SEANCE DU 29 JANVIER 2002
PASSAGE AUX 35 HEURES
DANS LES TROIS FONCTIONS PUBLIQUES
Discussion d'une question orale avec débat
(Ordre du jour réservé)
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 40
rectifié.
M. Alain Lambert attire l'attention de M. le ministre de la fonction publique
et de la réforme de l'Etat sur les modalités et les conséquences de la
réduction du temps de travail dans les fonctions publiques d'Etat, territoriale
et hospitalière, qui suscitent de nombreuses interrogations et inquiétudes.
Il convient de constater un message contradictoire de la part du Gouvernement
sur ce sujet. En effet, le ministre de la fonction publique et de la réforme de
l'Etat a affirmé que le passage des agents de l'Etat aux 35 heures serait
réalisé à effectifs constants, alors que d'autres ministres ont reconnu que
leurs services bénéficiaient de créations d'emplois résultant directement de la
mise en oeuvre de la réducion du temps de travail. En outre, les 35 heures ont
causé de multiples conflits sociaux dans les ministères, alors que l'Etat s'est
pourtant affranchi de plusieurs dispositions applicables au secteur privé.
Dans les collectivités territoriales, l'application des trente cnq heures
entraîne de grandes difficultés d'adaptation et de réorganisation des services,
tout en étant susceptible de conduire finalement à un accroissement de la
pression fiscale locale.
Quant aux hôpitaux, ils sont d'ores et déjà confrontés à d'importantes
difficultés de recrutement, qui ne pourront être qu'accentuées par la réduction
du temps de travail.
Au total, c'est la qualité du service public rendu à l'usager qui risque de
pâtir du passage aux 35 heures, alors même que la charge du contribuable sera
alourdie.
Il lui demande donc d'assurer, enfin, la transparence sur cette question, en
dressant un bilan chiffré du nombre d'agents publics passés aux 35 heures et en
précisant le nombre d'emplois créés dans la fonction publique d'Etat et dans la
fonction publique hospitalière, au titre de la réduction du temps de travail,
ainsi que le coût de ces créations d'emplois, pour le budget de l'Etat et celui
de la sécurité sociale.
Il lui demande également d'indiquer les mesures que le Gouvernement entend
prendre pour permettre aux collectivités territoriales d'appliquer la réduction
du temps de travail à leurs agents, ainsi que ce qu'il a envisagé pour
permettre aux collectivités de financer ces charges nouvelles.
Enfin, il l'interroge sur les critères de performance qui seront élaborés,
conformément à l'esprit de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois
de finances, afin d'évaluer les conséquences des 35 heures sur la qualité du
service rendu par l'Etat aux usagers.
La parole est à M. Lambert, auteur de la question.
M. Alain Lambert.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
l'application des 35 heures dans l'ensemble de la fonction publique a créé,
crée, et créera encore, je le crains, tellement de difficultés dans le pays
qu'il était naturel, au terme de cette législature, d'interroger le
Gouvernement à ce sujet.
Les nombreux élus locaux qui siègent au Sénat sont inquiets. Le Gouvernement
donne le sentiment de s'être en quelque sorte enfermé dans son propre piège. A
raison de la grande incertitude qui règne et du manque de transparence que nous
regrettons, l'embarras du Gouvernement interpelle tout le monde.
Il convient toutefois de distinguer la situation de la fonction publique
d'Etat et de la fonction publique hospitalière de celle de la fonction publique
territoriale. En effet, si le Gouvernement assume directement les conséquences
des décisions prises dans les deux premiers cas, dans le troisième, il a imposé
les 35 heures aux gestionnaires locaux sans les consulter et sans leur donner
les moyens de les appliquer.
S'agissant de la fonction publique d'Etat, le message du Gouvernement est
contradictoire : officiellement, le passage aux 35 heures doit y être réalisé à
effectifs constants, sans création d'emplois supplémentaires, grâce à des gains
de productivité et à des efforts d'organisation du travail. Vous l'avez
clairement affirmé, monsieur le ministre, à l'occasion de l'examen du projet de
loi de finances pour 2001, et vous l'avez confirmé lors des débats portant sur
le projet de loi de finances pour 2002.
Or ne craignez-vous pas que cette position soit tout simplement intenable, non
seulement pour des raisons politiques - on le craint pour vous - mais également
par pure logique ?
En effet, comment le Gouvernement peut-il affirmer, d'un côté, que la
réduction du temps de travail crée beaucoup d'emplois dans le secteur privé -
il est cependant incapable d'en fournir le chiffre - et, de l'autre, qu'elle
doit être mise en oeuvre à effectifs constants dans le secteur public ?
Comment expliquer, monsieur le ministre, qu'il est possible de travailler
moins sans créer de nouveaux emplois, tout en améliorant la qualité du service
rendu aux usagers ? Vous défiez les lois les plus fondamentales de la logique !
A moins que vous ne considériez - mais je ne l'imagine pas ! - qu'un surcroît
d'effectifs dans la fonction publique peut nuire à l'efficacité des
services.
C'est d'ailleurs bien parce que votre position est totalement intenable
qu'elle n'est pas tenue.
Plusieurs ministres, tout au long de la discussion budgétaire, nous ont
confirmé que le renforcement de leurs services résultait directement de la
réduction du temps de travail. Je pense notamment à M. le ministre de
l'aménagement du territoire et de l'environnement ainsi qu'à Mme le garde des
sceaux ; cette dernière a ainsi expliqué que la moitié des créations d'emplois
budgétaires opérées en 2002 dans l'administration pénitentiaire étaient la
conséquence directe du passage aux 35 heures.
Quant à Mme le secrétaire d'Etat chargée du budget, elle a indiqué, lors de
son audition devant la commission des finances, que le coût des 35 heures dans
la fonction publics serait « modéré » ! On ne peut pas faire mieux dans la
concision !
Cette réponse ne peut suffire à la représentation nationale ! Soit, monsieur
le ministre, le coût est nul - et j'écouterai votre réponse, vous l'imaginez
bien, avec attention - soit il ne l'est pas, et vous devrez alors en fournir le
chiffre aux Français. Tel est le sens de ma question, et je ne doute pas que
vous aurez plaisir à y répondre.
Mais pourquoi donc ce manque de transparence sur ce point ? Le Gouvernement
serait-il confronté à une sorte d'équation délicate, voire impossible ?
Craignez-vous de laisser apparaître que la fonction publique coûte cher aux
Français ? Craignez-vous de leur dire que, de 40,7 % environ en 1997, elle est
passée à 43,3 % des dépenses de l'Etat ? Craignez-vous de leur indiquer que,
depuis le début de la législature, vous avez augmenté cette catégorie de
dépenses de près de 16 % et, surtout, qu'elle a représenté plus de 70 % de la
progression des dépenes au titre des dix premiers postes du budget général ?
Craignez-vous de leur dire qu'elle « mange » toutes vos marges de manoeuvre ?
Et j'évite, pour ne pas être déplaisant, de souligner qu'elle vous livre à
toutes les surenchères de votre si plurielle majorité !
N'avez-vous pas parfois le sentiment, monsieur le ministre, de consentir à de
petits arrangements successifs, au cas par cas, entretenant ainsi une gestion
catégorielle des corps de fonctionnaires et confirmant les constats accablants
dressés par la Cour des comptes dans ses rapport relatifs à la fonction
publique d'Etat ?
Le Gouvernement s'est affranchi de la réglementation qu'il a lui-même édictée
et imposée au secteur privé. Au lieu de 1 600 heures annuelles, la durée du
travail dans certains ministères s'établira à 1 530 heures, voire à 1 420
heures au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie !
M. Jean-Jacques Hyest.
Ah !
M. Alain Lambert.
Les 35 heures y marquent d'ailleurs l'arrêt de la diminution des effectifs,
qui était pourtant l'une des conséquences inéluctables du projet de réforme de
Christian Sautter.
Monsieur le ministre, ces différences d'horaires ne vous semblent-elles par
ouvrir une brèche importante dans la tentative d'harmoniser le temps de travail
dans la fonction publique ?
Il est vrai que le passage aux 35 heures obligera certains fonctionnaires à
travailler davantage !
M. Jean-Jacques Hyest.
Mais non !
M. Alain Lambert.
Ce n'est pas par provocation que je dis cela, et je ne suis pas même l'auteur
de cette affirmation : je l'ai trouvée dans le rapport officiel que M. Jacques
Roché avait remis, en février 1999, au ministre de la fonction publique
d'alors.
Ce rapport rappelait que la durée du travail dans la fonction publique est
très contrastée : entre 29 heures et 40 heures par semaine pour la seule
fonction publique d'Etat. Il recommandait de considérer la réduction du temps
de travail comme « une formidable occasion d'une remise à plat de
l'organisation actuelle du temps de travail dans les fonctions publiques ».
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
C'est
exactement ce que nous avons fait !
M. Alain Lambert.
Monsieur le ministre, avez-vous le sentiment de mettre en oeuvre la réforme
qualitative recommandée par le rapport Roché ?
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Exactement
!
M. Alain Lambert.
Ne craignez-vous pas de ne tenir aucun compte des sages recommandations du
Commissariat général du Plan ? Celui-ci, dans un rapport sur la gestion de
l'emploi public, considère en effet qu'il faut « se garder de recourir à la
facilité d'un recrutement à l'identique qui ne tiendrait pas compte de
l'évolution souhaitable des missions » du service public, et il met en garde
contre un remplacement nombre pour nombre de chaque départ à la retraite,
c'est-à-dire le maintien des effectifs dans la fonction publique d'Etat.
