SEANCE DU 13 JUIN 2001
M. le président.
Par amendement n° 143, M. Lambert, au nom de la commission, propose d'insérer,
avant l'article 48, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'Assemblée nationale doit se prononcer, en première lecture, dans le délai
de quarante jours après le dépôt d'un projet de loi de finances au sens de
l'article additionnel avant l'article 1er.
« Le Sénat doit se prononcer en première lecture dans un délai de vingt jours
après avoir été saisi.
« Si l'Assemblée nationale n'a pas émis un vote en première lecture sur
l'ensemble du projet dans le délai prévu au premier alinéa, le Gouvernement
saisit le Sénat du texte qu'il a initialement présenté, modifié, le cas
échéant, par les amendements votés par l'Assemblée nationale et acceptés par
lui. Le Sénat doit alors se prononcer dans un délai de quinze jours après avoir
été saisi.
« Si le Sénat n'a pas émis un vote en première lecture sur l'ensemble du
projet de loi de finances dans le délai imparti, le Gouvernement saisit à
nouveau l'Assemblée du texte soumis au Sénat, modifié, le cas échéant, par les
amendements votés par le Sénat et acceptés par lui.
« Le projet de loi de finances est ensuite examiné selon la procédure
d'urgence dans les conditions prévues à l'article 45 de la Constitution.
« Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans le délai de soixante-dix jours
après le dépôt du projet, les dispositions de ce dernier peuvent être mises en
vigueur par ordonnance. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Lambert,
rapporteur.
En l'occurrence, il s'agit des délais de vote des projets de
loi de finances.
L'amendement s'inscrit dans la logique de la réforme, qui exige une
revalorisation forte de la discussion de la loi de règlement et une meilleure
coordination entre cette discussion et celle du projet de loi de finances de
l'année suivante.
Le Conseil constitutionnel a décidé que la procédure prévue par l'article 47
de la Constitution pour les lois de finances ne s'appliquerait pas aux lois de
règlement. Il est cependant possible au législateur organique de revenir sur
cette jurisprudence, celle-ci se justifiant par le silence de l'ordonnance
portant loi organique.
Pourquoi imposer une telle contrainte ? D'abord, cette contrainte pèserait
tout autant sur le Gouvernement que sur le Parlement, le premier se servant
souvent de la discussion du projet de loi de règlement comme variable
d'ajustement de l'ordre du jour. Ensuite, la contrainte pour le Parlement
serait, en réalité, d'examiner le projet de loi de règlement avant, voire en
même temps que le projet de loi de finances de l'année.
Il y a une forte logique à mieux articuler ainsi les discussions, puisque cela
permettra de disposer des résultats pour apprécier les nouveaux objectifs.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Je partage la préoccupation qui vient d'être exprimée
par M. le rapporteur. Il faut, en effet, que l'examen du projet de loi de
règlement devienne un moment important de notre vie politique et budgétaire, et
qu'il soit l'occasion d'évaluer les politiques publiques.
Pour que cet examen ait du sens, il faut que le projet de loi de règlement
puisse être adopté avant que s'achève l'examen du projet de loi de finances de
l'année.
Je suis favorable au principe. Je m'interroge cependant sur l'opportunité de
faire figurer un tel délai dans le texte organique et sur la faisabilité de
cette mesure. C'est la raison pour laquelle je m'en remets à la sagesse du
Sénat.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 143.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Mes chers collègues, je comprends bien la préoccupation exprimée par M.
Lambert et la commission des finances à travers cet amendement. Cependant, je
m'interroge : lorsque le Conseil constitutionnel a indiqué que les délais
applicables aux lois de finances ne concernaient pas les lois de règlement,
s'est-il fondé sur le fait, comme vient de le dire le président Lambert, que la
loi organique de 1959 ne précisait rien à cet égard ou bien a-t-il considéré
que la Constitution ne l'avait pas prévu ? Ce sont deux choses différentes !
Je souhaite appeler votre attention sur ce point, mes chers collègues, car si
l'amendement n° 143 est adopté, ce qui sera sans doute le cas, et si
l'Assemblée nationale devait nous suivre, je ne pense pas que le Conseil
constitutionnel pourrait approuver notre démarche. En effet, l'article 47 de la
Constitution qui vise les projets de loi de finances de l'année prévoit que si
le Parlement ne s'est pas prononcé dans les délais les dispositions du projet
peuvent être mises en vigueur par ordonnance. Pourquoi ? Parce qu'il faut
assurer la continuité de la vie nationale et que l'on n'a pas voulu avoir
recours, comme sous la IVe République, aux ridicules et pitoyables douzièmes
provisoires.
