SEANCE DU 13 DECEMBRE 2001
AVENIR DE LA POLITIQUE SPATIALE
FRANÇAISE ET EUROPÉENNE
Discussion d'une question orale avec débat
(Ordre du jour réservé)
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat suivante
:
M. Henri Revol appelle l'attention de M. le ministre de la recherche sur la
nécessité d'un véritable débat relatif à la politique spatiale. La conférence
interministérielle de l'Agence spatiale européenne réunie le 15 novembre
dernier à Edimbourg devait trancher un certain nombre de questions essentielles
pour l'avenir de l'Europe spatiale, dont la France a traditionnellement été le
moteur. Il s'agit en particulier de la poursuite du programme Ariane 5 Plus
destiné à lutter contre la concurrence des autres lanceurs, de la mise en place
du système européen de positionnement et de navigation GALILEO, de la
coopération entre l'Europe et la Russie - avec notamment la possibilité
d'envoyer des Soyouz dans l'espace depuis la base de Kourou - etc. Il lui
paraît éminemment souhaitable que les sénateurs puissent, à l'issue de cette
conférence, obtenir des informations précises et débattre des questions
spatiales qui reposent souvent sur des choix politiques plus que technologiques
(N. 38).
La parole est à M. Revol, auteur de la question.
M. Henri Revol.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me
réjouis que ce débat sur la politique spatiale, que le Parlement et
singulièrement la Haute Assemblée ont souhaité de longue date, intervienne peu
de temps après le conseil ministériel de l'ESA, ou
European space
agency
, qui s'est tenu à Edimbour, le 14 novembre dernier. Cela me donne
l'occasion de vous féliciter, monsieur le ministre, pour la détermination dont
vous avez fait preuve afin que les décisions prises permettent à l'Europe
spatiale de continuer à exister.
La résolution adoptée par le Conseil témoigne très clairement, dans son tout
premier chapitre intitulé « Le secteur spatial comme un atout stratégique pour
l'Europe », d'une reconnaissance par nos partenaires de la nature stratégique
et par conséquent politique des enjeux dont vous avez débattu et des décisions
que vous avez prises. Vous me permettrez de noter la convergence de ces
conclusions avec celles du rapport que j'ai présenté au printemps dernier à
l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et
technologiques.
J'y relevais que le satellite est un outil puissant au service des stratégies
sociales, culturelles et économiques des Etats, qu'il permet de lutter
efficacement contre les inégalités criantes d'accès aux services entre les
zones urbaines et les zones rurales. Il offre en particulier le moyen de
remédier aux effets de la fracture numérique qui atteignent des entreprises
dont on a cependant encouragé la décentralisation. Il permet de fournir à tous
les habitants d'un pays un accès égal aux technologies de l'information et de
la communication qui gouvernent les capacités économiques des régions, leurs
relations sociales et leur développement culturel.
J'observais de façon plus globale que la pénétration de la technique spatiale
dans le tissu socio-économique « engendre un phénomène global de dépendance
stratégique dont le contrôle fournit le principe unificateur de la politique
spatiale ». Je me félicite que cette prise de conscience, qui transcende toutes
les catégories politiques, ait pu s'exprimer au niveau de l'Europe.
En termes concrets, cela se traduit par des décisions majeures dont, sans
doute, vous voudrez bien nous résumer le contenu et la signification. Elles
concernent notamment l'amélioration d'Ariane 5, avec le double objectif de
suivre l'évolution du marché et de réduire les coûts de production, ainsi que
la compétitivité du Centre spatial guyanais par une harmonisation de la
tarification avec la pratique américaine de subvention aux usagers des
installations fédérales.
Ces décisions concernent également le démarrage du projet GALILEO, enjeu
capital d'autonomie stratégique et élément structurant de la politique spatiale
européenne dont, malheureusement, vos collègues européens des transports ne
semblent pas avoir compris l'importance. J'évoquerai plus longuement ce
problème tout à l'heure.
Elles concernent enfin l'observation de la terre, avec la convergence des
efforts qui s'organise autour de l'initiative
Global Monitoring for
Environment and Security,
ou GMES, et l'effort technologique indispensable
pour permettre à l'industrie des satellites de faire face aux problèmes que lui
posent les nouvelles générations de satellites commerciaux.
En contrepoint de ces éléments programmatiques, l'harmonisation des relations
entre l'Agence spatiale européenne et les structures de l'Union européenne est
évidemment un élément institutionnel d'une importance capitale, qui gouverne la
perception des enjeux spatiaux par les hauts responsables politiques de
l'Europe.
Naturellement, quelle que soit la qualité des résultats obtenus à Edimbourg,
ils laissent ouvertes un certain nombre de questions et de préoccupations.
C'est sur ces questions, monsieur le ministre, que je souhaiterais que vous
vous exprimiez, et je m'attacherai donc à les formuler aussi clairement que
possible.
La première d'entre-elles porte, bien entendu, sur le niveau de financement
des activités spatiales en France. J'ai eu l'occasion de souligner, lors des
débats budgétaires, la double nécessité d'un engagement financier important et
d'une grande stabilité de cet effort dans la durée.
L'engagement financier est indispensable pour que la France conserve son rôle
moteur dans la construction de l'Europe spatiale. En effet, l'Europe est ainsi
faite que ses progrès procèdent de la fermeté des volontés nationales, et la
France doit demeurer pour longtemps ce qu'elle a été dès l'origine : le moteur
de l'Europe spatiale.
