SEANCE DU 20 JUIN 2001
COUVERTURE
DES NON-SALARIÉS AGRICOLES
Discussion d'une proposition de loi
déclarée d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 303,
2000-2001) adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence,
portant amélioration de la couverture des non-salariés agricoles contre les
accidents du travail et les maladies professionnelles. [Rapport n° 372
(2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le président, si vous
n'y voyez pas d'inconvénient, j'interviendrai plutôt à la fin de la discussion
générale.
M. le président.
Comme il vous convient, monsieur le ministre !
Dans ces conditions, la parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Seillier,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi, adoptée par
l'Assemblée nationale, portant amélioration de la couverture des non-salariés
agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles
dispose d'une « histoire parlementaire » déjà riche.
En effet, ce texte figurait dans l'avant-projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 2001, communiqué en septembre 2000 aux partenaires
sociaux. Le Conseil d'Etat a souhaité disjoindre cette disposition.
Contrairement à ce que certains commentaires ont pu laisser supposer, il n'a
pas considéré qu'il s'agissait d'un « cavalier ». Un tel jugement aurait, du
reste, été difficile à justifier, cette mesure d'organisation ayant une
incidence financière directe sur les comptes de la sécurité sociale. Il a
estimé que la réforme méritait un examen approfondi, peu compatible avec la
discussion d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale, soumise à
des délais constitutionnels d'examen très resserrés.
Une première proposition de loi a été déposée à l'Assemblée nationale par M.
Jacques Rebillard, député de Saône-et-Loire, et plusieurs de ses collègues
membres du groupe Radical, Citoyen et Vert.
A la suite de l'intervention de M. Charles de Courson, député de la Marne et
rapporteur spécial du budget annexe des prestations sociales agricoles,
invoquant l'article 40 de la Constitution, cette proposition de loi -
manifestement irrecevable - a été retirée.
M. Jacques Rebillard et ses collègues ont déposé une seconde « mouture »,
respectant la figure imposée à l'article 40, tout en appelant explicitement le
Gouvernement à l'amender en séance publique. Ce dernier - ô surprise ! - s'est
exécuté sans difficulté, le 3 mai dernier.
Certains députés ont pu dénoncer un détournement de l'article 48, alinéa 3, de
la Constitution. Pour ma part, je ne souhaite pas entrer dans ce débat, qui
concerne une autre assemblée parlementaire. En revanche, je regrette
profondément que le Gouvernement ait cru bon de déclarer l'urgence sur un sujet
aussi important.
Un consensus se dessine sur le constat de départ : le système d'assurance
obligatoire des exploitants agricoles contre les accidents du travail et les
maladies professionnelles est aujourd'hui déficient.
La loi du 22 décembre 1966 a institué le principe de l'assurance obligatoire
pour couvrir les accidents, quelle que soit leur nature : accidents de la vie
privée ou du travail et les maladies professionnelles agricoles ; c'est ce que
l'on appelle l'AAEXA, l'assurance accidents des exploitants agricoles.
Son financement, y compris le service des rentes et leur revalorisation, est
supporté par les seules cotisations mises à la charge des intéressés par les
organismes assureurs ; l'Etat n'y participe pas.
Les exploitants agricoles sont tenus de souscrire un contrat d'assurance
auprès de l'organisme de leur choix - société d'assurance, mutuelle, caisse de
mutualité sociale agricole. Moyennant le paiement de primes librement
négociées, cette assurance obligatoire garantit le remboursement des soins sans
ticket modérateur et le versement d'une pension d'invalidité lorsque l'assuré
se voit reconnaître un taux d'inaptitude d'au moins 66 % à l'exercice de la
profession agricole.
La loi de 1966, complétée par la loi du 25 octobre 1972, a institué un régime
complémentaire facultatif, qui permet au chef d'exploitation et aux membres de
sa famille de bénéficier, moyennant une prime supplémentaire, d'indemnités
journalières, de rentes et de prestations en cas de décès pour les seuls
accidents du travail et maladies professionnelles.
En raison de la surtaxation de ces contrats complémentaires, leur nombre est
en chute libre. Mais le déclin des contrats de type « loi de 1972 » ne signifie
pas pour autant que les exploitants ne recourent pas à une protection
complémentaire : les assureurs leur proposent des garanties globales «
assurances de personnes ».
La société d'assurance mutuelle Groupama représente les deux tiers du marché.
La partie obligatoire, pour le « groupe familial », représente un coût annuel
de l'ordre de 1 525 francs par an. Cette société propose des couvertures
complémentaires comprises entre 2 000 et 2 500 francs, qui sont
systématiquement choisies par les exploitants. En fonction de leur souhait de
bénéficier ou non d'indemnités journalières, par exemple, ils s'acquittent
ainsi, pour l'ensemble du « groupe familial », d'une charge totale de l'ordre
de 3 500 francs à 4 000 francs par an.
Tout le monde s'accorde à reconnaître les insuffisances de la situation
actuelle.
Tout d'abord, première insuffisance, de nombreuses prestations ne sont pas
prévues dans le cadre de l'assurance obligatoire de base : je pense aux rentes
en cas d'incapacité du travail inférieure aux deux tiers ou en cas de décès,
aux frais funéraires et aux indemnités journalières.
Le montant des pensions d'invalidité servies est très faible : il est de 24
300 francs par an en cas d'inaptitude totale et de 18 000 francs en cas
d'inaptitude partielle, c'est-à-dire une incapacité des deux tiers.
Ensuite, deuxième insuffisance, il n'est pas procédé au contrôle de
l'obligation d'assurance. La loi de 1966 laissait ce soin aux services
départementaux de l'inspection du travail, de l'emploi et de la politique
sociale agricole. En raison d'une absence de moyens, et plus encore de volonté,
ces dispositions sont restées lettre morte.
Cette absence de contrôle de l'obligation d'assurance a deux conséquences.
En premier lieu, la connaissance du risque est particulièrement imprécise. En
second lieu, un certain nombre d'exploitants agricoles ne sont pas assurés. Le
chiffre de 20 %, avancé lors du débat à l'Assemblée nationale, ne repose
toutefois sur aucune étude scientifique. Il est d'ailleurs certainement très
variable selon les départements.
Enfin, troisième insuffisance du régime actuel, les exploitants agricoles ne
bénéficient pas d'une politique de prévention. Or il importe de sensibiliser
les exploitants aux risques professionnels, afin de diminuer le nombre
d'accidents. L'implication de la Mutualité sociale agricole, la MSA, sur cette
question est ancienne.
La journée nationale, le 3 octobre 1997 à Poitiers, avait pour thème « la
santé et la sécurité au travail en agriculture ». La question de la mise en
place de la politique de prévention spécialement destinée aux non-salariés
agricoles a fait l'objet de projets et d'expériences de terrain dans un certain
nombre de caisses régionales de la MSA depuis le début des années
quatre-vingt-dix. C'est en avril 1998 que la MSA a souhaité prendre en charge
cette gestion.
Du côté des organisations professionnelles agricoles, un rapport présenté au
congrès de mars 1999 de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants
agricoles, la FNSEA, avait fortement critiqué le régime actuel de l'AAEXA.
La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale faisant le choix
d'améliorer la couverture sociale des exploitants agricoles contre le risque
accidents du travail par la disparition du régime concurrentiel actuel, doit
être examinée attentivement.
Ce texte distingue de manière claire les accidents de la vie privée et les
accidents du travail : les accidents de la vie privée ressortiront, comme dans
tous les autres régimes de sécurité sociale, de l'assurance maladie.
Par ailleurs, les prestations servies seront améliorées dans des conditions
fixées par décret. Des indemnités journalières sont créées. Le niveau des
rentes est augmenté : par exemple, en cas d'incapacité totale, la rente sera
triplée, passant de 24 300 francs à 70 000 francs. Une rente sera versée aux
ayants droit de la victime en cas de décès du chef d'exploitation. De même, des
frais funéraires sont prévus à hauteur de 7 500 francs.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale fait le choix de créer une quatrième
branche « accidents du travail et maladie professionnelles » au sein du régime
de sécurité sociale des exploitants agricoles.
Si la proposition de loi maintient le principe du libre choix de l'organisme
assureur, les cotisations seront désormais fixées de manière réglementaire :
les assureurs joueraient ainsi un rôle de simples « prestataires de services
».
Dans le même temps, les caisses de mutualité sociale agricole joueront un rôle
pivot dans la gestion du nouveau régime. Elles devront certifier
l'immatriculation des assurés, contrôler le respect de l'obligation
d'assurance, centraliser et répartir les ressources du régime entre les
différents organismes assureurs, classer les exploitations agricoles par
catégorie de risques, recueillir les informations nécessaires au bon
fonctionnement du régime et mener des actions de prévention des risques
professionnels.
Les praticiens conseils des caisses de MSA exerceront la plénitude du contrôle
médical sur tous les éléments d'ordre médical qui commandent l'attribution et
le service de l'ensemble des prestations.
Le texte souffre de quelques imperfections. Il passe sous silence quelques
spécificités du monde agricole en adoptant le mécanisme de l'incapacité
permanente retenue pour les salariés du régime général ou le tableau des
maladies professionnelles du code de la sécurité sociale, en lieu et place du
tableau des maladies professionnelles agricoles.
Mais c'est surtout le financement de cette réforme qui apparaît bien
fragile.
Elle est en principe « autofinancée » par des cotisations des exploitants
agricoles, calculées sur une assiette forfaitaire et modulées en fonction des
catégories de risques propres à chaque exploitation. Les dépenses d'AAEXA
devront être intégralement couvertes par les cotisations.
Selon les calculs du ministère de l'agriculture, le montant des cotisations
forfaitaires annuelles moyennes par exploitation serait de l'ordre de 1 730
francs. La comparaison avec les 1 525 francs aujourd'hui nécessaires chez
Groupama peut apparaître flatteuse : le « surcoût » ne serait que de 215 francs
pour des prestations bien supérieures.
Pour le Gouvernement, il n'y aurait pas, en fait, de surcoût pour les
agriculteurs, puisque les contrats d'assurance complémentaire seront renégociés
à la baisse du fait de l'amélioration de leur protection sociale.
