SEANCE DU 28 JUIN 2001
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi organique.
M. Alain Lambert,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Lambert,
rapporteur.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, messieurs
les ministres, mes chers collègues, j'ai exprimé, dans la discussion générale,
ma très vive reconnaissance à tous ceux, des plus hautes autorités aux plus
humbles d'entre nous, sans oublier la présidence, qui ont apporté leur
contribution à la réussite de cette réforme législative. Je ne les citerai donc
pas tous à nouveau.
Qu'ils trouvent tous, en cet instant, l'expression renouvelée et émue, je le
reconnais, de ma gratitude.
Ce soir, je suis fier, et ce non pas avec un air de fatuité de rapporteur
heureux d'aboutir, mais parce que je crois, en cet instant, avec vous,
participer à une expression solennelle de la volonté générale du peuple
français.
Je suis fier d'être parlementaire de la République française.
Je suis fier du Sénat, qui n'est jamais si grand et si irremplaçable que
lorsqu'il donne à la loi la force et la portée pour servir plusieurs
générations.
Je suis fier de rendre au peuple, qui doute parfois légitimement de la
politique et des politiques, ses droits, pour qu'il accepte, demain, dans la
clarté, d'assumer mieux toutes ses obligations.
Ce soir, il est un endroit dans le monde où des femmes et des hommes d'idées
bien différentes, voire souvent opposées, ont le génie de s'accorder pour
redonner sens à leur démocratie et redonner vie et force à leur Etat. Cet
endroit, grâce à vous, c'est la France.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du Rassemblement pour la République, des Républicains et
Indépendants, du Rassemblement démocratique et social européen, ainsi que sur
les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Fréville, pour explication de vote.
M. Yves Fréville.
Le groupe de l'Union centriste, unanime, se réjouit que la discussion de notre
nouvelle constitution financière ait si rapidement - j'allais dire presque « si
miraculeusement » - convergé entre les deux chambres vers un accord
définitif.
Nous le devons, naturellement, à la qualité des travaux préparatoires,
notamment en commission, menés sous la houlette de notre collègue et ami Alain
Lambert, continués en concertation et avec efficacité avec le rapporteur
général de l'Assemblée nationale, et qui portent enfin leurs fruits.
Nous le devons à la prise de conscience par tous de la nécessité de réformer
l'Etat si l'on voulait rendre plus efficace, au service de nos concitoyens, la
dépense publique.
Nous le devons à l'impérieuse nécessité, reconnue par tous, de rendre plus
contrôlable la décision de lever l'impôt.
Nous le devons, enfin, à la nécessité de trouver les voies et moyens de
coordonner notre politique budgétaire - celle de nos partenaires aussi - avec
une politique monétaire désormais unifiée à l'échelon de la zone euro tout
entière.
Mais, après ce succès, dont nous pouvons effectivement être fiers, monsieur le
président-rapporteur, la tâche est loin d'être terminée. Le plus difficile,
allais-je dire, reste à faire.
S'agissant de l'autorisation de dépense, nous allons rompre avec une tradition
biséculaire de voter les crédits en fonction des moyens pour une culture, comme
le disait Mme le secrétaire d'Etat, de programmes, de résultats et
d'objectifs.
Le pari est risqué, très risqué même, car l'échec de la rationalisation des
choix budgétaires, dans les années soixante-dix, a montré que, en ce domaine,
rien n'était facile, rien n'était acquis.
Cette fois-ci, le changement de système se fera sans filet, puisque nous
abandonnerons la spécialité des crédits par chapitre.
Le pari mérite cependant d'être pris. Mais la réussite dépendra de deux
éléments.
Elle dépendra, d'abord, de la capacité de l'administration à mettre en oeuvre
cette réforme, c'est-à-dire à répondre à la volonté clairement définie du
Parlement quasi unanime. Des expérimentations seront certainement nécessaires
au cours des cinq ans à venir ; il faudra sans crainte en tirer les
conséquences.
La réussite dépendra, ensuite, de la capacité du Parlement à organiser son
travail de contrôle des résultats et de l'efficacité de la dépense. En ce
domaine également, rien n'est gagné. Nous aurons à rénover notre règlement, à
adopter de nouvelles méthodes d'audit et à trouver le temps du contrôle.
