, une fillette de douze ans est violée de multiples fois par des
condisciples... sur ordre de trois collégiennes !
A Besançon, quatre adolescents de onze à quatorze ans agressent et violent une
enfant de treize ans.
Aux Sables-d'Olonne est démantelé, ces tout derniers jours, un gang de filles
de douze à seize ans.
Autant d'affaires, toutes récentes, évoquées, parmi d'autres, par la presse,
sans préjudice des monstrueuses « tournantes » et des sévices perpétrés
quotidiennement contre des adultes sans défense, avec une mention spéciale pour
les guérillas urbaines dont certaines cités sont le théâtre, la dernière en
date - et on connaît l'âge des auteurs - étant celle du quartier de l'Ariane à
Nice.
Aussi bien des mesures s'imposent-elles dans l'urgence, ne serait-ce que pour
mettre fin au sentiment d'impunité qui encourage les coupables, démotive les
forces de police et de gendarmerie, inquiète les services de secours, suscite
le mutisme des témoins, exaspère les populations.
Urgentes, pour lutter efficacement contre ce qu'Hannah Arendt a qualifié de «
banalité du mal », les mesures proposées par la commission des lois ne portent
pas atteinte aux principes auxquels nous sommes attachés.
Si l'âge de la majorité pénale est fixé à dix-huit ans chez nos principaux
partenaires européens, l'âge de la responsabilité pénale est de dix ans en
Angleterre, mère des libertés.
M. Gérard Delfau.
Parlons-en ! Bel exemple !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il n'y a pas si longtemps, on y exécutait encore des enfants !
M. Christian Bonnet.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, je sais que vous avez le sang vif, mais je vous
demande d'avoir l'amabilité de me laisser terminer.
En Angleterre, mère des libertés, je le répète, l'âge de la responsabilité
pénale est fixé à dix ans. Elle est de douze ans aux Pays-Bas, pourtant connus
pour leur largeur de vues.
En France, contrairement à une idée répandue, il n'existe pas d'âge
d'irresponsabilité des mineurs.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Absolument !
M. Christian Bonnet.
Il est faux de prétendre qu'un mineur de moins de treize ans n'est pas
responsable pénalement.
Ainsi, comme l'a souligné le rapport remis au Premier ministre en avril 1998,
au nom de la mission interministérielle sur la prévention et le traitement de
la délinquance des mineurs, par Mme Christine Lazerges, vice-présidente
socialiste de l'Assemblée nationale, « les réponses judiciaires qui sont
susceptibles d'être apportées à un acte délinquant posé par un mineur peuvent
varier en fonction de son âge ».
Et de poursuivre : « Si la loi n'a rien prévu quant à l'âge à partir duquel un
mineur peut être attrait devant une juridiction pénale pour mineurs, la Cour de
cassation a précisé que cela ne pouvait être possible qu'à partir du moment où
le mineur a « compris et voulu » l'acte qui lui est reproché. En vertu de cette
jurisprudence, un mineur peut donc, dès l'âge de raison, soit dès sept ans
environ, être renvoyé devant une juridiction pénale. »
« A plusieurs reprises l'irresponsabilité pénale totale des mineurs de treize
ans a été évoquée par des professionnels devant la mission. Cela laisse à
entendre l'ignorance dans laquelle les mineurs eux-mêmes peuvent être de leur
responsabilité pénale. Il apparaît absolument indispensable de lutter contre
cette méconnaissance des textes et de sensibiliser les enfants aux divers
degrés de responsabilité qu'ils peuvent avoir à assumer devant la société au
fur et à mesure qu'ils grandissent. »
Et l'on ne saurait trop souligner, pour éviter tout procès d'intention, toute
interprétation malveillante de la position du Sénat, que, si la commission des
lois prévoit la possibilité d'une peine à l'égard du mineur âgé de plus de dix
ans, celle-ci ne saurait intervenir que « lorsque les circonstances et la
personnalité du délinquant paraissent l'exiger », sans qu'aucune peine
d'emprisonnement, avec ou sans sursis, ne puisse être prononcée.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Quelle peine ?
M. Christian Bonnet.
Répétons-le : large possibilité d'interprétation par le tribunal pour enfants
et exclusion de toute peine de détention.
Il n'y a d'ailleurs pas là, à proprement parler, brutale novation.
En effet, d'ores et déjà, lorsque des délits ont été commis en réunion par un
groupe de mineurs de plus, mais aussi de moins de treize ans, certains juges
font comparaître ces derniers devant le tribunal des enfants.
Lorsque le climat dans les collèges difficiles fait fuir les jeunes
professeurs - et les mesures récemment prises par votre collègue de l'éducation
nationale prouvent que ce n'est pas là une vaine crainte - lorsque les
commerçants ferment boutique, mais aussi que s'éloignent les médecins de
proximité, las de se faire agresser, la rupture avec les mythes rousseauistes
devient un devoir vis-à-vis des êtres les plus exposés aux conséquences de
l'affaiblissement des défenses immunitaires de la société.
M. Gérard Larcher.
C'est vrai !
M. Christian Bonnet.
Mes chers collègues, deux philosophies s'opposent : ...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Oui !
M. Christian Bonnet.
... l'une, obnubilée par le sort des coupables, l'autre, obsédée par la
détresse des victimes.
