SEANCE DU 13 DECEMBRE 2001


AVENIR DE LA POLITIQUE SPATIALE
FRANÇAISE ET EUROPÉENNE

Discussion d'une question orale avec débat
(Ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat suivante :
M. Henri Revol appelle l'attention de M. le ministre de la recherche sur la nécessité d'un véritable débat relatif à la politique spatiale. La conférence interministérielle de l'Agence spatiale européenne réunie le 15 novembre dernier à Edimbourg devait trancher un certain nombre de questions essentielles pour l'avenir de l'Europe spatiale, dont la France a traditionnellement été le moteur. Il s'agit en particulier de la poursuite du programme Ariane 5 Plus destiné à lutter contre la concurrence des autres lanceurs, de la mise en place du système européen de positionnement et de navigation GALILEO, de la coopération entre l'Europe et la Russie - avec notamment la possibilité d'envoyer des Soyouz dans l'espace depuis la base de Kourou - etc. Il lui paraît éminemment souhaitable que les sénateurs puissent, à l'issue de cette conférence, obtenir des informations précises et débattre des questions spatiales qui reposent souvent sur des choix politiques plus que technologiques (N. 38).
La parole est à M. Revol, auteur de la question.
M. Henri Revol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que ce débat sur la politique spatiale, que le Parlement et singulièrement la Haute Assemblée ont souhaité de longue date, intervienne peu de temps après le conseil ministériel de l'ESA, ou European space agency , qui s'est tenu à Edimbour, le 14 novembre dernier. Cela me donne l'occasion de vous féliciter, monsieur le ministre, pour la détermination dont vous avez fait preuve afin que les décisions prises permettent à l'Europe spatiale de continuer à exister.
La résolution adoptée par le Conseil témoigne très clairement, dans son tout premier chapitre intitulé « Le secteur spatial comme un atout stratégique pour l'Europe », d'une reconnaissance par nos partenaires de la nature stratégique et par conséquent politique des enjeux dont vous avez débattu et des décisions que vous avez prises. Vous me permettrez de noter la convergence de ces conclusions avec celles du rapport que j'ai présenté au printemps dernier à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
J'y relevais que le satellite est un outil puissant au service des stratégies sociales, culturelles et économiques des Etats, qu'il permet de lutter efficacement contre les inégalités criantes d'accès aux services entre les zones urbaines et les zones rurales. Il offre en particulier le moyen de remédier aux effets de la fracture numérique qui atteignent des entreprises dont on a cependant encouragé la décentralisation. Il permet de fournir à tous les habitants d'un pays un accès égal aux technologies de l'information et de la communication qui gouvernent les capacités économiques des régions, leurs relations sociales et leur développement culturel.
J'observais de façon plus globale que la pénétration de la technique spatiale dans le tissu socio-économique « engendre un phénomène global de dépendance stratégique dont le contrôle fournit le principe unificateur de la politique spatiale ». Je me félicite que cette prise de conscience, qui transcende toutes les catégories politiques, ait pu s'exprimer au niveau de l'Europe.
En termes concrets, cela se traduit par des décisions majeures dont, sans doute, vous voudrez bien nous résumer le contenu et la signification. Elles concernent notamment l'amélioration d'Ariane 5, avec le double objectif de suivre l'évolution du marché et de réduire les coûts de production, ainsi que la compétitivité du Centre spatial guyanais par une harmonisation de la tarification avec la pratique américaine de subvention aux usagers des installations fédérales.
Ces décisions concernent également le démarrage du projet GALILEO, enjeu capital d'autonomie stratégique et élément structurant de la politique spatiale européenne dont, malheureusement, vos collègues européens des transports ne semblent pas avoir compris l'importance. J'évoquerai plus longuement ce problème tout à l'heure.
Elles concernent enfin l'observation de la terre, avec la convergence des efforts qui s'organise autour de l'initiative Global Monitoring for Environment and Security, ou GMES, et l'effort technologique indispensable pour permettre à l'industrie des satellites de faire face aux problèmes que lui posent les nouvelles générations de satellites commerciaux.
En contrepoint de ces éléments programmatiques, l'harmonisation des relations entre l'Agence spatiale européenne et les structures de l'Union européenne est évidemment un élément institutionnel d'une importance capitale, qui gouverne la perception des enjeux spatiaux par les hauts responsables politiques de l'Europe.
Naturellement, quelle que soit la qualité des résultats obtenus à Edimbourg, ils laissent ouvertes un certain nombre de questions et de préoccupations. C'est sur ces questions, monsieur le ministre, que je souhaiterais que vous vous exprimiez, et je m'attacherai donc à les formuler aussi clairement que possible.
La première d'entre-elles porte, bien entendu, sur le niveau de financement des activités spatiales en France. J'ai eu l'occasion de souligner, lors des débats budgétaires, la double nécessité d'un engagement financier important et d'une grande stabilité de cet effort dans la durée.
L'engagement financier est indispensable pour que la France conserve son rôle moteur dans la construction de l'Europe spatiale. En effet, l'Europe est ainsi faite que ses progrès procèdent de la fermeté des volontés nationales, et la France doit demeurer pour longtemps ce qu'elle a été dès l'origine : le moteur de l'Europe spatiale.
