SEANCE DU 20 DECEMBRE 2001
M. le président.
Je suis saisi par M. Marini, au nom de la commission, d'une motion n° 3,
tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement du Sénat,
« Considérant que, pour la première fois depuis le début de la législature, le
déficit s'accroît en cours d'année de 25,9 milliards de francs pour s'établir à
212,5 milliards de francs ;
« Considérant que cette progression sans précédent, ainsi que le recours à des
recettes exceptionnelles non pérennes servent en réalité, pour une large part,
à faire financer par les générations à venir les engagements préélectoraux du
Gouvernement, au premier rang desquels figurent tant l'augmentation nette des
crédits budgétaires que le doublement du montant de la prime pour l'emploi ;
« Considérant que le Gouvernement cherche ainsi à « boucler » son budget par
des expédients ;
« Considérant qu'il convient de se féliciter du nombre important de
dispositions proposées par le Sénat et adoptées sans modification par
l'Assemblée nationale, attestant ainsi de la qualité des travaux législatifs du
Sénat ;
« Considérant toutefois qu'il n'y a pas lieu de penser que l'Assemblée
nationale pourrait aller plus loin dans l'acceptation des propositions du Sénat
;
« Le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le
projet de loi de finances rectificative pour 2001, adopté par l'Assemblée
nationale en nouvelle lecture (n° 157, 2001-2002). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement
du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative
ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour
quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie
au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une
durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le rapporteur général, pour la motion.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je présenterai cette motion très brièvement ; je vous
lirai simplement l'un de ses considérants :
« Considérant que le Gouvernement cherche ainsi à "boucler" son budget par des
expédients. » Je crois qu'on peut en rester là. C'est inacceptable !
Madame le secrétaire d'Etat, je vous remercie des réponses que vous avez tenté
de nous apporter à la suite de la décision du Conseil constitutionnel. Au
demeurant, vous nous avez expliqué une chose merveilleuse : nous avons enfin
trouvé la solution miracle, celle qui permet d'améliorer les comptes de l'un
sans détériorer les comptes de l'autre ! C'est prodigieux ! C'est une invention
d'une portée extraordinaire...
M. Alain Gournac.
C'est nouveau !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... non seulement dans le domaine des finances
publiques, mais de façon générale, car cela fera peut-être jurisprudence en
France !
Rendez-vous compte, mes chers collègues, c'est absolument sidérant ! On passe
une écriture qui n'a pas de contrepartie. Quelqu'un gagne, mais personne ne
perd. Nous savions que la comptabilité de l'Etat était très spécifique, que
c'était plus une comptabilité de caisse qu'une comptabilité en droits
constatés, et vous venez de nous en apporter une illustration merveilleuse !
Je voudrais revenir sur le travail extraordinaire que nous avons fait à propos
de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances et que nous
avons célébré hier soir avec le président Forni, nos homologues de l'Assemblée
nationale, plusieurs de nos collègues sénateurs, nos collaborateurs respectifs
et ceux des ministres, pour nous congratuler les uns et les autres.
Nous aurions dû nous remettre en cause un peu plus, car le FOREC, ce « compte
de nulle part », qui n'est ni dans la sécurité sociale ni dans le budget de
l'Etat, et qui permet ainsi de créer de la monnaie,...
M. Jean Chérioux.
C'est un compte virtuel !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... c'est en réalité la « réinvention » - madame le
secrétaire d'Etat, c'est ce que vous venez de nous dire - de la bonne vieille
planche à billets !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Pas du tout !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Vous avez trouvé une méthode,...
M. Michel Charasse.
La planche à billets, c'est Juppé qui l'a inventée !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... que nous n'avons pas anticipée dans nos travaux
qui ont pourtant duré des mois et des mois, une méthode que vous avez mise en
oeuvre, madame le secrétaire d'Etat, avec la complicité de l'ancien Premier
ministre que Michel Charasse vient de citer
in petto
, et que vous avez
tâché de nous expliquer !
Mes chers collègues, je ne poursuivrai pas davantage. La motion que j'ai
défendue et qui tend à opposer la question préalable marque bien les
oppositions de principe que nous avons, tant sur le fond de la politique
conduite que sur les méthodes suivies - l'un ne va pas sans l'autre. Cet
épisode du FOREC nous permet de bien illustrer la manière dont nous voyons les
choses.
