SEANCE DU 24 JANVIER 2002
ASSURANCE CHÔMAGE DES INTERMITTENTS DU SPECTACLE
Adoption d'une proposition de loi
déclarée d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 138,
2001-2002), adoptée par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence,
relative au régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle. [Rapport
n° 166 (2001-2002)].
J'informe le Sénat que la commission des affaires culturelles m'a fait
connaître qu'elle a d'ores et déjà procédé à la désignation des candidats
qu'elle présentera si le Gouvernement demande la réunion d'une commission mixte
paritaire en vue de proposer un texte sur les dispositions restant en
discussion sur la présente proposition de loi.
Ces candidatures ont été affichées pour permettre le respect du délai
réglementaire.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Michel Duffour,
secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout
d'abord de vous présenter les excuses de Mme Elisabeth Guigou, ministre de
l'emploi et de la solidarité, qui est retenue par d'autres obligations, ainsi
que celles de Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la
communication, qui avait réservé plusieurs demi-journées pour cette discussion,
à laquelle elle souhaitait participer, mais qui est aujourd'hui en province.
Je vous présenterai donc ce projet de loi, mais vous savez que nous parlons
d'une seule voix et vous connaissez l'attachement que le Gouvernement porte à
ce dossier.
Nous examinons aujourd'hui une proposition de loi, adoptée en première lecture
par l'Assemblée nationale à une très large majorité, qui traduit le consensus
qui s'est formé pour répondre au problème posé par l'indemnisation du chômage
des intermittents du spectacle.
Je tiens d'emblée à souligner le sérieux du travail mené par votre commission
dont votre rapporteur va rendre compte.
Vous proposez, au terme de votre analyse, monsieur le rapporteur, de vous
écarter du texte transmis par l'Assemblée nationale. Vous souhaitez fixer une
date butoir : le 30 juin prochain. C'est donc ce point que je veux discuter de
manière approfondie avec vous. Permettez-moi cependant de relever tout d'abord
tout ce qui, dans nos analyses, constitue un socle commun, et, je l'espère, le
gage d'un consensus possible, au Sénat également.
Le bilan que vous dressez des évolutions des annexes au cours des dernières
années montre bien la complexité des problèmes posés. On ne devient pas
intermittent par choix, on est d'abord artiste ou technicien du spectacle ou de
l'audiovisuel. Vous avez raison de montrer que l'évolution de l'emploi dans ces
secteurs est allée vers un recours toujours plus large à l'intermittence, ce
qui est en soi un phénomène très préoccupant, notamment dans le secteur de
l'audiovisuel.
Vous soulignez aussi, à juste titre, la spécificité des annexes. «
L'assujettissement de ces salariés au droit commun ou à l'annexe IV relative au
travail temporaire, constituerait en effet un bouleversement à la fois
économique et social qui mettrait à mal les équilibres sur lesquels repose le
secteur culturel. »
Pour résumer votre pensée - et je partage votre point de vue - on peut
peut-être mieux ajuster le recours à ce « statut », mais on ne pourra pas se
passer de la souplesse et de la capacité d'initiative qu'il confère aux
secteurs du spectacle vivant et audiovisuel.
Vous indiquez par ailleurs les progrès que peuvent représenter les accords
signés entre les partenaires sociaux de ces secteurs, le 15 juin 2000, puis
l'année suivante, au mois de juin 2001. Comme vous l'écrivez dans votre
rapport, « les partenaires sociaux pourraient, au niveau interprofessionnel,
apprécier la portée de cet accord et s'en inspirer pour la négociation des
annexes VIII et X », ce que nous appelons tous de nos voeux.
Dernier point essentiel d'accord, vous estimez que, « faute de pouvoir espérer
la conclusion prochaine d'un accord interprofessionnel, une initiative
s'imposait afin de remédier à cette situation ».
J'en viens au point de désaccord.
Nous divergeons sur les modalités de cette initiative qui s'impose et sur la
nécessité de prévoir ou non un délai.
Votre position se fonde sur un double argument, juridique et politique. Je
m'efforcerai donc de répondre sur ces deux aspects.
Sur le plan juridique tout d'abord, vous faites référence à une décision du
Conseil constitutionnel en date du 29 décembre 1986. Cette référence me paraît
pas fondée.
Certes, comme dans le précédent invoqué, la proposition de loi fixe une
condition de validité dans le temps, puisque la cessation d'effet de la loi
dans le temps est subordonnée à la conclusion prochaine d'un accord agréé. La
date précise reste indéterminée, la durée de validité pour cette loi
transitoire aussi.
Certes, enfin, la condition qu'un accord intervienne et soit agréé dépend, en
partie, du pouvoir réglementaire. Mais, vous le savez bien, l'agrément ne
constitue pas un pouvoir discrétionnaire. Il s'impose sous réserve du respect
d'une procédure rigoureuse de consultation des partenaires sociaux, ainsi que
du respect de l'ensemble des règles de droit applicables au domaine
conventionnel traité. C'est en réalité un contrôle de légalité.
Tout cela, notamment le respect de la procédure et du calendrier, s'effectue
sous le contrôle du juge. Tel n'était pas le cas, vous en conviendrez, pour la
jurisprudence que vous invoquez.
Par ailleurs, l'ordonnancement juridique de l'assurance chômage prévoit d'ores
et déjà une délégation des pouvoirs du législateur aux partenaires sociaux,
afin qu'ils définissent les règles en la matière. La proposition de loi se
contente de reprendre ce modèle.
On ne peut donc pas conclure, en l'espèce, comme le Conseil constitutionnel
l'avait estimé dans le cas que vous citez, « qu'on laisse au Gouvernement la
faculté de fixer la date à laquelle produira effet l'abrogation de cette loi »,
et que « ce pouvoir ne serait assorti d'aucune limite ».
J'en viens à votre argument d'ordre politique, qui est l'essentiel, et qui
porte sur la méthode qu'il convient de privilégier pour faire oeuvre utile tout
en marquant le respect dû à l'autonomie des partenaires sociaux. Votre thèse
implicite - en fixant un calendrier rapproché - est que l'on gagne à fixer un
délai impératif, dans la mesure où la conclusion rapide d'un accord serait
ainsi presque imposée.
Mais nous avons tous le souvenir des négociations passées concernant les
intermittents et qui prévoyaient une date couperet conduisant parfois les
partenaires patronaux et syndicaux à de nombreux dérapages.