Une grande stabilité est également indispensable parce que nous sommes dans un domaine où aucun succès ne peut s'obtenir sans un effort inscrit dans la durée. Dans l'action qui est engagée par l'Europe contre les effets d'une dominance américaine excessive, action dont des projets comme GALILEO et GMES sont les outils, la persévérance et même, lorsqu'il faut surmonter des revers, l'obstination sont des vertus sans lesquelles rien ne peut s'accomplir. Il nous semble donc que la remise en question des activités lors de chaque exercice budgétaire, l'absence d'un niveau de ressources pluriannuel accepté par l'Etat et d'un plan stratégique approuvé sont des pratiques qu'il faut proscrire.
Nous souhaiterions, monsieur le ministre, que vous nous indiquiez si vous partagez ces vues et, le cas échéant, à quelle technique budgétaire vous envisageriez de recourir pour transcender l'annualité budgétaire et pour assurer, dans la durée, des financements cohérents avec les décisions programmatiques et stratégiques.
J'ai noté avec satisfaction que le projet de budget pour 2002 du Centre national d'études spatiales, le CNES, qui couvre à la fois les activités nationales et la contribution française aux programmes européens, avait été préservé d'amputations excessives. Je souhaiterais cependant que nous recevions de vous l'assurance que cet impératif de stabilité est reconnu par le Gouvernement, et, singulièrement, que l'administration qui dépend de votre collègue de l'économie et des finances ne poursuit pas en sous-main - on le constate dans d'autres domaines - un travail de sape qui serait contraire à la volonté politique dont témoigne votre action.
Je souhaite d'ailleurs profiter de ce débat sur la politique spatiale pour rendre hommage au CNES, qui va fêter le 18 décembre prochain son quarantième anniversaire et dont l'action continue, depuis sa création, a permis de conférer à la France une compétence exceptionnelle dans le domaine spatial.
J'en viens maintenant à deux préoccupations qui touchent à la politique internationale.
L'avenir du projet de station spatiale internationale, ou ISS, dans lequel l'Europe et, par son intermédiaire, la France sont lourdement engagées, vous cause sans doute, comme à nous, de vives préoccupations. Le Conseil ministériel de l'ESA a prévu de le financer à hauteur de 847 millions d'euros auxquels s'ajoutent 12,5 millions d'études et 166 millions pour la préparation des expériences embarquées, soit, au total, un peu plus d'un milliard d'euros ou 6,7 milliards de francs.
Dans le même temps, la volonté de nos partenaires américains de faire face à leurs engagements internationaux semble quelque peu chancelante, ébranlée par les dépassements de coût sur les tâches qui leur incombent.
Avant son départ pour la NASA, l'administrateur général, M. Dan Goldin, avait constitué, en juin 2001, un groupe d'évaluation du coût et de la gestion du projet ISS. Les conclusions de ce groupe me semblent extrêmement préoccupantes. Sans des réformes radicales, le coût total de la station pourrait dépasser 30 milliards de dollars au lieu des 17,4 milliards de dollars prévus à l'origine ; on propose, pour réduire ce coût, de ramener de 7 à 3 le nombre des occupants permanents de la station. Compte tenu de l'importance des tâches de maintenance, cela entraînerait une réduction dramatique des activités scientifiques et, naturellement, de la participation d'astronautes européens à ces tâches de recherches.
Nous verrons quelles suites le remplaçant de M. Dan Goldin, M. O'Keefe, entend donner à ces recommandations, mais il nous semble inévitable que nos partenaires américains cherchent, dans une augmentation de la participation européenne, un remède à leurs propres difficultés. Il serait extrêmement dangereux que l'Europe s'engage dans cette voie à l'heure où le degré de priorité que l'exécutif américain accorde au projet ISS semble nettement diminué.
Quelle que soit l'importance des relations de coopération spatiale que nous entretenons avec les Etats-Unis - et nous venons de partager le succès du lancement du satellite Jason - une telle démarche ne pourrait que déséquilibrer l'effort spatial de l'Europe au détriment des programmes qui servent nos intérêts propres. J'ai noté avec intérêt que le conseil ministériel avait lié le déblocage d'une fraction importante des ressources financières à la confirmation des engagements de la NASA.
Monsieur le ministre, à défaut d'assurances concernant le succès de l'ISS qu'il n'est pas en votre pouvoir de donner, nous souhaiterions recevoir de vous la garantie qu'aucun engagement nouveau destiné à pallier la déficience américaine ne sera consenti, sinon par l'Europe, du moins par la France.
Autre sujet de préoccupation : notre coopération avec la Russie, qui demeure la deuxième puissance spatiale du monde. Il va de soi que ce sujet ne pouvait être au centre des débats du Conseil d'Edimbourg, et la résolution finale ne le mentionne qu'en passant, invitant le directeur général de l'ESA à développer, sans autre précision, les coopérations existantes.
