SEANCE DU 29 JANVIER 2002
M. le président.
«
Article unique.
- A compter de la date d'entrée en vigueur de la
présente loi, les restes de la dépouille mortelle de la personne connue sous le
nom de Saartjie Baartman cessent de faire partie des collections de
l'établissement public du Muséum national d'histoire naturelle.
« L'autorité administrative dispose, à compter de la même date, d'un délai de
deux mois pour les remettre à la République d'Afrique du Sud. »
L'amendement n° 2, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
« Rédiger ainsi l'article unique :
« Les restes de la dépouille mortelle de la personne connue sous le nom de
Saartjie Baartman cessent d'être placés sous la garde du Muséum national
d'histoire naturelle et feront retour en Afrique du Sud.
« L'autorité administrative dispose d'un délai de six mois, à compter de la
date d'entrée en vigueur de la présente loi, pour mettre en oeuvre les
dispositions du précédent alinéa. »
La parole est à M. le ministre.
M. Roger-Gérard Schwartzenberg,
ministre de la recherche.
Par cet amendement, le Gouvernement propose une
nouvelle rédaction de l'article unique de la proposition de loi.
Le Gouvernement sollicite un délai un peu plus long afin de pouvoir veiller au
retour des restes de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman dans la
dignité, comme M. About l'a évoqué tout à l'heure.
Dans le premier alinéa proposé par cet amendement pour l'article unique, il
s'agit d'indiquer - c'est la modification essentielle - que ces restes cessent
« d'être placés sous la garde » du Muséum, car c'est la notion juridique
exacte.
Par ailleurs, nous employons l'expression « faire retour » en Afrique du Sud.
Il nous paraît souhaitable d'éviter la notion de « restitution ». En effet,
cela signifierait que quelqu'un a possédé ces restes auparavant et que
quelqu'un les a possédés après, c'est-à-dire la France. Or, comme depuis 1994
il n'y a pas d'appropriation possible, ni publique, ni privée, d'ailleurs, du
corps humain ou de ses éléments, la notion de « restitution » paraît difficile
à appliquer à des éléments du corps humain, même si je comprends tout à fait le
souci qui a inspiré le choix de ce terme.
Le premier alinéa de cet article serait donc rédigé ainsi : « Les restes de la
dépouille mortelle de la personne connue sous le nom de Saartjie Baartman
cessent d'être placés sous la garde du Muséum national d'histoire naturelle et
feront retour en Afrique du Sud. »
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Richert,
rapporteur.
Permettez-moi tout d'abord de faire part à M. le ministre de
la satisfaction d'entendre le représentant du Gouvernement affirmer que notre
pays souhaite donner suite à l'article unique de cette proposition de loi, qui
vise non pas à restituer, mais à « remettre » pour reprendre le terme des
conclusions de la commission, les restes de la dépouille mortelle de Saartjie
Baartman à l'Afrique du Sud.
Il s'agit d'un moment important. Il est déplorable - le mot n'est pas trop
fort - que nous ayons dû passer par tous ces errements, ces contradictions. Je
n'aurai pas la cruauté de rappeler que M. Michel Duffour, s'exprimant à
l'occasion de la discussion d'une question orale, avait indiqué qu'il était
nécessaire de passer par une loi, que la propriété ne faisait pas de doute, que
les restes de Saartjie Baartmann faisaient « partie des collections nationales
lesquelles, selon la loi française, sont inaliénables ». Aujourd'hui, on nous
dit exactement le contraire.
J'ai eu bien sûr connaissance de multiples échanges de courriers et
d'informations émanant d'ambassadeurs et autres, qui font clairement ressortir
l'état d'esprit dans lequel ce dossier a été traité. L'un des courriers se
terminait ainsi : « Lorsque la question politique se posera, il sera toujours
temps d'aviser. »
Il n'est pas digne de notre pays d'avoir agi de la sorte.
Je voudrais vous remercier, monsieur le ministre, de nous avoir indiqué que
les parties molles du corps de Saartjie Baartman ont été retrouvées. Cela me
satisfait, car il était difficile d'admettre que ces organes, parties
intégrantes du corps de Saartjie Baartman, aient pu disparaître.
