SEANCE DU 10 OCTOBRE 2002
SITUATION DE L'INDUSTRIE TEXTILE
Discussion d'une question orale avec débat
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 2 de
M. Christian Poncelet à Mme la ministre déléguée à l'industrie sur la situation
de l'industrie textile.
M. Christian Poncelet demande à Mme la ministre déléguée à l'industrie de bien
vouloir lui indiquer les mesures que le Gouvernement compte prendre pour
remédier à la situation inquiétante de l'industrie textile en France.
Ce secteur, qui emploie de nombreux salariés dans plusieurs régions ou
départements de France, traverse en effet de lourdes difficultés, qui se
trouvent encore aggravées par la non-reconduction de l'accord multifibres.
Celui-ci prenant fin en décembre 2004, la France restera sans aucune protection
face aux importations massives de textile en provenance de pays à bas
salaires.
La parole est à M. Christian Poncelet, auteur de la question.
M. Christian Poncelet.
Madame le ministre, monsieur le président, mes chers collègues, j'ai tenu à
proposer au Sénat un débat sur l'industrie textile car ce secteur traverse,
depuis plusieurs années, une crise profonde et durable, avec son cortège de
licenciements, de fermetures d'entreprises et de restructurations d'usines.
La dégradation persistante que connaît cette branche d'activité a atteint, en
2001, un niveau que l'on peut qualifier d'inquiétant. Elle concerne de
nombreuses régions ou départements puisque ce secteur compte 1 280 entreprises
en France - 2 800 si l'on y ajoute l'industrie de l'habillement - et emploie
directement ou indirectement près de 450 000 personnes.
Depuis un an, l'activité textile française est entrée en récession, avec des
indices de production, dans pratiquement tous les segments de la filière, en
baisse de 5 % à 15 %.
Cette situation entraîne, dans le domaine de l'emploi, une réduction
d'effectifs qui atteindra au moins 10 % en 2002. La situation est donc
exceptionnellement grave et tous les indicateurs en notre possession laissent
présager le maintien de cette situation au moins jusqu'à l'automne 2003.
Vous me permettrez, madame le ministre, en vous remerciant très sincèrement,
au nom de tous mes collègues, d'avoir bien voulu accepter la tenue de ce débat
aujourd'hui au Sénat, de débuter mon propos en l'illustrant plus
particulièrement de l'exemple vosgien.
En trente ans, les emplois dans le textile sont passés de 40 000 à 7 000 et,
depuis dix ans, 1 000 emplois sont, en moyenne, perdus annuellement.
Or ce secteur emblématique de mon département a un impact économique et social
très supérieur à celui que peuvent connaître d'autres départements ou que
peuvent avoir d'autres secteurs économiques. Les Vosges ont déjà été durement
sinistrées du fait de calamités naturelles : 12 % des dégâts forestiers subis
sur le territoire à la suite des tempêtes de décembre 1999 ont concerné les
Vosges.
Cette catastrophe naturelle a eu des conséquences non seulement sur la filière
bois du département, mais également sur les finances communales ; si certaines
de ces communes doivent en outre être affectées par les difficultés que
pourraient connaître les entreprises textiles, la situation deviendra pour
elles et pour leurs habitants très vite insurmontable, voire intolérable.
Et pourtant, il s'agit d'un département méritant, qui a assuré depuis le début
des années quatre-vingt, en application du « plan Vosges », une reconversion
continue, résolue et courageuse, menée conjointement par ses élus et sa
population.
Aujourd'hui, les Vosges ne peuvent plus se battre seules, madame le ministre :
un effort ciblé et urgent de l'Etat est donc nécessaire pour que soit sauvé ce
qui peut encore l'être dans les vallées vosgiennes, où se concentrent, pour
l'essentiel, les usines textiles.
Face à la perspective de nouveaux licenciements et à l'annonce toute fraîche
de plusieurs dépôts de bilan d'entreprises textiles, vous comprendrez, je
pense, l'importance que revêt ce douloureux sujet dans mon département.
Au demeurant, au-delà des Vosges, c'est l'ensemble de la filière qui
souffre.
Le cas de notre pays est d'ailleurs inquiétant dans la mesure où l'industrie
textile française se comporte visiblement moins bien que la plupart de celles
de ses partenaires européens. Ainsi, en Allemagne et au Royaume-Uni s'amorce un
léger redressement, pendant qu'en Italie la croissance se poursuit.
Les causes évoquées pour expliquer cette situation sont diverses. On peut,
certes, citer la mondialisation accrue des échanges, qui soumet nos entreprises
à une concurrence toujours plus forte de la part des pays à faibles coûts
salariaux, mais il ne faut pas négliger les causes nationales que sont :
l'évolution des stratégies d'approvisionnement des grandes chaînes de
distribution, lesquelles sont passées d'une sous-traitance de la confection à
l'achat de produits finis, le manque de souplesse de l'outil de production qui
empêche ces entreprises de s'adapter et la mauvaise utilisation de ce que
j'appellerai la « ressource humaine », élément essentiel.
Cependant, les atouts de l'industrie textile française sont réels et sont loin
d'être négligeables : des marques mondialement connues, une réelle capacité
d'innovation, des produits à très forte valeur ajoutée.
Il est donc possible de renforcer la compétitivité des sites textiles français
afin que nos entreprises soient à armes égales avec leurs principaux
concurrents. Pour ce faire, plusieurs pistes peuvent être explorées.
Conformément, bien sûr, à la méthode à laquelle le Sénat est attaché, nous
établissons un diagnostic des maux dont nous souffrons, mais nous avons aussi
l'intention, madame le ministre, de soumettre à votre appréciation des
propositions que vous pourrez retenir, voire améliorer.
Il faut tout d'abord prévoir l'assouplissement des horaires de travail afin
que soient mieux prises en compte, les contingences de la production, comme le
prévoit le projet de loi présenté par François Fillon, qui va nous être soumis
la semaine prochaine.
Il faudra ensuite veiller au renforcement du dialogue social en respectant
l'autonomie des partenaires sociaux pour qu'ils définissent en commun leurs
objectifs.