Une grande stabilité est également indispensable parce que nous sommes dans un
domaine où aucun succès ne peut s'obtenir sans un effort inscrit dans la durée.
Dans l'action qui est engagée par l'Europe contre les effets d'une dominance
américaine excessive, action dont des projets comme GALILEO et GMES sont les
outils, la persévérance et même, lorsqu'il faut surmonter des revers,
l'obstination sont des vertus sans lesquelles rien ne peut s'accomplir. Il nous
semble donc que la remise en question des activités lors de chaque exercice
budgétaire, l'absence d'un niveau de ressources pluriannuel accepté par l'Etat
et d'un plan stratégique approuvé sont des pratiques qu'il faut proscrire.
Nous souhaiterions, monsieur le ministre, que vous nous indiquiez si vous
partagez ces vues et, le cas échéant, à quelle technique budgétaire vous
envisageriez de recourir pour transcender l'annualité budgétaire et pour
assurer, dans la durée, des financements cohérents avec les décisions
programmatiques et stratégiques.
J'ai noté avec satisfaction que le projet de budget pour 2002 du Centre
national d'études spatiales, le CNES, qui couvre à la fois les activités
nationales et la contribution française aux programmes européens, avait été
préservé d'amputations excessives. Je souhaiterais cependant que nous recevions
de vous l'assurance que cet impératif de stabilité est reconnu par le
Gouvernement, et, singulièrement, que l'administration qui dépend de votre
collègue de l'économie et des finances ne poursuit pas en sous-main - on le
constate dans d'autres domaines - un travail de sape qui serait contraire à la
volonté politique dont témoigne votre action.
Je souhaite d'ailleurs profiter de ce débat sur la politique spatiale pour
rendre hommage au CNES, qui va fêter le 18 décembre prochain son quarantième
anniversaire et dont l'action continue, depuis sa création, a permis de
conférer à la France une compétence exceptionnelle dans le domaine spatial.
J'en viens maintenant à deux préoccupations qui touchent à la politique
internationale.
L'avenir du projet de station spatiale internationale, ou ISS, dans lequel
l'Europe et, par son intermédiaire, la France sont lourdement engagées, vous
cause sans doute, comme à nous, de vives préoccupations. Le Conseil ministériel
de l'ESA a prévu de le financer à hauteur de 847 millions d'euros auxquels
s'ajoutent 12,5 millions d'études et 166 millions pour la préparation des
expériences embarquées, soit, au total, un peu plus d'un milliard d'euros ou
6,7 milliards de francs.
Dans le même temps, la volonté de nos partenaires américains de faire face à
leurs engagements internationaux semble quelque peu chancelante, ébranlée par
les dépassements de coût sur les tâches qui leur incombent.
Avant son départ pour la NASA, l'administrateur général, M. Dan Goldin, avait
constitué, en juin 2001, un groupe d'évaluation du coût et de la gestion du
projet ISS. Les conclusions de ce groupe me semblent extrêmement préoccupantes.
Sans des réformes radicales, le coût total de la station pourrait dépasser 30
milliards de dollars au lieu des 17,4 milliards de dollars prévus à l'origine ;
on propose, pour réduire ce coût, de ramener de 7 à 3 le nombre des occupants
permanents de la station. Compte tenu de l'importance des tâches de
maintenance, cela entraînerait une réduction dramatique des activités
scientifiques et, naturellement, de la participation d'astronautes européens à
ces tâches de recherches.
Nous verrons quelles suites le remplaçant de M. Dan Goldin, M. O'Keefe, entend
donner à ces recommandations, mais il nous semble inévitable que nos
partenaires américains cherchent, dans une augmentation de la participation
européenne, un remède à leurs propres difficultés. Il serait extrêmement
dangereux que l'Europe s'engage dans cette voie à l'heure où le degré de
priorité que l'exécutif américain accorde au projet ISS semble nettement
diminué.
Quelle que soit l'importance des relations de coopération spatiale que nous
entretenons avec les Etats-Unis - et nous venons de partager le succès du
lancement du satellite Jason - une telle démarche ne pourrait que déséquilibrer
l'effort spatial de l'Europe au détriment des programmes qui servent nos
intérêts propres. J'ai noté avec intérêt que le conseil ministériel avait lié
le déblocage d'une fraction importante des ressources financières à la
confirmation des engagements de la NASA.
Monsieur le ministre, à défaut d'assurances concernant le succès de l'ISS
qu'il n'est pas en votre pouvoir de donner, nous souhaiterions recevoir de vous
la garantie qu'aucun engagement nouveau destiné à pallier la déficience
américaine ne sera consenti, sinon par l'Europe, du moins par la France.
Autre sujet de préoccupation : notre coopération avec la Russie, qui demeure
la deuxième puissance spatiale du monde. Il va de soi que ce sujet ne pouvait
être au centre des débats du Conseil d'Edimbourg, et la résolution finale ne le
mentionne qu'en passant, invitant le directeur général de l'ESA à développer,
sans autre précision, les coopérations existantes.