Permettez-moi cependant d'exprimer ma stupéfaction que le conservateur chargé
de ces collections et l'administrateur du musée aient pu tous deux m'indiquer
que, à leur connaissance, la collection actuelle ne renfermait pas ces bocaux
contenant les organes de Saartjie Baartman ! Voilà une justification
supplémentaire de la création d'une mission d'information sur la gestion des
collections des musées.
Il est tout de même incompréhensible que, dans l'une des grandes institutions
de notre pays, nous puissions assister à pareille déconvenue.
Permettez-moi enfin de dire à quel point il me paraît regrettable que le
Gouvernement veuille édulcorer le texte en supprimant toute mention de la
France. En effet, l'amendement n° 1 tend à supprimer de l'intitulé de la
proposition de loi toute référence à la restitution de la dépouille mortelle
par la France, comme si l'on voulait se dédouaner des exactions indescriptibles
commises par la France, comme d'ailleurs par la Grande-Bretagne, sur la
personne de Saartjie Baartman, exactions que vous avez d'ailleurs rappelées,
monsieur le ministre.
Aujourd'hui, les restes de Saartjie Baartman font partie des collections du
musée de l'Homme, et il me paraît temps qu'ils puissent rapidement revenir à
l'Afrique du Sud. Je suis donc opposé, monsieur le ministre, au nom de la
commission, à l'allongement du délai prévu. Deux mois sont en effet largement
suffisants pour organiser dans des conditions décentes la restitution à
l'Afrique du Sud de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman.
M. Alain Gournac.
Bien sûr !
M. Philippe Richert,
rapporteur.
On peut d'ores et déjà s'y préparer afin que cette
restitution se déroule dans les meilleures conditions. Qu'on ne vienne pas me
dire que l'opération nécessite un délai de six mois !
Il est un argument maintenant avancé selon lequel il conviendrait de se
référer à la loi de 1994 sur la bioéthique pour traiter aujourd'hui de
questions relatives à une personne décédée voilà plus d'un siècle ou, demain,
aux momies égyptiennes, voire aux ossements d'un homme préhistorique. Mais, ce
qui me paraît important, c'est de mettre tout en oeuvre pour que les restes du
corps de Saartjie Baartman puissent être restitués, demain, à l'Afrique du Sud.
A cette fin, je vous propose de déclasser tout simplement ses organes et les
restes humains qui se trouvent aujourd'hui au musée de l'Homme.
Mais au-delà, je tiens à vous faire part, monsieur le ministre, de mon
souhait, de ma demande, de mon exigence de voir rapidement s'engager une
réflexion sur le statut de ces collections. En effet, les restes de Saartjie
Baartman ne sont pas les seuls à faire l'objet d'une demande de restitution.
Ainsi, l'assemblée nationale de l'Uruguay a demandé officiellement le retour
dans ce pays d'un chef de tribu.
La question mérite aujourd'hui que les scientifiques français et les
responsables des musées réfléchissent rapidement à ces questions, au statut de
ces collections, et nous proposent des solutions afin qu'il n'y ait pas
d'autres Saartjie Baartman et que nous n'ayons pas à nouveau l'occasion, dans
cette enceinte, de nous indigner d'un traitement tel que celui qui a été
réservé à Saartjie Baartman.
Telles sont toutes les raisons pour lesquelles je vous demande, mes chers
collègues, de rejeter l'amendement n° 1 proposé par le Gouvernement et de vous
en tenir au texte adopté à l'unanimité par la commission.
M. Roger-Gérard Schwartzenberg,
ministre de la recherche.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Roger-Gérard Schwartzenberg,
ministre de la recherche.
Mon propos ne portera pas particulièrement sur
l'amendement n° 2, dont la rédaction est très proche de celle qui a été adoptée
par la commission, à l'exception de la notion de garde, qui paraît plus exacte
sur le plan juridique.
