SEANCE DU 14 FEVRIER 2002
M. le président.
Je mets aux voix les textes proposés pour les articles 225-12-3 et 225-12-4 du
code pénal.
(Ces textes sont adoptés.)
M. le président.
L'amendement n° 35 rectifié
ter,
présenté par M. Badinter, Mme André,
MM. Courrière, Debarge, Dreyfus-Schmidt, Frécon, Frimat, Gautier, Mahéas,
Peyronnet, Sueur et Sutour est ainsi libellé :
« Après le I de l'article 12, insérer un paragraphe additionnel ainsi rédigé
:
« ... - Après l'article 225-7 du code pénal, il est inséré un article ainsi
rédigé :
«
Art. ... -
Le proxénétisme est puni de quinze ans de réclusion
criminelle et de 3 000 000 euros d'amende lorsqu'il est commis à l'égard d'un
mineur de quinze ans. »
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Cet amendement est directement lié à la question que je viens d'évoquer et je
ne me contenterai pas, à cet égard, de considérations d'ordre général ou
abstraites.
J'ai fait allusion à la situation créée en Europe, d'une part, par
l'écroulement bienvenu des dictatures de l'Est, d'autre part, par la guerre
dans l'ex-Yougoslavie : ce sont des réseaux organisés de criminalité, de
proxénétisme, aussi bien de jeunes majeurs que d'adolescents et, parfois, de
mineurs, contre lesquels nous devons lutter.
Or, les activités des réseaux organisés internationaux de prostitution de
mineurs de moins de quinze ans, c'est-à-dire en fait d'enfants, sont
punissables de peines correctionnelles. Je considère qu'il est du devoir du
législateur de démontrer que de telles activités s'apparentent à un crime.
Organiser des réseaux de prostitution - on le fait à travers toute l'Europe ! -
de mineurs de moins de quinze ans doit relever de la cour d'assises.
En matière de dissuasion, c'est avant tout le proxénète et la criminalité
organisée dans ce domaine qu'il faut viser. Lorsque comparaîtra devant la cour
d'assises tel ou tel proxénète international qui aura créé, organisé et
exploité des réseaux de prostitution d'enfants de moins de quinze ans, je sais
quelle sera la réaction des jurés ! Les autres proxénètes mesureront alors les
risques qu'ils encourent et la réalité de la répression. En effet, ne nous
leurrons pas, en pénalisant le client, nous n'atteindrons jamais les
proxénètes, et ce pour une raison simple : les clients ne savent rien des
proxénètes. Or, là, ce sont eux qui seront dans le box des accusés. Par
conséquent, je demande que ces activités soient punissables de peines
criminelles.
J'ajouterai qu'en travaillant sur ces questions j'ai voulu procéder à
certaines vérifications. J'attire votre attention, madame la ministre, sur ce
que j'ai observé. S'agissant des condamnations en matière de proxénétisme et de
proxénétisme aggravé, j'ai constaté, dans l'Annuaire statistique de la justice
- je l'ai dit à Mme la garde des sceaux - que, par rapport à l'époque où
n'était pas encore intervenu l'effondrement des dictatures et des régimes
totalitaires à l'Est, où la guerre tragique de Yougoslavie n'avait pas eu lieu,
eh bien ! la répression n'a pas augmenté : non seulement le nombre de
condamnations n'a pas crû, mais il a diminué, alors que, pendant ce temps-là,
se créaient, notamment depuis 1992-1993, des réseaux de plus en plus cruels et
une prostitution de plus en plus organisée issue de ces pays.
Je vous livre les chiffres : en ce qui concerne le proxénétisme aggravé, le
nombre de condamnations s'élevait, en 1987, à 182, en 1990 à 113, en 1991 à 73
- cela ne cesse de diminuer ; en 1993, il s'est élevé à 37 ; en 1995 à 44, en
1996 à 71, en 1997 à 63, en 1998 à 53 et en 1999 à 109. Je rappelle que par
rapport à 1987, soit douze ans plus tôt, et sans les faits qui se sont produits
à l'est de l'Europe - et je ne parle pas du trafic des êtres humains depuis
l'Afrique - on constate une réduction des condamnations de près de 40 %, avec,
pendant la période 1995-1997, une chute encore plus significative.
Comme l'a très bien dit M. Fourcade, rien ne sert d'élaborer des textes si
l'on ne met pas en place les moyens nécessaires. A l'occasion de l'examen d'un
excellent texte sur la traite des personnes, je demanderai - et c'est un voeu
unanime de la commission sénatoriale - que nous étudiions à fond ces problèmes.
Comment admettre que les effectifs affectés aujourd'hui dans le cadre de la
police judiciaire spécialisée soient de neuf fonctionnaires à Paris et de deux
fonctionnaires dans une ville comme Strasbourg ? Croit-on sérieusement que tous
ces trafics, que vous dénoncez à juste titre, madame la ministre, avec leurs
conséquences inhumaines et odieuses, cesseront d'un seul coup parce que l'on
aura promulgué un texte ? L'effet d'annonce durera quinze jours. Ensuite, les
bonnes vieilles habitudes reprendront le dessus.
Il s'agit là d'un problème clé, qu'il faut traiter à l'échelle européenne.
Aujourd'hui, ce sont des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers
de personnes qui sont concernées. Nous nous trouvons en présence, en Europe
occidentale, du produit de la misère absolue qui règne en Afrique ou en Europe
de l'Est. Nous ne pouvons plus accepter une telle situation ! Les lois, c'est
très bien, mais, comme le disait un très grand homme d'Etat italien, avec le
délicieux accent et le scepticisme qui caractérisent nos amis transalpins :
quand on ne sait pas quoi faire, on fait une loi !
(Sourires.)
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Cet amendement tend à établir une échelle des peines
cohérente en matière de proxénétisme : sept ans pour le proxénétisme simple ;
dix ans pour le proxénétisme concernant les mineurs de quinze à dix-huit ans ;
enfin, quinze ans pour le proxénétisme à l'égard de mineurs de quinze ans, avec
un changement de nature puisqu'on passe de peines correctionnelles à des peines
criminelles.
La commission émet donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Le Gouvernement est également favorable à cet
amendement.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 35 rectifié
ter,
accepté par la
commission et par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'ensemble de l'article 12, modifié.
(L'article 12 est adopté.)
Article 12 bis