A cet égard, je voudrais vous féliciter d'avoir bien voulu recevoir, dans des
délais extrêmement courts, des représentants des salariés venus exposer leurs
préoccupations, voire leurs angoisses devant la situation à laquelle ils se
trouvent confrontés.
Il faut, par ailleurs, promouvoir la valorisation des métiers du textile et de
l'habillement auprès des jeunes et veiller à ce que soit dispensée une
formation de meilleure qualité afin de tirer la profession vers l'excellence.
Actuellement, on ne compte annuellement, que 1 200 jeunes en contrats
d'alternance et 250 apprentis.
Enfin, nous devons assurer une meilleure anticipation de la demande du client
en développant l'innovation, notamment en matière de multifibres et de textiles
synthétiques.
D'une manière générale, la situation de l'Europe, comme celle de la France,
est handicapée par une situation internationale préoccupante, marquée par le
développement de la concurrence des pays à bas salaires et par une
globalisation accrue.
En effet, une nouvelle donne du commerce international est apparue,
caractérisée à la fois par la disparition des quotas fixés par l'Organisation
mondiale du commerce, je veux parler de la fin de l'accord multifibres
programmée pour décembre 2004, et par l'entrée dans ladite OMC de ce grand pays
industriel qu'est la Chine.
Vous permettrez à votre serviteur de rappeler que, à l'époque rapporteur à
l'Assemblée nationale du budget de l'industrie, il ne fut pas étranger à la
mise en place de ces accords multifibres, avec le soutien - ô combien efficace
- de notre regretté collègue Maurice Schumann, qui était alors ministre de
l'industrie.
Pour pouvoir concurrencer les pays émergents, l'Europe doit, tout d'abord,
développer un meilleur accès au marché international. Après le lancement à
Doha, en 2001, des négociations de l'Organisation mondiale du commerce, il
faut, à l'échelon européen, promouvoir d'urgence nos industries textiles sur
les marchés mondiaux, notamment en garantissant la protection du droit des
marques, des dessins et des modèles, en obtenant une réduction de tous les
tarifs douaniers à 15 % ou moins et en interdisant toute forme de barrière non
tarifaire.
Dès lors que l'on adhère à une organisation mondiale, on s'impose d'en
respecter les règles ! Cela signifie que quelques redressements méritent d'être
opérés...
Il ne serait pas acceptable pour nos entreprises que l'Union européenne ait,
en 2005, le tarif douanier le plus bas au monde alors que de nombreux pays
conserveraient des droits de douane égaux ou supérieurs à 40 % ! Comment la
concurrence pourrait-elle jouer dans de telles conditions ?
L'Union européenne doit également peser de tout son poids pour favoriser un
commerce mondial plus équitable, notamment en réaffirmant l'objectif du
développement durable et le respect des normes sociales fondamentales élaborées
par l'Organisation internationale du travail, notamment en ce qui concerne le
travail des enfants, l'égalité entre les hommes et les femmes, le maintien des
droits syndicaux.
Bien entendu, lorsque j'évoque l'Union européenne, je n'oublie pas, madame le
ministre, que vous avez été une remarquable présidente du Parlement européen et
que vous avez, en cette qualité, pesé en faveur de décisions qui vont
précisément dans le sens de ce que je souhaite aujourd'hui pour l'industrie
textile.
L'Europe doit, en outre, imposer le respect de l'accord sur les aspects des
droits de la propriété intellectuelle à tous les pays membres de l'Organisation
mondiale du commerce. En effet, la France et l'Italie, qui concentrent les
trois quarts des grandes marques mondiales du luxe, se trouvent
particulièrement vulnérables face à ce qu'il faut bien appeler le pillage et la
contrefaçon.
Enfin, l'Union européenne doit accélérer la création d'une zone
pan-euroméditerranéenne pour 2005, et non pas seulement pour 2012, comme cela
semble prévu dans le cadre du processus de Barcelone lancé par la Commission. A
cette date, si rien n'est fait, je crains qu'il n'y ait plus d'industrie
textile en France et peut-être en Europe. Ainsi pourrait être maintenue une
zone homogène dans les processus de filature, de tissage et de confection, et
ce dans des conditions compétitives par rapport à la zone asiatique.
Vous le voyez, madame le ministre, l'urgence est réelle.
Les plans gouvernementaux précédents ont été la plupart du temps trop
sectoriels, fondés simplement sur des mesures ponctuelles qui ont démontré dans
les faits leur incapacité à résoudre des problèmes qui sont fondamentalement
structurels.
Ces plans se sont aussi, hélas ! quelquefois heurtés à la Commission de
Bruxelles, et je pense tout particulièrement à l'excellent plan Borotra de 1996
sur l'allégement des charges dans l'industrie textile.
MM. Alain Gournac et Gérard Braun.
Très bien !
M. Christian Poncelet.
Les pouvoirs publics français et européens doivent engager des études
d'évaluation et d'impact sur l'activité et l'emploi dans le secteur textile
d'ici à 2005 et, plus généralement, mettre en oeuvre cette véritable stratégie
industrielle qui a, jusqu'à présent, fait cruellement défaut.
Le gouvernement auquel vous appartenez, madame le ministre, se doit d'apporter
des réponses rapides et efficaces à cette lente mais indéniable dégradation de
l'industrie textile.
Pour que d'authentiques solutions soient trouvées, j'appelle de mes voeux une
mobilisation de l'Etat, afin qu'il devienne un Etat stratège, un Etat garant de
la liberté et de la responsabilité des entrepreneurs, un Etat soucieux de la
compétitivité de nos entreprises dans la concurrence européenne et mondiale, un
Etat fier de ses industries textiles. La survie économique de nos régions
dépend de ce sursaut !
Je sais, madame le ministre, que nous pouvons compter sur votre soutien, tant
à Bruxelles qu'à Paris. Soyez sûre que, de notre côté, nous ferons tout pour
vous aider dans votre démarche difficile, mais ô combien indispensable.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste et du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 30 minutes ;
Groupe socialiste, 27 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
7 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici
donc amenés, à l'occasion d'une séance consacrée aux questions orales avec
débat, à débattre de la situation de l'industrie du textile et de
l'habillement. Nous le faisons depuis des années - c'est notre regretté
collègue Maurice Schumann qui avait, le premier, pris cette initiative - mais
le constat reste malheureusement le même : le textile-habillement va mal, les
emplois et les entreprises disparaissent, l'avenir apparaît décidément bien
sombre.