Je souhaite plutôt répondre à M. le rapporteur. Monsieur Richert, le
Gouvernement aborde cette question avec une volonté totale de transparence et
de vérité. C'est ce que je n'ai cessé de faire, pour ma part, notamment à
l'occasion de cette séance.
Ce que j'ai indiqué sur la présence des trois pièces dont on nous disait dans
le passé qu'elles avaient disparu m'a été confirmé très récemment : en fait,
les pièces relatives à l'encéphale de Saartjie Baartman, à ses organes génitaux
et au moulage de ceux-ci ont été inscrites depuis peu à l'inventaire du musée
de l'Homme et du Muséum national d'histoire naturelle, puisqu'elles ont été
enregistrées respectivement en 1974, 1986 et 2000. Il avait été longtemps
indiqué que les deux premières de ces trois pièces avaient disparu, et il
n'avait jamais été fait mention du moulage en cire.
C'est pourquoi je demande au nouveau président du Muséum national d'histoire
naturelle, M. Bernard Chevassus, nommé tout récemment, de faire ouvrir les
archives du musée de l'Homme afin que de tels dysfonctionnements ne se
reproduisent pas.
En guise de réflexion plus générale, je dirai que la création d'un nouveau
musée - le musée des Arts premiers - a été décidée par les pouvoirs publics,
musée où sera transférée une partie des collections d'ethnologie du musée de
l'Homme. Celles-ci pourront ainsi être stockées et enregistrées dans de très
bonnes conditions techniques. Une autre partie de ces collections sera
transférée vers le musée de l'Europe et de la Méditerranée qui sera ouvert à
Marseille.
Nous agissons donc contre les problèmes actuels ou éventuels que vous citiez
tout à l'heure.
Pour conclure, sachez, monsieur le président de la commission, monsieur le
rapporteur, que le Gouvernement est tout à fait déterminé sur ce sujet. Il ne
cherche pas du tout à dissimuler la responsabilité de ce qui a pu se passer
dans les décennies précédentes. Il ne cherche pas non plus à dissimuler le fait
que ces pourparlers, engagés en 1996 sous un autre gouvernement, n'ont pas
abouti assez rapidement. Ces pourparlers avaient été engagés entre le
professeur Henri de Lumley, qui dirigeait alors le Muséum national d'histoire
naturelle, et le professeur sud-africain Philip Tobias.
En tout cas, conformément au souhait exprimé par l'auteur de cette proposition
de loi, ce gouvernement a la volonté très ferme de rendre sa pleine dignité à
Saartjie Baartman en assurant, dans les meilleurs délais possible, le transfert
des restes de sa dépouille mortelle en Afrique du Sud.
C'est un acte de justice et de paix ; c'est un acte qu'il est indispensable
d'accomplir pour que le Sénat, le Gouvernement et l'Assemblée nationale
expriment leur compassion quant au sort extrêmement malheureux et indigne qu'a
connu Saartjie Baartman tant vivante que morte.
Il importe de mettre fin à une situation qui a été marquée par des dérives
inacceptables qui ont été la marque d'une certaine époque, laquelle s'est
d'ailleurs terminée assez récemment, la fin de l'exposition du moulage ne
datant que de 1976. Fort heureusement, la conscience collective de notre pays,
comme celle d'autres pays, a évolué depuis, et nous jugeons maintenant
légitimement intolérables des comportements qui ont pu exister au cours des
décennies précédentes, dont certaines ne sont pas si lointaines.
Le Gouvernement a le souci de ne rien dissimuler, de ne rien nier et de tout
faire pour rendre aux restes de Saartjie Baartman toute leur dignité.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2.
M. Nicolas About.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. About.
M. Nicolas About.
Si je considérais simplement que l'essentiel est, quelle que soit la façon d'y
parvenir, et même en cachant certaines choses, la restitution des restes de
Saartjie Baartman, je serais tenté, mes chers collègues, de vous inciter à
donner satisfaction à M. le ministre en adoptant l'amendement n° 2 : cette
proposition de loi devant être examinée demain par l'Assemblée nationale, nous
pourrions ainsi espérer obtenir de la part de cette dernière un vote conforme.
