SEANCE DU 21 JUIN 2001
DROITS DU CONJOINT SURVIVANT
Adoption d'une proposition de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 224,
2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux droits du conjoint
survivant. [Rapport n° 378 (2000-2001) et rapport d'information n° 370
(2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, le 8 février dernier, l'Assemblée nationale
adoptait à l'unanimité une proposition de loi tendant à améliorer les droits
successoraux du conjoint survivant et à supprimer les dernières discriminations
dont font l'objet les enfants adultérins.
Ce texte a recueilli la pleine adhésion du Gouvernement.
Il devenait en effet urgent de donner, en matière successorale, la place que
le conjoint mérite et occupe déjà au sein de la famille.
Il était tout aussi indispensable de supprimer l'inégalité patrimoniale dont
les enfants adultérins étaient encore injustement victimes, comme l'a mis en
évidence la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de
l'homme, le 1er février 2000.
Cette proposition de loi est soumise aujourd'hui à votre examen.
La commission des lois partage sans réserve le dernier volet du texte sur les
enfants adultérins.
Elle vous propose, en revanche, de vous écarter sensiblement de la rédaction
adoptée par l'Assemblée nationale sur les droits successoraux du conjoint
survivant.
Mais surtout, dépassant le cadre initial du débat, elle entend réformer
l'ensemble du droit des successions.
Je voudrais vous dire pourquoi je ne peux suivre cette orientation avant
d'axer mes propos sur la situation du conjoint survivant.
Qu'une réforme globale du droit des successions soit nécessaire, je crois que
chacun s'accorde à le penser.
Le droit des successions a vieilli. Il ne correspond plus à la physionomie
actuelle des familles et ne prend pas suffisamment en compte les nouvelles
configurations patrimoniales, notamment la primauté des fortunes acquises sur
celles qui ont été reçues en héritage. Il reste un droit complexe impliquant
des démarches longues et multiples, peu accessible, sauf aux ménages les plus
aisés qui peuvent recourir aux conventions notariales.
Pour autant, je ne crois pas que la proposition de loi dont vous êtes saisis
puisse constituer le bon vecteur d'une telle réforme.
Cette proposition s'insère dans le projet global de rénovation du droit de la
famille. A cet égard, vous avez déjà eu à connaître de la question de la
prestation compensatoire. Vous serez prochainement saisis des propositions de
loi relatives à l'autorité parentale et à la dévolution du nom.
Les impératifs du calendrier parlementaire ont conduit à une division
thématique de la réforme sans pour autant nuire à la cohérence de
l'ensemble.
C'est dans ce contexte que l'initiative de l'Assemblée nationale s'inscrit, eu
égard à l'acuité des problèmes posés par la situation du conjoint survivant et
par celle des enfants adultérins.
Réformer l'ensemble du droit des successions, auquel il faudrait d'ailleurs
joindre celui des libéralités qui lui est indissolublement lié, s'inscrit dans
une autre logique.
Je sais que, sur ce point, la réflexion est aujourd'hui très avancée. La
preuve en est que la commission des lois se propose de reprendre en grande
partie le texte élaboré en juillet 2000 par le professeur Pierre Catala et le
Conseil supérieur du notariat.
Ce texte est d'ailleurs lui-même inspiré du projet de loi déposé au Parlement
le 8 février 1995 et issu de la commission de travail présidée par le doyen
Carbonnier.
Mais réouvrir aujourd'hui ce débat à l'occasion de l'examen d'une proposition
de loi, certes importante mais limitée dans son objet, ne m'apparaît pas
raisonnable. Il me paraît difficile d'examiner en une journée à peine la
modification de plus de deux cents articles du code civil.
Les conditions d'une discussion approfondie permettant à chacun d'exprimer son
point de vue sur un sujet délicat qui, contrairement à ce que l'on pourrait
penser, comporte encore des divergences d'appréciation ne sont manifestement
pas réunies.
Je pense à la question d'un éventuel aménagement de l'ordre des héritiers, à
celle de la gestion des successions acceptées sous bénéfice d'inventaire ou
encore à celle de la place de la réserve.
J'ajoute que, sur une telle réforme, on ne peut se dispenser de recueillir à
nouveau le sentiment de tous les acteurs concernés : bien sûr, les familles,
mais aussi l'ensemble des professionnels et des administrations compétentes.
Enfin, il est raisonnable de penser qu'un texte limité aux droits du conjoint
survivant et de l'enfant adultérin trouvera son aboutissement tant attendu
avant la fin de la présente législature. Je ne voudrais pas que l'élargissement
du débat soit le gage de son enlisement. Le mieux me paraît, en l'espèce, être
tout à fait l'ennemi du bien.
C'est pourquoi, bien que désireuse de faire avancer ce dossier dont je connais
l'importance - vous avez raison de vous y attarder, et je comprends que vous
considériez qu'il est temps, en 2001, de le faire - je demande au Sénat de ne
pas adopter aujourd'hui cette réforme d'ensemble. J'en resterai
personnellement, au nom du Gouvernement, au texte concernant les droits du
conjoint survivant.
Je voudrais tout d'abord rappeler l'économie générale du texte adopté par
l'Assemblée nationale.
Il repose sur le souci de faire du conjoint un héritier à part entière.
Actuellement, en présence d'enfants, situation la plus fréquente, le conjoint
ne peut prétendre qu'au quart de la succession en usufruit et n'a même pas
toujours de disponibilités suffisantes pour se maintenir dans le logement
familial.
Un tel dispositif n'est pas de nature à satisfaire les besoins des veufs et
veuves, plus âgés qu'autrefois et à l'espérance de vie plus longue.
Après la douleur que provoque la mort de l'être qui lui est le plus proche, le
conjoint survivant perçoit l'ouverture de la succession de celui-ci comme une
seconde épreuve, en découvrant qu'il est encore largement, aux yeux de la loi,
un étranger à la famille de celui dont il a partagé la vie. Ce drame moral du
veuvage est souvent aggravé par une crise financière.
On a cependant longtemps hésité à accroître les droits du conjoint survivant,
craignant de porter atteinte à ceux des descendants dont la situation pouvait
être également fragile ; mais ceux-ci sont aujourd'hui, la plupart du temps,
des adultes, plus âgés qu'autrefois, déjà établis dans la vie. Un équilibre
peut donc désormais être plus facilement trouvé.
Cet équilibre passe par une véritable reconnaissance des droits du conjoint
survivant, d'une part, en consacrant sa place au sein du premier ordre des
héritiers et, d'autre part, en lui reconnaissant des droits en pleine
propriété, même en présence d'enfants.
Il passe également par la faculté qui lui est très largement ouverte de rester
dans le logement familial.
En revanche, la proposition de loi qui a été votée n'a pas entendu faire du
conjoint, de manière systématique, un héritier réservataire, ce qui n'aurait pu
être acquis qu'au détriment des droits des autres héritiers en ligne directe et
de la liberté de tester de l'époux prédécédé.
Je voudrais reprendre ces trois idées forces avant d'en venir à leur
application dans le détail du texte.
Le premier axe essentiel est l'affirmation plus forte des droits du conjoint
survivant dans l'ordre des successibles. Est ainsi traduite cette nouvelle
donnée sociologique essentielle qui est le resserrement de la famille autour du
noyau conjugal.
Dans tous les cas de figure, le conjoint bénéficiera des droits en pleine
propriété là où il n'avait jusqu'à présent que des droits en usufruit.
Actuellement, la présence d'enfants, de parents dans les deux lignes ou de
frères et soeurs ne lui permet pas de prétendre à une qualité autre que celle
d'usufruitier.
Le deuxième axe essentiel du nouveau dispositif qui recueille l'accord de la
commission des lois est la protection particulière du conjoint à l'égard de la
résidence familiale.
Les opinions sont, sur ce point, unanimes : le conjoint doit pouvoir, dans
toute la mesure possible, continuer à vivre le reste de sa vie dans ce qui a
été le logement conjugal.
J'en viens au dernier droit fondamental, celui de préserver la liberté
testamentaire du défunt en ne prévoyant pas, au profit du conjoint survivant,
un droit à une réserve générale. Cette question a été très largement et
vivement débattue.
La réponse n'est pas simple, car la réserve peut paraître l'expression la plus
aboutie de la protection des héritiers et la consécration définitive de
l'entrée du conjoint survivant dans la famille.
Toutefois, si la loi est légitime à consacrer juridiquement des liens
d'affection, quelle légitimité aurait-elle à contraindre les époux en dépit, le
cas échéant, de la disparition de ces liens d'affection ?
De surcroît, la liberté testamentaire peut aussi opportunément offrir aux
époux la possibilité d'aménager, en plein accord, des successions compliquées
par la recomposition de la famille ou l'évolution des caractéristiques du
patrimoine.
En outre, il n'est pas souhaitable de multiplier les droits à réserve alors
que les législations européennes ne vont pas dans ce sens.
Ces trois idées forces ont été déclinées par l'Assemblée nationale sur un mode
que la commission des lois ne reprend pas à son compte. Je le regrette, car le
dispositif me paraissait judicieux et équilibré.
Tout d'abord, la place accordée par la commission au conjoint survivant dans
l'ordre des successibles ne reflète pas la réalité du cercle familial
d'aujourd'hui. Concrètement, il ne pourra recueillir la totalité de la
succession de son conjoint que si celui-ci ne laisse à son décès non seulement
aucun enfant ni aucun parent, mais encore aucun grand-parent, aucun frère,
aucune soeur, aucun neveu ou petit-neveu.
J'ajoute que le régime prévu est particulièrement complexe puisque les droits
des frères et soeurs dépendent de la présence ou non d'ascendants dans les deux
branches.
En deuxième lieu, la commission des lois propose de faire varier les droits du
conjoint en fonction de la qualité des enfants appelés à succéder, selon qu'il
s'agit d'enfants issus du mariage ou d'une autre union.
C'est ainsi que, en présence d'enfants communs, le conjoint dispose, à son
choix, de la totalité de la succession en usufruit ou du quart de celle-ci en
propriété. Il ne dispose pas, en revanche, de la première branche de l'option
lorsque le conjoint prédécédé laisse des enfants dont il n'est pas lui-même le
parent.
Ce mécanisme, outre sa mise en oeuvre délicate, conduit à opérer une
discrimination en fonction de la nature de la filiation, qui est à
contre-courant de l'évolution du droit de la famille.
J'ajoute, en troisième lieu, que le texte proposé consacre ainsi la
possibilité pour le conjoint d'exercer ses droits en usufruit.
Je crois nécessaire de rappeler les multiples critiques que suscite
l'usufruit.
Il ne permet pas une gestion économique efficace des patrimoines : je pense
notamment au cas des entreprises, dont l'activité nécessite des décisions
rapides.
Il est, par là même, un frein au développement des échanges, car rares sont
les acquéreurs potentiels de ce type de droit.
Par l'antagonisme qu'il fait naître entre des personnes ayant des droits
concurrents, l'usufruit se révèle souvent nuisible à la bonne entente
familiale, surtout lorsque l'écart d'âge entre le survivant et les descendants
du prédécédé est faible, tandis que s'allonge l'espérance de vie.
Au surplus, la conversion possible de l'usufruit en rente viagère est
immanquablement génératrice de contentieux.
Je crois donc plus sage de ne s'en tenir qu'à des droits en propriété, en ne
laissant pas d'option sur ce point au conjoint survivant, étant entendu que le
texte garantit par ailleurs son droit d'usage et d'habitation sur le logement
principal. Seuls de tels droits confèrent à leur titulaire une autonomie
suffisante. J'observe d'ailleurs que c'est la position des associations
représentatives des intérêts des conjoints survivants. C'est aussi la tendance
croissante des législations européennes.
En quatrième lieu, la commission des lois entend restreindre l'assiette de la
part successorale du conjoint survivant aux seuls biens existants au jour du
décès à l'exclusion de ceux qui auraient pu être antérieurement donnés.
Permettez-moi de m'étonner d'une telle proposition, qui rompt l'égalité entre
les héritiers au détriment du conjoint.
Le principe général en matière de dévolution successorale est le rapport de
l'ensemble des libéralités faites par le défunt, sauf volonté contraire de
celui-ci. Ce principe n'est pas lié à la qualité de réservataire, mais à celle
de successible. Pourquoi donc y déroger pour le conjoint, sauf à en faire un «
sous-héritier » ?
En cinquième lieu, la commission des lois propose de modifier sur plusieurs
points le mécanisme retenu par l'Assemblée nationale en ce qui concerne le
droit du conjoint sur le logement familial.
Si elle reprend tel quel le droit pour celui-ci de rester dans les lieux dans
l'année du décès, elle modifie le régime de son droit d'usage et
d'habitation.
Dans l'ensemble, ces dispositions ne privilégient pas la continuité du cadre
de vie du membre survivant du couple.
La commission confère ainsi au conjoint survivant une large possibilité de
donner à bail l'habitation principale du couple.
De même, tout en affirmant symboliquement l'intangibilité de ce droit, elle
permet néanmoins au conjoint prédécédé de le faire significativement varier
dans sa consistance en lui permettant de le faire porter sur un autre logement
que l'habitation principale du couple.
Je préfère, pour ma part, reconnaître la liberté testamentaire plutôt que
permettre de façon déguisée d'amoindrir le droit d'usage et d'habitation du
conjoint survivant.
