SEANCE DU 31 JANVIER 2002
M. le président.
Mes chers collègues, je vous rappelle qu'avant la suspension de ce matin Mme
Demessine a rectifié son sous-amendement n° 422. La commission des affaires
sociales ayant rectifié son amendement n° 15, il me semble, monsieur
Dreyfus-Schmidt, que votre sous-amendement n° 424 devient sans objet.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je le retire, monsieur le président.
M. le président.
Le sous-amendement n° 424 est retiré.
Il n'en est pas de même du sous-amendement n° 422 rectifié, bien qu'il soit,
sur le fond, satisfait par l'amendement n° 15 rectifié de la commission des
affaires sociales.
Maintenez-vous ce sous-amendement, madame Demessine ?
Mme Michelle Demessine.
Monsieur le président, à ce stade du débat, je veux faire une proposition sur
la base de l'amendement n° 15 rectifié de la commission des affaires sociales,
qui intègre en partie le sous-amendement que j'avais proposé.
Ce matin, chacun a pu mesurer la complexité du débat sur la jurisprudence
Perruche. La suspension de séance a, je crois, été profitable à tous pour
prendre la mesure des propositions qui ont été faites et de leurs
implications.
Il nous semble important de rappeler les enjeux du débat et nos objectifs.
Si le législateur intervient aujourd'hui, ce doit être pour réaffirmer
clairement que le fait de naître handicapé ne constitue pas en soi un préjudice
et que le handicap relève avant tout de la solidarité nationale, car c'est la
question du rapport de la société à elle-même, de son rapport à la différence,
qui est en jeu.
Dès lors que l'on réaffirme ces principes et qu'on leur donne une réelle
consistance, on réintègre de fait la responsabilité dans son champ naturel
d'application et le juge dans son rôle, celui de réparer le préjudice.
De quel préjudice s'agit-il en réalité ? C'est là que tout se joue. Il s'agit
du préjudice des parents qui n'ont pu, à la suite d'une faute du médecin,
bénéficier des éléments d'information leur permettant d'exercer en pleine
conscience le libre choix de poursuivre ou non la grossesse.
Il est donc pour nous impératif de bien signifier qu'il s'agit du préjudice «
personnel » des parents ou « de leur seul préjudice », pour reprendre la
formulation de la commission des affaires sociales.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, à défaut de préciser qu'il s'agit strictement du
préjudice des parents, vous laissez subsister toute l'ambiguïté quant à
l'étendue et à la consistance du dommage réparable.
Ne retombe-t-on pas, finalement, dans le travers du texte de l'Assemblée
nationale et de l'amendement de la commission des lois qui, en englobant dans
le champ de la réparation les « charges particulières découlant tout au long de
la vie du handicap », conduisent inévitablement, par ricochet, à indemniser
l'enfant et à réparer le handicap lui-même ?
M. Jean Chérioux.
Absolument !
Mme Michelle Demessine.
Avec votre rédaction, nous n'aurons pas avancé, puisque, en fin de compte, le
juge pourra très bien en rester à la jurisprudence Quarez.
M. Jean Chérioux.
Tout à fait !
Mme Michelle Demessine.
De toutes les rédactions proposées, celle de la commission des affaires
sociales nous paraît préférable.
Toutefois, après réflexion, et au vu de mes précédentes remarques, je pense
que la dernière phrase du troisième alinéa, parce qu'elle tente de définir
négativement ce que couvre l'indemnité réparatrice, altère la portée des
principes posés. Elle entretient la confusion sur le destinataire de cette
réparation - les parents ou l'enfant ? - et, finalement, de son titulaire.
Nous vous proposons donc de modifier le sous-amendement n° 422 rectifié pour
supprimer la dernière phrase : « Ce préjudice ne saurait inclure les charges
particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap,
dont la compensation est assumée par la solidarité nationale ». Nous souhaitons
nous en tenir à la référence au seul préjudice.
