SEANCE DU 21 NOVEMBRE 2001
DROITS DU CONJOINT SURVIVANT
Adoption des conclusions modifiées
d'une commission mixte paritaire
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 67,
2001-2002) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur
les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative aux
droits du conjoint survivant et des enfants adultérins.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.
Monsieur le
président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, après deux lectures
dans chaque assemblée, la commission mixte paritaire s'est réunie le 13
novembre dernier. Au terme de longs et fructueux débats - longs sur un point,
fructueux, je l'espère, sur l'ensemble - elle a réussi à proposer un texte
d'équilibre quant aux droits du conjoint survivant.
Tout d'abord, comme il l'avait été par le Sénat en deuxième lecture, le
principe a été accepté de retenir la rédaction adoptée par notre assemblée qui
concerne seulement les trois premiers chapitres du titre Ier du livre troisième
du code civil, reprenant les dispositions des projets de loi déposés en 1988,
1991 et 1995. Le Gouvernement nous avait fait savoir, en deuxième lecture,
qu'il ne s'opposerait pas sur un certain nombre de points, concernant les
droits du conjoint survivant, pour l'essentiel. Il s'agissait donc
d'homogénéiser l'ensemble du dispositif.
L'objectif commun de l'Assemblée nationale et du Sénat était de revaloriser
les droits du conjoint survivant. Cependant, plusieurs divergences
subsistaient, notamment à l'article 2, dont les dispositions sont les plus
substantielles, puisqu'elles concernent les droit successoraux du conjoint
survivant.
Après avoir été adoptée à l'unanimité par le Sénat, la solution de l'usufruit
lorsque tous les enfants sont issus des deux époux a été retenue par la
commission mixte paritaire, le quart en propriété étant la règle en présence
d'un ou plusieurs enfants non issus des deux époux.
En cas d'ascendants privilégiés, le conjoint survivant recueille la moitié des
biens ou les trois quarts si l'un des deux parents est aussi décédé.
L'Assemblée nationale avait, dans tous les autres cas, fait du conjoint
survivant le seul héritier du
de cujus,
expression que j'utilise pour la
dernière fois, puisqu'elle va disparaître de notre code !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Le
de cujus
est mort !
(Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Le Sénat, au contraire, souhaitait que les collatéraux
privilégiés - les frères et les soeurs - ne soient pas totalement exclus de la
succession.
Il a paru légitime, après que des exemples eurent été apportés sur les
conséquences difficilement admissibles de cette solution dans certains cas, que
la part des frères et soeurs ou de leurs descendants ne porte que sur les biens
que le défunt avait reçus de ses père et mère par succession ou donation et se
retrouvant en nature dans la succession. Cette solution a été acceptée par la
commission mixte paritaire.
Dans ces conditions, il a paru possible au Sénat d'accepter de faire du
conjoint survivant un héritier réservataire pour le quart en l'absence de
descendants ou d'ascendants privilégiés.
Nos collègues de l'Assemblée nationale se sont ralliés au texte adopté par le
Sénat en deuxième lecture en ce qui concerne l'assiette des droits de l'époux
survivant.
Les droits du conjoint, comme en matière d'usufruit légal, ne peuvent
s'appliquer qu'aux biens existants et non à la succession, qui supposerait le
rapport des libéralités.
En ce qui concerne les droits en propriété, rappelons que nous avons admis,
faisant un pas en direction de l'Assemblée nationale, qu'ils soient calculés
sur l'ensemble de la succession, mais qu'ils ne s'exercent que dans la limite
des biens existants et sur ces mêmes biens. Il s'agit d'une disposition
identique à celle qui figure à l'article 767 du code civil.
La commission mixte paritaire ayant adopté le texte du Sénat en ce qui
concerne les conditions de conversion de l'usufruit du conjoint, il restait un
point de désaccord important en ce qui concerne le droit au logement du
conjoint survivant, précisé à l'article 3.
Deux solutions étaient possibles : celle de l'Assemblée nationale, prévoyant
un droit au logement systématique, sauf en cas de volonté contraire du défunt
exprimée dans un testament authentique, et celle du Sénat, prévoyant un droit
au logement irréfragable mais aménageable et susceptible de donner lieu à
récompense.
Nous nous étions nous-mêmes aperçus que le système n'était pas totalement
homogène et que les dispositions faisant du droit au logement un droit
intangible pouvaient susciter des difficultés, motif pour lequel nous avions
proposé un certain nombre d'aménagements.