Ce constat négatif n'est-il pas aussi, par la force des choses, celui de
l'inefficacité, en termes économiques et sociaux, tant de la gestion de cette
filière industrielle par le patronat dans sa grande majorité que des mesures
prises par les pouvoirs publics pour la soutenir ?
N'est-il pas temps, aujourd'hui, au regard de la situation, d'oser d'autres
choix que ceux qui sont faits depuis des années ?
Ces questions méritent d'être posées. Il y a même urgence devant les menaces
que fait peser la non-reconduction de l'accord multifibres. Les conséquences de
la libéralisation totale des échanges pour la France et l'Union européenne, qui
deviendra le marché le plus ouvert du monde en 2005, suscitent de nombreuses
craintes.
Il nous faut peser de tout notre poids, au niveau international, pour imposer
d'autres règles commerciales, sociales, voire éthiques et morales - je pense au
travail des enfants -, afin de limiter les effets des conditions inégales de
concurrence. Sans doute convient-il aussi que nous défendions mieux le textile
et l'habillement, qui sont encore trop souvent réduits, sur notre planète, à
des objets de troc.
Je serai attentif, madame la ministre, aux éléments de réponse que vous nous
apporterez à ce sujet.
Mais tout cela restera insuffisant si nous n'examinons pas avec courage et
lucidité, pour nous y attaquer, les causes profondes et structurelles des
difficultés que connaît cette branche industrielle.
Alors qu'elle employait un million de salariés à la fin des années soixante,
la filière textile-habillement-cuir connaît depuis les années soixante-dix un
processus continu de régression, qui atrophie progressivement sa base de
production. En trente ans, la filière a perdu les deux tiers de ses effectifs,
soit environ 20 000 emplois par an. Et l'hémorragie continue aujourd'hui, au
rythme de 2 000 suppressions d'emplois par mois !
Dans le même temps, le déficit commercial n'a cessé de se creuser, à
l'exception de quelques segments de la filière.
Certes, la concurrence internationale est déloyale, je ne le nie pas. Mais
comment ne pas voir dans ce déclin les résultats d'une stratégie de
restauration des profits, dans un premier temps, puis de recherche du profit
maximum, une recherche exacerbée jusqu'à une financiarisation de l'activité aux
dépens de la production ?
Ce sont les délocalisations des productions à faible valeur ajoutée vers les
pays à bas salaires qui causent une véritable hécatombe en termes d'emplois.
Selon les chiffres de l'Union des industries textiles elle-même, en 1997, 20 %
des marchandises de la filière textile-habillement-cuir importées en France
provenaient d'entreprises françaises délocalisées. Or, en l'occurrence, 1 %
d'importation équivaut à la suppression de 7 000 emplois.
M. Christian Poncelet.
C'est exact !
M. Ivan Renar.
La stratégie de baisse des coûts salariaux est également en cause. Les
salaires dans la filière sont parmi les plus bas qui puissent exister. Cela
fait d'ailleurs cinq années - on ne le sait pas assez - qu'il n'y a pas eu
d'accords sur les salaires dans la filière.
La « smicardisation », pour reprendre l'expression d'un syndicaliste, gangrène
les professions jusqu'aux postes hautement qualifiés. Sur le plan social et au
regard des conditions de travail, le textile, c'est souvent le xixe siècle de
l'industrie française !
Une stratégie de spécialisation sur des créneaux à forte valeur ajoutée ou
dans la vente par correspondance entraîne également la disparition ou la
délocalisation de pans entiers de la production ainsi qu'un recul sévère des
investissements. Et quand ceux-ci existent, ils ne visent bien souvent qu'à
rationaliser l'outil de production.
J'ai déjà fait mention de la financiarisation accrue des activités qu'on
observe depuis quelques années. Le textile-habillement est devenu le cadre
d'une véritable économie de casino, où se succèdent acquisitions et cessions,
abandons de production dans le seul but de dégager des taux exorbitants de
rentabilité - 15 % à 17 % -, qui sont exigés par les actionnaires, notamment
les fonds de pensions, mais qui sont totalement incompatibles avec la
production.
Ce capitalisme de rentier est inhumain !
De la filature Mossley, à Hellemmes, près de Lille, où les salariés et l'outil
de travail sont proprement abandonnés sur place par la direction - pourtant
condamnée par la justice -, à l'entreprise Lejaby, dont la direction a décidé
la délocalisation de 70 % de la production en Tunisie et la suppression de 200
emplois, les exemples sont légion.
Notre collègue Josiane Mathon a tenu à me faire part de ce chiffre : à la fin
août 2002, le tribunal de commerce de Roanne avait enregistré quatre-vingts
dépôts de bilan, entraînant 765 licenciements, la plupart dans le textile, une
des dernières industries encore présentes dans le Roannais.
Je pourrais aussi vous parler de la situation à Roubaix, à Tourcoing, dans la
vallée de la Lys, dans l'Avesnois, où ne subsiste plus qu'une seule usine
d'habillement, employant 400 salariés.
La question se pose donc, madame la ministre, mes chers collègues : faut-il
continuer dans cette voie ? N'existe-t-il pas d'autres pistes à explorer pour
revivifier et pour muscler ce secteur industriel, qui possède des atouts et
peut donc avoir un avenir ?
La préservation de l'emploi et le développement du tissu industriel exigent,
me semble-t-il, plus de volontarisme politique.
Il faut freiner la spéculation que couvrent les cessions et restructurations
d'entreprises. Pouvons-nous continuer à tolérer sans réagir les « licenciements
boursiers » ? Il est nécessaire de sanctionner financièrement et fiscalement
les entreprises bénéficiaires qui licencient. Je rappelle qu'une telle
disposition avait été adoptée par le Parlement dans le cadre de la loi de
modernisation sociale, avant d'être annulée par le Conseil d'Etat.
