SEANCE DU 6 DECEMBRE 2001
M. le président.
Dans la suite de l'examen des dispositions du projet de loi de finances
concernant l'enseignement scolaire, la parole est à M. Lecerf.
M. Jean-René Lecerf.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai choisi
de centrer mes propos sur un problème qui nous concerne au premier chef, les
relations entre les collectivités territoriales et l'éducation nationale.
Nous avons en effet à examiner aujourd'hui les crédits que l'Etat va
consacrer, pour l'année 2002, au financement du service public de
l'enseignement. Ces chiffres, impressionnants, qui font du budget de
l'enseignement scolaire - et de loin ! - le premier de l'Etat ne doivent pas
nous dissimuler l'effort consenti par les collectivités locales dans le domaine
de l'éducation.
Cet effort est essentiel. Les collectivités locales consacrent près de 90
milliards de francs par an à leur contribution au service public éducatif. Ces
crédits sont consacrés prioritairement aux dépenses légales prévues par les
lois de décentralisation : la construction, la réhabilitation et l'entretien
des établissements, le transport scolaire, postes financièrement lourds s'il en
est.
Mais, au-delà de ces obligations légales, les collectivités locales se sont
investies, au fil des ans, dans de nombreux domaines qui ne relevaient pas de
leurs compétences initiales et qui ont tendance à prendre de plus en plus
d'ampleur.
Revenons sur chacun de ces points en commençant par la participation des
collectivités locales aux investissements. Je ne m'étendrai pas sur l'«
héritage » que l'Etat a laissé aux communes, aux départements et aux régions
lors du transfert des compétences en 1986. Chacun sait que le parc des
bâtiments éducatifs, jusqu'alors placé sous sa tutelle, n'avait pas fait
l'objet de beaucoup d'attention avant d'être transféré aux collectivités
locales.
Héritage lourd, mais qu'il était impossible de refuser. Aujourd'hui encore,
plus de quinze ans après le transfert des compétences, les opérations de
rénovation sont loin d'être achevées.
Je citerai l'exemple du département du Nord, où nous avons mis en place un
programme de reconstruction de cinquante-sept collèges à structure métallique,
les collèges « Pailleron », de sinistre mémoire. Ce programme, d'un coût total
de plus de trois milliards de francs, a fait l'objet d'une seule dotation de
l'Etat, en 1994, d'un montant de 25 millions de francs. Cette dotation relève
plus de l'aumône que d'une véritable politique de soutien à l'effort
considérable du département. Elle représente en effet moins de 1 % du budget
total de la programmation, à peine le tiers du coût d'un collège neuf de petite
dimension.
Les opérations de rénovation concernent, outre les collèges « Pailleron », les
collèges « béton », dont la vétusté nécessite une remise à neuf, et les locaux
de demi-pension qu'il faut adapter aux normes, agrandir et moderniser, pour
garantir l'application des exigences réglementaires en matière d'hygiène et de
sécurité, tout en les rendant plus attractifs. A cela vient s'ajouter le très
lourd chantier du désamiantage, dont la maîtrise d'ouvrage incombe elle aussi
aux collectivités locales et sur lequel l'Etat s'est trop partiellement
engagé.
Ces charges pèsent déjà lourdement sur les budgets locaux, sans que l'Etat
semble manifester le moindre scrupule, à tel point d'ailleurs qu'il n'a pas
hésité, ces toutes dernières années, à mettre en oeuvre des projets novateurs,
et souvent ambitieux, dont la réalisation repose en partie sur la générosité
des collectivités locales.
C'est le cas du plan « Handiscol », dont l'objectif consiste à scolariser les
élèves handicapés dans les établissements relevant de l'enseignement général.
Ce plan est du plus haut intérêt, puisqu'il vise à mieux intégrer les enfants
handicapés en leur faisant partager le quotidien de leurs condisciples.
Mais les conditions de sa réussite reposent, une fois encore, sur la
participation des collectivités locales : l'accès des élèves handicapés n'est
en effet possible que si des installations spécifiques sont réalisées dans les
établissements.
De même, le transport de ces jeunes du domicile vers le collège ou le lycée
est à la charge des départements. Or le transport d'un élève handicapé coûte en
moyenne 30 000 francs par an, en raison des conditions particulières qui sont
requises.