Je n'ai pas la prétention de convaincre le président Badinter du bien-fondé
des amendements de la commission. Mais à lui, comme à ceux qui se veulent
attachés à l'ordonnance de 1945 en son état actuel, je rappellerai, en
terminant, l'une des phrases de son exposé des motifs : « La France n'est pas
assez riche d'enfants pour qu'elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en
faire des êtres sains. »
Ces propos me paraissent toujours d'actualité.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'assassinat
d'un policier dans les rues d'Evreux voilà une quinzaine de jours rend ce texte
de loi sur la sécurité quotidienne encore malheureusement plus d'actualité. Si
ce drame, intervenu dans mon département de l'Eure, m'incite - j'allais dire
m'autorise - à apporter mon soutien à un certain nombre des mesures proposées
dans votre texte, monsieur le ministre, il ne m'interdit pas d'en dénoncer
certaines faiblesses, certaines insuffisances et certaines incohérences,
notamment à l'encontre des chasseurs, car le monde de la chasse est, une fois
de plus, sacrifié aux alliances politiques de la majorité plurielle !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ah !
M. Ladislas Poniatowski.
Ne souriez-pas, monsieur Dreyfus-Schmidt. Les chasseurs, faites-leur
confiance, sauront vous le dire à vous, et peut-être à quelques-uns de vos
amis, voire à plus que quelques-uns dans quelques mois...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous élevez le débat !
M. Ladislas Poniatowski.
Après la loi Voynet, qui a supprimé la chasse le mercredi et considérablement
diminué les périodes de chasse, c'est aujourd'hui la future loi Vaillant qui
s'en prend aux armes des chasseurs et traite ces derniers de la même manière
que les voyous et les délinquants.
Certes, la France est submergée par une violence nouvelle, essentiellement
urbaine. Les actes de violence et de délinquance ne cessent de défrayer la
chronique - notre collègue Christian Bonnet vient de nous le rappeler à
l'instant même. En matière de sécurité, monsieur le ministre, votre bilan est
malheureusement assez désastreux - vous n'êtes probablement pas le seul
responsable ; plusieurs orateurs ont rappelé les chiffres tout au long du
débat.
Ainsi, les actes de délinquance ont augmenté de 5,72 % en 2000, en particulier
de 14 % pour les vols à main armée, de 15 % pour les vols avec violence, de 11
% pour les homicides et de 17,5 % pour les dégradations de biens publics, sans
compter les coups et blessures, les voitures brûlées et les actes de violence
urbaine.
Face à ces chiffres alarmants, il est tout à fait louable que le Gouvernement
se penche sur la sécurité des citoyens ; les Français attendent d'ailleurs des
mesures précises.
En effet, ils n'admettent pas que les zones de non-droit se multiplient
partout sur notre territoire, mettant en danger le socle républicain de notre
démocratie.
Ils ne comprennent pas que la délinquance se banalise et se radicalise, que
les destructions et les dégradations de biens publics ou privés ne cessent de
progresser, tout comme les destructions de véhicules.
Ils s'inquiètent de constater que la violence est partout, dans les centres
commerciaux, dans les espaces sportifs et de loisirs, à l'école - vous avez été
plusieurs à le dire - et dans les transports en commun, où les agressions de
voyageurs ne cessent malheureusement d'augmenter.
De même, s'il est normal que la police soit en première ligne, les Français
s'indignent quand les policiers tombent dans des embuscades ou de véritables
guet-apens. Leur indignation est plus grande encore lorsque d'autres agents des
services publics, comme des contrôleurs des transports urbains, des agents EDF,
des sapeurs-pompiers, des agents d'offices d'HLM sont, à leur tour, accueillis
d'abord par des insultes, puis par de violents jets de pierres, si ce n'est
plus grave encore.
Les Français sont révoltés quand, plus inacceptable encore, les médecins
eux-mêmes ne peuvent plus pénétrer dans certaines cités pour prodiguer les
premiers soins et sauver des vies.
A tout cela, il faut ajouter le faible taux d'élucidation des crimes et
délits, ce qui suscite découragement chez les victimes et sentiment d'impunité
chez les délinquants.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, on ne peut pas affirmer que la
délinquance est contenue. Les Français étaient en droit d'attendre une réponse
particulière, forte et adaptée, notamment pour assurer une présence effective
dans les quartiers les plus sensibles, pour trouver une riposte aux actes de
délinquance, pour préserver le milieu éducatif. Je ne dis pas que c'est facile.
En tout cas, la réponse que vous apportez avec ce texte, monsieur le ministre,
est bien décevante, car elle ne comporte que des mesures disparates.
Lutter plus efficacement contre la fraude aux cartes bancaires est une mesure
utile, tenter d'enrayer la multiplication du nombre des chiens dangereux est
utile ; étendre les pouvoirs de police judiciaire aux adjoints de sécurité peut
être utile ; à la condition de prendre des précaution, notamment en matière de
formation.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cela peut être dangereux !
M. Ladislas Poniatowski.
Aggraver les sanctions contre les chauffards qui ont provoqué des accidents
sous l'emprise de drogues est assurément utile - cette mesure a été ajoutée par
nos collègues de l'Assemblée nationale.
Mais, monsieur le ministre, les priorités sont ailleurs. Et, surtout, on voit
mal ce que la chasse vient faire dans ce projet de loi !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Encore !
M. Ladislas Poniatowski.
Si l'activité cynégétique n'est pas en première ligne dans votre texte,
monsieur le ministre,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Chassez vos fantasmes !
M. Ladislas Poniatowski.
... le durcissement des règles régissant la vente et la détention des armes de
chasse la frappe durement.
Le Gouvernement prétend lutter contre la croissance du nombre d'armes à feu en
soumettant les commerces de détail à un régime d'autorisation, comme si les
délinquants allaient acheter leurs armes dans les magasins spécialisés en
prenant soin de décliner leur identité,...
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Justement !
M. Ladislas Poniatowski.
... comme si les délinquants utilisaient des armes de chasse pour commettre
leurs exactions ! Monsieur le ministre, je crois sincèrement que vous vous
trompez de cible !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Le policier abattu en Seine-Saint-Denis l'a été
avec un fusil de chasse !