Nous savons que les résultats de telles épreuves de force ne peuvent qu'être
décevants, voire stériles. En revanche, les propositions qui ont été faites par
la Fédération des syndicats patronaux des entreprises du spectacle vivant, de
l'audiovisuel et du cinéma, la FESAC, qui regroupe les organisations
patronales, et par les fédérations du spectacle - la CGT, la CFDT et la CGC du
secteur - constituent une base de négociation d'un accord plus durable, plus
novateur et d'une réelle adaptation, attendue depuis des années.
Je ne reviendrai pas en détail sur les dispositions techniques très complexes
de cet accord, telles que, par exemple, la fusion des annexes VIII et X, la
modification du calcul de l'indemnité journalière, dont l'objectif est de
moraliser le recours à l'indemnisation, ou encore, à l'inverse, l'intégration,
à mes yeux justifiée, de certaines activités d'enseignement dans le volume
d'heures requis.
Ce sont autant de pistes prometteuses pour une véritable amélioration du
statut d'intermittent, sous réserve, bien entendu, de l'appréciation que
porteront les partenaires sociaux au plan interprofessionnel.
Certes, le coût de cet accord doit être évalué précisément. Mais, à l'inverse,
il ne faut pas oublier de valoriser également le gain que représente, du côté
des emplois permanents du secteur culturel, la forte stabilité de l'emploi.
Il faudra sans doute, à l'issue de ces analyses, définir avec soin les
paramètres permettant de maîtriser les coûts, comme le souhaitent les
partenaires sociaux sur le plan tant professionnel qu'interprofessionnel.
Encore une fois, tout cela est du ressort des partenaires sociaux.
Cette négociation demandera du temps, de la sérénité, de la méthode, ce qui,
pour nous, comme pour l'Assemblée nationale, interdit qu'un délai impératif
soit fixé, surtout s'il est si court.
L'accord qui proroge jusqu'au 30 juin 2002 les annexes VIII et X manifeste la
volonté des partenaires sociaux d'engager ces négociations et d'aboutir
rapidement. Les partenaires sociaux l'ont accompagné d'une déclaration
d'intention prévoyant une date et un ordre du jour pour une prochaine réunion
sur le sujet. Il faut s'en féliciter. Cela ne nous dispense pas pour autant de
poursuivre la procédure législative.
Cet accord ne peut être considéré comme constituant une base juridique
suffisante, dans la mesure où son entrée en vigueur est subordonnée au respect
d'une procédure d'agrément prévue par les articles L. 352-2 et L. 352-2-1 du
code du travail. Cette procédure est engagée, elle doit suivre son cours.
On ne peut préjuger la décision d'agrément qui sera prise par la ministre, la
consultation des partenaires sociaux représentés au sein du comité supérieur de
l'emploi n'étant pas encore intervenue.
La prorogation à titre transitoire des annexes par la loi sera, au pire,
redondante pour la période qui s'ouvre jusqu'au 30 juin prochain. En revanche,
en l'absence d'accord des partenaires sociaux, la loi permettra, à compter du
1er juillet 2002, de combler le vide juridique concernant l'indemnisation des
intermittents du spectacle. La loi permettra ainsi aux partenaires sociaux
d'engager les négociations indispensables, dans un climat que nous souhaitons
serein et constructif.
Au total, l'Etat est bien dans son rôle quand il fournit un cadre juridique
adapté à cet objectif. Le Parlement est bien dans son rôle quand il intervient
pour combler un vide, de manière indiscutable sur le plan juridique, pour
donner sa chance à une véritable négociation orientée vers l'avenir.
Il ne s'agit pas, je le répète, de se substituer aux partenaires sociaux. Il
s'agit simplement de donner un cadre ferme à une négociation que nous appelons
de nos voeux. Dans cet esprit, il est indispensable de s'en tenir au texte tel
qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Fournier,
rapporteur de la commission des affaires culturelles.
Vous avouerez,
monsieur le secrétaire d'Etat, que nous sommes dans une situation paradoxale.
Le texte que le Gouvernement a inscrit aujourd'hui, après quelques péripéties,
à l'ordre du jour du Sénat avait pour objet, quand il a été voté à l'Assemblée
nationale, de proroger le régime d'assurance chômage des intermittents du
spectacle afin d'éviter un vide juridique et de ménager un délai pour permettre
la renégociation de ce régime, qui relève - ou plus exactement relevait - des
annexes VIII et X de la convention générale d'assurance chômage.
La commission des affaires culturelles, qui a examiné le texte adopté par
l'Assemblée nationale le 9 janvier dernier, était convenue de la nécessité de
redonner une base juridique aux annexes VIII et X, mais elle avait aussi jugé
indispensable, à la fois pour des raisons juridiques et pour ne pas empiéter
sur les compétences des partenaires sociaux, de limiter la prorogation de ces
annexes jusqu'au 30 juin prochain. Tous les membres de la commission avaient
approuvé ce principe d'une date « butoir », même si les avis divergeaient sur
le choix de la date à retenir. Nous en sommes bien d'accord.
Or, le lendemain même de notre réunion, le 10 janvier dernier, les partenaires
sociaux sont parvenus à un accord sur la prorogation des annexes VIII et X. Ils
ont décidé, « à titre dérogatoire et dans l'attente de la négociation d'un
nouvel accord, de maintenir les dispositions des annexes VIII et X dans leur
rédaction issue de la convention du 1er janvier 1997 ».
Cet accord, conclu pour la période du 1er janvier 2001 au 30 juin 2002, a été
signé par les trois organisations patronales et quatre organisations syndicales
: la CFDT, la CGC, la CFTC et FO. Je ne peux que me féliciter de cet accord,
qui traduit la volonté des partenaires sociaux non seulement de conforter à
titre provisoire le régime d'assurance chômage des intermittents, mais
également d'engager sa réforme. En effet, les signataires de l'accord sont
convenus de se réunir dès le 5 mars 2002 pour examiner la situation de la
gestion des annexes.
A condition que cet accord soit agréé, il n'y a donc plus lieu que le
Parlement intervienne. C'est pourquoi, mes chers collègues, le président de la
commission, M. Jacques Valade, a interrogé le Gouvernement, en conférence des
présidents, sur l'utilité d'inscrire à l'ordre du jour du Sénat la proposition
de loi adoptée par l'Assemblée nationale.