L'instauration de droits nouveaux pour les salariés est, à mon sens, une
condition essentielle pour mettre en cause le pouvoir discrétionnaire des
actionnaires et favoriser des choix de gestion et industriels plus favorables à
l'emploi.
Je prendrai un exemple. Le conseil régional de Nord-Pas-de-Calais a élaboré un
plan textile visant à favoriser des actions fortes de soutien et de
développement - investissements, formation, recherche, etc. - des secteurs
concernés. Ce plan a été approuvé et signé par tous les partenaires : patronat,
syndicats de salariés. Mais force est de constater l'insuffisance de son bilan
actuel, liée à un manque évident de bonne volonté et d'enthousiasme du patronat
du textile.
Donner aux salariés la possibilité de donner leur avis, d'intervenir dans les
choix, de faire des propositions, permettrait à coup sûr de surmonter bien des
obstacles. Faut-il que la citoyenneté, dont on parle tant en cette époque,
s'arrête aussitôt les portes de l'entreprise franchies ?
Des mesures législatives contre les délocalisations doivent également être
prises. Les organisations représentatives des salariés ont avancé plusieurs
propositions en ce sens, parmi lesquelles l'interdiction de tout plan social
lié aux délocalisations et la création d'une taxe sur le coût différentiel de
la main-d'oeuvre.
Monsieur le président Poncelet, vous avez été un éminent syndicaliste ; vous
conviendrez avec moi qu'il faudrait discuter davantage avec les organisations
syndicales et mieux les écouter.
(M. Christian Poncelet marque son
approbation.)
Ne convient-il pas également de faire preuve, enfin, d'innovation sociale ?
Non seulement la politique de bas salaires, de flexibilité et de précarité est
injuste humainement, mais elle est inefficace économiquement, car elle freine
la demande intérieure.
La politique économique menée depuis des années a été fondée sur un parti
pris, celui de limiter la part des salaires dans la valeur ajoutée : tout pour
le profit ! On en voit les conséquences dans la débâcle financière actuelle, au
point que de très nombreux économistes s'interrogent sur le bien-fondé de cette
stratégie et se demandent si un pouvoir d'achat plus important des salariés
n'aurait pas contribué à soutenir une autre croissance, non inflationniste.
Dans le même esprit, ne convient-il pas de rendre plus transparentes les
relations de la sous-traitance, forme d'organisation de la production très
développée dans le textile, composé de nombreuses petites et moyennes
entreprises.
Le flou qui entoure aujourd'hui les contrats de sous-traitance ne permet pas
d'identifier les donneurs d'ordre. Les salariés et les syndicats sont souvent
démunis et soumis à une asymétrie dans l'information, s'agissant des contrats
de travail - rémunération, durée, conditions de travail, etc. - et de leur
application. Il est donc nécessaire que le code du travail soit modifié afin
que soit assurée une meilleure transparence dans le domaine de la
sous-traitance.
Les conditions d'affectation et d'utilisation des fonds publics devraient être
plus strictement encadrées. Le textile vit depuis vingt ans sous perfusion
permanente de fonds publics. Le résultat est là ! Est-il juste que des
entreprises perçoivent des fonds publics pour délocaliser, pour transférer les
productions ?
Les allégements massifs de charges sans objectifs précis en matière d'emplois
mènent tout droit à l'inefficacité. Ils n'ont jamais créé d'emplois, au
contraire : ils ont accéléré les délocalisations et les productions à
l'étranger, plombé plus encore les comptes de la sécurité sociale, ont eu des
conséquences sur les bas salaires, bloqué les grilles de salaires et les
salaires effectifs.
Faut-il continuer cette marche, ou plutôt cette fuite en avant dans les
exonérations et baisses de charges, coupables de régression salariale et de
précarité ? Ne conviendrait-il pas mieux d'engager plutôt l'aide publique vers
la création réelle d'emplois et les investissements productifs par
l'intermédiaire de la banque de développement des petites et moyennes
entreprises, sous la forme de conditions bonifiées de financement, par exemple
?
D'autres mesures devraient également être prises en matière de formation afin
d'assurer, par exemple, le reclassement qualifiant du personnel licencié,
notamment au sein des industries innovantes.
Mme Hélène Luc.
Absolument !
M. Ivan Renar.
Une telle mesure pourrait prendre la forme d'un fonds de mutualisation financé
par une taxe sur les licenciements.
Enfin, vous savez combien est attendu dans ces professions si difficiles un
accord de branche qui permettrait la mise en place d'un dispositif de cessation
anticipée d'activité pour les salariés de plus de cinquante-cinq ans.
Madame la ministre, malgré ses difficultés, l'industrie textile reste un
domaine très important : elle participe à la structuration et à l'intégration
sociales dans d'importants secteurs géographiques,
a fortiori
dans les
zones rurales, où sont présentes de nombreuses petites et moyennes entreprises.
Elle est aussi particulièrement innovante du point de vue tant des procédés que
des produits potentiellement créateurs d'emplois et de débouchés nouveaux.
Vous comprendrez donc l'importance de vos réponses et des mesures que compte
prendre le Gouvernement.
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes. - M.
Poncelet applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Gérard Braun.
M. Gérard Braun.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais en
premier lieu dire combien je partage, en tant qu'élu lorrain et vosgien, les
propos pertinents de M. le président Poncelet et sa vive inquiétude pour un
secteur vital de l'économie française.
Ne nous y trompons pas ! Si rien n'est fait dans les semaines et les mois à
venir, le risque est grand de voir s'accélérer la disparition progressive de la
filière textile en France et, en corollaire, s'accroître notre dépendance aux
importations venues principalement d'Asie.
Pour ma part, je ne peux me résoudre à une telle perspective. Pour côtoyer
chaque jour, dans les Vosges, les acteurs du secteur textile, il me semble
essentiel de nous mobiliser à tous les niveaux pour préserver cette industrie
car je suis persuadé qu'elle a toujours un avenir, à condition qu'on lui donne
les moyens si ce n'est de se battre à armes égales - ne rêvons pas ! - au moins
de se battre à armes un peu moins inégales dans un contexte de concurrence
exacerbée.