Il reste que ces calculs ont toutefois été effectués à partir des éléments de
tarification applicables pour les salariés agricoles, alors même que les
risques professionnels sont plus importants pour les exploitants.
La transformation de cotisations librement définies en cotisations fixées par
arrêté du ministre de l'agriculture a mécaniquement pour effet d'augmenter le
volume des prélèvements obligatoires.
La création, dans ces conditions, d'une quatrième branche a également pour
effet d'augmenter les dépenses publiques.
Certes, des dépenses prises aujourd'hui à la charge de l'AMEXA, l'assurance
maladie des exploitants agricoles, sont en fait du ressort de l'AAEXA.
Ce « déport » s'explique, d'abord, par la couverture très insuffisante du
risque accidents du travail et par l'existence d'exploitants non couverts, que
la MSA prend en charge pour des raisons d'équité.
En se fondant sur une analyse opérée sur un trimestre d'hospitalisations
d'exploitants agricoles de la région des pays de la Loire, le rapporteur
spécial du BAPSA à l'Assemblée nationale a « extrapolé » à l'ensemble de la
France et a mentionné un chiffre de « 2 milliards de francs ».
Ce chiffre apparaît naturellement exagéré. Toutefois, selon les responsables
de la caisse centrale de la MSA que j'ai auditionnés, la poursuite du
dépouillement de l'enquête confirmerait un transfert important de l'AAEXA vers
l'AMEXA, peut-être supérieur à 1 milliard de francs.
Les compagnies d'assurances ne contestent pas l'existence d'un tel transfert.
Elles estiment, cependant, qu'il est limité aux dépenses hospitalières et de
nature transitoire, un certain temps s'écoulant entre le moment où les frais
d'hospitalisation sont effectivement engagés et celui où la MSA présente sa
demande de remboursement à l'assureur AAEXA.
En sens inverse, les accidents de la vie privée, aujourd'hui pris en charge
par l'AAEXA, seront désormais du ressort de l'AMEXA : le Gouvernement estime ce
transfert de charges entre 220 et 320 millions de francs, à partir d'une
transposition du coût des accidents de la vie courante dans le total des
prestations maladie du régime général.
Dans le cas où serait vérifié
a posteriori
un « équilibre » entre les
différents transferts entre l'AAEXA et l'AMEXA, il n'en reste pas moins certain
qu'une pression « à la hausse » s'exercera sur les prestations de l'AMEXA en
raison de la présence, dans cette assurance, d'un ticket modérateur et de
l'absence d'indemnités journalières.
Il sera difficile de maintenir en AMEXA des pensions d'invalidité aussi
faibles - moins de 24 000 francs par an -, alors que les pensions AAEXA auront
été fortement revalorisées. Le coût d'un alignement des pensions invalidité sur
le niveau des prestations accidents du travail s'élèverait à 500 millions de
francs en coût « brut » et à 400 millions de francs en coût « net », compte
tenu des économies réalisées par le Fonds spécial invalidité, le FSI.
Cette tendance à la hausse des prestations AMEXA aura pour conséquence
inéluctable une augmentation des charges publiques, le régime de protection
sociale des exploitants agricoles étant, compte tenu de sa situation
démographique particulière, pris en charge par la solidarité nationale à
hauteur de 80 %.
Le financement des rentes, dans un contexte de diminution des actifs
cotisants, posera inévitablement problème à long terme, même si le texte
prévoit un « fonds de réserve » bénéficiant de provisions. De ce point de vue,
la « technique assurancielle » apparaît incontestablement mieux armée que la
logique « sécurité sociale » pour répondre à ce déficit prévisionnel.
La commission des affaires sociales propose un scénario partenarial entre la
mutualité sociale agricole et les acteurs de la protection complémentaire.
Elle constate en effet que la nécessité d'améliorer la couverture sociale des
exploitants agricoles contre les accidents du travail et les maladies
professionnelles fait l'unanimité autour de trois principes. Il s'agit,
d'abord, de l'universalité de l'assurance : aucun exploitant agricole ne doit
plus échapper à cette obligation. Il s'agit, ensuite, de l'amélioration des
garanties proposées : les rentes d'inaptitude à la profession agricole doivent
être relevées. Il s'agit, enfin, de la définition d'une politique de prévention
: une telle politique est seule susceptible de diminuer le nombre d'accidents
du travail en agriculture.
Cette politique de prévention nécessite une connaissance statistique
approfondie du risque « accidents du travail » : en conséquence, il est
nécessaire de séparer les accidents de la vie privée des accidents du
travail.
Pour autant, la disparition du régime concurrentiel n'est pas la seule voie
pour améliorer la couverture sociale des exploitants agricoles pour le risque
des accidents du travail et des maladies professionnelles.
En effet, deux techniques s'opposent : soit la création d'une « branche »
classique de la sécurité sociale dans laquelle les cotisations seraient fixées
par arrêté ministériel et les prestations définies par la loi ; soit le
maintien d'un régime concurrentiel, dans lequel les prestations minimales
seraient strictement définies par la loi, mais dans lequel la liberté de
cotisation serait préservée.
La création d'une « branche » accidents du travail et maladies
professionnelles pour les exploitants agricoles, dans les mêmes conditions que
les branches existantes, est incontestablement cohérente avec l'organisation de
notre protection sociale.
Mais est-ce le meilleur moyen d'assurer l'intérêt général et l'intérêt des
exploitants agricoles ?
Les longs débats parlementaires qui ont permis le vote de la loi de 1966
avaient été marqués par deux soucis qui expliquent le choix finalement retenu,
à l'époque, d'un mécanisme d'assurance : d'une part, le souci de ne pas grever
les charge pubiques et, d'autre part, le souci de ne pas augmenter les charges
des exploitants agricoles.
Les termes du débat d'aujourd'hui sont strictement identiques.
La commission des affaires sociales propose de maintenir un régime
concurrentiel pour une raison principale : il ne semble pas opportun
d'augmenter le montant des charges publiques et des prélèvements
obligatoires.
En conséquence, les primes ou cotisations versées par les assurés doivent être
fixées librement par les organismes assureurs, ce qui permettra une véritable
concurrence entre les différents acteurs. Deux garde-fous pourront être posés à
cette liberté de tarification : d'une part, les cotisations correspondant aux
garanties minimales obligatoires ne pourront pas excéder un plafond fixé par
arrêté du ministre de l'agriculture ; d'autre part, elles seront modulées par
le classement des exploitations dans des catégories de risques définies par la
caisse centrale de mutualité sociale agricole. Ce mécanisme, déjà présent dans
le texte adopté par l'Assemblée nationale, me paraît tout à fait pertinent.
La commission des affaires sociales propose de maintenir un régime
concurrentiel pour une raison supplémentaire : il importe que les charges des
agriculteurs restent à un niveau modéré.
Le sytème proposé par l'Assemblée nationale présente, pour les agriculteurs,
l'inconvénient d'être un « carcan », en prévoyant l'intégralité des garanties
prévues dans le régime général.
Si le relèvement des pensions d'invalidité et l'inclusion d'indemnités
journalières dans le régime obligatoire sont souhaitables, il n'en va pas de
même des rentes servies aux ayants droit. Naturellement, un tel dispositif est
généreux, mais il risque de peser d'un « poids » de plus en plus grand sur le
régime.
Le maintien d'un régime concurrentiel n'est pas incompatible avec la plupart
des nouvelles missions confiées à la mutualité sociale agricole.
Je suis favorable à ce qu'elle joue un rôle clé dans trois domaines : d'abord,
le contrôle de l'obligation d'assurance, ensuite, l'animation et la
coordination de la prévention, enfin, le contrôle médical.
Au-delà des principes législatifs, un tel scénario partenarial entre la
mutualité sociale agricole et les compagnies d'assurances - et je vous prie
d'excuser cette formule quelque peu tautologique - ne peut réellement
fonctionner que si un
modus vivendi
entre les différents acteurs est
trouvé. Les organismes assureurs qui oeuvrent depuis de longues années dans le
domaine agricole doivent bénéficier d'un cadre pérenne, leur pemettant de
développer leurs activités concurrentielles complémentaires. La mutualité
sociale agricole devra se concentrer sur ses nouvelles missions, qui seront
importantes.
L'enjeu, qui est avant tout de faire bénéficier les exploitants agricoles
d'une meilleure protection sociale, au meilleur coût, et de diminuer le nombre
d'accidents du travail, en vaut la peine.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
les principales observations qu'appelle de la part de la commission des
affaires sociales, dont je suis ici le rapporteur, cette proposition de loi
votée en première lecture à l'Assemblée nationale.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Groupe socialiste : 25 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
proposition de loi soumise aujourd'hui à l'examen du Sénat vise, comme son
intitulé l'indique, à améliorer la couverture des non-salariés agricoles contre
les accidents du travail et les maladies professionnelles.
La réforme du régime actuel d'AAEXA, issu de la loi du 22 décembre 1966 et qui
ne permet plus de couvrir de manière satisfaisante le risque « accidents du
travail » en agriculture, est attendue par le monde rural, voulue par les
syndicats, portée par le Gouvernement.
Nous nous accordons tous sur l'objectif, sur la nécessité de faire évoluer un
système qualifié à juste titre de déficient par le rapporteur de la commission
des affaires sociales, et ce pour trois raisons principales.
Il s'agit, tout d'abord, de la faiblesse des pensions d'invalidité servies,
voire de l'absence de prestations - indemnités journalières, rente en cas
d'incapacité de travail inférieure aux deux tiers ou en cas de décès, frais
funéraires - au regard du niveau relativement élevé des primes acquitées par
des exploitants qui sont plus de 42 % à dégager un revenu inférieur au SMIC, le
salaire minimum de croissance.
l s'agit, ensuite, du caractère non universel de l'assurance. Faute de
contrôle efficace de l'obligation d'adhésion à la couverture contre les
accidents du travail, 20 % des exploitants ne seraient pas assurés. Ce chiffre
est sujet à caution, mais il semble important, alors même que l'activité
agricole est un secteur à risques relativement élevés.