Je relève, du reste, que la commission ne prévoit pas de formalités
particulières pour l'expression de la volonté du conjoint prédécédé, alors que,
dans le texte proposé par l'Assemblée nationale, cette restriction supposera
une démarche spécifique et la consultation d'un notaire qui, seul, pourra
rédiger l'acte. Elle devrait donc être exceptionnelle. Il s'agira d'un acte
grave plaçant le défunt face à ses responsabilités tout en ménageant sa
liberté.
Je rappelle, en outre, que le texte de l'Assemblée nationale renforce la
créance alimentaire du conjoint survivant qui pourrait ainsi se voir privé de
ses droits successoraux.
Dans la logique de son raisonnement, qui est de conférer un caractère
intangible au droit au logement, la commission ne reprend pas à son compte
l'amélioration ainsi proposée.
La commission prévoit par ailleurs que, lorsque la valeur du droit
d'habitation dépasse la part successorale de l'époux survivant, celui-ci pourra
être tenu de récompenser la succession lorsque ses besoins ne justifieront pas
ce dépassement.
Outre que cette disposition sera source de multiples contentieux pour
déterminer s'il y a matière à récompense, cette obligation risque de
contraindre le conjoint survivant à quitter son cadre de vie habituel.
La commission prévoit enfin que les héritiers pourront remettre en cause, par
voie judiciaire, le droit d'usage et d'habitation du conjoint survivant lorsque
celui-ci aura manqué gravement à ses devoirs envers le défunt.
Là encore, je préfère, pour ma part, préserver la liberté testamentaire des
époux plutôt que laisser les héritiers s'entre-déchirer sur leurs démêlés
conjugaux.
Je terminerai par le dispositif original que l'Assemblée nationale propose
d'instituer pour assurer, en l'absence de proches parents du défunt -
ascendants et descendants - une certaine protection du conjoint contre les
libéralités que le prédécédé pourrait faire.
Ce mécanisme à géométrie variable procède d'une vision réaliste et équilibrée,
et protège la liberté du défunt tout en faisant prévaloir les intérêts du
conjoint sur ceux de la famille éloignée.
La commission des lois du Sénat n'estime pas utile d'adopter cette
disposition. Je crois néanmoins souhaitable que la réflexion se poursuive sur
ce point.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les observations que je voulais
formuler au seuil de cette discussion générale, largement issues d'ailleurs
d'entretiens avec les représentants des conjoints survivants.
Je regrette que, malgré le travail considérable fait par la commission des
lois du Sénat et son rapporteur, nous n'ayons pas, sur un texte si important,
une pleine convergence de vues, alors que le texte issu de l'Assemblée
nationale avait été adopté à l'unanimité, tous groupes confondus.
Je souhaite que les navettes nous permettent de nous rapprocher en nous axant
sur ce que l'attente sociale rend essentiel et urgent : d'une part, la
reconnaissance de droits successoraux au conjoint survivant dignes de la place
qui est la sienne dans la famille d'aujourd'hui ; d'autre part, l'abandon de
toute discrimination à l'égard de l'enfant adultérin.
(Applaudissements sur
les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est M. le rapporteur.
M. Nicolas About,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes saisis de deux
propositions de loi : l'une nous vient de l'Assemblée nationale et a été
élaborée sur l'initiative et sur le rapport de M. Vidalies ; l'autre a été
déposée par mes soins.
Toutes deux visent à améliorer le sort des conjoints survivants et à créer une
égalité successorale entre enfants légitimes, naturels et adultérins.
S'il existe un consensus sur l'objectif - vous l'avez rappelé et le vote à
l'unanimité à l'Assemblée nationale le traduit bien -, les moyens pour y
parvenir diffèrent depuis vingt ans, retardant du même coup la réforme
d'ensemble du droit successoral.
Déterminer la place du conjoint survivant conduit à revoir la place du
conjoint par rapport à la famille par le sang, donc celle du ménage par rapport
au lignage et à s'interroger sur les conséquences de la multiplication des
familles recomposées.
Quels sont, aujourd'hui, le profil et les droits du conjoint survivant ?
Le profil : c'est une femme de plus de soixante ans. En effet 87 % des
personnes veuves ont plus de soixante ans et 84 % sont des femmes. Cela dit,
n'oublions pas que, en 1999, 1 490 veuves avaient moins de vingt ans.
Les droits du conjoint survivant : ils sont historiquement limités et, le plus
souvent, se bornent à de l'usufruit.
Ce n'est qu'en 1930 que lui sont attribués des droits en propriété en
l'absence d'héritier dans une ligne.
Plus tard, la loi du 26 mars 1957 élève le conjoint survivant dans l'ordre des
successibles devant les collatéraux ordinaires.
Enfin, l'ordonnance du 30 décembre 1958 fait de lui un véritable héritier en
lui conférant la saisine, c'est-à-dire la faculté d'entrer de plein droit en
possession des biens, droits et actions du défunt.
Aujourd'hui, en l'absence de testament ou de donation, le conjoint n'hérite
que d'une portion limitée de la succession en usufruit. Il se situe au
quatrième rang des successibles et n'hérite de l'ensemble de la succession en
pleine propriété qu'en l'absence des trois premiers rangs.
De plus, son sort peut se trouver amélioré ou aggravé par des dispositions à
cause de mort : amélioré grâce à une assurance-vie ou par des libéralités ;
aggravé, car il peut être privé de tous droits par testament, avec la maigre
compensation toutefois de pouvoir demander des aliments à la succession dans un
délai d'un an.
Mais ce tableau ne doit être apprécié qu'après avoir fait le constat rassurant
que 80 % des couples utilisent les moyens prévus pour améliorer le sort du
conjoint survivant.
Nous avons donc à améliorer le régime de dévolution légale auquel restent
soumis les 20 % qui n'ont pris aucune disposition.
L'évolution est jugée par tous nécessaire.
Le mariage est non plus une institution à fins patrimoniales, mais le fruit
d'une double volonté de s'unir pour des raisons affectives. Les patrimoines des
époux sont majoritairement constitués de biens acquis pendant le mariage.
L'accroissement de l'espérance de vie conduit les enfants à hériter à un moment
où ils sont déjà établis et disposent de leur propre patrimoine.
Tous ces facteurs militent pour un rééquilibrage de la place du conjoint par
rapport à celle de la famille. Rééquilibrage, oui ! Bouleversement, non ! Nous
devons avoir le souci de ne pas créer de nouvelles injustices par excès de
zèle.
Les pays voisins ont fait la même démarche et, désormais, le conjoint
survivant se voit attribuer des droits en pleine propriété.
Où en est la réflexion dans notre pays ?
Pour 300 000 mariages, on enregistre 120 000 divorces, ce qui aboutit à des
recompositions familiales qui rendent les successions toujours plus complexes.
En 1996, un mariage sur quatre impliquait un époux divorcé et un mariage sur
douze impliquait deux époux divorcés. Les situations se compliquent encore
lorsque le remariage concerne un conjoint beaucoup plus jeune, éventuellement
de la même génération, voire plus jeune, que les enfants du premier lit.
Nous sommes loin de l'image traditionnelle de la veuve âgée se retrouvant en
présence uniquement d'enfants communs aux deux époux.
La diversification des modèles familiaux rend plus difficile l'adoption d'une
solution adaptée à tous.
Depuis quinze ans, projets de loi et rapports officiels se succèdent et
proposent d'accroître les droits du conjoint survivant, mais selon des
solutions différentes : plus de droits en pleine propriété pour les uns ; plus
de droits en usufruit pour les autres ; création d'une réserve pour certains ;
liberté testamentaire pour d'autres. Aucune solution unique ne se dégage.
Pourtant, après les travaux d'un groupe de travail animé par le doyen
Carbonnier et par le professeur Catala à la demande d'un gouvernement un
premier projet de loi a été déposé par M. Michel Sapin en 1991. Il a été repris
dans un projet plus général en 1995. Une option entre une part en propriété et
la totalité en usufruit assortie d'un droit à maintenance de ses conditions
d'existence peut résumer ces textes.
En mai 1998, Mme Irène Théry préconise, dans son rapport, d'aligner la
dévolution légale
ab intestat
en présence d'enfants sur les pratiques
actuelles autorisées en matière de libéralités dans le cadre de la quotité
spéciale entre époux. Elle a même proposé que le conjoint soit appelé à
succéder immédiatement après les descendants.
Enfin, le groupe présidé par Mme Dekeuwer-Défossez a préconisé, en 1999, que
le conjoint recueille l'intégralité de l'usufruit, tout en ouvrant à chaque
enfant la possibilité de réclamer sa part de réserve en pleine propriété en
échange de l'abandon au conjoint de sa part de la quotité disponible. Ce groupe
de travail a proposé également que le conjoint survivant prime sur les
collatéraux et les ascendants ordinaires.
Après quinze ans de réflexion, il nous revient de trancher cette question du
conjoint survivant.
Mais il est un deuxième dossier, celui des droits de l'enfant adultérin.
Les droits de l'enfant adultérin sont aujourd'hui limités. Ils sont réduits de
moitié dans la dévolution légale au profit des enfants légitimes ou du
conjoint. L'enfant adultérin ne peut recevoir de libéralités en sus de la part
successorale. Il peut être écarté de toute participation aux opérations de
liquidation et de partage de la succession. Il ne peut s'opposer aux demandes
d'attribution préférentielle de biens effectuées par les enfants légitimes ou
le conjoint. Il ne peut demander la conversion de l'usufruit du conjoint en
rente viagère.
Ces restrictions ont entraîné - vous l'avez rappelé, madame la ministre - la
condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme.
La Cour a estimé que l'enfant adultérin ne saurait se voir reprocher des faits
qui ne lui sont pas imputables. Depuis, des juridictions de première instance
ont écarté l'application de plusieurs dispositions du code civil applicables
aux enfants adultérins, les jugeant contraires à la convention européenne des
droits de l'homme. Il est donc temps pour nous de légiférer.
Face à ces questions, que nous propose l'Assemblée nationale ?
Elle prévoit, d'abord, l'accroissement des droits du conjoint survivant. Elle
élève la place du conjoint dans l'ordre des successibles. Elle augmente la
quotité des droits en propriété que le conjoint peut recueillir. Elle lui
reconnaît un droit viager d'habitation et d'usage sur le logement qui lui
servait de résidence principale. Enfin, autre dimension, elle transforme le
conjoint survivant en héritier réservataire uniquement en l'absence de
descendants et d'ascendants et lui garantit un droit temporaire au logement
après le décès.
Par sa proposition, l'Assemblée nationale élève l'enfant adultérin dans
l'ordre des successibles. Elle place le conjoint survivant au deuxième rang en
concours avec les père et mère du défunt. Au détriment des père et mère,
l'Assemblée nationale accorde la moitié de la succession en pleine propriété au
conjoint survivant.
Mais l'Assemblée nationale va encore plus loin en lui accordant les trois
quarts de la succession si l'un des deux parents est prédécédé. La totalité de
la succession va au conjoint survivant en l'absence des père et mère, privant
de toute part de la succession les grands-parents, les soeurs et les frères.
Madame la ministre, vous parliez tout à l'heure de famille éloignée. En ce qui
me concerne, je ne pense pas que les frères, les soeurs et les grands-parents
constituent la famille éloignée.
Comme pour se faire pardonner, l'Assemblée nationale accorde d'ailleurs aux
grands-parents le droit de se faire reconnaître une créance d'aliment contre la
succession recueillie par le conjoint. Ainsi, en cas de besoin, les
grands-parents devront obtenir du conjoint survivant un secours, alors
qu'aujourd'hui ils devancent logiquement le conjoint dans l'ordre des
successibles.
La quotité des droits en propriété serait donc considérablement augmentée dans
ces cas d'absence de descendants. Mais elle le serait aussi en présence de
descendants puisque le conjoint survivant recueillerait un quart en propriété -
c'est l'article 2 - contre un quart en usufruit aujourd'hui.
De plus, la proposition de l'Assemblée nationale accorde au conjoint survivant
la faculté de demander un droit d'habitation viager sur le logement dépendant
de la succession dans lequel il aurait eu sa résidence principale, ainsi qu'un
droit d'usage sur le mobilier le garnissant.
En cas de local loué à bail, le conjoint pourrait exercer un droit d'usage sur
le mobilier et bénéficierait d'un droit renforcé au transfert du bail à son
nom.
La valeur de ces droits s'imputerait sur celle des droits successoraux
recueillis par le conjoint sans récompense, dans l'hypothèse où elle serait
supérieure aux droits recueillis.
Le conjoint ne serait autorisé à louer le local sur lequel il exerce son droit
que dans le seul cas où il viendrait, pour raison de santé, à être hébergé dans
un établissement spécialisé.
Par accord entre le conjoint et les héritiers, le droit d'usage et
d'habitation pourrait être converti en une rente viagère ou en un capital. Mais
l'Assemblée nationale est allée beaucoup plus loin en instituant une réserve en
l'absence de descendants et d'ascendants sur le quart des biens, notamment en
présence de collatéraux privilégiés.
En présence de descendants ou d'ascendants, le conjoint ne serait pas
réservataire et pourrait donc être privé d'usage et d'habitation sur le
logement par volonté du prédécédé.
