SEANCE DU 1ER DECEMBRE 2001


M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant les crédits relatifs à la communication : crédits du Conseil supérieur de l'audiovisuel, d'aides à la presse et à l'audiovisuel inscrits aux services généraux du Premier ministre ; article 47 et lignes 38 et 39 de l'état E annexé à l'article 43.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Claude Belot rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est une grande chance que de pouvoir évoquer en ces lieux, plus qu'en d'autres, la pensée, l'information, l'image, la beauté !
Commentant les crédits de la presse, un grand hebdomadaire satirique a parlé d'« aide exceptionnelle », qui s'élève à 7,2 % cette année, sans faire de rapprochement avec quelque échéance que ce soit.
Quant aux responsables de presse que je rencontre, ils estiment que, si le système est, dans la pratique, d'une complexité extraordinaire, ils ont avec le temps, acquis le savoir-faire nécessaire, et que les aides qui leur parviennent présentent un caractère globalement satisfaisant.
Ils expriment cependant une revendication qui porte sur le mauvais fonctionnement du fonds de modernisation de la presse. Il est vrai que, si l'on se penche sur les chiffres, on ne peut qu'être surpris par la situation quelque peu exceptionnelle, sur le plan financier, que l'on découvre.
Vous le savez, il s'agit d'un compte d'affection spéciale alimenté par une taxe sur certaines dépenses de publicité « hors médias ». Les crédits inscrits pour l'an 2000 se sont élevés à 159 millions de francs ; cette année, ils seront de l'ordre de 190 millions de francs. Mais je relève que le fonds dispose actuellement de 392,7 millions de francs de crédits de report, soit l'équivalent de six années de consommation effective ! Comme le ministre des finances, mes chers collègues, nous aimerions tous avoir la même somme !
Une telle situation n'est pas convenable, et les responsables de presse ont fait une proposition pour y remédier : il suffit de transformer les avances remboursables en subventions définitives ! C'est en tout cas leur revendication principale.
Vous le savez, une telle solution n'est guère saine : ou bien il s'agit d'un fonds de modernisation, et l'on traite le problème de la presse comme on traite ceux des autres entreprises, en lui apportant une aide dans des conditions de financement exceptionnelles et peu coûteuses ; ou bien l'on change de logique et l'on se met à subventionner, ce qui n'est pas conforme, je crois, aux traités européens. La commission des finances du Sénat n'y est pas favorable.
J'aborderai un autre sujet qui, bien que récurrent, a pris une acuité particulière depuis 1998.
Nous vivions depuis bien longtemps dans un système dans lequel l'Etat contrôlait tout, décidait qui payait quoi. Tant et si bien que les frais de portage sont assumés, aujourd'hui, essentiellement par La Poste et par la SNCF.
La Poste n'est pas dans une situation aussi brillante que nous le souhaiterions, mais elle n'est pas en difficulté ; la SNCF, si. Et si le tonnage transporté a baissé de 20 %, les sommes attribuées à la SNCF ont été arbitrairement diminuées de plus de 60 % par Bercy. Jusqu'en 1998, le système en vigueur était celui du paiement à la tâche. Depuis a été instauré un système largement forfaitaire, mais qui va déclinant, puisque l'on est passé de près de 210 millions de francs à moins de 100 millions de francs.
Cela ne fait évidemment pas l'affaire d'une entreprise en sérieuse difficulté, à laquelle on reproche par ailleurs de ne pas équilibrer ses comptes : elle rend des services à la nation, mais elle n'a pas à le faire gratuitement, et ce service devrait être justement rémunéré ; il ne l'est pas, car la contrepartie accordée à la SNCF est très inférieure au prix de revient de la prestation. La gestion de cette question, madame la ministre, n'est guère orthodoxe et n'est pas conforme à l'usage actuel.
Un autre problème récurrent est celui de la distribution très matinale, sur tout le territoire, de tous les titres de la presse nationale, conformément aux prescriptions de la loi Bichet.
Ce système de distribution est en grande difficulté, car il n'est plus adapté aux conditions actuelles. Et si je souscris totalement à la nécessité que les Français connaissent toute la diversité de la presse, force est de reconnaître que la distribution ne fonctionne pas de façon convenable ; pis, la situation se détériore.
Un titre national qui n'est pas en place au point de vente à neuf heures du matin ne se vendra guère. Or, pour citer un exemple que je connais moins mal que d'autres, les journaux vendus à La Rochelle transitent d'abord par Toulouse. Inutile de vous dire qu'ils parviennent rarement à l'heure et qu'un grand nombre d'invendus est consciencieusement remis, le lendemain matin, aux diffuseurs. Les limites de l'absurde sont parfois atteintes !
J'entends beaucoup de doléances de la part des marchands de journaux et diffuseurs de presse qui, recevant très tardivement certains journaux, doivent, le matin, répondre aux clients que tel titre n'est pas arrivé comme les autres et, le lendemain, en renvoyer presque tous les exemplaires.
Il faut voir la vérité en face : aujourd'hui existe la possibilité de télétransmettre instantanément les grands titres et de les imprimer près du lieu de vente. Il faudra, un jour ou l'autre, en tenir compte.
Je souhaite, madame le ministre, que vous réfléchissiez à l'avenir du système actuel, qui a le grand mérite d'exister, mais dont on peut se demander s'il n'a pas fait son temps.
J'aborderai, enfin, le problème de l'Agence France Presse, dont on parle beaucoup en ce moment et qui vient d'arrêter ses comptes.
J'ai commencé le contrôle sur pièces et sur place de son activité, et j'ai rencontré - c'est tout à l'honneur de cette entreprise - des équipes qui font un travail exceptionnel, loin de France, en particulier celle qui, à Hong Kong, se mobilise, sous la direction de Pierre Lesourd, pour que soit connu le regard de la France sur le monde. J'ai également eu la bonne surprise de constater que cette équipe de l'AFP était prépondérante dans sa région : à elle seule, elle représente plus de 50 % du marché de l'information dans le grand ensemble asiatique, puisque sa zone d'activité va de l'Afghanistan au Japon, en passant par l'Australie et Singapour. Il s'agit donc d'une superbe entreprise !
Quel décalage, madame la ministre, entre ce que l'on constate loin de France et en France !
C'est un vrai sujet : cette entreprise sans statut actualisé, sans capital, dont les clients siègent au conseil d'administration, doit - c'est sa seule chance en l'état actuel des choses - retirer les bénéfices de ses activités lointaines pour financer ses activités françaises.
J'ai le sentiment que le système est en bout de course. Je le dis solennellement, tout en sachant que cela peut ne pas faire plaisir à la presse, qui administre elle-même le service, mais ne le vend pas à son juste prix.
Il faut donc engager une réflexion afin que l'AFP devienne une entreprise comme les autres, qui, comme ses concurrents, équilibre ses comptes avec ses seules recettes, ce qui implique que, en France comme ailleurs, le service soit vendu à son juste prix.
Je suis convaincu que l'AFP a des ressources humaines et une force interne - je n'aurais pas dit cela, il y a un an, parce que je n'étais pas allé voir sur place - qui lui permettront de faire des choses exceptionnelles.
L'AFP est un atout pour la France et il faut donc lui donner ses chances en la dotant des structures adaptées.
Je sais que la presse est un monde difficile à faire évoluer parce qu'il a ses habitudes, madame la ministre, mais il faut que vous vous attachiez à le réformer, dans l'intérêt de notre pays et de la presse elle-même.
Ce projet de budget ne soulève pas notre hostilité, au contraire - nous serions tentés de nous en remettre à la sagesse du Sénat -, mais il connaîtra le sort réservé aux crédits des services généraux du Premier ministre, c'est-à-dire, sans doute, un sort défavorable. Sans hostilité donc, je souhaitais attirer votre attention sur des sujets importants.
J'en viens maintenant à un autre sujet d'importance : l'audiovisuel.