Nous ne mésestimons pas le pouvoir symbolique des vols de spationautes
français sur des vaisseaux russes ni la qualité des liens qu'ils créent. Mais,
au-delà de ses aspects spectaculaires, l'activité spatiale repose sur une
capacité industrielle. Il nous semble donc essentiel que les enjeux
substantiels qui s'attachent à une coopération avec la Russie reçoivent une
grande attention.
Des liens étroits se sont établis, de longue date, vous le savez, entre
l'industrie spatiale américaine et l'industrie russe. Il nous semble très
important que l'industrie européenne ne demeure pas, à cet égard, dans une
situation d'isolement. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai recommandé,
dans le rapport que j'ai soumis au Parlement, d'examiner avec le plus grand
soin l'ouverture du centre spatial guyanais au lanceur Soyouz.
Je me félicite que le Conseil d'Edimbourg ait arrêté un processus de décision
concernant cette question particulière et, plus généralement, celle de
l'ouverture du centre de lancement guyanais à d'autres lanceurs qu'Ariane. Les
utilisateurs trouveraient ainsi, sur le meilleur site de lancement du monde,
une gamme de lanceurs adaptée à la diversité des besoins.
Il faut noter, à ce sujet, l'empressement des Russes à trouver des ouvertures
sur l'espace à partir de sites équatoriaux. Une importante délégation vient de
rencontrer les industriels de Toulouse afin de leur présenter le futur centre
de lancement russo-australien des Iles Christmas et un lanceur baptisé Aurora
utilisant des éléments de Soyouz et de Proton dans le cadre d'une coopération
avec des industriels asiatiques.
Une autre raison commande impérieusement l'examen de cette question, qui est
de fonder l'activité du centre spatial guyanais sur une base élargie et de
mieux garantir sa pérennité. Nous devons garder, en effet, à l'esprit que la
stabilité économique et politique de notre département de Guyane dépend de
façon critique et pour longtemps des activités spatiales qu'il héberge. Ainsi,
au-delà des considérations tactiques qui peuvent peser sur la décision
concernant Soyouz, se profile un enjeu politique auquel nous ne pouvons rester
indifférents.
Au-delà de cet important cas d'espèce, nous souhaiterions que vous nous
indiquiez, le cas échéant, comment peuvent se développer, pour un bénéfice
mutuel, des relations de coopération industrielle entre la France et la Russie.
La même question se pose, d'ailleurs, en ce qui concerne les relations avec le
Japon.
Enfin et, en l'occurrence, il s'agit malheureusement d'un problème d'une
brûlante actualité - je pourrais dire « qu'il y a le feu » - le projet GALILEO,
pourtant reconnu à Edimbourg, vient de trébucher à Bruxelles lors du conseil
des ministres des transports de l'Union, provoquant d'ailleurs - il faut lui
rendre hommage pour sa lucidité et son courage - la colère de Mme Loyola de
Palacio, le commissaire européen chargée des transports et de l'énergie.
Celle-ci a déclaré, à juste titre, « l'Europe doit choisir si elle veut être
seulement consommatrice des applications développées ailleurs ou être acteur de
son développement ! ». C'est en effet purement et simplement l'indépendance de
l'Europe qui est en jeu. Bien sûr, le GPS américain est à notre disposition
gratuitement. Alors pourquoi chercher ailleurs, disent les opposants à GALILEO
?
M. Alain Gournac.
Ils ont tort !
M. Henri Revol.
Comme le font les autruches, c'est mettre la tête dans le sable ! Il y a là un
grand danger, et il faut absolument que les chefs d'Etat et de gouvernement de
l'Union européenne, qui se réunissent demain et après-demain à Laeken en
Belgique, prennent une décision positive. Sinon, ce sera un désastre ! Je me
suis d'ailleurs ouvert de ces préoccupations au Président de la République.
Les parlementaires européens ont également bien saisi l'importance de cet
enjeu, et ils ont appelé, ce matin même, les chefs d'Etat et de gouvernement à
surmonter les divergences qui se sont manifestées lors du dernier conseil des
ministres des transports et à engager sans délai le programme GALILEO. Ils ont
déclaré :
« GALILEO est une occasion unique pour les chefs d'Etat et de gouvernement de
démontrer qu'ils sont porteurs d'une forte volonté politique et disposent d'une
vision d'avenir pour l'Europe. GALILEO s'impose en effet aujourd'hui à l'Union
européenne si elle veut faire la preuve de son indépendance aéronautique et
spatiale, mais aussi de sa réussite commerciale, tant sur le plan technologique
qu'en termes d'emplois qualifiés.
« Il y a plus de trente ans, des Etats européens s'engageaient dans les
formidables aventures que sont devenues Ariane et Airbus. Cette volonté
politique a été couronnée de succès. Aujourd'hui, GALILEO constitue le premier
grand programme communautaire en matière spatiale. Face à la concurrence
mondiale, GALILEO doit très clairement manifester l'affirmation de l'Europe
spatiale communautaire et l'ambition européenne de maintenir dans ce domaine un
rang de tout premier plan à notre continent. »
Ce texte a recueilli la signature de plus de 160 députés européens, et Mme
Nicole Fontaine va le présenter au sommet de Laeken.
J'aborderai, pour terminer, le volet de la politique spatiale qui, pour être
absent des débats d'Edimbourg, n'en a pas moins une importance majeure : je
veux parler des applications militaires, qui concernent plus précisément le
ministre de la défense.