Nous avons la réponse. Elle signifie, en clair, que le Gouvernement n'entend
pas agréer l'accord ni, par conséquent, et malgré ce qu'il avait dit à
l'Assemblée nationale, respecter la compétence et la volonté des partenaires
sociaux, et cela bien que, dans votre intervention, monsieur le secrétaire
d'Etat, vous ayez modéré votre propos, atténuant quelque peu ce qui nous a été
dit voilà quelques jours.
Et si le Gouvernement soutient le texte de l'Assemblée nationale, qui équivaut
à une prolongation à durée inderterminée d'un régime dont nous savons tous
qu'il doit être réformé, il pratique en fait la politique du pire. Cela
équivaut, à notre sens, à condamner à terme ce régime, dont nous sommes tous
d'acord pour reconnaître qu'il est nécessaire, car il permet de tenir compte de
la spécificité de l'activité artistique et constitue un atout ô combien
important pour la vitalité de la création nationale.
Nous savons en effet - et tout le monde le sait - que ce régime ne peut être
maintenu en l'état. Les règles actuellement prévues par les annexes VIII et X
ont en effet conduit, reconnaissons-le, à une dérive des mécanismes
d'indemnisation qui se traduit par un déficit croissant du régime.
Au cours des vingt dernières années, le nombre des intermittents a connu une
forte progression, dont le rythme s'est accéléré depuis 1990. En effet, il
atteignait 92 440 en 2000 contre 41 038 en 1991, soit plus qu'un doublement, ce
qui est considérable.
Cette situation est à l'origine de la croissance du déficit des annexes VIII
et X qui, sur la même période, est passé de 210 millions d'euros, soit 1,4
milliard de francs, à 610 millions d'euros, soit 4 milliards de francs.
Toutefois, on notera que le rapport entre le montant des prestations servies et
celui des cotisations, s'il demeure élevé puisqu'il est de cinq à un, reste
stable.
Le marché de l'emploi des intermittents présente, en effet, la particularité
d'être à la fois en croissance et en crise.
L'essor du secteur culturel auquel on a assisté depuis 1980 s'est accompagné
d'une généralisation de l'intermittence, les entreprises de ce secteur, comme
vous le savez, recourant massivement à un système qui constitue un moyen
d'alléger leurs charges salariales. Comme le soulignait M. Pierre Cabanes,
chargé en 1997 d'une mission de médiation par le Gouvernement, le régime «
génère et accroît le risque qu'il est censé couvrir ».
En dépit du constat répété de la nécessité d'engager une réforme des modalités
d'indemnisation, ce régime se survit à lui-même, de prorogation en prorogation,
au prix d'un scénario bien connu : vivement critiquées par les organisations
patronales qui menacent de ne plus contribuer à leur financement, les annexes
VIII et X sont finalement reconduites sous la pression exercée par les
représentants des salariés sur l'opinion publique et, par conséquent, sur le
Gouvernement.
Cela peut-il continuer ainsi ? Nous ne le croyons pas. C'est pourquoi la
commission n'avait pas accepté le dispositif de l'Assemblée nationale.
Si la commission a estimé nécessaire de remédier au vide juridique
incontestable résultant de la caducité des annexes VIII et X, il lui a paru
pour autant indispensable de limiter dans le temps la durée de la prorogation.
Les engagements pris par les partenaires sociaux le lendemain de l'examen, par
la commission, de la proposition de loi, dans le cadre de l'accord intervenu le
10 janvier dernier, ne peuvent que nous conforter en ce sens.
Le délai retenu par l'Assemblée nationale nous était apparu au mieux trop long
et au pire indéterminé.
En premier lieu, le dispositif adopté par l'Assemblée nationale ne constitue
pas l'assurance de parvenir rapidement à un accord, pas plus qu'il ne favorise
une réforme des règles d'indemnisation, pourtant nécessaire de l'aveu de tous.
Ces réajustements exigeront des concessions qui peuvent s'avérer difficiles
pour les intermittents et pour les entreprises du secteur. On peut à bon droit
s'interroger sur les chances de parvenir, dans ces conditions, à un accord,
alors que l'échec des négociations garantit l'existence d'un régime nettement
plus favorable.
En l'absence d'accord, rien ne changera, puisque le régime actuel, très
favorable, sera maintenu, ce qui immanquablement s'accompagnera d'une
aggravation du déficit.
Les conséquences d'une telle situation sont d'autant plus préoccupantes que la
proposition de loi continuera de produire ses effets au-delà du terme de la
convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001.
En outre, le dispositif de la proposition de loi n'est pas conforme, selon
nous, à l'interprétation, dégagée par le Conseil constitutionnel, de l'article
21 de la Constitution relatif à l'exécution des lois et selon laquelle le
législateur, compétent pour déterminer la durée d'application des règles qu'il
édicte, ne peut abandonner cette compétence. Or, dans la mesure où l'Assemblée
nationale n'a fixé aucun terme à la prorogation des annexes, la durée
d'application de la loi dépendra uniquement de la décision du pouvoir
réglementaire, à savoir l'arrêté d'agrément.
Pour ce motif juridique et pour les raisons d'opportunité que j'ai évoquées,
la commission avait estimé nécessaire de fixer un terme précis à la prorogation
par la proposition de loi et au délai qu'elle ouvre pour parvenir à la
conclusion d'un accord.
Les partenaires sociaux ont eu - permettez-moi de le dire - le courage et la
sagesse, le 10 janvier dernier, de faire le même constat.
Nous estimons, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'en refusant implicitement
d'agréer cet accord le Gouvernement esquive ses responsabilités, ne respecte
pas le champ de la négociation collective et, au surplus, rend un bien mauvais
service aux artistes de notre pays.
Mes chers collègues, nous n'avons plus besoin aujourd'hui de nous substituer
aux partenaires sociaux. En revanche, c'est à la carence du Gouvernement que
nous devons remédier.
Votre commission avait proposé de proroger la validité des annexes VIII et X
jusqu'au 30 juin 2002. Ce délai coïncide avec celui qui est prévu par les
partenaires sociaux.
Elle vous proposera donc de voter la proposition de loi ainsi amendée, non
plus - il n'en est plus besoin - pour pallier l'absence d'un accord, mais pour
respecter celui-ci.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
c'est mon collègue Ivan Renar qui aurait dû faire cette intervention si, comme
il s'en est plaint hier, notre ordre du jour n'avait pas été modifié à
plusieurs reprises en dernière minute. Comme vous le savez, il est retenu
aujourd'hui dans le Nord, où il assiste aux obsèques de notre collègue et amie
Dinah Derycke. Je m'exprimerai donc au nom de M. Renar.