Je veux rappeler quelle est la philosophie tant de la commission des finances que du groupe de travail que j'ai eu l'honneur de présider.
Ce groupe de travail a rencontré, pendant des mois et à de nombreuses reprises, les responsables de l'audiovisuel à un moment où ce secteur bougeait extrêmement vite. Il a, à l'unanimité, exprimé son attachement à l'existence d'un audiovisuel public fort.
Il a donc souhaité, et la commission des finances avec lui, que l'audiovisuel public dispose de moyens de fonctionnement suffisants pour exister dans un monde où les problèmes qu'il rencontre se posent parfois en termes tout simplement existentiels !
Je pense, par exemple, à cette triste affaire qu'a évoquée Mme la ministre de la jeunese et des sports ce matin : les droits du Mondial. J'en ai discuté, il y a quelques jours, avec Marc Tessier, à qui j'ai demandé ce qu'il comptait faire. Il m'a dit la simple vérité : « Je n'ai pas les moyens de suivre ! »
Vous avez paraît-il, madame la ministre, en tout cas la presse l'a dit - peut-être était-ce fondé, même si elle ne dit pas toujours la vérité -, « piqué » une belle colère. (Mme le ministre fait un signe de dénégation.)
Il ne faut pas se voiler la face : les budgets de l'audiovisuel public deviennent extrêmement faibles par rapport à ceux de la concurrence privée, et il ne sert à rien d'espérer un miracle dans ce domaine. Je le redis, il faut voir la réalité en face. Tous les discours incantatoires n'y changeront rien : même s'il y a des aléas boursiers, la capitalisation des grands groupes français de l'audiovisuel représente des sommes des centaines de fois supérieures à celles que pourrait recevoir France Télévision. Ainsi, une augmentation - facile à réaliser - de 1 % du capital drainerait plus de fonds que n'en rapportent les droits audiovisuels du Mondial.
Les recettes publicitaires ont été exceptionnellement bonnes en 2000. Elles sont en train de fléchir, et tout le monde est touché, mais elles n'en auront pas moins été très supérieures en 2001 à ce qu'elles étaient en 1999.
Pour l'audiovisuel public, les recettes proviennent de la redevance et de la publicité.
Or il a été choisi - on peut en discuter, mais c'est ainsi - de limiter le nombre d'écrans publicitaires. Ce choix est celui de la qualité, mais il n'a pas entraîné un accroissement de l'audience et il a pour conséquence la diminution des moyens de France Télévision, en particulier de France 2 et de France 3.
Quant à la redevance, elle évolue comme elle peut !
Elle a été dynamique pendant des années parce que le Sénat a eu le courage de dire un jour que les fichiers de la taxe d'habitation et de la redevance de télévision devaient être recoupés, décision qui a été prise en 1993 et dont les effets ont été très rapidement perceptibles.
Aujourd'hui, ces effets se tassent. Or, on parle maintenant de ne pas augmenter la redevance au-delà d'un certain seuil, ce qui peut se comprendre, voire - et c'est un débat qui est entretenu à l'Assemblée nationale par la majorité qui vous soutient - de supprimer la redevance !
Ce n'est pas du tout dans cette logique que nous nous situons. La commission des finances et le groupe de travail sur l'audiovisuel estiment, au contraire, qu'il est indispensable, dans un esprit de liberté, qu'une recette soit affectée à l'audiovisuel public et que celui-ci dispose des moyens nécessaires à son fonctionnement.
Je crois que c'est aussi votre position, madame la ministre, et vous trouverez au Sénat des gens pour vous soutenir.
J'ai effectué un contrôle sur pièces et sur place au service de la redevance, à Rennes. J'y ai rencontré des fonctionnaires qui faisaient bien leur métier et qui étaient très motivés. On ne leur reproche qu'une chose : un taux de recouvrement d'environ 3,5 %.
Mais quel est le taux de recouvrement de l'impôt local ? Selon l'Etat, il serait de 7 %, ce qui correspond exactement au taux de l'impôt. Plus le montant de l'impôt est faible et plus le coût du recouvrement est élevé, en pourcentage du moins, c'est évident.
Madame la ministre, quelles que soient les modalités retenues pour la redevance, de grâce, faites en sorte que cesse ce débat et obtenez qu'une recette continue à être affectée à l'audiovisuel public. Sinon, après le Mondial, ce sera le tennis, puis toutes les grandes manifestations qui y passeront !
J'espère par ailleurs que vous n'avez pas donné votre aval à la décision qui vient d'être publiée au Journal officiel du 22 novembre.
Nous avions conduit, dans ces lieux, un combat pour que la recette de la redevance, qui est donc une recette affectée, ne soit pas captée par Bercy et fondue dans le budget commun. J'ai souvenir d'un combat commun avec Mme Pourtaud, il y a deux ans et l'an dernier, pour que les excédents de la redevance, excédents qui avaient été constatés et dont nous avions connaissance, soient affectés à l'usage prévu et ne soient pas « banalisés ». En loi de finances rectificative, nous avions obtenu gain de cause.
Prenons garde à ce que nous faisons. Le projet de loi de finances pour 2001 a exonéré de la redevance les personnes non imposables âgées de plus de soixante-dix ans. L'Assemblée nationale vient, en première lecture du présent projet de loi de finances, de décider d'étendre l'exonération aux personnes de plus de soixante-cinq ans : l'engrenage qu'elle a ainsi enclenché se retournera contre l'audiovisuel public.
L'Etat, pour la première fois, il faut le savoir, a opéré une diminution des crédits de 120 millions de francs, ce qui n'est pas rien : c'est presque le montant de ce que nous avions réussi à affecter à l'audiovisuel public, il y a deux ans, en loi de finances rectificative. Bercy a en effet estimé que le montant des exonérations figurant en loi de finances initiale avait été exagéré et qu'il fallait donc le diminuer.
C'est cela, madame la ministre, qui figure au Journal officiel du 22 novembre, et j'espère, je le répète, que vous n'avez pas donné votre aval à cette opération - vous nous le direz tout à l'heure - car vous seriez alors complice d'une mauvaise action à l'encontre de l'audiovisuel public.
C'est la parade de Bercy à la manoeuvre que nous avons réussie il y a deux ans et l'an dernier. Maintenant, nous sommes « coincés » : Bercy pourrait être en mesure d'utiliser les excédents de recettes de redevance pour compenser ses réductions de crédits ; en d'autres termes, il n'y aura donc plus d'excédents !
Un peu de travail nous attend donc en loi de finances rectificative pour tenter de dégager des moyens pour l'audiovisuel public.
Je veux, enfin, évoquer quelques sujets d'actualité.
Le numérique de terre a été adopté au Parlement : c'est une décision de la nation. Il ne faut pas qu'il se développe dans l'ambiguïté. Or il y a un grand nombre de zones d'ombre.
S'agissant du calendrier, tout d'abord, on nous dit que le démarrage aura lieu dès 2002-2003, mais pour qui ? Pour les grands émetteurs ? On sait qu'à cause du relief l'introduction de la télévision analogique en France a exigé des années. En outre, l'installation des nombreux réémetteurs locaux nécessaires n'est que très partiellement prévue sur les dix prochaines années. Je tiens cette information d'EDF, à qui j'ai demandé de me communiquer ses prévisions. Contrairement à ce qui a été dit, de très nombreux Français - et pas seulement ceux qui habitent dans le Massif central ou dans les Alpes - ne pourront pas recevoir le numérique de terre pour des raisons techniques. Ce n'est pas très encourageant !
Il faut aussi avoir le courage de se demander pourquoi, en Grande-Bretagne et en Suède, le numérique de terre est une catastrophe financière. En Espagne, on n'a pas trouvé d'opérateurs en nombre suffisant. Pour quelles raisons ?
On doit se poser la question si l'on ne veut pas commettre les mêmes erreurs, et je crois qu'il est très urgent de le faire, madame la ministre.