Autre cas, celui du plan de relance de l'internat scolaire. Vous souhaitez,
monsieur le ministre, que chaque département soit doté d'ici à cinq ans d'au
moins un internat en collège, un internat en lycée et un internat en lycée
professionnel, de façon à favoriser l'accueil d'élèves fragilisés par un
contexte familial ou social précaire.
Cette initiative est tout à fait intéressante. Mais ne lui consacrer que 30
millions de francs au titre du fonds d'aide à la création d'internats scolaires
revient, une fois encore, à confier de manière insidieuse aux départements et
aux régions la responsabilité de réaliser, et donc de financer, cette
opération.
Permettez-moi de citer un nouvel exemple : dans le département du Nord, le
collège d'Aulnoye-Aymeries sera reconstruit et doté d'un internat. Son coût
d'objectif avoisine aujourd'hui les 150 millions de francs, contre 90 millions
de francs pour des établissements similaires. L'internat d'un seul collège
coûte au département du Nord le double de votre enveloppe nationale !
Si l'effort des collectivités locales au titre de l'investissement est donc
considérable et tend à s'alourdir de manière régulière, ces dernières sont
aussi de plus en plus présentes dans le fonctionnement du service public
éducatif. Le plan de relance de l'internat scolaire constitue d'ailleurs une
transition bienvenue pour aborder ce problème.
Lorsque les internats seront achevés, il conviendra de pourvoir à
l'encadrement des élèves. Là encore, nous avons toutes les raisons d'être
inquiets. En effet, certains responsables académiques l'ont d'ores et déjà
indiqué, ils souhaiteraient en faire assurer le financement par les
collectivités locales, ce qui serait évidemment inacceptable.
Bien des domaines font ainsi l'objet d'une très forte implication des
collectivités locales : l'informatisation des collèges et des lycées,
compétence partagée avec l'Etat, mais de manière confuse ; le soutien scolaire
par le biais du financement d'activités d'encadrement pédagogique et, dans
certains cas, en finançant partiellement des postes d'emplois-jeunes mis à
disposition des établissements ; les activités extra-pédagogiques et, plus
particulièrement, les activités sportives, dont 43 % des financements sont
assurés par les collectivités locales, la participation de l'Etat se limitant à
la prise en charge du traitement des enseignants. Encore n'ai-je pas évoqué le
sport à l'école, la plupart du temps assuré par des moniteurs à statut de
fonctionnaire territorial ! Voilà pour l'existant.
M. René-Pierre Signé.
Et alors, c'est normal !
M. Jean-René Lecerf.
Pour l'avenir on évoque de temps à autre la possibilité de transférer aux
départements la prise en charge des personnels d'encadrement sanitaire et
social, conformément au rapport Mauroy sur la décentralisation. Monsieur le
ministre, vous allez faire des propositions sur cette question dans les
semaines à venir. Nous les attendons avec intérêt, mais aussi avec
vigilance.
De la même façon, Mme Royal a proposé récemment l'extension du suivi médical
mené par les centres de protection maternelle et infantile jusqu'à l'entrée en
classe de sixième, alors que la loi le met à la charge des départements jusqu'à
l'âge de six ans. Derrière les bonnes intentions, ne faut-il pas voir une
nouvelle manoeuvre de l'Etat pour imposer aux collectivités locales une charge
supplémentaire ?
Plus que jamais, le budget de l'éducation scolaire est consacré au financement
des dépenses de personnel. La tendance qui semble aujourd'hui dominante
consiste à faire financer par les collectivités locales des domaines
essentiels, qui relèvent de l'investissement, voire de la prise en charge
d'initiatives pédagogiques.
Cette évolution ne laisse pas de nous inquiéter, à la fois parce qu'elle vient
alourdir les finances des collectivités locales et parce qu'elle risque de
porter atteinte à la qualité du service public de l'enseignement, qui doit
cependant constituer la priorité essentielle de votre budget.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jack Lang,
ministre de l'éducation nationale.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, nous avons assisté depuis ce matin à un large échange
de vues, à une confrontation d'idées entre les uns et les autres. Dans une
assemblée comme la vôtre, les approches sont légitimement différentes.
Je remercie MM. les rapporteurs d'avoir bien voulu exposer leur point de vue
sur les différents aspects du projet de budget qui vous est présenté. Ils l'ont
fait avec leur talent, leur sensibilité et leur approche personnelle de la
question.