M. Ladislas Poniatowski.
Ce ne sont ni les collectionneurs ni les cent quarante mille tireurs sportifs
qui sont en cause, bien qu'il puisse y avoir des brebis galeuses, et je m'en
réfère à cet égard à l'affaire d'Evreux. Ce ne sont pas non plus le million et
demi de chasseurs qui est en cause. Pourtant, ce sont bien eux que vous allez
lourdement pénaliser en interdisant la vente libre d'armes de gré à gré !
Ce sont les délinquants qu'il faut sanctionner, ceux-là mêmes qui
s'approvisionnent sur les réseaux illégaux, boycottant les lieux de
distribution officiels.
Lutter efficacement contre la délinquance exige non seulement une volonté
politique claire et affirmée, mais aussi du courage. Il faut même beaucoup de
courage pour restaurer l'autorité et la sanction, pour recourir plus largement
aux travaux d'intérêt général, pour permettre aux policiers de pénétrer dans
les écoles et pour substituer la tolérance zéro à la tolérance maximale.
Il faut du courage pour faire en sorte qu'aucune infraction, quelle que soit
sa gravité, ne reste impunie.
La sécurité est le premier des droits. C'est à l'Etat qu'il appartient de
l'assurer. Toute démission du Gouvernement en la matière serait
inacceptable.
Pour toutes ces raisons, je me réjouis du dépôt d'un certain nombre
d'amendements émanant notamment des commissions, plus particulièrement de la
commission des lois. Je les soutiendrai, comme je soutiendrai et voterai
d'autres propositions émanant de certains de mes collègues.
Je défendrai bien entendu les miennes également, monsieur le ministre.
Je suis sûr que toutes ces propositions vous aideront à mieux remplir cette
première mission dont vous avez la charge : assurer la sécurité des Français.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle.
Monsieur le ministre, votre texte est un catalogue de bonnes intentions, cela
a été dit tout au long de l'après-midi, à tel point qu'on ne sait trop par quel
bout saisir le débat.
Pour ma part, je veux insister sur le rôle essentiel des maires en matière de
sécurité, ces maires qui, on l'oublie trop souvent, ont deux
responsabilités.
En leur qualité d'officier de police judiciaire et d'officier de l'état civil,
ils sont les premiers agents de l'Etat et chargés, à ce titre, de faire
respecter la loi sur le territoire communal.
En tant qu'élus, ils sont les fantassins de la démocratie, auxquels, quoi
qu'il arrive, nos concitoyens s'adresseront toujours en premier.
Afin d'illustrer mon propos, je prendrai un exemple : celui des pouvoirs de
police du maire face à l'accueil des gens du voyage.
Lors des questions d'actualité, le 10 mai dernier, évoquant la Haute-Savoie,
notre collègue Pierre Hérisson avait souligné les dérives auxquelles les maires
doivent faire face et l'insuffisance des moyens tant juridiques que matériels
dont ils disposent pour faire appliquer la loi en ce domaine.
Vous aviez alors éludé le problème en faisant au Sénat une réponse digne de
Courteline, que je résumerai ainsi : « Tout va pour le mieux dans le meilleur
des mondes. Si vous avez un besoin, écrivez-nous. Nous vous expliquerons
comment vous en passer ».
Monsieur le ministre, ce n'est pas la bonne réponse, vous le savez bien, car
les textes législatifs et réglementaires ne suffisent plus.
Nous avons atteint l'intolérable quand l'un de nos collègues, M. Raymond
Bardet, maire de Ville-la-Grand, en Haute-Savoie, a été agressé alors qu'il
tentait de faire respecter la loi sur l'accueil des gens du voyage. Grièvement
blessé, il a dû être hospitalisé.
Noyé par l'acutalité des élections municipales, l'événement est passé
relativement inaperçu. En revanche, que n'aurait-on pas entendu si un nomade
avait été violenté ou seulement interpellé !
Ce qui s'est passé doit nous faire réfléchir sur le délitement de notre
société, dans laquelle l'ont peut bafouer les lois et frapper les élus de la
République dans l'exercice de leurs fonctions.
Qu'on en finisse avec les grands discours moralisateurs sur le pacte
républicain et la citoyenneté ! « Descendez de vos retraites dorées et ouvrez
les yeux ! Vous verrez combien la réalité est dure. C'est certain, on n'est pas
égal devant la loi. » C'est ainsi que m'interpellait récemment l'un de mes
concitoyens, dans une longue lettre, que je vous remettrai, monsieur le
ministre, car elle est criante de vérité.
Nous ne pouvons pas laisser sans réponse un tel désarroi.
Dans cette lettre, on pouvait également lire : « La loi doit être la même pour
tous : voilà le fondement de la République. »
Lors de l'examen de la loi Besson, nous avions mis en garde le Gouvernement
contre le laxisme. Il ne suffit pas en effet de réserver des emplacements pour
l'accueil. Pour assurer plus de transparence, l'Etat doit contrôler la
situation fiscale des gens du voyage, dont le train de vie contraste souvent
avec les faibles revenus qu'ils déclarent.
Il faut aussi donner aux maires les moyens de garantir la sécurité, la
tranquillité et la salubrité dans leur commune.
Il ne s'agit pas de jeter de l'huile sur le feu ni de montrer du doigt telle
ou telle communauté ; il s'agit seulement d'appliquer la loi avec équité et
sans complaisance.