Pourquoi le Gouvernement prend-il l'exact contre-pied de toutes les
préconisations qu'il reçoit ? Depuis deux ans, il a renoué avec des créations
massives d'emplois publics, soit plus de 11 300 en 2001 et près de 16 000 cette
année. Ces emplois supplémentaires n'auraient, paraît-il, rien à voir avec le
passage aux 35 heures. Mais comment le croire ? Ou de qui se moque-t-on ? Le «
gel » de l'emploi public, un temps mis en avant par le Gouvernement, n'est-il
plus qu'un mythe ?
M. Jean Arthuis.
Très bien !
M. Alain Lambert.
J'en viens maintenant aux autres fonctions publiques.
S'agissant des collectivités territoriales, l'application des 35 heures n'est
guère respectueuse du principe constitutionnel de leur libre administration.
Elle entraîne de grandes difficultés d'adaptation et de réorganisation des
services.
Ces difficultés seront accentuées par l'existence de disparités de moyens
entre les collectivités. En effet, ces dernières ne sont pas toutes à même
d'avoir recours à un cabinet conseil pour concevoir les nouveaux horaires de
leurs agents ou la nouvelle organisation des services en résultant.
L'assistance d'experts extérieurs ainsi que le recrutement probable de nouveaux
agents vont ainsi induire des charges supplémentaires et donc entraîner une
augmentation des impôts dont le Gouvernement se gardera bien de revendiquer la
responsabilité.
A titre de comparaison, je vous signale, monsieur le ministre, mes chers
collègues, que l'application de la loi relative à la réduction négociée du
temps de travail au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie a
rendu nécessaire l'appel à une assistance externe pour un coût de 1,8 million
d'euros.
Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour aider les collectivités
territoriales à appliquer cette loi à leurs agents ? Qu'envisage-t-il de faire
pour leur permettre d'assumer les charges nouvelles résultant des 35 heures
?
Naturellement, les collectivités territoriales n'ont pas davantage été
consultées pour les personnels des établissements médico-sociaux, alors
qu'elles supportent une partie de leurs charges.
J'en viens maintenant à la question des 35 heures à l'hôpital.
A la différence de la position qu'il a adoptée pour la fonction publique
d'Etat, le Gouvernement a reconnu que, à l'hôpital, la réduction du temps de
travail devait s'accompagner de créations d'emplois, et ce dans une proportion
importante - 45 000 emplois en trois ans -, pour un coût estimé à plus de 1,5
milliard d'euros.
Les élus locaux qui siègent au sein des conseils d'administration des hôpitaux
connaissent bien tous les problèmes que pose le passage aux 35 heures dans le
secteur hospitalier. Comment, monsieur le ministre, le Gouvernement a-t-il pu
autant sous-estimer les immenses difficultés de recrutement auxquelles les
hôpitaux sont d'ores et déjà confrontés ?
J'en viens à ma conclusion. Monsieur le ministre, ne craignez-vous pas que
l'aventure des 35 heures n'entraîne des problèmes graves et similaires et
n'engendre des conséquences communes, quelle que soit la fonction publique à
laquelle elles s'appliquent, qu'il s'agisse des dépenses supplémentaires
considérables mises à la charge du contribuable sans vouloir en avouer le coût,
qu'il s'agisse de nombreux conflits sociaux qui illustrent l'insatisfaction des
agents à l'égard de leur nouvelle organisation du travail, qu'il s'agisse de
l'absence de réformes structurelles en matière de gestion des ressources
humaines publiques, alors qu'il était si urgent de les engager, qu'il s'agisse
ou du risque quasi certain de dégradation de la qualité du service rendu aux
usagers, condamnés, au surplus, à payer la facture ?
Au total, monsieur le ministre, ne pensez-vous pas que les 35 heures, comme
l'a écrit récemment un économiste distingué, représentent pour le Gouvernement
un pari perdu, un échec sur le front du chômage, un échec économique, un échec
social, un gouffre financier, aboutissant à un appauvrissement de la France, et
donc à une sorte de stérilisation du travail des Français et de leur génie ?
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 30 minutes ;
Groupe socialiste, 27 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 16 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Larcher.
M. Gérard Larcher.
Dans ce débat, monsieur le ministre, je souhaiterais vous soumettre un certain
nombre de préoccupations et vous interroger, plus spécialement, au sujet de la
fonction publique hospitalière.
La mise en place de l'aménagement et de la réduction du temps de travail, dans
le secteur de l'hôpital, l'ARTT, vous le savez, un certain nombre de
crispations.
En effet, dans le cadre de l'accord national qui a été signé entre le
Gouvernement et un certain nombre d'organisations syndicales, avait été prévue
la création de 45 000 emplois. Or il faut noter que, pour 2002, seuls 13 000
d'entre eux ont été prévus budgétairement.
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est exact !
M. Gérard Larcher.
Comment peut-on mettre en place l'aménagement et la réduction du temps de
travail si la compensation budgétaire correspondante n'est pas prévue ?
Au demeurant, nous savons bien qu'il ne suffit pas de signer au bas d'un
document pour disposer immédiatement des 45 000 diplômés des instituts de
formation de soins infirmiers ou d'écoles d'aides-soignantes nécessaires.
La capacité de service de la fonction publique hospitalière au chevet du
malade accuse donc, aujourd'hui, un grand déficit. En fait - M. Alain Lambert
parlait il y a quelques instants de gaspillage - les 45 000 emplois
supplémentaires, qui ont été présentés comme une très grande avancée sociale,
correspondraient plutôt à une diminution de 20 % du temps passé au chevet du
malade.
L'ARTT équivaut donc à une diminution de la qualité des soins et, finalement,
à une régression sociale. Tel est le paradoxe de sa mise en oeuvre dans
l'hôpital public.
Par ailleurs, le coût global de l'aménagement et de la réduction du temps de
travail s'élèvera à 11 milliards de francs environ - pardonnez-moi de parler
encore en francs, mais c'est l'estimation qui fut faite au moment de la
signature de l'accord - soit près de 2 milliards d'euros, alors que nous
tentons de maîtriser les dépenses pour freiner la croissance de l'ONDAM, qui
explose chaque année, notamment pour les dépenses de ville, les dépenses
hospitalières publiques étant mieux tenues.
Et un problème supplémentaire se posera lorsque seront concernés les médecins
!
Pour former un médecin spécialiste, il faut douze ans. Même si le
numerus
clausus
a augmenté significativement depuis cette année, compte tenu du
nombre d'anesthésistes réanimateurs, de chirurgiens, de pédiatres ou de
gynécologues-obstétriciens, en dépit de tous les schémas sectoriels préparés
ici ou là, ne sera-t-on pas conduit à procéder à une profonde restructuration
et à fermer des établissements ?
En matière d'aménagement du territoire, nous aboutirons donc à l'inverse de ce
que nous souhaitons depuis des années !
Certes, monsieur le ministre, il y a eu un vote, il y a eu une loi, et la loi
de la République doit s'appliquer. Mais donnez-nous les moyens de la faire
appliquer dans des conditions convenables !
M. Jean-Jacques Hyest.
Eh oui !
M. Gérard Larcher.
Donnez-nous les moyens, au-delà des mots, des promesses, des slogans, de faire
tout simplement fonctionner le service public !
La question du service public hospitalier se pose donc de façon inquiétante :
d'une part, les 45 000 emplois prévus sont largement insuffisants, je le
répète, car il en faudrait au minimum 50 000 pour que le temps passé au chevet
du malade reste constant ; d'autre part, si les compensations financières ne
sont pas prévues, n'en doutez pas, monsieur le ministre, les blocages
s'intensifieront. D'accords en accords, de 35 heures en 32 heures 30, au fil
des remises en cause successives de ces accords, c'est toute la structure du
service public que vous ébranlerez, ce qui est paradoxal pour vous qui vous
affirmez comme les défenseurs du service public !
Un service public affaibli, tel sera le résultat d'une application des 35
heures qui n'aura pas été suivie des moyens nécessaires. Quand on veut mettre
en oeuvre une politique, il faut s'en donner les moyens !
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
l'application de l'aménagement et de la réduction du temps de travail est
censée être intervenue depuis le 1er janvier dernier dans les trois fonctions
publiques, mais force est de constater que ce qui devait être la grande avancée
sociale de la législature « coince » un peu partout ; nombre d'accords qui
étaient souvent minoritaires sont remis en question, quand nous n'assistons pas
à une remise en cause de ce qui avait déjà été négocié.
C'est ainsi que le ministre s'est hâté de rompre l'accord portant sur 32
heures 30 qui avait été signé pour l'APHP, l'Assistance publique - hôpitaux de
Paris, compte tenu des effets qu'il aurait eus sur l'ensemble de la fonction
publique hospitalière.
Manifestement, le Gouvernement, s'en tenant à une préoccupation purement
idéologique, le Premier ministre, qui a peu de considération pour les
entreprises, n'avaient pas pesé les conséquences de l'application des 35 heures
dans la fonction publique.
Pourtant, comme l'a indiqué M. Alain Lambert tout à l'heure, le rapport Roché
était très instructif à ce sujet, démontrant les disparités existant entre les
divers corps de fonctionnaires, les dérogations à la durée du travail, les
accommodements locaux et les pratiques parfois non écrites que l'on rencontre,
dans certains services sociaux notamment. Nous savons ce qu'il en est dans les
départements : des journées, voire des semaines, avaient été accordées par les
directions, sans aucun fondement.
Au début de la législature, le Gouvernement avait fait du principe de
stabilité des effectifs de la fonction publique le pivot de sa politique
budgétaire. Nous ne pouvions qu'approuver cette orientation. Il s'y est tenu
jusqu'en 2000, puisque sur deux années n'ont été créés que 247 emplois
budgétaires. Hélas ! en 2001, 11 337 créations d'emplois sont intervenues et,
en 2002, on a fait encore mieux, avec 15 892 créations!