Le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et
technologiques, que j'ai déjà évoqué, n'a pu que constater une carence dans ce
domaine.
Le retard de l'Europe de la défense sur d'autres compartiments de la
construction européenne n'est pas seul en cause. Force est de constater que, si
la France a été le moteur de l'Europe dans le domaine de l'espace civil, elle
n'a pas joué le même rôle dans le domaine militaire. Plus grave encore que la
faiblesse des ressources financières qui lui sont affectées et leur
décroissance continuelle, l'absence de doctrine et d'objectifs concernant la
place de l'espace dans l'ensemble des forces armées ne peut que frapper
l'observateur le moins averti. Qu'en serait-il si les quelques projets
militaires qui ont abouti, les Hélios et quelques satellites de
télécommunications, n'avaient pu s'appuyer, pour l'essentiel, sur des acquis
techniques civils ?
A cette carence des programmes s'ajoute une absence des représentants de la
défense dans les forums où s'élabore, au niveau national comme au niveau
européen, la définition des éléments de la capacité spatiale européenne.
S'agissant du projet GALILEO, dont la capacité duale est évidente, l'attitude
des responsables de notre défense semble gouvernée exclusivement par le souci
de ne pas être appelés à participer à son financement. Aussi bien
n'hésitent-ils pas à affirmer, ce qui est tout de même curieux pour les
responsables de notre défense, que les services fournis par un système
militaire américain, le GPS, dont ils n'ont pas la clef et dont l'accès peut à
tout instant leur être refusé, suffisent à leurs besoins. L'acceptation de
cette dépendance ne semble pas être, c'est le moins que l'on puisse dire,
conforme aux objectifs d'autonomie qui ont toujours sous-tendu la politique
française de défense. Qu'en sera-t-il le jour où le projet européen, s'il est
mené à bien, se révélera mal adapté aux besoins des responsables de la défense
parce qu'ils n'auront pas participé à sa définition ?
Le secteur de l'observation de la terre appelle le même constat de carence.
Alors que se développe l'initiative GMES -
Global Monitoring for Environment
and Security -
qui vise à développer le dynamisme et la cohérence de
l'action européenne dans ce domaine et alors même que la définition de GMES
englobe explicitement le service des missions de Petersberg, les représentants
de la défense ne participent pas aux débats où s'élabore l'attitude nationale à
l'endroit de cette initiative.
Nous comprenons bien, monsieur le ministre, qu'il n'appartient pas à votre
département ministériel d'exprimer des besoins dans ce domaine, mais il lui
revient de formuler et de faire approuver une politique spatiale qui, par
nature, possède une dimension interministérielle.
La carence matérielle et doctrinale de l'espace militaire français crée une
situation dont, me semble-t-il, le Parlement ne peut se satisfaire, alors même
que l'expérience des conflits récents nous a enseigné le rôle central de la
technique spatiale dans le contrôle des flux d'information dont une armée
moderne a un besoin vital, alors même que nous pouvons observer l'efficacité
avec laquelle nos alliés américains ont su utiliser, pendant la guerre du
Golfe, la capacité duale des satellites civils SPOT et faire leur profit des
informations ainsi obtenues, alors même qu'aujourd'hui le conflit d'Afghanistan
nous procure une démonstration de ce qu'est la guerre de l'information.
Plus généralement, monsieur le ministre, notre propre histoire nous a enseigné
durement, au cours du siècle dernier, le danger qui s'attache aux retards
technologiques dans le domaine de la défense.
Tout cela me conduit à vous demander - c'est par là que je terminerai - si
vous disposez, au niveau gouvernemental, des moyens institutionnels nécessaires
pour exercer la responsabilité globale dont vous êtes investi, à savoir définir
une politique spatiale qui soit vraiment interministérielle et veiller à sa
mise en oeuvre.
La composante militaire - ou plutôt sa quasi-absence - est un aspect essentiel
de cette question, mais le problème est beaucoup plus général. La dépendance à
l'endroit des moyens spatiaux se manifeste dans divers secteurs de la société
civile qui relèvent de départements ministériels nombreux - je ne citerai à
titre d'exemple que le ministère des transports, si évidemment impliqué dans le
programme GALILEO.
Cependant, l'unité technique du domaine et celle du substrat industriel
appellent une démarche fondée sur une vision synthétique des objectifs et des
moyens, c'est-à-dire sur une politique globale qui doit impliquer le
Gouvernement dans son ensemble, ainsi que la plupart des départements
ministériels.
Il me semble nécessaire, monsieur le ministre, que vous ayez les moyens d'agir
à ce niveau et d'exprimer une ambition pour notre pays.
Il me paraît non moins nécessaire que les choix politiques dans ce domaine
soient soumis au débat parlementaire. Ce débat devant la Haute Assemblée - dont
vous avez volontiers accepté le principe, ce dont je vous remercie à nouveau -
est le premier de cette sorte depuis les origines de l'effort spatial. Je
souhaite qu'il marque le début d'une pratique nouvelle conforme à l'importance
politique de ce qui est en jeu.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Bernard Angels remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. BERNARD ANGELS
vice-président
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 30 minutes ;
Groupe socialiste, 27 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 16 minutes ;
Groupe communiste, républicain et citoyen, 11 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 10 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, longtemps
considéré à tort comme un simple élément de prestige politique puis, à juste
raison, comme un outil militaire indispensable, le secteur spatial est devenu
un considérable vecteur de puissance économique. A tel point que l'on peut
affirmer, sans risque de se tromper, qu'il constitue l'un des attributs, sinon
l'attribut, qui caractérise la puissance et la souveraineté politique et
économique d'aujourd'hui, mais encore plus de demain.
