SEANCE DU 20 JUIN 2001


M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 5 est présenté par M. Seillier, au nom de la commission.
L'amendement n° 48 rectifié, est déposé par MM. Pelletier, Paul Girod, Joly, Mouly, Demilly, Vallet et Guichard.
Tous deux tendent à rédiger ainsi l'antépénultième alinéa (3°) du texte proposé par l'article 1er pour l'article L. 752-3 du code rural :
« 3° Une rente en cas d'inaptitude à l'exercice de la profession agricole ; ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 5.
M. Bernard Seillier, rapporteur. Le texte recourt à la notion d'incapacité permanente. Or celle-ci ne nous paraît pas adaptée au monde agricole et nous lui préférons la notion d'inaptitude à l'exercice de la profession agricole, qui permet de prendre en compte la pénibilité de l'activité exercée.
En effet, l'incapacité fonctionnelle, jugée en considération de critères exclusivement médicaux, peut être minime alors que l'exploitant sera pourtant inapte à exercer sa profession ; on évoque souvent l'exemple des allergies au bois.
Par ailleurs, l'inclusion dans la garantie obligatoire de base de rentes servies aux ayants droit risque de placer les cotisations ou les primes à des niveaux très élevés. Cette garantie doit rester facultative. L'objectif est, ici, de ne pas alourdir les charges des exploitants agricoles.
M. le président. La parole est à M. Joly, pour présenter l'amendement n° 48 rectifié.
M. Bernard Joly. Je n'ai rien à ajouter aux arguments qui viennent d'être énoncés par M. le rapporteur.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 5 et 48 rectifié ?
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Nous sommes, de nouveau, dans un débat de fond ; tout à l'heure, il s'agissait de la séparation entre vie privée et vie professionnelle ; cette fois, il s'agit du choix entre la notion d'incapacité et celle d'inaptitude.
Je regrette que la commission n'ait pas rejoint la position de l'Assemblée nationale. En effet, je considère que cette notion d'inaptitude, qui est déjà utilisée aujourd'hui en AAEXA, est beaucoup plus restrictive, selon la jurisprudence même de la Cour de cassation, que la notion d'incapacité, actuellement prévue par le texte et utilisée par le régime accidents du travail des salariés.
La notion d'inaptitude à l'exercice de la profession a conduit à de nombreux rejets, car elle est interprétée de telle façon qu'un exploitant physiquement inapte à poursuivre une activité mais intellectuellement apte à la concevoir se voit écarté du bénéfice de tout revenu de remplacement.
Au contraire, la notion d'incapacité est objectivée par un barème médical. Néanmoins, certaines affections réellement pénalisantes peuvent être insuffisamment prises en compte par le barème. Il en est ainsi des allergies au bois, affection que la jurisprudence de la Cour de cassation ne permettait d'ailleurs pas non plus de retenir au titre de l'inaptitude totale à l'exercice de la profession agricole. C'est pourquoi, comme je l'ai dit tout à l'heure, j'ai déposé un amendement aménageant dans le sens d'une plus grande souplesse la fixation du taux d'incapacité.
Par ailleurs, la suppression de la rente versée aux ayants droit en cas de décès du chef d'exploitation constituerait une régression sociale par rapport à la proposition de loi.
Je souhaite donc que l'on en reste à cette notion d'incapacité, qui me semble - comme à la Cour de cassation, au demeurant - beaucoup plus large et plus protectrice que la notion d'inaptitude.
M. Bernard Seillier, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Seillier, rapporteur. Je ferai deux observations.
D'abord, monsieur le ministre, on ne peut pas, aujourd'hui, parler de « régression sociale », puisqu'il s'agit, avec ce texte, de créer quelque chose là où, pour le moment, il n'y a rien. Pour qu'il y ait régression, il faudrait que l'on revienne sur un dispositif antérieur jugé plus protecteur.