Il n'y a en effet aucune raison de tolérer deux sortes de citoyens dans notre
pays : ceux qui se plieraient aux lois et payeraient leurs impôts, et ceux qui
s'en dispenseraient. En tant qu'élus, nous ne l'accepterons jamais. Ce n'est
pas de la démagogie, c'est une condition de la démocratie.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collèges, vous l'avez
bien compris à travers cet exemple : parler de sécurité de proximité, c'est
reconnaître que cette question se pose différemment selon qu'il s'agit de la
sécurité à nos frontières, de la sécurité intérieure, de la sécurité civile ou
de la sécurité au quotidien, voire de la sécurité alimentaire ; c'est admettre,
du même coup, qu'il faut donner aux maires les moyens d'agir au plus près du
terrain, quand ils sont mieux placés pour le faire, et faire intervenir l'Etat
lorsque cela est nécessaire.
C'est pour une répartition des compétences et des moyens respectueuse du
principe de subsidiarité que je plaide. La sécurité de proximité ne doit pas
être qu'un slogan.
Monsieur le ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour permettre aux
maires de mieux assumer leurs missions ? Vous refusez les polices municipales.
Soit. Mais quelle alternative proposez-vous ? J'avoue que je n'ai pas trouvé de
réponse dans votre projet de loi.
Le Sénat, lui, a fait des propositions concrètes, pour mieux associer le maire
aux actions de sécurité.
C'est l'obligation, pour le procureur de la République, d'informer le maire
des crimes et délits commis sur le territoire de la commune.
C'est l'obligation, pour le procureur, d'informer le maire, à sa demande, des
suites données aux plaintes concernant des infractions commises sur le
territoire de la commune et des motifs d'un éventuel classement sans suite.
C'est la possibilité, pour le maire, de se constituer partie civile au nom de
la commune en cas d'infraction commise sur la voie publique.
C'est la restitution au maire de sa compétence en matière de tranquillité
publique dans les communes où la police est étatisée.
C'est, enfin, la possibilité pour le maire de pendre un arrêté interdisant la
circulation sur la voie publique des mineurs de moins de treize ans non
accompagnés entre minuit et six heures. Les contrevenants seraient reconduits
chez eux et les parents responsabilisés.
Pour ma part, je voterai les propositions de la commission et me prononcerai
sur l'ensemble du texte en fonction de l'accueil que le Gouvernement leur
réservera.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je ne répondrai pas sur tous les points qui ont été évoqués. Je ne
répondrai notamment pas sur la question de la « municipalisation » de la
police, ni sur la modification de l'ordonnance de 1945 relative à la
délinquance des mineurs. Ce sont là des sujets sur lesquels je m'exprimerai de
nouveau lors de la discussion des articles.
De même, je ne reviendrai pas sur la réglementation des ventes d'armes, sur
laquelle je me suis longuement exprimé cet après-midi. Nous en débattrons
également ultérieurement.
Mais je veux rassurer M. Poniatowski à propos des chasseurs. L'objectif visé
n'est évidemment pas de pénaliser ces derniers. La question qui est posée
depuis longtemps par un certain nombre de parlementaires qui ne siègent pas
seulement dans les rangs de la majorité actuelle est de savoir comment
contribuer à diminuer le nombre de morts, chaque année, par armes à feu. On en
dénombre actuellement 4 000 ; ce n'est pas rien ! Les victimes sont notamment
des enfants. Telle est la raison d'être des dispositions proposées, qui n'ont
bien évidemment pas pour objet de contraindre les chasseurs.
Par ailleurs, permettez-moi de vous dire, monsieur Poniatowski, que c'est sans
doute un gouvernement conservateur qui a institué la redevance audiovisuelle :
quand on vend une télévision ou quand on en achète une, il faut le déclarer.
Or, posséder une télévision, c'est quand même moins dangereux que de céder un
fusil de gré à gré, comme vous dites !
Il n'y a pas atteinte à la liberté quand les choses sont faites clairement
pour permettre un suivi et il n'est pas inutile de responsabiliser les vrais
professionnels que sont les armuriers, de leur conférer une forme d'exclusivité
dans la réalisation et le suivi des ventes d'armes. En tout cas, je peux vous
dire que les chasseurs que j'ai dans ma famille ne m'ont fait aucune
remontrance en prenant connaissance des dispositions que nous proposons. Ils
pensent sans doute qu'il est normal que la détention d'armes soit transparente,
qu'un suivi soit assuré.
Il arrive hélas ! - et ce n'est pas le fait de chasseurs en tant que tels -
que des détenteurs de fusils de chasse tuent des hommes, y compris des
policiers. Je vous rappelle qu'avant le policier d'Evreux un autre policier a
été tué à Villetaneuse, en Seine-Saint-Denis. Il a été tué lorsqu'il s'est
présenté au domicile d'un forcené qui possédait un fusil de chasse et qui a
tiré quasiment à bout portant.
M. Ladislas Poniatowski.
Cela ne veut rien dire !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
A mon avis, les armes détenues par ces individus
ne provenaient pas d'un marché noir. Il faudra tout faire cependant, et les
forces de police agiront dans ce sens, pour réprimer le commerce illicite des
armes.
Au moment où se termine la discussion générale, je voudrais revenir sur
différents sujets généraux qui ont été évoqués par plusieurs d'entre vous - la
délinquance, les moyens de fonctionnement de la police, les effectifs - avant
de répondre à différentes observations plus particulières et d'en terminer sur
l'intérêt que présente ce projet de loi.
Avant même d'aborder ces différents points, je tiens à remercier M. Badinter
pour la qualité de son propos sur un sujet difficile, la délinquance des
mineurs, pour sa hauteur de vue, mais aussi pour les convictions qu'il a su, je
pense, faire partager.
Dans un même mouvement, je rendrai également hommage à M. Bonnet, dont
l'intervention, même si je n'en partage pas toutes les analyses, témoignait,
elle aussi, d'une grande hauteur de vue.