Enfin, à la différence de la politique conduite par la MSA à l'égard des
salariés agricoles, aucune politique de prévention des risques professionnels
n'est organisée en faveur des exploitants agricoles.
Si un large consensus se dégage sur le constat, il y a débat, pour ne pas dire
de fortes divergences, quant aux moyens à mettre en oeuvre pour parvenir à
garantir aux exploitants agricoles une meilleure couverture sociale. Le trajet
parlementaire de la présente proposition de loi en témoigne.
Dans sa version initiale, telle qu'elle a été déposée par le groupe RCV -
Radical, Citoyen et Vert - la proposition de loi avait pour ambition de
transformer le régime assuranciel d'AAEXA en une véritable branche de la
sécurité sociale.
Cela semblait un choix inconcevable pour certains députés de droite soucieux,
semble-t-il, de défendre les intérêts des détenteurs du marché de l'assurance
ou du Groupama.
C'est sur la base d'une proposition de loi se contentant de revaloriser les
prestations, réécrite
a minima
après le retrait de la version initiale,
menacée par l'article 40, que la discussion s'est ouverte au Palais-Bourbon.
Fort justement, et là je tiens à saluer la volonté du Gouvernement, vous avez
permis, monsieur le ministre, en étant à l'initiative d'amendements
substantiels qui ont été adoptés, de réécrire le texte en permettant au
dispositif d'évoluer vers la constitution d'un véritable régime de base de
sécurité sociale, géré tout naturellement par la MSA, dans lequel les
cotisations et prestations sont définies, sont identiques pour tous les
exploitants, à l'instar des autres catégories socioprofessionnelles, dans
lequel les accidents de la vie privée sont différenciés des accidents du
travail. C'est un choix opportun au regard de l'incapacité dont a fait preuve
le système concurrentiel à proposer aux exploitants agricoles des contrats
garantissant des prestations de haut niveau. C'est également un choix opportun
au regard de l'incurie, oserais-je dire, du système concurrentiel en matière de
prévention, voire au regard du refus de différents groupes d'assurances de
rendre publiques les études sur le nombre d'accidents du travail, les causes de
ces derniers et le nombre de jours d'arrêt de travail.
Ce choix est légitime, dès lors que l'on recherche davantage de justice
sociale dans le financement, afin d'assurer l'égalité de traitement des
exploitants.
« Choix incontestablement cohérent avec l'organisation de notre protection
sociale ; logique, à partir du moment où l'on considère que la réalisation de
profits par les compagnies d'assurances, sur ce type de risques, est
contestable. » Je me contente de vous citer, monsieur le rapporteur !
Pour autant, soucieux d'éviter une augmentation des prélèvements obligatoires
et d'assurer l'équilibre des finances publiques, vous proposez, messieurs, le
maintien d'un régime concurrentiel avec liberté des primes soit disant régulé
par l'existence d'un plafond pour les primes correspondant aux garanties
minimales. Le dispositif comporte une garantie obligatoire de base, dont vous
réduisez au passage le champ, le versement des rentes servies aux ayants droit
devenant une simple faculté. Dans ce scénario partenarial, la MSA n'a plus le
même rôle pivot, même si elle garde la maîtrise du contrôle de l'obligation
d'assurance ainsi que du contrôle médical, et assume l'animation et la
coordination de la prévention.
Vous n'allez pas jusqu'à dénoncer ouvertement la « nationalisation » de
l'assurance accidents du travail et maladies professionnelles des exploitants
agricoles, comme l'ont fait certains de vos collègues à l'Assemblée
nationale.
Toutefois, nous ne sommes pas dupes. Votre démarche s'inscrit dans une
conception plus générale, mainte fois formulée par les élus de la majorité
sénatoriale à l'occasion du débat sur le projet de loi de financement de la
sécurité sociale, d'une gestion privée des risques de l'assurance maladie,
notamment.
A ce titre, la lecture du rapport de M. Seillier est fort intéresante. En
effet, à la page vingt-cinq, les raisons qui motivent la préférence donnée au
régime assuranciel apparaissent clairement. Vous les avez en outre rappelées,
monsieur le rapporteur.
Vous ne pensez pas « souhaitable, au moment où certains états européens
privatisent la gestion de cette branche pour les salariés, d'accomplir une
démarche en sens inverse pour les exploitants agricoles ». Surtout, vous
rejetez la suppression du régime concurrentiel car vous craignez, qu'à terme,
cela ne « conduise à fixer des cotisations proportionnelles en fonction des
revenus ».
L'atout majeur du texte que vous vous emploierez, amendement après amendement,
à défaire, puisque vous nous proposez un contre-projet complet, réside dans la
mutualisation du risque et de son financement.
Pourquoi ne pas rechercher un système qui prenne en compte les disparités de
revenus et fasse par conséquent jouer pleinement la solidarité ?
Monsieur le ministre, la proposition de loi retient le principe de cotisation
forfaitaire par exploitation. Ne pensez-vous pas qu'il est profondément injuste
que cette cotisation soit la même pour une exploitation dégageant un revenu
égal à trois fois le SMIC que pour une petite exploitation qui dégage, avec
difficulté, l'équivalent d'un SMIC ?
Indiscutablement, le remplacement du régime assurantiel par un dispositif de
droit commun, en matière de protection sociale, sa gestion par la MSA, le
service de prestations les plus proches possible de celles qui sont en vigueur
dans les régimes de sécurité sociale sont autant d'avancées que nous soutenons.
En conséquence, nous ne pouvons adhérer aux propositions de M. le rapporteur
tendant à construire un dispositif de tout autre nature.
M. Alain Vasselle.
Vous avez tort !
M. Guy Fischer.
On en reparlera !
M. le président.
La parole est à M. Cazeau.
M. Bernard Cazeau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
proposition de loi qui fait aujourd'hui l'objet de nos discussions procède
d'une intention forte : intégrer les non-salariés agricoles au progrès que
constituent les garanties collectives contre les risques professionnels.
Le risque accidentel lié à l'activité professionnelle menace chaque année 10 %
des agriculteurs alors que, selon les estimations - cela vient d'être dit -,
plus de 20 % d'entre eux ne disposent pas de couverture contre les accidents du
travail, couverture qui est pourtant obligatoire.
Il était donc de la responsabilité du Gouvernement d'agir contre cet état de
fait. L'occasion lui en a été offerte par le député Jacques Rebillard à travers
sa proposition d'instauration d'un régime de sécurité sociale pour les
non-salariés agricoles, votée en première lecture à l'Assemblée nationale et
d'ailleurs amendée de manière importante et judicieuse par le Gouvernement.
Il nous est aujourd'hui demandé de procéder à une correction historique des
lois de 1966 et de 1972, la première instaurant une assurance obligatoire
privée pour couvrir les accidents domestiques et les accidents du travail, la
seconde autorisant l'exploitant et sa famille à souscrire à un régime
complémentaire facultatif, lois qui montrent aujourd'hui leurs
insuffisances.
Quelles sont les déficiences de la couverture sociale actuelle des
non-salariés agricoles contre les risques professionnels ? La question appelle
plusieurs réponses.
On ne peut tout d'abord qu'être frappé par l'absence de dissociation entre les
accidents de la vie privée et les accidents du travail qui caractérise les
contrats d'assurance protégeant les exploitants et leurs familles et qui
équivaut à négliger la compensation des dangers professionnels et à oublier la
prévention.
M. Alain Vasselle.
C'est la réalité du terrain !
M. Bernard Cazeau.
On ne peut ensuite que constater la disproportion entre le coût de l'assurance
obligatoire de base et le niveau des indemnisations. Pour ne donner qu'un
chiffre, songeons qu'une invalidité totale se voit compensée par 24 300 francs
annuels seulement !
On ne peut enfin que s'inquiéter de la faiblesse du taux de couverture sociale
des non-salariés agricoles, faute de souscriptions suffisantes au régime
obligatoire de base AAEXA, d'autant plus que les souscriptions de contrats
d'assurance complémentaire tendent à diminuer en nombre. Cette situation oblige
de plus en plus souvent la MSA à porter secours aux non-assurés victimes
d'accidents.
Ces quelques éléments sont - nous en convenons tous - alarmants. Inutile dans
un tel contexte d'oser envisager une quelconque politique globale de prévention
des risques, dont la nécessité n'est pourtant pas à prouver.
Des objectifs ambitieux de réforme doivent, par conséquent, être formulés et
réalisés, et, de notre point de vue, c'est dans la voie d'une réforme de fond,
comme le prévoit le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale, que nous
devons nous engager.
La volonté de garantir à chaque exploitant agricole non salarié une protection
sociale de qualité face aux risques professionnels passe par la formulation des
orientations suivantes : premièrement, dissocier l'activité privée de
l'activité professionnelle dans le partage de la couverture du risque
accidentel ; deuxièmement, permettre aux assurés d'obtenir, en cas d'accident,
une indemnisation importante ; troisièmement, intégrer la totalité des
non-salariés du secteur agricole à un dispositif de couverture contre les
accidents du travail.
S'agissant de la séparation de l'activité privée et de l'activité
professionnelle, il nous faut admettre que la profession agricole est
indéniablement une profession à risques et que, même si ces risques sont variés
dans leur nature, ils n'en restent pas moins indépendants des risques
rencontrés dans la vie courante et doivent, par conséquent, faire l'objet d'une
couverture spécifique.
La loi prévoit, à cet effet, que les dangers privés relèvent de la seule
AMEXA, alors que les risques liés à l'activité professionnelle seraient pris en
charge par une organisation spécifique. Ils pourraient ainsi faire enfin
l'objet de politiques publiques de prévention.
Concernant l'objectif de revalorisation des indemnisations en cas d'accidents,
plusieurs améliorations doivent être apportées au système actuel. Celui-ci, par
exemple, ne s'attaque pas suffisamment à la question de l'incapacité pour
laquelle il n'offre qu'une rente dérisoire. Il présente un mauvais rapport
entre les niveaux de cotisations et de prestations. A titre d'exemple, selon
une simulation réalisée par la MSA, le cumul de l'assurance de base et de
l'assurance complémentaire pour le chef d'exploitation s'échelonne entre 4 000
et 5 000 francs et permet en cas d'incapacité un gain de 82 francs par jour.