Ensuite, sur le fond, il est vrai que nous avons une approche fondamentalement différente de l'ensemble des références « incapacité » de la sécurité sociale et des tableaux des maladies professionnelles. Je crois précisément que l'examen de cette proposition de loi nous donne la possibilité - c'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles je regrette que l'urgence ait été déclarée - de faire préciser la spécificité de l'inaptitude de la profession agricole.
S'agissant tout particulièrement du régime accidents du travail des exploitants agricoles, qui sont des chefs d'entreprise, il existe une spécificité qu'il faut cerner de manière très fine.
La cohérence du texte adopté par la commission des affaires sociales tient à ce que nous proposons un système innovant, partant de l'affirmation d'une inaptitude à l'exercice de la profession agricole, notion dont il conviendra sans doute, j'en conviens, de préciser le contenu dans d'autres textes, mais qui m'apparaît comme une voie féconde pour l'avenir.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 5 et 48 rectifié.
M. Guy Fischer. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. L'objet de ces amendements est double.
Ils visent d'abord à substituer à la notion d'incapacité permanente, notion retenue pour les salariés du régime général et renvoyant à l'état physique de la personne, celle d'inaptitude, actuellement utilisée en matière d'assurance contre les accidents des exploitants agricoles. Pour notre part, nous considérons qu'il faut s'en tenir au texte adopté par l'Assemblée nationale.
En outre, ces amendements tendent à réduire le champ de la couverture obligatoire de base en supprimant les rentes servies aux ayants droit. Deux philosophies totalement différentes s'opposent donc. Arguant de la nécessité de limiter au maximum les charges des exploitants agricoles, M. le rapporteur propose de laisser cette garantie à la charge de la protection complémentaire.
Je persiste à considérer qu'il s'agit d'amendements de régression sociale. Quel progrès en effet ! Ne vous paraît-il pas souhaitable, chers collègues de la majorité sénatoriale, de passer d'un extrême à l'autre, c'est-à-dire de basculer d'un régime où très peu de garanties minimales étaient offertes à un nouveau régime offrant l'intégralité des prestations ?
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront donc contre ces deux amendements.
M. Michel Souplet. Ce que vous voulez, c'est du dirigisme !
M. Bernard Seillier, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Seillier, rapporteur. Monsieur Fischer, je précise que, tout à l'heure, lorsque M. le ministre a parlé de régression, il ne pouvait que se situer par rapport au texte de la proposition de loi tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale puisqu'il s'agit de créer un nouveau régime. Autrement dit, il n'y a pas de régression sociale dans l'absolu. S'il y a régression, elle ne peut être que par rapport à un dispositif qui est encore virtuel.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. D'accord !
M. Bernard Seillier, rapporteur. Par ailleurs, je ne refuse pas la création d'une rente aux ayants droit, mais je considère que nous sommes en face d'une situation où, pour l'instant, il n'existe rien puisque le texte de l'Assemblée nationale crée un régime de but en blanc. Je crois préférable d'observer pendant quelques années les effets produits par la mise en oeuvre de la rente directe aux bénéficiaires avant d'ouvrir, dans le régime de base obligatoire, la rente aux ayants droit.
Notre option est donc celle de la prudence ; celle-ci nous paraît de mise durant la montée en puissance d'un régime de base au demeurant également très protecteur pour les ayants droit. Ce n'est pas une opposition à la perspective du versement de telles rentes aux ayants droit.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Puisque nous recherchons le consensus, je vais rejoindre M. le rapporteur au moins sur la portée de l'expression de « régression sociale » que j'ai employée.
C'est vrai, ce n'est pas une régression sociale par rapport à la situation antérieure ; c'est seulement, à mes yeux, une régression par rapport à ce que prévoit actuellement le texte.
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. En ce qui concerne la question du versement d'une rente aux ayants droit, je crois, monsieur le ministre, que vous jouez sur les mots. J'entends bien qu'il s'agit d'un débat public et qu'il est important, pour le Gouvernement, comme pour M. Fischer, d'afficher nettement, vis-à-vis de l'opinion publique, que c'est la majorité, et seulement elle, qui défend le progrès social. D'où l'emploi des termes de « régression sociale », alors même que ceux-ci sont, en l'occurrence, tout à fait injustifiés, d'autant que, dans d'autres amendements, il sera proposé de substituer un capital-décès à la rente.