J'ai d'ailleurs cru percevoir un point commun entre les deux interventions,
dans la mesure où ni M. Badinter ni M. Bonnet n'ont eu l'air de considérer que
l'ordonnance de 1945, telle qu'elle était rédigée, ne permettait pas de
poursuivre pour crime des enfants ou des jeunes.
Tout à l'heure, en écoutant la liste dramatique qu'égrenait M. Bonnet à la
tribune, je me disais que tous les faits qu'il citait avaient été élucidés par
la police.
Sans doute n'avait-elle guère eu de mal à élucider ce genre de faits commis
par des jeunes. Mais, au-delà de l'élucidation, puis de la sanction, qui
intervient sur le plan judiciaire, la vraie question est de savoir pourquoi ces
jeunes ont commis ces crimes. Comment éviter ce genre de comportement ?
On voit bien que la réponse n'est pas policière en tant que telle, qu'elle
n'est même pas judiciaire sur le plan préventif. On doit se poser la question :
quand un jeune de dix ans commet un des crimes que vous avez cités, monsieur
Bonnet, pense-t-il aux conséquences de son geste ? Ce problème, d'ailleurs, il
nous faut l'aborder de manière dépassionnée, dans la société, au-delà du
Parlement. Il nous faut réfléchir à la manière d'éviter ce type de
comportement, à la manière de transmettre des valeurs à la jeunesse à travers
une politique d'éducation et une autorité parentale restituée.
Peut-être faudrait-il s'interroger collectivement sur la nécessité de faire en
sorte que la violence ne soit pas si médiatisée, presque mise en valeur ?
Bref, autant de questions que je ne vais pas pas traiter à cette heure
tardive.
Je dirai simplement que les deux interventions dont j'ai parlé ont témoigné,
elles aussi, de la difficulté qu'éprouvre la société pour traiter
préventivement ces problèmes qui se posent à elle.
Bien évidemment, il ne s'agit pas de faire preuve de laxisme à l'égard de tels
crimes, qui doivent être sanctionnés, mais la meilleure réponse serait de faire
en sorte qu'ils n'aient pas lieu.
J'en viens à l'évolution de la délinquance et à la mesure de l'insécurité.
Contrairement à une idée largement et complaisamment répandue, le niveau
actuel de la délinquance, même s'il n'est pas pour me satisfaire, demeure
inférieur à celui qui était constaté, par exemple, dans les années 1993 et
1994. Ces années ont, au demeurant, été celles où la délinquance a été la plus
élevée, avec 3 880 000 faits constatés en 1993 et 3 920 000 en 1994. Depuis,
ces sommets n'ont heureusement plus jamais été atteints, pas même en 2000, qui
ne fut pourtant pas une bonne année puisque 3 770 000 faits ont été enregistrés
cette année-là.
Bien entendu, ces chiffres sont de toute façon trop élevés, et il faut faire
en sorte que la police soit plus efficace, même si cela contribue à faire
monter les statistiques.
Qu'en est-il de la délinquance de voie publique, celle à laquelle nos
concitoyens sont le plus sensibles, car elle a des conséquences sur leur vie de
tous les jours ? Cette forme de délinquance s'est constamment située au-dessus
de 2 millions de faits constatés par an durant les années 1993-1996, avec 2 095
000 faits constatés en moyenne, et elle est demeurée au-dessous de ce chiffre
de 1997 à 2000, avec 1 931 000 faits constatés en moyenne.
Là encore, cela reste beaucoup trop.
De façon générale, les augmentations enregistrées en 2000 tiennent à la
progression pénalisante de la délinquance économique et financière, qui a crû
de 19 %, ainsi qu'aux effets induits par la police de proximité, notamment un
meilleur accueil des victimes. Comme je le disais en aparté à votre rapporteur,
il apparaît clairement que la police de proximité, quand nous pouvons évaluer
son travail avec un certain recul - bientôt une année dans la première zone de
généralisation -, par la présence territoriale et la fidélisation qu'elle
implique, par sa polyvalence aussi, fait augmenter le nombre des plaintes, ne
serait-ce que parce que les plages horaires d'accueil sont plus larges.
Au terme de la deuxième phase de mise en place de la police de proximité, on
comptera 616 implantations de police supplémentaires et lorsque la
généralisation aura été complète, ces implantations supplémentaires seront de
l'ordre de 1 000.
Tout cela concourt à faire augmenter les dépôts de plaintes. Les faits
eux-mêmes demeurent, certes, en nombre élevé, mais ils ne sont pas pour autant,
me semble-t-il, en augmentation.
Cela étant, nos instruments de mesure de l'insécurité, précisément parce
qu'ils mettent sur le même plan des données résultant de l'activité accrue des
services et les infractions constatées, sont mal adaptés. Au demeurant, ils ne
rendent pas assez bien compte de l'activité réelle des services.
C'est pourquoi il me paraît nécessaire de sortir du débat récurrent sur les
statistiques de la délinquance et, à l'instar de ce qui a été fait en matière
de chômage, dans un souci de plus grande transparence, de mettre en place un
dispositif qui permette à chacun de mieux mesurer la réalité de l'insécurité et
l'efficacité de la lutte contre la délinquance.
Il ne s'agit évidemment pas de chercher à « casser le thermomètre ».
Simplement, dans une démocratie comme la nôtre, il serait utile, quel que soit
le pouvoir en place, de disposer d'un instrument de mesure indépendant, reconnu
comme objectif, nous évitant de nous envoyer en permanence des statistiques à
la figure, ce qui ne serait pas très grave s'il n'y avait, derrière ces
querelles, des Français qui souffrent de la délinquance et qui méritent
d'autres manifestations de considération que ces interminables batailles autour
de chiffres contestés parce que, sans doute, contestables.
