SEANCE DU 26 JUILLET 2002


M. le président. L'amendement n° 193, présenté par M. Estier et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachée, est ainsi libellé :
« Avant l'article 29, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le premier alinéa de l'article 714 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Toutefois, sans préjudice du respect de la présomption d'innocence, les prévenus dont l'instruction est achevée, les appelants ou les personnes ayant formé un pourvoi en cassation peuvent être retenus dans un établissement pour peine. »
« II. - L'article 717 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Aucun condamné à une peine supérieure à un an d'emprisonnement ne peut être maintenu dans une maison d'arrêt plus de six mois après que sa condamnation est devenue définitive. »
« III. - Il est institué un contrôleur général des prisons, chargé de contrôler l'état, l'organisation et le fonctionnement des établissements pénitentiaires, ainsi que les conditions de la vie carcérale et les conditions de travail des personnels pénitentiaires.
« IV. - Le contrôleur général des prisons est nommé en conseil des ministres pour une durée de six ans non renouvelable. Il est assisté de contrôleurs des prisons, dont le statut et les conditions de nomination sont définis par décret en Conseil d'Etat.
« V. - Le contrôleur général des prisons et les contrôleurs des prisons peuvent visiter à tout moment les établissements pénitentiaires. Ils ont accès à l'ensemble des locaux composant un établissement pénitentiaire. Ils peuvent s'entretenir avec toute personne, le cas échéant à sa demande, au sein des établissements pénitentiaires dans des conditions respectant la confidentialité.
« Les autorités publiques doivent prendre toutes mesures pour faciliter la tâche du contrôleur général. Les agents publics, en particulier les dirigeants des établissements pénitentiaires, communiquent au contrôleur général toutes informations et pièces utiles à l'exercice de sa mission.
« Le caractère secret des informations et pièces dont le contrôleur général demande communication ne peut lui être opposé, sauf en matière de secret médical.
« VI. - Lorsque le contrôleur général a connaissance de faits laissant présumer l'existence d'une infraction pénale, il les porte sans délai à la connaissance du procureur de la République, conformément aux dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale.
« Le contrôleur général porte sans délai à la connaissance des autorités ou des personnes investies du pouvoir disciplinaire les faits de nature à entraîner des poursuites disciplinaires.
« Il porte à la connaissance du garde des sceaux les dysfonctionnements constatés à l'occasion des visites effectuées dans les établissements pénitentiaires.
« Le contrôleur général des prisons est informé par le procureur de la République des poursuites engagées sur le fondement d'infractions commises au sein d'un établissement pénitentiaire. A sa demande, le contrôleur général est entendu par la juridiction de jugement. Il peut également, sur décision du juge d'instruction, être entendu au cours de l'information.
« VII. - Le contrôleur général des prisons peut proposer au Gouvernement toute modification de la législation ou de la réglementation dans les domaines de sa compétence.
« VIII. - Le contrôleur général des prisons établit chaque année un rapport sur les résultats de son activité. Ce rapport est remis au Président de la République et au Parlement avec les réponses du garde des sceaux. Il est rendu public.
« IX. - Les conditions d'application des dispositions des IV à VIII sont déterminées par décret en Conseil d'Etat.
« X. - L'article 726 du code de procédure pénale est complété par une phrase et un alinéa ainsi rédigés :
« La durée d'enfermement d'un détenu en cellule disciplinaire pour infraction à la discipline ne peut excéder vingt jours.
« A l'égard des mineurs de plus de seize ans, la durée maximum d'enfermement en cellule disciplinaire ne peut excéder huit jours. »
« XI. - Après l'article 726 du même code, il est inséré un article 726-1 ainsi rédigé :
« Art. 726-1. - Sauf en cas d'extrême urgence ou de circonstances exceptionnelles, tout détenu à l'encontre duquel est engagée une procédure disciplinaire peut être assisté d'un avocat ou d'un mandataire de son choix selon les modalités compatibles avec les exigences de sécurité propres à un établissement pénitentiaire. »
« XII. - Après l'article 726 du même code, il est inséré un article 726-2 ainsi rédigé :
« Art. 726-2. - Sauf en cas d'accord écrit de l'intéressé, le placement à l'isolement et le transfèrement d'un détenu sont décidés dans le respect de la procédure prévue à l'article 726-1.
