SEANCE DU 14 FEVRIER 2002
M. le président.
L'amendement n° 17 rectifié
ter
, présenté par MM. Darniche,
Durand-Chastel, Seillier et Revol, Mmes Olin et Desmarescaux, MM. Dulait, Türk,
César, Moinard, Gournac, Pelchat, Vasselle et Fournier, est ainsi libellé :
« Compléter le texte proposé par le IV de l'article 4 pour l'article 373-2-6
du code civil par deux alinéas ainsi rédigés :
« Si l'intérêt et la sécurité de l'enfant le commandent ou lorsqu'il existe un
réel risque de déplacement illicite de l'enfant mineur, le juge peut, d'office
ou à la demande d'un des parents, prononcer une interdiction de sortie du
territoire pour l'enfant mineur.
« Cette interdiction est inscrite sur le passeport des parents du mineur,
transmise aux services compétents et portée aux fichiers des organismes
nationaux, internationaux et européens de personnes disparues ou recherchées.
»
La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche.
Cet amendement tend à renforcer l'interdiction de sortie du territoire pour
l'enfant mineur.
Le juge du tribunal de grande instance délégué aux affaires familiales règle
les questions qui lui sont soumises dans le cadre du chapitre relatif à
l'autorité parentale. Sa mission consiste, en particulier, à « veiller
spécialement à la sauvegarde des intérêts des enfants mineurs ».
Cette sécurité, qui est impérative pour l'intérêt de l'enfant, passe par
l'application, dans certains cas, de l'interdiction de sortie du territoire.
Cette mesure judiciaire doit devenir un véritable outil de prévention du
déplacement illicite ou de l'enlèvement pur et simple de l'enfant mineur par un
des parents « rapteurs ».
Il est du devoir du législateur de donner la possibilité non seulement au juge
aux affaires familiales, mais également aux parents concernés, de recourir à ce
dispositif judiciaire préventif. En cas de danger pour l'enfant, de fuite
possible d'un des deux parents vers l'étranger, avant ou pendant la procédure
de séparation ou de divorce, l'interdiction de sortie du territoire doit
s'affirmer comme un véritable « outil » à la disposition des parents et du
juge, pour sauvegarder les intérêts et défendre la sécurité physique de
l'enfant mineur.
En effet, la réalité dramatique des situations d'enlèvements parentaux
d'enfants vers l'étranger démontre bien que, tous les jours, des sorties
illicites de mineurs hors de l'espace Schengen sont organisées par l'un des
parents et sans l'autorisation de l'autre. Ainsi, des enfants en bas âge ont
été enlevés, soit par le père, soit par la mère, vers le Pakistan, le Liban,
l'Australie, la Roumanie ou le Maghreb.
Par ailleurs, les frontières européennes étant devenues totalement perméables,
il apparaît nécessaire de pouvoir matérialiser l'interdiction de sortie du
territoire de l'enfant sur sa propre carte nationale d'identité et sur son
passeport. Il en va de même pour la case qui lui est réservée sur le passeport
et les pièces d'identité de chacun des parents séparés ou divorcés.
En effet, en inscrivant la mention « République française. Interdiction de
sortie du territoire, ordonnance du tribunal de grande instance de..., le... »,
les personnels des douanes, les officiers de police judiciaire, la gendarmerie
nationale pourront vérifier si l'enfant n'est pas inscrit sur le fichier des
organismes nationaux, internationaux et européens compétents et retrouver, à
l'occasion de vérifications d'identité, les enfants disparus et attendus depuis
de nombreuses années par leurs parents ou grands-parents.
Enfin, dans la perspective de la mise en place d'un mandat d'arrêt européen au
sein de l'espace judiciaire européen, l'interdiction de sortie du territoire
demeure un instrument judiciaire d'avenir face au nombre, hélas ! croissant des
familles binationales européennes, mais aussi des couples franco-français qui
enlèvent leurs propres enfants vers l'étranger sans informer l'autre parent,
meurtri par un deuil impossible.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
La commission est bien consciente qu'il s'agit d'un problème
grave auquel il faudrait parvenir à trouver des solutions plus satisfaisantes
que celles qui existent actuellement.
