SEANCE DU 26 JUILLET 2002
M. le président.
L'amendement n° 114, présenté par Mme Borvo, M. Bret, Mmes Mathon, Beaudeau,
Beaufils et Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM.
Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar et Mme
Terrade, est ainsi libellé :
« Supprimer cette division et son intitulé. »
La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret.
En même temps que l'amendement n° 114, je défendrai l'amendement n° 115, qui a
été déposé à l'article 17.
Nous ne contestons pas le fait qu'il convient de donner une certaine
effectivité à la réponse pénale. Relevons toutefois que les carences tiennent
beaucoup à la mauvaise exécution des décisions du juge des enfants. En 2000, 7
500 mesures étaient ainsi en attente. En outre, pour aborder la question de la
rapidité de la réponse, il convient de mettre en avant le manque de moyens et
le manque de personnel pour assurer leur mise en oeuvre. La commission
d'enquête sur la délinquance des mineurs ne parlait-elle pas à ce propos de «
véritable scandale », de « situation catastrophique » ? On aurait tort de
l'oublier.
Rappelons par ailleurs qu'il existe déjà une procédure qui permet de juger le
mineur dans un délai d'un mois, sur décision du juge des enfants, procédure
rarement utilisée il est vrai.
Sans répondre à ces questions, l'article 17 du projet de loi prévoit
d'instituer une procédure de « jugement à délai rapproché » qui permettrait,
sur décision du parquet, de déférer le mineur dans les dix jours.
Des garde-fous sont institués, me direz-vous, puisqu'une telle procédure ne
pourra être engagée que si des investigations sur les faits ne sont pas
nécessaires et que si des investigations sur la personnalité du mineur ont été
accomplies, le cas échéant, à l'occasion d'une procédure antérieure de moins de
dix-huit mois ».
Dix-huit mois ! Avez-vous conscience de ce que cette durée représente à
l'échelle de la vie d'un enfant de seize ans, voire de quatorze ans ? Comment
penser qu'une étude réalisée alors qu'il avait treize ans et demi ait une
quelconque pertinence pour juger un mineur de quinze ans ? A tout le moins, il
faut réduire cette durée à six mois !
Le renforcement du rôle du parquet dans la nouvelle procédure est également
préoccupant et confirme l'élan vers la déspécialisation que nous avons déjà
maintes fois dénoncé.
Dans le système actuel du délai rapproché, le procureur peut seulement «
requérir » du juge des enfants qu'il recoure - ou non - à la procédure de
comparution rapprochée ; ici, c'est le procureur qui sera maître de la
procédure et qui saisira directement la juridiction de jugement.
Le juge des enfants semble pourtant le mieux à même de juger l'opportunité
d'une telle mesure et c'est particulièrement vrai alors que disparaissent
progressivement les parquets mineurs, notamment dans les grandes juridictions
comme Nanterre ou Lyon.
Autre sujet d'inquiétude : le tribunal ne peut renvoyer pour complément
d'information qu'à un délai maximal d'un mois, alors que tous les spécialistes
de l'enfance disent qu'il faut au moins six mois pour mener à bien les
investigations nécessaires et choisir les mesures les plus appropriées pour
répondre efficacement à l'acte en fonction de la personnalité de son auteur.
Enfin, on notera qu'il existe un véritable risque que les comparutions à délai
rapproché ne deviennent la règle, ne serait-ce que pour des raisons « pratiques
» et d'organisation des parquets.
Ce sont autant d'éléments qui rapprochent la nouvelle procédure de la
comparution immédiate des majeurs, cette justice d'abattage déjà bien
discutable qui, en privilégiant l'acte sur l'auteur, n'est pas très compatible
avec les particularités de la justice des enfants.
C'est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen recommande la
suppression pure et simple de la comparution à délai rapproché.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
J'avoue être parfois perplexe : alors que tout à l'heure M.
Robert Bret réclamait que l'on se réfère davantage aux travaux de la commission
d'enquête sur la délinquance, il demande maintenant la suppression d'une
disposition correspondant à une proposition inscrite noir sur blanc dans notre
rapport !
M. Robert Bret.
C'est la raison pour laquelle nous nous sommes abstenus !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Nous sommes pour la cohérence et nous émettons donc un avis
défavorable sur cette suppression.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet
amendement.
D'abord une correction : il y a, au sein du parquet, des substituts
spécialisés.
Tous les acteurs de terrain, qu'il s'agisse des magistrats, des travailleurs
sociaux ou des élus locaux, s'entendant depuis des années dire que le jugement
a une plus grande valeur pédagogique quand il intervient peu de temps après la
commission, il n'était pas totalement absurde d'intégrer cette approche dans
notre droit.
Le débat s'est alors ouvert - c'était il y a plusieurs mois déjà - sur la
question de savoir s'il fallait ou non instituer la comparution immédiate pour
les mineurs.
Certains candidats à l'élection présidentielle y étaient favorables.
C'était le cas de M. Jospin, qui a ainsi déclaré, que à Tours, « pour ce qui
concerne les mineurs, les procédures de comparution immédiate seront étendues
». Je tiens ce discours à votre disposition.