« Le détenu qui entend contester la décision de placement à l'isolement ou de transfèrement dont il est l'objet doit, dans un délai de quinze jours à compter du jour de la notification de la décision, la déférer au directeur régional des services pénitentiaires préalablement à tout autre recours. Le directeur régional dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception du recours pour répondre par décision motivée. L'absence de réponse dans ce délai vaut décision de rejet. »
La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Je suis convaincu que, à sa lecture, l'amendement aura paru singulièrement familier à nos collègues, puisqu'il ne contient pas une seule ligne qu'ils n'aient déjà votée et que rien n'est changé du texte qui a été adopté par le Sénat.
En effet, vous l'avez reconnu, il s'agit du texte de la proposition de loi relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et au contrôle général des prisons que MM. Hyest et Cabanel avaient déposée à la suite du rapport de la commission d'enquête du Sénat qui s'est penchée sur l'état de nos prisons, rapport qui portait le titre éloquent de Prisons : une humiliation pour la République.
Je rappelle les circonstances qui ont conduit à la rédaction de ce rapport et à l'adoption de la proposition de loi.
Au printemps 2000, vous vous en souvenez, le docteur Vasseur, ancien médecin-chef de la Santé, avait fait paraître un livre qui a connu un grand succès et, en même temps, a suscité une très vive émotion. Disons-le, ses déclarations n'avaient pour ceux qui connaissaient l'état de la maison d'arrêt de la Santé et d'autres maisons d'arrêt rien d'original ni de surprenant.
Malheureusement, à deux reprises déjà, des rapports avaient été établis par des commissions permanentes internationales dépendant du Conseil de l'Europe - notamment le Comité de prévention de la torture - qui procèdent à des inspections dans les différents Etats membres du Conseil de l'Europe, dont le nôtre. Un premier rapport avait été remis au garde des sceaux, M. Toubon, puis un second à Mme Guigou. Tous deux mettaient cruellement en cause la situation pénitentiaire en France : vous savez ce qu'il en est, je ne reprendrai pas ici ce qui a fait depuis l'objet d'un rapport parlementaire.
Je tiens cependant à faire observer que, immédiatement après la parution de l'ouvrage du docteur Vasseur, et à la faveur de l'émotion qu'il a suscitée, j'avais déposé, avec le groupe socialiste unanime, une demande de constitution d'une commission d'enquête. MM. Cabanel et Hyest avaient fait de même, si bien qu'une commission unique vit le jour qui s'attacha particulièrement aux conditions de détention dans les maisons d'arrêt. Dans le même temps, à l'Assemblée nationale, sur l'initiative de son président, M. Fabius, une commission similaire, également multipartite, entreprenait une étude plus générale sur l'état de nos prisons.
Si les deux commissions ont travaillé parallèlement, les rapports qu'elles ont rédigés - approuvés par la totalité des membres des deux assemblées, tous partis confondus - ont, hélas ! conclu à la nécessité de sortir de cette situation : il y a bien des décennies que ceux qui s'intéressent à la question le disent ! J'observe au passage que nous ne pouvons qu'éprouver de la reconnaissance et de l'estime envers le personnel pénitentiaire qui oeuvre dans l'univers carcéral français.
Je me suis interrogé sur les raisons d'être d'une telle situation - et M. le garde des sceaux m'a fait l'honneur de rappeler les longues recherches que j'ai menées pendant cinq ans à l'Ecole des Hautes Etudes, avec Mme Perrot, sur l'histoire de la prison républicaine. Cette détestable condition pénitentiaire, qui s'inscrit dans l'histoire depuis deux siècles, semble faire structurellement partie de la société française. L'heure est venue non plus d'en parler davantage, mais d'y remédier.