Mais cela paraît un peu pitoyable ! Nous accomplissons un acte de dignité, et
nous ne devons pas le faire à la sauvette, en cachette.
Vous avez dit tout à l'heure à la tribune, monsieur le ministre, qu'une loi
n'était pas nécessaire.
M. Roger-Gérard Schwartzenberg,
ministre de la recherche.
Effectivement !
M. Nicolas About.
Si une loi n'est pas nécessaire, pourquoi le Gouvernement veut-il amender les
conclusions de la commission ?
M. Alain Gournac.
Ah oui !
M. Philippe Richert,
rapporteur.
Bien sûr !
M. Nicolas About.
Par ailleurs, nous avons besoin de rendre à Saartjie Baartman sa dignité ;
nous avons besoin de faire un geste non pas pour nous déculpabiliser - nous ne
sommes en effet pas responsables de ce qui s'est passé à cette époque ! - mais
pour reconnaître les choses et aider ainsi un peu ce peuple à retrouver sa
dignité.
M. le ministre considère que la notion de restitution implique une possession
antérieure et ne saurait être appliquée à des restes humains. Mais enfin, qui a
donné l'ordre d'aller autopsier, contre la loi en vigueur alors, Mme Saartjie
Baartman au Muséum national d'histoire naturelle ?
A l'époque, c'était interdit, puisque la graisse des personnes autopsiées
servait à fabriquer des cierges et que, petit à petit, on avait empêché d'aller
autopsier des dépouilles n'importe où. Il faut dire tout ce que l'on savait de
l'époque !
Nous savons bien que c'est sur décision française que Mme Saartjie Baartman a
été autopsiée dans l'intérêt des scientifiques !
Je ne souhaite pas parler de tout cela, parce que cela ne sert à rien. Mais
nous avons un texte de principe, M. le rapporteur, qui a fait un excellent
travail, nous proposant une solution qui, personnellement, me donne entière
satisfaction.
Mon texte était mauvais puisqu'il répondait à une réponse erronée du
secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle. Ce dernier
m'avait en effet induit en erreur en me disant qu'une loi était nécessaire ;
j'ai donc déposé une proposition de loi. Finalement, une loi n'est pas
nécessaire et, aujourd'hui, le texte proposé par la commission est meilleur. Il
prend acte de la situation et de la nécessité d'une restitution. Mais, monsieur
le ministre, ne nous dites pas qu'il faut amender le texte pour trouver la
forme juridique la plus appropriée. Non, car, en fait, c'est une forme
diplomatique que vous nous proposez !
M. Alain Gournac.
Voilà !
M. Nicolas About.
Je pense, quant à moi, que, malheureusement, le temps n'est plus à la
diplomatie.
M. Alain Gournac.
Absolument !
M. Philippe Richert,
rapporteur.
Très bien !
M. Roger-Gérard Schwartzenberg,
ministre de la recherche.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Roger-Gérard Schwartzenberg,
ministre de la recherche.
M. About a avancé un premier argument
consistant à dire que, s'il n'est pas nécessaire de voter une proposition de
loi, le Gouvernement n'a pas besoin de proposer qu'on l'amende. Qu'il me
permette de dire que je reconnais là son habileté ! Mais le Gouvernement a bien
voulu accepter, dans le cadre de l'ordre du jour habituel, l'examen de cette
proposition de loi...
M. Nicolas About.
Je le reconnais, et je l'en remercie !
M. Roger-Gérard Schwartzenberg,
ministre de la recherche.
... tout en sachant qu'elle n'était
juridiquement pas nécessaire. Cependant, soucieux de ne pas se lancer dans un
processus juridique un peu aléatoire, il estime, une fois admis le principe de
la proposition de loi, qu'il ne serait pas mauvais que le texte soit rédigé
d'une manière plus conforme à la réalité.
Le texte proposé par la commission et l'amendement du Gouvernement sont, au
fond, assez proches l'un de l'autre, et je ne me battrai pas sur ce point. Il
n'est nullement dans l'intention du Gouvernement français - vous avez entendu
l'intervention que j'ai faite au nom du Gouvernement - de dissimuler quelque
fait que ce soit du passé. Que l'on parle ou non de restitution ne change donc
strictement rien au problème.