La discussion qui a suivi a permis à plusieurs sénateurs de prendre la défense
de ce budget qu'ils ont abordé dans sa globalité. Je les en remercie.
Puisqu'il nous reste à examiner les crédits de l'enseignement supérieur, je ne
vais pas vous infliger un exposé sur les tenants et les aboutissants de ce
projet de budget. Vous l'avez étudié ; nous nous sommes rencontrés longuement
en commission, avant et après l'été, et nous avons ainsi pu confronter nos
points de vue et nos appréciations.
Quelles que soient les sensibilités des uns et des autres, on admet - certains
pour souhaiter qu'on fasse mieux encore, d'autres pour s'interroger sur l'usage
qui en est fait - que le budget qui vous est présenté est, par l'ampleur de son
accroissement, quantitativement sans précédent.
Il traduit une volonté politique, celle du Gouvernement, auquel j'ai l'honneur
d'appartenir. Nous avons souhaité, depuis bientôt cinq ans, et en particulier
depuis deux ans, marquer un vrai changement de cap.
J'admets volontiers qu'on ne soit pas d'accord. Il n'en demeure pas moins que
notre volonté, clairement assumée, est de faire de l'investissement public de
la nation en faveur de la formation des jeunes la priorité des priorités. Je
souhaite, pour ma part, qu'au cours des années à venir cet effort continue à
être consenti par la nation, donc par les assemblées qui la représentent. Sur
certains points, j'aimerais même qu'il soit amplifié.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous voudrez bien m'excuser si je n'apporte
pas à toutes vos questions une réponse détaillée. Je suis tout à fait disposé à
le faire par écrit ou devant vos commissions.
Je rappellerai simplement ici la philosophie générale de l'action que nous
menons, puisque, en définitive, sur le financement, il y a non pas
l'acceptation du budget engagé, mais la reconnaissance commune de l'effort
accompli. Permettez-moi, d'évoquer après vous l'esprit de notre action.
Lorsque la responsabilité m'a été confiée, ainsi qu'à Jean-Luc Mélenchon, de
prendre la tête de cette grande maison, j'ai souhaité, en accord avec le
Premier ministre, commencer par le commencement, c'est-à-dire revisiter notre
système d'éducation à la lumière de quelques idées simples, qui sont très
aisées à exposer.
D'abord, plus que jamais, il s'agit d'affirmer notre volonté de construire une
école de l'exigence, une école de haut niveau intellectuel et culturel.
En même temps, il nous faut nous obstiner, contre vents et marées, surmontant
les obstacles, à offrir l'égalité des chances, autant qu'il est possible. Mais
je sais bien que ce combat est un combat permanent qui ne sera jamais
définitivement gagné, qui nécessitera en permanence des efforts.
Ce combat pour l'égalité des chances, il nous pousse à accorder non pas
seulement une deuxième chance, mais aussi une troisième, voire une quatrième
chance. Nous en parlerons d'ailleurs également à propos de l'enseignement
supérieur puisque nous mettons en place des réformes qui permettent notamment à
notre université d'offrir la formation continue, la formation tout au long de
la vie, c'est-à-dire des possibilités nouvelles qui n'existaient pas par le
passé.
C'est à la lumière de ces quelques principes, de cet idéal éducatif
républicain que nous avons engagé un certain nombre de changements, d'abord à
l'école, à l'école primaire, à l'école élémentaire.
Tout à l'heure, M. Gouteyron m'interrogeait sur notre ligne directrice et il
exprimait son désir que cette ligne directrice s'ordonnât autour de la langue
nationale. Monsieur le sénateur, même si nos philosophies ne sont pas tout à
fait les mêmes, je puis vous assurer que c'est ma conviction.
C'est ma conviction, mais c'est aussi l'esprit des mesures que nous avont
prises pour l'école depuis deux ans, en particulier à travers le plan que j'ai
annoncé au mois de juin 2000. Une partie de ces réformes sont entrées en
application dès la rentrée dernière. D'autres, plus importantes encore,
entreront en application à la rentrée prochaine.
Mesdames, messieurs les sénateurs, quand vous prendrez connaissance du nouveau
programme de l'école qui sera arrêté et diffusé à la fin du mois de janvier ou
au début du mois de février prochain, vous pourrez constater à quel point la
règle centrale de notre école républicaine consiste précisément à donner à
chaque enfant de ce pays la clef, ou, plus précisément, les clés d'accès à
notre maison commune.