Ont été engagés depuis, ce qui n'est pas indifférent - et c'est dû en partie au fait que M. Fabius, notamment, avait pris conscience de cette situation -, des programmes d'investissement d'un montant très élevé, et la direction des affaires pénitentiaires les connaît.
Une première tranche très importante a été débloquée dans le dernier budget, et d'autres investissements avaient été réalisés lors d'une législature précédente. Mais rien n'y fait : c'est comme si nous courions derrière un retard toujours pesant, dans un climat étrange.
Une fenêtre s'est ouverte - je l'ai dit, et j'ai utilisé ce terme : une fenêtre -, car tous les parlementaires ont pris conscience qu'il était impossible que la situation dure. La conjoncture économique n'était pas défavorable, ce qui a permis les engagements que j'évoquais, en même temps que le climat politique, pour une fois dépouillé de toute passion dans ce domaine, laissait à penser que nous allions pouvoir enfin doter la France d'une véritable loi pénitentaire, indispensable au regard des réalités de notre temps.
Un important rapport venait d'être établi sous l'autorité du Premier Président de la Cour de cassation - car nous ne manquions pas, tant s'en faut, d'analyses ni de données -, sur la base duquel la garde des sceaux a entrepris de faire réaliser par les services de la Chancellerie un avant-projet. Mais elle a choisi la grande loi pénitentiaire...
M. le président. Monsieur Badinter, veuillez conclure, je vous prie !
M. Robert Badinter. Le sujet, monsieur le président, me semble en valoir la peine !
M. le président. Certes, mon cher collègue, mais je suis obligé de faire respecter le règlement !
M. Robert Badinter. Je conclus.
Voyant que la Chancellerie continuait d'élaborer des projets, le Sénat a pris l'initiative d'extraire du rapport de MM. Hyest et Cabanel la proposition de loi qu'ils avaient déposée. Nous l'avons inscrite à l'ordre du jour parlementaire et nous l'avons votée à l'unanimité, avant de la transmettre à l'Assemblée nationale. Nous étions en fin de parcours.
C'est cette proposition de loi que je souhaite voir reprendre aujourd'hui, afin que, intégrée au projet de loi, elle puisse être soumise à l'Assemblée nationale. Alors, je le souhaite et je l'espère, nous verrons naître la première loi pénitentiaire enfin adaptée à la situation actuelle. Je ne doute pas une seconde que, dans les années à venir, nous verrons s'améliorer indiscutablement - le mouvement est en marche, et il se poursuivra - l'état des bâtiments, des prisons.
Mais il y a le régime, mais il y a les droits des uns et les droits des autres - je pense aux personnels pénitentiaires, je pense aux détenus -, qui doivent être repensés. Nous y avons déjà travaillé tous ensemble, le moment est venu pour le Sénat de maintenir cette avancée, de prendre cette initiative et d'en saisir, avec l'accord du garde des sceaux, l'Assemblée nationale. J'en suis convaincu : il n'y a pas d'oeuvre plus utile que nous puissions faire en cet instant dans le domaine pénal.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Comme vient de longuement le rappeler M. Badinter, l'amendement n° 193 vise effectivement à reprendre intégralement une proposition de loi que le Sénat a adoptée.
La commission a eu un débat approfondi, au cours duquel j'avais fait observer que, ce texte étant en instance devant l'Assemblée nationale depuis le mois d'avril 2001, il ne me paraissait pas indispensable de l'adopter une seconde fois.
Cela étant, la commission, après de longues discussions, a considéré qu'elle devait s'en remettre à la sagesse du Sénat, après, naturellement, avoir entendu l'avis de M. le garde des sceaux.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. J'ai bien entendu les explications de M. Badinter et la position de la commission. Personnellement, je pense qu'une telle façon de procéder n'est pas de bonne méthode.
Je suis d'accord avec vous, monsieur Badinter : nous devons nous saisir globalement du problème des prisons. Je ne pense cependant pas que le projet de loi - et singulièrement cet amendement, qui pose d'ailleurs, lui aussi, quelques problèmes, notamment sur la répartition des détenus et sur l'organisation de la hiérarchie des responsablités - en fournisse l'occasion.