Nous savons que l'interdiction de sortie du territoire peut déjà être
prononcée par le juge. Elle peut également être ordonnée, à titre provisoire,
pour une durée de quinze jours, en s'adressant à la préfecture, ce qui permet
d'attendre le prononcé d'un référé ou la décision du juge de la mise en état.
Aussi, le problème soulevé n'est pas tant de se prononcer sur l'interdiction de
sortie du territoire que sur son application.
Il est vrai que dès lors que le fichier des personnes recherchées comporte
bien le nom de l'enfant, l'interdiction de sortie du territoire s'applique,
notamment dans les aéroports, où la police de l'air et des frontières veille à
empêcher toute dérogation à cette interdiction lorsqu'elle a été prononcée.
Toutefois, au sein de l'espace Schengen, les contrôles aux frontières
terrestres ont été supprimés, ce qui permet à celui des parents qui a
l'intention d'emmener son enfant à l'étranger de prendre d'autres dispositions
: il ira, par exemple, à l'aéroport de Bruxelles ou d'ailleurs, où le contrôle
n'aura pas lieu.
Même si l'on ne peut qu'approuver un dispositif qui permettrait de résoudre
ce grave problème, une inscription de l'opposition à la sortie du territoire
sur les documents d'identité est une mesure d'ordre réglementaire. En outre,
cette disposition, trop rigide, aurait plus d'inconvénients que d'avantages
pour le mineur lui-même et elle ne serait pas forcément utile s'il n'en est pas
tenu compte à l'étranger.
Par conséquent, la France devrait plutôt se rapprocher de ses partenaires de
Schengen pour essayer de trouver un dispositif efficace. Mais ce n'est pas au
travers du code civil français, qui ne s'applique pas au-delà des frontières,
que l'on réglera ce problème complexe.
C'est la raison pour laquelle la commission souhaite le retrait de cet
amendement. A défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Je partage tout à fait les arguments que vient de
développer M. le rapporteur. J'insisterai toutefois sur l'un d'entre eux, qui
me paraît essentiel puisqu'il apporte partiellement satisfaction à l'auteur de
l'amendement.
En effet, en l'état actuel des dispositions, les mesures d'opposition à la
sortie du territoire peuvent être prises sur l'initiative de l'un des parents
qui, en s'adressant aux autorités préfectorales, ou au commissariat pendant les
périodes de fermeture des préfectures, obtient l'inscription de la mesure
d'interdiction sur le fichier des personnes recherchées. La décision du juge
indiquant que la sortie de l'enfant du territoire français nécessite
l'autorisation des deux parents permet une telle inscription.
Le Gouvernement se propose donc de donner des instructions beaucoup plus
fermes pour que ce dispositif puisse être plus fréquemment utilisé par les
parents, car, bien souvent, ils n'y ont pas recours faute de le connaître. Je
crois que c'est aussi cela qui freine l'application de ce dispositif. En
améliorant à la fois l'information et les instructions données aux
administrations, préfectures et commissariats, nous pouvons faire en sorte que
ce dispositif qui, je crois, vous donne satisfaction, monsieur le sénateur,
puisse être plus fréquemment utilisé.
M. le président.
L'amendement n° 17 rectifié
ter
est-il maintenu, monsieur Darniche ?
M. Philippe Darniche.
J'ai bien entendu M. le rapporteur et Mme la ministre, mais je reste persuadé
qu'il faut renforcer la mesure par l'inscription de l'interdiction de sortie du
territoire sur un document, tel le passeport, qui serait immédiatement
visible.
Tout à l'heure, M. le rapporteur a indiqué que, compte tenu de la porosité de
nos frontières, les personnes qui veulent quitter le territoire avec un enfant
vont prendre l'avion dans un autre pays, par exemple la Belgique, auquel cas
nous n'avons plus le moyen d'utiliser ce dispositif.