La politique que vous conduisez, madame le secrétaire d'Etat, en particulier
sur le chapitre des 35 heures, n'a pas notre agrément, n'a pas l'agrément de la
majorité du Sénat.
M. Alain Gournac.
Absolument !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
En outre, je la qualifierai de « honteuse », car
cette politique, dont vous vous efforcez de faire apparaître aux yeux de
l'opinion, avec plus ou moins de succès, selon les moments et selon les
personnes à qui vous vous adressez, tous les aspects gratifiants, vous ne vous
êtes pas donné les moyens de la conduire ! En vérité, vous vous efforcez de la
financer avec des expédients, des opérations quelque peu étranges, qui ne
sauraient être de nature à renforcer la crédibilité de l'Etat, la crédibilité
de notre pays dans l'enceinte internationale !
Mais nos jeux internes aux questions comptables n'ont pas forcément une portée
considérable. Ce qui est beaucoup plus considérable, c'est l'impression que
cela laisse à nos partenaires : comment pouvons-nous prétendre être crédibles
sur le chemin de la réduction des déficits avec des méthodes de cette nature,
avec de tels aléas et une telle fragilité de notre instrument comptable, censé
retracer fidèlement les écritures du budget de l'Etat et du budget de la
sécurité sociale ?
Madame le secrétaire d'Etat, c'est avec cette profonde insatisfaction que je
suis conduit, pour toutes les raisons que je me suis efforcé de résumer, à
défendre devant le Sénat cette motion tendant à opposer la question préalable à
la dernière loi de finances de cette année, à la dernière loi de finances de la
législature et, je l'espère, à la dernière loi de finances Jospin !
(Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste. - Exclamations sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La passion l'a emporté !
(Sourires.)
La parole est à M. Miquel, contre la motion.
M. Gérard Miquel.
Considérant que cette loi de finances rectificative confirme l'engagement du
Gouvernement de respecter la norme de progression des dépenses fixée dans la
loi de finances initiale, malgré un contexte économique et financier plus
défavorable que celui des années précédentes, et que les prévisions réalistes
et prudentes de solde général figurant dans le projet de collectif devraient
être confirmées, et peut-être même améliorées.
Considérant que la commission mixte paritaire qui s'est réunie hier n'a pu,
tout simplement, que constater la divergence entre la majorité sénatoriale et
la majorité de l'Assemblée nationale sur plusieurs points qui expriment la
politique économique, sociale, fiscale et budgétaire du Gouvernement et de sa
majorité, tel le doublement de la prime pour l'emploi, mesure éminemment
emblématique d'encouragement de l'activité, de soutien du pouvoir d'achat des
plus modestes...
M. Henri de Richemont.
C'est une prime électoraliste !
M. Gérard Miquel.
... et, partant, de soutien de la consommation, mesure de baisse des impôts
particulièrement appréciée par nos concitoyens ;
Considérant que si la France connaît une croissance stable, supérieure à celle
de ses principaux voisins et que ses performances économiques ne cessent pas,
depuis cinq ans, d'intriguer les observateurs étrangers...
(Exclamations amusées sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Jean Chérioux.
Un peu de modestie !
M. Gérard Miquel.
Mais oui, mes chers collègues, cela vous dérange peut-être, mais c'est un
résultat que vous devez reconnaître !
Cela est dû, entre autres, à la forte consommation des ménages et aux choix
judicieux du Gouvernement ;
Considérant qu'il convient, en effet, de se féliciter du nombre important de
dispositions sur lesquelles le Sénat et l'Assemblée nationale ont trouvé un
terrain d'entente ;
Considérant toutefois qu'il n'y a pas à espérer que la majorité sénatoriale
aille plus loin dans la direction de la minorité sénatoriale dans la voie d'une
combinaison encore plus judicieuse, s'il en est, des mesures d'efficacité
économique et des mesures de justice sociale ;
Le groupe socialiste se voit contraint de ne pas voter la motion tendant à
opposer la question préalable qui est proposée par la commission des
finances.