M. le rapporteur nous donne rendez-vous dans quelques années, mais peut-être notre dispositif pourra-t-il être amélioré en commission mixte paritaire. Je crois que la notion de rente ou celle de capital-décès est à prendre en considération. Il reste à définir les modalités de sa mise en oeuvre. Il ne me paraît pas souhaitable de l'abandonner pour les non-salariés agricoles et, de ce point de vue, je suis prêt à vous rejoindre, monsieur le ministre.
Mais, de grâce, n'agitez pas le chiffon rouge de la régression sociale ! En procédant ainsi, vous donnez à penser que vous voulez réaliser une opération politicienne à l'occasion de ce débat devant la Haute Assemblée.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Oh !
M. Alain Vasselle. Mais cette attitude n'est pas forcément étonnante de la part de M. Fischer ou du Gouvernement...
Enfin, je pense que la notion d'inaptitude est beaucoup mieux adaptée à la profession agricole que celle d'incapacité, à la fois pour les maladies professionnelles et pour une partie des accidents du travail.
En effet, à la différence du métier de salarié, le métier d'agriculteur est polyvalent ; l'agriculteur doit être en mesure de faire face à toutes les tâches, très variées, liées à son entreprise. Il suffit d'un accident pour le rendre complètement inapte à la totalité de l'activité de son entreprise agricole.
La notion d'incapacité est donc trop limitée par rapport à celle d'inaptitude, qui permet d'appréhender dans sa globalité la situation de l'agriculteur.
C'est la raison pour laquelle je pense que M. le rapporteur a eu raison de substituer à la notion d'incapacité la notion d'inaptitude, d'autant plus que nous examinerons un peu plus tard un article qui fait référence à un certain nombre de données sur lesquelles pourra s'appuyer la commission pour définir ce niveau d'aptitude.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 5 et 48 rectifié, repoussés par le Gouvernement.

(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. Par amendement n° 49 rectifié, MM. Pelletier, Paul Girod, Joly, Mouly, Demilly, Vallet et Guichard proposent de rédiger ainsi l'avant-dernier aliéna (4°) du texte présenté par l'article 1er pour l'article L. 752-3 du code rural :
« 4° Un capital, en cas de décès d'un assuré. »
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Cet amendement prévoit, pour les exploitants agricoles, une rente en cas d'inaptitude à l'exercice de leur profession et un capital en cas de décès.
Il s'agit de substituer la rente d'incapacité permanente, d'ordre essentiellement médical et qui est définie en fonction de la nature de l'infirmité, à une rente d'inaptitude à l'exercice de son activité professionnelle, même si l'incapacité permanente est minime.
En effet, si l'on se réfère au texte proposé, l'exploitant atteint d'une incapacité permanente inférieure à 50 % ne percevrait aucune rente, alors que, dans le système actuel, ce même exploitant peut être reconnu inapte à la profession.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Bernard Seillier, rapporteur. Je salue l'intention généreuse de cet amendement, qui vise à remplacer la couverture des frais funéraires de la victime par l'obtention d'un capital décès.
Toutefois, je rappelle qu'en supprimant l'inclusion des rentes pour les ayants droit dans la garantie obligatoire, j'ai incité le Sénat à limiter au minimum la charge des exploitants agricoles dans la mise en place de ce nouveau régime.
Or, la disposition proposée, en apportant un supplément de prestations, somme toute limité, aurait pour effet de renchérir inutilement le montant des cotisations ou des primes.
C'est pourquoi, dans un souci de cohérence avec le dispositif que j'ai présenté, je suis au regret d'émettre un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Monsieur Joly, votre amendement est-il maintenu ?
M. Bernard Joly. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 49 rectifié est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, modifié, le texte proposé pour l'article L. 752-3 du code rural.

(Ce texte est adopté.)

ARTICLE L. 752-4 DU CODE RURAL