En revanche, l'Assemblée nationale prévoit que le conjoint survivant pourrait
obtenir la jouissance gratuite pendant un an du local et de son mobilier.
Ce droit est considéré comme un effet du mariage et non comme un droit
successoral. Etant d'ordre public, il ne pourrait être remis en cause par le
défunt.
De plus, il est proposé un véritable devoir de secours au bénéfice du conjoint
contre la succession.
Enfin, l'Assemblée nationale a prévu une information sur le droit de la
famille, notamment sur les droits du conjoint survivant.
En ce qui concerne l'enfant adultérin, l'Assemblée nationale supprime, à
l'article 9, toute référence aux enfants adultérins dans le code civil. Il n'y
a donc pas de difficulté.
J'en viens aux propositions de la commission des lois.
Elles peuvent se résumer en quatre souhaits : premièrement, construire un
équilibre entre le conjoint survivant et la famille par le sang ; deuxièmement,
préserver la liberté testamentaire tout en accordant des garanties minimales au
conjoint survivant ; troisièmement, établir l'égalité successorale entre tous
les enfants ; enfin, quatrièmement, inclure ces modifications dans une réforme
d'ensemble du droit des successions.
Construire un équilibre entre le conjoint et la famille par le sang a été
notre premier souci.
La commission des lois s'est montrée très soucieuse de ne pas passer d'une
situation dans laquelle le conjoint était exclu par la famille de sang à une
situation dans laquelle le conjoint exclurait à son tour la famille par le
sang.
Pour y parvenir, nous proposons de faire porter les droits du conjoint sur les
biens existants, l'objectif étant de permettre au conjoint survivant de
maintenir ses conditions d'existence.
En présence de descendants, la commission a souhaité, sur amendement du groupe
socialiste, aller moins loin que ne le souhaitait le rapporteur. En effet, je
proposais que le conjoint reçoive, en plus du quart en propriété prévu par
l'Assemblée nationale, l'usufruit sur la part revenant aux enfants issus du
mariage.
La solution retenue confirme le quart des biens existants en propriété avec,
dans le cas où le conjoint ne serait en présence que d'enfants communs, le
droit pour ce dernier d'opter soit pour le quart en propriété, soit pour
l'usufruit sur l'ensemble.
Pour permettre l'adoption de cette proposition du groupe socialiste, la
commission vous proposera quelques articles complémentaires organisant ce droit
d'option du conjoint.
Ces dispositions devraient permettre de limiter le risque de contentieux avec
les enfants d'un autre lit, tout en permettant un choix s'il n'y a que des
enfants issus du mariage.
De même, pour limiter les aspects anti-économiques de l'usufruit, nous
proposerons de consacrer une section du code civil à la conversion de
l'usufruit du conjoint.
Ces dispositions unifieraient et compléteraient les règles applicables à tout
usufruit du conjoint sur les biens du prédécédé, qu'il résulte de la loi, d'un
testament, d'une donation de biens à venir ou d'une clause du régime
matrimonial.
Vouloir préserver un équilibre entre conjoint et famille par le sang, c'est
non seulement améliorer la situation du conjoint survivant, mais aussi veiller
à ce que, emporté par un mouvement un peu rapide, on ne porte pas atteinte au
droit de la famille par le sang.
C'est pourquoi la commission des lois propose qu'en l'absence de descendants
le conjoint reçoive la moitié des biens en propriété, contre aujourd'hui la
moitié en usufruit, mais aussi que la famille par le sang reçoive l'autre
moitié.
Cette moitié attribuée à la famille irait aux père et mère, en leur absence
aux frères et soeurs et, en l'absence des précités, aux ascendants
ordinaires.
En l'absence d'une branche d'ascendants ordinaires, le conjoint verrait sa
part passer de la moitié aux trois quarts.
En l'absence des héritiers des trois premiers ordres, le conjoint survivant
recevrait l'ensemble des biens, comme aujourd'hui.
Ces mesures raisonnables confirment notre refus de voir encourager le déclin
de la famille par le sang, utile quand personne n'est là pour faire face aux
problèmes.
Le conjoint survivant, lui, dans tous les cas de figure se trouverait beaucoup
mieux doté qu'à l'heure actuelle.
Enfin - cela se produira dans les cas rarissimes - constatons que rendre des
droits successoraux aux ascendants ordinaires du défunt est plus correct que de
les priver de l'héritage de leurs petits-fils ou petites-filles et de les
contraindre à cette humiliante créance alimentaire contre le conjoint
survivant.
Notre deuxième proposition est de préserver la liberté testamentaire du défunt
tout en prévoyant un minimal garanti au conjoint.
Parce qu'il est difficile d'admettre que le conjoint survivant bénéficie de
moins de droits que ne peut en avoir, dans certains cas, le conjoint divorcé,
le conjoint doit se voir reconnaître un droit minimal intangible au logement,
assorti d'un droit à pension s'il se retrouve dans le besoin même s'il est
nécessaire de confirmer que le conjoint survivant n'est pas un héritier
réservataire.
C'est pourquoi la commission des lois propose de supprimer la réserve créée
par l'Assemblée nationale en l'absence de descendants et d'ascendants, réserve
qui n'avait pour objet que de priver d'une part les frères et soeurs.
Autre point important : l'Assemblée nationale a prévu que le droit au logement
n'était pas intangible, le conjoint pouvant en être privé par testament. Cela
n'est pas acceptable. Le conjoint n'étant pas réservataire, la marge
testamentaire s'exercera naturellement à son détriment.
Pour assurer une meilleure protection du conjoint survivant, la commission des
lois propose de lui accorder un droit viager intangible au logement. En
revanche, nous avons estimé que ce droit ne doit pas obligatoirement s'exercer
sur la résidence principale.
Dans tous les cas, si le droit d'habitation excède les droits successoraux du
conjoint survivant et si l'importance du local dépasse de manière manifestement
excessive ses besoins effectifs, nous proposons que le conjoint récompense la
succession.
Cette disposition n'est pas de nature à gêner le conjoint survivant. En effet,
la valeur du droit d'habitation est faible et dépassera très rarement et de peu
ses droits successoraux.
Je rappelle que la proposition de loi confère au droit d'habitation une valeur
égale à 60 % de celle de l'usufruit, soit 42 % de la valeur du bien pour un
conjoint survivant de vingt ans ; mais ce montant tombe à 6 % de la valeur du
bien pour un conjoint de plus de soixante-dix ans.
Autre nouveauté, l'Assemblée nationale n'accorde la possibilité au conjoint
survivant de donner à bail le logement que s'il vient à être hébergé en
établissement spécialisé. Nous proposons d'étendre cette possibilité à
l'ensemble des situations dans lesquelles l'état du conjoint nécessite un
changement de domicile : la dépendance, la mobilité réduite, certaines
maladies, des logements à l'étage, des logements isolés... Dans certains cas,
la situation du conjoint survivant exige qu'il puisse éventuellement changer de
domicile.
Enfin, nous souhaitons reconnaître au seul époux dans le besoin un droit de
créance contre la succession, et ne pas suivre l'Assemblée, dont le dispositif
revient à créer une nouvelle prestation compensatoire « lorsque les conditions
de vie se trouvent gravement amoindries du fait de la mort de son époux ».
Limitons-nous à la pension due à l'époux dans le besoin, en aménageant le
délai accordé au conjoint pour lui faciliter la demande d'aliments. Par pitié !
ne créons pas une deuxième prestation compensatoire.
La troisième proposition de la commission des lois est d'établir l'égalité
successorale des enfants, qu'ils soient légitimes, naturels ou adultérins.
Il convient d'approuver la suppression totale prévue par l'Assemblée de la
notion d'enfant adultérin dans le code civil.
Dans la même logique, il convient de rétablir l'égalité successorale des
enfants naturels par rapport aux enfants légitimes en ce qui concerne
particulièrement l'action en retranchement prévue à l'article 1527 du code
civil.
Ces mesures devraient être applicables à l'ensemble des successions ouvertes
avant l'entrée en vigueur de la loi, sous réserve qu'elles n'aient pas fait
l'objet d'accord amiable ou de décision de justice passée en force de chose
jugée.
Les autres différences de traitement entre les enfants légitimes et naturels
perdurant depuis la loi de 1972 seront réglées, bien entendu, dans un autre
cadre.
Enfin, la commission des lois propose d'inclure ces modifications dans une
réforme d'ensemble du droit des successions. C'est notre quatrième et dernière
proposition.
Les travaux du groupe de travail animé par le doyen Carbonnier et le
professeur Catala ont donné naissance à trois projets de loi déposés à
l'Assemblée nationale dans un intervalle de sept ans par des gouvernements
appartenant à des majorités politiques différentes : 1988, Pierre Arpaillange,
au nom de Michel Rocard ; 1991, Michel Sapin, au nom d'Edith Cresson ; 1995
Pierre Méhaignerie, au nom d'Edouard Balladur, ce troisième projet étant, à des
détails près, la fusion des deux premiers.
Or la présente proposition de loi traite des thèmes abordés dans le projet de
loi Sapin, mais occulte totalement les autres dispositions contenues dans le
projet de réforme globale.
Sans créer de véritables bouleversements, ces dispositions permettraient de
remédier à de réelles difficultés qui apparaissent au cours des règlements
successoraux, difficultés bien compréhensibles, puisque aucune refonte des
successions n'a été entreprise depuis 1804.
Lors des auditions publiques, différents intervenants, dont le professeur
Catala et le représentant du Conseil supérieur du notariat, ont plaidé pour
l'inclusion du projet de réforme globale des successions dans la présente
proposition de loi. Ils ont rappelé que, si cette refonte n'avait pas été
engagée, c'est précisément parce que tous les professionnels n'étaient pas
d'accord sur la douzaine d'articles dont traite aujourd'hui la proposition de
loi qui nous est soumise. Mais, puisque tel est maintenant le cas et qu'il y a
un accord général sur tout le reste, pourquoi ne pas profiter de l'examen de
ces articles ? Ne pas le faire serait incohérent.
Cette réforme consensuelle, à caractère technique, a été deux fois présentée
au seul Conseil d'Etat avant d'être adoptée par le conseil des ministres sous
des gouvernements de gauche et de droite.
Votre commission des lois vous propose, mes chers collègues, de ne pas laisser
échapper l'occasion qui se présente. Rien ne justifie de retarder la mise en
oeuvre de cette réforme, soutenue par tous, politiques, notaires, juristes et
associations familiales.
Madame la ministre, soyez certaine, la grande réforme de la famille ne viendra
jamais, car on nous la dissèque par petits bouts ! Une telle occasion ne se
représentera pas de sitôt.
Dans cet hémicycle, tous les spécialistes connaissent le contenu de cette
réforme. Ne faisons pas semblant de découvrir les 200 articles qui sont
proposés ! Tout le monde est d'accord et aucun argument, autre que politicien,
ne justifierait d'en différer la discussion.
C'est pourquoi nous proposons d'adopter plusieurs articles additionnels après
l'article 9 et de donner une nouvelle rédaction aux articles 1er, 2, 3 et 4, de
manière à procéder à la réécriture totale du titre Ier du livre troisième du
code civil relatif aux successions.
Cette réécriture permettra de clarifier les règles d'ouverture, de
transmission, de liquidation et de partage des successions, et d'y apporter
d'utiles modifications de fond.
Il convient, premièrement, de clarifier l'ouverture et la transmission des
successions en s'appuyant sur un principe, à savoir que l'héritier continue la
personne défunte, et en rappelant le corollaire de ce principe, l'acquisition
immédiate de la succession, la saisine, mais cela sans oublier la règle selon
laquelle l'héritier donataire, le légataire universel et à titre universel sont
tenus indéfiniment au passif.
Il faut, deuxièmement, moderniser les qualités requises pour succéder en
abandonnant la théorie des comourants, en renforçant la personnalisation de
l'indignité.
Il s'agit, troisièmement, de légaliser et de simplifier en matière de preuve
de la qualité d'héritier.
Quatrièmement, nous proposons de réorganiser la présentation et de simplifier
les règles de la dévolution successorale, en supprimant la distinction existant
entre les collatéraux, les frères et soeurs dits consanguins, utérins,
germains, distinction qui n'a plus de sens aujourd'hui, et en limitant de façon
absolue au sixième degré la rentrée dans les successibles.
Cinquièmement, c'est la rénovation de la transmission et de la liquidation
successorale que nous proposons.
Pour cela, il faut raccourcir les délais de l'option héréditaire pour éviter
les blocages, permettre une action interrogatoire qui impose un choix dans un
délais de cinq mois et ramener le délai de prescription de 30 ans à 10 ans.
Il faut limiter aussi les risques de l'acceptation simple en mettant à l'abri
l'acceptant des dettes inconnues au moment de la succession et en limitant le
règlement de legs aux forces de la succession.
Il faut aussi réorganiser le régime de l'acceptation sous bénéfice
d'inventaire, en renforçant la protection des créanciers par une information et
une publicité, et en accordant plus de souplesse aux héritiers.
Enfin, il faut unifier le régime des successions vacantes.
Le service des domaines serait commis dans tous les cas par le président du
tribunal de grande instance. Il disposerait d'une grande autonomie, dans un
cadre strictement défini par la loi et sous contrôle de l'autorité
judiciaire.
Sixièmement, la refonte que nous proposons doit permettre aussi
l'administration pour une durée d'un an de la succession par un mandataire
qualifié.