M'étant entièrement consacré, pendant ces deux mois et demi, à la préparation de la loi de programmation, je souhaite vraiment que vous donniez au Gouvernement et au garde des sceaux que je suis le temps de reprendre la question de l'organisation des prisons et d'étudier la proposition de loi actuellement en navette, afin de pouvoir définir la position que le Gouvernement adoptera sur ce texte - comme sur l'ensemble des textes qui n'ont pas abouti au cours de la précédente législature. Il pourra ainsi proposer une stratégie claire et, éventuellement, un projet de loi qui fixera un certain nombre de directions de travail pour les prochaines années.
C'est la raison pour laquelle je ne suis pas favorable à cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 193.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, je voudrais être très bref. (Rires.) Je le suis toujours, mes chers collègues ! D'ailleurs, M. le président y veille !
M. le rapporteur a voulu être bref, ce que je comprends très bien, mais il n'a pas résumé toute la discussion qui a eu lieu. Car, lorsqu'il a souligné que le texte était en navette, nous lui avons demandé s'il serait examiné, et quand, et nous avons fait remarquer qu'il valait beaucoup mieux l'intégrer au projet de loi, de manière qu'il soit adopté très rapidement.
Nous tiendrons le même raisonnement devant M. le garde des sceaux, qui a beaucoup de travail, nous le savons - nous en avons aussi -, mais qui n'a évidemment pas manqué de lire le texte de la proposition de loi.
Que s'était-il passé, à l'époque ? Nous attendions une loi pénitentiaire et, parce qu'elle tardait, la majorité sénatoriale avait pris l'initiative de soumettre cette proposition de loi au vote du Sénat, de façon que, au moins, quelque chose soit fait tout de suite. Vous avez aujourd'hui l'occasion de passer à l'acte, mes chers collègues, et, si vous lisez l'amendement, vous constaterez que rien n'empêcherait d'appliquer les dispositions qu'il contient.
Si, monsieur le garde des sceaux, vous souhaitez un délai, nous le comprendrons : personne ne vous reprochera que les mesures concernées ne soient applicables qu'à partir d'une date que vous pourriez préciser dans le texte. Vous avez le temps de le faire avant que l'Assemblée nationale ne l'examine, monsieur le garde des sceaux, c'est-à-dire avant la semaine prochaine. Mais acceptez notre proposition, je vous le demande, j'allais dire en votre nom, mes chers collègues, au nom du Sénat qui l'a voulu, au nom de la majorité sénatoriale qui l'a voulu, afin que l'Assemblée nationale ait l'occasion de l'examiner.
M. Jean Chérioux. La proposition de loi est déjà en navette !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non ! Il s'agit de l'inclure dans le projet de loi que nous examinons en cet instant pour qu'elle puisse être adoptée très rapidement, dès la semaine prochaine.
M. Jean-Pierre Sueur. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. J'ai été extrêmement frappé par le débat très intéressant que nous avons eu sur cette question en commission des lois.
En effet, M. le rapporteur a commencé par faire valoir, à très juste titre à mon sens, qu'un texte identique ayant déjà été voté par le Sénat se trouvait sur le bureau de l'Assemblée nationale.
En outre, si la commission a décidé, au terme d'un long débat, de s'en remettre à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 193, c'est parce que nous avons eu le sentiment, les uns et les autres, qu'il y avait là une chance de faire en sorte que le dispositif devienne en quelque sorte opératoire.
Enfin, j'indiquerai que, en ce jour où la majorité des membres du Sénat ont décidé d'élargir les possibilités d'incarcération des mineurs en matière correctionnelle, il serait à mon sens symbolique, et même nécessaire, d'inscrire dans ce même projet de loi des dispositions visant à améliorer la situation de nos prisons.