Nous ne mésestimons pas le pouvoir symbolique des vols de spationautes français sur des vaisseaux russes ni la qualité des liens qu'ils créent. Mais, au-delà de ses aspects spectaculaires, l'activité spatiale repose sur une capacité industrielle. Il nous semble donc essentiel que les enjeux substantiels qui s'attachent à une coopération avec la Russie reçoivent une grande attention.
Des liens étroits se sont établis, de longue date, vous le savez, entre l'industrie spatiale américaine et l'industrie russe. Il nous semble très important que l'industrie européenne ne demeure pas, à cet égard, dans une situation d'isolement. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai recommandé, dans le rapport que j'ai soumis au Parlement, d'examiner avec le plus grand soin l'ouverture du centre spatial guyanais au lanceur Soyouz.
Je me félicite que le Conseil d'Edimbourg ait arrêté un processus de décision concernant cette question particulière et, plus généralement, celle de l'ouverture du centre de lancement guyanais à d'autres lanceurs qu'Ariane. Les utilisateurs trouveraient ainsi, sur le meilleur site de lancement du monde, une gamme de lanceurs adaptée à la diversité des besoins.
Il faut noter, à ce sujet, l'empressement des Russes à trouver des ouvertures sur l'espace à partir de sites équatoriaux. Une importante délégation vient de rencontrer les industriels de Toulouse afin de leur présenter le futur centre de lancement russo-australien des Iles Christmas et un lanceur baptisé Aurora utilisant des éléments de Soyouz et de Proton dans le cadre d'une coopération avec des industriels asiatiques.
Une autre raison commande impérieusement l'examen de cette question, qui est de fonder l'activité du centre spatial guyanais sur une base élargie et de mieux garantir sa pérennité. Nous devons garder, en effet, à l'esprit que la stabilité économique et politique de notre département de Guyane dépend de façon critique et pour longtemps des activités spatiales qu'il héberge. Ainsi, au-delà des considérations tactiques qui peuvent peser sur la décision concernant Soyouz, se profile un enjeu politique auquel nous ne pouvons rester indifférents.
Au-delà de cet important cas d'espèce, nous souhaiterions que vous nous indiquiez, le cas échéant, comment peuvent se développer, pour un bénéfice mutuel, des relations de coopération industrielle entre la France et la Russie. La même question se pose, d'ailleurs, en ce qui concerne les relations avec le Japon.
Enfin et, en l'occurrence, il s'agit malheureusement d'un problème d'une brûlante actualité - je pourrais dire « qu'il y a le feu » - le projet GALILEO, pourtant reconnu à Edimbourg, vient de trébucher à Bruxelles lors du conseil des ministres des transports de l'Union, provoquant d'ailleurs - il faut lui rendre hommage pour sa lucidité et son courage - la colère de Mme Loyola de Palacio, le commissaire européen chargée des transports et de l'énergie. Celle-ci a déclaré, à juste titre, « l'Europe doit choisir si elle veut être seulement consommatrice des applications développées ailleurs ou être acteur de son développement ! ». C'est en effet purement et simplement l'indépendance de l'Europe qui est en jeu. Bien sûr, le GPS américain est à notre disposition gratuitement. Alors pourquoi chercher ailleurs, disent les opposants à GALILEO ?
M. Alain Gournac. Ils ont tort !
M. Henri Revol. Comme le font les autruches, c'est mettre la tête dans le sable ! Il y a là un grand danger, et il faut absolument que les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne, qui se réunissent demain et après-demain à Laeken en Belgique, prennent une décision positive. Sinon, ce sera un désastre ! Je me suis d'ailleurs ouvert de ces préoccupations au Président de la République.
Les parlementaires européens ont également bien saisi l'importance de cet enjeu, et ils ont appelé, ce matin même, les chefs d'Etat et de gouvernement à surmonter les divergences qui se sont manifestées lors du dernier conseil des ministres des transports et à engager sans délai le programme GALILEO. Ils ont déclaré :
« GALILEO est une occasion unique pour les chefs d'Etat et de gouvernement de démontrer qu'ils sont porteurs d'une forte volonté politique et disposent d'une vision d'avenir pour l'Europe. GALILEO s'impose en effet aujourd'hui à l'Union européenne si elle veut faire la preuve de son indépendance aéronautique et spatiale, mais aussi de sa réussite commerciale, tant sur le plan technologique qu'en termes d'emplois qualifiés.
« Il y a plus de trente ans, des Etats européens s'engageaient dans les formidables aventures que sont devenues Ariane et Airbus. Cette volonté politique a été couronnée de succès. Aujourd'hui, GALILEO constitue le premier grand programme communautaire en matière spatiale. Face à la concurrence mondiale, GALILEO doit très clairement manifester l'affirmation de l'Europe spatiale communautaire et l'ambition européenne de maintenir dans ce domaine un rang de tout premier plan à notre continent. »
Ce texte a recueilli la signature de plus de 160 députés européens, et Mme Nicole Fontaine va le présenter au sommet de Laeken.
J'aborderai, pour terminer, le volet de la politique spatiale qui, pour être absent des débats d'Edimbourg, n'en a pas moins une importance majeure : je veux parler des applications militaires, qui concernent plus précisément le ministre de la défense.