Je crois avoir exposé la position du Gouvernement sur ce sujet,...
M. Nicolas About.
Je vous en donne acte.
M. Roger-Gérard Schwartzenberg,
ministre de la recherche.
... et ce n'est pas un terme de plus ou de
moins dans un alinéa ou dans un intitulé qui changera les choses !
Cependant, monsieur About, la logique aurait pu vous pousser à considérer que,
puisqu'une loi n'était pas nécessaire, il n'était pas utile de déposer une
proposition de loi, laissant au Gouvernement le soin d'agir, ce qu'il n'aurait
pas manqué de faire.
Je remarque que la réponse qui vous a été faite antérieurement ne coïncide pas
exactement avec la mienne. C'est sans doute que ces problèmes juridiques sont
un peu complexes et que l'ensemble du contexte juridique n'avait pas été
totalement embrassé du premier coup d'oeil.
M. Nicolas About.
Merci, monsieur le ministre.
M. le président.
Permettez-moi simplement de vous faire remarquer, monsieur le ministre, que
cette proposition de loi a été inscrite dans le cadre de l'ordre du jour
réservé du Sénat.
M. Philippe Richert,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Richert,
rapporteur.
Je vous remercie de reconnaître, monsieur le ministre, qu'il
est temps d'arrêter de discuter. Il vaut mieux, en effet, que nous votions le
texte tel qu'il est proposé.
Sur un sujet aussi grave, il était bon que nous nous retrouvions et que nous
ne perdions pas de vue l'intérêt de notre pays et la dignité de l'homme.
Permettez-moi maintenant, monsieur le ministre, de revenir sur un aspect de
votre propos : vous nous avez expliqué tout à l'heure que les pièces
anatomiques faisaient partie des collections et que la dernière avait été
inscrite à l'inventaire en 2000. J'aimerais savoir où elles étaient auparavant.
Je me pose vraiment des questions à ce sujet.
En fait, ce que je demande, c'est qu'une réflexion soit engagée sur ces
questions d'inventaires ainsi que sur le statut de ces collections et de ces
pièces de telle sorte que, demain, nous ne nous retrouvions pas devant une
situation identique. Je vous ai déjà posé cette question mais je n'ai pas
obtenu de réponse.
M. Roger-Gérard Schwartzenberg,
ministre de la recherche.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Roger-Gérard Schwartzenberg,
ministre de la recherche.
Monsieur le rapporteur, vous me posez une
question à laquelle j'ai répondu par avance.
En effet, comme je l'ai rappelé, la superficie du musée de l'Homme n'est pas
assez grande pour que les collections y soient classées avec tout le soin dont
elles devraient être l'objet. C'est notamment pour cette raison qu'il a été
proposé que les collections d'ethnologie, celles du musée de l'Homme en
particulier, soient dirigées vers deux autres musées : d'une part, le musée des
Arts premiers créé sur l'initiative du Président de la République, avec
l'accord du Gouvernement - une large partie des collections d'ethnologie du
musée de l'Homme pourront y être stockées et inventoriées aux normes - et,
d'autre part, le musée de l'Europe et de la Méditerranée.
Je ne crois pas qu'on puisse incriminer un quelconque dysfonctionnement
matériel.
J'ai le sentiment que, pendant toute une période qui ne correspond d'ailleurs
pas à des dates précises - il serait évidemment absurde de croire qu'il y a eu
une césure entre telle majorité et telle opposition - une certaine réserve a
empêché la vérité de s'affirmer, d'éclater complètement, réserve qui était
complètement inutile parce que la vérité doit toujours prévaloir.
Rien ne peut remplacer la vérité ; j'ai donc souhaité qu'elle soit
formellement établie. Elle l'est aujourd'hui, et c'est donc l'ensemble des
pièces qui sera restitué.
M. le président.
Monsieur le ministre, irez-vous jusqu'à retirer votre amendement ?
M. Ivan Renar.
Ce serait mieux !
M. Alain Gournac.
C'est vrai !