Comme nous le savons, les intermittents du spectacle sont actuellement
victimes d'un vide juridique dû au fait que les annexes de l'UNEDIC qui les
concernent n'ont pas été renégociées et n'ont donc pas encore fait l'objet d'un
agrément. Notre objectif, aujourd'hui, est de combler ce vide.
Le statut particulier des intermittents du spectacle est l'essence même de
toute la vitalité de la culture en France.
M. Charles Revet.
Tout à fait !
M. Roland Muzeau.
Il assure aux professionnels du spectacle l'indispensable complément de
revenus qui permet à de nombreux artistes de subsister ou de vivre de leur
métier. C'est aussi, il faut le noter, grâce à ce statut que nombre de
compagnies de théâtre ou de danse, ainsi que de très nombreux théâtres, peuvent
fonctionner. La fin de l'intermittence signerait donc la disparition d'un pan
entier de la culture en France.
Il est clair que les professionnels du spectacle ont des métiers dont les
spécificités - notamment la ponctualité des projets et une saisonnalité de
l'activité - justifient un statut particulier.
Les intermittents du spectacle oscillent en effet entre des périodes
d'activité effective et des périodes de non-activité. Ces dernières ne sont pas
pour autant des périodes d'inactivité : les artistes entretiennent leur voix ou
leur corps, en payant parfois de leur poche des cours indispensables, les
techniciens doivent faire leur comptabilité ou des recherches, et tous passent
beaucoup de temps en prospection de contrats, ce qui implique une intense
activité de relations publiques. Le complément de revenus qu'apportent les
ASSEDIC prend justement en compte cette partie de leur travail. Mais je ne
m'étendrai pas plus.
Je dirais simplement que le régime des intérimaires prévu dans l'annexe IV de
la convention de l'UNEDIC, dans lequel le MEDEF voudrait faire entrer les
intermittents, n'est pas adapté aux spécificités de la profession. Un acteur,
un chanteur, un costumier, un technicien du spectacle ne connaissent pas et ne
connaîtront sûrement jamais les mêmes conditions d'emploi et de contrat que des
ouvriers ou des secrétaires, qui connaissent la précarité du statut
d'intérimaires. Dans le cas du spectacle, en effet, la précarité est une donnée
intrinsèque de l'activité.
Certes, nous avons tous remarqué qu'il existe parfois des excès à
l'utilisation du statut d'intermittent du spectacle. Certains intermittents
sont certainement motivés par leur désir de rester dans le système et de ne pas
passer dans le régime général, mais ils sont peu nombreux.
Ce qui est choquant, en revanche, ce sont les abus que l'on constate chez de
nombreux employeurs, dont d'ailleurs les plus gros, en particulier dans
l'audiovisuel - je pense à France 3 et bien sûr à Vivendi-Universal, pour ne
citer qu'eux - qui renouvellent de façon intempestive, pour des raisons
financières et de flexibilité, des contrats à durée déterminée d'intermittents
sur des périodes très longues. Or il est évident que, dans nombre de cas de ce
genre, le recours à des contrats à durée indéterminée se justifierait. C'est
que le système profite au moins autant aux employeurs du secteur !
Il est aussi nécessaire de relever chez les intermittents de nombreuses
disparités de situation dans un dispositif qui, somme toute, reste très
inégalitaire.
Il y a ceux qui réussissent et travaillent beaucoup, et pour qui
l'intermittence est attractive. Il y a les professionnels qui ont établi un
rythme d'activité à peu près équilibré et qui parviennent à gérer les aléas du
métier, ceux qui, dans des zones de basse activité, sont toujours à la limite
de rester dans l'intermittence, ceux qui galèrent entre la protection du
système et la précarité hors couverture, et pour qui l'acquisition du statut
d'intermittent correspond à une forme de reconnaissance sociale, et ceux,
enfin, qui n'apparaissent que sporadiquement dans le système et ne cherchent
pas à y faire carrière.
Nonobstant ces disparités, on peut considérer que le dispositif de
l'intermittence, tel qu'il existe dans notre pays, permet cependant à de
nombreux professionnels du spectacle de vivre décemment et participe, pour une
grande part, à la richesse et à la vivacité de la culture en France. Ce point
est essentiel ; il ne faut pas l'occulter. Remettre en cause ce statut, c'est
porter atteinte à la création et à la spécificité culturelle françaises.
Certes, nous l'avons tous constaté, le régime d'assurance chômage des
intermittents du spectacle affiche un déficit non négligeable.
A ce propos, je tiens à souligner que l'UNEDIC est un système de solidarité
interprofessionnelle au sein duquel le déficit qui est affiché par une branche
est compensé par les excédents d'autres branches. L'UNEDIC est d'ailleurs, dans
son ensemble, bénéficiaire.
On pourra nous rétorquer que les régimes prévus par les annexes VIII et X sont
déséquilibrés. Cet argument n'est toutefois guère fondé, puisque tous les
autres le sont aussi.
D'aucuns affirment que les autres catégories socioprofessionnelles ne
devraient pas être les « financeurs » de la culture. On peut en convenir. Mais
le régime des intermittents du spectacle a besoin - j'y insiste - d'être
aménagé, non seulement pour réduire son déficit, mais également pour tenir
compte des nouvelles dispositions de la dernière convention.
Or la convention et ses annexes relèvent de la négociation paritaire - par
délégation du législateur, je tiens à le rappeler.
Jusqu'à ce jour, l'un des partenaires sociaux, le MEDEF, en l'occurrence,
n'assume pas ses responsabilités, notamment en ne reprenant pas l'accord signé
le 15 juin 2000 entre la Fédération des entreprises du spectacle, de
l'audiovisuel et du cinéma, la FESAC, qu'il avoue pourtant reconnaître comme un
interlocuteur légitime dans la négociation, et les syndicats CFDT, CGT et CGC
qui représentent ensemble une très large majorité des intermittents du
spectacle.
Aujourd'hui, les négociations sur les annexes VIII et X achoppent alors qu'une
nouvelle convention existe, que toutes les autres annexes ont été négociées et
ont obtenu un agrément, et que la convention de 1997 n'est donc, de fait, plus
en vigueur. Cela explique la situation de vide juridique dans laquelle nous
nous trouvons.