C'est pourquoi, après de longs débats, la solution de l'Assemblée nationale a
été retenue, étant rappelé que le droit au logement était un droit subsidiaire
; le fait que le conjoint survivant en soit privé ne l'empêcherait pas de
bénéficier de l'usufruit de l'habitation principale, si tel était son choix en
présence d'enfants communs. Je sais, madame la garde des sceaux, qu'un
amendement tend précisément à éviter toute interprétation négative.
Parallèlement, si la situation du conjoint, et non plus son état de santé - M.
Badinter souhaitait que l'on tienne compte de la situation et non pas de l'état
de santé - fait que le logement n'est plus adapté à ses besoins, la possibilité
de le louer lui est offerte pour dégager les ressources nécessaires à de
nouvelles conditions de logement.
La commission mixte paritaire a, dès lors, écarté toute récompense de la
succession, quelle que soit la valeur du droit d'usage et d'habitation, pour
donner à ce droit toute sa valeur, et a adopté le texte du Sénat quant à
l'attribution préférentielle de la propriété du logement au conjoint
survivant.
Après avoir réglé le problème de la couverture du risque décès en cas de
suicide, que les contrats relèvent du code des assurances ou du code de la
mutualité, la commission mixte paritaire a accepté de retenir, pour l'exercice
du devoir de secours à l'égard du conjoint survivant, la notion d'« état de
besoin », comme en matière de pension alimentaire, et a supprimé la clause
d'ingratitude, comme le Sénat l'avait d'ailleurs fait en deuxième lecture.
Les autres dispositions techniques ou de conséquence ne soulevant pas de
difficultés, notamment tous les articles des premiers chapitres du droit des
successions, le texte du Sénat ayant été retenu, les droits successoraux des
enfants adultérins étant, bien entendu, alignés sur ceux des enfants naturels -
dès la première lecture, nous étions en accord avec l'Assemblée nationale sur
ce point - il a paru que cette disposition devait s'appliquer aux successions
n'ayant pas encore donné lieu à partage avant la date de publication de la loi.
Il était important, en effet, s'agissant de nouveaux droits accordés aux
enfants adultérins, de préciser la date d'entrée en application de notre
dispositif, étant rappelé que des dispositions comparables ont été prises dans
d'autres cas.
Bien que l'on puisse déplorer que l'ensemble du droit des successions n'ait
pas pu être révisé dans sa totalité - pourtant, trois projets de loi quasiment
identiques lui ont été consacrés ! - il n'en demeure pas moins que le problème
des droits du conjoint survivant, qui était le plus difficile à résoudre,
trouve dans la proposition de loi ainsi rédigée une solution qui nous paraît
équilibrée.
Certes, elle pourra sembler à certains complexe ; mais les notaires,
notamment, sont tellement habitués à la complexité des droits de succession que
cela ne leur posera aucun problème ! Cependant, elle tient compte autant que
faire se peut de la diversité des situations. Le texte vise à garantir si
possible, en dehors de toutes dispositions testamentaires ou de libéralités,
des conditions d'existence décentes pour le conjoint survivant et, au moins, le
droit au logement, qui est la moindre des garanties au décès de l'un des
époux.
C'est pourquoi il vous est proposé d'adopter la proposition de loi dans le
texte établi par la commission mixte paritaire. Nous avons eu tout à l'heure
l'heureuse surprise de voir le texte proposé par la commission mixte paritaire
sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif aux
chambres régionales des comptes et à la Cour des comptes adopté à l'unanimité
du Sénat. Sur un sujet qui concerne nombre de nos concitoyens, notamment les
veufs et les veuves, l'unanimité de notre assemblée serait également la
bienvenue.
(Applaudissements.)
M. René Garrec,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Très bien
!
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd'hui une
dernière fois pour débattre de la proposition de loi relative aux droits du
conjoint survivant et des enfants adultérins.
Je me félicite de voir aboutir ce texte grâce à l'accord trouvé entre les deux
assemblées en commission mixte paritaire, et je salue la qualité du travail
parlementaire.
Ce succès, vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, est dû à plusieurs
facteurs.
Vous avez accepté que la réforme immédiate de l'ensemble du droit des
successions ne soit pas réalisée à l'occasion de ce texte. C'était une solution
de sagesse. En effet, une telle réforme suppose du temps, et les impératifs du
calendrier parlementaire nous en privaient ; même si j'entends bien que, depuis
le temps qu'on en parle,...
En outre, l'urgence commandait d'intervenir pour améliorer les droits du
conjoint survivant et mettre un terme aux inégalités successorales subies par
les enfants adultérins.