Cette maison commune, c'est, à l'évidence, notre langue, la langue que nous
avons en partage. Or, un enfant qui, pour une raison ou pour une autre, se
trouve écarté de l'accès à cette maison commune est un enfant blessé, mutillé,
excommunié. Et c'est le début d'une forme de violence qui s'exprime, plus tard,
d'une façon plus brutale, comme l'attestation d'une exclusion culturelle ou
sociale.
Nous avons donc pris, comme je viens de le dire, des mesures qui s'appliquent
dès cette année. Par exemple, nous avons mis l'accent, c'est une nouveauté, sur
l'expression orale à l'école maternelle, notamment dans la grande section
maternelle. Nous avons par ailleurs établi, pour la première fois, une
évaluation à l'entrée de cette grande section pour détecter - non pour les
ficher, mais pour les aider - les enfants qui sont en difficulté d'expression
orale. Dans ce cadre, nous apportons aux maîtres des outils pour leur permettre
d'épauler certains enfants, pour en arracher d'autres à la noyade et les faire
ensuite progresser.
Dans le même esprit, à l'école primaire, à l'entrée en CP, nous avons
introduit un système d'évaluation. Cette nouveauté permet, elle aussi, de
détecter les faiblesses et les points forts des enfants. C'est en effet en
s'appuyant sur les points forts que l'on peut parfois corriger les faiblesses.
Là encore, les maîtres disposent d'outils nouveaux pour permettre aux enfants
d'accéder au niveau nécessaire.
Nous savons très bien que c'est à ce moment-là que le combat pour la langue
doit être mené avec ardeur. Les inégalités culturelles apparaissent dès le plus
jeune âge. On constate qu'à l'entrée à l'école primaire les enfants disposent,
selon les cas, d'un vocabulaire de 600 à 1 600 mots et qu'ils sont, ou ne sont
pas, capables de construire des phrases.
Si nous ne mettons pas dès ce moment - là toute notre énergie collective à les
aider avec amour, avec attention, avec affection, avec détermination, comme
savent le faire nos maîtres appuyés par la collectivité nationale, à trouver le
chemin de la langue, alors, nous n'accomplirons pas notre mission.
Lorsque vous prendrez connaissance de ce nouveau programme pour l'école, vous
constaterez que j'ai souhaité qu'une fois passés les premiers apprentissages de
la langue, c'est-à-dire dès le CE 1, on ne cesse pas d'apprendre et
d'enseigner, d'enseigner encore la langue nationale. On a parfois eu trop
tendance à penser qu'avec la maîtrise de la lecture et de l'écriture, la
connaissance de la langue était gagnée pour longtemps ! Or c'est une oeuvre
fragile qu'il faut sans cesse reprendre.
C'est pourquoi, dans le nouveau programme, nous apportons les moyens
nécessaires. Nous préconisons que, chaque jour, par des exercices courts mais
fréquents et variés, on permette à l'enfant de lire, de lire à voix basse, de
lire à voix haute, de faire de petites dictées, et donc de s'approprier la
langue.
Certains d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs se sont inquiétés -
et cette interrogation est tout à fait légitime - de savoir si l'introduction
d'une langue étrangère obligatoire à l'école ne risquait pas de perturber la
progression vers cet acquis fondamental de la langue, d'en infléchir le cours.
Vous vous êtes aussi demandé si l'éveil artistique à l'école pouvait,
éventuellement, nuire à cette préoccupation première. Je me permets de vous
répondre que non seulement cet éveil de la sensibilité, l'introduction
obligatoire d'une langue vivante à l'école, l'expérimentation par les élèves
eux-mêmes dans le cadre de la nouvelle pédagogie d'apprentissage des sciences
ne nuisent pas à cet apprentissage fondamental de la langue, mais qu'au
contraire ils y contribuent.
Les linguistes savent d'ailleurs bien que c'est de la comparaison entre la
langue nationale et une autre langue que naît le jeu des parentés, des
dissemblances et des ressemblances. J'ajoute que rien ne permet mieux d'accéder
à une langue nationale ou étrangère qu'un jeu théâtral, une récitation, un
chant choral, qui est à la fois fait d'une partition musicale et d'une
partition de mots.
Ce sont d'ailleurs des partitions de haute qualité que nous recommandons aux
écoles. Mais j'arrête là mon exposé sur ce thème parce que je devrais y
consacrer des heures et des heures. Il mériterait peut-être aussi un autre
cadre. Mais nous n'en avons pas le temps.