Cette rectification nous paraît d'autant plus opportune que le paragraphe II
du texte de la commission des affaires sociales pose avec force le principe que
« toute personne handicapée a droit, quelle que soit la cause de sa déficience,
à la solidarité nationale de l'ensemble de la collectivité nationale ».
Sur cette base, nous pourrions nous mettre d'accord. A défaut, il me serait
difficile de me prononcer, la question dépassant largement, nous le savons
bien, le cadre du présent texte. Je vous renvoie à cet égard à l'intervention
que j'ai faite à l'occasion de la discussion générale. Nous choisirions alors
de nous abstenir et nous attendrions la commission mixte paritaire pour décider
de la meilleure rédaction à retenir.
M. le président.
Je suis donc saisi d'un sous-amendement n° 422 rectifié
bis
, présenté
par Mme Demessine et les membres du groupe communiste républicain et citoyen,
et ainsi libellé :
« Après les mots : "qu'au titre de leur", rédiger comme suit la fin du
troisième alinéa du texte proposé par le I de l'amendement n° 15 : "seul
préjudice."
Je suis également saisi d'un sous-amendement n° 426, présenté par M. Fauchon,
au nom de la commission des lois, et ainsi libellé :
« Dans la seconde phrase du troisième alinéa de l'amendement n° 15 rectifié,
après les mots : "de ce handicap", insérer le mot : "et". »
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration
générale.
Ce sous-amendement, limité à une simple conjonction de
coordination, vise un problème complexe.
Monsieur le ministre, il faut, nous avez-vous dit hier soir, savoir faire
avancer le droit.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Oui !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
Je souscris à cette déclaration.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Merci !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
Personnellement, je crois avoir fait avancer le
droit dans certains domaines assez substantiels.
Il faut toutefois faire attention car le droit se compose de principes
fondamentaux et de règles qui ont pour objet de les mettre en oeuvre.
Les règles sont définies par le législateur, qui peut les adapter aux
circonstances du moment et aux conditions dans lesquelles nous vivons, sans
pour autant aller à l'encontre des principes fondamentaux. Cette marge de
manoeuvre est, en quelque sorte, le champ dans lequel nous avons le droit et le
devoir de travailler.
En revanche, s'agissant des principes, dont le Conseil constitutionnel a
reconnu le caractère fondamental, le législateur ne peut y porter la main
qu'avec une extrême prudence !
Parmi ces principes figure le droit des contrats. La signature d'un contrat
donne droit à une prestation correcte. Si elle ne l'est pas et,
a
priori,
si elle est affectée d'une faute lourde - dans le cadre du droit
commun, on se contente de n'importe quelle faute - on peut demander la
réparation du préjudice. Il est aussi de règle que la réparation couvre tous
les aspects du préjudice.
Monsieur le ministre, puisque, dans cette enceinte, on se plaît à faire
allusion à l'avocat général M. Sainte-Rose, qui est opposé à l'arrêt Perruche,
permettez-moi de le citer : « Il serait peut-être plus simple de revenir au
code civil dans un de ses articles clés, l'article 203, qui concerne
l'obligation pour les parents de faire vivre leurs enfants. Or le handicap de
leur enfant leur fait subir un préjudice dont ils doivent pouvoir obtenir
réparation. Il s'agit non pas seulement du préjudice moral, souvent seul
invoqué et que les tribunaux réparent parfois de façon symbolique, mais du
préjudice matériel qu'ils éprouvent à assurer l'entretien de l'enfant
handicapé. »
A partir de ce principe fondamental, pour tenir compte du caractère
particulièrement difficile du métier d'échographiste, de la difficulté qu'il y
a à l'assurer notamment, nous avons adopté un certain nombre de règles, qui
sont des aménagements au-deà desquels nous ne pouvons pas aller sans porter
atteinte au principe lui-même !