Je souhaite qu'en ce domaine le même esprit de renouveau de l'institution
parlementaire nous réunisse tous, majorité et opposition.
S'agissant, ensuite, de l'autorisation de lever l'impôt nous aurons, grâce à
la solution préconisée par notre rapporteur général, une discussion générale
sur le niveau et la répartition du prélèvement fiscal, de manière à mieux
assurer la cohérence entre la politique budgétaire et la politique sociale.
Mais la coordination des lois organiques, celle, qui existe, de financement de
la sécurité sociale, et celle que nous allons voter concernant les lois de
finances, devra être menée à bien, car, la discussion l'a montré, les
difficultés qu'avait d'ailleurs soulignées le Conseil d'Etat sont apparues et
n'ont pas permis de faire prévaloir complètement l'unité des finances publiques
éclatées qu'aurait voulu le président de notre groupe, Jean Arthuis.
La route à parcourir avant l'application de la présente loi organique sera
donc pleine d'embûches, mais nous sommes décidés à l'emprunter avec
enthousiasme. C'est pourquoi nous voterons cette réforme.
(Applaudissements
sur les travées du Rassemblement pour la République, des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Vinçon.
M. Serge Vinçon.
« Puissiez-vous vivre en des temps intéressants », dit un poète chinois. Eh
bien ! depuis le début de l'examen de cette proposition de loi organique, nous
avons effectivement eu le sentiment de vivre un moment particulier.
Cette réforme, dit-on, est historique : nous donnons une nouvelle constitution
financière à la France. Mais il est juste de rendre hommage à la précédente,
qui a vécu quarante-deux ans.
Chacun s'accorde à dire qu'il s'agit de la première étape de la réforme de
l'Etat, si souvent annoncée et trop souvent reportée.
Je veux, à mon tour, et au nom de mon groupe, féliciter le président de notre
commission des finances, qui, par la pertinence de ses propositions, a su
accompagner nos travaux et a permis au Sénat d'apporter sa pierre à cet
édifice.
Notre groupe, par la voix de celui qui est aussi notre rapporteur général,
Philippe Marini, a rappelé quels étaient les enjeux : la clarification des
responsabilités du Gouvernement et du Parlement, l'information claire de nos
concitoyens, la modernisation de l'Etat et la mobilisation de ses ressources
humaines. Il a rappelé aussi qu'il fallait faire avancer la réforme de l'Etat
en transformant les comportements.
Nous nous félicitons que, s'agissant des pouvoirs du Parlement, les deux
assemblées soient parvenues à l'accord de fond que nous appelions de nos voeux.
Il en allait sans doute de la crédibilité de l'institution parlementaire, du
bon fonctionnement des pouvoirs publics, et donc de notre démocratie.
Les propositions adoptées par le Sénat à l'occasion de la première lecture ont
été reprises dans leur presque totalité par l'Assemblée nationale. Il nous
reste à attendre la position qui sera arrêtée par le Conseil constitutionnel
sur le texte qui résulte de nos travaux.
Le groupe du Rassemblement pour la République, qui a eu le sentiment de vivre
en des temps intéressants, apportera son soutien à la proposition de loi
organique ainsi rédigée.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du Rassemblement
démocratique et social européen.)
M. le président.
La parole est à M. Pelletier.
M. Jacques Pelletier.
Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la secrétaire d'Etat,
mes chers collègues, je souhaite bien évidemment associer le Rassemblement
démocratique et social européen au concert de satisfaction qui émane de presque
toute la représentation parlementaire.
Cette satisfaction est fort légitime. Il s'agit en effet, aujourd'hui 28 juin
2001, d'une révolution parlementaire : nous mettons fin à une situation que le
Parlement déplore depuis fort longtemps.
Avec ce texte, nous revalorisons de façon très sensible le rôle du Parlement.
J'espère, moi aussi, que ce ne sera qu'un prélude à une très vaste réforme de
l'Etat à laquelle, sous peine d'asphyxie, nous ne pourrons échapper dans les
prochaines années.