Il s'agit là, sans conteste, de la plus importante mutation qu'ait connue ce
secteur. Son utilisation massive et accélérée pour les télécommunications au
sens large, sa contribution au développement de la société de l'information,
ses implications dans les domaines de l'environnement, son rôle moteur dans
l'explosion des connaissances scientifiques et dans la surveillance de
l'environnement en témoignent tous les jours.
J'ajoute que l'espace militaire est tout aussi important pour notre pays que
pour l'Europe.
Autant dire que l'espace est un enjeu essentiel pour la France, qui continue
de jouer un rôle moteur dans le développement de l'industrie spatiale
européenne, et que, à l'évidence, la politique spatiale est un enjeu majeur non
seulement pour la France, mais pour l'Europe.
En effet, grâce à la qualité de nos scientifiques et de nos industriels, au
volontarisme politique réaffirmé par tous les gouvernements et au rôle que joue
l'Etat en matière de définition d'un intérêt général à long terme, notre pays
est l'un des piliers de l'Europe spatiale.
La France peut encore apporter beaucoup à l'Europe pour l'aider à définir et à
mettre en oeuvre une grande politique spatiale à même de lui donner un
véritable poids politique.
Oui, mes chers collègues, la monnaie unique ne palliera pas l'absence d'un
grand dessein politique dans un domaine aussi stratégique que l'espace.
La France, adossée à l'Europe, dispose du potentiel scientifique et financier
lui permettant de devenir une puissance capable de rivaliser avec les
Etats-Unis dans tous les domaines de l'industrie spatiale. Encore faut-il s'en
donner la volonté politique et les moyens, et ne pas s'en remettre aux simples
forces du marché.
A mes yeux, seule la puissance publique est en mesure de donner les impulsions
nécessaires dans un secteur où la vision à long terme - vingt ou trente ans -
est une exigence absolue.
Il est aujourd'hui de bon ton de contester le rôle et la place de la puissance
publique, et cela dans tous les domaines mais en particulier dans
l'aéronautique et l'espace. L'heure, nous dit-on, est aux grands ensembles
industriels, plus fondés, à vrai dire, sur des logiques financières et «
actionnariales » que sur de réelles synergies scientifiques et
industrielles.
Il s'agit là, à mon sens, d'une vision dogmatique et inefficace.
Les plus grandes réussites dans les hautes technologies - Airbus, Ariane, le
TGV, etc. - ont été le fruit d'une initiative de la puissance publique, seule
capable de se fixer un horizon large et lointain.
On m'opposera sans doute le cas des Etats-Unis. Ce serait oublier le rôle du
gouvernement fédéral qui, dans une période antérieure, stimulé par une
compétition féroce avec l'ex-Union soviétique, a bel et bien donné les
impulsions nécessaires, notamment par le biais de crédits publics - je pense en
particulier aux crédits militaires, d'ailleurs astucieusement mêlés à des
crédits civils - pour que les Etats-Unis conquièrent leur
leadership
.
Au demeurant, en dépit des bouleversements économiques et de la croissance
des activités spatiales à caractère commercial - une évolution qui n'est pas en
soi négative, au contraire - la puissance publique demeure le principal moteur
du développement de ce secteur.
A l'heure où les Etats-Unis, première puissance spatiale et principal
concurrent des pays européens, consacrent six fois plus d'argent public que
l'Europe au secteur spatial, nous faisons preuve d'une grande faiblesse.
M. Michel Pelchat.
Absolument !
M. Paul Loridant.
Malheureusement, au vu des négociations qui ont eu lieu à Edimbourg les 14 et
15 novembre dernier lors du conseil ministériel de l'Agence spatiale
européenne, il est fort à craindre que la situation ne s'améliore pas ou du
moins qu'elle ne s'améliore pas aussi vite qu'il serait souhaitable.
J'ai bien noté, monsieur le ministre, votre présence très active à Edimbourg
et votre volonté de défendre les intérêts de notre pays comme de l'Europe en ce
domaine. Néanmoins, quelques incertitudes subsistent ; notre collègue Henri
Revol vient de les évoquer.
Un projet de restructuration préparé dans la plus grande opacité, à l'insu
d'ailleurs des parlements nationaux et même du Parlement européen, vise à
remettre en cause le rôle du secteur public dans le développement et la mise en
oeuvre de la nouvelle génération des lanceurs Ariane V.
Sous prétexte de faire face à une compétition de plus en plus âpre, les
rédacteurs de ce projet proposent de transférer les prérogatives essentielle du
CNES à l'organisation européenne ESA. Le CNES, qui risquerait d'être ainsi
démantelé, serait exclu de l'actionnariat et du pilotage d'Arianespace, qui
assure actuellement la maîtrise d'oeuvre, la commercialisation, l'intégration
et le développement des lanceurs spatiaux. Dans ce cas de figure, il est plus
que probable que le rôle d'Arianespace soit progressivement transféré à des
industriels. L'acteur public national serait, de la sorte, mis à l'encan, sans
aucun débat et, qui plus est, sans que la représentation nationale en eût été
saisie.
