SEANCE DU 14 DECEMBRE 2001
M. le président.
« Art. 33 A. - L'article L. 321-1 du code du travail est ainsi rédigé :
«
Art. L. 321-1
. - Constitue un licenciement pour motif économique le
licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non
inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou
transformation d'emploi ou d'une modification du contrat de travail,
consécutives soit à des difficultés économiques sérieuses n'ayant pu être
surmontées par tout autre moyen, soit à des mutations technologiques mettant en
cause la pérennité de l'entreprise, soit à des nécessités de réorganisation
indispensables à la sauvegarde de l'activité de l'entreprise.
« Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du
contrat de travail résultant de l'une des trois causes énoncées à l'alinéa
précédent. »
L'amendement n° 40, présenté par M. Gournac, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Rédiger comme suit l'article 33 A :
« L'article L. 321-1 du code du travail est ainsi rédigé :
«
Art. L. 321-1
. - Constitue un licenciement pour motif économique le
licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non
inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou
transformation d'emploi ou d'une modification substantielle du contrat de
travail, consécutives notamment à des difficultés économiques sérieuses, à des
mutations technologiques ayant des conséquences importantes sur l'organisation
du travail dans l'entreprise ou à des réorganisations destinées à sauvegarder
la compétitivité de l'entreprise concernée. »
La parole est à M. Gournac, rapporteur.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Rétablissement !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
Défavorable !
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 40.
M. Gilbert Chabroux.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Chabroux.
M. Gilbert Chabroux.
Sur cette définition du licenciement économique, nous avons eu l'occasion,
lors de la précédente lecture, d'assister à un intéressant débat interne à la
majorité sénatoriale, M. Chérioux s'en souvient.
M. Jean Chérioux.
J'ai l'intention d'y revenir !
M. Gilbert Chabroux.
Vous étiez ainsi amenés à reconnaître, à l'invitation de notre excellent
collègue M. Jean Chérioux, qu'il existe des licenciements boursiers, ou des
licenciements de convenance, qui n'ont rien à voir avec la sauvegarde de
l'entreprise. Je me souviens très bien de l'intervention de M. Jean Chérioux,
qui s'inscrivait dans la droite ligne du gaullisme social.
M. Nicolas About,
président de la commission.
Bientôt M. Chabroux fera parler les morts
!
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Quelle tentative de récupération !
(Rires.)
M. Jean Chérioux.
Je n'en demandais pas tant !
M. Gilbert Chabroux.
La nouvelle définition lève toute ambiguïté. En supprimant l'adverbe «
notamment » et en resserrant l'un des critères acceptables sur la sauvegarde de
l'activité de l'entreprise, et non sur la très vague « compétitivité », le
texte est beaucoup plus précis. Toutefois, trois causes possibles de
licenciement économique sont maintenues, ce qui servira de guide à la fois
précis et suffisamment ouvert pour les magistrats.
Au contraire, l'adoption de l'amendement de la commission constituerait un
recul et assouplirait, au final, la définition du licenciement économique. Nous
y sommes bien évidemment opposés.
M. Jean Chérioux.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux.
Je remercie M. Chabroux de ses propos. Il est vrai qu'il a eu l'occasion à
plusieurs reprises de constater, en commission, que le coeur ne se trouvait pas
uniquement à gauche, contrairement à ce qu'il vient de dire il y a quelques
instants.
(Sourires.)
M. Guy Fischer.
A vouloir trop prouver, on ne prouve rien !
M. Jean Chérioux.
Ce qui prouve que, quand il prend des positions excessives, il va au-delà de
ce qu'il pense en réalité.
C'est vrai qu'il y a un problème, et il tient à une utilisation abusive du mot
« boursier » pour faire rentrer dans le champ d'application de la loi des
licenciements qui n'auraient pour objectif que d'améliorer le rendement
financier des entreprises.
L'amendement de la commission fait état de l'amélioration de la compétitivité.
C'est que, mes chers collègues, il faut distinguer l'économique du financier.
Peut-être vous faudrait-il repasser sur les bancs de l'université pour le
comprendre, mais c'est ainsi ! Ce qui est économique n'est pas forcément
financier, et
vice versa.