Dans le système, envisagé pour une cotisation de 1 620 francs annuels, le même
chef d'exploitation se voit indemnisé de 115 francs journaliers le premier mois
de son incapacité et de 150 francs à compter du deuxième.
Concernant enfin la volonté d'intégrer en totalité les non-salariés à la
couverture contre les accidents du travail, un effort de recensement des
personnes non couvertes doit être opéré, par souci non de contraindre mais de
protéger.
L'égalité de traitement, l'obtention d'un niveau décent de ressources en
situation d'incapacité, l'amélioration du rapport entre cotisations versées et
prestations reçues, ainsi que les efforts en faveur de la prévention des
dangers professionnels ne verront le jour qu'à condition que s'instaure un
système inspiré d'un modèle de sécurité sociale. C'est bien là l'innovation
majeure de la proposition de loi que nous examinons : « à objectifs nouveaux,
organisation nouvelle », nous dit le texte, et je dirais plus exactement, « à
objectifs de justice, organisation plus juste et plus cohérente ».
Il est difficilement concevable, en effet, comme l'estiment pourtant certains
d'entre nous, que les résultats changent du tout au tout, tout en préservant
des méthodes identiques. Comment, alors qu'il ne permet d'assurer ni une
protection décente pour tous ni une prévention, vouloir fonder l'essentiel du
dispositif de protection contre les accidents du travail sur un système
assurantiel basé sur le seul volontariat ?
L'idée de créer une nouvelle branche du régime agricole intégrée aux comptes
de la sécurité sociale me paraît au contraire de nature à pallier les
déficiences d'un système purement concurrentiel. Un tel procédé permet
d'atteindre le difficile équilibre entre liberté de choix et garanties
collectives.
Les composantes institutionnelles d'un tel système sont d'ores et déjà
disponibles, si l'on en juge par l'immensité de la tâche qu'accomplit la MSA en
matière de protection sociale dans les cas d'accidents. Placer la MSA au centre
de l'organisation en gestation présenterait, en outre, l'avantage de pouvoir
contrôler l'adhésion de tous à la branche couverture contre les risques du
travail, par un simple croisement avec les fichiers de la branche assurance
maladie dont elle dispose.
Pour qu'un tel système de sécurité sociale soit viable, celui-ci doit adopter
un principe d'équilibre des recettes et des dépenses, c'est-à-dire équilibrer
les cotisations et les prestations. Pas question, comme c'est aujourd'hui le
cas, de faire de la prévention du risque et de la peur qui lui est afférente
une occasion de réaliser des profits !
Le système envisagé par la proposition de loi tâchera pour sa part de garantir
les mêmes prestations pour tous et s'assurera des recettes par la fixation d'un
taux de cotisation uniforme pour les individus d'une même catégorie de
production. Si elles augmentent, comme le proclament faussement les adversaires
de la proposition, les cotisations n'iront pas nourrir de quelconques intérêts
privés mais profiteront bel et bien aux destinataires des prestations.
L'ampleur de la transformation défendue par le texte est à la juste mesure des
retards accumulés. Plusieurs acteurs parties prenantes du système ne s'y sont
pas trompés et soutiennent ce projet de réorganisation.
Aucune catégorie sociale ou professionnelle ne doit rester à l'écart des
mécanismes collectifs de couverture sociale qui sont parmi les éléments
fondateurs du pacte républicain.
Si elle aboutit en sa forme actuelle, la proposition de loi permettra d'offrir
une protection sociale décente à un monde agricole déjà bien à la peine. Elle
amoindrira une partie des charges financières pesant sur lui que sont les
assurances complémentaires rendues obligatoires par la médiocrité du régime de
base privé et permettra - du moins, je l'espère - plus d'équité dans un secteur
où les publics sont fortement hétérogènes.
(Applaudissements sur les travées
socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Eckenspieller.
M. Daniel Eckenspieller.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre
excellent collègue Joseph Ostermann avait souhaité s'exprimer dans le cadre de
ce débat, mais, ayant été empêché, il m'a demandé de reprendre, pour
l'essentiel, la trame de ses réflexions.
La couverture sociale des non-salariés agricoles nécessite incontestablement
des améliorations. Tout le monde en convient, tant il est vrai que le régime
actuel présente de multiples lacunes.
Tout d'abord, malgré l'obligation d'assurance, un nombre trop important
d'exploitants n'est pas, effectivement, inclus dans le dispositif de
protection.
Ensuite, l'effort de prévention est très largement insuffisant et les
prestations servies par le régime de base sont dérisoires par rapport aux
risques encourus et à leurs conséquences potentielles.
Enfin, certaines prestations qui paraissent pourtant légitimes ne sont pas
prévues par le régime de base. Il en est ainsi, par exemple, des frais
funéraires.
Le système a par conséquent besoin d'être amélioré. Il ne doit toutefois
l'être ni dans n'importe quelles conditions ni en s'engageant sur des voies
aventureuses. C'est là que se situent nos divergences et nos préoccupations.
La solution qu'il nous est proposé d'adopter constituerait une atteinte à la
liberté d'entreprendre et risquerait d'alourdir exagérément le coût de
protection sociale pour les exploitants, ou encore de grever d'une manière
importante les finances publiques, remettant ainsi en cause l'équilibre déjà
précaire des comptes de la sécurité sociale.
Une fois de plus, l'impact budgétaire de mesures d'apparence généreuse n'a
pas été pris en compte avec suffisamment de rigueur. Il y a là une constante
dans la politique gouvernementale qui ne peut manquer d'inquiéter pour les
années à venir.
Il nous est proposé de passer d'un système concurrentiel à un régime public
redistributif.
Cette option, qui ne semble fondée sur aucune étude économique et financière
approfondie, risque de porter préjudice aux assureurs travaillant sur le
segment de clientèle concerné.
Ainsi, même si ces professionnels ne sont pas exempts de toute responsabilité
dans les défaillances du système existant, il n'en demeure pas moins que le
projet dont nous débattons porte atteinte de façon démesurée à la liberté
d'entreprendre.
Par ailleurs, outre le fait que l'on ampute un secteur économique d'une
branche d'activité importante, il n'est prévu aucune rémunération des assureurs
pour leur activité administrative d'appel à cotisations et de service de
prestations. Est-ce bien logique ? Il est permis d'en douter.
Les assureurs se trouveraient ainsi doublement pénalisés.
Cela est d'autant plus inacceptable que les principales organisations
professionnelles représentatives des exploitants que sont la FNSEA et le Centre
national des jeunes agriculteurs ne sont nullement favorables à une remise en
cause du régime existant et étaient parvenues à un accord satisfaisant avec les
assureurs. On semble, par conséquent, vouloir régler les problèmes des
exploitants sans les avoir consultés suffisamment, voire en allant contre leur
volonté.
Ce qui est plus inquiétant encore, c'est que les dispositions de la
proposition de loi risquent tout à la fois d'alourdir les cotisations des
exploitants et de peser d'une manière excessive sur nos finances publiques.
L'exemple du transfert des accidents de la vie privée et de certaines
catégories de personnes vers l'AMEXA semble, à cet égard, significatif.
L'AMEXA étant essentiellement financée par le BAPSA au travers d'une
subvention budgétaire, il en résultera mécaniquement une augmentation de la
dépense publique, augmentation qui n'a pas été évaluée et dont on ne sait pas
comment elle sera compensée.
Par ailleurs, est-il logique, quand on connaît les difficultés actuelles en
matière de financement des retraites, de créer une quatrième branche
d'assurance sociale dans un contexte de déclin démographique des exploitants
agricoles ? Le simple bon sens laisse apparaître que cela conduira
immanquablement à une hausse des cotisations et à un déséquilibre du régime.
Enfin, le nouveau mode de calcul des cotisations qui est proposé apparaît
totalement inapproprié. En effet, les éléments de tarification se réfèrent à
ceux des salariés agricoles, alors même que les risques encourus par les
exploitants sont, en moyenne, sensiblement supérieurs à ceux des salariés.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, vous comprendrez, monsieur le
ministre, qu'il ne nous sera pas possible de voter en l'état la proposition de
loi qui nous est soumise.
Il convient de féliciter ici, pour son excellent travail, le rapporteur, M.
Seillier. Les propositions de la commission des affaires sociales semblent, en
effet, particulièrement équilibrées et réalistes. Elles visent à améliorer la
couverture sociale des non-salariés agricoles, sans alourdir les cotisations et
sans tirer des traites aléatoires sur nos finances publiques.
Il est ainsi proposé de conserver le système concurrentiel, en lui imposant
toutefois deux garde-fous en matière de liberté de tarification. Quant à la
MSA, dont l'excellent travail doit être salué,...
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Quand même !
M. Daniel Eckenspieller.
... elle verrait son rôle conforté et renforcé, notamment en matière de
contrôle de l'obligation d'assurance, de prévention et de contrôle médical.
C'est pourquoi le groupe du Rassemblement pour la République votera le texte,
enrichi par les amendements de la commission des affaires sociales.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Souplet.
M. Michel Souplet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
permettez-moi en préambule d'exprimer plusieurs réserves quant à la méthode
adoptée par le Gouvernement et sa majorité à l'Assemblée nationale en ce qui
concerne l'un des aspects particulièrement importants de la protection sociale
des agriculteurs.
La profession agricole est unanime pour reconnaître la nécessité d'une
amélioration de sa couverture accidents du travail et maladies professionnelles
telle qu'elle est régie par la loi du 22 décembre 1966, loi applicable en fait
depuis 1969.
Monsieur le ministre, j'ai participé, en 1966, à la discussion relative à la
mise en place de cette loi et je peux vous assurer qu'un débat passionnant
s'est engagé à cet égard. En fin de compte, il s'est dégagé une majorité très
forte non seulement pour l'obligation d'assurance, mais également pour le libre
choix de l'organisme assureur. C'était pour nous un aspect fondamental de cette
loi. Or il semble qu'aujourd'hui près d'un exploitant sur cinq ne serait pas
assuré, malgré l'obligation prévue par la loi, et c'est bien dommage.