S'approcherait-ont d'une échéance électorale ou l'Etat serait-il incapable de
restructurer l'administration ? La réforme de l'Etat est en panne, de ce point
de vue, et les diverses tentatives de restructuration, de rééquilibrage des
effectifs, que ce soit dans la police, dans la gendarmerie ou au ministère de
l'économie et des finances, n'ont pas résisté au corporatisme, parfois à la
démagogie de certains élus.
Et ne parlons pas - nous en avons largement parlé la semaine dernière - des
effets presque nuls de la décentralisation sur le nombre de fonctionnaires de
l'Etat !
Vous me rétorquerez - c'est en effet une réponse facile - que, face à la
montée de l'insécurité - qui n'est plus un fantasme de l'opposition, comme la
gauche vertueuse l'a longtemps proclamé - la faillite de la justice justifie
des efforts budgétaires en matière de créations d'emplois.
Ainsi, faute d'une véritable réflexion sur la répartition des effectifs,
l'application des 35 heures a des conséquences sur la croissance du nombre de
fonctionnaires sans que le service public en soit véritablement amélioré.
Si l'aménagement et la réduction du temps de travail, comme le Gouvernement ne
cesse de le répéter, avaient pour conséquence d'unifier la durée du travail
dans la fonction publique - c'était l'objectif du rapport Roché - ce serait un
moindre mal, mais nous savons qu'il n'en est rien, et, monsieur le ministre,
j'attends toujours la réponse à la question que je vous avais posée, lors de la
discussion du budget de la fonction publique, relative aux 1 600 heures de
travail par an dans certains services du ministère de la culture, du ministère
de l'économie et des finances ou de celui des affaires sociales.
L'annualisation de la durée du travail aurait dû permettre d'unifier le temps
de travail partout en imposant ces 1 600 heures pour tous. Or force est de
constater que l'échelle de perroquet fonctionne bien pour la préservation de
certaines situations acquises. Hélas, nous connaissons bien ce système dans la
fonction publique !
Il est faux d'affirmer, comme le Gouvernement l'a fait, que la réduction du
temps de travail sans augmentation d'effectif permettrait d'améliorer le
service public.
J'ai bien lu, monsieur le ministre, la brochure publiée par votre ministère et
intitulée :
Aménager, réduire le temps de travail, les 35 heures dans la
fonction publique de l'Etat, guide pour l'action ;
c'est une très
intéressante lecture...
M. Claude Domeizel.
C'est bien de le reconnaître !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
J'espère
qu'elle est mise en oeuvre dans vos services !
(Sourires.)
M. Michel Pelchat.
Ce sera dans vos comptes de campagne ?
M. Jean-Jacques Hyest.
Je reconnais que la présentation de cette brochure est séduisante, mais les
observations que l'on peut faire sur le terrain viennent, hélas ! infirmer
l'idée d'amélioration du service public qui est proclamée : préfectures fermées
à 16 heures comme certains services le mercredi après-midi, administrations la
plupart du temps aux abonnés absents, etc.
M. Michel Pelchat.
Fréquemment !
M. Jean-Jacques Hyest.
Ce ne sont pas les fonctionnaires qui sont en cause ; c'est le fonctionnement
des services : on nous le dit tous les jours. Je pourrais ainsi multiplier les
exemples de dysfonctionnements entraînés par la réduction du temps de
travail.
Ma dernière observation concerne le fonctionnement des services devant assurer
vingt-quatre heures sur vingt-quatre la sécurité, les soins ou les secours.
Gérard Larcher a longuement évoqué le problème des hôpitaux : 45 000 emplois
sont nécessaires, et encore pour un service amoindri ! Si l'on voulait garantir
la qualité du service au même niveau qu'auparavant, il faudrait en créer
beaucoup plus.
Qu'en est-il pour la police nationale ? On ne nous a pas précisé si les
augmentations d'effectifs prévues correspondaient à un souci d'amélioration du
service ou à l'application de la réduction du temps de travail.
Par ailleurs, monsieur le ministre, je voudrais attirer votre attention sur un
système qui aura des effets déplorables : je veux parler du report
indéfini...
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Le compte
épargne-temps.
M. Jean-Jacques Hyest.
Oui, monsieur le ministre ! Avec ce système, certains fonctionnaires de police
partent à la retraite un an avant l'échéance, compte tenu de toutes les heures
supplémentaires qui leur sont dues. Il en résulte une désorganisation des
services, dès lors que rien n'est prévu.
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Si ! C'est
même l'objet du compte épargne-temps.
M. Jean-Jacques Hyest.
Soit ! Mais il faudrait l'officialiser.
Et quid des surveillants de prison ? Sans parler de la gendarmerie : nous
connaissons tous la crise qu'elle a traversée, en raison notamment de ses
conditions de travail.
Je parlerai plutôt d'une catégorie particulière de la fonction publique
territoriale, à savoir les sapeurs-pompiers professionnels.
En effet, le 31 décembre 2001 est paru un décret devant s'appliquer dans les
collectivités où un accord sur la réduction du temps de travail a été conclu.
C'est le cas de mon département où nous avons conclu un bon accord puisqu'il
portait sur un peu moins de 35 heures.
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Quel laxisme
!
M. Jean-Jacques Hyest.
Mais il y avait des contraintes, et vous reconnaissez vous-même, monsieur le
ministre, que, pour tenir compte des contraintes imposées à certaines
catégories, il est possible de descendre en deçà de ce seuil ! car
l'application de ce décret du 31 décembre 2001 risque de bouleverser tout le
dispositif. Outre le fait qu'il n'a fait l'objet d'aucune véritable
concertation, il pourrait entraîner des dysfonctionnements désastreux pour les
SDIS.
C'est un exemple affligeant des conséquences en chaîne d'une application non
réfléchie de la réduction du temps de travail. Le service public n'y gagne
rien, ni les contribuables, et les fonctionnaires ne s'y retrouvent pas. Il est
bien dommage d'en arriver à une telle gabegie !
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à Foucaud.
M. Thierry Foucaud.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet que
nous abordons aujourd'hui à l'occasion de la question de M. Lambert a déjà fait
l'objet de nombreux débats au sein de notre hémicycle.
Il y a eu en effet des questions au Gouvernement et des interventions à
l'occasion du débat budgétaire et de la loi de financement de la sécurité
sociale. Bref, maintes occasions nous ont été données, à tous, de nous
prononcer sur ce sujet. Aussi, je ne vois pas très bien où la majorité
sénatoriale veut en venir.
Je le vois encore moins avec cette question que vous posez, et, pour reprendre
votre formulation, monsieur Lambert, je dirai que le message contradictoire,
c'est vous qui le portez, ainsi que vos collègues de la majorité
sénatoriale.
En effet, si je vous suis bien, vous vous préoccupez de l'amélioration du
service rendu à l'usager, ce que le groupe communiste ne peut qu'approuver.
Le Gouvernement partage également cette préoccupation puisqu'il aborde la
question de la mise en place des 35 heures « sous l'angle de la satisfaction
des usagers et des besoins du service public ». Cela implique un allégement de
la charge de travail et des créations de postes, ce que vous avez d'ailleurs
clairement réclamé, monsieur Lambert, pour les gendarmes dans une question
écrite à M. le ministre de la défense.
D'autres membres de votre groupe réclament également, par le biais de
questions écrites, des créations de postes dans l'éducation nationale et la fin
des fermetures de classe dans leur département.
Tout cela est à l'opposé - nous y reviendrons - du discours que vous avez tenu
à l'occasion du débat budgétaire. Mais soulignons dès maintenant que le
rapporteur des crédits de la fonction publique et de la réforme de l'Etat ne
vous aide pas lorsqu'il s'oppose vivement à la création d'emplois dans
l'éducation nationale, ce qu'il a à nouveau fait cette année. Pourtant,
confrontés à la réalité et aux besoins sociaux qui s'expriment sur le terrain,
certains d'entre vous sont bien obligés de dire qu'il faut plus d'emplois
publics et une décharge de travail afin d'améliorer la qualité du service
public.
Les enseignants ne demandent pas autre chose lorsqu'ils souhaitent pouvoir
consacrer plus de temps - trois heures par semaine - à la concertation avec
leurs collègues par exemple.
A l'instar d'autres fonctionnaires, ils expriment leur aspiration à exercer au
mieux leur métier, à remplir leur mission, et, en fait, à être reconnus. C'est
ce qui ressort des récents mouvement sociaux, qui dépassent très largement la
seule problématique, déjà fort légitime en soi, de la réduction du temps de
travail, que les salariés du secteur privé apprécient grandement.
Ces mouvements sociaux témoignent de la forte implication des fonctionnaires
en faveur de l'amélioration du service public. Il faut qu'ils soient mieux
entendus.
C'est l'une des raisons qui nous ont amenés à demander la suppression de
l'article 17 de la loi de financement de la sécurité sociale. Cet article
prévoyait le cadrage légal de l'accord du 3 avril 2001, signé par 35 % du
personnel, ce qui, selon nous, est nettement insuffisant.
Le dialogue social doit être relancé en prenant en compte les revendications
des salariés, notamment en ce qui concerne les créations d'emplois. Nous
souhaitons que cette demande soit entendue : nous pensons que la mise en place
des 35 heures dans les fonctions publiques doit s'accompagner du nombre
nécessaire de créations d'emplois.
M. Gérard Larcher.
C'est vrai !
M. Thierry Foucaud.
Nous sommes bien conscients qu'en cette matière de nombreux efforts ont été
consentis par le Gouvernement pour résorber la précarité, rattraper les retards
accumulés et, dans certains secteurs, mettre en place la réduction du temps de
travail.