Si cette exception est posée par la Constitution elle-même, exception à la
règle sacrée depuis 1789 selon laquelle seul le Parlement peut voter le budget,
le Gouvernement ne peut agir par ordonnance que si le Parlement est défaillant.
C'est une exception majeure dans la tradition et le droit parlementaire
uniquement justifiée par l'impératif de continuité de la vie nationale.
Comme il s'agit d'une exception grave fondée sur une raison précise - assurer
la continuité de la vie nationale - je ne vois pas comment, cher président
Lambert, le Parlement, par le biais d'une loi organique, pourrait étendre cette
exception aux prérogatives historiques du Parlement à d'autres domaines dans la
mesure où c'est tout de même, je le répète, l'exception en vertu de laquelle le
Parlement n'est pas appelé à voter lui-même sur un texte budgétaire.
Le vote sur le projet de loi de règlement - qui traduit une histoire ancienne
et une période close - n'a pas le même caractère d'urgence que le vote sur le
projet de loi de finances initiale. Pour approuver la photographie de ce qui
s'est passé dix-huit mois plus tôt, on peut attendre quinze jours, trois
semaines, un mois, voire plus. Cela ne pose un problème que pour le règlement
définitif des comptes de l'Etat et pour le règlement des situations des
comptables. Il n'y a pas de menaces de douzièmes provisoires.
Mes chers collègues, je ne voterai pas l'amendement n° 143 en raison de son
dernier paragraphe. En effet, je ne pense pas que nous puissons, par une loi
organique, même dans le domaine des lois de finances, décider allègrement que,
désormais, en la matière, l'exécutif pourra se substituer systématiquement et
même si cela ne se justifie pas par un impératif national par des ordonnances
au vote du Parlement. En raison de son dernier alinéa, l'amendement n° 143
n'est pas conforme à la Constitution ; c'est en tout cas mon sentiment car
l'exception des ordonnances doit s'interpréter strictement : elle est à
l'évidence de « droit étroit ».
M. Alain Lambert,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Lambert,
rapporteur.
Je ne partage pas du tout le point de vue de Michel Charasse,
tout en le respectant. C'est en effet le silence de l'ordonnance
organique...
M. Michel Charasse.
Non !
M. Alain Lambert,
rapporteur.
Nous sommes confrontés à une juxtaposition de points de vue
!
En tout cas, je confirme au Sénat que, personnellement, je ne partage pas
cette analyse constitutionnelle : c'est en raison du silence de l'ordonnance
organique que la jurisprudence du Conseil constitutionnel est ce qu'elle est
actuellement.
Je rappellerai que la loi de règlement, dans sa nouvelle version, aura une
importance qui n'est absolument pas comparable à celle qu'a la loi de règlement
ancienne version, puisque c'est cette loi de règlement qui nous révélera si les
objectifs fixés et les résultats promis ont été atteints. Il va de soi que pour
reconduire, amplifier, réorienter une politique l'année suivante, il est bon de
connaître les résultats de la politique antérieure.
C'est toute la logique de cette réforme ! Nous passons d'une budgétisation de
moyens à une budgétisation par objectif. Si nous ne savons pas si les objectifs
ont été atteints, alors, nous votons à l'aveugle. Il est donc capital de nous
servir de la loi de règlement. Mais encore faut-il qu'elle soit présentée et
examinée en même temps que la loi de finances. C'est une logique que,
vraisemblablement, le Conseil constitutionnel ne contestera pas.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Je reconnais qu'il y a débat sur ce point. Je crois simplement que, dans la
décision à laquelle M. Lambert fait référence, le Conseil constitutionnel a pu
dire qu'il n'y avait rien dans la loi organique de 1959 parce que, dans le cas
contraire, il aurait été obligé de suivre les prescriptions de la loi
organique.
Je me permets de rappeler que l'ordonnance de 1959 portant loi organique n'a
jamais été examinée par le Conseil constitutionnel. S'il y avait eu quelque
chose à ce sujet dans la loi organique et si celle-ci avait été soumise en son
temps au Conseil constitutionnel, personne ne peut dire aujourd'hui ce qu'il
aurait fait en 1959.
Je considère donc que mes arguments restent très solides et comme ceux du
président Lambert sont loin d'être négligeables, au lieu de voter contre cet
amendement, je ne prendrai pas part au vote.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 143, pour lequel le Gouvernement s'en remet à
la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la
proposition de loi organique, avant l'article 48.
Article 48