Faute d'accord, l'un des héritiers, pour éviter le blocage, pourra demander la
nomination d'un mandataire pour un an, sans avoir d'effet sur l'option
héréditaire.
Septièmement, la commission des lois propose d'accélérer le partage et d'en
assouplir les règles, en promouvant le partage amiable et en limitant le
partage judiciaire en cas de contentieux véritable, en regroupant les règles
relatives aux demandes en justice qui précisent les modalités du partage, en
affirmant l'égalité en valeur des parts et des lots, en présumant non
rapportables les donations faites à des héritiers autres que les descendants,
l'idée étant surtout de maintenir une égalité de traitement entre les
descendants, en consacrant les règles jurisprudentielles relatives au règlement
du passif et au rapport des dettes, en sécurisant le partage, en limitant à
deux ans le délai imparti à l'héritier victime de trouble ou d'éviction pour
agir en garantie contre ses copartageants et en substituant à l'actuelle action
en rescision pour lésion une action nouvelle en complément de part.
Pour conclure, la commission des lois propose au Sénat d'adopter cette réforme
consensuelle et attendue par les professionnels. Techniquement étudiée de
longue date, elle est de nature, croyez-le, mes chers collègues, à régler de
nombreuses difficultés.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Nachbar.
M. Philippe Nachbar,
au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre
les hommes et les femmes.
Monsieur le président, madame la ministre, mes
chers collègues, longtemps attendue, incomplète, certes, mais bienvenue, telle
peut être sommairement qualifiée la réforme dont notre assemblée débat
aujourd'hui. La délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances
entre les hommes et les femmes du Sénat y attache un grand prix, et pour cause
: dans plus de trois cas sur quatre, le conjoint survivant est une femme.
La situation des conjoints survivants est loin d'être satisfaisante : notre
droit des successions a certes évolué depuis l'adoption du code Napoléon, mais
il leur demeure nettement défavorable et ignore les évolutions
socio-économiques qui ont affecté depuis deux siècles la famille, tant dans sa
structure que dans son patrimoine. Si l'on considère que les règles
successorales reflètent l'image que la société se fait de la famille, on ne
peut que constater, pour la déplorer, l'existence d'une grande ingratitude à
l'égard du conjoint.
Les droits du conjoint survivant dépendent en effet de la « configuration
familiale», mais, dans les cas les plus fréquents ceux où le défunt laisse des
ascendants ou des descendants -, il ne peut prétendre qu'au bénéfice de
l'usufruit ; encore peut-il en être privé car, ne faisant pas partie des
héritiers réservataires, il peut avoir à renoncer à sa vocation
successorale.
Certes - et le rapporteur de la commission des lois le faisait observer il y a
un instant - dans la majorité des cas, la situation réelle du conjoint
survivant est plus favorable grâce aux libéralités que les époux se sont
consentis, grâce au régime matrimonial qu'ils ont choisi ou grâce aux
dispositions testamentaires qu'ils ont adoptées.
Il n'en reste pas moins qu'environ 20 % des ménages, et bien souvent les plus
modestes ou les plus jeunes, n'ont pris aucune disposition particulière. Ce
sont eux qui sont intéressés au premier chef par le texte que nous
examinons.
C'est pourquoi la première recommandation que la délégation aux droits des
femmes a adoptée porte sur la nécessité d'améliorer d'une manière concrète et
la plus efficace possible l'information des couples en matière successorale.
Il nous paraît essentiel, en effet, que soit délivrée le plus en amont
possible l'information sur les conséquences du décès d'un des conjoints, que ce
soit à l'occasion, même si cette proposition peut paraître surprenante, des
formalités préliminaires au mariage ou que ce soit à l'occasion d'un achat
immobilier.
S'agissant du dispositif des deux propositions de loi, la délégation aux
droits des femmes s'est rangée à une évidence : il est extrêmement difficile de
trancher entre l'usufruit, d'une part, la pleine propriété, d'autre part, tant
la catégorie des conjoints survivants est diverse et hétérogène. En réalité, de
deux choses l'une : ou l'on se réfère au souhait majoritairement exprimé au
travers des libéralités entre époux, et l'usufruit universel paraît devoir être
la solution la mieux adaptée ; ou l'on privilégie une vision prospective des
structures familiales en raison notamment de l'allongement de la vie et de la
multiplication des remariages, et il conviendrait, à ce moment-là, de
privilégier le droit de pleine propriété.
Aucune solution n'étant en elle-même parfaite, notre délégation a très
modestement proposé de suivre l'avis des professionnels, qui semblent nettement
favorables à la pleine propriété, après avoir penché un temps, comme la
doctrine, pour l'usufruit universel.
La délégation est dans son rôle en mettant l'accent sur un autre élément
essentiel du débat, celui de la réserve. Faut-il faire du conjoint survivant un
héritier réservataire comme les ascendants ou les descendants ou doit-il garder
le statut qui est actuellement le sien ?
Il convient, en tout cas, de mettre un terme à une réelle hypocrisie : les
droits du conjoint survivant ne valent que s'ils sont garantis, et l'on ne peut
espérer les améliorer réellement si l'on continue d'admettre que le conjoint
puisse en être privé par une libéralité consentie à un tiers du vivant des
époux.
Dans la plupart des pays européens, le droit successoral a institué une
réserve. La commission de réforme du code civil elle-même s'était engagée
timidement dans cette voie, voilà une cinquantaine d'années. La FAVEC, la
fédération des associations de conjoints survivants, dont la représentativité
n'est pas contestée, souhaite également que l'on s'oriente dans cette voie.
Les textes qui nous sont soumis n'accordent pas de réserve au conjoint, sauf
pour ce qui concerne la proposition Vidalies, lorsqu'il n'y a ni ascendant ni
descendant. Encore faut-il noter qu'il ne s'agit, à ce moment-là, que d'une
réserve d'un quart de la succession.
Certes, le problème de la réserve est délicat.
Il est délicat parce qu'on peut faire abstraction des autres héritiers
ascendants ou descendants. Il est délicat parce que d'importantes difficultés
techniques se posent, à commencer par celle qui est à l'origine de la réserve :
faut-il la prendre sur la quotité disponible ou sur les droits des autres
héritiers réservataires ?
Si l'on sort un instant du droit, on se rend compte que c'est tout le problème
de la place du mariage par rapport au lignage qui est ainsi posé. C'est
incontestablement une question de fond, que la délégation a examinée de manière
approfondie et que l'on doit aujourd'hui poser.
En tout cas, si les « réserves sur la réserve » au bénéfice du conjoint
survivant sont très fortes, ce qui permet à l'exception française de perdurer,
la délégation est dans son rôle en recommandant au législateur d'envisager
l'attribution, à terme, d'une part réservataire au conjoint survivant : à
terme, c'est-à-dire dans le cadre de la réforme globale des droits de
succession, dont les présentes dispositions ne dispenseront pas le
Gouvernement.
Il conviendrait, par ailleurs, comme l'a fait remarquer M. le rapporteur voilà
un instant, de faire disparaître du code civil la théorie, ô combien désuète,
des « comourants », dont disposent les articles 270 et suivants.
Tant la FAVEC, que nous avons auditionnée, que la délégation voient dans le
droit d'habitation et au maintien du logement une disposition essentielle.
Le souhait de finir ses jours dans son cadre de vie habituel paraît d'autant
plus légitime que plus de la moitié des veuves ont dépassé 75 ans. La
délégation demande, en conséquence, que ces droits d'habitation et d'usage
soient intangibles, que le défunt ne puisse s'y opposer de son vivant,
possibilité qui existe - nous l'avons regretté - même si elle est encadrée,
dans la proposition de loi Vidalies.
Améliorer l'information en matière successorale, garantir le droit au logement
du conjoint survivant, envisager, mettre à l'étude l'institution d'un droit
réservataire partiel, telles sont donc les recommandations que la délégation
aux droits des femmes adresse au Sénat. Elles traduisent un souci : tenir
compte de l'évolution socio-économique qui voit, d'une part, la structure
familiale se recentrer autour du couple et des enfants et, d'autre part, le
patrimoine familial reposer de plus en plus sur les revenus professionnels des
deux époux. Cette double évolution fait apparaître de plus en plus injuste le
statut successoral d'« étranger » à la famille qui a été jusqu'à présent celui
du conjoint survivant.
(Applaudissements sur les travées du l'RPR et de
l'Union centriste.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition
de loi que nous examinons aujourd'hui tend à remédier au décalage qui existe
actuellement entre la place qu'accorde l'opinion publique au conjoint survivant
et celle qu'il occupe effectivement dans le droit successoral français. Elle
tend également à supprimer les inégalités successorales entre les enfants
légitimes et les enfants adultérins.
S'agissant du conjoint survivant, le sort que lui réserve le code civil en
matière de succession suscite, depuis de nombreuses années, des interrogations
et des réflexions, au niveau tant des praticiens que des milieux
extraprofessionnels.
En effet, le resserrement de la famille autour du couple et des enfants, et
l'importance croissante des biens acquis durant le mariage au détriment des
biens propres, avec au premier chef le logement familial, conduisent à
reconsidérer la place limitée que les textes assignent au conjoint dans la
succession du défunt.
En 1804, pour éviter que les biens ne sortent de la famille, le conjoint
survivant n'avait vocation successorale que dans des cas exceptionnels, et
toujours en pleine propriété. Aujourd'hui, à l'inverse, il a toujours une
vocation, généralement en usufruit, exceptionnellement en pleine propriété. Si
ses droits ont beaucoup augmenté et si leur nature s'est modifiée, une
constatation demeure : le conjoint survivant est le « parent pauvre » de la
succession. Sauf si le défunt a pris des dispositions de son vivant pour
organiser la transmission de ses biens, celle-ci se fera selon les règles de
dévolution légales, qui ne permettent au conjoint survivant que de recueillir
une part réduite de la succession.
Si le défunt a des descendants, hypothèse la plus fréquente, le conjoint ne
dispose que d'un quart des biens en usufruit. En présence d'ascendants ou de
collatéraux privilégiés, il est également privé d'un droit de propriété et
obtient un droit d'usufruit de la moitié de la succession. Il convient de
rappeler que la conversion de son usufruit en rente viagère peut lui être
imposée. Le conjoint survivant n'obtient des droits en pleine propriété que
dans des situations résiduelles : lorsque qu'il est en présence d'ascendants ou
collatéraux privilégiés dans une seule ligne ou simplement en concours avec des
collatéraux simples.
En l'état actuel de notre législation, le conjoint survivant n'a même pas
l'assurance de pouvoir continuer à disposer, ne serait-ce qu'en usufruit, du
cadre de vie qui était le sien. De surcroît, n'étant pas réservataire, il peut
voir ses droits, déjà limités, disparaître si le défunt s'est montré généreux
dans ses libéralités à autrui.
Les préoccupations qui ont inspiré les règles successorales actuelles se
révèlent moins importantes en raison de la part prépondérante prise dans les
patrimoines par les biens acquis durant le mariage. De même, les règles de
dévolution successorales, en donnant priorité à la famille par le sang ne
reflètent manifestement pas la tendance au resserrement de la celllule
familiale autour de l'enfant et du couple.
Le souci de protéger le conjoint survivant est devenu primordial : il s'agit
de veiller à ce qu'il puisse disposer librement d'un patrimoine lui assurant
une autonomie dans la gestion de sa vie de veuf et lui permettant d'assumer le
coût, le cas échéant, de la dépendance physique. Dans ce contexte,
l'allongement de la vie humaine, l'amenuisement des solidarités familiales, la
multiplication des familles recomposées militent pour une amélioration des
droits consentis au conjoint survivant.
Presque tous les pays occidentaux ont, pendant le dernier quart du xxe siècle,
accru les droits successoraux du conjoint survivant, tantôt en lui donnant un
usufruit universel, tantôt, dans les pays d'influence germanique, en lui
donnant une part en pleine propriété, généralement une part d'enfant le moins
prenant. Souvent, il lui est accordé une réserve, tantôt en pleine propriété,
tantôt en usufruit.
La France a tenté, à plusieurs reprises, de modifier les règles successorales
dans leur ensemble, et celles qui sont relatives au conjoint survivant en
particulier. En effet, faisant suite aux travaux du groupe de travail animé par
le doyen Carbonnier et le professeur Catala, un premier projet de loi a été
déposé par Michel Sapin en 1991. Il a été repris dans un projet plus général
par Pierre Méhaignerie en 1995. Ces deux projets de loi n'ont malheureusement
pas été examinés par le Parlement.
Mme Irène Théry, puis Mme Dekeuwer-Défossez, dans leurs rapports respectifs,
remis à Elisabeth Guigou et à Martine Aubry, insistaient sur la nécessité de
réformer cette branche du droit.
La proposition de loi tient compte du souci des personnes de disposer, au
décès de leur conjoint, d'une somme d'argent et d'un logement.
Tout d'abord, elle octroie au conjoint survivant quels que soient les parents
laissés par le défunt, des droits en propriété qui permettent aux autres
héritiers de conserver leur autonomie. Le montant des droits recueillis par le
conjoint variera selon les membres de la famille venant à la succession : ils
seront de l'ordre d'un quart en présence d'enfants, d'un demi si le défunt
laisse ses père et mère, et de trois quarts s'il ne laisse que l'un d'entre
eux.