A titre d'exemple, pour la police, 3 000 emplois supplémentaires seront créés
cette année. L'administration pénitentiaire bénéficie, de son côté, de 700
postes de gardien de prison. Dans les hôpitaux, 45 000 emplois supplémentaires
seront pourvus.
Par ailleurs, la création d'un fonds dédié à la formation des personnels
paramédicaux et l'importante augmentation du nombre des places dans les écoles
d'infirmières et d'aides soignantes contribueront à répondre aux besoins en
personnel. Pourtant - dois-je le rappeler ? - vous vous êtes prononcés contre
cette mesure et vous avez soutenu le précédent gouvernement lorsqu'il a décidé
de réduire les quotas infirmiers !
Maintenant, vous déplorez la crise des effectifs. Mais vous en êtes
responsables !
Dans l'éducation nationale, ce sont 46 016 emplois qui ont été créés depuis
1998, dont 14 442 en 2002. Rappelons qu'en revanche 1 208 emplois avaient été
supprimés en 1997.
Nous considérons que les mesures prises vont dans le bon sens.
Mais il faut aller plus loin et créer des emplois publics entièrement dédiés à
la mise en oeuvre des 35 heures.
Tout cela ne peut se faire, c'est incontestable, sans des moyens nouveaux.
Pourtant, messieurs de la majorité sénatoriale, vous ne cessez de réclamer la
baisse de certains impôts. Je dis bien de certains impôts, car vous refusez les
amendements du groupe communiste républicain et citoyen qui permettraient de
financer les 35 heures et l'emploi public et de répondre à l'attente de nos
concitoyens.
Vous vous êtes, par exemple, opposés à notre proposition de suppression de la
taxe sur les salaires pesant sur les hôpitaux. Le rapporteur général a justifié
son refus en blâmant le coût de l'amendement. Pourtant, cet allégement fiscal
aurait permis de renforcer les équipes soignantes, de rattraper les retards et
de mettre en place correctement les 35 heures que réclame le personnel des
hôpitaux.
Par ailleurs, vous vous opposez à toute modernisation de la fiscalité qui
pénaliserait la spéculation financière. Ainsi, vous avez, une fois de plus,
manifesté votre vive opposition à la prise en compte des actifs financiers au
titre de la taxe professionnelle. Or cette mesure permettrait, je le rappelle,
de tripler le montant de la dotation globale de fonctionnement, ce qui
résoudrait, bien entendu, la question de la mise en place des 35 heures dans
les collectivités locales.
Pour les personnels concernés, l'enjeu, c'est aussi de réduire les écarts de
salaires, qui sont actuellement énormes et qui résultent des inégalités de
richesse entre les collectivités. Il faut que les disparités régressent !
Des moyens nouveaux sont indispensables pour nos collectivités, nous le
répétons. Il en va de même pour tous les autres budgets publics. Or, messieurs
de la majorité sénatoriale, vous réclamez la baisse de certains impôts et, pour
justifier votre demande, vous proposez des mesures drastiques en matière
d'emploi public.
C'est bien ce que nous a dit M. le rapporteur général, citant en exemple
l'Espagne et le Portugal, où un emploi public sur quatre est remplacé. Il
prenait ainsi le relais de Mme Alliot-Marie, qui préconisait, elle, le
remplacement d'une seule personne pour trois départs à la retraite.
Vous m'expliquerez, messieurs de la majorité sénatoriale, comment procéder,
dans ces conditions, à la mise en oeuvre de l'aménagement et de la réduction du
temps de travail dans les fonctions publiques et à l'allégement de la charge de
travail qui est indispensable à l'amélioration du service public.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Domeizel.
M. Claude Domeizel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est d'une
question orale éminemment politique que nous sommes conviés à débattre ce
matin. En témoigne le contenu de la question, où notre talentueux président de
la commission des finances semble manifester une certaine réticence d'ordre
général sur l'application de la réduction du temps de travail, la RTT.
Cette réticence, les salariés, tant du secteur privé que du secteur public,
qui sont déjà, selon l'expression désormais courante, « passés aux 35 heures »
ne l'éprouvent pas. L'indice de satisfaction atteint en effet 84 %, et je n'ai
encore rencontré aucun bénéficiaire qui souhaite revenir en arrière.
L'amélioration de la gestion du quotidien, notamment pour les femmes, la
diminution du stress et la possibilité de développer des activités sportives,
artistiques ou associatives sont perçues comme un énorme progrès par tous ceux
qui bénéficient déjà de la RTT.
Inscrite dans l'évolution naturelle de notre économie, avec l'augmentation
constante de la productivité et la diminution parallèle de la durée du travail
depuis le début de l'ère industrielle, cette réduction du temps de travail ne
constitue pas une révolution. Elle apparaît plutôt, en ce début de siècle,
comme le moyen de rendre aux salariés une part de la plus-value qu'ils ont
contribué à créer et dont ils n'ont pas été les principaux bénéficiaires depuis
quelques décennies.
C'est une mesure de progrès et de justice sociale dont le gouvernement de
Lionel Jospin et les parlementaires qui l'ont soutenue ont légitimement raison
d'être fiers.
S'agissant des salariés des trois fonctions publiques, la problématique est la
même que pour les salariés du secteur privé. La question est, pour eux, de
déterminer comment passer aux 35 heures ou aux 1 600 heures annuelles dans les
meilleures conditions. Comme dans le secteur privé, le service du client, en
l'occurence de l'usager, qui est aussi contribuable, ne doit pas en pâtir.
Au contraire, le service de l'usager doit devenir l'objectif majeur, ce qui
conduit à réfléchir sur les méthodes de travail et, parfois, sur la
réorganisation des services. Manifestement, comme l'a écrit Martine Aubry : «
l'Etat n'a de sens que s'il se transforme et s'adapte sans cesse. » La
réduction du temps de travail s'inscrit dans cette dynamique ambitieuse qui
mobilise l'effort de tous.
Certes, ce n'est pas facile ; mais cela ne l'a jamais été. Pensez à
l'instauration des congés payés de deux semaines, puis à l'augmentation de leur
durée à trois, quatre, puis cinq semaines ! Pensez aussi à la réduction du
temps de travail hebdomadaire, aux quarante heures, puis aux trente-neuf heures
en 1982 !
A cet égard, l'analyse faite par l'auteur de la question nous paraît
exagérément pessimiste. Déjà, l'éducation nationale, la défense, la jeunesse et
les sports, l'environnement et les services du Premier ministre ont finalisé
des accords. D'autres ministères ont adopté la RTT : ceux de l'équipement, de
l'intérieur pour les préfectures, de l'agriculture et des finances. Ainsi, 75 %
des fonctionnaires de l'Etat sont déjà passés ou sont prêts à passer aux 35
heures, si l'on ne tient pas compte de près de 950 000 enseignants qui
travaillent déjà moins de 35 heures en moyenne sur l'année et des 320 000
militaires qui n'entrent pas dans le champ de la RTT.
Le premier résultat concret de cette modification est une certaine
harmonisation des conditions de travail et des horaires. Cela dit, les
fonctionnaires qui sont à moins de 35 heures ne verront pas leurs horaires
remis en cause. Quoi qu'il en soit, on assiste à un resserrement des écarts, à
un plus grand cadrage des régimes de travail.
Les cycles de travail au ministère de l'équipement, par exemple, viennent de
faire l'objet d'un arrêté du ministre qui permet de mettre en place une
meilleure organisation du travail.
Nous ne partageons pas non plus l'avis de notre collègue quant à l'ampleur de
la création d'emplois qui aurait résulté de la réduction du temps de
travail.
En fait, on a pu constater le dégel d'un certain nombre d'emplois qui avaient
déjà été budgétés mais qui n'avaient pas été pourvus.
La négociation a aussi permis l'intégration de la sixième semaine de congés
payés accordée par le ministère de l'emploi et de la solidarité ainsi que par
celui de la culture et de la communication dans le décompte des jours de
RTT.
Des horaires variables ont été mis en place, ce qui signifie un plus grand
confort pour les salariés, mais aussi une plus grande connaissance des horaires
effectivement réalisés.
Seuls cinq cents postes ont été créés au ministère de l'environnement, qui en
avait de toute façon besoin, trois cents au ministère de l'équipement et cent
soixante et onze au ministère de la défense.
La fonction publique d'Etat est donc, globalement, restée dans le schéma fixé
par le décret du 25 août 2000. J'ajoute que, sur le total des emplois créés en
2002, la moitié concerne les enseignants, qui sont hors du champ de la RTT.
Au demeurant, je ferai observer à nos collègues que ce qui importe avant tout,
c'est l'amélioration du service aux usagers ; si cela implique la création de
quelques emplois, pour notre part, nous ne voyons pas là une catastrophe : nous
considérons que c'est la réponse à un besoins des citoyens.
La logique d'emploi de la fonction publique, il faut manifestement le
rappeler, n'est pas guidée par le profit immédiat. A l'inverse des grands
groupes industriels et financiers, nos administrations n'ont pas pour objectif
de réaliser un maximum de bénéfices avec un minimum de salariés. Leurs
objectifs sont des objectifs de long terme, en matière d'équipement,
d'éducation, de santé, en un mot des objectifs de service et non de profit.
C'est d'ailleurs pourquoi, alors que le secteur privé a licencié massivement
au cours des vingt dernières années, le secteur public dans son ensemble a
maintenu son niveau d'emploi. Cela lui permet aujourd'hui de ne pas être obligé
d'envisager dans l'urgence des embauches massives en raison des 35 heures.