A cet égard, le système de contrôle paraît inadapté. En outre, les prestations
sont notoirement insuffisantes, d'où le développement de couvertures
complémentaires. Enfin, il n'existe pas de volet « prévention » dans la loi
actuelle. Or le seul moyen de réduire le nombre des accidents est la mise en
place d'une politique de prévention, dont le coût est évalué à 30 millions de
francs environ.
Partant de ce constat, le Gouvernement aurait dû adopter une autre méthode :
au lieu de politiser le débat, mieux aurait valu, en effet, engager une
véritable concertation avec les différentes organisations représentatives, afin
de dégager une forme de compromis. La loi est appliquée depuis trente-deux ans
! Pourquoi bâcler un texte en quelques jours, sans avoir consulté les personnes
directement intéressées ?
M. Alain Vasselle.
Cela devient une fâcheuse habitude !
M. Michel Souplet.
Au Sénat, nous allons essayer de trouver le compromis auquel n'ont pu aboutir
les pouvoirs publics et les organisations professionnelles.
Le Gouvernement aurait pu présenter au Parlement un projet de loi spécifique,
solidement construit et répondant aux véritables aspirations de la profession.
Au lieu de cela, il a tenté, dans un premier temps, d'introduire à l'improviste
son projet dans des textes sans lien direct avec la réforme, puis il a
directement inspiré une proposition de loi présentée par un groupe de la gauche
plurielle à l'Assemblée nationale. Je n'insisterai pas sur les différentes
péripéties, qui ont été très bien décrites par M. le rapporteur.
Au-delà de ces cafouillages et autres tergiversations, il est dommage d'avoir
déclaré l'urgence sur un tel texte. Le Sénat se trouve saisi, en cette fin de
session déjà très chargée, d'une proposition de loi qui représente un enjeu non
négligeable sur le plan social et financier pour une profession agricole par
ailleurs durement éprouvée ces derniers mois.
Dans des conditions aussi difficiles, la commission des affaires sociales et
son rapporteur Bernard Seillier, au côté de la commission des affaires
économiques, ont réalisé un travail remarquable et présenté des propositions
sur lesquelles je reviendrai tout à l'heure.
Sur la proposition de loi elle-même, j'exprimerai, au nom de mon groupe, trois
critiques majeures : elle ignore certaines spécificités de l'agriculture ; elle
risque de provoquer une forte aggravation des charges des agriculteurs ; enfin,
ce texte reste très flou quant à ses modalités d'application.
Faute sans doute de ne pas avoir entendu l'avis de la « base », c'est-à-dire
des premiers concernés, les exploitants agricoles, la proposition de loi ne
tient pas compte, en effet, des spécificités de la profession. La préférence de
celle-ci pour une autonomie en matière de gestion des accidents du travail dans
un cadre concurrentiel est ainsi ignorée, le texte prévoyant la création d'un
nouveau risque de sécurité sociale. Il en est ainsi, également, de l'exclusion
de la couverture du nouveau régime de certains membres de la famille comme les
retraités, par exemple, et de l'obligation pour les agricultures d'apporter la
preuve en cas d'accidents de trajet.
Le transfert à l'AMEXA de la couverture des retraités constitue un véritable
recul par rapport à la situation présente.
Par ailleurs, comme le note très justement M. le rapporteur, le fait de se
référer au tableau des maladies professionnelles défini dans le code de la
sécurité sociale semble totalement inadapté.
La deuxième grande critique, relayée par les principales organisations
syndicales agricoles, est le risque d'une augmentation très sensible des
cotisations. Il est vrai, comme l'a dit également M. le rapporteur, que le
recours à une proposition de loi semble avoir dispensé le Gouvernement de toute
étude sérieuse s'agissant de l'effet de la réforme sur les charges des
agriculteurs. Les chiffres cités par le Gouvernement étant fondés sur la
tarification applicable aux salariés agricoles, on peut craindre, en effet, un
alourdissement des prélèvements obligatoires pour les exploitants et ce dans un
contexte économique de plus en plus difficile.
Parallèlement, et cela nous préoccupe aussi en tant que groupe parlementaire
de l'opposition, la réforme risque d'entraîner une augmentation des dépenses
publiques. Le transfert de trois cent mille personnes et du risque accidents de
la vie privée vers l'AMEXA augmentera sensiblement les dépenses du régime
d'assurance maladie des exploitants.
Ce régime étant financé en très grande partie par le BAPSA, en l'état actuel
du texte, nous devrions donc connaître une aggravation des charges publiques,
comme l'a dénoncé très justement notre collègue et ami Charles de Courson à
l'Assemblée nationale. C'est d'ailleurs ce qui explique l'application de
l'article 40 lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale. On parle de
plus de 1 milliard de francs de transfert de charges vers l'AMEXA, chiffre que
citait tout à l'heure Bernard Sellier.
La dernière critique que j'émettrai à l'égard de ce texte concerne le
caractère très flou des modalités d'application de la réforme. Ainsi en est-il
du contenu des prestations et des contours du fonds de réserve des rentes, un
fonds indispensable du fait de la diminution des actifs cotisants. Pour les
prestations en nature et les rentes d'ayants droit, la proposition de loi
renvoie, en effet, à des décrets d'application, dont la teneur n'est toujours
pas connue.
La proposition de loi accorde, par ailleurs, une liberté de choix à l'assuré
entre la MSA et un assureur pour le paiement des cotisations et le service des
prestations. Sur ce point non plus le texte n'est pas clair. Les modalités de
l'habilitation des assureurs par le ministère de l'agriculture, le rôle du
groupement auquel les assureurs sont tenus d'appartenir, la teneur de leur
cahier des charges et leur éventuelle rémunération restent totalement ignorés
par la proposition de loi.
Les incertitudes d'ordre juridique et financier sont donc trop nombreuses dans
ce texte pour l'accepter dans sa version votée à l'Assemblée nationale. Malgré
l'urgence déclarée, que nous regrettons, le Sénat, ses commissions et les
groupes de la majorité sénatoriale entendent jouer leur rôle afin de proposer
une version plus acceptable par le monde agricole. Ce sera l'objet du dernier
volet de mon intervention.
Le groupe parlementaire de l'Union centriste et moi-même approuvons totalement
les trois principes cités tout à l'heure par M. le rapporteur : l'universalité
de l'assurance ; l'amélioration importante de la couverture, en particulier en
ce qui concerne les rentes d'inaptitude ; enfin, la mise en place d'une
politique de prévention. Et tout cela sans faire entrer les agriculteurs dans
un carcan, qui risque d'être, une fois encore, inopérant.
Nous sommes évidemment favorables au maintien d'un régime concurrentiel. Telle
est la volonté d'une très grande majorité des exploitants agricoles français,
attachés à leur espace de liberté dans ce domaine. La création d'un nouveau
risque serait facteur de plus de contraintes pour les agriculteurs et, comme
nous l'avons vu, d'une augmentation des charges et des dépenses publiques, ce
en totale contradiction avec la politique de nos partenaires européens.
Par ailleurs, il me paraît souhaitable, comme le propose M. le rapporteur, de
confier à la Mutualité sociale agricole la gestion du contrôle de l'obligation
d'assurance, l'animation de la prévention et le contrôle médical.
Le dispositif proposé par la commission des affaires sociales semble
équilibré. Par ailleurs, il suscite apparemment l'accord d'un très grand nombre
de responsables de caisses de MSA avec lesquels mes collègues de l'Union
centriste et moi-même sommes régulièrement en contact.
Lors de l'examen de la proposition de loi à l'Assemblée nationale, vous avez
cherché, monsieur le ministre, à opposer un peu artificiellement, d'un côté,
les partisans d'un maintien du système concurrentiel et qui refusent tout
monopole et, de l'autre, ceux qui souhaitent un régime de sécurité sociale. Il
faut souhaiter que ces débats vous convaincront qu'il existe une solution
médiane plus conforme aux souhaits de la profession agricole. Mon groupe
parlementaire soutiendra donc les amendements de la commission.
Nous savons d'expérience récente, monsieur le ministre, que l'on peut
difficilement faire le bonheur des gens contre leur gré et que c'est rarement
quand ils sont hostiles que l'on peut faire avancer les choses.
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Je vous répondrai sur ce point
!
M. Michel Souplet.
Je conclurai mon propos en félicitant le rapporteur Bernard Seillier, ainsi
que la commission des affaires sociales, et en confirmant que le groupe de
l'Union centriste votera la proposition de loi telle qu'elle sera modifiée par
le Sénat.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Bourdin.
M. Joël Bourdin.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui est d'une importance
primordiale pour le monde agricole : elle doit permettre de répondre à des
attentes depuis trop longtemps repoussées.
En tant que rapporteur spécial du budget annexe des prestations sociales
agricoles, j'ai souhaité intervenir sur cette question afin de souligner les
grands enjeux de la réforme de la couverture des exploitants agricoles contre
les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Le constat est en effet aujourd'hui unanime : la couverture des non-salariés
agricoles contre les accidents du travail est largement insuffisante, voire,
dans certaines situations, dangereusement défaillante.
Mise en place par la loi du 22 décembre 1966, l'assurance accidents des
exploitants agricoles, l'AAEXA, couvre l'ensemble du groupe familial non
salarié au titre des accidents, quelle que soit leur nature - de la vie privée
ou du travail - ainsi que des maladies professionnelles. Pour bénéficier de
cette couverture, les exploitants agricoles doivent souscrire un contrat
d'assurance auprès de l'organisme assureur de leur choix : société d'assurance,
mutuelle ou caisse de Mutualité sociale agricole. Le financement de cette
couverture est donc supporté par les seules cotisations mises à la charge des
intéressés par les organismes assureurs.
La loi du 25 octobre 1972 a, par la suite, institué un régime complémentaire
facultatif permettant au chef d'exploitation et aux membres de sa famille de
bénéficier, moyennant primes, d'indemnités journalières, de rentes et de
prestations en cas de décès, pour les seuls accidents du travail et les
maladies professionnelles.
Aujourd'hui, force est de constater l'échec patent de cette couverture : cet
échec se mesure à l'aune de la faiblesse des prestations versées aux
exploitants agricoles, du non-respect de l'obligation d'assurance - 20 % des
exploitants ne seraient pas couverts - des lacunes de la politique de
prévention des risques professionnels, mais aussi de la forte diminution du
nombre des contrats complémentaires, surtaxés et souvent désavantageux.