Par ailleurs, la proposition de loi donne au conjoint survivant, s'il le
souhaite, et sauf volonté contraire exprimée par le défunt dans le testament
par acte public, un droit viager au logement, assorti d'un droit d'usage du
mobilier le garnissant, qui s'impute sur les droits de propriété qu'il aura
recueillis dans la succession, mais qui, s'il les excède, ne contraint pas le
conjoint bénéficiaire à récompenser la succession.
Le conjoint survivant disposera d'un an à compter du décès du conjoint pour
manifester sa volonté d'exercer ses droits d'usage et d'habitation, qui
pourront ultérieurement, d'un commun accord entre le conjoint et les autres
hériters, être convertis en une rente viagère ou en un capital.
Dans l'hypothèse où le logement serait loué, le conjoint survivant se verra
attribuer un droit d'usage sur le mobilier le garnissant, les conditions dans
lesquelles le conjoint peut se voir transféré le bail étant facilitées.
Par ailleurs, le conjoint survivant bénéficie, nonobstant toute disposition
contraire, de la jouissance gratuite, pendant une année, du logement occupé à
titre d'habitation principale à l'époque du décès, les loyers étant remboursés
par la succession si le logement en question fait l'objet d'un bail à loyer.
Enfin, dans le souci de protéger le conjoint survivant, la rédaction de
l'article 207-1 du code civil est modifiée afin de renforcer le devoir de
secours qui peut être mis à la charge de la succession lorsque le conjoint
survivant voit ses conditions de vie gravement amoindries par le décès de son
conjoint.
Si le groupe socialiste se félicite de cette proposition de loi, il propose
toutefois quelques modifications. Il fait une différence entre la présence
d'enfants issus ou non du mariage. Lorsque les enfants sont issus du mariage du
défunt et du conjoint survivant, s'inspirant des dispositions du projet de loi
de Michel Sapin de 1991, repris par le projet de loi de Pierre Méhaignerie de
1995, il ouvre au conjoint survivant une option entre les droits en pleine
propriété et les droits en usufruit. En revanche, en présence d'enfants d'un
lit précédent, le conjoint survivant recueille la propriété du quart des biens
existants.
Il prévoit également de faire porter les droits du conjoint survivant sur les
biens du défunt existants au décès. En effet, il n'est pas utile de remettre en
question à son profit des donations qui ont pu être faites, notamment aux
enfants, y compris à ceux d'un premier lit.
Par ailleurs, il propose, comme la commission des lois, que tout usufruit
appartenant au conjoint sur les biens du prédécédé, qu'il résulte de la loi,
d'un testament ou d'une donation de biens à venir, ouvre la faculté de demander
la conversion en rente viagère. Ce droit de conversion appartient à chacun des
cohériters nu-propriétaires ainsi qu'au conjoint survivant. En cas de
désaccord, il reviendra au juge d'accepter ou non la conversion et d'en
déterminer le montant. Toutefois, la conversion de l'usufruit portant sur le
logement du conjoint survivant ne pourra être ordonnée qu'avec l'accord de ce
dernier.
Quant à la commission des lois, elle préconise d'accorder le quart de la
propriété des biens existants complété par l'usufruit sur la seule part des
biens revenant aux enfants communs. Nous préférons à cette solution celle qui a
été retenue par l'Assemblée nationale, assortie de la possibilité de laisser le
choix, seulement en présence d'enfants communs au défunt et au conjoint
survivant, entre la propriété du quart des biens existants et l'usufruit de la
totalité, comme c'est le cas en matière de donation au dernier vivant.
Mais surtout, la commission propose d'inclure la réforme relative aux droits
du conjoint survivant et des enfants adultérins dans une refonte générale du
droit des successions. Nous ne pouvons réellement pas nous associer à cette
proposition. Il est inconcevable de vouloir procéder, au détour de l'examen
d'une proposition de loi dont l'objet était limité, à une réforme générale du
droit des successions, touchant ainsi à pas moins de deux cent cinquante-deux
articles du code civil, sans une étude préalable ni un examen parlemenaire
complet.
S'agissant des dispositions tendant à supprimer toutes limitations
actuellement apportées par le code civil aux droits successoraux des enfants
adultérins, je m'en félicite.
En effet, alors que les enfants légitimes, légitimés, adoptifs ou naturels
simples ont tous les mêmes droit sur la succession de leur père et mère, les
enfants adultérins, tout en étant également héritiers de leurs parents, voient
leur part réduite par rapport à celle des autres enfants du défunt. L'enfant
adultérin ne reçoit que la moitié de la part qui lui serait revenue si tous les
enfants, y compris lui-même, étaient légitimes, la demi-part non attribuée
revenant de droit aux enfants légitimes.
De même, l'enfant adultérin n'a pas le même statut successoral que les autres
enfants vis-à-vis du conjoint survivant.
Le 1er février 2000, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la
France pour discrimination à l'égard des enfants adultérins. Afin de tirer les
conséquences de cette décision, la proposition de loi supprime les différentes
dispositions du code civil établissant une discrimination successorale au
détriment des enfants adultérins.
Certes, j'aurais préféré que la réforme des droits du conjoint survivant et
celle des droits des enfants adultérins soient incluses dans la grande réforme
du droit de la famille ; les contraintes de l'établissement du calendrier
législatif ne l'ont pas permis. Or il est urgent, comme c'était le cas pour la
prestation compensatoire, de légiférer le plus vite possible sur ces deux
sujets. J'espère que la majorité sénatoriale fera preuve de sagesse en retirant
les amendements tendant à une refonte complète du droit des successions, afin
de ne pas compromettre cette réforme tant attendue.
(Applaudissements sur
les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il est
d'usage de dire que le droit des successions est demeuré intangible depuis 1804
; on le dit pour le code civil comme pour d'autres codes.
En fait, on s'aperçoit que, si l'évolution de la structure de la famille
nécessite une révision complète de ce volet important de notre droit civil,
notamment en ce qui concerne les droits du conjoint survivant, les diverses
modifications qui sont intervenues, à savoir la loi de 1957, l'ordonnance de
1958, mais aussi la loi de 1972 sur la filiation et, enfin, la loi du 31
décembre 1976, qui concerne le partage et les rapports, ont néanmoins permis de
faire progresser chaque fois un peu plus les droits du conjoint survivant. Le
droit n'est donc pas resté intangible depuis 1804.
Je ne rappellerai pas le projet Sapin ou le projet Méhaignerie, qui avait été
déposé à l'Assemblée nationale. Malgré leur caractère largement consensuel,
l'accord tant de la doctrine que des praticiens du droit - sauf sur un point,
j'y reviendrai -, plusieurs projets ont vu le jour sans être examinés par le
Parlement.
Faut-il, dès lors, accepter cet état de fait ou tenter de réformer l'ensemble
de notre droit des successions en profitant de notre droit très limité
d'initiative ? Une séance par mois, ce n'est en effet pas beaucoup !
C'est l'une des questions posées par la commission des lois, qui nous propose
rien de moins que de réformer une grande partie du titre Ier du livre III du
code civil, qui comporte - vaste ambition - plus de deux cents articles.
Il y a lieu de rappeler que la réforme annoncée de l'ensemble du droit de la
famille, dont les successions constituent une part non négligeable, est
toujours reportée, les commissions succédant aux commissions, et que seule
l'initiative parlementaire a fait progresser le sujet sur un certain nombre de
points ; je pense notamment à la prestation compensatoire en cas de divorce,
qu'il était nécessaire de réformer.
C'est la voie qu'a choisie l'Assemblée nationale, dont nous examinons la
proposition de loi sur les droits du conjoint survivant et des enfants
naturels, qu'elle a adoptée à l'unanimité, ce qui est toujours très dangereux,
de mon point de vue, s'agissant de problèmes dits non politiques mais
techniques.
Selon les termes particulièrement pudiques des articles 759 et 760 du code
civil, les enfants naturels sont ceux « dont le père ou la mère était, au temps
de leur conception, engagé dans les liens du mariage avec une autre personne ».
En clair, il s'agit des enfants adultérins. Examinons ce premier point.
Si la jurisprudence de la Cour de cassation avait conclu, jusqu'en 1998, que
la « discrimination » dont étaient l'objet les enfants adultérins n'était
contraire ni à la convention européenne des droits de l'homme et des libertés
fondamentales, la vocation successorale étant étrangère au respect de la vie
privée et familiale reconnu par l'article 8 de la convention, ni à la
convention de New York sur les droits de l'enfant, nous devons désormais tenir
compte de l'arrêt du 1er février 2000 de la Cour européenne des droits de
l'homme, qui a condamné la France pour discrimination au motif de différence de
traitement en matière de succession entre les enfants naturels et légitimes et
les enfants adultérins.
Je crois que nous pouvons tous adhérer au principe selon lequel « l'enfant
adultérin ne saurait se voir reprocher des faits qui ne lui sont pas imputables
». Il nous semble, de surcroît, que, comme pour les conjoints survivants, le
régime des libéralités peut largement faire pièce aux dispositions des articles
759 et 760 du code civil et que le système prévu est la conséquence logique de
la réforme qui avait été adoptée sur la reconnaissance des enfants
adultérins.
En ce qui concerne les conjoints survivants, les avis sont convergents et
unanimes pour accroître leurs droits successoraux. Rappelons tout de même que
cela ne concerne que 20 % des successions, car le problème doit être examiné
dans le cadre global des régimes matrimoniaux - ils ont fait l'objet d'une
réforme très importante en 1955 par la voie parlementaire car, à l'époque, on
avait encore le temps d'élaborer des lois sur des sujets importants ! - et des
donations et testaments, dont beaucoup souhaitent par ailleurs une
rénovation.
Il faut rappeler aussi que le législateur a souvent favorisé, notamment par
des mesures fiscales, à la fois la transmission des patrimoines par
anticipation et la protection du conjoint survivant.
Des situations souvent inacceptables demeurent néanmoins. Il s'agit souvent,
cela a été dit, de successions ouvertes à la suite d'accident ou de décès
prématuré d'un des conjoints pour une raison de maladie, ou encore de
l'imprévoyance ou de la méconnaissance du droit d'un nombre encore trop
important de nos concitoyens, la succession étant souvent constituée du
logement principal de la famille et d'une épargne modeste. Dans tous les autres
cas, fort heureusement, les successions sont réglées à l'avance.
Qu'il me soit permis de saluer les efforts remarquables accomplis par les
professionnels que sont les notaires.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest.
D'aucuns disent qu'il faudrait fusionner toutes les professions. Or les
notaires, en qualité d'officier ministériel, demeurent indispensables dans
notre société pour régler ces problèmes de droit de la famille.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest.
Votre approbation me comble !
M. Raymond Courrière.
C'est une approbation de professionnel !
M. Jean-Jacques Hyest.
Je n'osais pas le dire !
M. Robert Bret.
C'est du corporatisme !
M. Jean-Jacques Hyest.
Je ne suis pas corporatiste, car je n'appartiens pas à cette profession ! Mais
vous voyez que je sais reconnaître le bienfait de chacune des professions,
quelle qu'elle soit !
L'information peut être améliorée, et l'Assemblée nationale a fait une
proposition dans ce sens. Mais il me paraît pour le moins curieux que cette
information en matière de succession soit apportée au moment du mariage. On
pourrait peut-être aussi communiquer aux époux les règles concernant le divorce
!
(Rires.)
Il y a là quelque chose qui me gêne un peu.
Améliorer les droits du conjoint survivant ne doit toutefois pas conduire à la
création de nouvelles discriminations. Les mesures adoptées par l'Assemblée
nationale sur ce point, même si leur simplicité peut séduire, ne paraissent pas
constituer un point d'équilibre.
Tout le monde est d'accord pour considérer que la création d'une forme de
réserve générale et héréditaire au profit du conjoint survivant face à des
héritiers autres que les descendants et ascendants ne doit pas être acceptée.
Mais au nom de quel principe passerait-on d'une situation où le conjoint était
exclu par la famille par le sang à une situation où il exclurait lui-même cette
famille, ce qui pourrait avoir pour effet paradoxal de transmettre tout le
patrimoine de la famille du conjoint décédé à la famille de l'époux survivant ?
Or, avec les propositions de l'Assemblée nationale on pourrait aboutir à cette
situation.
C'est pourquoi la commission des lois, dont les débats ont été très
approfondis sur cette question, modifie substantiellement les règles fixées par
l'Assemblée nationale, et ses propositions nous semblent équilibrées.
En ce qui concerne la succession en présence d'enfants issus du mariage, la
solution d'équilibre permettant d'ouvrir une option entre propriété et usufruit
nous paraît préférable, la règle du quart en propriété s'appliquant en cas
d'enfants non issus du mariage.
Notons au passage que, comme l'avaient souligné le professeur Catala et le
Conseil supérieur du notariat au cours des auditions préalables, il y a bien
lieu de viser les « biens existants » et non la « succession ».
Madame le garde des sceaux, je sais que vous n'êtes pas d'accord sur ce point.
Cependant, l'objet de la loi étant de garantir les conditions d'existence de
l'époux survivant, pourquoi envisager le rapport à succession des biens donnés,
quelquefois depuis très longtemps, aux enfants pour les établir ? On va créer
des situations extrêmement complexes. Dès lors, selon moi, mieux vaut tenir
compte des biens existants plutôt que de la succession.