En application des principes libéraux sur lesquels reposent la construction
européenne, et en l'absence de toute vision politique, le rôle de l'ESA se
limiterait, pour l'essentiel, à assurer, au nom de l'Europe, la fixation des
cahiers des charges et la distribution des financements publics.
Monsieur le ministre, cette affaire est, pour les membres du groupe communiste
républicain et citoyen, d'une gravité exceptionnelle, tant sur la forme que sur
le fond, et illustre les dérives d'une certaine conception de la construction
européenne. Etes-vous en mesure, monsieur le ministre, de nous donner des
éléments susceptibles de nous rassurer quant à la place et au rôle du CNES dans
la politique spatiale europénne ?
Nous voulons préserver l'agence spatiale nationale. J'ajoute que nous voulons
aussi préserver son rôle et sa place dans le département de l'Essonne,
notamment à Evry.
M. Michel Pelchat.
Très bien !
M. Alain Gournac.
Et aux Mureaux !
M. le président.
Et aux Mureaux, bien sûr, mon cher collègue !
M. Georges Othily.
Et en Guyane !
M. Paul Loridant.
Et en Guyane aussi !
(Sourires.)
Par ailleurs, le groupe communiste républicain et citoyen
s'inquiète, comme M. Revol, de l'avenir du projet européen de positionnement
par satellite GALILEO, après le refus opposé par l'Allemagne, le Royaume-Uni,
les Pays-Bas, la Suède, le Danemark et l'Autriche de contribuer à son
financement. Alors que le sommet d'Edimbourg s'était bien passé à cet égard, il
semble que certains Etats reviennent en arrière, s'il faut en croire les
déclarations de leurs ministres des transports.
Monsieur le ministre, nous vous le disons franchement, cette attitude risque
de faire l'affaire des Américains et de leur système GPS, ce qui nous mettrait
dans une situation de dépendance dramatique sur les plans technologique,
économique et militaire.
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Paul Loridant.
L'Europe est-elle à ce point en déliquescence qu'elle refuse d'accéder à
l'autonomie dans le domaine du guidage par satellite ?
M. Alain Gournac.
Et voilà !
M. Paul Loridant.
Comment peut-on être ainsi à la fois sourds, aveugle et muet ?
M. Michel Pelchat.
Bravo !
M. Paul Loridant.
L'Europe ne peut pas se résumer à la monnaie unique ! L'euro ne suffit pas à
faire de l'Europe une puissance. Pour cela, il faut des attributs, il faut des
réalisations technologiques de pointe. L'Europe de l'espace est l'un des moyens
de construire cette Europe.
Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous rassurer sur ce point et nous
réaffirmer la volonté de notre pays dans ce domaine ?
Je voudrais terminer en remerciant notre collègue Henri Revol à la fois du
rapport qu'il a établi pour l'Office parlementaire des choix scientifiques et
technologiques et de l'intiative qu'il a prise en suscitant un débat sur ce
sujet important pour l'avenir de la France et de l'Europe.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens
tout d'abord à remercier notre collègue Henri Revol de sa question orale avec
débat, qui nous permet aujourd'hui, à la suite de son excellent rapport
intitulé « l'Espace : une ambition politique et stratégique pour l'Europe »,
réalisé pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et
technologiques, de débattre d'un sujet important pour l'avenir de l'Europe et
de son rôle sur la scène internationale.
L'utilisation de l'espace a fait des progrès considérables au cours des
dernières décennies et constitue désormais une des composantes essentielles
d'une politique de puissance à la fois militaire et civile. D'ailleurs, les
Etats-Unis ont très largement fait de l'espace une des clés de leur domination
tant économique que politique ou militaire.
Parallèlement, de nouveaux pays se sont lancés dans des programmes spatiaux,
tels l'Inde, la Chine, le Brésil ou le Japon.
Longtemps relégués à un rang secondaire, les pays asiatiques ont démontré
qu'une politique volontariste, alliée à des investissements soutenus, pouvait
déboucher rapidement sur de réels succès techniques.
Face à ce constat de forte concurrence, l'Europe dispose de points forts : une
remarquable maîtrise technologique des applications spatiales et une base
industrielle compétitive, renforcée par les récents regroupements opérés. Ne
minimisons pas le succès de la société Arianespace, qui a su rapidement
conquérir plus de la moitié du marché mondial des lancements commerciaux de
satellites géostationnaires, ou bien encore les réussites d'EUTELSAT et
d'EUMETSAT.
Tout récemment encore, le 20 novembre dernier, les Européens ont devancé les
Américains en établissant la première transmission laser entre deux satellites
: le satellite français d'observation de la terre Spot 4 et le satellite
expérimental européen Artemis, séparés de plusieurs milliers de kilomètres.
L'Agence spatiale européenne, le CNES et l'industriel Astrium ont engagé 150
millions d'euros dans ce programme Silex, qui permettra à terme la
retransmission vers la terre des images prises par les satellites sans qu'ils
soient obligés de survoler une station de réception.