Le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, que j'ai déjà évoqué, n'a pu que constater une carence dans ce domaine.
Le retard de l'Europe de la défense sur d'autres compartiments de la construction européenne n'est pas seul en cause. Force est de constater que, si la France a été le moteur de l'Europe dans le domaine de l'espace civil, elle n'a pas joué le même rôle dans le domaine militaire. Plus grave encore que la faiblesse des ressources financières qui lui sont affectées et leur décroissance continuelle, l'absence de doctrine et d'objectifs concernant la place de l'espace dans l'ensemble des forces armées ne peut que frapper l'observateur le moins averti. Qu'en serait-il si les quelques projets militaires qui ont abouti, les Hélios et quelques satellites de télécommunications, n'avaient pu s'appuyer, pour l'essentiel, sur des acquis techniques civils ?
A cette carence des programmes s'ajoute une absence des représentants de la défense dans les forums où s'élabore, au niveau national comme au niveau européen, la définition des éléments de la capacité spatiale européenne.
S'agissant du projet GALILEO, dont la capacité duale est évidente, l'attitude des responsables de notre défense semble gouvernée exclusivement par le souci de ne pas être appelés à participer à son financement. Aussi bien n'hésitent-ils pas à affirmer, ce qui est tout de même curieux pour les responsables de notre défense, que les services fournis par un système militaire américain, le GPS, dont ils n'ont pas la clef et dont l'accès peut à tout instant leur être refusé, suffisent à leurs besoins. L'acceptation de cette dépendance ne semble pas être, c'est le moins que l'on puisse dire, conforme aux objectifs d'autonomie qui ont toujours sous-tendu la politique française de défense. Qu'en sera-t-il le jour où le projet européen, s'il est mené à bien, se révélera mal adapté aux besoins des responsables de la défense parce qu'ils n'auront pas participé à sa définition ?
Le secteur de l'observation de la terre appelle le même constat de carence. Alors que se développe l'initiative GMES - Global Monitoring for Environment and Security - qui vise à développer le dynamisme et la cohérence de l'action européenne dans ce domaine et alors même que la définition de GMES englobe explicitement le service des missions de Petersberg, les représentants de la défense ne participent pas aux débats où s'élabore l'attitude nationale à l'endroit de cette initiative.
Nous comprenons bien, monsieur le ministre, qu'il n'appartient pas à votre département ministériel d'exprimer des besoins dans ce domaine, mais il lui revient de formuler et de faire approuver une politique spatiale qui, par nature, possède une dimension interministérielle.
La carence matérielle et doctrinale de l'espace militaire français crée une situation dont, me semble-t-il, le Parlement ne peut se satisfaire, alors même que l'expérience des conflits récents nous a enseigné le rôle central de la technique spatiale dans le contrôle des flux d'information dont une armée moderne a un besoin vital, alors même que nous pouvons observer l'efficacité avec laquelle nos alliés américains ont su utiliser, pendant la guerre du Golfe, la capacité duale des satellites civils SPOT et faire leur profit des informations ainsi obtenues, alors même qu'aujourd'hui le conflit d'Afghanistan nous procure une démonstration de ce qu'est la guerre de l'information.
Plus généralement, monsieur le ministre, notre propre histoire nous a enseigné durement, au cours du siècle dernier, le danger qui s'attache aux retards technologiques dans le domaine de la défense.
Tout cela me conduit à vous demander - c'est par là que je terminerai - si vous disposez, au niveau gouvernemental, des moyens institutionnels nécessaires pour exercer la responsabilité globale dont vous êtes investi, à savoir définir une politique spatiale qui soit vraiment interministérielle et veiller à sa mise en oeuvre.
La composante militaire - ou plutôt sa quasi-absence - est un aspect essentiel de cette question, mais le problème est beaucoup plus général. La dépendance à l'endroit des moyens spatiaux se manifeste dans divers secteurs de la société civile qui relèvent de départements ministériels nombreux - je ne citerai à titre d'exemple que le ministère des transports, si évidemment impliqué dans le programme GALILEO.
Cependant, l'unité technique du domaine et celle du substrat industriel appellent une démarche fondée sur une vision synthétique des objectifs et des moyens, c'est-à-dire sur une politique globale qui doit impliquer le Gouvernement dans son ensemble, ainsi que la plupart des départements ministériels.
Il me semble nécessaire, monsieur le ministre, que vous ayez les moyens d'agir à ce niveau et d'exprimer une ambition pour notre pays.
Il me paraît non moins nécessaire que les choix politiques dans ce domaine soient soumis au débat parlementaire. Ce débat devant la Haute Assemblée - dont vous avez volontiers accepté le principe, ce dont je vous remercie à nouveau - est le premier de cette sorte depuis les origines de l'effort spatial. Je souhaite qu'il marque le début d'une pratique nouvelle conforme à l'importance politique de ce qui est en jeu. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

(M. Bernard Angels remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. BERNARD ANGELS
vice-président

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 30 minutes ;
Groupe socialiste, 27 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 16 minutes ;
Groupe communiste, républicain et citoyen, 11 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 10 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, longtemps considéré à tort comme un simple élément de prestige politique puis, à juste raison, comme un outil militaire indispensable, le secteur spatial est devenu un considérable vecteur de puissance économique. A tel point que l'on peut affirmer, sans risque de se tromper, qu'il constitue l'un des attributs, sinon l'attribut, qui caractérise la puissance et la souveraineté politique et économique d'aujourd'hui, mais encore plus de demain.