Il est frappant de constater que, notamment dans des zones de police de
proximité, le taux d'élucidation baisse, mais le nombre de faits élucidés
augmente. Il y a donc une plus grande efficacité de la police mais, par rapport
à la délinquance générale, en particulier à la délinquance financière que
j'évoquais, le taux d'élucidation baisse.
Ce paradoxe montre qu'il faut être prudent dans l'utilisation des mots.
Afin de mettre au point un nouvel outil de mesure mieux adapté, une mission de
préfiguration d'un observatoire de la sécurité va être mise en place dans les
semaines qui viennent sous l'autorité d'une personnalité reconnue - elle ne
sera pas placée sous l'autorité du ministre de l'intérieur - afin que nous
puissions à terme disposer d'outils mieux adaptés au suivi de la délinquance
ainsi qu'au suivi de l'activité des services d'enquête et des suites données
par l'institution judiciaire.
Il s'agira également d'instaurer une totale transparence en permettant la
diffusion périodique des informations sur la délinquance et les réponses
apportées par les politiques publiques.
Comme vous le voyez, dans ce domaine comme dans d'autres, le Gouvernement
entend agir, prendre des mesures concrètes et sortir de polémiques que je
trouve quelquefois inutiles au regard des attentes de nos concitoyens.
L'intervention de M. Poniatowski m'incite à revenir sur la loi d'orientation
et de programmation de 1995. A l'époque, j'avais participé à la discussion en
tant que député,...
M. Jean-Jacques Hyest.
Je m'en souviens !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
... et peut-être m'étais-je d'ailleurs montré
alors un peu trop critique...
M. Jean-Jacques Hyest.
Je le crois !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
... mais c'est le lot des parlementaires de
l'opposition.
(Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest.
Pas de tous !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Quoi qu'il en soit, cette loi, à laquelle
plusieurs orateurs ont fait référence, est restée largement lettre morte,
notamment dans son volet « programmation ». A peine l'encre était-elle sèche
qu'un nouveau ministre était chargé de l'appliquer et que l'on oubliait, par
exemple, de pourvoir ces fameux 5 000 emplois qui étaient si souvent vantés
dans les discours mais pour lesquels les recrutements étaient plus rarement
effectués.
Eh bien, cette année, ce sont 800 policiers qui sont déployés sur le terrain,
après les 600 policiers mis en place l'an dernier par mon prédécesseur.
Alors, les lois d'orientation, c'est bien, surtout pour ceux qui les
présentent, mais les lois d'application concrète m'apparaissent également bien
utiles quand il s'agit d'apporter des réponses rapides aux problèmes qui se
posent dans la société.
Tel est bien l'objet de ce projet de loi sur la sécurité quotidienne.
Les moyens matériels nécessaires à l'action des policiers n'ont pas été,
contrairement à ce que certains ont eu tendance à dire aujourd'hui, donnés
largement entre 1993 et 1997, malgré cette fameuse loi d'orientation et de
programmation sur la sécurité du 21 janvier 1995. En dépit d'une progression
apparente, le budget d'équipement et de fonctionnement courants de la police
nationale a stagné. Les mesures d'économie inscrites en loi de finances
initiale pour 1997 ont même ramené le « pouvoir d'achat » - donc en francs
courants - de la police nationale à un niveau inférieur à celui de 1993. Les
budgets exécutés ont été encore inférieurs du fait d'importantes annulations de
crédits durant cette même période.
Je n'insiste pas parce que je ne veux pas être désagréable, mais il convient
de ramener les choses à leurs justes proportions.
Tout le monde s'accorde à reconnaître que, depuis 1997, un effort sans
précédent a été consenti pour accroître les moyens de fonctionnement de la
police nationale.
Ainsi, de 1998 à 2001, les crédits de fonctionnement de la police nationale
ont été portés de 3,8 milliards de francs à 4,340 milliards de francs. Certes,
ce n'est pas encore assez, et vous savez très bien, monsieur Bonnet, qu'un
ministre se bat toujours pour essayer d'obtenir un peu plus, afin de satisfaire
la demande. Mais il convient aussi de respecter une logique qui nous rassemble
tous et qui veut que l'on contienne la progression des dépenses publiques, afin
de réduire les déficits et d'être « dans les clous » par rapport aux exigences
de la Commission de Bruxelles et aux engagements que notre pays prend sur le
plan européen. Il reste que les deux chiffres que je viens de citer traduisent
une augmentation de 540 millions de francs, soit près de 15 %.
Cette augmentation des moyens a été accélérée, en particulier, dans le budget
de 2001, pour accompagner la mise en oeuvre de la police de proximité.
Cette progression, c'est une réalité concrète : elle montre que ce
gouvernement ne fait pas, lui, une programmation virtuelle ou purement
déclarative.
L'effort sera encore amplifié avec la démarche stratégique de la police
nationale engagée par le ministère de l'intérieur pour accompagner la fin de la
mise en oeuvre de la police de proximité et pour préparer la police nationale
aux enjeux de demain.
Je pense que la police nationale dispose et disposera dans les années qui
viennent, dans le cadre d'un plan propectif que je souhaite mettre en place,
des moyens nécessaires pour accomplir ses missions.
Depuis 1994, le corps des gradés et gardiens de la paix enregistre une
augmentation sensible des départs en retraite, notamment en retraite anticipée.
Afin de compenser la régression des effectifs opérationnels et l'absence totale
de mesures d'anticipation pendant la période 1994-1997, le Gouvernement a
autorisé le recrutement anticipé de 3 190 gardiens de la paix titulaires en
surnombre par rapport aux effectifs budgétaires : 1 190 en 1999, 1 000 en 2000
et 1 000 en 2001.