Je souhaite simplement dire, mesdames, messieurs les sénateurs, parce que
chacun d'entre vous, quelle que soit son appartenance politique, y attache une
importante extrême, que, oui, la langue nationale doit être l'ossature de notre
système d'enseignement, et ce dès l'école primaire, mais aussi au collège. Et
vous pourrez constater que c'est bien notre objectif dans le cahier des
exigences qui sera publié à la fin du mois de janvier prochain.
La langue nationale est le sésame ouvert aux autres disciplines. Combien
d'enfants connaissent des difficultés en mathématiques parce qu'ils ne
comprennent même pas les mots utilisés pour formuler une question ou un
problème ?
Ce sujet est passionnant, important, déterminant et décisif. Je puis vous
assurer, mesdames, messieurs les sénateurs, que j'y engage toute la force de ma
conviction, toute mon énergie ainsi que toute ma capacité d'enthousiasme, qui
n'est pas complètement émoussée, contrairement à ce que j'ai pu entendre ce
matin.
(Sourires.)
Je consacre toute mon énergie à mes fonctions de ministre de l'éducation
nationale, comme je l'avais fait pour mes fonctions de ministre de la
culture.
En fait, j'ai plutôt pris vos remarques comme un hommage rétrospectif à
l'action que j'ai pu mener en tant que ministre de la culture. Et je relève que
c'est aussi de culture qu'il s'agit avec l'école.
Tout sera fait pour gagner cette bataille de la langue, de l'écriture et de la
lecture, je vous le confirme.
Nous allons poursuivre notre action avec la réforme du collège. La nouvelle
sixième a été mise en place cette année. Les premières semaines sont destinées
à assurer une parfaite connaissance de la terminologie utilisée par les
maîtres, la mise en commun des mots, mais aussi la mise à niveau des élèves par
une aide individualisée.
Plusieurs d'entre vous souhaitaient, à commencer par vous, monsieur Gouteyron,
un système qui, au sein du collège, permette de concilier deux exigences
apparemment contradictoires.
D'un côté, le collège doit être un collège républicain, un creuset social et
culturel, où les enfants doivent être scolarisés jusqu'à l'âge de seize ans. Il
est tout à fait normal que nous puissions offrir un toit commun à l'ensemble
des enfants jusqu'à l'âge de seize ans.
Si j'avais à formuler un voeu pour le futur, j'aimerais que la scolarité soit
obligatoire jusqu'à dix-huit ans. C'est un voeu personnel qui n'engage que
moi-même et non le Gouvernement. Mais cette question devra être posée dans le
futur.
Donc, d'un côté, le collège doit offrir à l'ensemble des élèves une culture
commune, une culture de base, une culture partagée. Mais, d'un autre côté, vous
avez raison de le dire les uns et les autres, il doit reconnaître la diversité
des intelligences et des talents : intelligence plus conceptuelle pour l'un,
plus sensible pour celui-ci, plus pratique pour celui-là.
A partir de la rentrée 2002, nous lancerons les itinéraires de découverte en
classe de cinquième puis en quatrième et le choix de certains enseignements en
troisième. A cela s'ajoute la possibilité de placer en lycée professionnel sous
statut de collégiens des élèves de troisième et la réhabilitation du brevet
d'enseignement fondamental.
Tout cela va dans le sens de la reconnaissance de la diversité des talents et
des intelligences, à condition que - ce travers nous guette tous - sous couvert
de reconnaissance de cette diversité, nous ne reconstituions pas des filières
de ségrégation qui enfermeraient définitivement des enfants dans une voie de
façon irréversible, irrémédiable.
Tout au contraire, notre système républicain doit donner à chaque enfant, quel
qu'il soit, non pas seulement une deuxième chance, mais aussi une troisième et
la possibilité, en permanence, de rebondir en fonction de son talent et de ses
possibilités.
Voilà quelques-uns des points très importants qui changent ou qui vont
changer, voilà quelques-unes des applications pédagogiques qui découlent des
crédits sur lesquels vous vous interrogez et que nous vous demandons de bien
vouloir accepter.