Il s'agit là, sans conteste, de la plus importante mutation qu'ait connue ce secteur. Son utilisation massive et accélérée pour les télécommunications au sens large, sa contribution au développement de la société de l'information, ses implications dans les domaines de l'environnement, son rôle moteur dans l'explosion des connaissances scientifiques et dans la surveillance de l'environnement en témoignent tous les jours.
J'ajoute que l'espace militaire est tout aussi important pour notre pays que pour l'Europe.
Autant dire que l'espace est un enjeu essentiel pour la France, qui continue de jouer un rôle moteur dans le développement de l'industrie spatiale européenne, et que, à l'évidence, la politique spatiale est un enjeu majeur non seulement pour la France, mais pour l'Europe.
En effet, grâce à la qualité de nos scientifiques et de nos industriels, au volontarisme politique réaffirmé par tous les gouvernements et au rôle que joue l'Etat en matière de définition d'un intérêt général à long terme, notre pays est l'un des piliers de l'Europe spatiale.
La France peut encore apporter beaucoup à l'Europe pour l'aider à définir et à mettre en oeuvre une grande politique spatiale à même de lui donner un véritable poids politique.
Oui, mes chers collègues, la monnaie unique ne palliera pas l'absence d'un grand dessein politique dans un domaine aussi stratégique que l'espace.
La France, adossée à l'Europe, dispose du potentiel scientifique et financier lui permettant de devenir une puissance capable de rivaliser avec les Etats-Unis dans tous les domaines de l'industrie spatiale. Encore faut-il s'en donner la volonté politique et les moyens, et ne pas s'en remettre aux simples forces du marché.
A mes yeux, seule la puissance publique est en mesure de donner les impulsions nécessaires dans un secteur où la vision à long terme - vingt ou trente ans - est une exigence absolue.
Il est aujourd'hui de bon ton de contester le rôle et la place de la puissance publique, et cela dans tous les domaines mais en particulier dans l'aéronautique et l'espace. L'heure, nous dit-on, est aux grands ensembles industriels, plus fondés, à vrai dire, sur des logiques financières et « actionnariales » que sur de réelles synergies scientifiques et industrielles.
Il s'agit là, à mon sens, d'une vision dogmatique et inefficace.
Les plus grandes réussites dans les hautes technologies - Airbus, Ariane, le TGV, etc. - ont été le fruit d'une initiative de la puissance publique, seule capable de se fixer un horizon large et lointain.
On m'opposera sans doute le cas des Etats-Unis. Ce serait oublier le rôle du gouvernement fédéral qui, dans une période antérieure, stimulé par une compétition féroce avec l'ex-Union soviétique, a bel et bien donné les impulsions nécessaires, notamment par le biais de crédits publics - je pense en particulier aux crédits militaires, d'ailleurs astucieusement mêlés à des crédits civils - pour que les Etats-Unis conquièrent leur leadership .
Au demeurant, en dépit des bouleversements économiques et de la croissance des activités spatiales à caractère commercial - une évolution qui n'est pas en soi négative, au contraire - la puissance publique demeure le principal moteur du développement de ce secteur.
A l'heure où les Etats-Unis, première puissance spatiale et principal concurrent des pays européens, consacrent six fois plus d'argent public que l'Europe au secteur spatial, nous faisons preuve d'une grande faiblesse.
M. Michel Pelchat. Absolument !
M. Paul Loridant. Malheureusement, au vu des négociations qui ont eu lieu à Edimbourg les 14 et 15 novembre dernier lors du conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne, il est fort à craindre que la situation ne s'améliore pas ou du moins qu'elle ne s'améliore pas aussi vite qu'il serait souhaitable.
J'ai bien noté, monsieur le ministre, votre présence très active à Edimbourg et votre volonté de défendre les intérêts de notre pays comme de l'Europe en ce domaine. Néanmoins, quelques incertitudes subsistent ; notre collègue Henri Revol vient de les évoquer.
Un projet de restructuration préparé dans la plus grande opacité, à l'insu d'ailleurs des parlements nationaux et même du Parlement européen, vise à remettre en cause le rôle du secteur public dans le développement et la mise en oeuvre de la nouvelle génération des lanceurs Ariane V.
Sous prétexte de faire face à une compétition de plus en plus âpre, les rédacteurs de ce projet proposent de transférer les prérogatives essentielle du CNES à l'organisation européenne ESA. Le CNES, qui risquerait d'être ainsi démantelé, serait exclu de l'actionnariat et du pilotage d'Arianespace, qui assure actuellement la maîtrise d'oeuvre, la commercialisation, l'intégration et le développement des lanceurs spatiaux. Dans ce cas de figure, il est plus que probable que le rôle d'Arianespace soit progressivement transféré à des industriels. L'acteur public national serait, de la sorte, mis à l'encan, sans aucun débat et, qui plus est, sans que la représentation nationale en eût été saisie.