Aujourd'hui, parmi ceux qui soutiennent le numérique de terre, il y a bien sûr vous, madame la ministre, mais vous avez peu de moyens. On a estimé qu'il fallait 1 milliard de francs, vous n'avez obtenu que 350 millions de francs, dont je précise qu'ils ne figurent nulle part - en tout cas, je ne les ai pas trouvés - dans le projet de budget.
Il y a aussi la télévision publique, mais Marc Tessier m'a dit - et je crains qu'il n'ait raison - que les opérateurs des bouquets satellitaires et du câble ne laissaient pas à celle-ci la place qui lui revenait.
Aujourd'hui, 4,5 millions de foyers, soit environ 15 millions de personnes, reçoivent le numérique de terre. Il faut faire la part des choses entre les voeux de l' establishment, qui trouve, bien sûr, que l'ordre établi est le meilleur, ceux des « aspirants » - on sait qui ils sont - et ceux de la télévision publique. Si celle-ci est, comme le dit Marc Tessier, maltraitée et n'a pas la place qui lui revient, vous savez, madame la ministre, que nous avons le moyen législatif de régler cette affaire et, pour ma part, je vous soutiendrai.
Il faut que les chaînes publiques soient reçues sur le câble et sur le satellite à la place qui leur revient, c'est-à-dire pas en trois cent vingt-deuxième position ! Il faut résoudre ce problème parce que le numérique terrestre ne peut, dans l'immédiat, être la solution, d'abord parce que la TNT n'arrivera pas tout de suite dans les foyers, ensuite parce qu'elle n'y arrivera que très partiellement. Dans combien de temps en effet la TNT sera-t-elle une réalité sur tout le territoire français ? Dans longtemps !
C'est une première zone d'ombre.
Il y en a une autre : le frein mis au développement d'une vraie télévision de proximité. Il faut le savoir, nous sommes l'une des dernières grandes démocraties sans télévision de proximité véritable. On l'a vu pendant les municipales - c'était peut-être intéressant pour les Parisiens, les Lyonnais ou les Marseillais, mais un peu pitoyable - on nous a abreuvés de toutes les informations possibles et imaginables sur Paris, Lyon et Marseille, à croire qu'il n'y avait d'élections que dans ces trois villes ! S'il y avait eu une télévision de proximité, les choses auraient sans doute été différentes.
Je vais assez souvent au Canada, dans la ville jumelle de la mienne : une télévision de proximité y diffuse depuis vingt-trois ans, elle marche remarquablement bien, avec de petits moyens mais beaucoup d'audience. C'est un exemple dont il faudrait nous inspirer.
Quoi qu'il en soit, la télévision numérique de terre n'est pas une télévision de proximité. On nous annonce que trois canaux d'un multiplex lui seront affectés. Mais de tels moyens sont utiles pour couvrir un immense territoire, il ne s'agit pas de télévision de proximité. Ce n'est pas la télévision-miroir à laquelle les gens aspirent.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.
M. Claude Belot, rapporteur spécial. J'en ai presque terminé, monsieur le président. Veuillez m'excusez-moi de m'être quelque peu attardé sur ce sujet, mais il est important.
J'évoquerai enfin l'audiovisuel extérieur, dont la situation n'est pas bonne. Nous disposons de superbes outils, notamment avec RFI ; quant à TV 5, cette chaîne peut sans doute être améliorée, mais elle a le mérite d'exister. Diffuser la voix et l'image de la France dans le monde entier est fondamental, et nous sommes tous très attachés à cette composante de notre action extérieure.
Toutefois, l'évolution de la technique joue contre nous et contre ces entreprises. Ainsi, RFI éprouve de plus en plus de difficultés à trouver des émetteurs en modulation de fréquence, car cela impose de passer des accords locaux. Nous ne sommes plus au temps des grandes ondes et des ondes courtes ! En ce qui concerne TV 5, les rebonds satellitaires fonctionnent parfaitement, mais il faut disposer de diffuseurs au sol, lesquels sont des entreprises privées dans la quasi-totalité des cas. Ainsi, en Malaisie, l'opérateur du bouquet satellitaire a exigé huit millions de francs avant de s'engager. On en arrive alors à une situation absurde où l'on a dépensé beaucoup d'argent afin d'assurer les rebonds satellitaires d'une chaîne que seule l'ambassade de France peut recevoir ! Vous reconnaîtrez avec moi, madame la ministre, que cet état de fait n'est pas satisfaisant et doit absolument évoluer.
En conclusion, l'ambiguïté, l'absence de moyens, le retrait arbitraire de crédits - je vous renvoie à cet égard, mes chers collègues, au Journal officiel du 22 novembre - font qu'il ne m'a pas été possible de proposer à la commission des finances d'apporter son soutien à ce projet de budget. Il est impératif de réussir, d'instaurer la clarté et de ne pas se borner à des formules incantatoires, comme c'est parfois le cas. Telle est, monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la position de la commission des finances du Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles pour la communication audiovisuelle et la presse écrite. Madame le ministre, lors de votre audition par la commission des affaires culturelles, au nom de laquelle j'ai l'honneur de rapporter, vous nous avez indiqué que la croissance des aides à la presse serait, en 2002, de 7,2 % par rapport à l'année précédente, ce qui confirme une forte augmentation depuis 1997.
On peut cependant, à l'instar de M. le rapporteur spécial, présenter les choses différemment. En effet, les aides directes de l'Etat n'augmenteront pas, en françs courants, en 2002, et le taux de croissance important des crédits résulte du fait que la taxe sur la publicité hors médias, qui a été créée par le biais d'un amendement parlementaire en 1998 et dont les recettes sont affectées au fonds de modernisation de la presse, a enfin commencé à rendre ce que l'on en attendait, même si l'on est encore loin du compte.
Si l'on considère le projet de budget comme un instrument permettant de mesurer le volontarisme du Gouvernement à l'égard de la presse, vecteur incontournable de l'expression pluraliste et ouverte à tous, on est en droit de nuancer la présentation des crédits pour 2002 : au travers de l'examen de quelques postes de dépenses, je vais donner l'éclairage de la commission des affaires culturelles sur ces derniers.
En premier lieu, l'aide aux quotidiens nationaux à faibles ressources publicitaires augmentera de 1,2 % en 2002. Compte tenu des très graves incertitudes qui pèsent à court terme sur l'avenir de certains journaux émargeant à cette aide et de la fragilité de ceux-ci, il ne me paraît pas certain que ce dispositif puisse permettre de répondre aux préoccupations de l'heure. La dotation n'est, à mon avis, pas suffisante au regard de la situation de la presse d'opinion.
En deuxième lieu, le fonds d'aide aux investissements multimédias ne recevra aucune dotation en 2002. Voilà au moins qui est clair ! Vous nous avez indiqué, lors de votre audition par la commission des affaires culturelles, madame le ministre, que le Gouvernement estime que les 10 millions de francs de remboursement attendus permettront de répondre aux demandes présentées au titre de ce fonds qui a déjà distribué, depuis 1997, 57 millions de francs.
Je rappelle à tous mes collègues que le fonds d'aide aux investissements multimédias vise à aider les entreprises de presse à faire face aux importantes mutations qui s'imposent à elles dans l'optique de la mise en oeuvre des nouvelles technologies de l'information. Le dispositif d'aide attribuée sur dossier a bien fonctionné, et il me paraît donc regrettable qu'aucun crédit supplémentaire ne soit prévu pour 2002.
En troisième lieu, s'agissant de l'aide au transport spécial de la presse, l'Etat a reconduit pour 2002 sa participation aux frais du transport postal au niveau des exercices précédents, soit 1,9 milliard de francs ou 0,29 milliard d'euros. Ce chiffre correspond, il est vrai, aux engagements pris dans le cadre du contrat d'objectifs de La Poste. L'Etat prolonge son effort pour un an et s'engage, en outre, à ne pas augmenter les tarifs postaux de la presse, dans l'attente de la renégociation des accords entre celle-ci et La Poste.
