SEANCE DU 22 JANVIER 2002
M. le président.
La parole est à M. Leclerc, auteur de la question n° 1208, adressée à M. le
ministre délégué à la santé.
M. Dominique Leclerc.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ma question est dans la continuité de celle que
vient de poser mon collègue M. François Zocchetto.
Notre système de soins est l'un des meilleurs du monde, dit-on, grâce en
grande partie, nous le savons tous, à la qualité des professionnels. Or,
aujourd'hui, ces derniers traversent une crise extrêmement grave, à laquelle le
Gouvernement n'apporte pas de réponse alors qu'il aurait eu, à plusieurs
reprises, l'occasion de le faire.
Dès l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002,
en octobre dernier, il vous aurait été très aisé, monsieur le secrétaire
d'Etat, de prendre les mesures qui s'imposent. Mais nous n'avons rien vu. C'est
la première occasion manquée. Vous avez préféré vous accrocher à une réforme
emblématique, celle des 35 heures, dont le premier mérite, selon votre
gouvernement, serait de rétablir un véritable dialogue social. Je n'ironiserai
pas sur la présence dans les rues de tous vos agents, des agents de l'Etat, ces
dernières semaines. Pourquoi avez-vous refusé d'engager un dialogue avec le
monde médical et botté en touche en envoyant en première ligne la Caisse
nationale de l'assurance maladie, la CNAM, dont tout le monde sait qu'elle ne
détient pas le pouvoir ?
Seconde occasion manquée, dans le projet de loi relatif aux droits des malades
et à la qualité du système de santé, que nous examinerons probablement à partir
de demain, vous n'avez pas pris en compte le malaise du monde médical.
Pourtant, les médecins libéraux, les infirmiers, les kinésithérapeutes, les
ambulanciers sont désabusés, lassés d'être les boucs émissaires, de ne voir
aucune revalorisation de leurs prestations, de leurs visites, de leurs
soins.
Les médecins de famille sont en grève parce qu'ils ne supportent plus les
restrictions d'activités et les conditions d'exercice qui leur sont imposées,
souvent pour des raisons purement financières, sans qu'il soit tenu compte des
besoins sanitaires de la population française, qui est de mieux en mieux
informée, de plus en plus exigeante, et que l'on ne peut évoquer sans prendre
en compte le fait qu'à l'évidence elle vieillit.
Ces professions ne supportent plus que les réelles responsabilités qu'elles
assument ne soient pas davantage prises en compte. Enfin, elles ne veulent plus
être considérées comme les seules responsables de l'accroissement trop rapide
des dépenses de santé, de l'inadéquation grandissante entre la démographie
médicale et les besoins de la population. Ces professions sont composées, vous
le savez aussi, non pas de nantis ou de profiteurs d'un système, mais de
personnes qui parcourent la campagne jour et nuit et travaillent un grand
nombre d'heures par semaine.
Le secteur hospitalier, lui aussi, connaît un marasme, notamment en raison
d'une réelle désaffection, que l'on comprend bien, des vocations pour ce
secteur. Croyez-moi, ce n'est pas le projet de statut des praticiens
hospitaliers, présenté ces derniers temps aux intersyndicales, sur
l'aménagement et la réduction du temps de travail et qui devrait se traduire
par le recrutement de médecins et de praticiens dans les hôpitaux, qui réglera
le problème. En réalité, vouloir appliquer les trente-cinq heures au personnel
hospitalier déjà en sous-effectif crée, je l'évoquais tout à l'heure, des
tensions entre les différentes hiérarchies et participe à une désorganisation
de l'accès aux soins.
Enfin, les internes, qu'ils soient en pharmacie ou en médecine, sont toujours
en grève, parce que vous refusez de reconnaître officiellement - les temps ont
changé - leur statut dans l'hôpital public. Renseignez-vous sur la vie qu'ils
mènent ! Il ne peut pas y avoir plusieurs catégories de Français, ceux qui sont
corvéables et les autres. Ils aspirent donc, comme tous nos concitoyens, à
disposer d'un minimum de temps de repos ; ils ne peuvent plus, ils ne veulent
plus enchaîner les gardes - et, là encore, nous voyons l'hypocrisie des mots et
des solutions - sans bénéficier d'un repos sécuritaire réel et non pas inclus,
souvent, dans leur temps de travail, car le travail est toujours fait dans les
hôpitaux, comme le prévoit la législation, et cela également en termes de
sécurité.
Ma question sera donc très simple, monsieur le secrétaire d'Etat : allez-vous
enfin accepter, à travers un dialogue avec les organisations professsionnelles
et représentatives, de prendre en compte certaines propositions des
professionnels de santé ? Nous le savons tous, seule une attitude d'écoute
réciproque permettra de donner un souffle nouveau à tout l'ensemble de notre
système de santé.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat à l'économie solidaire.
En vous écoutant, monsieur
Leclerc, j'étais un peu inquiet. En effet, alors que, au départ, votre question
portait sur les revendications des internes en pharmacie, vous nous avez
invités en fait à une sorte de balade, parmi toutes les professions de santé.
Je vais donc faire comme vous et m'efforcer de vous apporter une réponse plus
large.
Tout d'abord, je vous prie d'excuser l'absence de M. Kouchner qui, pour des
raisons familiales, n'a pu être présent ce matin.