Donc, un licenciement économique n'est pas un
licenciement « financier ».
Il s'agit pour nous d'éviter de handicaper une entreprise, au risque, sinon,
de susciter de plus grandes difficultés encore pour l'emploi dans notre pays,
et ce en permettant des licenciements économiques lorsque l'entreprise connaît
des problèmes de compétitivité.
La compétitivité, c'est simple : ce sont les conditions dans lesquelles, avec
ses prix de revient, l'entreprise se situe sur le marché, et pas le marché
boursier, mais le marché économique. Si elle doit se battre, sur le marché,
contre ses concurrents, avec un bras derrière le dos, elle est perdue d'avance
; elle peut fermer et faire, demain, des milliers et des milliers de chômeurs
supplémentaires.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
On l'a déjà vu dans l'histoire !
M. Jean Chérioux.
C'est cela, la compétitivité !
En revanche, et c'était le sens d'un sous-amendement que j'avais défendu, il
n'est pas question d'accepter des licenciements qui auraient pour objectif
unique d'améliorer la rentabilité financière de l'entreprise, c'est-à-dire de
faire plaisir aux fonds de pension et aux analystes financiers.
En effet, et pour emprunter un instant leur jargon aux financiers, une
entreprise dont le « retour sur capital » passe de 18 % à 14 % n'est pas
handicapée pour autant face à la concurrence, sur le plan économique.
Simplement, cela ne plaît pas à ces messieurs qui gèrent les fonds de pensions
! Là, je dis non ! Pas de licenciements dans ce cas-là.
Mais pourquoi, me direz-vous, n'ai-je pas déposé de nouveau mon
sous-amendement ? Tout simplement parce que, inséré dans la loi, le dispositif
que je proposais pourrait servir d'échappatoire, notamment en cas de
contentieux, et ôter de la valeur au texte. D'ailleurs, je le rappelle, M. le
rapporteur n'était pas contre mon sous-amendement sur le principe, il était
contre son utilisation possible.
Je le répète pour que cela figure en toutes lettres dans les travaux
parlementaires. Demain, quand on décidera des licenciements, il faut que l'on
sache que le Sénat souhaite tenir compte de la compétitivité des entreprises.
Il n'est nullement question de prendre en compte uniquement les desiderata des
milieux financiers en ce qui concerne la rentabilité financière de ces
entreprises.
M. Roland Muzeau.
C'est la vie qui va trancher !
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Gournac, rapporteur.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Après avoir écouté avec intérêt MM. Chabroux et Chérioux, je
tiens à dire pourquoi la commission vous propose de rétablir la position du
Sénat en deuxième lecture.
Cette nouvelle rédaction s'inspire largement de la jurisprudence de la chambre
sociale de la Cour de cassation. Elle prévoit trois conditions alternatives,
mais non limitatives, permettant de justifier un licenciement économique : soit
des difficultés économiques sérieuses, soit des mutations technologiques ayant
des conséquences importantes sur l'organisation du travail dans l'entreprise,
soit des réorganisations destinées à sauvegarder la compétitivité de
l'entreprise concernée.
Il convient d'observer que ce dernier critère - la sauvegarde de la
compétitivité de l'entreprise - a été reconnu progressivement par la Cour de
cassation depuis 1995. Ce critère se distingue de celui de l'intérêt de
l'entreprise et
a fortiori
de celui de ses actionnaires.
Dans un arrêt du 30 septembre 1997, la Cour de cassation avait, en effet,
considéré que, « si une réorganisation de l'entreprise, lorsqu'elle n'est pas
liée à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques, peut
constituer une cause économique de licenciement, ce n'est qu'à condition
qu'elle soit effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise et non
en vue d'augmenter les profits et de remettre en cause une situation acquise
jugée trop favorable aux salariés ».
On le voit, cet amendement constitue une position d'équilibre qui traduit la
volonté du Sénat de clarifier le droit du licenciement tout en respectant la
sécurité juridique et la compétitivité de nos entreprises.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 40, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 33 A est ainsi rédigé.
Article 33 bis