J'en viens aux collectivités territoriales, qui illustrent pleinement mon
propos puisque, depuis dix ans, leurs effectifs ont augmenté de 17 % : la
réduction du temps de travail ne peut donc être considérée comme la cause de
cette augmentation.
Il convient d'abord de relever que de nombreuses collectivités - y compris des
collectivités dirigées par des élus de l'opposition - ont développé des
dispositifs d'aménagement et de réduction du temps du travail anticipant les
effets de la réduction légale. Elles ont aussi intégré dans leur budget les
conséquences de cette évolution.
A la fin de 2001, on notait que 500 000 agents territoriaux, soit près de 40 %
de l'effectif, bénéficiaient déjà de réductions du temps de travail qui avaient
été antérieurement décidées par leur collectivité.
Dans ces conditions, le passage aux 35 heures dans les collectivités
territoriales, notamment dans les mairies, s'effectue avec des engagements sur
l'organisation ou la rationalisation des services, l'évolution des emplois ou
de la masse salariale et la prise en compte des nouvelles technologies. Les
avantages acquis par certaines catégories soumises à des sujétions
particulières n'ont pas à être remis en cause.
Bien entendu, une vraie réflexion doit être conduite avec les petites
communes, qui ne disposent que de peu de personnel, lequel est, en outre, bien
souvent, employé à temps non complet.
M. Alain Lambert.
Eh oui !
M. Claude Domeizel.
J'y reviendrai, mon cher collègue !
Il convient d'éviter de laisser se créer de fortes disparités entre
collectivités - telles celles que l'on observe entre grandes entreprises, d'une
part, et PME ou entreprises artisanales, d'autre part - car cela pourrait
conduire les salariés à fuir certaines d'entre elles. La liberté de gestion des
collectivités locales n'est nullement en contradiction avec cette règle de bon
sens, qui ne change d'ailleurs rien par rapport à ce qui existait
auparavant.
Je tiens à souligner que l'on ne sollicite pas assez les centres de gestion,
alors qu'ils peuvent mettre en oeuvre des mécanismes de mise à disposition des
personnels à temps partagé...
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Voilà la
solution !
M. Claude Domeizel.
... en vertu de la loi du 3 janvier 2001, qui a étendu leurs missions.
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Excellente
loi !
M. Claude Domeizel.
Là aussi, il convient de faire preuve d'esprit d'innovation et d'observer les
dispositifs promus dans le secteur privé, comme celui du groupement
d'employeurs, essentiellement développé, à l'origine, dans le secteur rural, et
je peux en parler en connaissance de cause ! Evidemment, la structure juridique
ne peut être semblable, mais le principe de partage du temps des salariés sous
gestion unique facilite largement le passage aux 35 heures dans les petites
unités ; il mérite d'être développé.
Le coût de la mesure a été bien souvent utilisé comme un prétexte pour
justifier certaines augmentations de la fiscalité locale. A ce propos, j'ai
tout lu et tout entendu ! J'ai même entendu que, dans telle collectivité, le
passage aux 35 heures allait faire augmenter les charges de personnel de 21 % !
Un tel taux d'augmentation n'est manifestement pas dû au passage aux 35 heures
!
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Ils étaient
sans doute passés aux 25 heures !
(Sourires.)
M. Claude Domeizel.
Je me suis astreint à présider, en ma qualité de président du centre de
gestion, tous les comités techniques paritaires. Cela signifie que j'ai vu
passer la quasi-totalité des deux cents communes de mon département.
Dans les faits, la situation est très variable.
M. Alain Lambert.
Tout le monde est content, sans doute !
M. Claude Domeizel.
Attendez !
Dans les collectivités où les 35 heures étaient déjà appliquées, il n'y a pas
eu de problème.
Aux autres, j'ai systématiquement conseillé de commencer par appliquer la
règle des 1 600 heures, éventuellement fractionnées.
En tenant compte des pratiques locales - journée du maire, jour de la fête
locale, etc. - beaucoup de communes étaient aux alentours des 1 600 heures :
certaines les dépassaient un peu, d'autres - heureusement, peu nombreuses - se
situaient légèrement en dessous et, pour ces dernières, l'exercice a été plus
difficile ; il était d'ailleurs également difficile pour les emplois
saisonniers ou liés aux activités scolaires.
En ce qui concerne les emplois à temps non complet, dans les petites communes,
une solution consistait à maintenir le temps de travail, ce qui impliquait une
augmentation du salaire versé. Eh bien, à ma grande surprise, dans beaucoup de
communes, les agents ont préféré maintenir leur salaire et donc diminuer le
temps de travail. On estime environ à 50 % la proportion des agents qui ont
fait cette demande.
M. Alain Lambert.
Et les usagers ?
M. Claude Domeizel.
Cela dit, il est vrai que, dans les petites communes, il y a eu des
augmentations dues à l'emploi d'agents à temps non complet.
Globalement, à partir du moment où les règles ont été bien comprises par les
deux parties, dans les comités techniques paritaires, cela s'est très bien
passé.
D'ailleurs, l'été dernier, j'ai rencontré un très grand nombre de maires de
mon département qui avaient appliqué la règle des 1 600 heures, et pratiquement
tous se sont déclarés satisfaits. En effet, cela a permis de mettre à plat des
conditions d'emploi. Dans beaucoup de communes, cela a été aussi l'occasion
d'un dialogue avec le personnel qui n'avait jamais existé auparavant.
(M. Pelchat s'esclaffe.)
Cela a surtout permis une harmonisation qui
n'existait pas au niveau départemental ni même parfois à l'intérieur des
collectivités.
M. Alain Gournac.
C'est une caricature !
M. Michel Pelchat.
Ce n'est pas possible !
M. Claude Domeizel.
J'ajoute que cette règle des 1 600 heures nous permet de nous rapprocher un
peu plus des besoins réels des usagers, qui sont aussi des contribuables.
M. Michel Pelchat.
C'est la règle magique, alors !
M. Claude Domeizel.
Peut-être, oui !
En effet, il est tout à fait normal que la partie des impôts qui sert à payer
les personnels fasse l'objet d'un suivi sérieux. Or cela est possible
aujourd'hui grâce à l'application de la règle des 1 600 heures.
Il ne faudrait pas non plus tenir ici un double langage concernant les
relations entre l'Etat et les collectivités locales. On ne peut pas à la fois
critiquer les compensations d'exonérations en disant qu'elles portent atteinte
à l'autonomie des collectivités et nier que les créations d'emplois, qu'elles
soient consécutives ou non aux 35 heures, relèvent de la décision de
l'assemblée délibérante !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Absolument
!
M. Claude Domeizel.
Ce sont bien les assemblées qui décident d'augmenter ou non le temps de
travail !
Je veux tout de même rappeler que le montant total des ressources transférées
par l'Etat en 2001 s'est élevé à près de 340 milliards de francs, contre 304
milliards de francs en 2000 et que, en 2002, la DGF progressera de 4 %.
Des moyens importants sont donc mis en oeuvre afin de soutenir l'effort -
indéniable - des collectivités, en particulier des plus petites d'entre elles,
pour s'adapter à la nouvelle législation avec ce double objectif : améliorer
les conditions de vie et de travail des salariés, et en même temps le service
aux usagers.
Dans la fonction publique hospitalière se posent de réels problèmes, que
mentionnait d'ailleurs le rapport Roché. Mais il faudrait être d'une
particulière mauvaise foi pour en rendre responsable la réduction du temps de
travail. Je crains en effet que les problèmes ne soient bien antérieurs et
d'une nature beaucoup plus globale.
L'hôpital est en première ligne pour ressentir les effets des évolutions de
notre société : je pense notamment à la revendication justifiée d'un service de
santé efficace, au vieillissement de la population, aux effets du chômage et de
la précarité sur une partie non négligeable de nos concitoyens, ou encore à la
volonté des personnels de santé d'améliorer leurs propres conditions de vie.
C'est un peu la quadrature du cercle qu'il nous faut résoudre !
Sans doute ces évolutions et la charge de plus en plus lourde qui pèse sur les
personnels n'ont-elles pas été suffisamment prises en compte. Mais cela nous
concerne tous, bien au-delà des clivages politiques et des campagnes
électorales.
Il en est ainsi de la pénurie d'infirmières, qui est apparue au grand jour
très récemment alors que la difficulté existait depuis longtemps. Personne ne
s'en est préoccupé suffisamment alors, et c'est regrettable.
M. Alain Gournac.
Et les 35 heures vont sûrement améliorer la situation !
M. Claude Domeizel.
Cela vous gêne, mais je le dis quand même !
En réalité, les 35 heures à l'hôpital ne sont pas, comme on voudrait le faire
croire, une complication nouvelle. C'est au contraire une occasion de mettre à
plat la situation et de résoudre les problèmes en attente. Là aussi, un effort
d'organisation est nécesssaire, mais les moyens dégagés par le Gouvernement
sont à la hauteur.
Afin d'accompagner le dispositif de la RTT, qui concerne 4 000 établissements
et 757 000 agents équivalent temps plein, le Premier ministre a décidé la
création de 45 000 emplois sur trois ans.
M. Alain Gournac.
Il va falloir les payer !
M. Michel Pelchat.
Et les former !
M. Claude Domeizel.
Dès 2002, 1,2 % de l'ONDAM est dédié à l'augmentation des effectifs. Les
recrutements se feront tout au long de l'année 2002 pour atteindre 40 % du
total, et 80 % à la fin de 2003. L'année 2004 sera celle de la réduction du
travail de nuit et du solde des emplois créés.
Tous les critères seront pris en compte : les effectifs, l'activité, le temps
moyen actuel travaillé, mais aussi la qualité des négociations et des accords
conclus dans les établissements. Cette liste n'est d'ailleurs pas
exhaustive.