En application des principes libéraux sur lesquels reposent la construction européenne, et en l'absence de toute vision politique, le rôle de l'ESA se limiterait, pour l'essentiel, à assurer, au nom de l'Europe, la fixation des cahiers des charges et la distribution des financements publics.
Monsieur le ministre, cette affaire est, pour les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une gravité exceptionnelle, tant sur la forme que sur le fond, et illustre les dérives d'une certaine conception de la construction européenne. Etes-vous en mesure, monsieur le ministre, de nous donner des éléments susceptibles de nous rassurer quant à la place et au rôle du CNES dans la politique spatiale europénne ?
Nous voulons préserver l'agence spatiale nationale. J'ajoute que nous voulons aussi préserver son rôle et sa place dans le département de l'Essonne, notamment à Evry.
M. Michel Pelchat. Très bien !
M. Alain Gournac. Et aux Mureaux !
M. le président. Et aux Mureaux, bien sûr, mon cher collègue !
M. Georges Othily. Et en Guyane !
M. Paul Loridant. Et en Guyane aussi ! (Sourires.) Par ailleurs, le groupe communiste républicain et citoyen s'inquiète, comme M. Revol, de l'avenir du projet européen de positionnement par satellite GALILEO, après le refus opposé par l'Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark et l'Autriche de contribuer à son financement. Alors que le sommet d'Edimbourg s'était bien passé à cet égard, il semble que certains Etats reviennent en arrière, s'il faut en croire les déclarations de leurs ministres des transports.
Monsieur le ministre, nous vous le disons franchement, cette attitude risque de faire l'affaire des Américains et de leur système GPS, ce qui nous mettrait dans une situation de dépendance dramatique sur les plans technologique, économique et militaire.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Paul Loridant. L'Europe est-elle à ce point en déliquescence qu'elle refuse d'accéder à l'autonomie dans le domaine du guidage par satellite ?
M. Alain Gournac. Et voilà !
M. Paul Loridant. Comment peut-on être ainsi à la fois sourds, aveugle et muet ?
M. Michel Pelchat. Bravo !
M. Paul Loridant. L'Europe ne peut pas se résumer à la monnaie unique ! L'euro ne suffit pas à faire de l'Europe une puissance. Pour cela, il faut des attributs, il faut des réalisations technologiques de pointe. L'Europe de l'espace est l'un des moyens de construire cette Europe.
Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous rassurer sur ce point et nous réaffirmer la volonté de notre pays dans ce domaine ?
Je voudrais terminer en remerciant notre collègue Henri Revol à la fois du rapport qu'il a établi pour l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques et de l'intiative qu'il a prise en suscitant un débat sur ce sujet important pour l'avenir de la France et de l'Europe. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier notre collègue Henri Revol de sa question orale avec débat, qui nous permet aujourd'hui, à la suite de son excellent rapport intitulé « l'Espace : une ambition politique et stratégique pour l'Europe », réalisé pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, de débattre d'un sujet important pour l'avenir de l'Europe et de son rôle sur la scène internationale.
L'utilisation de l'espace a fait des progrès considérables au cours des dernières décennies et constitue désormais une des composantes essentielles d'une politique de puissance à la fois militaire et civile. D'ailleurs, les Etats-Unis ont très largement fait de l'espace une des clés de leur domination tant économique que politique ou militaire.
Parallèlement, de nouveaux pays se sont lancés dans des programmes spatiaux, tels l'Inde, la Chine, le Brésil ou le Japon.
Longtemps relégués à un rang secondaire, les pays asiatiques ont démontré qu'une politique volontariste, alliée à des investissements soutenus, pouvait déboucher rapidement sur de réels succès techniques.
Face à ce constat de forte concurrence, l'Europe dispose de points forts : une remarquable maîtrise technologique des applications spatiales et une base industrielle compétitive, renforcée par les récents regroupements opérés. Ne minimisons pas le succès de la société Arianespace, qui a su rapidement conquérir plus de la moitié du marché mondial des lancements commerciaux de satellites géostationnaires, ou bien encore les réussites d'EUTELSAT et d'EUMETSAT.
Tout récemment encore, le 20 novembre dernier, les Européens ont devancé les Américains en établissant la première transmission laser entre deux satellites : le satellite français d'observation de la terre Spot 4 et le satellite expérimental européen Artemis, séparés de plusieurs milliers de kilomètres. L'Agence spatiale européenne, le CNES et l'industriel Astrium ont engagé 150 millions d'euros dans ce programme Silex, qui permettra à terme la retransmission vers la terre des images prises par les satellites sans qu'ils soient obligés de survoler une station de réception.