Si l'Europe bénéficie de nombreux atouts, la concurrence accrue fait qu'elle
ne peut plus se permettre d'aborder les questions spatiales de manière
dispersée et morcelée, d'où la définition d'une stratégie fondée sur trois
objectifs fondamentaux : renforcer l'assise des activités spatiales ; accroître
les connaissances scientifiques ; faire bénéficier de ces connaissances et
activités les marchés et la société.
Il reste maintenant à faire entrer ces objectifs dans les faits et à les
confronter au principe de réalité de la coopération européenne en matière
spatiale.
Dans ce cadre, le conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne, réuni
pour passer en revue les différents programmes scientifiques pour la période
2002-2006, auquel vous avez participé, monsieur le ministre, les 14 et 15
novembre dernier, a donné lieu à des arbitrages positifs en particulier sur
deux programmes essentiels pour l'indépendance spatiale de l'Europe : le
lanceur Ariane et Galileo, le futur GPS européen.
Concernant les lanceurs commerciaux, vous avez réussi à convaincre l'Allemagne
de consacrer 278 millions d'euros, soit un milliard de plus que ce qui était
envisagé initialement par notre partenaire, aux trois programmes : Ariane 5 «
plus », ARTA et INFRA.
Dès la mi-2002, la fusée Ariane 5 « plus » sera équipée d'un nouvel étage
supérieur à propulsion cryotechnique qui lui permettra de lancer une charge
utile de 9 tonnes, contre 6 actuellement. Dans une seconde étape, d'ici à 2006,
le moteur Vulcain 2, actuellement mis au point par la SNECMA, devrait permettre
à la fusée Ariane 5 « évolution » d'emporter 11 tonnes de charge utile en
orbite géostationnaire.
Avec ces adaptations essentielles au regard de l'augmentation du volume des
satellites commerciaux et d'un souci de rentabilité, grâce au lancement de deux
satellites à chaque tir, le lanceur européen conservera son avance
technologique face à la concurrence américaine.
Reste le problème de la distorsion de concurrence induite par la prise en
charge, aux Etats-Unis, des frais de lancement par l'US Air Force, alors que
ces mêmes frais incombent, pour l'utilisation du centre de Kourou, à
l'organisme qui veut mettre un satellite en orbite.
Concernant le futur système européen de navigation par satellite GALILEO, le
conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne avait fait la moitié du
chemin en décidant de débloquer 547 millions d'euros pour la phase de
développement de ce projet ; restait à l'Union européenne à prendre en charge
l'autre moitié.
Mais le Conseil transports du 7 décembre dernier a porté un sérieux coup
d'arrêt à GALILEO, au point que la commissaire européenne aux transports a pu
dire : « GALILEO est sur le point de couler à jamais. » En effet, non seulement
les Quinze n'ont pas approuvé la création de l'entreprise commune destinée à
gérer la poursuite de ce projet, mais ils n'ont pas non plus débloqué les
financements nécessaires. Huit Etats membres s'y sont opposés.
L'étude indépendante réalisée par Price Waterhouse, concluant à un coût plus
élevé que prévu, aurait visiblement ébranlé la confiance de certains pays en la
viabilité économique de GALILEO.
Dans ces conditions, la commission voudrait que le projet soit soumis aux
chefs d'Etat et de gouvernement lors du sommet, déjà très chargé, de Laeken,
qui se tiendra demain et après-demain. Or les Pays-Bas, l'Autriche, la Suède,
le Danemark, l'Allemagne et le Royaume-Uni souhaitent, de leur côté, que la
décision de poursuivre ou non le programme GALILEO soit repoussée au mois de
mars 2002.
Nous sommes donc encore dans l'expectative, mais j'aimerais tout de même
connaître, monsieur le ministre, votre appréciation sur la situation.
Pour ma part, elle m'inspire deux remarques.
D'abord, la prédominance de la notion de juste retour industriel et de
l'obligation de préserver les intérêts industriels nationaux représente une
contrainte porteuse de risques pour la coopération européenne, surtout si elle
n'est pas appréhendée de manière globale, c'est-à-dire en prenant en compte
l'ensemble des programmes en coopération. Il nous manque encore une vision
globale de l'Europe spatiale afin d'inscrire la coopération européenne dans une
véritable politique de l'espace, centrée sur l'exigence d'autonomie et
d'indépendance de l'Europe.
Ensuite, les aléas du projet GALILEO démontrent qu'une structure
institutionnelle et un financement bicéphales ne sont pas adaptés aux enjeux et
aux objectifs visés.
Consciente de la nécessité de formaliser au minimum leurs relations, l'Agence
spatiale européenne et la Commission européenne ont déjà opéré des
rapprochements et développé une meilleure synergie. Déjà, la mise en place, en
mai 2000, dans le cadre du programme GALILEO, du bureau chargé de fournir une
assistance technique permanente au comité directeur du projet et aux équipes
industrielles et scientifiques a marqué une étape dans le renforcement du cadre
institutionnel.
Depuis, la Commission européenne et l'exécutif de l'Agence spatiale européenne
ont institué une
task force
conjointe, qui a pour mission d'approfondir
la stratégie européenne pour l'espace et d'établir des propositions pour sa
mise en oeuvre.