Il faut souligner que les créations d'emplois liées à la RTT ne seront pas
utilisées comme outil de restructuration mais devront s'inscrire dans la
cohérence des opérations définies par les schémas régionaux d'organisation
sanitaire.
En réalité, il nous semble que la réduction du temps de travail a plutôt joué
le rôle de révélateur de tous les dysfonctionnements et de tous les malaises.
Toutes les revendications se sont exprimées, en même temps que la volonté de
mieux soigner, dans de meilleures conditions, en consacrant davantage de temps
et d'attention aux patients.
Il appartient donc maintenant aux représentants des différentes parties de
négocier pour parvenir à un résultat. Ne nous y trompons pas : loin d'être un
obstactle supplémentaire, la réduction du temps de travail permet de dégager la
route.
En toute hypothèse, on ne voit pas en quoi le refus de faire participer
l'hôpital, comme la fonction publique dans son ensemble, au progrès social
serait de nature à résoudre le moindre problème. On voit bien, en revanche, en
quoi une telle attitude pourrait aggraver ceux qui existent.
De manière générale, je le rappelle, la réduction du temps de travail est non
seulement un élément fondamental de progrès, mais aussi, dans le secteur public
comme dans le secteur privé, une occasion de réfléchir à l'organisation du
travail pour l'améliorer. C'est, en outre, une formidable opportunité de
relancer le dialogue social et de lui donner un contenu plus riche.
Les salariés des trois fonctions publiques doivent être pleinement associés à
cette démarche. C'est en procédant ainsi, et non en considérant le coût du
service public et des fonctionnaires comme une charge toujours excessive, que
la modernisation économique et sociale de notre pays se réalisera de façon
cohérente et profitable pour tous.
Telles sont les réflexions que m'inspire la question posée par notre collègue
Alain Lambert. Comptez sur nous, chers collègues de la majorité sénatoriale,
pour dire à nos concitoyens que vous êtes contre les 35 heures - car tel est
bien le sens du discours que vous avez tenu jusqu'à maintenant - et que vous
remettrez en cause ce dispositif,...
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est trop facile !
M. Claude Domeizel.
... alors qu'il est, à l'évidence, une étape importante de l'histoire sociale
de notre pays.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. Alain Gournac.
Les Français vont trancher, vous verrez !
M. Claude Domeizel.
Absolument !
M. le président.
La parole est à M. Pelchat.
M. Michel Pelchat.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de
l'examen du projet de loi de finances pour 2002, le groupe des Républicains et
Indépendants avait dénoncé la multiplication des « bombes à retardement
budgétaires ».
L'une de ces bombes à retardement est justement la réduction du temps de
travail, qui aura - soyons-en sûrs - de lourdes conséquences pour les trois
fonctions publiques.
A titre liminaire, je rappelle que, sur le plan national, le coût des 35
heures dépasse déjà celui des budgets cumulés de la sécurité et de la justice.
Avec les chiffres que nous connaissons aujourd'hui, cela montre quelles sont
les priorités de l'actuel Gouvernement ! Alors que l'insécurité augmente et que
la justice souffre d'un cruel manque de moyens, le Gouvernement privilégie une
mesure démagogique nécessitant des crédits considérables qui auraient été bien
plus utiles ailleurs.
De plus, cette mesure met en difficulté bon nombre de nos entreprises : elle
oblige un certain nombre de nos prestataires à réduire leurs activités et elle
n'est, au final, même pas applicable aujourd'hui pour les PME et les PMI, qui
représentent pourtant l'un des principaux pourvoyeurs d'emplois.
Tout cela montre à quel point le Gouvernement n'avait pas mesuré les effets de
cette disposition législative avant de la décider.
Ce mauvais choix est aussi un marché de dupes, notamment pour la fonction
publique territoriale, dans laquelle le Gouvernement a complètement faussé les
cartes de la négociation.
Il a en effet tenté de nous faire croire que le passage aux 35 heures pourrait
se faire à effectifs constants dans le secteur public, tout en prétendant le
contraire pour le secteur privé.
M. Alain Gournac.
Bizarre !
M. Michel Pelchat.
Ce postulat constitue d'ailleurs aujourd'hui l'une des difficultés
d'application des 35 heures dans la fonction publique.
Le Gouvernement tient un double langage pour dissimuler l'ampleur du problème.
En vérité, il n'a pas les moyens d'assumer les conséquences de la réduction du
temps de travail, ni dans la fonction publique territoriale, ni dans les deux
autres.
Là encore, le Gouvernement se heurte à ses propres contradictions. Il n'a pas
résolu le problème : il n'a fait que le déplacer, au risque d'accroître des
disparités de traitement non seulement entre les différentes fonctions
publiques mais aussi en fonction des différents ministères de tutelle.
Ainsi, les négociations n'ont pas abouti dans tous les ministères. Elles
donnent lieu à des tensions et à des conflits sociaux, précisément en raison du
refus du Gouvernement d'assortir la réduction du temps de travail de créations
d'emplois, alors que tel était l'objectif qu'il s'était fixé. C'est
l'incohérence la plus totale !
Pour sortir de ces difficultés, le Gouvernement est donc contraint ou bien de
s'affranchir de la réglementation qu'il a lui-même édictée, et, dans certains
ministères, certains agents pourraient bénéficier d'une durée annuelle de
travail inférieure aux fameuses 1 600 heures prévues ou bien de créer des
emplois, malgré ses refus réaffirmés.
Nous avons là un nouvel exemple des détestables méthodes du Gouvernement !
Une fois de plus, il impose une politique sans en assumer les conséquences et,
au lieu d'affronter l'obstacle, il le contourne par une fuite en avant qui ne
résout aucune des difficultés.
J'oserai une comparaison, si vous me le permettez, mes chers collègues : il y
a vingt ans, le Gouvernement avait imposé la retraite à soixante ans sans
aucune concertation, sans aucune réflexion sur le financement futur de cette
disposition ; vingt ans après, aucune solution n'est encore trouvée, et il y a
fort à parier que cette loi des 35 heures nous obligera à affronter des
difficultés similaires dans les années à venir.
C'est le cas pour la fonction publique d'Etat, mais aussi pour la fonction
publique hospitalière !
Face au mécontentement du secteur médical, le Gouvernement a été contraint
d'annoncer la création de 45 000 emplois en trois ans, pour un coût de 1,52
milliard d'euros, mais sans se préoccuper de savoir si notre système éducatif
serait à même d'assurer la formation de ces futurs personnels.
Une fois de plus, il pratique la fuite en avant pour mieux esquiver ses
responsabilités. Personne ne peut nous garantir que la qualité des soins en
sera améliorée, car la plupart des emplois créés compenseront à peine les
absences liées à la réduction du temps de travail.
Dans les collectivités locales, le passage aux 35 heures pose déjà des
problèmes d'organisation et de gestion. Il entraînera surtout un surcoût pour
tous les élus locaux qui sont attachés à maintenir la qualité du service
public. Cela se traduira inévitablement par une augmentation des impôts locaux.
Là encore, il faut tenir un langage de vérité : la facture sera lourde. Ce sont
les contribuables qui devront la régler, et les élus locaux que nous sommes
seront tenus pour responsables !
Enfin, je voudrais évoquer une difficulté spécifique : le problème des heures
supplémentaires pour les personnels des catégories B et C.
Ces heures doivent désormais être rémunérées sous forme de récupérations, ce
qui pose un problème en termes de présence des personnels et de continuité du
service.
Ces personnels dévoués vont se voir, demain, amputés d'une partie sensible de
leurs revenus. Sachez, monsieur le ministre, qu'ils sauront vous en remercier à
la première occasion !
La question orale avec débat de notre collègue revêt une grande pertinence et
se révèle d'actualité. Il est en effet plus qu'indispensable aujourd'hui que la
représentation nationale - les élus locaux que nous sommes en particulier -
sache de manière exhaustive ce qu'il en est réellement du passage aux 35 heures
dans les trois fonctions publiques. Par conséquent, nous attendons des réponses
qui soient détaillées et, mieux encore, convaincantes. Malheureusement, je
doute que vous nous les donniez, monsieur le ministre !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Il ne faut
pas douter avant !
M. Raymond Courrière.
On n'est pas convaincu quand on ne veut pas l'être !
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Monsieur le
président de la commission des finances, je vous remercie d'avoir posé cette
question qui me permet de m'exprimer devant vous.
Je constate que, sur cette question du passage aux 35 heures dans la fonction
publique, le débat, auparavant principalement passionnel, est devenu
pragmatique, en ce qu'il porte sur la manière d'agir pour aboutir au meilleur
résulat possible.
M. Philippe Marini.
On vera ce qu'il en coûte !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
A quelques
éclats de voix près, je vois là la réussite d'une démarche...
M. Philippe Marini.
C'est de l'autosatisfaction facile !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
... tendant
à ne pas poser les questions par simple principe et à prendre des éléments
d'appréciation concrets.
Dans votre question, monsieur Lambert, mais aussi dans d'autres interventions,
je relève nombre de contradictions. En effet, tantôt, vous nous demandez
comment nous comptons instaurer les 35 heures dans la fonction publique sans
créer d'emplois ou bien, s'agissant de la fonction publique hospitalière, en en
créant insuffisamment, tantôt - il s'agit d'une critique habituelle - vous nous
reprochez le poids excessif des dépenses de fonction publique, qui irait
grandissant depuis plusieurs années.
Je note aussi des contradictions sur le thème de l'unité et de la diversité.