Monsieur le président, pour que nos collègues soient tout à fait éclairés, je
vais donner lecture du troisième alinéa de l'amendement n° 15 rectifié que je
suggère de sous-amender : « Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou
d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né
avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute
caractérisée » - je continue de préférer la faute lourde pour mieux protéger
les professionnels - « les parents peuvent demander une indemnité au titre de
leur seul préjudice. »
Il est ensuite précisé : « Ce préjudice ne saurait inclure les charges
particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap,
dont la compensation est assumée par la solidarité nationale ». En proposant de
supprimer cette phrase, Mme Demessine fait preuve de sagesse, me
semble-t-il.
Mme Michelle Demessine.
Nous l'avons toujours dit, pas vous !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
Ah, madame, je n'ai pas le temps de vous faire tous
les compliments que je souhaiterais !
(Sourires.)
Il faut dire clairement : « Ce préjudice ne saurait inclure les charges
particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap
"et" dont la compensation du préjudice est assumée par la solidarité nationale
». Il faut s'assurer que la compensation est effectivement assurée par la
solidarité nationale ! Je crois d'ailleurs que cette rédaction émanait, à
l'origine, du président de mon groupe. Elle a ensuite été modifiée, mais dans
son esprit - peut-être le dira-t-il tout à l'heure - il était bien évident que
c'était le préjudice qui était effectivement compensé par la solidarité
nationale.
C'est pourquoi j'ai présenté ce sous-amendement, qui ne fait vraiment pas de
mal,...
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Mais il est lourd de
conséquence !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
Non, il apporte une clarification ! Il vaut mieux
ne pas mettre les tribunaux dans la situation d'avoir à s'interroger pendant de
nombreuses années sur le sens des mesures qui auront été adoptées pour établir
une jurisprudence, alors que, finalement, la Cour de cassation se prononcera en
faveur des victimes. Vous savez bien que cela finit toujours ainsi ! Autant
faciliter le travail des juridictions afin d'éviter aux pauvres victimes des
décisions contradictoires entre les hautes juridictions, les moyennes
juridictions et les premières juridictions.
Je propose donc, je le répète, d'ajouter le mot « et » à l'amendement de la
commission des affaires sociales. En réalité, j'ose le dire, j'ai une grande
préférence pour l'amendement n° 250 de la commission des lois. Mais il est
souhaitable que le Sénat aboutisse à un accord sur cette affaire en vue de la
CMP : il est en effet préférable que puisse être présenté un texte ayant
recueilli l'accord des deux commissions.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Nous sommes revenus au
point de départ ; j'allais même dire que nous avons reculé.
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
La commission des
affaires sociales a accompli un travail très difficile : avant de parvenir à un
accord unanime, j'y insiste, elle a pesé le pour et le contre, elle a étudié la
situation des handicapés, etc.
Lorsque j'ai indiqué que je serais susceptible d'adapter ce texte, certains
collègues - et pas seulement de chez nous - m'ont fait quasiment promettre que
je n'accepterai aucun compromis et que je respecterai la position de la
commission des affaires sociales.
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Par conséquent, nul,
ici, sur ce banc, n'est autorisé à modifier la position de la commission des
affaires sociales.
Aujourd'hui, pour des raisons que je ne veux pas essayer d'expliquer, les uns
ou les autres peuvent être amenés à changer d'avis, non pas forcément de leur
seule autorité, me semble-t-il, mais parce que d'autres enjeux, en particulier
politiques, les conduisent, peut-être même contre leur volonté, à s'exprimer
sur un sujet aussi sensible.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ce sont des incapables majeurs ?
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Pas du tout, mais je
sais de quoi je parle !
J'ai le sentiment que le Sénat a un rôle important à jouer. Nous ne sommes pas
en commission mixte paritaire, et la commission des affaires sociales se doit
d'émettre un avis, au moins sur les affaires sociales. Il est vrai que nous
attendions de nos juristes qu'ils essaient de traduire le mieux possible la
position de la commission des affaires sociales, qui était saisie sur le
fond.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Par hasard !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Effectivement, mais
quoi de plus naturel lorsqu'on parle de handicap ? La commission des affaires
sociale est donc saisie au fond sur ce texte.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
Formellement, mais pas au fond du fond !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Si, au fond du fond !