Sur ces deux points, tant les attentes de nos concitoyens que les exigences
européennes ne nous permettaient pas de différer plus encore le débat.
Sur votre initiative - et c'était une bonne initiative - la commission mixte
paritaire a toutefois retenu des modifications textuelles complémentaires
importantes qui portent principalement sur les conditions requises pour
succéder et sur la preuve de la qualité d'héritier.
Ces évolutions, parfaitement conciliables avec les objectifs de la proposition
de loi, modernisent heureusement notre droit.
Alors que la question du statut successoral des enfants adultérins a
immédiatement donné lieu à un accord, la mise en oeuvre technique de
l'amélioration des droits du conjoint survivant a suscité des divergences entre
les deux assemblées, notamment au sujet de l'usufruit.
De prime abord, je n'étais pas favorable à ce que le conjoint survivant puisse
recevoir des droits en usufruit, comme vous le proposiez. Ce système me
paraissait, en effet, présenter plus d'inconvénients que d'avantages dans
certaines situations : je pensais plus particulièrement au cas où le veuvage
est précoce, l'usufruit étant alors appelé à durer très longtemps, et à celui
où la composition du patrimoine rend difficile le démembrement de la
propriété.
La commission mixte paritaire s'est accordée pour donner au conjoint survivant
la possibilité de choisir d'hériter en usufruit lorsque le défunt ne laisse que
des enfants issus des deux époux. Ce choix ne risque alors pas de porter
préjudice à des enfants issus d'une précédente union.
Une telle solution répond aux préoccupations que j'avais exprimées et
présente, en outre, l'avantage, il est vrai, de prendre en compte la diversité
des situations patrimoniales et familiales pour apporter à chaque cas une
réponse adaptée, et je salue donc votre clairvoyance.
En ce qui concerne l'assiette des droits du conjoint survivant, la commission
mixte paritaire a également retenu la solution préconisée par votre assemblée :
les droits ne porteront que sur les biens existants ; ainsi, les descendants
n'auront pas à supporter les droits du conjoint sur les biens qui leur auront
été donnés par le défunt.
Restait une dernière question délicate : fallait-il systématiquement
privilégier le conjoint par rapport aux frères et soeurs du défunt, comme le
souhaitait l'Assemblée nationale, ou répartir la succession entre eux, système
qui avait votre préférence ?
La commission mixte paritaire a retenu une solution médiane qui a l'avantage
de ménager les intérêts de chacun : les biens de famille reçus à titre gratuit
des père et mère du défunt, s'ils existent toujours en nature, se partageront
par moitié entre le conjoint survivant et les frères et soeurs.
L'unanimité obtenue sur ce texte me satisfait profondément.
Il ne reste aujourd'hui que quelques dernières modifications purement
techniques à apporter et un point à clarifier pour assurer la parfaite
cohérence du texte adopté par la commission mixte paritaire.
Le texte issu de la commission mixte paritaire est un texte d'équilibre qui
répond aux préoccupations de nos concitoyens.
Je souhaite rendre hommage au travail que vous avez accompli, tous ensemble,
au cours des débats, avec l'aide précieuse de votre commission des lois, dont
je salue particulièrement le nouveau président.
Je remercie également M. Jean-Jacques Hyest, le nouveau rapporteur, qui a dû
travailler dans l'urgence. Je mesure combien il est difficile de reprendre un
texte en voie d'achèvement, et j'ai conscience de l'investissement que cela
suppose, même si son élaboration avait été particulièrement bien engagée par M.
About.
Une fois de plus, monsieur Hyest, vous avez oeuvré avec talent et largement
contribué au succès de la commission mixte paritaire ; vos collègues de
l'Assemblée nationale l'ont d'ailleurs souligné à la tribune hier soir.
(M.
Lorrain applaudit.)
La loi que vous allez voter manifeste le souci essentiel de permettre à chaque
foyer de bénéficier d'un dispositif souple, ménageant les intérêts et la
liberté de chacun, et respectant enfin la place que chacun des enfants du
défunt et son conjoint survivant doivent légitimement avoir dans sa
succession.
Je remercie l'ensemble des sénateurs et l'ensemble des députés, qui ont
conduit ce travail avec beaucoup de finesse. Nos concitoyens apprécieront la
façon dont ont été menés les débats, même si nul n'est jamais parfaitement
satisfait. Il s'agit en tout cas d'un texte d'équilibre, et je vous en remercie
chaleureusement.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement,
lorsqu'il examine après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la
commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur
l'ensemble du texte.
Je donne lecture du texte de la commission mixte paritaire :