En l'absence de descendants, la distinction faite selon qu'existent des
ascendants privilégiés dans les deux lignes ou dans une seule ligne, avec le
droit maintenu des collatéraux privilégiés à la succession, aboutit à des
solutions qui nous semblent pertinentes.
Cela met en jeu la conception même que l'on a de la famille. La famille ne se
compose pas seulement des parents et des enfants : les frères et soeurs des
parents en font aussi partie !
M. Nicolas About,
rapporteur.
Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest.
Au nom de quoi privilégierait-on certains par rapport aux autres ? On peut
améliorer les droits du conjoint survivant sans pour autant supprimer tout
droit à succession pour les collatéraux.
Il en est de même dans les diverses hypothèses où l'absence de descendants ou
d'ascendants privilégiés dans les deux lignes ne prive pas les collatéraux d'un
droit à succession. Mais peut-être est-ce là une vision provinciale !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Moi aussi, je suis une « provinciale » !
M. Jean-Jacques Hyest.
On nous dit que la famille est maintenant réduite à la famille nucléaire, mais
je crois que nous avons précisément aujourd'hui l'occasion de manifester qu'une
solidarité existe entre l'ensemble des membres de la famille et que cela doit
se traduire aussi dans les successions. Car c'est, à mon avis, l'envers et
l'endroit d'une même situation.
M. Nicolas About,
rapporteur.
En l'absence d'enfant !
M. Jean-Jacques Hyest.
Bien sûr !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
On peut toujours tester entre frères et soeurs !
M. Jean-Jacques Hyest.
Oui mais, mon cher collègue, je vous l'ai dit tout à l'heure, nous légiférons
pour les 20 % de cas qui ne sont couverts ni par les régimes matrimoniaux ni
par les libéralités.
J'ajoute que, si l'on examinait bien les libéralités des coutumes antérieures
au code civil - car on sait bien que, en fin de compte, ce qui a été codifié,
c'est, en gros, la coutume du Parisis ou de l'Ile-de-France - on constaterait
qu'il existait des dispositions extrêmement diverses selon les provinces.
Aujourd'hui, bien que deux siècles se soient écoulés, on continue, dans un
certain nombre de régions, à faire des libéralités en fonction de coutumes
différentes de la coutume de Paris. Notre excellent collègue Patrice Gélard
évoquait l'autre jour, à ce sujet, la Haute-Normandie. Mais on pourrait évoquer
tout autant des coutumes du Midi ou de la Bretagne.
Bien entendu, pour éviter que le conjoint survivant ne soit évincé du logement
familial, et que les dispositions prévues ne contredisent ce droit au maintien
dans les lieux, insuffisamment protégé par l'Assemblée nationale, il convient
de renforcer le dispositif, avec des aménagements pour éviter d'autres abus,
comme nous le propose la commission des lois.
On comprend mieux pourquoi des avis divergents ont pu être émis sur les droits
du conjoint survivant. Si tous sont d'accord pour les renforcer, encore faut-il
qu'ils soient équilibrés, qu'ils tiennent compte de l'évolution économique et
sociale de la situation respective des époux. C'est pourquoi les conclusions de
la commission des lois recueillent l'approbation de notre groupe.
En revanche, sur les autres aspects de la proposition, qui reprennent, certes,
en grande partie le projet de 1995, mais qui consistent à réformer l'ensemble
du droit de succession, on peut être partagé. En effet, tous les praticiens
demandent cette réforme, depuis longtemps préparée, et qui, elle, a fait
l'objet d'un avis du Conseil d'Etat. Ce n'est pas le cas de toutes les
propositions.
(Sourires.)
Mais l'importance de ce texte et sa complexité mériteraient sans doute mieux
qu'un examen global, qui en fait une sorte d'ordonnance de nature
législative.
Je comprends, bien entendu, la volonté de la commission et de son rapporteur
de répondre à la légitime attente des juristes, et aussi à celle des
justiciables. De l'accueil que réservera l'Assemblée nationale à cette
initiative dépendent, bien sûr, ses chances de succès. Comme l'urgence ne
s'impose pas, nous aurons sans doute à revenir sur le dispositif. Nous posons
une sorte de pierre d'attente, pour employer une formule d'architecture.
C'est pourquoi, tout bien pesé, même si un certain nombre d'articles méritent
d'être examinés d'un peu plus près, le plus urgent étant tout de même la
réforme du droit des conjoints survivants, le groupe de l'Union centriste
votera les conclusions de la commission des lois.
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste et du RPR. - M. le rapporteur applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. Béteille.
M. Laurent Béteille.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la réforme du
droit des successions est attendue depuis de très nombreuses années puisqu'une
grande partie des dispositions légales qui régissent ce domaine sont inchangées
depuis la législation napoléonienne, ce qui laisse subsister un certain nombre
d'anachronismes.
Certes, la loi est, en la matière, supplétive et 80 % des successions sont
préparées par la volonté du
de cujus
au travers de dispositions
testamentaires, de donations partages, d'un changement de régime matrimonial ou
d'autres dispositions de prévoyance. La loi ne s'adresse donc qu'aux 20 % de
successions non préparées.
Cependant, à mon sens, ce chiffre doit nous faire réfléchir. En effet,
n'est-ce pas parce que les dispositions légales sont inadaptées que tant de nos
concitoyens se voient contraints de recourir à des dispositions particulières ?
On peut penser que, si la loi était adaptée, le besoin de recourir aux
testaments ou aux donations pour régler les successions se ferait moins
sentir.
Cette inadaptation que l'on constate concerne, pour une large part, le cas du
conjoint survivant, qui a été négligé par le code civil de 1804 et aussi, en
vérité, par les textes ultérieurs.
Au-delà de ce qui est réellement une situation injuste pour le conjoint
survivant, beaucoup de dispositions du droit de succession avaient été jugées
dépassées tant par la pratique que par la doctrine. C'est pourquoi, d'ores et
déjà, de nombreux projets de réforme, largement inspirés à vrai dire des
travaux du doyen Carbonnier et des propositions des notaires, ont été déposés
sur le bureau des assemblées sans, curieusement, jamais aboutir jusqu'ici. Les
premiers de ces textes remontent à une bonne quinzaine d'années.
Paradoxalement, depuis cette époque, les évolutions constatées de la famille
ont rendu sans doute la tâche encore plus complexe, en particulier dans le
domaine sensible du droit du conjoint survivant.
Oui, la famille a évolué : un grand nombre de nos concitoyens ont choisi de ne
pas se marier ; le PACS a été introduit ; la proportion des divorces, dont on
aurait pu penser qu'elle allait régresser du fait de la diminution du nombre
des mariages, n'a cessé d'augmenter. C'est ainsi que les familles recomposées
prennent chaque jour plus d'importance dans les statistiques, d'où un certain
nombre de difficultés nouvelles.
On pourrait penser que l'existence d'enfants de lits différents est à
l'origine des difficultés que l'on rencontre dans le règlement des successions.
Mais, dans la pratique, les litiges qui surgissent sont aussi créés par des «
enfants germains ».
En tout cas, la veuve et le veuf « traditionnels », issus d'un mariage unique,
ne constituent plus le modèle dominant. La proposition de loi qui nous est
soumise est précisément destinée à fournir un cadre unique pour des situations
très diverses.
Cela étant, la proportion de successions préparées n'est pas près de se
réduire au profit d'une disposition légale qui ferait l'unanimité ou le
consensus.
Le but reste de protéger par priorité les situations qui méritent le plus
d'être protégées, en laissant à chacun la possibilité d'y déroger lorsque la
composition de la famille lui semble le justifier.
Il était donc plus que temps de remédier aux situations difficiles que cette
faible considération du conjoint survivant pouvait engendrer.
Paradoxalement, mis à part le cas particulier des droits successoraux de
l'enfant adultérin, qui ne fait pas débat, la proposition de loi n'a choisi de
s'attaquer qu'à la partie la plus controversée de la réforme, celle sur
laquelle les professionnels ne s'accordent pas toujours, pour laisser de côté
tout ce qui était attendu et faisait l'objet d'un très large consensus.
Il est, me semble-t-il, regrettable qu'une pareille réforme n'ait pas été
envisagée plus tôt par le Gouvernement et qu'il ait fallu attendre une
initiative parlementaire pour, enfin, repenser les droits du conjoint
survivant, alors que cette préoccupation ne date pas d'hier, comme en
témoignent les tentatives non abouties de 1988, 1991 et 1995.
Celles-ci avaient d'ailleurs le mérite d'inscrire la nécessaire réforme des
droits du conjoint survivant dans une refonte plus vaste des droits
successoraux. Il convient donc d'approuver chaleureusement notre collègue
Nicolas About pour l'excellent travail qu'il a fourni, étoffant et élargissant
ainsi l'objectif modeste et parcellaire de la proposition initiale, pour viser
à une réforme plus globale de l'ensemble des droits successoraux.
Considérant que les dispositions techniques de cette réforme avaient déjà été
étudiées en profondeur, qu'elles étaient attendues par les professionnels, que
la réforme du droit des successions était plutôt consensuelle et qu'elle devait
enfin clarifier et simplifier les règlements successoraux, le rapporteur a donc
décidé d'inclure dans la présente proposition de loi des mesures concernant
l'ensemble des droits successoraux.
Dans un souci de cohérence, les droits du conjoint ne sont donc plus orphelins
du cadre logique qui doit les accompagner, à savoir l'ensemble des droits
successoraux, le rapporteur considérant à juste titre que l'examen de la
présente proposition de loi permet la mise en oeuvre d'une réforme plus
vaste.
Des dispositions visant à clarifier et à moderniser les règles d'ouverture, de
transmission, de liquidation et de partage de la succession devraient régler
les nombreuses difficultés posées par les règlements successoraux, notamment
dans des cas parfois un peu anecdotiques : théorie des comourants et celle de
l'indignité, qui souffraient d'un archaïsme certain et d'un manque de précision
quant à leur définition actuelle dans le code civil.
La preuve de la qualité d'héritier est, par ce nouveau texte,
institutionnalisée. Concernant la transmission et la liquidation successorales,
les délais d'option et de prescription héréditaire sont raccourcis, les risques
que présente l'acceptation pure et simple sont diminués et l'acceptation sous
bénéfice d'inventaire, jugée trop imprécise, est réorganisée. Enfin,
l'administration temporaire de la succession par un mandataire qualifié est
favorisée et le partage est assoupli et accéléré par des dispositions visant à
promouvoir le partage à l'amiable, à affirmer l'égalité en valeur des lots et à
simplifier les rapports dans un souci d'égalité.
Toutes ces dispositions assainissent le code civil et forment une base solide
pour réformer à l'avenir le droit des libéralités, jugé trop rigide. Elles
forment un apport essentiel à la proposition de loi initiale parce qu'elles
doivent permettre de conserver un droit civil cohérent en matière de
succession.
Ces apports importants, issus du travail approfondi de la commission, sont une
juste réponse à l'approche parcellaire et fragmentée du droit de la famille,
alors qu'une réforme globale est nécessaire : droits du conjoint survivant, nom
patronymique ou autorité parentale sont autant de réformes partielles et
tardives qui multiplient les risques d'incohérence et trahissent l'absence
d'une politique familiale complète et réfléchie de la part du Gouvernement.
M. le rapporteur soulignait, d'ailleurs, qu'aucune raison véritable ne
justifiait le report d'un projet de loi global du droit des successions, au vu
des nombreuses études précédemment effectuées et du caractère consensuel de
cette réforme.
De plus, les modifications des droits du conjoint survivant impliquent, en
amont, une réflexion sur la place du mariage par rapport au lignage, sur les
fondements de la filiation, qui, nous le voyons, relèvent déjà de domaines plus
vastes que celui des seuls droits du conjoint survivant.
De cette réflexion doit découler un projet global de réforme du droit de la
famille où seraient inscrits les droits du conjoint survivant.
Il semble donc que la récurrence de ces réformes partielles révèle une optique
trop réduite en suivant le trajet inverse de maturation d'un projet de loi.
Cette méthode ouvre la course aux réajustements permanents de notre code
civil.
Face à l'urgence qu'il y a à améliorer la situation du conjoint survivant et
au vu des travaux et des contributions du rapporteur, M. Nicolas About, le
groupe du RPR votera cette proposition de loi, qui, ainsi modifiée, devrait
répondre aux soucis des particuliers comme des professionnels.
Penser la famille en tant qu'institution, c'est-à-dire en tant qu'instrument
par lequel la collectivité institue son nouveau membre, et confronter cette
vision aux bouleversements qu'elle traverse reste néanmoins la priorité
fondamentale pour pouvoir proposer enfin concrètement un droit de la famille
pertinent et cohérent.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le droit des
successions apparaît, à bien des égards, comme un concentré d'anachronismes et
d'injustices.
Héritage d'une France rurale qui s'attachait à assurer la transmission du
patrimoine terrien dans la famille par le sang, ce droit est en décalage avec
la réalité sociologique actuelle ; parallèlement à l'allongement de la durée de
vie, la famille se recompose autour d'un triangle familial père-mère-enfant,
fluctuant au gré des recompositions, qui voit un patrimoine resserré autour du
logement acquis au cours du mariage.