Vous voyez comment, lorsqu'on fait preuve de juridisme, on peut arriver au fond
du fond !
(M. Gournac s'exclame.)
Les deux sous-amendements qui nous sont proposés, malgré des aspects
extrêmement anodins - on propose, par exemple, de rajouter le mot « et » -
renversent complètement la logique. Je me souviens de bagarres illustres pour
des virgules ! Le mot « et » ramène, en effet, aux charges liées au handicap de
l'enfant, et dont la compensation ne serait pas assurée par la solidarité
nationale.
De même, dans la rédaction proposée par Mme Demessine, on abandonne totalement
la limite que nous posions quant au handicap de l'enfant : si vous adoptiez ces
mesures, vous marqueriez très clairement le fait que, par son handicap,
l'enfant représente un préjudice.
Nous avons exprimé très solennellement cette position au sein de la
commission. C'est pourquoi, si les sous-amendements étaient maintenus, je
demanderais une suspension de séance pour réunir la commission.
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Franck Giraud,
rapporteur.
Comme le président de la commission vient de le rappeler, la
position a été prise à l'unanimité. Le rapporteur ne peut donc qu'exprimer
l'avis de la commission.
M. le président.
Monsieur Fauchon, le sous-amendement n° 426 est-il maintenu ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
Tout à fait ! Il va dans le sens du consensus et,
si j'ose dire, à peu de frais.
M. le président.
Madame Demessine, le sous-amendement n° 422 rectifié
bis
est-il
maintenu ?
Mme Michelle Demessine.
Je le maintiens, monsieur le président. Il s'agit, en effet, d'une position
raisonnable. Il faut pouvoir sortir de notre débat la tête haute et trouver une
solution.
Ce n'est plus le texte de l'Assemblée nationale, ce qui est très important.
Par conséquent, nous faisons un pas vers nos collègues pour pouvoir trouver la
solution la plus honorable possible lors de la réunion de la CMP.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur ces deux sous-amendements ?
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
A l'évidence, le Gouvernement serait très heureux que
le Sénat aboutisse à un accord, je l'ai indiqué à plusieurs reprises, mais il
ne tient pas du tout à prendre la place, comme je l'ai entendu dire par le
président de la commission des affaires sociales, de la commission mixte
paritaire.
M. Francis Girard,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Comme le président de la commission vient de le rappeler, la
position a été prise à l'unanimité. Le rapporteur ne peut donc qu'exprimer
l'avis de la commission.
Le Gouvernement n'a aucune arrière-pensée quant aux positions qu'il
souhaiterait vous voir adopter. Il est vrai que, compte tenu du travail
accompli par le Sénat, j'aspire à un accord. C'est pourquoi, comme je l'ai
indiqué à plusieurs reprises hier et ce matin, je suis favorable au
sous-amendement n° 422 rectifié de Mme Demessine. Indiquer, comme dans ce
sous-amendement : « les charges particulières découlant, tout au long de la vie
de l'enfant, de ce handicap, sont assumées par la solidarité nationale » ou,
comme dans l'amendement n° 15 rectifié : « toute personne handicapée a droit,
quelle que soit la cause de la déficience, à la solidarité de l'ensemble de la
collectivité nationale » revient au même. Ou alors, je ne comprends rien, ce
qui est fort possible !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Alors, pourquoi
rejetez-vous l'amendement n° 15 rectifié de la commission ?
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Je ne le rejette pas ! J'étais et suis encore favorable
à cet amendement, même si son troisième alinéa se termine par les mots : « seul
préjudice ».
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Dans ces conditions,
votons-le !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Soyons très clairs : je suis favorable à l'amendement
de la commission, modifié par le sous-amendement de Mme Demessine.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Vous le videz de sa
substance !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Non !
M. le président.
Les deux sous-amendements étant maintenus, il va être fait droit à la demande
de suspension de séance formulée par le président de la commission des affaires
sociales.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à dix-sept heures
dix.)