J'ai la chance - oui, croyez-moi, c'est une chance ! - de vivre dans les
Vosges, premier département français s'agissant de l'activité cotonnière, avec
près de 60 % de la production nationale et 5 500 emplois.
Je suis chaque jour admiratif de la qualité et du dynamisme des chefs
d'entreprise du secteur textile qui, ces dernières années, ont massivement
investi pour moderniser leur outil de production, malgré des perspectives
difficiles. Je suis tout aussi admiratif de la qualité des personnels qui se
forment et donnent le meilleur d'eux-mêmes dans la course à la réduction des
coûts de production qu'impose la concurrence internationale.
Personne, soyez-en sûrs, ne s'est endormi sur ses lauriers : les entreprises
et les écoles d'ingénieurs, telle l'Ecole supérieure des industries textiles
d'Epinal, ont toutes mis l'accent sur la recherche et le développement. De
même, aucune niche d'activité n'est laissée de côté. Pourtant, les dirigeants
et les employés du secteur textile ont l'impression de se dépenser en pure
perte parce qu'ils n'ont pas été soutenus ces dernières années par une
politique industrielle digne de ce nom.
Aujourd'hui, madame la ministre, vous le savez, la situation de l'industrie
textile n'est pas bonne, et c'est un euphémisme. Cependant, pour dresser un
état des lieux objectif de ce secteur, il est nécessaire de distinguer deux
sortes d'entreprises.
Les premières, les plus exposées, sont celles dont la priorité est d'essayer
de survivre à très court terme - six mois au maximum - compte tenu de l'état
actuel du marché et des ressources dont elles disposent. Ainsi, pour le seul
département des Vosges, on estime que 1 000 à 1 500 emplois sont menacés,
principalement en zone rurale. Pour ces sociétés et leurs salariés, l'urgence
est absolue. Il faut, sous peine de les voir disparaître, leur permettre de
s'adapter rapidement, d'ajuster les effectifs, de gérer la pyramide des âges,
d'engager des plans de formation, et ce grâce à des mesures
ad hoc
et à
l'atténuation des effets de la loi relative à la modernisation sociale.
Il est également urgent, pour les salariés qui vont perdre leur emploi, que
soient mises en oeuvre des mesures concrètes d'accompagnement et de formation
et que la conversion de certains bassins soit favorisée par l'émergence
d'activités nouvelles. Les collectivités locales s'y emploient, mais elles
attendent un coup de pouce rapide de l'Etat - je l'appelle de mes voeux - via
la création d'un fonds spécifique d'intervention et de conversion pour les
bassins d'emploi très touchés par les problèmes du textile mais également pour
le secteur, dont la situation est tout aussi préoccupante, du meuble.
Une telle procédure avait déjà été mise en oeuvre avec des résultats non
négligeables à l'occasion des reconversions des bassins houillers et
sidérurgiques en Lorraine du Nord, avec la création du FIBH, le Fonds
d'industrialisation du bassin houiller, et du FIBM, le Fonds
d'industrialisation du bassin minier. Il me semble que la reprise et la
modernisation de cette formule serait une opportunité intéressante, avec la
création d'un FIBT, un fonds d'industrialisation des bassins textiles.
A côté des entreprises que je viens d'évoquer et dont la situation est
extrêmement critique, certaines sociétés, fort heureusement, résistent mieux
mais pour combien de temps encore si rien n'est fait au niveau national et
européen pour contrecarrer les importations massives de produits finis ?
Comme toutes les industries de main-d'oeuvre, le textile a besoin d'une baisse
des charges, mais pas uniquement. Il faut également une vraie ambition
industrielle pour la France, car ce qui arrive aujourd'hui au textile se
produira demain pour d'autres secteurs si nous ne réagissons pas rapidement. Le
meuble, j'en disais quelques mots, est menacé, mais demain la mécanique,
l'équipement automobile ou d'autres secteurs le seront peut-être.
La Lorraine et les Lorrains, madame la ministre, croient encore à l'avenir du
textile et des industries traditionnelles. J'en veux pour preuve, en ma qualité
de vice-président du conseil régional en charge de l'économie, la mise en
oeuvre prochaine par la région Lorraine, avec le président Gérard Longuet et le
député Gérard Cherpion, d'un pôle lorrain textile identique au PLAB, le pôle
lorrain de l'ameublement bois, que nous avions mis en place voilà quelques
années et qui vient en aide aux industriels du bois.
La création d'un pôle textile permettrait de fédérer plus encore la filière en
matière d'innovation, de recherche, de stratégie, d'exportation et de
formation, tout en continuant, bien entendu, à soutenir les investissements
d'équipement et d'immobilier.
Oui, la Lorraine est sûre de l'avenir de son textile ; mais encore faudra-t-il
que la France s'emploie à lutter contre les importations asiatiques de produits
finis ou encore contre le dumping de certains pays : je pense au Pakistan,
notamment.
La profession textile propose, depuis de longs mois déjà, la création d'une
zone paneuropéenne de libre-échange comprenant, outre l'Union européenne, les
pays de l'Est - les pays d'Europe centrale et orientale, les PECO - et les pays
du bassin méditerranéen - Maghreb, Egypte, Turquie, Chypre - qui connaissent, à
une échelle moindre, les mêmes problèmes que nous face à l'Asie.
Le Gouvernement doit tout mettre en oeuvre pour voir ce projet aboutir. Après
avoir perdu la majeure partie de la confection, en effet, il est grand temps
d'agir pour conserver en France la fabrication du fil et du tissu. Le devenir
de milliers d'emplois et de milliers de familles est en jeu.
Madame la ministre, je sais pouvoir compter sur vous et sur votre volonté de
redonner à la France un élan industriel et, enfin, une politique ambitieuse en
la matière. Je sais également que vous saurez prendre les mesures
conjoncturelles qui s'imposent très rapidement pour la sauvegarde du textile
français, et plus généralement pour préserver l'avenir de nos industries
traditionnelles.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe Adnot.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne peux que
partager la volonté de M. le président Poncelet d'encourager une prise de
conscience nationale de la situation très grave de l'industrie textile, et
saluer la pertinence de la question orale avec débat qu'il pose aujourd'hui en
ce moment crucial.