Tout récemment, dans sa communication au Conseil et au Parlement européen
intitulée « Vers une politique européenne de l'espace », la Commission a
présenté l'analyse et les recommandations établies par cette
task force
commune. Parmi ces recommandations, figure la conclusion d'un accord-cadre
entre l'Union européenne et l'Agence spatiale européenne afin d'instituer une
structure efficace de coopération, délimitant clairement les rôles et
responsabilités de chacun en matière de définition des politiques. Pouvez-vous,
monsieur le ministre, nous donner d'ores et déjà des éléments sur la manière
dont les différents Etats membres apprécient cette évolution institutionnelle
?
Quant à la question des négociations en cours avec la Russie visant à ce que
la fusée Soyouz décolle de la base guyanaise de Kourou à partir de 2003, elle a
seulement été évoquée à Edimbourg. Cette option présente deux avantages
majeurs.
Elle permettrait d'abord d'éviter une marginalisation totale de l'industrie
européenne des lanceurs par une coopération exclusive entre la Russie et les
Etats-Unis, à travers le projet « Soyouz
by
Boeing ».
Ce partenariat entre la Russie et les Etats-Unis offrirait en outre à ces
derniers le contrôle du seul moyen d'accès à la station spatiale
internationale, en dehors de leur navette, alors même que des tensions existent
déjà entre Europe et Etats-Unis du fait du non-respect par la NASA du traité
international.
Ensuite, avec la fin de service d'Ariane 4, Ariane 5 bénéficierait, à travers
Soyouz, d'un lanceur complémentaire.
De plus, cette alliance entre l'Europe et la Russie ouvrirait peut-être la
voie à une participation de l'industrie aéronautique russe civile au programme
Airbus, comme l'espère en tout cas EADS - qui renforcerait ainsi ses capacités
de recherche technologique -, et offrirait, à moyen terme, une perspective
d'augmentation de la puissance de l'Europe face aux industriels américains.
Actuellement, les négociations achoppent sur deux points : la participation à
hauteur d'un tiers des dépenses de la Russie en complément de l'Union et des
industriels pour la construction d'un pas de tir adapté au Soyouz, et le prix
exorbitant d'acquisition de la fusée proposée par les Russes. Monsieur le
ministre, pensez-vous que les désaccords pourront être surmontés afin de
parvenir à un accord pour juin 2002 ?
Les applications de la recherche spatiale dans la vie quotidienne sont
considérables, ne serait-ce que dans le secteur des télécommunications. Le
domaine environnemental, qui constitue une attente et une demande forte des
citoyens européens, est lui aussi très prometteur, notamment depuis le
lancement réussi du satellite franco-américain Topex-Poseidon en 1992. En un
mois de service, celui-ci a réuni plus d'informations que tous les instruments
embarqués en mer depuis un siècle.
Le vendredi 7 décembre, comme en a rendu compte la presse, a été mis en orbite
le successeur de Topex-Poseidon : le satellite franco-américain de mesure de la
hauteur des océans Jason, fabriqué par Alcatel Space Industries, est cinq fois
plus léger et près de trois fois moins cher. Placé sur la même orbite que
Topex-Poseidon, Jason prendra la relève des mesures enregistrées depuis neuf
ans, afin de mieux comprendre les interactions entre les océans et l'atmosphère
et leur impact sur le climat. Les applications concernent de nombreux secteurs,
par exemple la marine pour l'aide à la navigation, la pêche pour mieux gérer
les ressources halieutiques ou la lutte contre les marées noires par une
modélisation de la dérive des nappes de pétrole.
Parallèlement, l'initiative GMES -
Gilobal Monitoring of Environment and
Security
- « surveillance mondiale de l'environnement et de la sécurité »,
vise à coordonner les outils spatiaux de surveillance et d'études de
l'environnement afin de fournir à l'Union européenne des informations
pertinentes pour aider à la prise de décision en matière de changements
climatiques planétaires, de développement durable, d'agriculture ou de pêche...
Ainsi peut-on imaginer également, grâce à cet outil, un repérage systématique
des bateaux en train de dégazer, une meilleure prévention des marées noires ou
des catastrophes naturelles. Les données recueillies devront être traduites en
informations accessibles au grand public, ce qui induit un effort important
dans le traitement des données et la diffusion des connaissances, l'autre
obstacle étant le coût de telles informations.
En conclusion, la définition d'une véritable politique spatiale européenne
exige de répondre à la question du degré de souveraineté que l'Europe entend
atteindre. Les divergences et aléas du projet GALILEO montrent que cette
question n'est toujours pas réglée. Ce qu'il manque encore à l'Europe, c'est
avant tout une meilleure clarification et coordination des efforts pour une
véritable politique spatiale commune et globale.
Dans cette perspective, la France, qui a toujours été un moteur de l'Europe
spatiale, se doit de renforcer son rôle d'impulsion, car, comme dans bien
d'autres domaines, notre avenir spatial, c'est l'Europe.
Il passe aussi par un renforcement des coopérations internationales, seul
cadre permettant d'éviter d'exacerber les concurrences commerciales pour
stimuler la recherche scientifique fondamentale, afin que le progrès
technologique soit plus orienté vers les applications civiles bénéfiques au
plus grand nombre que vers les applications militaires, qui sont souvent le
moteur financier des industriels.
(Applaudissements.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons suspendre nos travaux afin d'assister à
l'inauguration par M. le président Poncelet de la plaque commémorant
l'installation de l'Assemblée consultative provisoire au Palais du
Luxembourg.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures
cinquante.)