Une réforme de l'AAEXA s'imposait donc. Elle nous est parvenue sous forme
d'une proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale, mais largement
remaniée par le Gouvernement au moment de sa discussion par nos collègues
députés.
A cet égard, je tiens, monsieur le ministre, à vous faire part de ma
désapprobation quant à la procédure qui a été suivie jusqu'à présent.
Tout d'abord, et je le regrette vivement, le Gouvernement a décidé de déclarer
l'urgence sur ce texte, alors même que la proposition de loi aurait nécessité
un examen approfondi en raison, le Conseil d'Etat l'a rappelé, des conséquences
considérables que cette réforme pourrait entraîner pour les exploitants
agricoles et les entreprises d'assurance.
Par ailleurs, au moment de la discussion à l'Assemblée nationale, le
Gouvernement a choisi de modifier profondément l'économie du texte initial en
déposant toute une série d'amendements, à tel point que l'on peut aujourd'hui
parler d'un projet de loi plutôt que d'une proposition de loi.
Outre ces questions de procédure, je souhaite vous donner mon avis sur le fond
de la réforme.
Comme je l'ai déjà souligné, cette proposition de loi a le mérite de
s'attaquer de front à un problème unanimement dénoncé : l'insuffisance de la
couverture des non-salariés agricoles contre les accidents du travail et les
maladies professionnelles.
Elle contient, en outre, de vraies avancées, telles que la distinction entre
les accidents de la vie privée et les accidents du travail, la revalorisation
des prestations servies ainsi que le rôle central dévolu à la Mutualité sociale
agricole en matière de prévention.
Toutefois, le choix, d'ailleurs introduit par le Gouvernement, de transformer
le régime actuel, géré dans une logique assurantielle et concurrentielle, en un
véritable régime de sécurité sociale, ne me paraît pas opportun.
En effet, la création d'une quatrième branche « accidents du travail et
maladies professionnelles » au sein du régime de sécurité sociale des
exploitants agricoles entraînerait la fixation réglementaire du montant des
cotisations versées par les non-salariés agricoles et, de fait, la
transformation des organismes assureurs en simples prestataires de services.
En outre, en tant que membre de la commission des finances de la Haute
Assemblée, je me dois de souligner l'incidence financière d'une telle réforme.
C'est le principe de cotisations forfaitaires, modulées en fonction des
catégories de risques propres à chaque exploitation, qui a été proposé par le
Gouvernement et adopté par l'Assemblée nationale. Malgré les projections
effectuées par le Gouvernement, il semble que la transformation de cotisations
librement définies en cotisations fixées par voie réglementaire aura
inévitablement une incidence en termes de prélèvements obligatoires.
Notre collègue député Charles de Courson, lui-même rapporteur du BAPSA à
l'Assemblée nationale, a, en outre, estimé qu'une telle réforme entraînerait
une augmentation de l'ordre de 30 % des cotisations des exploitants
agricoles.
En tout état de cause, et comme le conclut lui-même notre excellent
rapporteur, Bernard Seillier, il semble bien que la réforme contenue dans cette
proposition de loi entraînera inéluctablement une augmentation des charges
publiques.
C'est pourquoi je partage entièrement l'analyse qu'il a faite et les
propositions qui en ont découlé. Les trois principes qu'il a rappelés comme
devant constituer l'ossature de la réforme de la couverture sociale des
exploitants agricoles contre les accidents du travail et les maladies
professionnelles me semble en effet incontournables.
Universalité de l'assurance afin de couvrir l'ensemble des exploitants
agricoles, amélioration des garanties offertes et revalorisation des
prestations servies, enfin, mise en oeuvre d'une réelle politique de
prévention, tels sont les axes qui doivent guider notre approche de cette
réforme.
Le choix, formulé par le rapporteur de la commission des affaires sociales, du
maintien d'un régime concurrentiel dans lequel les prestations minimales
seraient revalorisées et strictement définies par la loi, mais dans lequel
aussi la liberté de cotisation serait préservée me semble un excellent
compromis.
En outre, le maintien du rôle central de la mutualité sociale agricole dans la
définition d'une politique de prévention ambitieuse en direction des
exploitants agricoles est également un point très positif.
C'est pourquoi j'estime aujourd'hui, compte tenu du peu de temps qui était
imparti au Sénat pour traiter de cette question délicate, que les propositions
formulées par la commission des affaires sociales constituent incontestablement
un pas dans la bonne direction.
J'espère également que les échanges que nous allons avoir avec vous, monsieur
le ministre, permettront d'éclaircir quelques points encore obscurs, dont
certains ont d'ailleurs été soulignés précédemment, s'agissant des réelles
intentions du Gouvernement en matière de réforme de l'AAEXA.
Le groupe des Républicains et Indépendants, en parfaite harmonie avec le
rapporteur de la commission des affaires sociales, soutiendra les amendements
que celui-ci a déposés et votera la proposition de loi ainsi modifiée.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
proposition de loi que nous allons examiner aujourd'hui me semble critiquable à
plus d'un titre, et ce alors qu'elle émane du Parlement.
Elle est critiquable tout d'abord sur la forme. Je ne suis pas le premier,
mais je serai le dernier ce soir dans la discussion générale, à m'étonner
devant vous de la méthode suivie.
Ce texte a été examiné à l'Assemblée nationale à l'occasion d'une « niche
parlementaire » réservée au groupe RCV, c'est-à-dire Radical...
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
... Citoyen et Vert !
M. Paul Girod.
Je ne savais pas qu'on pouvait être radical ou vert sans être citoyen !
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Vous ironisez, mais le RDSE,
c'est quoi ?
(Sourires.)
M. Paul Girod.
Nous le savons tous, il s'agit en réalité d'un dispositif d'origine
gouvernementale prévu initialement dans le cadre du projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 2001, mais retiré à la demande du
Conseil d'Etat.
Ce dispositif, du coup, a fait l'objet d'une première proposition de loi de M.
Rebillard. Ce texte ayant été également retiré, M. Rebillard en a rédigé un
second, beaucoup plus souple. Or, au cours des débats à l'Assemblée nationale,
tous les amendements déposés par le Gouvernement ont été adoptés, ce qui a
permis le retour au projet gouvernemental issu des services du ministère de
l'agriculture. Ainsi sommes-nous revenus à la case départ par le biais d'une
petite niche... une niche faite à la procédure parlementaire, si j'ose dire
!
J'émets donc quelques réserves sur cette méthode, et ce d'autant plus,
monsieur le ministre, que j'ai entendu, il y a quelques instants à peine, un
échange fort intéressant entre M. le président du Sénat et M. le ministre des
relations avec le Parlement. Se faisant le thuriféraire du Gouvernement, le
ministre a considéré l'acceptation de nombre de propositions de loi comme le
témoignage de l'ouverture en direction du Parlement. Si l'ouverture consiste à
se servir de la niche parlementaire pour faire passer des textes
gouvernementaux préalablement sanctionnés, au moins dans leur principe, par le
Conseil d'Etat, c'est une percée intellectuelle qui mérite d'être notée, mais
je ne suis pas sûr qu'elle suscite l'adhésion totale de nos collègues !
S'agissant, de surcroît, d'un texte important pour une partie de la population
particulièrement sensible en ce moment, était-il très raisonnable de déclarer
l'urgence ? Là encore, vous me permettrez de répondre par la négative, monsieur
le ministre.
Tout à l'heure, M. le ministre des relations avec le Parlement a justifié
l'emploi de l'urgence à tout va en ce moment au motif que nous serions en fin
de législature. En somme, on racle les fonds de tiroir ! Mais ce texte méritait
mieux, monsieur le ministre, il méritait un débat approfondi entre les deux
assemblées. Encore une fois, nous légiférons pour un milieu professionnel très
sensibilisé, et il y a lieu d'y réfléchir à deux fois pour ne pas aller trop
vite.
Mais le texte est également critiquable sur le fond en ce qu'il nous propose
une véritable novation : la transformation du risque accident du travail des
non-salariés agricoles en un risque de sécurité sociale géré par la MSA.
Je sais bien que la mode est à la multiplication des risques : on parle du
troisième risque, du quatrième risque, du cinquième risque... Gageons que nous
en serons bientôt au quatorzième !
Nul ne conteste la déficience de la loi du 22 décembre 1966 et du régime de
l'AAEXA appliqué depuis 1969. Il était nécessaire de l'améliorer, chacun en
convient. Toutefois, la solution envisagée ne semble pas franchement la plus
adéquate. Je crois savoir, d'ailleurs, que le monde agricole dans son immense
majorité y est farouchement opposé.
En effet, cette création va entraîner une très forte augmentation des
cotisations que versent les exploitants agricoles et, on le dit peu, au titre
d'un mode de perception lui-même assez critiquable par rapport à la nature du
risque que l'on entend intégrer à la MSA.
Cette création va séparer les accidents privés des accidents professionnels et
exclura les conjoints qui ne participent pas à l'exploitation, les enfants de
moins de seize ans et les retraités. Est-ce bien raisonnable ? Nous n'en avons
pas le sentiment.
Cette création risque d'entraîner, à court terme, outre les dysfonctionnements
liés à la mise en oeuvre d'une nouvelle réglementation et des surcoûts de
fonctionnement qui n'ont pas été mesurés, une augmentation sensible des charges
des exploitants agricoles, qui, vous en conviendrez, n'ont vraiment pas besoin
de ce cadeau supplémentaire en ce moment.
La profession souhaite, certes, réformer le régime des accidents de travail
des exploitants agricoles, mais elle désire avant tout conserver le régime
assuranciel et concurrentiel existant. Je sais bien que le terme de «
concurrence », qui évoque la compétition entre entreprises, le plus souvent
privées de surcroît -
horresco referens
- ne fait pas partie des
concepts philosophiques du Gouvernement. C'est pourtant le meilleur moyen de
faire baisser les prix, d'arriver à une gestion qui soit la plus saine et la
plus sérieuse possible, et, en l'occurrence, de donner aux exploitants
agricoles la possibilité de s'assurer en fonction de leurs besoins réels et non
pas sur une seule catégorie de risques arrêtés de manière arbitraire.
