SEANCE DU 29 NOVEMBRE 2001
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Nous examinons cet après-midi un
budget sur lequel un jugement désapprobateur peut être porté. Mais cela ne
signifie pas, monsieur le ministre, qu'un tel jugement doit nécessairement être
porté sur la politique générale de votre ministère.
En fait, la commission des finances recommande un vote contre votre budget
parce que celui-ci n'est pas adapté à la politique étrangère que vous-même,
selon votre propre discours et celui que tiennent les hautes autorités du pays
- discours que nous approuvons - entendez mener.
Les moyens de votre politique ne vous sont pas donnés, monsieur le ministre,
et nous ne voulons pas accréditer l'idée selon laquelle les chiffres qui sont
inscrits à votre budget correspondent à vos voeux.
Nous saluons très sincèrement la manière dont vous concevez votre rôle et, en
votant contre ce budget, nous avons même l'impression de vous aider à faire en
sorte que les crédits soient enfin au niveau du discours que vous êtes appelé à
tenir au nom de la France. N'avez-vous pas admis tout à l'heure que les budgets
successifs du ministère des affaires étrangères étaient plutôt mauvais ?
Les compétences qui sont celles de la commission des finances sont limitées
puisqu'elles sont d'abord budgétaires ; elles l'amènent à examiner des chiffres
et à se fonder sur eux, et sur eux seulement, pour définir sa position. Nous ne
pouvons nous en remettre sans cesse à des déclarations d'intention. Faisant
plutôt confiance à votre personne, à écouter vos déclarations, nous pourrions
être tentés, c'est vrai, de voter votre budget, comme nous l'avons fait les
années précédentes, mais nous ne saurions nous contenter, année après année, de
discours. Pour ce qui est du concret, l'analyse qui a été faite par nos
rapporteurs spéciaux parle d'elle-même.
Avant de conclure, j'insisterai sur deux points.
Je soulignerai d'abord que ce budget des affaires étrangères s'inscrit au fond
dans la dérive générale de la politique budgétaire menée au cours de cette
législature, qui a consisté à privilégier les moyens de fonctionnement au
détriment des moyens d'investissement à plus long terme, en l'occurrence les
moyens d'intervention à l'extérieur.
Hélas ! Les chiffres sont sans équivoque. Le tiers du budget des affaires
étrangères est aujourd'hui consacré au fameux agrégat « personnel, moyens de
fonctionnement, équipement des services ». Plus généralement, si l'enveloppe
globale des crédits d'action extérieure de la France a régressé au cours de la
législature, celle de l'« animation des services » a progressé. Or vous n'êtes
pas le ministre de l'animation : vous êtes le ministre des affaires étrangères
de la France, qui est un grand pays, dont la place est importante pour
l'équilibre dans le monde.
Par ailleurs, pour essayer de lutter contre cette dérive, nous avons réformé
l'ordonnance organique. Cela prouve que le Sénat se détermine non en fonction
du calendrier électoral mais selon ce qui lui apparaît comme l'intérêt de la
France, ainsi que vous nous y avez appelés.
Cette réforme prévoit en effet que les budgets devront dorénavant non plus
être construits et présentés autour des seuls moyens des ministères, mais
traduire fidèlement les objectifs du Gouvernement, et donc la politique qu'il
entend mener. Il s'agira, en d'autres termes, de faire du budget un instrument
de la politique et non plus seulement son objet.
Le budget que vous nous présentez aujourd'hui, monsieur le ministre, n'est pas
conforme à cette nouvelle définition. C'est la raison pour laquelle la
commission des finances, en conscience, a décidé de le rejeter.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte.
J'interviens non pas pour rejoindre les critiques suffisamment formulées par
ailleurs, mais pour suggérer l'utilisation de nouvelles technologies en liaison
avec les industriels, les associations, les ONG et les fondations afin,
conformément à la tradition française d'aide aux pays en développement, de
tenter de réduire la fracture, immorale, dangereuse et tout particulièrement
inquiétante, entre les riches et les pauvres. Je pense notamment à la fracture
numérique.
Les chiffres sont dramatiques : dans les pays dits en voie de développement,
on compte trois accès Internet pour mille habitants, moins d'un téléphone pour
mille habitants en zone rurale. Ce fossé numérique les marginalisera-t-il
encore plus ?
Le pire n'est pas certain. Comme en témoignent beaucoup d'industriels,
d'associations villageoises, de cybercafés, dans ces pays, la demande est très
forte. Les services qui représentent la France à l'étranger - en particulier
les vôtres, monsieur le ministre - pourraient probablement, et même
certainement, avec l'appui des ONG, des industriels, des associations diverses,
mener un véritable combat contre cette fracture numérique.