Je souhaiterais, pour ma part, appeler plus particulièrement votre attention
sur le contexte difficile dans lequel évolue l'industrie du chaussant : bas,
collants, chaussettes.
Vous savez que l'Aube est le département de la maille, puisque 40 % de la
production y sont fabriqués. Or, depuis plus de dix ans, elle a perdu plusieurs
centaines d'emplois dans ce secteur, même si elle a réussi à en préserver
autant.
Qu'elles appartiennent à des groupes au nom prestigieux qui sont passés sous
contrôle américain et qui ont disparu ou à des groupes qui existent encore,
comme Doré-Doré dans le haut de gamme, toutes nos entreprises doivent plus ou
moins recourir aux délocalisations. Pour certaines d'entres elles, cela
n'empêchera d'ailleurs pas une éventuelle faillite.
La situation extrêmement difficile dans laquelle se trouve notre industrie
n'est que le reflet du malaise face à une concurrence sans cesse accrue des
pays à faible coût de main-d'oeuvre.
Ainsi, ces dernières années ont été caractérisées, dans le secteur du
chaussant, par une chute importante tant du volume achetés aux industriels
français que du chiffre d'affaires réalisé sur le secteur en grandes et
moyennes surfaces.
Dans les GMS, grands magasins et supermarchés de plus de 800 mètres carrés,
l'évolution des quantités vendues par les distributeurs est telle que nous
avons perdu 16 % de parts de marché. Et cela continue puisque le marché du
chaussant a perdu 7,2 % en volume. Pour l'année 2002, l'estimation réalisée sur
la base des chiffres du premier semestre montre encore une baisse du marché de
5,3 % en volume.
La volonté des grandes enseignes de distribution françaises d'améliorer leurs
marges pour pallier le blocage des extensions des surfaces de vente a eu
plusieurs effets : concentration des enseignes, développement des marques
distributrices, pression sur les prix, inflation des concessions commerciales
pour les marques nationales.
Ces effets conjugués ont eu pour conséquence un développement du négoce et de
la sous-traitance internationale, d'où un recrutement important par les GMS
d'équipes d'acheteurs.
La plupart des enseignes se sont structurées en recrutant des équipes
d'acheteurs qui recherchent à l'étranger des produits au meilleur prix, et il
n'est pas rare de rencontrer ces acheteurs chez les sous-traitants des
fabricants français.
Par ailleurs, différents pays ont des équipements de plus en plus performants.
Nombre d'entre eux tels que la Turquie, le Portugal, la Hongrie ou la Roumanie
se sont équipés de matériel performant afin de répondre aux demandes de la
distribution et leur parc de machines est maintenant comparable à celui des
fabricants français.
Cela a créé un véritable marché de l'approvisionnement international.
Le récent développement de l'organisation de salons de
sourcing
a mis
en évidence cette tendance. De plus, avec la disparition croissante des quotas
d'importation, il est de plus en plus simple pour les distributeurs de
s'approvisionner sur le marché mondial. On constate ainsi que les grandes
centrales de distribution font appel directement à la sous-traitance de
proximité - Europe ou Maghreb - pour leur approvisionnement en circuit
court.
Il serait donc illusoire, aujourd'hui, de penser que l'on va réserver les
productions de masse aux pays très lointains pour ne garder que le réassort ;
tout cela, c'est du passé, tant il est évident que tous ces pays interviennent
maintenant dans le circuit court.
Permettez-moi de citer quelques chiffres révélateurs qui porteront très
précisément sur l'évolution des importations de chaussettes entre 1996 et
2001.
La Turquie exportait en France 16 millions de paires de chaussettes en 1996 ;
elle en est maintenant à 70 millions.
La Roumanie est passée de 6 millions de paires en 1996 à 42 millions
aujourd'hui.
Par ailleurs, alors qu'on ne cesse de dire que ce sont les pays asiatiques qui
créent des problèmes dans ce domaine, la Chine, qui exportait vers la France 11
millions de paires de chausettes en 1996, en est à l'heure actuelle à 12
millions de paires.
Ces chiffres montrent bien que c'est de la proximité que provient l'effet de
masse. Le problème, c'est donc la réactivité.
M. Christian Poncelet.
Exact !
M. Philippe Adnot.
Par ailleurs,
a contrario,
l'Italie, qui exportait 81 millions de
paires en 1996, n'en est plus aujourd'hui qu'à 54 millions.
Les industriels sont donc obligés de délocaliser en partie leur production, et
le rapport est à l'heure actuelle - il ne faut pas l'oublier - d'à peu près 80
pour la production de masse et de 20 pour la réactivité. Or, je l'ai déjà
indiqué, cette réactivité n'est pas garantie à terme, il faut en être
conscient.
Je n'ignore pas les efforts du Gouvernement pour que notre pays revienne à un
niveau de compétitivité globale plus intéressant. Je n'ignore pas non plus
l'intérêt de la diversification de l'activité économique. Il n'empêche que des
entreprises en France, des entreprises de mon département risquent de procéder,
dans les semaines qui viennent, à plusieurs centaines de licenciements. Cette
question ne se traite pas avec des présupposés ou des idées générales et cela
me conduit, madame la ministre, à vous poser quelques questions.
Concrètement, dans l'immédiat et dans l'urgence, quelles mesures comptez-vous
prendre ? Comptez-vous, par exemple, introduire des contre-garanties du type
SOFARIS ou des crédits à taux bas au bénéfice des entreprises concernées pour
qu'elles puissent développer des politiques commerciales plus agressives ?
Quelles initiatives allez-vous prendre pour le reclassement des personnels,
notamment pour la prise en charge et les cellules qui peuvent y procéder ? En
effet, les entreprises n'arrivent même plus à financer les plans sociaux
auxquels elles sont confrontées.