A mon tour, je voudrais féliciter les artisans de ce résultat heureux et
consensuel, je dirais même heureux parce que consensuel.
Tout d'abord, je remercierai les présidents des commissions des finances et
les rapporteurs généraux des commissions des finances de l'Assemblée nationale
et du Sénat, j'adresse une mention toute particulière à notre président et
rapporteur, M. Alain Lambert, qui s'est attelé à cette tâche avec une ardeur,
une ténacité et une diplomatie que je me plais à souligner.
Je voudrais remercier également beaucoup Mme la secrétaire d'Etat et MM. les
ministres d'avoir été en quelque sorte les médiateurs entre nos deux
assemblées.
Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, les hautes
fonctions que vous avez occupées à l'Assemblée nationale vous ont fait voir les
inconvénients des discussions budgétaires. Je vous remercie donc très vivement
d'avoir accompagné cette réforme tout au long de son élaboration.
Bien évidemment, mes chers collègues, le groupe du RDSE votera à l'unanimité -
une fois n'est pas coutume
(sourires)
- la proposition de loi organique
qui nous est soumise.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du groupe du Rassemblement pour la République et des Républicains et
Indépendants. - M. Angels applaudit également.)
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, la vocation du Parlement est de
voter des lois pour contribuer à améliorer la société. Son devoir consiste
aussi, parfois, à voter des lois pour transformer la loi elle-même. En révisant
sous le contrôle du Conseil constitutionnel l'importante ordonnance organique
du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances, vous remplissez ces deux
missions. En adoptant une nouvelle « constitution budgétaire et financière » de
la République, Parlement et Gouvernement apportent une double démonstration.
Nous montrons d'abord que réformer est possible.
Cette réforme, trente-sept fois espérée à travers divers projets de textes et
trente-sept fois ajournée, n'a jamais vraiment mobilisé nos concitoyens. Quand
ils doivent payer leurs impôts, quand ils demandent « mieux de service public
», quand ils s'inquiètent pour leur retraite, les Français s'interrogent sur
les finances de l'Etat plutôt que sur l'état de notre constitution financière.
Symétriquement, les gouvernements successifs ont longtemps éprouvé un confort
assez commode à abriter dans ce carcan protecteur des questions qu'ils
jugeaient peut-être trop complexes pour être clairement débattues.
M. Roland du Luart.
C'est bien vrai !
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
En élargissant le
droit d'initiative, d'amendement et de contrôle parlementaire sur les décisions
financières, la proposition de loi soumise à votre vote va rééquilibrer les
pouvoirs du Parlement et consolider la démocratie. En passant d'une logique de
moyens à une logique d'objectifs et de résultats, c'est-à-dire de la routine
dépensière au pilotage budgétaire, ce texte de loi constitue la pierre
angulaire d'un projet plus vaste et indispensable : la réforme de l'Etat.
Réduire la nomenclature budgétaire à 150 « missions » et « programmes » au
lieu des 850 chapitres qui,jusqu'alors, disséminaient et figeaient la dépense
est une transformation utile. Diviser par six la nomenclature de la dépense
multipliera d'autant sa lisibilité pour le citoyen et la maîtrise de son
évolution pour le décideur public. L'approche quantitative et centralisée,
cette traditionnelle et détestable façon de dépenser sans véritable gestion ni
concertation, prendra alors fin, du moins peut-on l'espérer.
L'évaluation qualitative mobilisera l'ensemble des agents des administrations,
associés à la définition des priorités et au contrôle des indicateurs retenus.
C'est le sens même de la notion « Etat partenaire », plus souple, plus réactif,
plus efficace, que, personnellement, j'appelle depuis longtemps de mes
voeux.
Nous montrons aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, que rassembler est
possible.
Quand l'intérêt général doit prévaloir, fût-ce à quelques encablures
d'échéances électorales importantes, notre discussion montre que beaucoup de
clivages peuvent s'effacer. Pourquoi cette trente-huitième tentative fut-elle
la bonne ? Pour une grande part parce que la « conjoncture astralo-politique »
a été exceptionnellement favorable.