Le législateur n'est donc pas uniquement dans son rôle en intervenant pour y
remédier, mais tel est son devoir, au moins pour une durée limitée, jusqu'à ce
que les partenaires sociaux aient abouti dans leurs négociations. Car notre
souci est bien que les partenaires se réunissent, que les négociations aient
lieu, et qu'elles parviennent à la mise au point de dispositions qui permettent
une réduction du déficit lié à ces annexes, tout en respectant la prise en
compte des spécificités liées aux métiers du spectacle.
De ce fait, il me semble que nous avons l'obligation de permettre que soit
prorogé le régime des intermittents du spectacle. Mais nous devons aussi
fortement inciter les partenaires sociaux à se remettre d'urgence à la table de
négociations, et fixer une date limite à laquelle ces négociations devront
avoir abouti. Cependant, il est nécessaire que nous laissions aux partenaires
sociaux un délai suffisant pour que les négociations puissent êtres conduites
de façon constructive et dans la sérennité.
Tel est l'objet de l'amendement que le groupe communiste républicain et
citoyen a déposé et qui vise à appuyer les aspects que je viens d'évoquer.
Enfin, il nous semble que, dans un proche délai, il faudra que nous
réfléchissions à la question non seulement des intermittents du spectacle mais,
également des artistes en général, dans le contexte éventuel d'une loi cadre
sur le statut de l'artiste. Je suis convaincu que les milieux de la culture -
et la France - le réclament, tout particulièrement ces temps-ci, alors que
l'exception culturelle est mise à mal par des comptables supérieurs, arrogants
et glacés, comme dirait mon collègue Ivan Renar, qui souhaitent lui substituer
la diversité de produits culturels de marketing ciblé qui se vendent et soient
rentables.
Nous souhaitons que la culture soit et reste une exception aux règles purement
mercantiles, qu'elle permette à tous les artistes de trouver des canaux
d'expression et de visibilité, qu'elle s'ouvre toujours plus et gagne un public
toujours plus vaste, en un mot, que la culture vive pleinement.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Duvernois.
M. Louis Duvernois.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
10 janvier dernier, les organisations patronales et syndicales, à l'exception
de la CGT, ont conclu un accord prorogeant jusqu'au 30 juin 2002 le régime
d'assurance chômage des intermittents du spectacle. Ainsi, l'annexe VIII, dont
dépendent les ouvriers et techniciens de l'édition d'enregistrement sonore de
la production cinématographique et audiovisuelle, de la radio et de la
diffusion, et l'annexe X, dont dépendent les artistes, ouvriers et techniciens
des spectacles vivants, sont prorogées dans le règlement annexé à la convention
UNEDIC du 1er janvier 1997, sans aucune modification de leur contenu.
Cet accord doit être considéré comme le cache-misère d'une situation
catastrophique qui ne peut, dans l'état actuel des choses, que s'aggraver.
Certes, il comble un vide juridique, ou instaure une sécurité juridique de ces
annexes à la convention générale de l'UNEDIC, mais uniquement jusqu'au 30 juin
2002.
Depuis 1969, chaque renégociation de ces annexes a donné lieu à des débats
très conflictuels. En effet, ce régime d'assurance chômage connaît un grave
déséquilibre. Il concerne des hommes et des femmes qui ont choisi ce métier en
connaissant les inconvénients qui le caractérisent, notamment la précarité de
l'emploi.
Quelque 120 000 personnes, dont 30 000 techniciens et ouvriers de
l'audiovisuel et 65 000 artistes et comédiens, relèvent aujourd'hui de ce
régime spécifique, qui leur garantit une continuité de revenus.
En 2000, 122,6 millions d'euros de cotisations ont été perçus, et 731,8
millions d'euros de prestations ont été versées, soit un déficit de 609,8
millions d'euros à la charge de l'UNEDIC, donc des salariés et employeurs du
privé.
L'article 10 de la convention générale donnait jusqu'au 30 juin 2001 pour
renégocier les conventions particulières. On est parvenu à des accords en
septembre, sauf pour les annexes VIII et X, dont l'accord vient d'aboutir, mais
sans l'approbation de la CGT.
Que se passera-t-il lorsque le ministre aura donné son agrément à l'accord des
partenaires sociaux ? La loi deviendra caduque et nous sommes en droit de nous
demander à quoi sert le travail du Parlement dans ce cas-là.
Comme d'autre professions, telles que celles des marins-pêcheurs, des
journalistes ou des VRP, les métiers liés à la création artistique bénéficient
du principe de la solidarité interprofessionnelle. Cette solidarité ne semble
plus être au goût de tout le monde, même de certaines organisations syndicales,
car les intermittents du spectacle apparaissent aux yeux de certaines
professions comme des privilégiés.
Nous le savons, l'Etat agit depuis quelques mois sous la pression et sous la
contrainte des futures élections,...
M. Charles Revet.
C'est vrai dans tous les domaines !
M. Louis Duvernois.
... ce qui explique l'inscription rapide et en urgence de ce texte à notre
ordre du jour.
La situation des intermittents est particulière : la production de spectacles
repose sur une grande flexibilité de l'emploi et l'intermittence permet de
disposer d'une réserve de main-d'oeuvre disponible à chaque instant pour
contenir la hausse des coûts de production des spectacles, pour s'ajuster à
l'expansion de la sous-traitance, pour s'adapter au caractère irrégulier des
créations.
Dans les années quatre-vingt, l'emploi dans les arts du spectacle s'est
fortement développé. Le secteur a recouru de plus en plus à des emplois de
courte durée et on a vu s'imbriquer de plus en plus emploi rémunéré et chômage
indemnisé. Cette pratique de l'alternance est passée de 36 % des cas en 1980 à
90 % en 1992.
En fait, les intermittents bénéficient d'un régime dérogatoire,
particulièrement protecteur. L'inégalité dans l'indemnisation entre les
personnes relevant du régime d'assurance chômage général et celles qui relèvent
des annexes VIII et X est devenue inacceptable. Ainsi, un salarié ayant perçu
une rémunération mensuelle brute de 1 524 euros, soit 10 000 francs, doit, dans
le régime général, travailler quatre mois pour avoir droit au total à 3 658
euros, soit 24 000 francs, pendant quatre mois, alors qu'il bénéficie, dans le
cadre du régime des intermittents, avec seulement trois mois d'activité, de 7
927 euros, soit 52 000 francs, pendant douze mois.
De nombreux rapports ont mis en évidence le caractère inégalitaire et pervers
du dispositif.