Quelles mesures allez-vous prendre aussi en ce qui concerne les formations
longues qui peuvent concerner le personnel ? Plus généralement, comment
allons-nous faire pour proposer des alternatives aux personnels qui sont
obligés de trouver un autre travail ? Dans quelles industries ?
C'est donc bien un problème général que je soulève, madame la ministre.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Pierre Bel.
M. Jean-Pierre Bel.
Je voudrais en premier lieu remercier M. le président Poncelet d'avoir pris
l'initiative de ce débat qui intervient à un moment particulièrement
bienvenu.
Bien sûr, les conséquences de la non-reconduction de l'accord multifibres se
feront sentir. Mais, dès à présent, avant même cette échéance, une question se
pose, celle de la survie de notre industrie textile à moyen terme.
« Vous avez dit textile ? » s'étonnent certains ! Comme j'ai pu le vérifier
mille fois depuis qu'il m'appartient de m'en préoccuper, défendre cette
activité, parler de tout ce qu'elle recouvre, la préparation et la fabrication
de fibres telles que la laine, le coton, la soie... parler de filature, de
tissage, d'ennoblissement, de bonneterie, de confection même..., en un mot,
parler du textile, pour certains beaux esprits obsédés par le paraître de la
modernité, pour tous ceux qui s'apprêtent à liquider tranquillement un pan
essentiel de notre patrimoine industriel, c'est presque ringard, incongru, en
tout cas, ce n'est pas « économiquement correct ».
Oui, madame la ministre, ils sont toujours là, indéboulonnables malgré les
changements ministériels, ces fonctionnaires influents de la haute
administration française ou européenne, quelquefois infiltrés dans vos
cabinets, ces économistes d'un nouvel âge pour lesquels la nouvelle économie,
celle qui se nourrit exclusivement de spéculation financière, doit faire table
rase d'une politique industrielle jugée d'une autre époque.
Eh bien ! ne leur en déplaise, le textile est une industrie moderne, capable
de faire appel aux technologies les plus avancées, capable aussi d'assumer sa
mutation en utilisant au maximum les procédés les plus récents liées à la
recherche et à l'innovation !
Le textile-habillement en France, c'est aussi 450 000 emplois directs et
indirects répartis dans près de 3 000 entreprises. Pour l'Union européenne,
c'est plus de 3 millions de salariés et 114 000 entreprises. C'est tout cela
qui est en grand danger de disparition si l'on ne prend pas la mesure du
problème.
Où en sommes-nous en ce moment même ?
Nous avions placé beaucoup d'espoir dans les années 1999-2000 parce que le
taux de croissance en France et en Europe semblait enrayer la spirale
descendante de l'industrie textile. Nous avions beaucoup d'espoir parce que des
changements de stratégie, des investissements importants, tant en matière grise
qu'en matériel, des diversifications innovantes avaient permis de relancer les
chiffres d'affaires, la valeur ajoutée et les exportations.
Le secteur textile montrait qu'il était capable de s'adapter par des réformes
sérieuses face aux problèmes structurels. La plupart des entreprises se
montraient offensives dans leur développement, tournant ainsi le dos à une
attitude défensive courante dans le passé. Bref, nous avions l'impression de
retrouver un peu d'oxygène.
Au début de l'année 2001, la machine a commencé à s'enrayer, sous l'influence
d'une accumulation de facteurs.
Sur le plan international tout d'abord, nous avons assisté à une très faible
croissance du marché américain, à un accroissement du report des productions
asiatiques sur le marché européen, à la dévaluation compétitive de certains
pays tels que la Turquie, l'Indonésie, le Brésil, à l'adhésion de la Chine à
l'OMC, sans que la réciprocité douanière, certes programmée jusqu'en 2007, soit
encore en place.
Nous avons aussi été confrontés à la disparité des droits de douane entre les
pays développés, notamment entre les Etats-Unis et l'Europe, à l'accélération
de la libéralisation des quotas douaniers prévus en 2005 afin de servir de
monnaie d'échange à d'autres industries ou à d'autres secteurs, au
subventionnement indirect de pays pourtant adhérents ou frappant aux portes de
l'OMC, ce qui entraîne des effets de dumping, à l'accélération des
délocalisations vers les pays à bas salaires.
Nous avons également constaté des facteurs aggravants pour l'Europe et pour la
France : la faible protection de la propriété intellectuelle, l'absence de
contraintes environnementales et sociales en même temps que de programmes
précis pour permettre la progression des pays en voie de développement, la
concentration de la grande distribution et la réorganisation du système
d'approvisionnement où le responsable principal de cet approvisionnement
devient le confectionneur, lequel se trouve de plus en plus déclocalisé dans
les zones à bas coût de main-d'oeuvre. A cela s'ajoute l'impossibilité pour de
nombreuses entreprises artisanales de sortir de la sous-traitance pour aller
vers une véritable cotraitance, ce qui conduit ces petites entreprises à une
situation redoutable faite de difficultés et d'endettement.
Après une telle énumération, on voit bien que l'industrie textile est plus
largement influencée par le contexte européen et mondial que par son contexte
national. Mais cela n'enlève rien, bien entendu, à l'utilité des actions
concertées sur le plan national. Ces actions sont nécessaires, utiles parce
qu'elles peuvent être déterminantes quant à la pérennisation et au
développement du secteur et parce qu'elles permettent d'accompagner sa
mutation.
Voici le constat : la baisse globale du volume d'activité varie de 5 % à 30 %
suivant les secteurs, le textile-habillement traditionnel, qui représente 60 %
de l'activité, étant le plus touché. Au contraire, le secteur
textile-habillement nouvelles fonctionnalités et le textile technique se
rapprochent de l'équilibre voire, à certains endroits, malgré la conjoncture,
continuent leur progression.
On voit bien que nous nous heurtons à trois types de problèmes : conjoncturel,
structurel et spécifique avec la notion de mode-produits.
En ce qui concerne ce dernier point, je dirai simplement que c'est une
question de nature différente. Il s'agit d'un problème cyclique lié à la mode
et à la consommation qui, lorsqu'il se conjugue au problème conjoncturel,
renforce l'état dépressif du secteur, ce qui est le cas actuellement.