Le candidat Jacques Chirac y était, quant à lui, opposé : il souhaitait
simplement une accélération des délais de jugement.
C'est ce que nous vous proposons, et notre démarche me paraît raisonnable,
étant bien sûr entendu que les hommes et les femmes qui décideront de la mise
en oeuvre de la procédure de jugement à délai rapproché, qu'il s'agisse du
substitut spécialisé du parquet ou du juge des enfants, seront des
professionnels.
Quand un gamin ou une gamine, hélas, connu du tribunal et des services sociaux
récidive et revient une nouvelle fois devant le tribunal, il n'est, à
l'évidence, pas nécessaire de refaire une enquête familiale très approfondie.
Nous proposons que le jugement intervienne alors dans un délai de dix jours à
un mois.
Il relèvera de la responsabilité des magistrats d'avoir recours ou non à cette
formule qui me paraît raisonnable et de nature pédagogique.
Elle permettra de rapprocher, de manière très prudente, le jugement de l'acte
et donc de donner à ce jugement un effet pédagogique.
C'est bien l'objectif recherché, s'agissant de faits relativement mineurs, et
c'est ce que demandent les acteurs de terrain.
M. Emmanuel Hamel.
Bonne réponse !
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 114.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le garde des sceaux, la procédure prévue à l'article 17 est tout à
fait contraire, vous le savez bien, à la philosophie de l'ordonnance de
1945.
M. Dominique Perben,
garde des sceaux.
Pas du tout !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Il s'agit en réalité d'une procédure de comparution immédiate assimilable à
celle qui s'applique aux majeurs, même si vous la dénommez pudiquement «
procédure de jugement à délai rapproché ».
Pour faire avaliser cette procédure, présentée comme exceptionnelle, l'exposé
des motifs précise qu'elle sera réservée aux seuls mineurs récidivistes. Mais
la lecture approfondie de l'article 17 fait apparaître que vous ne limitez pas
son champ d'application à une telle condition !
Je vous lis le paragraphe II du texte proposé pour l'article 14-2 de
l'ordonnance de 1945 : « II. - La procédure de jugement à délai rapproché est
applicable aux mineurs qui encourent une peine d'emprisonnement supérieure ou
égale à trois ans en cas de flagrance, ou supérieure ou égale à cinq ans dans
les autres cas. Elle ne peut être engagée que si des investigations sur la
personnalité du mineur ont été accomplies, le cas échéant, à l'occasion d'une
procédure antérieure de moins de dix-huit mois. » Il est ainsi prévu que la
procédure ne peut être engagée que si des investigations sur la personnalité du
mineur ont été accomplies, le cas échéant, à l'occasion d'une procédure
antérieure.
Est-ce à dire, monsieur le garde des sceaux, qu'un mineur qui n'aurait pas été
condamné à l'occasion de procédures antérieures - qu'il n'ait pas encore été
jugé ou que sa culpabilité n'ait pas été reconnue, qu'il se soit agit d'un
non-lieu ou d'une relaxe -, à l'occasion desquelles le juge des enfants aurait
ordonné des mesures d'investigations sur sa personnalité relèverait de la
procédure d'urgence, au mépris tout à la fois de la présomption d'innocence et
de l'autorité de la chose jugée ?
Est-ce à dire, monsieur le garde des sceaux, que le mineur serait dépourvu des
droits fondamentaux reconnus au majeur, la seule présence de mesures
d'investigation ne pouvant suffire à faire du mineur un multirécidiviste ?
Pis, vous précisez que ces investigations, dont la seule présence suffit à
rendre applicable votre procédure d'urgence, pourraient, le cas échéant, avoir
été pratiquées à l'occasion d'une procédure antérieure de dix-huit mois ! Or le
juge des enfants peut décider de recueillir des éléments de personnalité dans
le cadre d'une procédure d'assistance éducative destinée - je vous le rappelle
- non pas à sanctionner un mineur en danger mais à le protéger. Ainsi la
procédure exceptionnelle pourrait s'appliquer à des mineurs reconnus par le
juge des enfants comme étant un danger et devant être protégés par la mise en
place de mesures d'assistance !
La procédure exceptionnelle s'appliquerait donc aux mineurs les plus fragiles
et les plus exposés du fait de la seule présence au dossier d'éléments liés à
leur personnalité sans qu'ils soient, à aucun moment, des mineurs
multirécidivistes !
Le présent texte va permettre cet amalgame. A sa lecture il apparaît
d'ailleurs très clairement que le mineur est suspecté de dangerosité. Sa
minorité constitue désormais une circonstance aggravante, ce qui est tout de
même un peu fort !
M. Roger Karoutchi.
Ce n'est pas vrai !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Bien loin d'être exceptionnelle, cette procédure dangereuse et incompatible
avec la sérénité nécessaire à la justice des mineurs conduira au contraire au
rapprochement des procédures applicables à ces derniers avec le droit
commun.
Si vous entendez, monsieur le ministre, faire juger des mineurs dans des
délais raisonnables, donnez plutôt davantage de moyens aux juges des enfants !
Augmenter leur nombre, au lieu d'avoir recours à des expédients, parmi lesquels
ces juges de proximité qui ne seront ni formés ni spécialisés !
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 114.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 17