Si l'Europe bénéficie de nombreux atouts, la concurrence accrue fait qu'elle ne peut plus se permettre d'aborder les questions spatiales de manière dispersée et morcelée, d'où la définition d'une stratégie fondée sur trois objectifs fondamentaux : renforcer l'assise des activités spatiales ; accroître les connaissances scientifiques ; faire bénéficier de ces connaissances et activités les marchés et la société.
Il reste maintenant à faire entrer ces objectifs dans les faits et à les confronter au principe de réalité de la coopération européenne en matière spatiale.
Dans ce cadre, le conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne, réuni pour passer en revue les différents programmes scientifiques pour la période 2002-2006, auquel vous avez participé, monsieur le ministre, les 14 et 15 novembre dernier, a donné lieu à des arbitrages positifs en particulier sur deux programmes essentiels pour l'indépendance spatiale de l'Europe : le lanceur Ariane et Galileo, le futur GPS européen.
Concernant les lanceurs commerciaux, vous avez réussi à convaincre l'Allemagne de consacrer 278 millions d'euros, soit un milliard de plus que ce qui était envisagé initialement par notre partenaire, aux trois programmes : Ariane 5 « plus », ARTA et INFRA.
Dès la mi-2002, la fusée Ariane 5 « plus » sera équipée d'un nouvel étage supérieur à propulsion cryotechnique qui lui permettra de lancer une charge utile de 9 tonnes, contre 6 actuellement. Dans une seconde étape, d'ici à 2006, le moteur Vulcain 2, actuellement mis au point par la SNECMA, devrait permettre à la fusée Ariane 5 « évolution » d'emporter 11 tonnes de charge utile en orbite géostationnaire.
Avec ces adaptations essentielles au regard de l'augmentation du volume des satellites commerciaux et d'un souci de rentabilité, grâce au lancement de deux satellites à chaque tir, le lanceur européen conservera son avance technologique face à la concurrence américaine.
Reste le problème de la distorsion de concurrence induite par la prise en charge, aux Etats-Unis, des frais de lancement par l'US Air Force, alors que ces mêmes frais incombent, pour l'utilisation du centre de Kourou, à l'organisme qui veut mettre un satellite en orbite.
Concernant le futur système européen de navigation par satellite GALILEO, le conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne avait fait la moitié du chemin en décidant de débloquer 547 millions d'euros pour la phase de développement de ce projet ; restait à l'Union européenne à prendre en charge l'autre moitié.
Mais le Conseil transports du 7 décembre dernier a porté un sérieux coup d'arrêt à GALILEO, au point que la commissaire européenne aux transports a pu dire : « GALILEO est sur le point de couler à jamais. » En effet, non seulement les Quinze n'ont pas approuvé la création de l'entreprise commune destinée à gérer la poursuite de ce projet, mais ils n'ont pas non plus débloqué les financements nécessaires. Huit Etats membres s'y sont opposés.
L'étude indépendante réalisée par Price Waterhouse, concluant à un coût plus élevé que prévu, aurait visiblement ébranlé la confiance de certains pays en la viabilité économique de GALILEO.
Dans ces conditions, la commission voudrait que le projet soit soumis aux chefs d'Etat et de gouvernement lors du sommet, déjà très chargé, de Laeken, qui se tiendra demain et après-demain. Or les Pays-Bas, l'Autriche, la Suède, le Danemark, l'Allemagne et le Royaume-Uni souhaitent, de leur côté, que la décision de poursuivre ou non le programme GALILEO soit repoussée au mois de mars 2002.
Nous sommes donc encore dans l'expectative, mais j'aimerais tout de même connaître, monsieur le ministre, votre appréciation sur la situation.
Pour ma part, elle m'inspire deux remarques.
D'abord, la prédominance de la notion de juste retour industriel et de l'obligation de préserver les intérêts industriels nationaux représente une contrainte porteuse de risques pour la coopération européenne, surtout si elle n'est pas appréhendée de manière globale, c'est-à-dire en prenant en compte l'ensemble des programmes en coopération. Il nous manque encore une vision globale de l'Europe spatiale afin d'inscrire la coopération européenne dans une véritable politique de l'espace, centrée sur l'exigence d'autonomie et d'indépendance de l'Europe.
Ensuite, les aléas du projet GALILEO démontrent qu'une structure institutionnelle et un financement bicéphales ne sont pas adaptés aux enjeux et aux objectifs visés.
Consciente de la nécessité de formaliser au minimum leurs relations, l'Agence spatiale européenne et la Commission européenne ont déjà opéré des rapprochements et développé une meilleure synergie. Déjà, la mise en place, en mai 2000, dans le cadre du programme GALILEO, du bureau chargé de fournir une assistance technique permanente au comité directeur du projet et aux équipes industrielles et scientifiques a marqué une étape dans le renforcement du cadre institutionnel.
Depuis, la Commission européenne et l'exécutif de l'Agence spatiale européenne ont institué une task force conjointe, qui a pour mission d'approfondir la stratégie européenne pour l'espace et d'établir des propositions pour sa mise en oeuvre.