Messieurs les rapporteurs, vous souhaitez une plus grande autonomie des
enseignants. Je vous rappelle à cet égard qu'un maître, un professeur, c'est un
être humain, et qu'un vrai maître, un vrai professeur, ce n'est pas simplement
un exécutant de normes établies par des lois ou par des décrets. A chaque
instant, il invente sa relation avec l'élève.
Un vrai maître est un être inventif, créatif, donc, d'une certaine manière,
autonome. Il apporte sa propre sensibilité, son propre talent. Et les grands
professeurs sont ceux qui savent, dans le cadre des règles nationales, éveiller
chez l'enfant la capacité d'avancer, de progresser et de prendre confiance en
soi.
Nous avons pris des mesures dans le cadre de la réforme du collège. Dans les
prochains mois, elles vont permettre d'établir une sorte de « contrat » entre
l'équipe pédagogique de chaque collège et l'inspecteur d'académie.
Un collège, tout républicain qu'il soit, doit se préoccuper d'égalité
républicaine. Or les collèges diffèrent selon qu'ils sont à la campagne ou à la
ville et selon les animateurs de l'équipe.
Il faut cependant reconnaître la diversité des tempéraments, pas seulement des
élèves, mais aussi des pédagogues, des professeurs et des chefs
d'établissement. Nous avançons dans ce sens, mais, naturellement, dans le cadre
d'un statut national, de règles nationales qui font l'originalité, la richesse
et la puissance de notre système.
En ce qui concerne le lycée, nous poursuivons les actions engagées
antérieurement par M. Claude Allègre avec, en particulier, la mise en place de
nouvelles méthodes pédagogiques qui répondent au souci exprimé par les uns et
les autres d'en appeler davantage au pouvoir d'initiative des élèves et qui
tendent à faire « jouer ensemble » les disciplines.
Ces nouvelles méthodes doivent être mises en oeuvre en pleine harmonie avec
les maîtres et en respectant, bien entendu, les disciplines de base, qui
doivent être enseignées dans leur exigence et leur rigueur. Toutes ces actions
contribuent à transformer et à faire progresser notre système, parfois décrié
ici ou là.
Je regrette beaucoup, en raison du temps qui nous est accordé, de ne pouvoir,
comme je le voudrais, vous apporter des compléments d'information sur
l'ensemble des questions posées.
Parmi les sujets qui ont été abordés ce matin, il en est un, très important,
qui porte sur la rénovation de la formation des maîtres. On ne comprendrait pas
que nous engagions un plan pluriannuel de recrutement de nouveaux maîtres si
nous ne cherchions pas, en même temps, à rénover la formation.
S'agissant des recrutements, d'abord, en deux ans, ce sont 30 % de plus de
postes de professeurs de l'enseignement secondaire et 20 % de plus de postes de
l'enseignement primaire qui auront été mis au concours. Contrairement à ce que
je lis ici ou là, les vocations ne sont pas taries. Vous le constaterez au
prochain concours : le nombre des candidats qui se présenteront sera, sinon en
augmentation, en tout cas stable.
S'agissant de la formation, elle fait actuellement l'objet d'expérimentations
nouvelles dans les IUFM, et la réforme sera pleinement appliquée à la rentrée
prochaine. Nous souhaitons que notre système de formation, tout en conservant
le caractère universitaire des instituts, soit beaucoup plus proche de la
réalité des classes, avec des professeurs qui partagent leur temps entre
l'école, le collège, le lycée et l'institut de formation, avec des
apprentissages fondamentaux plus étroitement assurés et des formations
permettant aux maîtres de mieux appréhender les difficultés rencontrées
aujourd'hui dans les classes et facilitant leurs relations avec les familles,
les associations, les communes, en un mot avec l'ensemble du milieu dans lequel
se trouve l'école, le collège ou le lycée.
Nous mettrons également en place un accompagnement des nouveaux maîtres au
cours de leurs deux premières années d'enseignement, grâce à des tuteurs et à
des stages en IUFM. Dès l'an prochain, les jeunes maîtres ne seront plus «
jetés à l'eau » sans être, à chaque fois que cela sera possible, aidés,
accompagnés, conseillés. C'est un élément très important.
S'agissant du lycée des métiers, dont M. Jean-Luc Mélenchon aurait pu vous
parler mieux que moi, l'idée principale est de revaloriser mieux encore un
enseignement qui ne doit pas être considéré comme un enseignement par défaut,
si vous me permettez l'expression.