Cela étant, vous n'ignorez pas, madame le ministre, que l'année 2001 a été quelque peu calamiteuse pour La Poste, marquée partout en France par des distributions et des tournées non effectuées : le président de La Poste, que j'ai rencontré à plusieurs reprises, l'a reconnu. Les résultats de la gestion de l'entreprise publique pour 2001, que nous connaîtrons au cours de l'année 2002, permettront-ils à celle-ci d'assumer la mission de service public dont elle est chargée dans des conditions satisfaisantes pour la presse d'opinion ? Il aurait été souhaitable que l'Etat se saisisse avec d'avantage de détermination de ce dossier crucial. Il n'en a pas été ainsi : c'est un regret que j'exprime au nom de la commission des affaires culturelles.
Si l'on considère ce projet de budget comme un instrument permettant de mesurer la capacité de réaction du Gouvernement devant le contexte économique, culturel et social, on est en droit de se demander si ce dernier ne manque pas de dynamisme et d'imagination.
La situation est en effet préoccupante, et je suis sur ce point plus soucieux que M. le rapporteur spécial. Après deux années satisfaisantes pour tous les médias, l'économie de la presse est affectée, depuis 2001, par une récession des investissements publicitaires dont on ne voit pas comment elle pourrait ne pas se poursuivre au cours de l'année 2002. Ce ralentissement, qui était perceptible bien avant le 11 septembre et qui a même précédé celui de la « net-économie », nous fait redouter une fragilisation accrue de la situation de la presse en 2002.
A cet égard, madame le ministre, vous avez voulu introduire une innovation, que nous avons saluée, dans la gestion du fonds de modernisation de la presse, en affectant une partie de ses ressources à l'aide à la distribution de la presse quotidienne nationale d'information générale et politique, question lancinante que les rapporteurs de la commission des affaires culturelles évoquent chaque année. Les mesures annoncées sont positives, mais elles ont un caractère temporaire, puisque la durée d'application prévue est de trois ans. Or cette aide à la presse parisienne n'aura de sens que si le fonds de modernisation de la presse est utilisé comme un instrument permanent de compensation des surcoûts engendrés par la distribution à flux tendus : tel est, bien sûr, le principe qui a été posé par la loi Bichet.
L'Etat pare intelligemment au plus pressé, sans régler le problème de fond, mais peut-être pourrez-vous nous en dire davantage, madame le ministre, sur les modalités de gestion de cette aide et sur l'objectif qui lui est assigné. La commission des affaires culturelles du Sénat demandera néanmoins à être associée, au cours de l'année 2002, au contrôle et au suivi de l'utilisation de ce fonds.
En outre, j'aurais souhaité que le projet de budget puisse permettre d'apporter d'autres modifications au fonctionnement du fonds de modernisation de la presse. Je pense en particulier que, si cela se révèle nécessaire en 2002, nous devrons créer à partir de ce dernier un fonds d'aide aux quotidiens nationaux à faibles ressources publicitaires, aux objectifs élargis.
J'en reviens ici à la première préoccupation que j'ai exprimée : il ne me semble pas imaginable que des journaux puissent être contraints de cesser leur parution au cours d'une année d'expression politique majeure, marquée par les élections présidentielle et législatives. Je me devais d'insister sur ce point.
Finalement, en ce qui concerne les aides à la presse, vous nous présentez, madame le ministre, un bon exercice comptable, pertinent à bien des égards, sur fond de réutilisation de crédits non consommés, de réaffectation de crédits de fonds en expansion et de redistribution de recettes parafiscales. Tout cela n'est ni très enthousiasmant ni très critiquable : ce projet de budget témoigne d'une gestion un peu terne, mais sérieuse et habile. Comme vous le constatez, madame le ministre, mes appréciations sur le traitement que l'Etat réserve à cette activité indispensable à la qualité du débat public et au fonctionnement de la démocratie sont balancées.
En conclusion, j'indique que la commission des affaires culturelles m'a suivi en émettant un avis favorable à l'adoption des crédits de la presse pour 2002. Madame le ministre, nous ne vous délivrons pas un satisfecit global, mais nous espérons que, à l'avenir, vous ou vos successeurs manifesterez un surcroît d'imagination et de volontarisme dans le climat difficile qui va s'instaurer. D'autres défis attendent la presse écrite, et il nous faudra ensemble les relever.
S'agissant maintenant du projet de budget de la communication audiovisuelle pour 2002, j'exprimerai quelques divergences de vues avec M. le rapporteur spécial, je rappellerai quelques chiffres, je poserai quelques questions et j'émettrai quelques doutes.
En ce qui concerne tout d'abord les chiffres, les ressources globales des organismes publics devraient augmenter, dans le cas où le marché publicitaire serait conforme aux prévisions quelque peu optimistes qui ont été retenues, de 3,2 % par rapport à ce qui était prévu par la loi de finances initiale pour 2001. Je rappelle, mes chers collègues, que cette progression atteignait 6 % l'an passé.
Les ressources publiques - redevances et dotations budgétaires - augmenteront quant à elles de 3,4 %, contre 10 % l'année précédente. Comme l'a souligné M. le rapporteur spécial, le taux de la redevance croîtra de 1,8 %, après avoir été stable en 2001.
Enfin, pour les ressources propres, l'objectif fixé marque une progression de 2,7 %.
L'impression générale qui ressort de l'analyse de ces chiffres est qu'il s'agit d'un budget d'étape précédant le lancement de la télévision numérique de terre, qui sera l'axe stratégique de l'audiovisuel public pour l'avenir. Ce projet de budget s'inscrit, à nos yeux, de façon cohérente dans la politique suivie depuis de nombreuses années pour le secteur de l'audiovisuel public.
Nous demeurons néanmoins dans l'expectative, car les temps ont changé. Je rejoins ici M. le rapporteur spécial pour affirmer que 2002 sera, comme c'est inscrit dans la loi, l'année de la télévision numérique de terre, ce qui signifie qu'il faudra mobiliser des ressources importantes pour financer l'audiovisuel public.
A cet égard, il est question de faire passer le montant de la redevance à 1 000 francs à l'issue de l'exécution des fameux contrats d'objectifs et de moyens, en particulier de celui de France Télévision, sur lequel je reviendrai plus tard puisque j'ai le privilège de siéger au sein du conseil d'administration de cette entreprise. Je remercie, à ce propos, tous les sénateurs qui m'ont désigné !
Cela étant, madame le ministre, nous souhaiterions connaître vos réponses à quelques questions avant de nous prononcer.
Qu'en est-il des perspectives d'augmentation de la redevance ? C'est là un sujet important : on a supprimé la redevance pour les véhicules à moteur, la vignette, mais on a maintenu la redevance audiovisuelle. Pour ma part, j'étais de ceux qui défendaient ces deux taxes. Nos concitoyens aimeraient savoir, à l'occasion des débats budgétaires, ce qui leur sera demandé.
Or, aujourd'hui, nous examinons un projet de budget stationnaire, où ne figure aucune information sur la façon dont sera abordée et financée cette aventure, cruciale aux yeux de la commission des affaires culturelles, que sera la télévision numérique de terre. Ces informations ne peuvent pour le moment être trouvées que dans le contrat d'objectifs et de moyens, dont le conseil d'administration de France Télévision a pu débattre voilà deux jours.
Ce projet de budget marque donc, à mon avis, plutôt une fin de parcours. Je crains que notre discussion ne soit légèrement tronquée, car il serait nécessaire de disposer déjà de quelques aperçus sur ce que seront les budgets pour 2003, 2004 et 2005, cette dernière année constituant le terme de l'exécution du contrat d'objectifs et de moyens de France Télévision.