M. Roger-Gérard Schwartzenberg,
ministre de la recherche.
Je retire très volontiers cet amendement
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen, ainsi que sur celles du RPR et des Républicains et
Indépendants)...
MM. Alain Gournac et Bernard Fournier.
Très bien !
M. Roger-Gérard Schwartzenberg,
ministre de la recherche.
... qui visait non à modifier de façon décisive
le texte initial, mais à privilégier l'aspect juridique. Ce dernier ne saurait
cependant être toujours prédominant, surtout s'agissant d'une proposition de
loi dont chacun s'accorde à reconnaître qu'elle était politiquement et
moralement indispensable, quand bien même elle était inutile sur le strict plan
juridique.
Mme Hélène Luc.
Nous apprécions votre geste, monsieur le ministre.
M. le président.
L'amendement n° 2 est retiré.
Je vais mettre aux voix l'article unique du projet de loi.
M. Ivan Renar.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar.
Je n'avais pas l'intention d'intervenir. Cependant, depuis le début de ce
débat, nous sommes tous partagés entre l'émotion, l'indignation et une espèce
de honte pour notre pays quant au sort qui a été réservé à cette pauvre femme,
et, en cet instant, monsieur le ministre, je voudrais vous remercier pour votre
attitude digne.
M. Nicolas About.
C'est vrai ! Très bien !
M. Ivan Renar.
En effet, votre tâche n'était pas facile, vous avez répondu à toutes les
questions, et vous venez de retirer votre amendement.
Je ne veux ni en « rajouter » sur cette histoire horrible ni épiloguer sur
l'horreur en général, mais ce texte nous invite à nous remémorer les temps
détestables des expositions coloniales, où l'on exposait des êtres humains
présentés comme des sous-hommes,...
M. Roger-Gérard Schwartzenberg,
ministre de la recherche.
Bien sûr...
M. Ivan Renar.
... vous l'avez dit, monsieur le ministre, comme les temps détestables où les
savants nazis se livraient à des expériences dans les camps de la mort.
Il reste à savoir pourquoi cette restitution n'a pas été opérée plus tôt,
surtout si une loi n'était pas nécessaire. Tous les gouvernements qui se sont
succédé ont leur part de responsabilité.
Aujourd'hui, disons-le franchement, le minimum qu'on puisse faire pour notre
honneur, c'est de donner à Saartjie Baartman une sépulture digne, chez elle, en
Afrique du Sud.
En tout cas, je remercie M. About et M. le rapporteur de cette proposition de
loi morale, qui rend justice à tous les opprimés, à commencer par les femmes.
Elle rend sa dignité à Saartjie Baartman, au peuple noir, martyrisé depuis le
commerce des esclaves.
Bien entendu, avec mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen,
je la voterai. Au moins, aujourd'hui, nous aurons chanté la Marseillaise pour
toute l'humanité !
(Applaudissements.)
M. Robert Del Picchia.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Del Picchia.
M. Robert Del Picchia.
Je me garderai de toute référence scientifique, éthique, historique, voire
politique, les orateurs précédents étant intervenus à cet égard bien mieux que
je ne saurais le faire.
Les choses sont claires aujourd'hui : il est indéniable que les autorités
sud-africaines souhaitent cette restitution de la dépouille de Saartjie
Baartman. Tout le monde est d'accord sur ce point.
Mais de quoi s'agit-il exactement ? De déclasser les restes de la « Vénus
hottentote » et de les remettre à l'Afrique du Sud. Encore faut-il, comme l'ont
dit M. le rapporteur et M. About, que cela se fasse dans la plus grande dignité
car il s'agit non d'un objet mais d'une personne humaine.
Qu'il me soit permis, à cette occasion, de faire une suggestion. Monsieur le
ministre, la France ne pourrait-elle, lors de cette restitution, de ce
transfert - si vous préférez ce terme - ouvrir avec l'Afrique du Sud un
programme de coopération culturelle dans le domaine de l'art rupestre ? Je
crois que nous pouvons faire ce geste.