Ces surnombres ont permis d'assurer, pour 1 810 d'entre eux, la mise en place
de la police de proximité, qui nécessite un renfort moyen des effectifs de
gradés et gardiens de la paix que nous avons estimé à 8 %. Cela veut dire
concrètement que, lorsque la police de proximité sera mise en place partout,
avec les effectifs nécessaires, après validation des schémas locaux de police
de proximité, les effectifs auront dû être augmentés sur le terrain de 8 %
De 1999 à 2000 inclus, grâce au surnombre autorisé et avec les transformations
d'emplois d'officiers en gardiens de la paix, les effectifs opérationnels du
corps de maîtrise et d'application ont progressé de 2 809 unités, dont 2 483
pour la seule année 2000.
Je rappelle que 1 000 recrutements complémentaires ont été décidés lors du
conseil de sécurité intérieure du 30 janvier dernier. Les intéressés sont
aujourd'hui à l'école et pourront être mis à la fin de l'année sur le terrain
pour permettre la réalisation de la troisième phase de généralisation de la
police de proximité.
Ainsi, j'y insiste, tous les départs à la retraite vont pouvoir être
compensés.
Je précise bien que cela n'a rien à voir avec les adjoints de sécurité.
Un document qui émane de l'opposition évoque l'embauche de 30 000 personnes.
Nous en sommes déjà à 25 000 embauches, auxquelles il convient d'ajouter les 3
190 agents en surnombre que j'évoquais voilà quelques instants.
Quant aux 16 000 adjoints de sécurité, qui sont actuellement sur le terrain et
non pas dans les bureaux, ils sont bien utiles, notamment, pour remplacer les
policiers auxiliaires dont nous ne pouvons plus disposer du fait de la
disparition du service national. Leur nombre a quasiment doublé et ils
concourent, aux côtés des gardiens de la paix, par leur action et leur
présence, à la sécurité.
J'en viens à quelques observations plus particulières qui me permettront de
répondre à certaines interventions.
M. Karoutchi, dont je salue les propos mesurés, a souligné que les services de
police devaient être mieux coordonnés. Effectivement, plus les services de
police sont coordonnés, mieux nous nous portons.
De ce point de vue, des progrès ont été réalisés puisque nous avons dû -
notamment - remplacer ce qui a été défait en 1993. Je veux parler du terme mis
cette année-là à la réforme de la départementalisation des services de police,
qui allait pourtant dans le sens d'une plus grande synergie des services de
police.
Pour ma part, par des mesures concrètes et opérationnelles, je m'attache à
faire travailler ensemble les différents services de police.
C'est ce que nous faisons, par exemple, pour lutter contre les phénomènes de
bandes. Ainsi, des actions ciblées, aujourd'hui au nombre de quatorze, sont
menées sur des terrains particuliers, identifiés, dans les quartiers que des
bandes tentent de déstabiliser, voire de s'approprier.
Il n'est pas envisageable que dans un pays comme le nôtre le non-droit
l'emporte sur l'état de droit dans certains quartiers. Il faut que la police y
reprenne pied, et c'est la raison pour laquelle nous engageons des actions
coordonnées qui mobilisent tous les services de police et donnent lieu, en
liaison étroite avec la justice, à un suivi judiciaire.
L'objectif est de démanteler les réseaux, les trafics, l'économie souterraine
et de venir à bout de ceux qui sont à leur tête, de ceux qui provoquent le
désordre et génèrent les problèmes dans les cités, y compris lorsque ce sont
des adultes qui pilotent ou dirigent les bandes. C'est, hélas ! parfois le cas,
comme on le découvre lors des enquêtes.
Il s'agit donc là d'opérations très clairement identifiées, et j'espère
qu'elles porteront leurs fruits.
Je peux d'ailleurs déjà donner des indications : à Nice, de nombreux voleurs «
à la portière » ont été interpellés et écroués, ce qui a permis de mettre un
terme à cette forme de délinquance.
M. Ladislas Poniatowski.
Pour l'instant !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Il faut quand même agir, monsieur Poniatowski,
ne pas baisser les bras face à ces phénomènes ! Ne me découragez pas !
(Sourires.)
M. Ladislas Poniatowski.
Absolument !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
En ce qui concerne la police de proximité, si la
loi de 1995 y faisait référence, elle ne la définissait pas et, surtout, elle
ne contenait pas de mesures propres à assurer sa mise en oeuvre.
C'est donc ce gouvernement qui a décidé sa mise en place, l'a définie et mise
en oeuvre. Je suis heureux qu'aujourd'hui la doctrine d'emploi que nous avons
développée soit approuvée par l'ensemble des partis politiques. C'est un beau
succès, et je m'en réjouis d'autant plus qu'il encourage la police nationale -
et le Gouvernement - à poursuivre ses actions de police de proximité au service
de la sécurité.
Au moment où cette politique commence à produire ses effets et se généralise à
l'ensemble du territoire - en zone police, bien sûr - gardons-nous donc de la «
casser » en plaçant une partie des services de police sous l'autorité du
maire.
Je remercie à cet égard M. Peyronnet d'avoir souligné l'intérêt de la police
de proximité et mis l'accent sur l'équilibre qu'elle apporte en matière de
prévention, de dissuasion et de sanction.
En revanche, je dois dire à M. Gérard Larcher qu'il n'y a pas de police de
proximité sans lien avec les exigences de l'ordre public, ou sans lien avec la
police judiciaire. Ce n'est pas un vague îlotage, une police « gentille », ou
une police municipale vaguement améliorée. C'est une police plus proche, à
l'écoute, mieux formée, et disposant de la panoplie du policier, y compris sur
le terrain judiciaire.
M. Gérard Larcher.
Je n'ai pas dit le contraire !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Je ne prétends pas que vous ayez dit le
contraire, mais, moi, je l'affirme.
J'en viens aux contrats locaux de sécurité et à la politique de coproduction
de sécurité.