En effet, si l'on a jugé qu'il y avait urgence à délibérer pour étendre les possibilités de détention des mineurs, ne pensez-vous pas, mes chers collègues, que, en conséquence, il y a aussi urgence à adopter de telles dispositions ? M. le garde des sceaux nous dit que le Gouvernement doit réfléchir, mais la meilleure façon d'avancer, c'est de faire figurer dans le projet de loi le dispositif qui a déjà été adopté à l'unanimité par le Sénat.
M. Paul Loridant. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Paul Loridant.
M. Paul Loridant. Cet amendement est d'importance. Nous avons tous relevé qu'il reprend en fait le contenu d'une proposition de loi qui a été votée par le Sénat et qui a été déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale.
Cela étant, nous savons, monsieur le ministre, comment fonctionnent les institutions de la Ve République. Nous savons quelles sont les réticences du Gouvernement à prendre à son compte des textes émanant du Parlement.
M. Jean Chérioux. Vous en savez quelque chose ! Le gouvernement précédent n'a fait que cela !
M. Paul Loridant. Nous savons que cette pratique vaut, quelle que soit la majorité et qu'elle remonte à loin, à 1958 exactement.
Dans la mesure où l'amendement qui nous occupe constitue une avancée significative, il me semble important que la Haute Assemblée le prenne en compte.
Au demeurant, j'ai cru percevoir tout à l'heure un début d'incohérence, au sein de la majorité sénatoriale, au regard des positions de fond que celle-ci avait prises s'agissant des transferts de charges en direction des collectivités locales. Puisque la proposition de loi que j'évoquais a été votée par la Haute Assemblée, je souhaiterais, mes chers collègues, que, par cohérence, par esprit de continuité, par souci de respecter l'orientation que vous aviez prise, par respect du travail de la commission des lois, notamment de celui de MM. Jean-Jacques Hyest et Guy Cabanel, le Sénat adopte cet amendement. Je vous invite à voter en ce sens, mes chers collègues, parce que notre assemblée y gagnerait en dignité.
M. Robert Bret. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Nous soutenons l'initiative de M. Estier et des membres du groupe socialiste, qui vise à introduire dans ce projet de loi certaines dispositions de la proposition de loi élaborée par MM. Hyest et Cabanel, laquelle avait été adoptée par le Sénat le 26 avril 2001, comme cela a été rappelé voilà quelques instants par M. Badinter.
L'institution d'un contrôleur général des prisons, conformément aux recommandations de la commission sur l'amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, présidée par M. Canivet - les commissions d'enquête de l'Assemblée nationale et du Sénat étant arrivées aux mêmes conclusions, ne faisons pas comme si tout restait à faire et à découvrir, monsieur le ministre - nous semble indispensable si nous souhaitons ouvrir aux regards extérieurs l'univers carcéral.
Cette ouverture est indispensable eu égard à l'opacité de notre système carcéral, qui est souvent dénoncée, que ce soit dans nos rapports ou à l'échelon européen et international.
Comment, en effet, parvenir à améliorer les conditions d'incarcération et de vie des détenus et à s'assurer de la bonne organisation du service public pénitentiaire si le garde des sceaux et les parlementaires ne sont pas tenus informés par une personne indépendante de l'état de nos prisons et de la réalité du quotidien tant des détenus que des personnels de l'administration pénitentiaire ?
« Les droits de l'homme ne cessent pas de s'appliquer sous prétexte qu'un homme est détenu. La société a une responsabilité à l'égard des personnes emprisonnées. » Ces propos, que j'emprunte à notre collègue Jacques Larché, plaident pour la nécessaire entrée du droit en prison. Ils nous invitent, à mon sens, à être cohérents avec nous-mêmes en votant cet amendement. Surtout, ne comptons pas sur une hypothétique navette : sachons prendre nos responsabilités !
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Jean Chérioux.
M. Jean Chérioux. Je souhaite indiquer que je ne voterai pas cet amendement.
Certes, une proposition de loi de contenu identique a effectivement été votée à l'unanimité par le Sénat en avril 2001. Cependant, si j'ai écouté avec un grand intérêt le plaidoyer plein de talent et de conviction de M. Badinter, je m'étonne que notre collègue n'ait pas déployé ses qualités d'orateur pour essayer de persuader le gouvernement précédent !