En tout cas, la France doit assumer ses responsabilités et faire en sorte que
les dispositions nécessaires soient prises pour que Saartjie Baartman retrouve
tout simplement sa terre natale.
Notre groupe, bien évidemment, ne peut qu'approuver cette proposition de loi.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Serge Lagauche.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
La proposition de loi qui nous retient cet après-midi nous place dans une
situation quelque peu curieuse.
D'abord, le propos n'est pas banal ; ensuite, contrairement à ce que prétend
son auteur, le sujet n'est pas d'une urgence absolue ; enfin, nous légiférons
dans une matière où il n'est pas nécessaire de le faire !
La pitoyable existence de Saartjie Baartman nous replonge tout à la fois dans
le mythe du « bon sauvage » et dans notre passé de colonisateurs maltraitant
les races jugées comme inférieures et riant des différences.
L'histoire de la « Vénus hottentote » n'est pas sans rappeler celle
d'
Elephant Man.
Nombre de malentendus actuels trouvent leur origine dans
le comportement des sociétés dominatrices de l'époque.
Aussi, je rejoins l'auteur de la proposition de loi dans son souhait de ne pas
nourrir de contentieux supplémentaires avec des Etats dont les ethnies
d'origine ont subi la politique néfaste des nations colonisatrices au xixe
siècle.
Si l'Afrique du Sud le souhaite, il faut rendre les restes de Saartjie
Baartman à cet Etat, qui fut sa terre d'origine. Puisse ce geste racheter la
France - en partie seulement et à titre posthume - pour le sort subi sur son
territoire par la défunte ! Rapatrions le corps de Saartjie Baartman, pour
satifaire la dignité d'un être décédé sur le sol français !
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe socialiste votera la
proposition de loi de notre collègue Nicolas About.
M. Nicolas About.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. About.
M. Nicolas About.
Je souhaiterais simplement que, en votant ce texte, nous ayons aussi le
sentiment de contribuer non seulement au retour chez elle de Saartjie Baartman,
mais aussi à celui de plusieurs dizaines de Bushmen et de Khoisan qui ont été,
comme elle, montrés à travers l'Europe, prostitués et utilisés comme des objets
de spectacle ou des bêtes de foire. Que tous ces êtres qui ont souffert comme
elle et qui sont morts dans l'Europe du xixe siècle l'accompagnent dans son
retour sur sa terre natale !
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Roger-Gérard Schwartzenberg,
ministre de la recherche.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Roger-Gérard Schwartzenberg,
ministre de la recherche.
Je souhaite apporter quelques précisions après
les différentes interventions, que j'ai écoutées avec attention.
Monsieur Del Picchia, la France a déjà mis en place un programme de
coopération en matière d'anthoprologie avec la National Research Foundation.
Bien entendu, nous sommes prêts à développer une coopération culturelle avec
l'Afrique du Sud sur la culture du peuple San ; c'est déjà envisagé par notre
ambassade.
Monsieur Renar, vous vous êtes demandé pourquoi le retour de la dépouille
mortelle de Saartjie Baartman n'était pas intervenu plus tôt.
Mais, monsieur le sénateur, il était difficile d'envisager ce retour avant que
l'Afrique du Sud ne fût elle-même libérée de l'apartheid ! Hélas ! pendant très
longtemps, l'Afrique du Sud ne crut pas à l'égalité des races.
Depuis que la demande de retour a été formulée, à l'occasion d'abord de la
visite du président Mitterrand, puis de celle de Jacques Godfrain, des
pourparlers ont eu lieu. Certes, ils ont duré trop longtemps,...
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Roger-Gérard Schwartzenberg,
ministre de la recherche.
... je le dis très franchement et très
sincèrement, mais nous sommes là, aujourd'hui, pour prendre la décision, claire
et définitive, du retour des restes de Saartjie Baartman, qui pourra ainsi
reposer dans une sépulture en Afrique du Sud.
M. le président.
Je mets aux voix l'article unique de la proposition de loi.
(L'article unique est adopté.)
M. le président.
Je constate que l'article unique a été adopté à l'unanimité.
(Applaudissements.)
Intitulé