Quand vous dites que le mouvement nécessite des adaptations, c'est vrai. Nous
observons dans la société française, suite aux trente-cinq heures, une
aspiration profonde à l'adaptation des rythmes de vie qui se manifeste sous
forme de diverses revendications et qu'il faut comprendre ou interpréter comme
une volonté non pas de faire du surplace mais, au contraire, de bénéficier de
ce gain de temps, et donc de cette qualité de vie, dans les différents corps de
métiers concernés.
Contrairement à ce que vous avez dit, nous traitons les problèmes les uns
après les autres. Ainsi, des accords ont été trouvés avec les internes.
Pourtant, il existe des disparités, qu'il faut regarder de plus près. Il est
vrai, en effet - je reprends les mots de M. le ministre délégué à la santé -,
que certains internes prennent six gardes, enfilant effectivement un nombre
d'heures invraisemblable, alors que d'autres n'en prennent qu'une.
Des accords ont été également trouvés et signés avec l'ensemble des
infirmières et des infirmiers : je pense notamment à la revalorisation de la
rémunération de celles qui, y compris dans les cliniques privées, bénéficient
de rémunérations qui méritaient d'être rehaussées. Cela a été fait. Le cadre
financier qui a été fixé avait d'ailleurs essentiellement pour objectif la
prise en compte de l'amélioration de la rémunération de ces infirmières.
Le mouvement de société que j'évoquais est le reflet d'une dynamique avec
laquelle nous sommes en phase, mais qui nécessite des calages. Il faudrait
faire preuve de cohérence dans les critiques qui sont adressées au
Gouvernement. En effet, quand celui-ci répond aux revendications de telle ou
telle catégorie qui est descendue dans la rue, on lui reproche immédiatement
d'avoir cédé. Au contraire, s'il prend le temps d'entendre les catégories
concernées et de calibrer son action en fonction de la justesse des
revendications qui peuvent être prises en compte, on lui reproche de ne pas
avoir cédé !
Il faut savoir que les revendications actuelles portent, en moyenne, sur des
augmentations estimées à près de 20 %. Les discussions sont en cours. Mme la
ministre de l'emploi et de la solidarité ainsi que le ministre délégué à la
santé vont recevoir des délégations. Je ne doute pas que le dialogue engagé
permette de trouver des issues à la fois raisonnées et raisonnables.
Par ailleurs, sur la question de l'évolution de la profession dans son
ensemble, il faut dire les choses telles qu'elles sont. Là aussi, il y a une
évolution. Vous parlez de catégories qui ne veulent plus être corvéables,
comparées à celles qui pourraient tout se permettre. Il faut sans doute là
faire un rappel au devoir, car, dans certaines zones, tant urbaines que
rurales, l'offre de soins va devenir une question cruciale en termes
d'aménagement du territoire. Y répondre est d'autant moins simple qu'il n'y a
pas unicité des situations. Quand on évoque le cas des praticiens qui ont un
cabinet bien placé, des horaires fixes chaque semaine, et qui essaient d'avoir
un week-end libre, le cas de ceux qui sillonnent la campagne nuit et jour parce
qu'ils sont seuls dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres ou encore
le cas de ceux qui interviennent dans des quartiers où parfois personne ne veut
plus s'installer - j'en connais quelques-uns dans ma région -, nous parlons de
situations qui ne sont pas du tout comparables !
Ces revendications méritaient donc une écoute plus fine, une analyse et des
réponses adaptées, Je peux vous dire que des discussions sont engagées et
qu'elles déboucheront sur des décisions calibrées et, je l'espère, précises et
intelligentes.
M. Dominique Leclerc.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie beaucoup de votre réponse.
Pensant que M. Kouchner serait là ce matin, je m'étais permis d'élargir ma
question, d'autant que demain sera une journée d'action et que, théoriquement,
les professionnels de santé devraient être reçus aujourd'hui par la CNAM.
Je souscris totalement à vos propos, mais ma réflexion aujourd'hui avait pour
objet d'insister sur le fait qu'il est grand temps, dans un système évolutif et
dans un contexte délicat, de savoir qui fait quoi et quelle est aujourd'hui la
responsabilité du Gouvernement par rapport à celle des partenaires sociaux. En
effet, au-delà des problèmes de rémunération que les personnes concernées ne
placent pas au premier plan, c'est surtout sur l'organisation, les conditions
de travail, la démographie médicale, la rémunération des gardes dans des
moments précis, la sécurité dans les interventions que portent les
interpellations premières des professionnels de santé, demandeurs de
lisibilité.
Vous le savez, ni eux ni nous ne voulons une étatisation, pas plus qu'une
privatisation du système de santé. C'est le patient qui doit être au centre de
nos préoccupations et pas obligatoirement l'usager, comme on veut nous le faire
écrire dans le projet de loi soumis demain à notre examen.
Je vous ai interpellé pour vous demander si c'est bien la CNAM qui doit être
l'interlocuteur privilégié sur ces questions. Je m'interroge d'autant plus
quand j'entends son président manifester sa volonté d'intervenir dans la
formation et dans l'évaluation des pratiques médicales. Monsieur le ministre,
il est aujourd'hui grand temps de redéfinir, dans un système complexe, les
responsabilités des uns et des autres pour établir clairement qui, de tel ou
tel corps, fait quoi. Telle est la grande interpellation qui, au-delà du
Gouvernement, est lancée par le monde de la santé aux responsables
politiques.
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