(Sourires.)
Au printemps 2000, le
Premier ministre, Lionel Jospin, s'est engagé à mener à bien cette réforme à
laquelle le Président, Jacques Chirac, a apporté son soutien au début de cette
année. Les présidents Raymond Forni et Christian Poncelet ont oeuvré pour sa
mise en chantier.
La bienveillance active d'Henri Emmanuelli, de Philippe Marini, d'Augustin
Bonrepaux, la vôtre à toutes et à tous, a été déterminante. Surtout - et je
veux y insister - se sont déployées la ténacité tranquille de Didier Migaud, la
détermination compétente d'Alain Lambert, que je souhaite tous deux remercier
chaleureusement, profondément et personnellement. Ils aiment le Parlement et la
démocratie, ils auront contribué à les servir d'une façon qui marquera la
République.
La compétence, l'esprit de dialogue qui anime Florence Parly, secrétaire
d'Etat au budget, ainsi que Michel Sapin, ministre de la fonction publique et
de la réforme de l'Etat, ont été un atout précieux tout au long des
discussions.
Rien n'aurait été possible sans les échanges nombreux et fructueux entre les
administrateurs des commissions des finances des assemblées et mes services,
cette direction du budget que l'on prétendait hostile au changement et qui, en
réalité, a offert, dans l'expertise qui lui a été demandée, le meilleur
d'elle-même.
Ajouterai-je que la réforme de l'ordonnance de 1959 permet au ministre de
l'économie et des finances de respecter l'engagement formulé naguère par le
président de l'Assemblée nationale, lorsque, en automne 1998, j'avais pris
l'initiative d'engager un vaste travail sur l'efficacité de la dépense publique
et le contrôle parlementaire ?
Ensemble, Parlement et Gouvernement, majorité et opposition, nous avons su,
chacun dans notre rôle, chacun avec nos convictions, écrire une page importante
de l'histoire budgétaire de notre pays. Je pense que nous pouvons en être
satisfaits.
Avant de conclure, je présenterai deux souhaits.
D'abord, je souhaite que les assemblées s'engagent au plus vite à adapter leur
règlement. Il importe en effet que la réforme demandée aujourd'hui à l'Etat se
traduise rapidement dans les procédures internes au Parlement.
Ensuite, j'espère que l'esprit d'ouverture qui a présidé à cette révision
animera également la suite de la procédure : les missions, les programmes, les
objectifs et les indicateurs ne seront pas définis unilatéralement par Bercy ;
mon ministère sera un facilitateur, il pourra apporter une méthodologie,
échanger les meilleures pratiques, mais il ne devra pas se substituer aux
autres ministères. Pour être pleinement acceptées, les priorités devront venir
du terrain lui-même. Ce sera l'occasion d'une réflexion partagée et d'un
dialogue renouvelé pour l'action publique et pour tous les agents chargés de la
mettre en oeuvre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la réforme de l'ordonnance de 1959 ne se
réduit certainement pas à l'aménagement d'une procédure. Ma conviction est que,
à moyen terme, cette réforme exercera ses effets positifs à la fois sur notre
vie démocratique et sur l'amélioration du service public pour nos concitoyens.
Il s'agit de remplacer dans notre examen des finances publiques le très fameux
« litanie, liturgie, léthargie » par « efficacité, comparabilité, durabilité
».
Au nom du Gouvernement, j'apporte donc, avec Mme Florence Parly et M. Michel
Sapin, mon soutien total à ce texte, et je vous demande de voter une loi qui
modernise la gestion publique, contribue à réformer l'Etat et renforce le rôle
du Parlement. Ensemble, nous dotons l'Etat du xxie siècle de la constitution
budgétaire et financière moderne dont notre pays avait besoin.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du RDSE,
de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi organique.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public est de
droit.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du
règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Nombre de votants | 319 |
Nombre de suffrages exprimés | 319 |
Majorité absolue des suffrages | 160 |
Pour l'adoption | 292 |
Contre | 17 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants. - MM. les ministres et Mme le secrétaire d'Etat applaudissent également.)
(M. Gérard Larcher remplace M. Jean Faure au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président
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