La mesure évoquée par Mme la ministre est, certes, intéressante, mais je
préfèrerais que la disposition française soit présentée à l'ensemble de nos
partenaires européens, qui pourraient l'adopter à l'échelon européen et
l'appliquer de façon plus ferme.
Cette disposition serait la seule, j'y insiste, susceptible de mettre fin à
ces départs d'enfants, ce qui n'est pas le cas des mesures actuelles, y compris
celle que vous avez présentée, madame la ministre.
C'est la raison pour laquelle j'indique solennellement que cet amendement me
paraît essentiel et c'est pourquoi je le maintiens.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 17 rectifié
ter.
M. Hubert Durand-Chastel.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel.
En tant que sénateur représentant les Français établis hors de France, je
tiens à insister sur l'importance de cet amendement, en faveur duquel je
citerai deux arguments supplémentaires.
Premièrement, la mention de l'interdiction de sortie du territoire sur le
passeport est très dissuasive pour les parents, car ils ne peuvent alors
ignorer que, s'ils passent outre, ils commettront un délit grave. Ils
réfléchiront donc à deux fois avant d'opérer ce qu'il faut bien appeler un
enlèvement.
Deuxièmement, comme vous l'avez dit, monsieur le rapporteur, il est vrai que
le juge aux affaires familiales peut prendre cette mesure quand bien même ce
n'est pas indiqué dans la loi, mais ce qui va de soi va souvent encore mieux en
le disant !
Il est d'autant plus nécessaire de lutter efficacement contre ces pratiques
que les divorces, qui en sont la cause véritable, sont de plus en plus
nombreux.
Certes, monsieur le rapporteur, il conviendrait de prendre des mesures à une
échelle plus large que la nation, mais les introduire dans notre code civil est
un premier pas. C'est un élément positif que je crois vraiment favorable à
l'enfant, ce qui est le but de cette loi.
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Compte tenu des débats qui se déroulent actuellement
dans l'hémicycle, le Gouvernement pourrait accepter le second alinéa de
l'amendement, mais pas le premier. En effet, le juge civil ne peut pas statuer
d'office : il ne peut statuer qu'à la demande des parties.
En outre, dans la mesure où le juge peut déjà prononcer des interdictions de
sortie du territoire, le Gouvernement n'est pas hostile à ce que l'interdiction
de sortie du territoire prononcée par un juge pour un enfant mineur soit
inscrite sur le passeport des parents du mineur, transmise aux services
compétents et portée aux fichiers des organismes nationaux, internationaux et
européens des personnes disparues ou recherchées. Ces mesures sont en effet
cohérentes eu égard au dispositif que j'évoquais à l'instant et elles
permettent de le concrétiser dans le sens que j'exprimais tout à l'heure.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Je souhaiterais que Mme le ministre nous précise la rédaction
qu'elle propose, car le second alinéa risque d'être difficile à interpréter si
le premier est supprimé : comment comprendre la mention « Cette interdiction »
si l'on a supprimé auparavant ce dont il s'agit ?
M. Philippe Darniche.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche.
Je serais prêt à accepter la suggestion de Mme le ministre, mais je
souhaiterais, moi aussi, que le texte proposé soit très clairement indiqué.
M. René Garrec,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. René Garrec,
président de la commission.
Dans la rédaction que Mme le ministre vient
d'accepter figure la mention : « et portée aux fichiers des organismes
nationaux et internationaux... ». C'est impossible juridiquement, car nous
n'avons pas de convention en ce sens.
Je vous demande donc une suspension de séance de quelques minutes, monsieur le
président, afin que nous élucidions ce point.
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
M. le président de la commission des lois a tout à
fait raison : il faut en effet supprimer la fin du second alinéa du texte
proposé. Il convient également de prévoir qu'il s'agit bien d'une interdiction
de sortie de l'enfant sans autorisation des deux parents et prononcée par le
juge.
Le Gouvernement souhaite également une courte suspension de séance.
M. le président.
Le Sénat va, bien sûr, accéder à la demande de Mme le ministre et de M. le
président de la commission des lois.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures, est reprise à dix heures cinq.)