De multiples bonnes volontés ont préparé le terrain. C'est ainsi que la
fondation Sophia Antipolis, soutenue par des industriels, des collectivités
locales, différents ministères, dont le vôtre, forme des cadres étrangers
depuis des années. Elle a passé des conventions avec la Tunisie, le Brésil et
bien d'autres pays d'Europe, d'Asie ou d'Afrique pour diffuser des services
adéquats, notamment par voie satellitaire.
Récemment, le directeur de développement d'Alcatel nous a cité cet exemple.
On a demandé, nous a-t-il rapporté, à une responsable d'association d'un
village au Burkina Faso si elle choisirait en priorité un puits d'eau douce
pour son village ou un accès Internet. Elle a répondu sans hésiter que sa
priorité c'était l'accès à Internet, parce qu'il lui permettrait de prendre
contact avec d'autres villages qui auraient pu résoudre ce problème d'eau
potable ou de solliciter des associations et des ONG qui aideraient à financer
le forage d'un puits.
D'autres expériences ont été réalisées, notamment au Bangladesh, avec ce qu'on
appelle des
Phones Ladies
, à qui on loue des téléphones portables. Grâce
à ce système, 5 000 emplois directs ont été créés. D'ici à quelques années, 50
000 villages indiens auront été connectés sans investissement considérable,
simplement grâce au chiffre d'affaires que ce système génère lui-même. Il y a
donc des quantités de possibilités.
Je pense qu'il faudrait, comme il y a vingt ans avec les volontaires pour la
formation à l'informatique, lancer une campagne active pour inciter les jeunes
à suivre des stages. Quantité de jeunes ingénieurs et médecins ne demanderont
pas mieux que d'y participer, afin de perpétuer la tradition humanitaire de
notre politique extérieure de la France.
(M. Pelletier applaudit.)
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au début du
siècle dernier, Emile Combes, président du Conseil, dont on a retenu le nom à
l'occasion du vote de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat, mais qui
avait d'autres qualités, disait un jour en conseil des ministres, sur une
question de politique étrangère qui venait ainsi inopinément, à ses collègues
ministres : « Laissez cela, messieurs ! C'est une affaire qui relève de M. le
Président de la République et de M. le ministre des affaires étrangères. »
Cet état d'esprit sous la IIIe République, qui était tout de même une
République très parlementaire - sans doute plus que la nôtre aujourd'hui - a
sans doute fondé la tradition selon laquelle on vote toujours les budgets
régaliens de la défense et de la politique extérieure. En effet, ce débat - et
je n'ai d'ailleurs pas entendu beaucoup de critiques sur la politique
extérieure de la France - dépasse de beaucoup les clivages traditionnels. Et
l'on se dit qu'au fond, content ou pas content, on ne prive pas l'exécutif des
moyens qu'il demande, quoi que l'on en pense.
La politique étrangère, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, fait, je
crois, quasiment l'unanimité, comme votre politique, monsieur le ministre,
votre personne, cette manière de faire qui est la vôtre, cet amour de la France
- parce que je vous connais un peu - que vous ont appris vos parents, courageux
dans la Résistance, et que vous a appris aussi, celui qui nous a fait, vous et
moi, ce que nous sommes, dont vous ne trahissez ni les leçons ni le message et
dont vous ne reniez rien.
Par conséquent, nos critiques, justifiées à mon avis, ne vous visent pas. Pour
ma part, je conserverai de votre passage au ministère - que j'espère le plus
long possible - un bon souvenir parce que je considère que vous êtes un bon,
même un remarquable ministre des affaires étrangères.
Les critiques de nos commissions, notamment celles de la commission des
finances, visent, en fait, à vous aider à obtenir mieux et, finalement,
monsieur le ministre, elles ne sont pas nouvelles. Voilà des années que nous
déplorons, même sous les gouvernements précédents, la manière dont les moyens
évoluent ou n'évoluent pas, voire évoluent mal.
Je dois dire cependant que proposer cette année au Sénat de supprimer le peu
qu'il vous reste me paraît une curieuse réaction.
(M. le rapporteur général
sourit.)
Notre critique, mes chers collègues, ne doit pas nous conduire,
même de bonne foi - et nous le sommes sans doute tous - à placer la France dans
l'impossibilité d'être présente dans le monde et de diffuser le message de la
République auquel nous tenons tous tant.
Par conséquent, la logique et la tradition républicaine, quoi que l'on en
pense, c'est de voter les crédits des affaires étrangères.