Madame la secrétaire d'Etat, au terme de cette discussion budgétaire qui est
la dernière de la législature, je veux vous dire, au nom des membres du groupe
socialiste, et à l'instar de mon collègue et ami Michel Charasse, combien nous
avons apprécié votre compétence, votre talent et votre grande courtoisie. Vous
ne vous en êtes d'ailleurs jamais départie, même lorsque les échanges sont
devenus quelque peu vifs au fil du débat. Ces qualités ont facilité nos travaux
et les ont rendus plus agréables. Je vous remercie, madame la secrétaire
d'Etat, ainsi que tous vos collaborateurs, de nous avoir aidés à accomplir
notre tâche.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Tout à l'heure, j'ai été un peu brève dans mes
remerciements : dans mon esprit, ils s'adressaient en grande partie à mes
collaborateurs, car, Michel Charasse le sait, que serions-nous à ce banc s'ils
n'étaient pas à nos côtés ?
M. le président.
Avant de mettre aux voix la motion tendant à opposer la question préalable, je
donne la parole à M. Loridant, pour explication de vote.
M. Paul Loridant.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, comme
l'on pouvait évidemment s'y attendre, la commission mixte paritaire sur le
projet de loi de finances rectificative s'est soldée par le constat d'un
désaccord de fond sur les tenants et les aboutissants du texte.
Ce désaccord, au demeurant fondé également sur la diversité d'approche de la
situation économique et sociale et sur les solutions qui permettraient de
remédier au perceptible ralentissement de la croissance économique, est
finalement irréductible. Il est de même teneur, quant au fond, que celui qui a
pu présider à l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire qui a
suivi le vote de la loi de finances initiale dans notre Haute Assemblée.
En effet, nous sommes en présence, d'un côté, d'une conception exagérément
libérale de l'utilisation des deniers publics qui lie étrangement cadeaux
fiscaux pour ceux qui sont déjà quelque peu favorisés et réduction de la
dépense publique au détriment du plus grand nombre et, de l'autre côté, d'une
conception plus ouverte de l'action publique, même si le groupe communiste
républicain et citoyen considère qu'elle est loin de faire le compte.
Nous ne sommes pas, nous l'avons dit, des partisans forcenés de l'encadrement
strict de la dépense publique, puisque nous ne croyons pas que cela aille
nécessairement de pair, sur la durée, avec de véritables économies. Toujours
est-il que le débat, cette année encore, a permis de mettre en évidence
d'autres choix, d'autres propositions, que ceux et celles qui sont uniquement
guidés par les contraintes du pacte de stabilité européen.
Nous avons, y compris dans le cadre de la discussion de ce collectif, apporté
à la réflexion de tous des propositions guidées par les impératifs de justice
sociale et fiscale et d'efficacité économique qui nous semblent inséparables de
toute définition d'une politique budgétaire progressiste, soucieuse de répondre
aux besoins collectifs et préservant le service public.
C'est presque devenu une lapalissade de constater qu'il n'en est pas de même
pour la majorité sénatoriale qui s'arc-boute, sans doute en l'attente de jours
qu'elle pressent meilleurs, mais à tort me semble-t-il, sur des positions déjà
mille fois défendues et entendues, faisant de fait jouer à notre Haute
Assemblée le rôle, finalement peu enviable, de « chambre de résonance » des
idées rétrogrades et favorisant les inégalités
(Protestations sur les
travées du RPR.)
M. Jean Chérioux.
C'est incroyable !
M. Paul Loridant.
Ces choix, bien entendu, nous les refusons sans la moindre ambiguïté, car ils
ne nous semblent pas correspondre à ce qu'il faut pour notre pays. C'est
pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen votera contre la motion
tendant à opposer la question préalable présentée par le rapporteur général.
En guise de conclusion, madame la secrétaire d'Etat, considérant qu'il s'agit,
à n'en pas douter, du dernier texte de finances de cette législature, le groupe
communiste républicain et citoyen tient également à vous adresser tous ses
remerciements. Ceux-ci concernent également tous vos collaboratrices et
collaborateurs, dont j'ai pu personnellement apprécier toute l'efficacité et
l'attention portée à nos propositions, même s'il est arrivé que nous ne nous
soyons pas entendus. Madame la secrétaire d'Etat, sachez que vous aurez
toujours l'écoute de notre groupe prêt à vous appuyer, mais aussi parfois à
vous stimuler.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?
Je mets aux voix la motion n° 3 tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet du projet de loi de
finances rectificative pour 2001.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public est de
droit.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Nombre de votants | 315 |
Nombre de suffrages exprimés | 314 |
Majorité absolue des suffrages | 158 |
Pour l'adoption | 201 |
Contre | 113 |
En conséquence, le projet de loi de finances rectificative pour 2001 est rejeté.
Mes chers collègues, avant d'aborder la suite de l'ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures vingt.)