C'est un enseignement à part entière qui y sera dispensé. Je réponds là, entre
autres, à M. Georges Mouly, qui s'est exprimé longuement sur ce sujet. Dans son
département, la Corrèze, le lycée professionnel de Neuvic, isolé en milieu
rural - la question de la ruralité a d'ailleurs été évoquée par plusieurs
d'entre vous à juste titre - figure parmi les premiers établissements qui
bénéficieront de cette appellation. Centré sur le machinisme agricole, ce lycée
possède des classes de BTS et répond à l'essentiel des exigences du cahier des
charges des lycées des métiers. Cet exemple illustre notre volonté de faire de
ces lycées des acteurs majeurs du développement local et régional.
J'en reviens à la ruralité. Je ne vais pas vous accabler de chiffres ; je
dirai seulement qu'un effort important a été accompli au fil des années. En
effet, les élèves des campagnes bénéficieront d'un taux d'encadrement qui est,
en moyenne, supérieur à celui des élèves des villes. A plusieurs reprises, M.
Signé a attiré mon attention sur ce sujet.
Nous avons entrepris toute une série de changements et fait vraiment
l'impossible pour préserver les collèges ruraux. Non seulement ils permettent
aux adolescents de ne pas être trop éloignés de leur famille, mais, surtout,
ils sont, c'est ma conviction, de véritables centres de vie, d'échanges, de
rencontres.
Combien de collèges, par ailleurs, ouvrent, conformément à la manière dont ils
imaginent leur action, leurs portes au-delà des heures de classe ? Combien de
collèges ruraux, ou urbains bien sûr, mais notamment ruraux, ouvrent en fin de
journée aux parents, aux associations, un centre multimédia destiné aux élèves
? Combien de collèges organisent parfois des activités sportives ou éducatives
?
Bref, dans de nombreux endroits, un collège est, je le répète, un lieu de vie,
un foyer intellectuel que nous devons, coûte que coûte, préserver, et je
partage, sur ce point, votre sentiment, monsieur Signé. J'y veillerai avec
attention, notamment au moment de la répartition des moyens, qui sera établie
au cours des prochaines semaines. M. Todeschini m'a interrogé sur l'aménagement
du temps de travail. Un accord national a été conclu avec les organisations
syndicales, lesquelles représentent 80 % des personnels. Cet accord doit
évidemment, ensuite, être transposé site par site, ville par ville, département
par département. Dans la majorité des cas, la mise au point se fait dans de
bonnes conditions, et j'espère, malgré quelques malentendus qui ont pu se
produire ici ou là, que nous réussirons, grâce au dialogue et à la prise en
compte des situations spécifiques, à appliquer harmonieusement l'aménagement et
la réduction du temps de travail sur l'ensemble du territoire national.
Des propositions m'ont été faites s'agissant des directeurs d'école. Les
rapporteurs doivent les connaître, puisqu'elles figurent dans le projet de
budget. Il s'agit de propositions indemnitaires et de propositions de décharge,
qui ne sont pas minces.
L'essentiel du désaccord qui peut subsister porte sur le calendrier
d'application des changements proposés, mais, je dois le dire, c'est la
première fois que ce dossier est traité avec une telle volonté politique
d'aboutir. Je souhaite que le bons sens l'emporte et que la fonction de
directeur d'école, pour laquelle j'ai beaucoup de respect, puisse être exercée
pleinement et dans de bonnes conditions.
M. Michel Guerry s'est fait le porte-parole des élèves des lycées situés hors
du territoire national, qui permettent non seulement à des Français expatriés
de suivre normalement leurs études, mais aussi à des étrangers d'accéder à la
culture française. Il est bon que l'on fasse entendre la voix de ces lycées, si
vous me permettez cette image.
La question des bourses pour les lycéens français de l'étranger méritait aussi
d'être posée. Les crédits ont augmenté régulièrement au cours des derniers
exercices. Mais, comme vous le savez, cette question relève de l'autorité du
ministre des affaires étrangères, auquel je ne veux pas me substituer.
Toutefois, je ne manquerai pas de lui transmettre les observations que vous
avez formulées tout à l'heure.
Il n'est pas non plus en mon pouvoir d'affecter des crédits du ministère de
l'éducation nationale à ces lycées. Si tel était le cas, je veillerais à ce que
les arbitrages soient opérés différemment. Mais, pour l'heure, les compétences
du ministre de l'éducation nationale s'exercent principalement sur le
territoire français, hormis quelques soutiens exceptionnels ; c'est l'exemple
de l'Afghanistan, que Mme Luc a évoqué tout à l'heure.