D'après les informations qui m'ont été fournies lors de la réunion du conseil d'administration de France Télévision - la loi prévoit d'ailleurs qu'à l'avenir un rapport sur les contrats d'objectifs et de moyens sera présenté au Parlement - la progression des ressources publiques pourrait atteindre jusqu'à 3,7 % par an tout au long de la durée du contrat, qui s'achèvera, je le rappelle, en 2005. Cela signifie qu'il faudra bien parler de l'évolution de la redevance. Mille francs ? Davantage ? Le temps est venu de le dire aux téléspectateurs.
Nous savons que les besoins de financement des chaînes vont augmenter fortement. Je faisais allusion, voilà quelques instants, au coût du numérique de terre. France Télévision l'évalue à 1,1 milliard de francs en régime de croisière, sans compter l'investissement qui sera financé par la dotation de 1 milliard de francs que vous avez confirmée, madame le ministre, et nous le notons.
Il y a aussi, mes chers collègues, et le rapporteur spécial avait déjà souligné cet aspect l'an dernier, les conséquences financières de la RTT, la réduction du temps de travail. En effet, la RTT s'applique partout. Evaluée annuellement à 34 millions de francs pour France 2 et à 104 millions de francs pour France 3, la RTT ne me semble pas avoir épuisé tous ses effets, spécialement à France 3, puisque l'accord passé avec les syndicats est peu exigeant au regard des gains de productivité.
Il y a, me semble-t-il, et c'est ainsi que cela s'est exprimé au conseil d'administration, un hiatus entre les objectifs et les moyens de l'entreprise, si une refonte de l'organisation du travail n'est pas engagée.
Or, mes chers collègues, il faut insister sur ce point, la réussite du numérique de terre pour France Télévision n'est possible que si des gains de productivité permettent de financer le projet. Les voies et les moyens ne sont pas encore très clairs s'agissant de la manière dont pourra être dégagée une économie de 1,3 milliard de francs sur la durée du contrat. Il s'agit, pour s'exprimer de façon optimiste, d'une politique très volontariste, et je salue le volontarisme du président Tessier. C'est néanmoins un beau défi lorsqu'on se souvient, mes chers collègues, que la masse salariale de France 3, qui représente 34 % de ses charges, a augmenté de 11 % entre 1999 et 2000.
Face à cela, quelle est la possibilité ? L'augmentation de la redevance ou l'augmentation des recettes publicitaires, mais cette dernière est limitée par la loi, comme cela a été voulu par le Parlement, plus précisément par l'Assemblée nationale. Je tiens à souligner que la réalisation des objectifs 2002 est déjà improbable et qu'il conviendra de se demander si la publicité ne risque pas de devenir, pour France Télévision, une ressource un peu plus résiduelle que prévu, alors même que les besoins de financement sont croissants.
On pourrait pousser plus loin l'analyse du contrat d'objectifs et de moyens, mais vous n'avez pas eu la possibilité de le lire, mes chers collègues, et comme, moi-même, j'en ai pris connaissance voilà deux jours seulement, je n'ai pas eu l'occasion de vous en parler davantage.
Par ailleurs, je regrette, moi aussi, la modestie des efforts consentis en faveur des organismes de l'audiovisuel extérieur. Madame le ministre, vous n'êtes pas la principale responsable de cette situation. Néanmoins, je considère qu'il faut accroître la coordination, comme le montre la couverture des événements de l'Afghanistan par France 2, France 3, RFI et l'AFP. En effet, l'absence de synergie laisse un « boulevard » à CNN et à d'autres chaînes qui consacraient leur temps d'antenne à ces événements. Cette coordination et cette synergie sont indispensables. La convergence des médias pourrait donner une vigueur nouvelle à l'audiovisuel extérieur, qui est le parent pauvre de ce budget.
S'agissant du numérique terrestre, je serai bref. Je soulignerai que la commission des affaires culturelles avait pris l'initiative, avec les présidents Gouteyron et Valade et le précédent rapporteur sur la communication audiovisuelle, notre ami Jean-Paul Hugot, de soutenir le numérique terrestre.
Je suis un peu plus optimiste que M. le rapporteur spécial. En effet, je considère que l'arrivée des boîtiers numériques ou des téléviseurs numériques est une condition incontournable du succès de cette technique. C'est le téléspectateur qui fera la différence.
De ce point de vue, en dépit du fait que la loi a prévu de favoriser l'attribution de fréquences aux services gratuits, ce qui peut être une condition de réussite pour le numérique terrestre, tous les observateurs estiment que l'équipement des ménages français ne sera vraiment assuré que si des boîtiers décodeurs sont fournis, en prêt ou à des prix très bas, par des éditeurs et des distributeurs de chaînes payantes.
Comment les services payants vont-ils financer l'équipement du public en boîtiers décodeurs ? Je le rappelle, madame le ministre, mes chers collègues, le rôle du distributeur commercial sera le pivot de la réussite de la télévision numérique terrestre. Il faudra donc fournir des décodeurs et ensuite encaisser des abonnements. Madame le ministre, vous le savez, il y a toute une économie de la télévision numérique terrestre, que le Sénat souhaitait analyser préalablement au vote du dispositif et que nous faisons finalement en toute hâte, d'où la mission confiée au directeur général de la concurrence, qui travaille donc actuellement sur le sujet.
Vous le savez, les interrogations de Canal Plus sont encore importantes. Faut-il rappeler que le Gouvernement avait justifié son choix de faire attribuer les autorisations d'utiliser les fréquences numériques service par service - et on nous en avait beaucoup parlé ici - et non par multiplexe, en invoquant « l'objectif de pluralisme et de diversité des opérateurs » ? Cet objectif semble exclure manifestement la constitution de positions dominantes dans la distribution commerciale. Je le répète : le Gouvernement, conscient du problème - enfin ! - a confié via le ministère de l'économie des finances et de l'industrie, le 18 octobre dernier, une mission sur l'économie de cette question. Nous attendons avec intérêt les résultats de cette mission, auxquels la commission des affaires culturelles sera attentive. Pour ma part, je propose qu'un consortium, et non pas un distributeur unique, étudie cette question.
Enfin, et là je serai plus optimiste que M. le rapporteur spécial, l'équipement des ménages sera la condition cruciale du lancement de la télévision numérique de terre. La voie dirigiste que le Gouvernement a choisie, et qui est différente de celle que proposait le Sénat en juin 2000, peut avoir sa logique, sa cohérence et peut même être efficace, si le Gouvernement - et vous avez répondu à une de mes questions sur ce point en commission, madame le ministre - fixe de façon solennelle et irrévocable la date de la cessation de la diffusion en analogique terrestre, afin de manifester sans ambiguïté l'engagement de l'Etat en faveur de la télévision numérique de terre. Vous le savez, mes chers collègues, aux Etats-Unis, les choses sont faites. En effet, la FCC a dit que le basculement interviendrait en 2007. Tel est sans doute le meilleur moyen d'inciter les constructeurs à lancer la production en grande série, d'abord des décodeurs numériques peu chers - ils sont disponibles sur le marché - ensuite, des récepteurs numériques à un coût accessible - ils le seront demain. Il me semble nécessaire que les pouvoirs publics fixent publiquement cette date, en 2007 au plus tôt ou en 2009 au plus tard. Etes-vous en mesure, madame le ministre, de nous annoncer aujourd'hui cette décision ? Ainsi, le vrai lancement de la télévision numérique de terre serait souligné.
Je parlais de la voie dirigiste qu'a choisie le Gouvernement sur l'audiovisuel public. Il m'a semblé - je saisis l'actualité - que vous vous y engagiez, madame le ministre, de façon un peu hardie, et même inhabituelle pour vous (Sourires,) lorsque vous avez mis en cause, de façon un peu surprenante à mes yeux, les modalités de diffusion des prochaines coupes du monde de football.
Je lis, comme nous tous, les journaux. Je lisais, avant-hier,...