En effet, alors que vous nous reprochez - j'y reviendrai, bien sûr - des
arrangements et une trop grande diversité dans les modalités d'application des
35 heures, vous réclamez, comme l'a fait M. Hyest, plus de liberté dans la
négociation, au sein de la fonction publique territoriale, pour ceux qui
auraient passé des accords inférieurs à 1 600 heures, afin que de tels accords
prennent toute leur ampleur.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vais tenter de répondre en évitant les
contradictions et en vous apportant des éléments précis.
M. Philippe Marini.
Dites-nous ce que cela coûte, d'abord !
M. Alain Gournac.
C'est cela qui est important !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Vous le
savez, monsieur Marini, par le décret du 25 août 2000, le Gouvernement a
instauré le cadre réglementaire de la réforme des 35 heures pour les agents de
l'Etat. Ce cadre - vous le savez également, puisqu'il a été voté par votre
assemblée - est étendu aux agents des collectivités territoriales par la loi du
3 janvier 2001 et le décret du 12 juillet 2001, aux agents hospitaliers par la
loi du 21 décembre 2001 et plusieurs décrets d'ores et déjà contresignés par
les ministres concernés et en cours de publication.
Dès lors, depuis le 1er janvier 2002, les 5,4 millions d'agents publics sont,
comme la grande majorité des salariés, passés aux trente-cinq heures. Pourquoi
en aurait-il été autrement ?
Nous avons donc mis en défaut une première idée reçue - sur laquelle
l'opposition a longtemps construit son discours - selon laquelle il était
impossible de mettre en oeuvre les 35 heures dans les administrations.
M. Philippe Marini.
C'est possible, mais au prix d'une dégradation de la qualité du service et
d'impôts supplémentaires.
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
La réduction
était doublement infaisable, pour ces augures - et j'ai retrouvé dans vos
interventions des allusions précises à ce sujet - pour deux raisons : parce que
le rapport Roché, commandé par mon prédécesseur, avait mis en lumière, pour la
première fois, les disparités de pratiques et l'inexistence d'un corpus
réglementaire homogène, et parce que, pour l'Etat, le Gouvernement y mettait
une condition supplémentaire, celle de l'absence de créations d'emplois pour
compenser arithmétiquement le passage aux 35 heures.
Aujourd'hui, nous avons une réglementation du temps de travail ; elle est
unique pour l'ensemble des trois fonctions publiques et parallèle au cadre
législatif fixé par les deux lois Aubry, car nous considérons qu'en matière de
réglementation du temps de travail les salariés du public et du privé doivent
bénéficier de droits et de devoirs équivalents : ce sont les fameuses 1 600
heures annuelles, le régime des congés, les dérogations fondées sur des
sujétions particulières, explicitées et quantifiées. Les grandes règles sont
les mêmes dans le privé et dans le public.
Vous avez évoqué, monsieur Lambert, des dispositions applicables dans le privé
et dont l'Etat se serait affranchi. Je conteste totalement cette
interprétation. Lorsque l'horaire annuel est réduit, c'est en fonction de
sujétions spécifiques et avérées. Si vous lisez complètement les textes, les
horaires de 1 530 ou 1 420 heures ne sont évidemment pas « les horaires du
ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ». Ce sont ceux de
certains agents, dont l'effectif est de quelques centaines sur les 200 000
agents que compte ce ministère, et qui sont, dans un cas, les agents chargés de
la maintenance informatique par des équipes travaillant vingt-quatre heures sur
vingt-quatre et, dans l'autre, les agents des douanes assurant la surveillance
des aéroports dans des conditions d'horaires et de risque particulières.
Ce que je vois, moi, en revanche, lorsque je regarde les accords sur les 35
heures conclus dans les grandes entreprises - et pas seulement les grandes
entreprises publiques - c'est que la base annuelle retenue est très souvent
sensiblement inférieure à 1 600 heures, probablement d'ailleurs pour des
raisons analogues de contraintes particulières de certains métiers : la loi
Aubry prévoit bien, comme les textes sur la fonction publique, que les 1 600
heures constituent un plafond auquel il est possible de déroger dans des cas
particuliers de conditions de travail, et c'est tout à fait légitime.
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est un plancher !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Non, c'est
un maximum, c'est-à-dire qu'on ne peut pas aller au-delà. En revanche, on ne
saurait l'imposer. On peut donc descendre au-dessous de ce seuil en fonction
des conditions d'organisation de travail et des sujétions particulières.
Lorsque vous travaillez en trois huit dans le privé, vous êtes en deçà de ce
seuil. Lorsque vous travaillez, dans le public, comme les personnels que je
viens d'évoquer, vous êtes en deçà des 1 600 heures, et donc des 35 heures sur
l'ensemble de l'année. C'est logique et rationnel, il y a un parallélisme entre
le secteur public et le secteur privé.
M. Philippe Marini.
Pour les plus dynamiques, le pouvoir d'achat baisse !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Quant aux
conflits sociaux, que vous avez qualifié de « multiples », monsieur Lambert, je
veux mettre les choses au point.
Il est vrai que le principe selon lequel l'ARTT ne devait pas donner lieu en
soi, dans les services de l'Etat, à des créations d'emplois était une
contrainte que le Gouvernement s'était imposée.
M. Philippe Marini.
Il n'est pas respecté !
M. Alain Lambert.
Je ne vous l'ai pas reproché !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Certes, mais
cette contrainte se justifie, à mon avis, simplement, et M. Domeizel, que je
remercie de son intervention, y a fait allusion.
M. Jean-Jacques Hyest.
Il le mérite bien !
M. Philippe Marini.
C'est le moins que vous puissiez faire !
M. Alain Gournac.
Pour ça, il a été très bon !
(Sourires.)
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
La réduction
du temps de travail devait susciter des créations d'emplois dans les
entreprises parce que le secteur concurrentiel est confronté, depuis vingt ans,
à des enjeux de productivité considérables et à des périodes de
restructurations et de suppressions d'emplois parfois massives.
Tel n'est pas le cas des administrations,...
M. Philippe Marini.
Même pas dans la police ?
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
... dont les
effectifs réels ont connu, année après année, une progression légère mais
continue, quels que soient les gouvernements, et pour lesquelles les
recrutements sont des décisions de long terme, non soumises aux fluctuations
économiques de conjoncture.
C'est ainsi que, pour 2002, la loi de finances prévoit la création d'environ
15 000 emplois, soit un peu plus qu'en 2001, année au cours de laquelle nous
avions créé 13 000 emplois. Ces emplois sont créés dans les secteurs jugés
prioritaires par le Gouvernement, et il me semble que ces priorités sont
souvent reconnues plus largement que par le Gouvernement : l'enseignement, la
sécurité - justice et police - ou l'environnement.
Cela montre bien que les créations d'emplois ne sont pas directement et
automatiquement associées à la réduction du temps de travail, même si,
évidemment, dans certains secteurs, elles facilitent la mise en oeuvre des 35
heures.
M. Philippe Marini.
Alors, comment s'y retrouver ?
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Vous évoquez
le poids et l'évolution des dépenses de fonction publique et vous prévoyez que
la situation va encore s'aggraver. Je suis d'accord pour examiner les cas dans
lesquels des créations d'emplois ou des redéploiements d'emplois sont
possibles, mais je voudrais que vous ne vous contentiez pas de constater que «
cette situation va encore s'aggraver », un peu comme Mac Mahon disait : « Que
d'eau ! Que d'eau ! »
M. Philippe Marini.
C'est vous qui créez l'inondation !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Dans quel
domaine proposez-vous de supprimer des emplois ? Chez les enseignants ? Dans la
police ? Parmi les infirmiers ou infirmières ou les fonctionnaires des
tribunaux ? Parmi les agents de la direction départementale de l'équipement qui
entretiennent nos routes et nos autoroutes ?
(M. Alain Lambert s'exclame.)
En même temps, vous nous direz ce que sont, à vos yeux, les petits «
arrangements » catégoriels avec les personnels, dont vous avez parlé. Vous
faites probablement allusion à un certain nombre de mouvements sociaux récents,
que le secteur privé a également connus en son temps, au moment des
négociations entreprise par entreprise ou branche par branche !
(M. Gournac
s'exclame.)
Mais j'ai eu beau tendre l'oreille, je ne crois pas avoir entendu l'opposition
contester la légitimité des revendications des personnels infirmiers, des
médecins ou des policiers, ni l'expression des aspirations des gendarmes !
M. Philippe Marini.
C'est la méthode du Gouvernement que nous contestons !
M. Alain Gournac.
Le manque de dialogue social !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Quant aux
collectivités locales, elles sont maîtresses des contenus des accords qu'elles
concluent avec les représentants des personnels,...
M. Alain Lambert.
Elles sont surtout invitées à payer !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
... dès lors
qu'elles respectent, bien entendu, le cadre fixé par la loi du 3 janvier 2001
et le décret du 12 juillet 2001.
D'après les indications que nous possédons, la plupart d'entre elles ont, en
réalité, saisi l'occasion des 35 heures, d'une part, pour améliorer
l'organisation des services - certaines l'avaient fait depuis bien longtemps -
d'autre part, pour consolider des postes de vacataire, de contrats
emploi-solidarité ou d'emplois-jeunes. Ce fut une bonne négociation !
Vous évoquez ce que vous appelez les difficultés de recrutement des hôpitaux.
Il n'y a pas de difficultés de recrutement de personnel soignant
(Rires sur
les travées du RPR)
: il y a des difficultés sérieuses de disponibilité des
personnels parce que le gouvernement de M. Juppé a réduit, pendant les deux
années où il prenait ses décisions librement, les postes dans les écoles de
formation d'infirmières et d'infirmiers et de personnel soignant. Ce sont eux
qui, quatre ou cinq ans après, manquent aujourd'hui pour pourvoir les emplois
vacants.