Ainsi, la Cour des comptes montrait, en 1993, que les conditions d'affiliation
au régime sont tellement imprécises que des « salariés dont l'activité n'a
qu'un très lointain rapport avec le monde du spectacle tel un contrôleur des
lois sociales agricoles, un éducateur, un employé de bureau... » sont
indemnisés au titre des annexes VIII et X.
Ce rapport souligne aussi les incohérences dans la prise en compte de
l'activité et les modalités de rémunération, incohérences qui se traduisent par
une double indemnisation pour les personnes rémunérées au cachet par rapport à
celles qui sont rémunérées en heures.
Enfin, il apparaissait que les intermittents du spectacle jouissent presque en
permanence d'un revenu minimum, ce que confirme notre collègue dans son
excellent rapport.
Quant au rapport Devaux de 1994, il indique que « l'utilisation pervertie des
salariés intermittents pour occuper des emplois fixes s'est développée » et que
les chômeurs intermittents du spectacle sont pratiquement les seuls à ne
bénéficier d'aucune indemnité de la part de l'Etat, car ils ne basculent jamais
en régime de solidarité dans la mesure où leurs conditions d'affiliation se
régénèrent régulièrement.
Enfin, le rapport Cabanes de 1997 met en évidence que le régime « génère et
accroît le risque qu'il est censé couvrir » et que la solution ne peut être
trouvée sans une intervention de l'Etat dont la responsabilité première est de
limiter le recours aux CDD « d'usage » et de préciser quelles entreprises
peuvent y recourir.
A la suite de ce rapport, un accord de branche est intervenu en octobre 1998
pour encadrer le recours aux CDD d'usage. Pourtant, la situation a continué à
se dégrader et, comme je l'ai déjà mentionné précédemment, le nombre des
intermittents est passé à quelque 90 000 et le déficit dépasse 609,8 millions
d'euros.
En deux ans, le nombre d'intermittents du spectacle a augmenté de 34 % et le
déficit du régime de 37 %.
Par ailleurs, l'application des 35 heures n'a pas amélioré les choses. En
effet, comme chacun le sait, le travail au noir constitue l'une des principales
difficultés auxquelles est confronté le régime des intermittents. Et avec les
35 heures, le travail au noir a augmenté.
La situation est critique et il paraît indispensable de repenser le
système.
Au regard de l'accord intervenu le 10 janvier dernier, on peut se demander
pourquoi nous examinons ce texte, puisqu'il y a eu accord. Cela étant, nous ne
pouvons pas nous opposer à l'examen de cette proposition de loi qui concerne
quelque 100 000 intermittents du spectacle, vivier électoral non négligeable
par les temps qui courent.
(MM. Chérioux et de Gaulle approuvent.)
Certains penseront que mes propos sont très politiques...
M. Charles Revet.
C'est l'expression de la vérité !
M. Louis Duvernois.
... mais la naïveté n'est plus de mise à quelques semaines des élections. Ce
texte est examiné en procédure d'urgence.
M. Roland Muzeau.
Adoptez-le !
M. Louis Duvernois.
Alors, permettez-moi de douter de la pureté des intentions qui ont motivé
l'examen d'un tel texte.
Le véritable débat se doit de mettre à jour les faiblesses et les dérives d'un
système et de se demander s'il y a lieu de conserver un régime particulier
d'indemnisation du chômage pour le spectacle et l'audiovisuel.
Nous devons nous interroger sur le refus du Gouvernement de voir les
intermittents du spectacle relever de l'annexe IV, consacrée aux salariés
intermittents, salariés intérimaires et entreprises de travail temporaire.
Pourquoi les intermittents du spectacle ne relèveraient-ils pas de cette annexe
? Parce qu'ils ne travaillent que pour de courtes durées ? Mais en quoi leur
situation diffère-t-elle à cet égard de celle des employés de remontées
mécaniques, qui eux aussi ont envie de travailler ?
Telles sont les questions auxquelles nous sommes confrontés. Les citoyens
attendent des réponses et surtout de solutions concrètes et qui respectent le
principe de l'égalité.
M. Jean Chérioux.
Et de la transparence !
M. Louis Duvernois.
Même s'il semble que l'application de l'annexe IV ne donnerait pas
satisfaction à l'ensemble des intermittents, 13 000 environ sur 120 000 se
trouvant exclus de ce dispositif, il serait opportun de trouver une solution
pérenne en suggérant des moyens qui, certes, devraient tenir compte de la
spécificité des intermittents du spectacle, mais qui seraient aussi équitables
pour ceux qui connaissent des situations comparables.
Il faut se montrer responsable et trouver d'urgence une solution, car le
statu quo
risque de susciter ou d'aggraver une fracture entre ces
salariés et les intermittents du spectacle.
La prorogation ne semble régler qu'un problème ponctuel, laissant subsister le
plus important, qui ne pourra trouver de solution que dans le cadre de
négociations entre les partenaires sociaux. Or, à cet égard, la rédaction de
l'article unique souffrait de l'absence d'une date butoir, carence à laquelle
notre rapporteur a remédié.
Le Gouvernement a raté l'opportunité d'installer un véritable dialogue social,
notamment en imposant autoritairement le passage aux 35 heures.
Le sujet que nous abordons aujourd'hui est complexe et mérite une véritable
réflexion. Nous devons nous soucier de conforter les artistes, qui exercent un
métier précaire, tout en nous souciant de l'équité sociale : il est naturel que
les salariés du régime général et leurs représentants syndicaux, la CFDT, par
exemple - et non pas seulement le MEDEF - s'interrogent sur le poids que
constitue, pour le régime général, le coût de cette spécificité.
Là encore, il faut trouver l'équilibre pour ne pas pénaliser les autres
catégories de salariés, qui peuvent trouver que l'addition est lourde et que le
dispositif ne pourra avoir, à long terme, que des conséquences néfastes.
Il faut respecter l'équilibre des finances publiques, et il est évident que le
coût du régime des intermittents du spectacle - plusieurs millions d'euros ou
plusieurs milliards de francs - n'est plus tolérable.
Pour l'essentiel, les fondements de ce régime ont été posés par le mouvement
dont je suis issu. Aussi, nous ne pouvons qu'être résolument attachés aux
principes qui fondent sa spécificité ; à cet égard, vous me permettrez de
rendre hommage à André Malraux.
Il faut essayer de corriger les effets pervers de cette spécificité en faisant
appel au sens des responsabilités des partenaires sociaux, car c'est la
condition même des artistes qui est en cause, et donc une partie de notre
patrimoine culturel.