J'invite ceux qui critiquent cette démarche à méditer ces quelques phrases : «
Les maires restent les mieux placés pour mettre en oeuvre des solutions de
proximité. Leurs pouvoirs de police, déjà prévus par la loi municipale de 1884,
font partie intégrante de notre tradition républicaine. Sous votre contrôle, et
avec votre appui, au contact de la population, ils peuvent efficacement définir
les priorités d'une action de terrain, notamment par l'intermédiaire des
contrats locaux de sécurité. » Ces lignes, c'est Jacques Chirac qui les
prononça, le 29 avril 2001, au Palais de l'Elysée, devant les préfets.
Je veux continuer cette politique parce qu'elle met en synergie les différents
acteurs de notre société au service de la sécurité et de la tranquillité, et
donc de la liberté.
M. Gérard Larcher.
C'est bien : il faut tenir les engagements de M. Chirac !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
C'est ainsi que nous nous sommes engagés dans
cinq conférences interrégionales - raison pour laquelle je me suis rendu à
Bordeaux vendredi dernier - qui se concluront par une rencontre nationale pour
évaluer et intensifier l'action et les moyens des contrats locaux de
sécurité.
C'est ainsi que 4 000 emplois adultes-relais ont été créés lors du conseil de
sécurité intérieure qui s'est tenu le 31 janvier.
C'est ainsi que 340 millions de francs supplémentaires ont été affectés à
travers la politique de la ville, somme qui s'ajoute à tous les moyens déjà
consacrés aux contrats locaux de sécurité, auxquels il faut, bien sûr, inciter
tous les acteurs à participer, notamment les maires...
M. Gérard Larcher.
Et la justice !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
... et la justice et les bailleurs sociaux, et
les transporteurs et les associations, et l'éducation nationale : j'en suis
d'accord !
La circulaire que j'ai adressée aux préfets le 3 mai - donc sans attendre
l'adoption du présent projet - pour les inciter à réunir chaque semaine les
maires, les commissaires de police ou les commandants de gendarmerie afin
qu'ils définissent des politiques de sécurité et de prévention dans le cadre de
la proximité démontre que nous partageons le même état d'esprit.
Il faut cependant que la police nationale conserve son cadre d'action, sa
hiérarchie policière, sa formation. Je constate d'ailleurs que personne n'ose
la remettre en cause, sauf à en placer une partie - celle qui n'assurerait pas
l'ordre public - sous l'autorité des maires, ce à quoi, vous l'avez compris, je
m'oppose.
Je me suis déjà exprimé sur la portée du présent projet de loi dans mon
intervention liminaire. Je n'y reviendrai donc que brièvement.
Aux nombreux orateurs qui se sont exprimés sur ce point, je répondrai d'abord
que j'ai ressenti chez eux - mais j'espère qu'ils me démentiront au cours de la
discussion des articles et peut-être même au moment du vote - davantage un
regret quant à l'existence même de ce projet de loi - au fond, ils regrettent
que ce soit ce gouvernement qui l'ait présenté - qu'une véritable critique
quant à son contenu.
M. Alain Joyandet.
Toujours la méthode Coué !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
En tout cas, moi, cela me satisfait. Et, comme
on ne peut pas vraiment critiquer ce qu'il y a dans le projet de loi, on
critique ce qui n'y est pas !
(Sourires.)
Je répondrai aussi qu'il vaut mieux un texte qui traite de questions concrètes
et qui réponde aux attentes de nos concitoyens plutôt qu'une nouvelle loi de
programmation qui restera lettre morte.
Sur ce point, je rejoins ce que disait M. Hyest - que je tiens à saluer pour
sa bonne foi - il faut faire des lois utiles. C'est précisément l'objet de ce
projet de loi. Je tiens simplement à rectifier une erreur de chronologie : il
n'est pas la conséquence des élections municipales. La décision de le présenter
a été prise le 30 janvier 2001 et il a été soumis au Conseil d'Etat bien avant
le premier tour des élections municipales.
M. Jean-Jacques Hyest.
Sauf pour les ajouts concernant les maires !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Ces ajouts sont en effet postérieurs...
M. Gérard Larcher.
Comme quoi on évolue !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
... aux élections municipales, mais,
honnêtement, c'est une conception que depuis longtemps j'ai en moi pour avoir
moi-même été maire d'un arrondissement. Certes, les arrondissements n'ont pas
de personnalité juridique, mais dans les faits, les fonctions sont les
mêmes.
Il était bon d'inscrire dans la loi le principe de l'association des maires à
la définition de la politique de sécurité. Je constate que l'ensemble des
intervenants s'accordent à penser que les mesures proposées sont utiles et je
me satisfais de cette approbation.
En définitive, l'ambition de ce texte est de répondre à l'attente de nos
concitoyens en matière de sécurité quotidienne : enlèvement des épaves,
tranquillité des pieds d'immeubles, sécurité des transports publics, plus
grande efficacité des services de police par ailleurs plus proches des
citoyens, lutte contre les animaux dangereux, qui, en quelque sorte, sont des
armes par destination,...
M. Gérard Larcher.
Oui, ce sont des armes !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
... protection des utilisateurs de cartes
bleues. Tout cela, c'est effectivement le quotidien, et la sécurité au
quotidien est, je crois, ce qu'attendent nos concitoyens.
Je ne dis pas que ce projet de loi fait à lui seul toute la politique de
sécurité. Celle-ci se conduit tous les jours, et la police, tous les jours,
paie un lourd tribut, comme l'a souligné M. Poniatowski.
Il représente simplement une étape et permettra de régler un certain nombre de
problèmes suffisamment importants pour que même après minuit l'on s'y arrête au
Sénat !
M. le président.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
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