En concertation avec la profession agricole, la fédération française des
sociétés d'assurance a formulé toute une série de propositions qui me
paraissent satisfaisantes, puisqu'elles réforment le système actuel en
améliorant les prestations, le contrôle de l'obligation d'assurance et la
prévention.
Je suis tout à fait navré que le Gouvernement reste insensible à ces
propositions, mais tout à fait réjoui de constater que la commission des
affaires sociales les a, en revanche, intégrées dans ses réflexions.
Elles consistent, notamment, en une revalorisation du montant des rentes
d'inaptitude au travail en cas d'accident et en l'ajout de deux nouvelles
garanties, à savoir le versement d'indemnités journalières pour les chefs
d'exploitation et l'assurance-décès pour les non-salariés inscrits au contrat
AAEXA.
A mon avis, ces propositions vont dans le bon sens, car elles permettent une
évolution rapide de l'AAEXA sans surcoût de fonctionnement imprévu.
En revanche, il ne me paraît pas judicieux de basculer dans un régime de
sécurité sociale. Honnêtement, monsieur le ministre, je dis non !
L'AAEXA doit rester une couverture obligatoire de base, avec la liberté
laissée aux exploitants agricoles de souscrire à l'assurance complémentaire,
encadrée par le code rural, en faisant appel aux assureurs de leur choix.
Nous sommes totalement en phase avec la commission des affaires sociales sur
ce point.
Aussi, vous comprendrez, monsieur le ministre, que je ne puisse, aujourd'hui,
souscrire au texte que vous nous proposez ou, plus exactement, que vous nous
transmettez de l'Assemblée nationale, après l'avoir tellement « enrichi » que
c'est maintenant bien plus votre texte que celui de notre honorable collègue M.
Rebillard.
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Maintenant, oui, je le
reconnais !
M. Paul Girod.
Avec Jacques Pelletier et plusieurs de nos collègues, j'ai déposé un certain
nombre d'amendements qui vont pour la plupart dans le sens de la commission des
affaires sociales. Cependant, je suis navré de dire à notre rapporteur, dont je
salue le travail considérable, que, sur un point, celui de la distinction entre
accidents du travail et accidents « familiaux », pour faire court, il fait
preuve d'angélisme en pensant - pour l'instant ! - que la seule déclaration
suffira à faire preuve. Je crains, surtout si l'on bascule vers un système
intégré dans la MSA, que l'on ne rencontre des difficultés d'application, ne
serait-ce que par méconnaissance totale de ce qu'est la vie de l'agriculteur.
De quelle catégorie relèvera, par exemple, l'accident survenu sur le trajet au
cours duquel on accompagne les enfants à l'école pour ensuite aller chercher
une pièce chez le réparateur ? Cela fait partie des inconnues lourdes de
conséquences !
(M. le ministre fait un signe dubitatif.)
Monsieur le
ministre, beaucoup d'accidents ont lieu à ces moments-là !
C'est la raison pour laquelle je défendrai mes amendements, malgré
l'incompréhension de la commission, soucieux, en tout cas, de me démarquer
nettement de vos propositions.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, vous examinez aujourd'hui la proposition de
loi relative à la couverture des exploitants agricoles contre les accidents du
travail et les maladies professionnelles, dans la rédaction issue des travaux
de l'Assemblée nationale.
Permettez-moi, tout d'abord, de me réjouir du caractère constructif et
dépassionné du travail réalisé par votre rapporteur, M. Seillier, que je salue,
et, plus largement, par la commission dans son ensemble. La réforme que nous
sommes en train d'élaborer est importante et notre travail approfondi permettra
de mieux répondre à des situations consécutives à des accidents du travail
parfois dramatiques.
Une telle réforme mérite donc mieux que la polémique.
De ce point de vue, je veux d'entrée de jeu balayer deux ou trois arguments
évoqués dans la discussion générale, à commencer par la procédure.
Tout d'abord, je voudrais corriger certaines informations que vous avez cru
pouvoir évoquer à propos du Conseil d'Etat.
Le Conseil d'Etat n'a pas du tout indiqué que ce texte n'avait rien à voir
avec celui qui devait le porter à l'origine, c'est-à-dire le projet de loi de
financement de la sécurité sociale. Il faudrait d'ailleurs m'expliquer en quoi
un texte qui instaure un régime de sécurité sociale nouveau n'aurait rien à
voir avec la loi de financement de la sécurité sociale. Le moins que l'on
puisse dire, c'est que cela avait à voir.
En fait, le Conseil d'Etat a considéré que ce texte constituait une réforme à
lui tout seul et que cela ne pouvait pas se résumer à un article, ou à un
amendement, ce en quoi je crois qu'il avait parfaitement raison.
M. Alain Vasselle.
C'est ce que l'on avait dit !
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Non ! Ce n'est pas ce que vous
avez tous dit, monsieur le sénateur !
Quant à la procédure suivre à l'Assemblée nationale - je vois que vous êtes
aussi soucieux, voire parfois plus soucieux, de la procédure suivie à
l'Assemblée nationale que dans votre Haute Assemblée, ce qui me fait sourire -
je vais vous dire exactement ce qui s'est passé, pour corriger certains
propos.
Le Gouvernement n'a pas « tripatouillé » la procédure. Ce qui est arrivé à
l'Assemblée nationale, et qui n'était jamais arrivé dans l'histoire du
Parlement, c'est qu'un parlementaire, M. de Courson, que vous avez salué, s'est
cru autorisé à invoquer un article figurant, certes, dans le règlement - il
était donc parfaitement dans son droit - mais qui faisait l'objet d'un accord
tacite de non-utilisation depuis le début des discussions dans le cadre des «
niches parlementaires », je veux parler de la procédure de l'article 40.
Jamais aucun parlementaire n'y avait eu recours pour la raison simple que, ce
faisant, on crée un précédent qui bride l'initiative du Parlement. Au fond, ce
parlementaire a amputé les droits du Parlement avec des arguments de procédure
et pour des raisons politiciennes, alors que, jusqu'à maintenant, par accord
tacite entre les groupes, jamais cet article n'avait été évoqué, de façon que
l'initiative parlementaire soit la plus libre possible dans le cadre des niches
parlementaires.
Voilà exactement ce qui s'est passé, et rien d'autre.
M. Rebillard, qui avait déposé cette proposition de loi et qui voulait la
porter jusqu'au bout, a donc été obligé de corriger son dispositif de façon à
tourner l'opposition de l'article 40 et que le débat puisse avoir lieu.
Ce n'est donc pas du tout ce que vous avez indiqué. Ce n'est pas le
Gouvernement qui a foulé au pied les droits du Parlement, c'est un
parlementaire qui, rompant avec une tradition parlementaire, a lui-même mutilé
les droits du Parlement. Je pense que cela méritait d'être précisé.
Le deuxième argument évoqué par plusieurs d'entre vous - à l'instant par M.
Paul Girod, mais également, auparavent, par M. Michel Souplet - consiste à
affirmer que la base de la profession agricole réclame les assurances et qu'on
ne peut pas faire le bonheur des gens contre leur gré !
Mais la MSA, monsieur Souplet, qui représente-elle ? Les enseignants de
l'enseignement privé ? de l'éducation nationale ? Les chauffeurs de taxi ? Les
commerçants ou les artisans ? Non ! elle est gérée par les agriculteurs !
(M. Souplet s'exclame.)
Monsieur Souplet, voulez-vous que je vous amène devant des agriculteurs qui
vous diront : « Nous voulons ce régime géré par la MSA » ? Je peux vous en
présenter, j'en ai rencontré.
M. Alain Vasselle.
Ils sont minoritaires !
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Minoritaires ? Monsieur le
sénateur, méfiez-vous !
(M. Souplet proteste.)
Je reçois en effet des motions signées par de nombreux agriculteurs, qui me
disent : « Vous avez raison ! Tenez bon ! »
Cela étant, entendons-nous sur un compromis et disons que les points de vue
sont partagés !...
Mais vous ne pouvez pas invoquer la base de la profession agricole.
A cet égard, je vous invite à lire, si vous ne l'avez déjà fait, les
argumentaires de la MSA : leurs intitulés, leur contenu sont explicites.
La MSA, ce sont les agriculteurs. Ce qui fait la force de ce régime, c'est
qu'il est démocratique. C'est pour cela qu'il fonctionne si bien et c'est pour
cela que je lui rends systématiquement hommage. Il est géré par les
agriculteurs, avec des taux de participation aux élections qui sont très
importants.
On ferait bien de s'en inspirer pour d'autres régimes de sécurité sociale !
Méfiez-vous donc, parce que la MSA, c'est le régime des agriculteurs, géré par
eux ; ils le plébiscitent ; ils se battent pour lui.
Par conséquent, votre argument selon lequel la base souhaiterait autre chose
mérite pour le moins d'être quelque peu amendé, plus équilibré.
(MM. Souplet
et Vasselle réagissent.)
Nous reviendrons sur tout cela, monsieur Souplet, lors de l'examen des
amendements.
En ce qui concerne enfin l'urgence, ce serait un crime de lèse-majesté, ou de
lèse-droits du Parlement que de l'avoir déclarée. Mais alors, que fallait-il
faire, monsieur le sénateur ? Fallait-il encore attendre un an ou deux
(M.
Souplet fait un signe de dénégation)
que l'on s'enferre dans des
discussions très longues, et accepter que cette réforme que vous demandez tous
- j'y reviendrai tout à l'heure - soit reportée d'autant ? Pour ma part, je
pense qu'il fallait assumer tout cela.
Je voulais balayer ces deux ou trois arguments qui ont été avancés avant d'en
venir au fond.
Je me félicite de ce que M. le rapporteur ait reconnu la légitimité et la
qualité de l'action de la MSA - je l'ai dit à l'instant - en matière
d'accidents du travail, qu'il conserve à cette institution, dans sa
proposition, un rôle éminent en matière de prévention, de vérification de
l'obligation d'adhésion au régime de couverture des accidents du travail et de
contrôle médical.