Nous sommes dans un contexte difficile, certes, que le Gouvernement a
contribué à créer faute d'avoir réussi à faire en sorte que les partenaires
sociaux prennent leurs responsabilités.
(M. Picheral proteste.)
La prorogation ne saurait constituer une solution durable, car elle est
conditionnée par la capacité des partenaires sociaux à prendre leurs
responsabilités.
Prendre ses responsabilités, cela veut dire réformer le régime des
intermittents du spectacle dans un sens qui devra contribuer à sa moralisation,
à sa pérennisation et à son équilibre financier.
J'aurais aimé, et je ne suis pas le seul, que le rapport de la Cour des
comptes - établi en 1993, alors que nous n'en étions qu'à 228,7 millions
d'euros de prestations, soit 1,5 milliard de francs, quand nous en sommes
actuellement à près de 762,2 millions d'euros, soit 5 milliards de francs - fût
pris en considération lors de la discussion d'un nouvel accord. Il est simple
d'accuser le MEDEF - il faut bien trouver des boucs émissaires ! - mais même
des organisations syndicales de salariés ont affirmé que le déséquilibre de ce
secteur et de ce régime était tout à fait anormal !
Le groupe auquel j'appartiens votera ce texte, tout en sachant pertinemment
que, sans renégociation générale et sans accord général, la situation ne peut
évoluer.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Picheral.
M. Jean-François Picheral.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à
excuser Mme Blandin, qui souhaitait intervenir mais qui, pour les mêmes raisons
que M. Renar, est absente de l'hémicycle. Je parle donc en son nom, mais aussi
en tant que secrétaire de la commission des affaires culturelles de notre
assemblée.
La question des intermittents du spectacle est récurrente, car elle manifeste
un véritable choix de société.
La proposition de loi de MM. Ayrault et Le Garrec, votée sans modification par
l'Assemblée nationale et qui nous est soumise aujourd'hui, constitue une
première.
En urgence, les parlementaires proposent de proroger le régime des annexes
VIII et X de la convention UNEDIC jusqu'à ce que les partenaires sociaux aient
renégocié ce régime dans le cadre de la convention PARE du 1er janvier 2001.
Tout en respectant le principe du paritarisme, qui prévaut traditionnellement
en la matière, les représentants du peuple soulignent l'urgence d'un débat, et
la responsabilité collective que nous avons à maintenir, pour nos créateurs,
nos artistes et nos techniciens du spectacle, un droit fondamental, le droit à
l'indemnité pour les précaires, le droit à la dignité dans l'exercice des
talents.
Permettez-moi d'y voir un signe du Gouvernement pour maîtriser la
privatisation en un temps où la mondialisation est de plus en plus féroce pour
les plus faibles.
De nombreux parlementaires savent que ce que l'on nomme l'« intermittence » du
spectacle ne peut qualifier un « statut » pour tous ceux qui ont choisi de
vivre à travers une discipline artistique, prenant ainsi le risque de la
précarité permanente ; mais ils savent également, comme les élus locaux, que
les quelque 100 000 intermittents du spectacle, dans leur diversité et leur
créativité, jouent un rôle essentiel pour notre développement culturel.
L'action de notre gouvernement et des collectivités locales, couplée à un
statut des intermittents, est un gage de pérennité et de déploiement de la
culture française sur l'ensemble du territoire, du lieu le plus modeste aux
scènes les plus en vue.
Sans le statut d'intermittent, la vitalité culturelle de la France serait
fauchée, il faut le dire.
La décentralisation culturelle, la démocratie de proximité, qui donne sens à
notre action quotidienne d'élus au plus près des habitants, croisent la
précoccupation de ceux qui souhaitent, pour l'ensemble de nos territoires, des
espaces d'expression culturelle et des rencontres fertiles entre créateurs et
citoyens.
Les artistes français sont la vie de l'aménagement de notre territoire :
créateurs de liens sociaux, passeurs, modérateurs, ils contribuent à la
formation du goût, à l'éveil à une pratique artistique, à l'accès du plus grand
nombre à la culture. C'est aussi dans les temps « sans contrat » qu'ils portent
à maturité leurs créations, celles qui donnent à voir et à comprendre le
quotidien comme l'universel.
N'oublions pas, dans un tout autre registre, leur contribution au
développement économique local par la démultiplication de leurs activtés.
La mise en oeuvre d'événements culturels mobilise tout un panel de métiers
associés, du concepteur graphique à l'imprimeur, de l'hôtelier au restaurateur.
Cet argument échappera sans doute à ceux qui réduisent la culture à un
programme de télévision assorti d'un plateau
fastfood,
d'un macth de
football où les joueurs, eux, n'ont pas recours à l'intermittence du spectacle,
et pour cause : véhicules de propagande pour les marques et les sponsors
privés, ils émargent à d'autres budgets, réservés aux hommes-sandwichs que nos
artistes, le temps d'un spectacle, se refusent à devenir.
M. le rapporteur a souligné très justement les deux avantages de cette
initiative parlementaire. « En premier lieu, écrit-il, le dispositif adopté par
l'Assemblée nationale supprime tout risque de contestation de la prolongation
par l'UNEDIC de l'application des annexes VIII et X ; la proposition de loi
permet aux négociations entre les partenaires sociaux de se dérouler dans un
cadre plus serein, la situation des intermittents étant préservée. En second
lieu, la proposition de loi ne retire pas aux partenaires sociaux la délégation
que leur accorde la loi pour déterminer les mesures d'application du droit à
l'indemnisation. »
Nous sommes une exception, une bonne exception à préserver et à faire partager
par nos voisins européens. Sur ce sujet, je pense d'ailleurs que nous sommes
enviés.
Certes, pour certains, l'espace culturel que l'Etat protège bon an mal an
représente l'un des derniers espaces de marché à conquérir pleinement, juteux à
souhait quand il s'agit d'endosser les gains de la publicité et du marketing
audiovisuel et d'orchestrer plus loin la précarisation des intermittents,
corvéables à merci, pillés, sans droits d'auteur, rémunérés au forfait
sous-estimé. « On peut faire un bon documentaire en trois jours » entend-on
dire aujourd'hui. Payés trois jours, ces intermittents ? Mais combien de temps
passé à prospecter, à téléphoner, à construire le projet, à interviewer, à
filmer, à monter ?
Nos comédiens égrènent de longues heures lors d'auditions interminables. Nos
intermittents ne chôment pas : ils créent. Frileux quand il s'agit de leur
indépendance, flexibles au bon sens du terme, dynamiques, boulimiques de
projets, ils valent mieux qu'un dispositif opaque, suspecté, et sans cesse
remis en cause dans ses justes fondements.