Sur le plan pédagogique, comme pour le choix des personnels et de leur statut,
il va de soi, en revanche, que ces établissements relèvent pleinement de la
tutelle du ministère de l'éducation nationale.
Mesdames, messieurs, je prie ceux d'entre vous à qui je n'ai pas répondu
complètement de bien vouloir m'excuser. Je suis prêt à le faire à l'occasion
d'une prochaine rencontre, voire par écrit. Je crois toutefois avoir évoqué les
points principaux.
M. Louis Le Pensec.
Monsieur le ministre, vous avez oublié les SEGPA.
Mme Hélène Luc.
C'est important !
M. Jack Lang,
ministre de l'éducation nationale.
Madame, la question ne se traite pas
comme ça ! Nous devons l'examiner sérieusement, chiffres à l'appui.
Les professeurs de ces sections accomplissent d'une façon tout à fait
remarquable la mission très difficile qui leur est confiée. Pour les rencontrer
souvent, je sais avec quelle intelligence, quel talent et quelle force de
caractère ils réussissent à faire progresser des élèves. La question qui se
pose est de savoir comment parvenir à intégrer dans l'enseignement secondaire,
selon un calendrier et des processus à imaginer, ces personnels qui
appartiennent à l'enseignement primaire.
Des solutions sont possibles avec de la bonne volonté, d'autant que nous avons
déjà réussi, en 1992, à intégrer dans l'enseignement secondaire les professeurs
d'enseignement général de collège - les PEGC, comme on disait à l'époque - eux
aussi professeurs de l'enseignement primaire, grâce à un système, des modalités
et un calendrier que nous avions alors mis au point avec les uns et les autres.
Il subsiste d'ailleurs, dans le budget de cette année, des mesures
complémentaires pour des PEGC en voie d'intégration.
C'est sur cette base que nous essaierons de reprendre la discussion.
Personnellement, je souhaite que nous nous retrouvions, avec les intéressés,
autour d'une table pour avancer sérieusement sur cette question...
M. Louis Le Pensec.
Très bien !
M. Jack Lang,
ministre de l'éducation nationale.
... et faire en sorte que ces
professeurs soient pleinement reconnus et intégrés dans l'enseignement
secondaire, puisqu'ils enseignent dans les collèges.
En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, je dirai que, au-delà de nos
divergences bien naturelles dans une démocratie, vous ne pouvez pas ne pas être
frappés par les trésors de dévouement, d'imagination et d'intelligence des
équipes pédagogiques, comme je le suis moi-même, en tant non seulement
qu'acteur, mais aussi de témoin, puisque, comme vous d'ailleurs, en tant
qu'élu, j'ai la chance de visiter des établissements et de voir ce que tous
entreprennent dans les écoles, dans les collèges, dans les lycées
professionnels et dans les lycées d'enseignement général. Je le dis d'autant
plus franchement que j'y ai toujours cru très profondément et que j'y crois
encore plus ces dernières années.
Nos maîtres ont eu à affronter des situations extrêmement difficiles : le
chômage de masse, une croissance démographique très forte, une démocratisation
sans précédent, aussi bien pour les garçons que pour les filles. Eh bien !
n'est-il pas normal, au moment même où les effectifs se stabilisent, ou
éventuellement diminuent - et c'est le sens des mesures nouvelles que je vous
propose : de nouveaux postes, de nouveaux crédits pour l'enseignement du
français, pour l'enseignement des langues, pour l'éveil artistique, pour
l'enseignement des sciences - n'est-il pas normal, dis-je, que ces maîtres, qui
ont réussi l'exploit de former dans des conditions très difficiles des
générations et des générations d'élèves, puissent aujourd'hui accomplir leur
métier avec le sentiment d'être pleinement reconnus par la nation ?
J'ai la chance de recevoir de nombreuses délégations étrangères qui viennent
en France voir de près ce qui s'y passe. Je peux vous dire que, quelle que soit
notre appartenance politique, nous pouvons tous ici, collectivement, être fiers
de notre école républicaine, de notre éducation nationale.
(Applaudissements
sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et
C concernant l'éducation nationale : I. - Enseignement scolaire.
ÉTAT B
M. le président. « Titre III : 320 686 621 euros. »