M. Michel Pelchat. Le Bien Public ?
M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. Non, Canal Plus c'est Le Figaro, mais je pourrais citer Libération, qui a fait paraître un bon article sur ce sujet. Je lisais donc que « la chaîne cryptée Canal Plus fête un anniversaire important à l'occasion du toujours attendu PSG-OM... ».
MM. Eric Doligé et Roger Karoutchi. Score : 0-0 !
M. Michel Pelchat. Nul en ce qui concerne tant le score que le match lui-même !
M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. Nous l'avons suivi à la radio. Madame le ministre, six cents matchs de division 1 ont été retransmis par la chaîne cryptée.
Michel Pelchat. Et en D 2 ? Nous, nous avons la D 2 !
M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. Or, aucun ministre n'a jamais trouvé à y redire. En l'occurrence, s'agit-il d'une indignation sélective ?
L'ensemble du public doit avoir droit à ces événements. Si un problème de concurrence se pose, votre collègue de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'organisation de la concurrence, devrait intervenir. Cette question est d'actualité. Nous l'avons posée tout à l'heure à Mme Marie-George Buffet.
Je conclus. Ce projet de budget pour 2002 est globalement correct. Il permettra d'assumer les missions.
Mme Danièle Pourtaud. Quel enthousiasme !
M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. Je fais une analyse ! Cependant, il prépare de façon incertaine l'avenir de l'audiovisuel public. Or 2002 est l'année de lancement du prénumérique pour tous.
Compte tenu des doutes que la commission éprouve, des questions qu'elle se pose, comme moi-même, mais aussi des chiffres du projet de budget, que j'ai rappelés et qui, je tiens à le dire, ne sont pas mauvais, la commission des affaires culturelles a décidé de s'en remettre à la sagesse du Sénat
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. Bravo !
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 18 minutes ;
Groupe socialiste, 16 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 9 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 5 minutes.
Je rappelle qu'en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est àM. Pelchat.
M. Michel Pelchat. Vous nous présentez, madame le ministre, un budget de la communication audiovisuelle pour 2002 en augmentation de 3,2 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2001, soit près de 659 millions de francs. Vous poursuivez ainsi les engagements que vous avez pris dans le cadre de la loi du 1er août 2000 relative à la liberté de communication. Cela ne peut que me réjouir.
Mais, en analysant plus avant votre budget et, de façon plus générale, la politique du Gouvernement en matière de communication, ma satisfaction première est quelque peu amoindrie par les incertitudes qu'ils laissent planer sur l'avenir de l'audiovisuel public. Je reprends un peu la même thématique que M. le rapporteur pour avis.
A ce propos, j'insisterai seulement sur deux points que je juge aujourd'hui primordiaux : tout d'abord, la question du financement de l'audiovisuel public et, ensuite, l'enjeu que constitue le numérique terrestre.
Concernant le financement, je n'ai pas trouvé les modifications, pourtant tant attendues, afin que soit renforcé et pérennisé le financement propre du secteur public de l'audiovisuel.
Certes, la part de financement public est portée pour 2002 à 76,8 % de l'ensemble du budget de l'audiovisuel public. Même si ce pourcentage recouvre des disparités importantes selon les chaînes, on pourrait croire qu'une plus grande liberté de programmation des chaînes publiques est ainsi assurée, ainsi que leur avenir. Mais ce n'est pas le cas !
Vous le reconnaissez d'ailleurs implicitement par la réflexion que vous avez engagée avec vos services sur « l'avenir du financement de l'audiovisuel public ».
L'an dernier déjà, vous nous en aviez informé et, début novembre, devant la commission des affaires culturelles du Sénat, vous avez confirmé que vous réfléchissiez à la création d'une autre recette publique complémentaire aux recettes publicitaires et à la redevance.
Où en sont ces travaux ? Quelle recette envisagez-vous de mettre en place qui ne soit ni un impôt ni une taxe supplémentaires ?
J'ai entendu dire que vous réfléchissiez à l'ouverture à la publicité télévisée des « secteurs interdits », notamment la grande consommation. Mais une telle décision ne manquerait pas de mettre en difficulté les radios privées commerciales, dont plus d'un quart, voire un tiers des recettes proviennent notamment de la publicité de la grande distribution, sans compter les effets sur la presse écrite régionale.
Au lieu, donc, de prévoir des dispositifs qui ne consisteraient qu'à déshabiller Pierre pour habiller Paul, qu'attendez-vous pour réformer le système de la redevance, qui est totalement obsolète et qui présente un coût de perception exorbitant ? (Marques d'approbation sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Eric Doligé. C'est vrai !
M. Michel Pelchat. Rappelons qu'au 30 septembre 2001 - permettez-moi de rappeler ces chiffres, que certains ici connaissent bien, car ils méritent de l'être - le service de la redevance gérait quelque 22,5 millions de comptes. Or, selon l'INSEE, plus de 29 millions de foyers sont éligibles à la redevance.
En conséquence, 29 millions de foyers possèdent un poste de télévision mais 22,5 millions de comptes sont enregistrés auprès du service de la redevance, y compris les personnes exonérées.
Ce sont, par conséquent, près de 5 millions de foyers qui échappent aux services de la direction générale de la comptabilité publique et autant de recettes potentielles pour l'audiovisuel public qui ne sont pas perçues, et ce à taux constant.
Vous connaissez la réforme de l'assiette de la redevance que je propose. Je l'ai en effet déjà exposée à de nombreuses reprises. Elle est liée à l'évolution technologique et consiste à simplifier l'assiette de la redevance en retenant comme fait générateur non plus, comme aujourd'hui, le binôme « poste de télévision » et « point de réception », mais simplement le « point de réception », celui-ci étant un point potentiel de communication, quelle qu'elle soit. Toute personne sera ainsi redevable de la redevance, qui deviendra de facto « redevance de communication », au sens général du terme, y compris pour la future télévision numérique terrestre avec toutes les possibilités de liaison avec Internet et d'interactivité si celle-ci aboutit. Je reviendrai tout à l'heure sur ce point particulier. Cette réforme serait une première solution au sous-financement chronique dont souffre aujourd'hui le secteur audiovisuel public.
Permettez-moi, au passage, d'exprimer mon indignation quant à la dernière illustration du manque de moyens des chaînes publiques : je veux parler de l'acquisition par TF 1 des droits exclusifs de retransmission en France de la totalité des matches de la Coupe du monde de football de 2002 et des vingt-quatre « meilleurs matches » de 2006, notamment ceux de l'équipe de France, les quarts de finale, les demi-finales, voire la finale, si la France y accède, comme nous l'espérons tous, et comme cela a été le cas lors de la dernière Coupe du monde.
Quelle insulte pour notre secteur public de ne même pas pouvoir offrir à ses téléspectateurs la retransmission des matches auxquels participera l'équipe de France ! Je le répète, aucun match de notre équipe nationale ne sera retransmis par la télévision publique française ! Quelle piètre image, convenez-en madame le ministre, pour l'audiovisuel public ! Comment faire valoir, dans ces conditions, la spécificité du secteur public et maintenir son audience face à ses concurrents ? Voilà un point qui méritait, à mon avis, d'être soulevé.
Concernant maintenant le dossier du numérique terrestre, j'éprouve les pires craintes, madame le ministre, quant à son avenir.
Le numérique terrestre est en soi un projet très ambitieux et potentiellement plein de promesses. Mais, alors que l'audiovisuel public souffre déjà d'une insuffisance de moyens, a-t-on prévu un budget approprié pour que le passage à la télévision numérique terrestre des actuelles chaînes généralistes et la mise en place de nouvelles chaînes soient une réussite ?
Vous avez prévu une dotation d'un milliard de francs, échelonnée sur plusieurs années, avec un premier versement en 2002. Certains, ici et ailleurs, jugent que le montant de cette dotation est « réaliste ».
Pour ma part, j'estime qu'il traduit un manque d'ambition et d'intérêt patent dans notre pays pour le service public de l'audiovisuel, car ces moyens sont nettement insuffisants.