Un texte avait été voté en avril 2001 : qu'avez-vous fait, monsieur Badinter, pour convaincre le gouvernement de l'époque de son intérêt ? (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Mme Nicole Borvo. C'est pire de votre côté !
M. Jean Chérioux. Dieu sait si je suis un défenseur de la Haute Assemblée, mais, tout de même, quelle image donnerions-nous à nos collègues députés en votant aujourd'hui cet amendement et en incorporant les dispositions qu'il prévoit dans le projet de loi qui nous est présenté ? Le gouvernement précédent ne leur a pas donné la possibilité d'examiner la proposition de loi de MM. Hyest et Cabanel !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il a eu tort !
M. Jean Chérioux. Pour notre part, nous souhaitons que l'Assemblée nationale puisse étudier ce projet de loi de façon approfondie, afin qu'il puisse être voté dans de bonnes conditions. C'est pourquoi nous ne voterons pas cet amendement ce soir ! (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Mme Nicole Borvo. Toujours l'excuse de l'ancien gouvernement !
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Pour ma part, je suis très frappé, en prenant un peu de recul, par les leçons que nous essayons de nous donner les uns aux autres, alors que, en réalité, le coupable, dans cette affaire, c'est le Parlement et l'institution parlementaire, comme M. Badinter le murmurait cet après-midi derrière mon dos à propos d'un autre sujet ...
Quel est notre problème ? C'est que les majorités, quelles qu'elles soient, n'arrivent jamais à imposer leur volonté au gouvernement. La nôtre n'a pas été « fichue » d'imposer le vote à l'Assemblée nationale d'un texte avec lequel nous étions d'accord, nous sénateurs socialistes ou membres de la majorité plurielle, et qui avait été adopté ici à l'unanimité. Par conséquent, notre majorité n'a pas été courageuse et la vôtre ne le sera pas non plus !
M. Jean Chérioux. Mais si !
M. Michel Charasse. C'est donc un problème qui concerne les majorités.
De même, ce matin, nous nous sommes beaucoup amusés, sur ces travées, au spectacle des difficultés qu'avait la majorité actuelle à rassembler ses troupes pour qu'elle soit effectivement majoritaire, ...
M. Bruno Sido. On y est arrivé !
M. Michel Charasse. ... mais cela nous est arrivé si souvent, à l'Assemblée nationale, ...
M. Roger Karoutchi. Oh !
M. Michel Charasse. ... que, dans ce domaine, nous n'avons pas de leçons à nous donner les uns aux autres.
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Très bien !
M. Michel Charasse. Mes chers collègues, nous règlerons ce genre de problèmes lorsque nous aurons le courage d'être nous-mêmes et de redonner nous-mêmes à nos assemblées la dignité nécessaire à l'équilibre des pouvoirs dans la République. (Très bien ! sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Très bien !
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. M. Jean Chérioux a évoqué mon échec - je n'hésite pas à employer ce terme. J'avais saisi le gouvernement de l'époque avec la dernière fermeté, croyez-moi, mes chers collègues, mais je n'étais pas parvenu à le convaincre, parce que d'autres questions considérées comme plus importantes étaient à l'ordre du jour. Ce que j'ai constaté, ces vingt dernières années, en observant ce qu'il advient quand il s'agit des questions pénitentiaires et de l'amélioration de la condition des détenus, c'est que bien des propos sont tenus mais que l'on échoue toujours quand on en arrive à la réalité, aux actes, à la concrétisation. Et ce constat ne concerne pas les seules vingt dernières années de notre histoire ! Cependant, je veux encore croire que cet état de fait va changer et que le traitement de la question pénitentiaire en France ne se résumera pas à la construction de prisons.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 193, repoussé par le Gouvernement et pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ils ont tous voté contre ! Incroyable !

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