J'ajoute, pour avoir connu deux de ces périodes - et Hubert Védrine en vit la
troisième aujourd'hui - qu'en cohabitation, s'en prendre au Gouvernement, c'est
aussi s'en prendre au Président de la République et ce n'est pas convenable
parce que devant nos assemblées, il est irresponsable constitutionnellement.
J'ajoute que l'Assemblée nationale, de toute façon, rétablira les crédits si
nous devons les supprimer. Donc, c'est un coup d'épée dans l'eau.
Mes chers collègues, le monde est en crise et la France a un rôle à jouer dans
cette crise. Hubert Védrine nous a dit tout à l'heure d'une façon très
convaincante quel rôle moral, quel rôle d'influence, quel rôle d'impulsion,
elle joue en la matière. De même qu'on ne prive pas des moyens de se battre nos
soldats au front, on ne doit pas, à mon avis, priver nos soldats diplomates,
vous, monsieur le ministre, le Président de la République et le Premier
ministre, des moyens qu'ils demandent.
Malgré mes critiques sévères, dont je ne renie rien, j'avais proposé à la
commission des finances de recommander - quand même - de voter votre projet de
budget ; je parle des mesures nouvelles, étant entendu que la question des
services votés est déjà réglée. Elle ne m'a pas suivi. Ce matin, j'ai rapporté
loyalement en ce sens.
Mais notre passé commun, monsieur le ministre, nous a appris trop de choses
pour que je suive cette recommandation et, à titre personnel, mais bien sûr
avec mon groupe, je voterai les crédits que vous nous demandez.
(Mme ben
Guiga et M. Penne applaudissent.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes
chers collègues, la position recommandée par la commission, et qui a été
défendue avec brio et talent par le président et le rapporteur spécial, n'est
pas, à la vérité, une position spécifique au département des affaires
étrangères.
Elle veut surtout dire notre insatisfaction vis-à-vis du partage de l'effort
public, de la dépense publique entre ce qui est au coeur des responsabilités de
l'Etat et ce qui, à notre sens, est plus périphérique. C'est une contestation
de principe, de la part de la commission des finances, des conditions dans
lesquelles les arbitrages de moyens - et non d'objectifs - sont rendus.
Les priorités qui s'inscrivent - que le ministre le veuille ou non, c'est une
réalité - dans les chiffres du projet de budget pour 2002 ne sont pas conformes
à la vision que nous avons des choses et, en particulier, à la vision que nous
avons des fonctions régaliennes de l'Etat.
Il est d'ailleurs bon que nous commencions l'examen des fascicules
ministériels par le budget régalien par excellence, le vôtre. La position qui
est suggérée aujourd'hui, conforme à celle qui sera suggérée pour l'intérieur,
pour la justice, traduit notre insatisfaction.
Un seul exemple suffit à démontrer cela, monsieur le ministre : la totalité de
la somme qui va être consacrée, en 2002, à compenser le surcoût pour les
entreprises privées de la réforme - à notre sens désastreuse - des 35 heures
représente environ 120 milliards de francs, qui se situent un peu partout, à
cheval entre les prélèvements obligatoires affectés à la loi de finances et
ceux qui sont affectés à la loi de financement de la sécurité sociale. Par
rapport à cette somme, je n'aurai pas la cruauté de commenter le budget des
affaires étrangères...
C'est vis-à-vis d'une telle organisation des masses financières issues du
prélèvement obligatoire que se situe notre réaction et, bien entendu, il ne
faut pas déplacer, dévier ou interpréter ce débat.
Certes, l'effort de la France dans les circonstances internationales que nous
connaissons doit être soutenu, mais les choses sont parfois étranges dans les
commentaires, étranges aussi lorsqu'on réfléchit à certains épisodes du
passé.
De manière un peu ironique, je rappellerai qu'aujourd'hui il est dans la
République un haut personnage qui se présente comme le parangon du patriotisme.
Mais tout le monde semble avoir oublié qu'il a démissionné au moment où notre
pays entrait dans un conflit.
M. Guy Penne.
C'est hors débat !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Mes chers collègues, si l'on revient à ce débat, la
vision de la majorité sénatoriale en ce qui concerne ce budget est claire et
cohérente ; elle porte sur l'organisation des priorités et elle appelle le
rejet des crédits du ministère des affaires étrangères.
(Applaudissements
sur les travées du RPR.
-
M. le président de la commission des finances
applaudit également.)
M. le président.
Je mets aux voix les crédits figurant au titre III.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des
finances et de la commission des affaires étrangères.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Nombre de votants | 319 |
Nombre de suffrages exprimés | 315 |
Majorité absolue des suffrages | 158 |
Pour l'adoption | 112 |
Contre | 203 |
M. le président. « Titre IV : 4 036 258 euros. »