Ces intermittents sont nombreux à espérer l'oeuvre qui les fera sortir de
l'anonymat. Nombreux aussi sont ceux qui vouent sincèrement leur vie à un mode
d'expression, un talent, auxquels ils croient et nous convient.
Notre vote ne nous exonérera pas d'un véritable débat sur l'ambition
culturelle, ses moyens et ses acteurs, car il faudra bien tenter de sortir de
ce paradoxe : l'intermittence définit les créateurs et les artistes par
l'inactivité, alors qu'ils sont très actifs.
La grande majorité des intermittents souhaitent le maintien de ce statut, même
s'il demeure imparfait.
Que dire, en effet, de l'impossibilité de faire prendre en compte les heures
de formation, de transmission d'un savoir, d'une expérience ? Que dire aussi de
l'absurdité d'un regard strictement comptable, qui, de plus, limiterait la
quête de rentabilité à la caisse d'Annecy, sans embrasser l'ensemble des autres
activités relevant de cotisations aux ASSEDIC des régions ?
En dernier lieu, les propos tenus récemment par M. Kessler, du MEDEF, jugeant
l'initiative parlementaire « illégitime et gravissime » nous auront moins
surpris par leur caractère outrancier, par trop récurrent, que par la totale
méconnaissance du rôle et des missions de nos assemblées démocratiques qu'ils
révèlent. Ou peut-être serait-ce l'illustration d'une vision du monde, d'une
vision de la société qui se voit régie exclusivement par les puissances de
l'argent et où les assemblées démocratiques seraient de trop, l'Etat étant
réduit à y jouer le rôle de pompier ?
Le groupe socialiste rappelle fermement que certains secteurs, dont la
culture, touchent à l'intérêt public. Que serait, en effet, notre paysage
culturel s'il était entièrement livré au secteur privé ? Que penserait-on de
l'action de M. Berlusconi, qui commence à faire ses preuves en Italie, et de
celle de mon ami M. Messier, que je connais depuis longtemps, qui trépigne
d'impatience aux Etats-Unis ?
Sereinement, les parlementaires vont leur rappeler qu'en République les
assemblées, lucides sur cette question, savent garantir le secteur public et la
liberté de création et de diffusion.
M. Michel Duffour,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Michel Duffour,
secrétaire d'Etat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pourquoi
légiférons-nous ? J'ai entendu dire que le Gouvernement intervenait pour des
raisons électorales, pour quelques voix à gagner. Je m'inscris en faux contre
cette argumentation, car il va de soi que c'est tout le devenir du spectacle
vivant qui est ici en cause. Et si nous avons été amenés à légiférer, c'est
bien parce qu'il ne serait pas juste d'évoquer l'exception culturelle en
général si, dans le même temps, nous ne prenions pas des mesures concrètes pour
maintenir la création et le spectacle vivant dans notre pays.
Les récents propos du président de Vivendi ont suscité, dans le pays, de
nombreuses réactions qui, au-delà des clivages politiques, pouvaient laisser
penser que des personnalités de tous horizons refusaient que la culture soit
traitée comme une marchandise et que l'on voie dans les oeuvres et les
créations des produits comme les autres. C'est un paramètre tout à fait
fondamental de notre démarche.
Il faut bien avouer qu'en écoutant l'orateur du RPR j'ai commencé à douter que
le consensus sur l'exception culturelle et l'attitude à adopter sur ce sujet
soit aussi large qu'on l'a dit.
Si j'ai indiqué, dans mon intervention liminaire, que l'analyse de M. le
rapporteur recoupait en de nombreux points la mienne, il m'est impossible
d'établir le même constat s'agissant de l'intervention de M. Duvernois.
En effet, celui-ci s'est livré à une attaque en règle contre les
professionnels du spectacle, dressant contre eux d'autres catégories de
salariés, déclarant que ce secteur devait être moralisé, décrivant un milieu
privilégié, évoquant les intérimaires et les saisonniers des stations de sport
d'hiver... Même si je suis toujours très attentif à ce qui se passe dans les
stations de haute montagne, cela nous entraîne très loin des références à André
Malraux, de la promotion de l'exception culturelle et de la nécessité de se
mobiliser en faveur du spectacle vivant, pour qu'il conserve toute sa place
dans notre pays ! Quand on entend de tels propos, légiférer paraît d'autant
plus important !
Le Gouvernement, monsieur le rapporteur, est favorable à la concertation entre
partenaires sociaux. Cependant, comme vous l'avez relevé, j'ai beaucoup
insisté, pensant à l'avenir, sur les accords qui ont été passés entre la
fédération des entreprises du spectacle vivant, de l'action artistique et de
l'audiovisuel et l'ensemble des organisations syndicales. Je ne porterai pas
d'appréciation sur l'accord qui a été conclu voilà une quinzaine de jours, mais
celui du 15 juin 2000 était particulièrement important pour le devenir du
secteur, et c'est cela qui doit nous guider.
Nous savons que la procédure sera certainement longue, parfois complexe, et il
faudra montrer de la patience. Le texte est utile, et il est à mon avis inexact
de considérer qu'il pourrait subitement devenir caduc lorsqu'un agrément aura
été donné, car il vise tout simplement la nouvelle convention du 1er janvier
2001. Tant qu'un accord ne sera pas intervenu pour adapter le nouveau régime
aux spécificités des métiers concernés, celle-ci aura une pleine validité.
Je défends donc l'initiative gouvernementale sur ce plan. Nous serons tous
amenés, au-delà même du 30 juin 2002, à réfléchir à ce que sera par exemple le
spectacle vivant lors des festivals de l'été.
Ne préjugeons pas de ce qui arrivera, soyons prudents, faisons confiance aux
négociateurs, mais légiférons, comme le Gouvernement le propose.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? ...
La discusion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique. -
Le régime d'assurance-chômage des salariés
appartenant aux professions visées par les annexes VIII et X au règlement
annexé à la convention du 1er janvier 1997 relative à l'assurance chômage reste
fixé par les dispositions de ces deux annexes, jusqu'à ce que la convention du
1er janvier 2001 relative à l'aide au retour à l'emploi et à l'indemnisation du
chômage ait fait l'objet d'aménagements prenant en compte les modalités
particulières d'exercice de ces professions, dans les conditions prévues par
l'article L. 351-14 du code du travail.