Tout récemment, dans sa communication au Conseil et au Parlement européen intitulée « Vers une politique européenne de l'espace », la Commission a présenté l'analyse et les recommandations établies par cette task force commune. Parmi ces recommandations, figure la conclusion d'un accord-cadre entre l'Union européenne et l'Agence spatiale européenne afin d'instituer une structure efficace de coopération, délimitant clairement les rôles et responsabilités de chacun en matière de définition des politiques. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous donner d'ores et déjà des éléments sur la manière dont les différents Etats membres apprécient cette évolution institutionnelle ?
Quant à la question des négociations en cours avec la Russie visant à ce que la fusée Soyouz décolle de la base guyanaise de Kourou à partir de 2003, elle a seulement été évoquée à Edimbourg. Cette option présente deux avantages majeurs.
Elle permettrait d'abord d'éviter une marginalisation totale de l'industrie européenne des lanceurs par une coopération exclusive entre la Russie et les Etats-Unis, à travers le projet « Soyouz by Boeing ».
Ce partenariat entre la Russie et les Etats-Unis offrirait en outre à ces derniers le contrôle du seul moyen d'accès à la station spatiale internationale, en dehors de leur navette, alors même que des tensions existent déjà entre Europe et Etats-Unis du fait du non-respect par la NASA du traité international.
Ensuite, avec la fin de service d'Ariane 4, Ariane 5 bénéficierait, à travers Soyouz, d'un lanceur complémentaire.
De plus, cette alliance entre l'Europe et la Russie ouvrirait peut-être la voie à une participation de l'industrie aéronautique russe civile au programme Airbus, comme l'espère en tout cas EADS - qui renforcerait ainsi ses capacités de recherche technologique -, et offrirait, à moyen terme, une perspective d'augmentation de la puissance de l'Europe face aux industriels américains.
Actuellement, les négociations achoppent sur deux points : la participation à hauteur d'un tiers des dépenses de la Russie en complément de l'Union et des industriels pour la construction d'un pas de tir adapté au Soyouz, et le prix exorbitant d'acquisition de la fusée proposée par les Russes. Monsieur le ministre, pensez-vous que les désaccords pourront être surmontés afin de parvenir à un accord pour juin 2002 ?
Les applications de la recherche spatiale dans la vie quotidienne sont considérables, ne serait-ce que dans le secteur des télécommunications. Le domaine environnemental, qui constitue une attente et une demande forte des citoyens européens, est lui aussi très prometteur, notamment depuis le lancement réussi du satellite franco-américain Topex-Poseidon en 1992. En un mois de service, celui-ci a réuni plus d'informations que tous les instruments embarqués en mer depuis un siècle.
Le vendredi 7 décembre, comme en a rendu compte la presse, a été mis en orbite le successeur de Topex-Poseidon : le satellite franco-américain de mesure de la hauteur des océans Jason, fabriqué par Alcatel Space Industries, est cinq fois plus léger et près de trois fois moins cher. Placé sur la même orbite que Topex-Poseidon, Jason prendra la relève des mesures enregistrées depuis neuf ans, afin de mieux comprendre les interactions entre les océans et l'atmosphère et leur impact sur le climat. Les applications concernent de nombreux secteurs, par exemple la marine pour l'aide à la navigation, la pêche pour mieux gérer les ressources halieutiques ou la lutte contre les marées noires par une modélisation de la dérive des nappes de pétrole.
Parallèlement, l'initiative GMES - Gilobal Monitoring of Environment and Security - « surveillance mondiale de l'environnement et de la sécurité », vise à coordonner les outils spatiaux de surveillance et d'études de l'environnement afin de fournir à l'Union européenne des informations pertinentes pour aider à la prise de décision en matière de changements climatiques planétaires, de développement durable, d'agriculture ou de pêche... Ainsi peut-on imaginer également, grâce à cet outil, un repérage systématique des bateaux en train de dégazer, une meilleure prévention des marées noires ou des catastrophes naturelles. Les données recueillies devront être traduites en informations accessibles au grand public, ce qui induit un effort important dans le traitement des données et la diffusion des connaissances, l'autre obstacle étant le coût de telles informations.
En conclusion, la définition d'une véritable politique spatiale européenne exige de répondre à la question du degré de souveraineté que l'Europe entend atteindre. Les divergences et aléas du projet GALILEO montrent que cette question n'est toujours pas réglée. Ce qu'il manque encore à l'Europe, c'est avant tout une meilleure clarification et coordination des efforts pour une véritable politique spatiale commune et globale.
Dans cette perspective, la France, qui a toujours été un moteur de l'Europe spatiale, se doit de renforcer son rôle d'impulsion, car, comme dans bien d'autres domaines, notre avenir spatial, c'est l'Europe.
Il passe aussi par un renforcement des coopérations internationales, seul cadre permettant d'éviter d'exacerber les concurrences commerciales pour stimuler la recherche scientifique fondamentale, afin que le progrès technologique soit plus orienté vers les applications civiles bénéfiques au plus grand nombre que vers les applications militaires, qui sont souvent le moteur financier des industriels. (Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons suspendre nos travaux afin d'assister à l'inauguration par M. le président Poncelet de la plaque commémorant l'installation de l'Assemblée consultative provisoire au Palais du Luxembourg.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures cinquante.)