Ce changement sociologique s'accompagne d'un changement de valeurs de la
société qui tend à privilégier les personnes plutôt que les biens, « la logique
de l'affection plutôt que celle du sang », comme l'a écrit M. Alain Vidalies
dans son rapport à l'Assemblée nationale.
Dans ce contexte, tant la situation de l'enfant adultérin que celle du
conjoint survivant apparaissent comme des injustices flagrantes, d'ailleurs mal
comprises par les citoyens eux-mêmes. C'est à ces deux « anomalies » que
s'attaque la proposition de loi qui nous est soumise.
Première anomalie, le simple terme d'enfant adultérin symbolise à lui seul les
siècles de discriminations dont ces enfants, qualifiés par la « faute » de
leurs géniteurs, sont encore victimes aujourd'hui sur le plan successoral.
Il a fallu une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de
l'homme pour que la jurisprudence et le législateur suppriment aujourd'hui les
différences de traitement contraires au principe d'égalité des filiations et
qu'on cesse de reprocher à l'enfant adultérin « des faits qui ne lui sont pas
imputables ».
Seconde anomalie visée par le texte de loi : les droits successoraux du
conjoint survivant. Là encore, quelle injustice de notre droit, qui maintient
le conjoint dans la situation d'« étranger dans la famille », de « pièce
rapportée », dit-on aussi charitablement !
Notre droit actuel, dont les principes remontent à 1804, se caractérise en
effet par la faible place faite au conjoint survivant dans la succession : il
ne peut prétendre qu'à un quart en usufruit s'il y a des enfants, la moitié en
l'absence de descendants si les parents du défunt ou ses frères et soeurs sont
encore en vie. Relégué aux confins de l'ordre successoral, il fait ainsi figure
de « parent pauvre de la succession ».
Cette situation est perçue comme une aberration par les couples : ils sont 80
% à avoir anticipé cette injustice et pris des dispositions testimoniales ou
conventionnelles contraires.
Il y a là une double raison de changer les textes : d'une part, une loi
majoritairement contrariée par la pratique doit être revue ; d'autre part, il
convient de protéger les 20 % restants qui, quelles que soient les causes -
(imprévoyance, coût financier supplémentaire, ignorance de la loi) - risquent
de se retrouver dans une situation parfois critique au moment du décès de l'un
deux. Ils ne sont même pas assurés de pouvoir rester dans leur logement.
Si tout le monde s'accorde à dire que la situation ne peut plus perdurer, les
solutions divergent profondément quant à l'articulation des droits du conjoint
survivant et des héritiers par le sang, comme le souligne la différence entre
le texte de l'Assemblée nationale et celui de la commission des lois du
Sénat.
Pour notre part, il nous semble que la solution adoptée à l'Assemblée
nationale est équilibrée, même si les parlementaires communistes étaient, à
l'origine, plus favorables à la reconnaissance d'un droit à l'usufruit sur la
totalité des biens de la succession. Un tel système nous semblait en effet le
plus protecteur des droits du conjoint survivant, sans hypothéquer les droits
des héritiers.
Mais si l'on se réfère à la diversification des situations familiales, qui
devrait s'amplifier dans le futur, la solution de l'attribution d'une partie de
la succession en pleine propriété peut apparaître plus adaptée. Elle permet une
liquidation plus rapide de la succession, ce qui a un réel intérêt, notamment
dans les cas de remariage.
Néanmoins, madame la garde des sceaux, il serait judicieux de prévoir un
aménagement des règles fiscales en vigueur dans la mesure où cette option
induit une double taxation rapprochée lorsqu'il s'agit de conjoints âgés, ce
qui semble très pénalisant dans le cas des petites successions.
En outre, dès lors qu'on n'opte pas pour l'usufruit, il paraît absolument
nécessaire de donner au conjoint survivant un « minimum garanti » pour
reprendre une expression déjà utilisée. La reconnaissance d'un droit à la
jouissance gratuite du logement pendant un an et la créance alimentaire du
conjoint survivant dans la succession en constituent les deux volets
principaux.
Pour les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, il convient
d'y intégrer également le droit au maintien dans le logement commun.
Nous savons tous ici, pour l'avoir vécu au moins avec nos propres parents,
combien il est essentiel pour le conjoint survivant âgé - la moitié des veufs
et veuves sont âgés de plus de soixante-quinze ans - de conserver son cadre de
vie habituel.
C'est également le cas pour les jeunes veuves avec des enfants en bas âge, la
FAVEC nous ayant rappelé dans quelle situation catastrophique elles se
trouvaient le plus souvent.
C'est pourquoi la reconnaissance d'un droit d'habitation du logement qui
constituait la résidence principale des époux, assorti d'un droit d'usage sur
le mobilier le garnissant, est absolument fondamentale.
Droit personnel et intransmissible, il est impératif, selon nous, de le
garantir effectivement, sauf à lui faire perdre de son intérêt, notamment par
comparaison avec l'usufruit sur la totalité des biens. C'est pourquoi il
convient de le rendre intangible. Nous avons déposé un amendement en ce
sens.
Faire dépendre ce droit de la seule volonté du défunt, y compris sous l'angle
de la désignation du logement qu'occupera le survivant, va en effet à
l'encontre de l'objectif visé, qui consiste à assurer la sécurité non seulement
matérielle mais également affective du conjoint survivant par la préservation
de son cadre de vie habituel.
Dans la proposition de loi qui nous vient de l'Assemblée nationale,
l'altération du droit d'habitation nous semble, en outre, contradictoire avec
la constitution d'une réserve en l'absence de descendant, car elle crée une
discrimination au détriment du conjoint avec enfant, alors moins protégé.
En réalité, les restrictions mises au droit d'habitation révèlent bien les
réticences à changer réellement la logique de la transmission du patrimoine.
Soyons clairs : la reconnaissance d'un droit du conjoint ne pourra se faire
sans une minoration des droits des autres héritiers. L'Assemblée nationale, qui
l'a compris, a tranché en faveur de la priorité sur les collatéraux.
Cette logique est refusée par la majorité de la commission des lois, qui, ne
craignant pas de dramatiser la situation, voit dans le texte de l'Assemblée
nationale l'« exclusion de la famille par le sang ».
La différence de situation faite au conjoint survivant, selon la présence
d'enfants communs ou d'enfants d'un premier lit, participe également de ce qui
m'apparaît comme une dramatisation de la situation. Elle occulte, en effet, que
les enfants du premier lit conservent, quoi qu'il arrive, leur statut
d'héritiers réservataires. En tout état de cause, ce traitement différencié
vient contrarier le principe de l'égalité des filiations que nous entendons
promouvoir.
Dans son excellent rapport fait au nom de la délégation aux droits des femmes,
notre collègue Philippe Nachbar nous invite à ne pas tergiverser. Comme il le
fait judicieusement remarquer, la question du conjoint survivant nous oblige à
prendre position sur la place du mariage par rapport au lignage. La
consécration de la place du conjoint dans la famille ne pourra se faire « sans
sortir d'une conception exclusivement "verticale" de la succession ».
Or, c'est là que se situe le fond du problème : le Gouvernement, à défaut de
grande loi sur la famille - cela a été rappelé il y a un instant - a tardé à
une systématisation des principes directeurs de son action en lui préférant la
méthode des petits pas. Mon propos ne vous vise pas directement, madame la
garde des sceaux, vous l'aurez compris.
Les lois adoptées jusqu'à présent, ou en passe d'être adoptées - réforme de la
prestation compensatoire, nom patronymique, accès aux origines -, sont
certainement utiles, mais n'ont pas permis de trancher un certain nombre
d'options fondamentales induites par ces textes.
Je me félicite que la conférence de la famille ait permis de clarifier quelque
peu ces objectifs. Il était temps, oserai-je dire !
En attendant, la majorité sénatoriale a beau jeu - l'occasion fait le larron,
comme on dit ! - de s'engouffrer dans ces espaces non occupés et de profiter
d'un texte à portée limitée pour proposer, même sans étude préalable, des
réformes à caractère très général.
Peut-être cette méthode, devenue habituelle au Sénat, a-t-elle le mérite de
lancer un débat, mais je ne suis pas certain que, du point de vue législatif,
cela fasse vraiment avancer les choses.
Je me permets de dire que la méthode de la commission des lois pose également
problème.
Alors que M. le rapporteur souligne la complexité du sujet en mettant en
exergue les différents projets de loi qui n'ont pas abouti, il soutient dans le
même temps que les dispositions adoptées en commission ne donnent pas lieu à
débat.
Peut-être auriez-vous pu nous laisser le temps d'en juger sereinement, plutôt
que de faire de vastes propositions à huit jours de la discussion en séance
publique.
Quand on a la volonté d'arriver à des solutions consensuelles, on peut
privilégier d'autres méthodes. De même, je comprends mal que l'on fasse aussi
peu de cas de l'unanimité des députés sur le texte.
Je crois donc qu'il serait préférable d'en rester pour aujourd'hui au champ
limité des deux propositions de loi - dont la vôtre, monsieur le rapporteur -
pour régler rapidement la question du conjoint survivant et de l'enfant
adultérin.
Pourquoi ne pas reporter à plus tard, par le biais d'une autre proposition de
loi, une réforme plus générale du droit des successions, voire des libéralités
?
Je pense également qu'il faudra, à terme, se poser la question de l'extension
au PACS des dispositions sur les successions.
Pour l'heure, le groupe communiste républicain et citoyen, qui souhaite voir
déboucher rapidement une réforme très attendue, refusera de voter un texte qui,
en élargissant le champ d'application de la loi, hypothèque son avenir.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Les seize dernières années ont montré que la réforme ne
viendra jamais en discussion ! Vous pouvez me faire confiance !
M. le président.
La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues,
président du groupe d'études sur le veuvage et fidèle interlocuteur de la
FAVEC, j'ai toujours placé la défense des droits du conjoint survivant au coeur
de mes engagements.
Mon intérêt pour les sujets familiaux n'est d'ailleurs un secret pour personne
ici. C'est donc avec beaucoup de satisfaction que j'aborde la discussion de
cette proposition de loi, premier volet d'une réforme du droit de la famille
que nous attendions.
Je commencerai par formuler une remarque sur l'ensemble de la réforme en
cours.
Arrivant au terme d'un second mandat qui aura été riche, aussi riche que le
précédent, je n'aurai pas l'occasion d'examiner personnellement les autres axes
de la vaste réforme que Mmes les ministres de la justice et de la famille ont
entreprise.
J'ai pris depuis longtemps la décision de ne pas briguer un nouveau mandat,
car j'estime en conscience qu'il faut savoir partir, passer le relais. N'est-ce
pas, l'âge aidant, une forme de respect pour notre mission ? Je ne prétends pas
que cette décision ait été très facile, mais ainsi en ai-je décidé.
Je profite de cette occasion pour remercier l'ensemble du Sénat, les élus, le
personnel, tous ceux, qui, du plus humble au plus grand, m'ont assisté dans ma
mission.
Sans reprendre les critiques contenues dans la question d'actualité adressée à
Mme Royal lors de la séance du 7 juin dernier, je tiens cependant à vous livrer
quelques réflexions, madame le garde des sceaux.
Premièrement, la famille, cellule de base de la société, mérite mieux que les
mesures éparses que vous soumettez à notre vote. Plutôt que d'engager une
réforme d'ensemble, le Gouvernement auquel vous appartenez ne propose qu'une
réforme morcelée. Ainsi, du grand projet de réforme du droit de la famille
lancé par Mme Elisabeth Guigou voilà plus de deux ans, il ne reste aujourd'hui,
lisait-on dans la presse, le 11 juin dernier, qu'une dizaine de textes
disparates d'origine gouvernementale ou parlementaire. Ce n'est pas sérieux
!
Deuxièmement, soucieux de la santé des familles, je regrette la négligence du
Gouvernement, qui semble oublier les références qui définissent la famille. Les
situations difficiles que rencontrent les familles, les nouvelles formes
d'union et de recomposition familiale ne doivent pas faire oublier
l'importance, dans les chiffres comme du point de vue institutionnel, de la
famille fondée sur le mariage, d'ailleurs plébiscitée par les Français.
Enfin, il me semble que le mariage et la famille légitime sont, comme le
soulignait, à l'Assemblée nationale, ma collègue Marie-Thérèse Boisseau, les
grands oubliés de cette réforme.
J'en viens à la proposition de loi que nous avons aujourd'hui à examiner et
qui est relative aux droits du conjoint survivant.
Ce texte tend à améliorer les droits de l'époux touché par le deuil de son
conjoint lorsque la succession n'a pas été organisée. La proposition de loi
répond donc à de réelles attentes. Elle ne concerne, heureusement, cela a été
dit, que 20 % de l'ensemble des conjoints survivants. En effet, dans la plupart
des cas, le couple a déjà organisé la succession pour que le conjoint survivant
ne se retrouve pas dans une situation matérielle difficile à la suite du décès
de son époux.
Le droit du conjoint survivant vise justement à prolonger les devoirs entre
époux au-delà du décès.
Tout d'abord, s'agissant des droits du conjoint survivant, il est proposé que
ce dernier soit placé plus favorablement dans l'ordre de la succession et qu'il
arrive désormais au même niveau que les descendants et les parents du
défunt.