Est-il besoin de vous rappeler que, au Royaume-Uni, une augmentation de la redevance de deux milliards de francs par an pendant cinq ans a été prévue pour assurer le développement du numérique hertzien ...
M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. Eh oui !
M. Michel Pelchat. ... et que, en Allemagne, ce sont trois milliards de francs par an qui sont engagés dans ce projet ? Ces deux pays se situent déjà, dans le domaine de la production, bien au dessus de la France, s'agissant du secteur public.
En outre, je persiste à penser, madame le ministre, que la procédure retenue par le Gouvernement pour l'attribution des fréquences n'est pas la bonne, et qu'elle constitue donc un handicap. Il eût mieux valu un opérateur par multiplex, qui aurait dû remplir certaines obligations, notamment à l'égard des nouveaux entrants.
Bien que tous les décrets ne soient pas, encore aujourd'hui, tous soumis à l'examen du Conseil d'Etat, il est douteux qu'un nouveau gouvernement puisse revenir sur vos décisions dans les mois qui viennent. (M. Karoutchi s'exclame.) Un retour en arrière serait en effet impossible pour le numérique hertzien, alors même que le processus engagé serait déjà très avancé. Pourtant, rien ne sera effectif avant le milieu de l'année 2003. Je tiens en effet à dire à cette tribune que, contrairement à ce que tout le monde indique, y compris vous-même, madame le ministre, le numérique hertzien ne sera pas opérationnel fin 2002 ! Les délais de mise en oeuvre de ce réseau, les délais demandés par les constructeurs, les délais de réalisation des nouvelles fréquences pour ces émetteurs et réemetteurs nous mèneront au mieux au milieu de l'année 2003. Peut-être aurons-nous là une certaine liberté de revoir ce dispositif. Mais je n'insiste pas, car nous aurons l'occasion d'évoquer à nouveau ce sujet.
Je souhaite, par conséquent, si le système actuel devait aboutir, que le CSA trouve la solution la moins mauvaise possible pour la composition intelligente d'un système qui, malheureusement, est à mon avis néfaste pour le développement de l'audiovisuel public.
Pour conclure, je voudrais brièvement aborder deux questions qui ne se rapportent qu'indirectement à votre budget, madame le ministre.
Premièrement, s'agissant de l'appel à candidatures lancé par le CSA pour l'attribution des neufs blocs de fréquences DAB en Ile-de-France, un problème semble se faire jour. Le dispositif prévu par la loi de 1996, dite « loi Fillon », arrive à échéance à la fin de l'année. Certains reprochent par conséquent au CSA de définir les règles s'appliquant en matière de radio numérique en transformant un appel à candidatures expérimental pour le DAB en lancement d'un nouveau paysage radiophonique, sans que le Parlement ait eu à déterminer les conditions d'exploitation de cette radio numérique en Ile-de-France.
Compte tenu des risques que pose ce dossier en termes de déstabilisation pour le paysage radiophonique actuel et pour l'avenir du DAB, j'aimerais savoir, madame le ministre, si le Gouvernement compte prolonger au plus vite le cadre législatif permettant à cette technologie de dépasser le cadre expérimental, et connaître votre position sur ce sujet.
Deuxièmement, s'agissant des quotas de chansons francophones sur les réseaux radiophoniques, je tiens à vous remercier à nouveau pour le soutien que vous m'avez apporté dans ce combat.
M. Henri Weber. Ah !
M. Michel Pelchat. Plus personne ne conteste aujourd'hui le bien-fondé de ces quotas. Je me félicite, comme vous, je pense, de constater que 60 % des ventes en France sont désormais constituées d'albums francophones.
Je souhaiterais toutefois attirer votre attention sur un oubli qui mérite d'être réparé : il s'agit de la musique instrumentale produite par des musiciens francophones qui, pour l'instant, ne bénéficie d'aucun quota et qui se trouve donc un peu marginalisée sur les ondes radiophoniques. Je me demande si un texte réglementaire ne pourrait pas pallier cet oubli.
Outre ces deux sujets annexes, votre projet de budget, madame le ministre, comme je vous l'ai précédemment exposé, présente de trop nombreuses incertitudes quant à l'avenir de l'audiovisuel public. C'est pourquoi le groupe des Républicains et Indépendants votera contre ce budget.
M. le président. La parole est à M. Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je serai un peu plus direct que mes prédécesseurs.
M. Henri Weber. Ah !
M. Roger Karoutchi. Je ne parlerai pas du budget de la presse, n'ayant rien à ajouter aux propos tenus en la matière par notre excellent rapporteur pour avis, Louis de Broissia.
En revanche, s'agissant de l'audiovisuel, le budget qui nous est présenté ne peut pas être considéré comme bon. C'est un budget à court terme, n'anticipant pas sur l'avenir tant des structures actuelles de l'audiovisuel que sur le choix du numérique terrestre.
Mme Danièle Pourtaud. Les budgets sont annuels !
M. Roger Karoutchi. C'est vrai, madame ! Mais le budget est une préparation, et, lorsqu'il ne se prépare pas, c'est un échec !
Mme Danièle Pourtaud. On s'en souviendra !
M. Roger Karoutchi. Certes, le projet de budget pour 2002 en matière de communication audiovisuelle est en augmentation. Est-ce suffisant ? Est-ce trop ? Ne faut-il pas, avant que de parler chiffres, parler plutôt structures de recettes, structures d'organisation ?
D'aucuns, et pas seulement à droite, estiment que, à l'occasion des réformes pouvant être envisagées, la redevance pourrait être supprimée et remplacée par une autre recette qui, semble-t-il d'ailleurs, est à l'étude ici ou là, c'est-à-dire aussi bien dans les services du ministère que dans les formations politiques, quelles qu'elles soient.
Mme Danièle Pourtaud. Vous êtes bien informé !
M. Roger Karoutchi. C'est donc le cas chez vous ! (Sourires.)
D'autres affirment que la suppression de la redevance n'est pas souhaitable, car c'est l'unique ressource sûre et stable de l'audiovisuel public.
Soyons clairs : la redevance, dans son mode actuel, n'est pas le meilleur système.
C'est un système coûteux, avec 482,5 millions de francs de coût de fonctionnement. Le service de perception de la redevance a subi une augmentation de ses coûts de 23 % en dix ans.
C'est un système archaïque : son utilité est remise en cause, la taxe n'ayant plus de lien avec le monopole audiovisuel public, qui a disparu.
C'est un système injuste, car, que l'on soit RMIste ou très fortuné, on doit s'acquitter du paiement de la redevance ! (M. Weber s'exclame.)
C'est un système compliqué à gérer. L'an dernier, sur 22 millions de dossiers, on a dénombré 4,5 millions de réclamations, ce qui représente - vous le reconnaîtrez - un taux de 20 % de réclamations.
Pourquoi, d'ailleurs, ne pas réfléchir à une nouvelle ressource qui fournirait au secteur public les recettes nécessaires à son développement, en contrepartie d'engagements fermes d'économies et de rationalisation ?
Il est vrai que cette réflexion débouche sur un débat qui, en général, fait grand bruit : celui de l'avenir du secteur public.
D'un côté, il y a ceux qui prônent la privatisation de France 2 - quand il y a débat, il porte en effet essentiellement sur France 2 - et, de l'autre, il y a ceux qui pensent que l'existence d'un secteur public fort, organisé autour d'une grande chaîne généraliste et populaire, est indispensable pour que l'audiovisuel joue le rôle qui lui incombe : assurer une mission sociale, culturelle et éducative.
Si l'on s'en tient effectivement à cette définition, on s'aperçoit rapidement que la télévision publique, d'abord incarnée par France 2, ne respecte pas son contrat.
La programmation et l'audience ne correspondent pas à ce que l'on est en droit d'attendre d'une grande chaîne publique généraliste. L'information qui, dans le secteur public, devrait être le point fort, est malheureusement le point faible.
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. Non !