(Murmures d'approbation sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Alain Gournac.
Vous, qu'avez-vous fait pendant cinq ans ?
M. Guy Fischer.
Les responsables sont là !
(L'orateur désigne les travées de la majorité sénatoriale.)
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Si M. Juppé
et son gouvernement, que vous souteniez - c'était logique et compréhensible,
compte tenu de vos engagements politiques - avaient anticipé ne serait-ce que
l'évolution démographique qui était déjà connue - je ne leur reprocherai pas de
ne pas avoir anticipé les 35 heures - et tenu compte des départs à la retraite
prévisibles à l'époque,...
M. André Vantomme.
Bien sûr !
M. Alain Gournac.
Vous n'avez pas peur !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
... il y
aurait aujourd'hui dans les hôpitaux environ 10 000 infirmières ou infirmiers
de plus !
(Protestations sur les travées du RPR.)
M. Alain Gournac.
Encore une fois, qu'avez-vous fait pendant cinq ans ?
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
On a
augmenté considérablement le nombre de postes dans les écoles d'infirmières et
d'infirmiers,...
M. Alain Gournac.
Arrêtez !
M. Philippe Marini.
Toujours la même réponse partisane ! C'est scandaleux !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
... ce qui
nous permet progressivement de disposer des personnels formés nécessaires pour
répondre aux besoins du service public.
M. Philippe Marini.
C'est scandaleux !
M. André Vantomme.
Le ministre a raison !
M. Claude Domeizel.
Cela vous gêne !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Compte tenu
du caractère presque intégralement posté de l'activité soignante, nous créerons
45 000 emplois d'infirmiers dans les trois ans à venir et nous demandons aux
agents, durant cette période intermédiaire de trois ans, d'effectuer le même
horaire qu'en 2001 et d'en affecter une partie dans un compte épargne-temps,
l'autre partie faisant l'objet d'une rémunération en heures supplémentaires.
M. Gérard Larcher.
Ils ne veulent pas du compte épargne-temps !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Le coût sur
trois ans de ce dispositif est d'environ 450 millions d'euros par an,...
M. Alain Gournac.
C'est utopique !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
... ce qui
représente un effort substantiel mais non insoutenable puisque c'est 1,2 % de
l'enveloppe consacrée aux dépenses hospitalières au sein de l'assurance
maladie.
J'en viens aux « nombreux conflits sociaux » que vous avez évoqués. Vous avez
plutôt fait allusion à la fin de l'année dernière, période au cours de laquelle
ces conflits pouvaient effectivement exister ; ils sont aujourd'hui moins
répandus, et c'est normal, chacun étant rentré dans le cadre de ce qu'il
pouvait négocier et obtenir.
(MM. Marini et Gournac s'exclament.)
Ces « nombreux conflits sociaux » sont la traduction d'une deuxième idée
reçue : la réduction du temps de travail dans la fonction publique ne se ferait
qu'au forceps, sans dialogue social, sans négociation, sans accord.
Certes, il n'y a pas eu de « grand accord » interfonctions publiques, et je le
regrette. Il n'y a pas eu non plus de « grand accord », à l'époque, entre le
MEDEF et les confédérations syndicales sur les 35 heures. Mais, de même que le
cadre fixé par la loi a été décliné en accords dans la majorité des
entreprises, notamment les grandes entreprises, les administrations ont mené,
selon le décret du 25 août 2000, des négociations qui se sont fréquemment
conclues par des accords.
Pour l'Etat, si l'on excepte les militaires et les personnels enseignants, qui
n'entrent pas dans le champ du décret, près de 420 000 agents publics sont
couverts par un accord obtenu à la majorité.
Par ailleurs, pour 150 000 agents, en l'absence de protocole formel, les
textes ont été approuvés en comité technique paritaire. Au ministère de
l'économie, des finances et de l'industrie, l'ARTT a été mis en oeuvre de
manière anticipée pour 85 % des 200 000 agents, avec leur accord.
Ainsi, pour 70 % des agents de l'Etat, l'ARTT se met en place après des
négociations positives, même si parfois, comme dans l'administration
pénitentiaire - c'est l'un des derniers conflits auquel il a été mis fin par un
accord - des mouvements sociaux ont accompagné les négociations, ce qui est
dans la nature des choses.
L'ensemble de la fonction hospitalière, médecins hospitaliers compris,
bénéficie d'un accord, de sorte que, pour les personnels qui relèvent
directement des décisions de l'Etat, les trois quarts des agents sont passés
aux 35 heures après des négociations positives.
Quant aux collectivités territoriales, je voudrais vous rappeler que nombre
d'entre elles, et non des moindres, ont devancé l'appel, parfois depuis
longtemps - je pense à Lille ou à Bordeaux - ou au cours de l'année 2001, dans
le cadre de l'actuelle réforme du temps de travail.
M. Alain Gournac.
Bordeaux, c'est Juppé !
M. Philippe Marini.
Vous faites des compliments à Juppé, maintenant ?
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
En réalité,
et je vous rejoins sur ce point, monsieur Lambert, nous devons veiller à ne pas
accentuer les inégalités entre petites et grandes collectivités, et c'est
pourquoi je fais en sorte que le cadre général soit respecté par tous. Non pas
tant parce que les collectivités riches peuvent s'offrir des consultants et pas
les autres. Il se trouve que dans la commune de 5 274 habitants
d'Argenton-sur-Creuse, que nous connaissons très bien tous les deux, monsieur
Lambert, la réforme des 35 heures a été réalisée sans consultants, mais avec le
personnel.
M. Alain Lambert.
Ils avaient un expert !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Mais il est
vrai qu'il en est des collectivités publiques comme des entreprises : les
collectivités riches ou importantes ont souvent plus de marges de manoeuvre ou
des traditions de négociation plus anciennes. Nous devons donc veiller, dans ce
domaine comme dans d'autres, à ne pas accentuer les inégalités entre
collectivités.
C'est pourquoi les réflexions sur l'organisation des services et les
simplifications administratives sont essentielles, aujourd'hui, pour concilier
l'ARTT, la satisfaction des agents et celle des citoyens, avec pour objectif au
minimum le maintien du service public et, bien entendu, son amélioration.
En réponse à votre dernière question, monsieur Lambert, je veux regretter que
vous partagiez une troisième idée reçue, à savoir que la réduction du temps de
travail emporterait mécaniquement une réduction de la qualité des services
publics.
M. Philippe Marini.
Vous nous expliquerez le miracle !
(M. Gournac rit.)
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Je m'inscris
en faux contre cette idée selon laquelle les administrations, fossilisées dans
leur routine, seraient incapables de se réformer et de faire preuve
d'intelligence.
M. Alain Lambert.
C'est vous qui le dites !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Nous savons
déjà que les greffes des tribunaux auront des plages d'ouverture plus larges -
c'est prévu dans l'accord national -, que les horaires des personnels non
enseignants de l'éducation nationale seront mieux en adéquation avec les
rythmes scolaires - c'est également prévu dans l'accord national -...
M. Philippe Marini.
A quel prix !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
... que des
préfectures ouvriront à l'heure du déjeuner, par exemple, alors que ce n'était
pas le cas auparavant,...
M. Alain Gournac.
Tout va bien, alors !
M. Philippe Marini.
A quel prix !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
... que les
services déconcentrés adaptent leurs modes d'organisation pour assurer une plus
grande disponibilité...
M. Philippe Marini.
A quel prix !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
... par des
formes différentes de travail en équipes et par la polyvalence de leurs
personnels. Les astreintes seront généralisées dans les services publics
vitaux.
M. Alain Lambert.
Les commissariats de police pourront-ils recevoir les plaignants ?
M. Alain Gournac.
Allez au commissariat de police d'Argenton-sur-Creuse !
(Sourires.)
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Une autre
clé de la réussite, notamment pour les services publics de proximité, et donc
au premier chef dans les collectivités territoriales, tient dans l'allégement
et la simplification des procédures. Je ne citerai qu'un exemple : dans nombre
de communes, petites ou grandes, la suppression de la fiche d'état civil et
celle de l'obligation de certification conforme ont permis d'absorber, à elles
seules, le passage aux 35 heures.
(Marques d'approbation sur les travées socialistes.)
M. Philippe Marini.
Et combien de circulaires supplémentaires ?
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Ainsi donc,
pour conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, dans la fonction publique
comme dans les entreprises, l'ARTT n'est ni impossible, ni génératrice de coûts
insupportables pour les finances publiques,...
M. Alain Lambert.
C'est le nirvana !
M. Gérard Larcher.
Si l'on supprime la loi SRU, on va gagner du temps !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
... ni
porteuse de dégradation du service public.
Vous le savez bien, d'ailleurs, car, quelles que soient les oppositions, que
l'on voit encore parfois ressurgir ici, au principe du passage aux 35 heures,
dans cette période où les engagements électoraux commencent à apparaître, je ne
vois aucun des candidats réels, potentiels, probables, souhaitables, remettre
en cause les 35 heures.
M. André Vantomme.
Si, au Sénat !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Au Sénat,
effectivement, mais aucun des candidats ne s'engage dans cette voie !
M. Guy Fischer.
Ils n'osent pas le dire !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
En somme,
monsieur Lambert, c'est un hommage de votre part, que j'apprécie, à la vertu
dont nous avons su faire preuve, dans ce domaine comme dans d'autres.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Alain Gournac.
Quelle vertu !
M. Gérard Larcher.
C'est de la petite vertu !
(Rires sur les travées du RPR.)
M. Philippe Marini.
Cent milliards de francs par an pour les seules entreprises privées !
M. le président.
En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est
clos.
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