Ce principe, fondé sur une logique plus affective, me paraît aller dans le bon
sens en privilégiant les sentiments des personnes, et non plus seulement les
liens du sang. Il s'agira de veiller malgré tout à ce que les grands-parents du
défunt ne soient pas les « parents pauvres » de cette réforme. Je suis un papy
!
(Sourires.)
Les situations divergent selon que le conjoint prédécédé laisse ou non des
enfants.
En l'absence d'enfants, il paraît totalement naturel que le conjoint hérite au
moins de la moitié des biens de son époux en pleine propriété, d'autant que,
aujourd'hui, le patrimoine conjugal relève davantage de biens progressivement
acquis par les époux que de biens hérités.
En présence de descendants, la pleine propriété, comme dans le cas précédent,
est-elle suffisante ?
Sur le sujet, le groupe de travail dirigé par Mme Théry se prononçait en
faveur de l'usufruit sur la totalité de la succession. C'est aussi la position
défendue par le professeur Catala, auditionné à plusieurs reprises par la
commission des lois, lorsqu'il déclare : « l'usufruit possède une forte portée
symbolique, car il exprime la continuité du couple, incarné désormais par le
survivant. Inversement, le quart en propriété n'a pas la portée symbolique,
dont on le gratifie aujourd'hui, dans la mesure où il banalise le conjoint au
rang des enfants, brouillant ainsi l'image de l'arbre familial, comme les
sociologues l'ont relevé. »
Le recensement des actes de donation laisse d'ailleurs apparaître une
préférence massive pour l'usufruit.
En définitive, la proposition de la commission des lois du Sénat présentée par
M. le rapporteur me paraît être la solution la meilleure, la solution de la
sagesse : en plus du quart de la succession en pleine propriété, elle garantit
au conjoint survivant l'usufruit sur la part des biens existants revenant aux
enfants communs.
J'en viens au droit, dont pourrait bénéficier l'époux survivant, de loger
pendant un an gratuitement au domicile qu'il habitait avec son conjoint avant
que celui-ci décède. Cette mesure est la meilleure illustration de l'attention
que le législateur entend porter au conjoint survivant. La période très
douloureuse du veuvage nécessite que l'époux survivant trouve des conditions
favorables autour de lui. Je me réjouis que Mme Hervé, présidente de la FAVEC,
ait été entendue sur cette possibilité offerte au veuf ou à la veuve.
S'agissant maintenant de l'égalité successorale entre enfants légitimes et
enfants adultérins, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la
France, oui la France, notre pays, à supprimer la distinction entre enfants
légitimes et enfants adultérins. C'est le célèbre arrêt Mazurek.
Sans vouloir remettre en cause cette décision, laissez-moi, monsieur le
président, madame le garde des sceaux, chers collègues, vous faire part de mon
inquiétude : cette proposition de loi, d'un côté, souhaite consolider
l'institution du mariage et, de l'autre, accorde des droits considérablement
accrus aux enfants adultérins. Mme Dekeuwer-Défossez ainsi que le professeur
Catala soulignaient l'un et l'autre un étonnant paradoxe, curieux hommage rendu
au conjoint survivant : si la proposition socialiste demeure en l'état, il y
aura non plus un partage équitable entre le conjoint survivant et l'enfant
adultérin, mais une étonnante répartition, qui attribuerait le quart de la
succession au conjoint, tandis que l'enfant adultérin, s'il est le seul enfant,
en obtiendrait les trois quarts !
De même, dans la proposition qui nous est soumise, seule la succession des
enfants communs aux deux époux sera frappée d'usufruit, tandis que l'enfant
adultérin pourra disposer de son bien sans que le conjoint survivant puisse
exercer sur cette succession son droit d'user !
Ces considérations laissent songeur. L'arrêt Mazurek ne doit pas devenir
l'effet Mazarine, et le statut de l'enfant adultérin, autrefois peu enviable,
ne doit pas devenir, tout à coup, une situation garantissant des droits
exorbitants ! Un équilibre doit à tout prix être maintenu.
Au terme de ces quelques remarques, je me réjouis que la commission des lois
propose une réforme plus générale des successions. En effet, ce qui mériterait
d'être revu, c'est l'ensemble du dispositif datant de 1804 - oui, 1804 ! - et
pas seulement la succession du conjoint survivant. Mais j'attends du présent
texte qu'il soit un détonateur.
Je remercie M. le président, Mme le garde des sceaux, le rapporteur M. Nicolas
About, ainsi que l'ensemble des membres de la commission des lois. En accord
avec la majeure partie des modifications proposées par la commission, je
voterai le texte qu'elle aura amendé.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
J'interviendrai brièvement, car beaucoup a été dit, et
j'avais répondu par avance à certaines observations.
Il faut rappeler que la loi doit répondre à la situation la plus générale et
la plus courante, la liberté testamentaire permettant de régler les situations
les plus particulières. Ces situations très particulières sont diverses. Elles
peuvent même se présenter comme exemples ou contre-exemples. Ainsi donc, il
semble que la législation doive fixer un cadre général, ce qu'a fait le texte
adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale.
Le reproche adressé à ce texte est de bafouer les droits des frères et soeurs
et ceux des grands-parents.
Je rappelle, d'abord, que le conjoint prédécédé aura pu user de sa liberté
testamentaire au profit de ses autres proches, voire de tiers.
Je rappelle, ensuite, que le texte de l'Assemblée nationale prévoit, au profit
des grands-parents, une créance alimentaire lorsqu'ils sont dans le besoin.
Je rappelle, enfin, que la famille d'aujourd'hui est sociologiquement de plus
en plus nucléaire. Cette évolution n'est pas un déclin, c'est une réalité.
L'Assemblée nationale en a tenu compte.
N'oublions pas que mettre le conjoint survivant en concurrence de droits
successoraux avec des frères et soeurs du prédécédé, c'est aussi le mettre en
concurrence de droits avec les neveux, petits-neveux et arrière-petits-neveux.
Pourquoi tous ceux-ci hériteraient-ils de biens acquis pendant le mariage ?
C'est le fruit du labeur d'une vie, ce qui est le cas maintenant en général des
successions
ab intestat.
De plus en plus souvent, les biens communs ont
été construits en commun, et ce serait considéré comme une injustice.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Il peut aussi y avoir des biens propres !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Monsieur le rapporteur, en fait, vous voulez répondre à
la question de la transmission en lignée d'un bien de famille. Je pense que,
lorsqu'il y a des biens propres à transmettre en ligne, des dispositions
testamentaires peuvent être prises pour faire jouer cette solidarité avec les
frères et soeurs que vous avez évoquée.
Le droit d'usage et d'habitation reconnu au conjoint survivant est
l'expression, je crois, de l'équilibre trouvé par le texte qui a été adopté par
l'Assemblée nationale. Il consacre l'affection de l'un des conjoints, des
conjoints entre eux, la volonté présumée du conjoint prédécédé de voir l'autre
rester dans le logement du couple, le souhait du conjoint survivant de rester
dans ce cadre naturel étant largement exprimé. C'est d'ailleurs le fait
générateur de beaucoup de prises de position de parlementaires, tant au Sénat
qu'à l'Assemblée nationale.
Il trouve sa limite dans la liberté pour le conjoint prédécédé d'exprimer une
volonté différente. Pour autant, la protection des droits du conjoint survivant
justifie d'écarter la proposition, que vous semblez faire, de permettre au
conjoint prédécédé de désigner un autre immeuble comme celui dans lequel
s'exerce ce droit. Ainsi que je vous l'ai dit, cette protection justifie aussi
que l'expression de la volonté du conjoint soit soumise à des formes
particulières, à savoir la rédaction d'un acte notarié.
Je ne reviendrai pas sur les désavantages de l'usufruit, car je me suis déjà
expliquée sur ce point.
J'ajouterai qu'il me paraîtrait critiquable de distinguer les droits du
conjoint selon qu'il se trouve en présence d'enfants communs ou d'enfants dont
il n'est pas le parent. Bien sûr, je comprends la difficulté, mais je pense que
nous devons en rester à la proposition inititale.
J'en viens à l'étendue de la présente proposition de loi. Vous avez raison de
dire que l'on aurait dû, depuis longtemps, reprendre les textes qui concernent
l'ensemble des droits de succession et les libéralités, mais il sera difficile
de le faire au détour de ce texte. Ce qui m'inquiéterait, c'est que, en voulant
répondre à un souhait justifié, d'ailleurs largement par les explications qui
ont été apportées ce matin, on voie ce texte s'enliser et ne pas aboutir, et
que pour vouloir aller jusqu'au bout des choses on n'aille pas au moins
a
minima
. J'espère que l'on ira
a minima
. J'assume le fait que l'on
aurait effectivement dû, depuis longtemps déjà, penser à un texte général.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Monsieur le président, madame le
ministre, mes chers collègues, en cet instant, je n'interviendrai pas sur le
fond, étant en parfait accord avec les propositions de notre rapporteur.
Je voudrais tout de même appeler votre attention sur la procédure selon
laquelle ce texte a été élaboré et est examiné.
Il s'agit d'une proposition de loi. Nous savons tout l'intérêt d'un tel texte.
Nous connaissons aussi le défaut technique qui accompagne une proposition de
loi par rapport à un projet de loi : des avis importants, nécessaires, n'ont
pas été donnés. Je songe en particulier à l'avis du Conseil d'Etat, qui eût été
très utile en la matière.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Le Gouvernement n'est pas obligé de suivre l'avis du Conseil !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Certes, et je ne critique pas le
principe de la proposition de loi, mon cher collègue !
J'ai quelque faiblesse pour le Conseil d'Etat : il lui arrive - parfois ! - de
donner des avis utiles. Il m'est arrivé de le critiquer, même si son
vice-président n'en était pas content. Mais c'est une autre chose !
La suite de la navette telle qu'elle découle des intentions du Gouvernement
n'est pas satisfaisante. En effet, d'après ce que l'on m'a dit, vous allez,
madame le garde des sceaux, faire examiner ce texte dès le 28 juin à
l'Assemblée nationale. C'est une procédure d'urgence camouflée. Nous sommes
habitués à un peu plus d'ouverture d'esprit de votre part.
Compte tenu des positions que vous prenez en cet instant et qui sont
relativement rigides, il est clair que l'Assemblée nationale va purement et
simplement, au cours de cette pseudo-seconde lecture, ne pas tenir compte du
travail qui a été fait. Nous connaissons ces pratiques : tel sera certainement
le résultat auquel nous aboutirons. Nous devrons donc reprendre nos
propositions.
J'en viens aux adjonctions que nous proposons. Elles ont tout de même quelque
mérite. Jamais ces propositions ne sont venues en discussion publique. Notre
rapporteur a excellemment souligné le fait que c'était à partir d'études
techniques, qui sont indispensables en la matière, que des gouvernements aussi
divers que celui de Mme Cresson, celui de M. Rocard ou celui de M. Balladur
avaient abouti à des positions identiques. Le texte est prêt ; les dispositions
sont bienvenues.
Nous n'avons pas la vanité de penser que, sur des sujets aussi techniques,
nous pouvons apporter des modifications fondamentales. En fin de compte, la
commission des lois, sur l'initiative de son rapporteur, s'est efforcée de
corriger les défauts de procédure qui résultent de ce que je viens de
décrire.
Sur la présente proposition de loi, nous avons procédé à des auditions
publiques, ce que l'Assemblée nationale n'a pas fait. Nous avons entendu des
avis extrêmement divergents et particulièrement charpentés. Enfin, nous
connaissons tous le travail extrêmement sérieux accompli tant par M. le doyen
Carbonnier que par M. Catala. M. Carbonnier n'a pas pu se rendre devant notre
commission pour des raisons de santé. Il voulait venir, il nous l'a écrit. J'ai
regretté qu'il ne le puisse pas. Mais M. Catala, qui est en quelque sorte son
fils spirituel en la matière, a été entendu par la commission.
Par conséquent, saisissons l'occasion qui nous est donnée, et ne la rejetons
pas purement et simplement ; sinon, le problème restera en suspens, et nous
devrons encore attendre. En outre, comme vous le savez très bien, l'année
prochaine sera très largement consacrée à d'autres préoccupations, et il n'y
aura donc aucune chance de voir adopté ce texte indispensable qui corrige des
anachronismes, telle la théorie des co-mourants.
Tout cela devient ridicule. Il faut essayer de régler ces problèmes. Nous vous
en donnons l'occasion. Vous ne la saisissez pas, et je le regrette, car nous
pourrions aboutir à un résultat tout à fait positif.
Les quatorze articles de la proposition de loi peuvent faire l'objet
d'appréciations divergentes. Nous avons fait des choix que nous croyons
justifiés, mais il est possible d'en discuter. Sur le reste, les dispositions
retenues sont d'une telle technicité que, honnêtement, je ne vois pas ce que
l'on pourrait faire de différent.
La commission des lois considère qu'il est nécessaire de profiter de
l'occasion qui nous est donnée.
Encore une fois, je regrette que l'Assemblée nationale se saisisse dans les
tout prochains jours de ce texte sans avoir eu le temps d'examiner
véritablement nos propositions. Les députés vont-ils procéder à des auditions ?
Je n'en sais rien. En tout cas, ils ne l'ont pas fait jusqu'à présent.
Madame le garde des sceaux, vous avez parlé d'« unanimité ». Mais vous savez
ce que valent les unanimités !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Division additionnelle avant l'article 1er