M. Roger Karoutchi. Les émissions culturelles restent réservées aux insomniaques ou sont reléguées aux enregistrements.
Quant aux émissions de variétés ou de jeux, elles ne paraissent guère différentes de ce que l'on voit, sans redevance, sur les chaînes privées.
Mieux ou pire, avec le nouveau contrat d'objectifs et de moyens de France Télévision, qui va encadrer le service public jusqu'en 2005, il apparaît que la télévision publique n'est plus tenue d'atteindre un quelconque résultat d'audience.
Ce contrat d'objectifs et de moyens a vu le jour après plus d'un an de tractations. Aujourd'hui, on comprend un peu mieux pourquoi, quand on mesure la conséquence du volet financier : en plus du milliard destiné au financement du projet numérique terrestre de France Télévision, l'Etat s'engage sur une progression de la ressource publique de 3,1 % par an, plus une prime de 0,4 % à 0,6 % si France Télévision respecte ses engagements !
En fait, l'Etat actionnaire semble incapable, aujourd'hui, d'indiquer aux dirigeants dans quel sens résoudre la contradiction entre la nécessité d'attirer une large audience et l'obligation de proposer une programmation de qualité.
Ce contrat d'objectifs et de moyens sera-t-il en mesure de redresser l'audiovisuel public ? Sera-t-il un bon guide, un bon indicateur ?
Dans l'immédiat, il recense toute une liste d'engagements de France Télévision, qui devra assurer la diversité et la spécificité des programmes en soutenant la création, privilégier l'information, la découverte, le spectacle vivant, les programmes régionaux, les sports et les programmes pour la jeunesse. Vastes sujets ! Vastes débats !
L'autre problème auquel est confronté cette chaîne est évidemment d'ordre financier : je veux parler de la limitation draconienne des recettes publicitaires et de la prise de dispositions financières par la Commission européenne, le 17 octobre dernier. En effet, dans ces dispositions, la Commission fixe les règles de financement des chaînes publiques. Elle précise dans quelles conditions les Etats pourront apporter des financements publics à leurs organismes de télédiffusion. Elle demande aux Etats membres une définition « claire et précise » de la mission de service public. Elle entend que le financement public soit limité à ce qui est nécessaire à l'exercice de la mission de service public. Elle a appelé cela le test de proportionnalité.
C'est ce test qui risque de poser des problèmes à notre pays. Je rappelle que des procédures ont déjà été ouvertes avant le 17 octobre contre la France et l'Italie pour octroi d'aides publiques indues.
Je n'ouvrirai pas aujourd'hui un grand débat sur l'avenir de France Télévision. Il serait, paraît-il, de mauvais ton d'envisager, dans cette assemblée, de faire évoluer le service public ! Pour ma part, j'émettrai quelques réserves quant à cette opinion : contrairement à nos rapporteurs, je ne pense pas que le maintien du service public de l'audiovisuel dans sa dimension actuelle ne puisse faire l'objet d'une remise en question.
M. Henri Weber. Nous y revoilà !
Mme Danièle Pourtaud. C'est TF1 qui va être contente !
M. Ivan Renar. Et c'est pourquoi votre fille est muette !
M. Roger Karoutchi. Mais non, ma fille n'est pas muette, je vous rassure, mon cher collègue. (Sourires.)
Le dernier point que je souhaite aborder concerne le dossier du numérique terrestre.
Depuis plusieurs mois, on assiste à un débat entre, d'une part, ceux qui sont hostiles au lancement de la télévision numérique de terre, considérant que notre pays ne détient pas le potentiel indispensable pour développer de nouvelles chaînes publiques gratuites en dehors du financement public et refusant de faire appel au contribuable pour forcer l'implantation de cette télévision numérique et, d'autre part, ceux qui considèrent que ce rendez-vous est historique, révolutionnaire et que la France ne peut ni le manquer ni le retarder.
Sur ce point, je partage pleinement la position de mon collègue Louis de Broissia, qui a affirmé la nécessité de ce numérique terrestre, mais qui a aussi évoqué les risques d'échec économique.
Gardons à l'esprit que la télévision numérique par satellite en Europe a perdu 6 milliards d'euros en l'an 2000.
Nombre de questions se posent.
Commençons par les aspects purement techniques : on sait maintenant que 50 % des antennes collectives, inadaptées, devront être modifiées et que, à Paris notamment, 80 % des logements auront des problèmes de réception et devront subir des travaux préalables.
Aucun test n'a été effectué non plus sur les risques de brouillage de la réception télévisée des abonnés aux réseaux câblés.
L'un des avantages de la télévision numérique de terre, la « portabilité », qui consiste à pouvoir changer son téléviseur de place dans un rayon restreint ne sera effectif ni en rez-de-chaussée ni au premier étage des logements parisiens.
Les aspects commerciaux ne sont pas à négliger non plus : les Français vont-ils vouloir s'équiper ?
En effet, comme notre collègue de Broissia le rappelait, seuls les foyers équipés d'un téléviseur et d'un décodeur adéquats pourront recevoir cette nouvelle télévision.
En Grande-Bretagne, 20 % des citoyens ayant bénéficié de décodeurs gratuits contre la promesse d'un engagement pour un an résilient actuellement leur abonnement. Qu'en sera-t-il en France ?
Vous me permettrez de penser que la gestion de ce dossier paraît bien légère quand on se souvient que cette révolution technologique a été présentée au Parlement sous la forme d'amendements de dernière minute, dans la loi relative à la liberté de communication.
Nous n'avons disposé d'aucune étude d'impact qui aurait permis au Parlement d'apprécier les coûts comparatifs de la télévision numérique terrestre par rapport aux autres technologies possibles, les capacités comparatives de ces différentes technologies pour la couverture du territoire ou encore la répartition des coûts qu'engendre cette télévision entre les finances publiques, les opérateurs, le consommateur et d'autres acteurs.
Le ministre de l'économie et des finances lui-même reconnaît ces incertitudes puisqu'il a diligenté une enquête sur les conditions de distribution commerciale du numérique terrestre auprès de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.
Nous attendons avec impatience les résultats de cette enquête. Vous disposez peut-être, vous, madame le ministre, d'estimations qui vous auront été communiquées par le ministère de l'économie et des finances...
Il est clair que le Gouvernement doit d'abord tirer les leçons de son échec sur l'attribution des licences UMTS et ne pas refaire les mêmes erreurs pour la télévision numérique terrestre.
Les propositions, faites tout à l'heure à cet égard par Louis de Broissia vont dans le bon sens.
Même si une fraction de cette assemblée fait semblant d'être scandalisée,...
M. Ivan Renar. Mais pas du tout !
Mme Danièle Pourtaud. On apprécie le sens de la nuance !
M. Ivan Renar. On peut sourire, tout de même !
M. Roger Karoutchi. ... ceux qui disent perpétuellement que rien ne doit changer ni dans l'audiovisuel ni ailleurs sont peut-être aujourd'hui dépassés. Quelles seront demain les conséquences de la télévision numérique terrestre en cas de réussite ? Quelles en seront les conséquences sur l'audience des différentes chaînes ? Que deviendront toutes ces chaînes ? Combien de temps l'ensemble des Français accepteront-ils qu'on leur dise simplement : « C'est ainsi ; les choses doivent évoluer de cette façon ; il faut simplement envisager l'extension de la redevance ! » ? Les Français sont en droit de demander s'il s'agit d'un impôt juste, d'une taxe normale, si c'est bien le seul moyen de financer l'audiovisuel public et si celui-ci ne doit pas avoir, au-delà du contrat ou de la convention, d'autres obligations ?
Madame le ministre, votre projet de budget pour 2002 n'est pas mauvais en lui-même, mais il ne prépare pas l'avenir et n'engage pas les vrais débats. A sa lecture, nous ne pouvons envisager ce que deviendra l'audiovisuel public. Dans ces conditions, nous voterons contre. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures quarante, est reprise à quinze heures.)