Je me félicite aussi que votre commission reconnaisse la validité et la
nécessité d'une séparation, comme dans tous les autres régimes de protection
sociale, entre accidents du travail et accidents de la vie privée. Nous
répondrons tout à l'heure, dans le cadre de la discussion des articles, aux
arguments de M. Paul Girod.
Pour autant, je crois que l'esprit constructif qui a présidé à vos travaux,
auquel je rends hommage, n'a pas encore permis d'aboutir à un consensus car le
texte que propose votre commission est sensiblement éloigné de celui qui
résulte des travaux de l'Assemblée nationale.
En effet, même si sur des aspects importants, comme la prévention ou le
respect de l'obligation de l'assurance, votre commission maintient certaines
dispositions adoptées à l'Assemblée nationale, elle n'en propose pas moins un
certain nombre d'amendements qui, sans revenir à la loi de 1966, que
l'Assemblée nationale souhaitait réformer, visent à rétablir un régime
concurrentiel sans rapport avec un régime de sécurité sociale.
La réforme prévue par la proposition de loi poursuit quatre grands
objectifs.
Le premier porte sur la forte revalorisation des prestations offertes aux
exploitants agricoles et aux membres de leur famille. Le deuxième prévoit la
création d'un véritable volet de prévention à l'initiative de la MSA. Le
troisième traite du contrôle du respect de l'obligation d'assurance grâce au
rôle de la MSA. Le quatrième, enfin, correspond à la mise en place d'une
véritable branche de sécurité sociale permettant le passage d'un système de
primes d'assurance fixées en fonction des entreprises à un dispositif de droit
commun fondé sur des cotisations sociales égales pour tous, à un prix coûtant
par rapport au coût des prestations et dont la mutualisation sera assurée par
la MSA, jouant le rôle de caisse-pivot.
Cette nouvelle branche assurera la protection contre les accidents du travail,
les accidents de la vie privée étant transférés dans le champ de l'assurance
maladie.
La protection est fondée sur une notion de droit commun en matière de sécurité
sociale : l'incapacité, beaucoup plus protectrice, qui remplace la notion
d'inaptitude, vague et interprétée de façon restrictive.
C'est pourquoi je veux vous dire que je ne peux pas admettre le retour à un
système assuranciel que traduit le rétablissement de la notion d'inaptitude,
l'abandon d'une partie des nouvelles prestations proposées et, surtout, le
refus d'un système de financement par des cotisations égales pour tous.
Sur ce point, je rappellerai que l'Assemblée nationale, non seulement avec
l'accord mais encore pour répondre au désir du Gouvernement - vous avez tout
compris ! - qui a déposé un certain nombre d'amendements en ce sens, a souhaité
passer d'un régime purement assuranciel à une véritable branche de la sécurité
sociale des agriculteurs. Un régime dominé par les compagnies d'assurance, qui
versent des prestations modestes en contrepartie de primes variables selon les
entreprises et sur lesquelles elles réalisent, comme l'indique très bien M. le
rapporteur, un bénéfice important, laissera ainsi la place à un régime dans
lequel les exploitants agricoles paieront les mêmes cotisations, fixées au seul
regard du montant des prestations - revalorisées au demeurant - auxquelles ils
pourront prétendre en cas d'accidents.
Sur la notion d'incapacité, j'ai déjà dit que celle-ci renvoie à une notion
réellement médicale et donc objectivement appréciée, alors que la notion
d'inaptitude, aujourd'hui utilisée en AAEXA, l'est de façon systématiquement
restrictive par les assureurs.
Le rapport de la commission du Sénat le reconnaît d'ailleurs, et le seul
argument qu'il avance pour maintenir la vieille notion d'inaptitude est la
souplesse qu'elle offre. Mais à qui cette souplesse est-elle offerte ? Aux
exploitants ou aux assureurs ? Pour ma part, je souhaite que la réforme engagée
bénéficie aux premiers.
Peut-être, dans certains cas exceptionnels, comme celui des allergies au bois,
cité par le rapporteur, la notion d'incapacité peut-elle être moins favorable
que celle d'inaptitude - encore que la jurisprudence restrictive de la Cour de
cassation ferait probablement obstacle à une indemnisation. Mais, pour parer à
ce risque, je présenterai un amendement offrant à une commission des rentes,
associant MSA et assureurs, la possibilité de revoir à la hausse le barème
d'indemnisation par rapport au taux d'incapacité médical.
S'agissant des prestations, votre commission propose de supprimer les rentes
pour les ayants droit et de ne fixer qu'un minimum pour le montant des
indemnités journalières, partant du principe que l'assurance complémentaire
facultative complétera ces prestations. Or, la proposition de loi, telle
qu'elle a été adoptée par l'Assemblée nationale, ménage déjà un espace
consistant pour les assurances complémentaires, et je suis opposé à un retour
en arrière concernant les prestations du régime de base votées par les députés
alors que la profession unanime - je pense que nous serons d'accord sur ce
point - réclame, je le rappelle, une revalorisation de celles-ci.
Quant au financement du régime, votre rapporteur vous propose, certes, de
fixer, par arrêté ministériel, un plafond au montant des primes par rapport au
coût des prestations. Ce moyen devrait permettre de limiter la marge
aujourd'hui considérable que réalisent les assurances sur ces primes. Mais sur
quelles informations les pouvoirs publics pourront-ils s'appuyer pour fixer ce
plafond en l'absence de toute centralisation des informations et des
financements par la MSA ? L'expérience de l'actuelle AAEXA a montré que les
informations transmises par les entreprises d'assurance sur ce marché sont soit
inconnues, soit disparates, en tout cas imprécises et contradictoires, comme le
reconnaît honnêtement M. Seillier dans son rapport. Il est donc relativement
illusoire de croire que le ministère disposera des moyens réels de plafonner
les primes au niveau pertinent.
En outre et surtout, vous plaidez pour une liberté de fixation de ces primes
au double motif qu'un dispositif concurrentiel serait moins coûteux aux
exploitants et qu'en tout état de cause les prestations qu'il est prévu de
financer induiront à terme un surcoût.
En l'occurrence, l'actuelle AAEXA, en principe soumise aux lois du marché,
constitue un système non pas de concurrence, mais d'oligopole. Peut-on parler
de concurrence quand une seule entreprise domine les deux tiers du marché ?
Peut-on parler de vertu économique de la concurrence quand tout le monde
s'accorde sur le fait que 40 % des primes viennent alimenter le bénéfice des
sociétés qui les recouvrent ?
Enfin, la notion de coût doit s'apprécier en fonction des prestations
procurées : je veux souligner que l'agriculteur, pour obtenir des prestations
comparables à celles que prévoit la réforme, doit aujourd'hui payer, en
assurance de base et en complémentaire, un montant bien supérieur à celui des
futures cotisations.
Vous citez, dans votre rapport, l'exemple des pays étrangers, indiquant qu'il
serait paradoxal de supprimer, en France, un système concurrentiel alors que
les pays étrangers privatisent. Mais croyez-vous que le système américain, où
la part du PIB absorbée par des dépenses de santé est de loin la plus
importante au monde, soit vraiment un exemple à suivre ? Croyez-vous que le
démantèlement du service public de santé britannique ait engendré quelque vertu
que ce soit ?
Pour ma part, je suis partisan de l'égalité devant les risques liés à la santé
et devant les charges publiques couvrant ces risques ; je donnerai donc un avis
défavorable sur les amendements rompant avec cette logique.
Quant à l'augmentation prétendument inéluctable, à terme, des cotisations,
personne n'en a jusqu'à présent administré la démonstration. Et pour cause !
M. Alain Vasselle.
On peut faire des simulations !
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le sénateur, les
simulations effectuées incluent un provisionnement mathématique des rentes à
verser à terme et par référence à l'espérance de vie des personnes
potentiellement concernées par un accident ultérieur. Il est faux de dire que
ce mécanisme de fonds de réserve et de provisionnement des rentes serait
inadapté à un système de sécurité sociale, sauf à méconnaître que ce mécanisme
fonctionne depuis plus d'un demi-siècle dans la branche accidents du travail
des salariés.
M. Alain Vasselle.
Ce n'est pas le même risque !
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Je ne peux admettre non plus la
remise en cause du rôle de caisse-pivot joué par la MSA dans la réforme
proposée. Car, là encore, comment assurer l'égalité entre les exploitants
adhérant à des organismes différents, ou dans des départements différents, sans
une mutualisation intégrale des financements et des dépenses ? Sans
mutualisation, que se passe-t-il lorsque, dans un lieu donné, une entreprise
doit supporter une dépense exceptionnelle si ce n'est une hausse des primes à
due proportion, et ce alors même que l'entreprise concurrente pourra réaliser
un profit au seul motif que, cette année-là, les dépenses auront été
inférieures aux recettes prélevées ?
Pour autant, le texte issu de l'Assemblée nationale n'induit pas un monopole
de la MSA, et tant le Gouvernement que les députés ont souhaité maintenir la
pluralité d'assureurs, donc la liberté de choix, mais en établissant une
égalité de traitement, dont la règle, en France, dans un régime de sécurité
sociale, est qu'elle s'applique entre adhérents à une même branche.
Je voudrais pour conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, revenir sur deux
idées simples, en réponse à vos arguments.
Vous dites d'abord qu'il faut un régime assuranciel et concurrentiel. Mais
c'est ce qui existe depuis quarante-cinq ans, et cela ne marche pas !
M. Alain Vasselle.
Il suffit de l'améliorer !
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Ou plutôt, cela marche mal, à
coups d'inégalités choquantes et de couvertures insuffisantes.
Vous dites aussi que le système que nous proposons ne peut pas marcher. Ce
n'est pas vrai ! Il fonctionne déjà, avec l'AMEXA pour l'assurance maladie,
régime à propos duquel je n'ai entendu aucune critique et dont nous nous
sommes, bien sûr, inspirés pour cette réforme.
Voilà pourquoi le texte qui est issu des travaux de l'Assemblée nationale est
un bon texte, un texte équilibré. Il répond à une véritable demande des
agriculteurs, et, j'en suis persuadé, le Sénat apportera sa contribution à
l'élaboration de cette réponse.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
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