Le secteur textile est aujourd'hui confronté à un problème conjoncturel.
Comme cela a été dit, le ralentissement de l'activité a provoqué une absence
d'investissement des entreprises : elles n'ont plus les moyens. Même si la
consommation, en matière d'habillement en particulier, reste correcte, la
production est en chute. L'écart entre les deux provient du flux des
importations, qui s'accélère.
Il me faut donc parler maintenant de la situation dramatique des artisans.
Après avoir fait des efforts d'investissement en machines pour répondre aux
besoins des donneurs d'ordres, ils sont dans une situation quasiment analogue à
celle des agriculteurs surendettés.
Lorsque des donneurs d'ordres décident d'internaliser leur production, ils
diminuent fortement, voire arrêtent leurs commandes aux sous-traitants, leur
ôtant ainsi toute possibilité d'activité et les laissant avec leurs dettes.
On doit donc se demander si l'on souhaite conserver l'intégralité de la
filière textile qui, comme on le sait, constitue une chaîne autour de
nombreuses activités : filature peignée, filature cardée, teinture, tissage,
ennoblissement, tricotage, confection, broderie, dentelle, etc.
Perdre un élément de la filière, c'est mettre en péril la filière dans son
ensemble. Pour l'éviter, il faut veiller à soutenir l'amont de la filière, qui
se consacre principalement à la recherche, au transfert de technologie, à la
conceptualisation, à la formation et, indirectement, à toutes les applications
de la recherche.
Le textile est lié à ses territoires, nos territoires sont liés au textile.
Si on laisse se développer jusqu'à son terme ce processus lent et insidieux,
quel avenir offrons-nous à des régions entières de notre pays, les Vosges bien
sûr, la région Rhône-Alpes, le Pas-de-Calais, et à celles qui me sont chères, à
Castres-Mazamet dans le Tarn et, surtout, au pays d'Olmes en Ariège ?
Quand l'activité textile représente jusqu'à 50 % du total, on voit bien que le
problème industriel devient aussitôt un problème d'aménagement du
territoire.
Cela n'est d'ailleurs pas sans lien avec d'autres secteurs, puisque, lorsque
l'on visite les usines textiles du troisième millénaire - il en existe ! -
elles rassemblent dans leurs différentes composantes la presque totalité des
applications de la recherche, qu'elle soit chimique, physique ou électronique
et, très souvent, la combinaison de l'ensemble d'entre elles.
Quelles sont les mesures d'accompagnement que nous vous demandons de soutenir
fortement sur le court terme ? Pour les artisans, nous souhaitons des
dispositions visant à passer des conventions pour le chômage partiel, le report
des charges sociales et fiscales sans intérêt, notamment pour les artisans et
les PME, l'affectation de fonds de garantie de l'Etat, et sans doute aussi des
régions, de type SOFARIS, afin de pouvoir garantir des prêts à 100 % sur une
période de deux à trois ans.
Entreprise par entreprise, au cas par cas, cette mesure est susceptible de
dépasser l'accident conjoncturel.
Il faut également appliquer la règle du mieux-disant sur les marchés
administratifs.
J'attire votre attention, madame la ministre, sur ces marchés administratifs
qui, au plan européen, semblent de plus en plus fermés à nos productions
nationales tant nous déployons un grand zèle pour observer les offres des
autres entreprises.
Il faut ensuite mettre en place des lignes budgétaires pour réaliser des
opérations financières par la FNE.
Toutefois, notre problème est aussi et surtout un problème structurel.
Vous ne trouverez aucun entrepreneur textile, aucun reponsable de ce secteur,
qu'il soit patronal ou syndical, pour contester le développement des échanges
au plan européen ou mondial, mais vous les trouverez tous extrêmement
vigilants, notamment à l'occasion des négociations de l'OMC.
Il ne faut pas, en effet, faire preuve de précipitation : tant que la
structuration des entreprises n'aura pas intégré parfaitement cette évolution
par la mise en place de nouvelles stratégies et des investissements adaptés,
les risques seront énormes.
Madame la ministre, nous comptons sur votre soutien : le territoire ne peut
pas être une monnaie d'échange pour l'accélération de la politique induite par
la mondialisation.
Nous comptons sur vous pour négocier les droits de douane des produits
textiles ou d'habillement, que ce soit sur des marchés développés, aux
Etats-Unis notamment, ou dans des pays en émergence adhérents à l'OMC. Nous
comptons aussi sur vous pour sanctionner les pays qui maintiennent des
obstacles administratifs à l'importation et mènent des politiques de dumping,
pour lutter contre la contre-façon en favorisant la création et la propriété
intellectuelle, pour gérer l'attribution des aides publiques à partir
d'objectifs industriels et d'emplois offensifs et, enfin, pour favoriser
l'émergence d'un véritable espace d'échanges euro-méditerranéen, même si
celui-ci, dans un premier temps, a suscité des craintes.
En effet, seule la vitalité de ce nouveau champ de prospérité pourra rivaliser
avec la zone américaine - qu'il s'agisse de l'accord de libre-échange
nord-américain ALENA, ou du marché commun du Sud, le MERCOSUR - ou avec la zone
asiatique.
Nous comptons également sur vous pour accompagner de nouveaux appels à projets
européens concernant l'innovation technologique ou organisationnelle, qui
permettraient aux PME d'avoir accès au financement de l'innovation.
Madame la ministre, c'est vital aujourd'hui : la réorientation de la politique
des fonds structurels doit prendre en compte la réindustrialisation,
l'innovation, la mutation des industries traditionnelles.
Il faut ouvrir les yeux ! Dans des régions comme la mienne, ni l'agriculture
ni même le tourisme ne suffiront à alimenter les emplois du futur.
Nous pouvons aussi intervenir pour l'accompagnement des politiques locales et
nationales.
Trop longtemps, les différents acteurs de ce secteur se sont ignorés, chacun
travaillant dans son coin. Aujourd'hui, ils ont pris conscience de l'intérêt de
l'action collective et de la construction d'un réseau allant du bas vers le
haut - c'est le sens des systèmes productifs localisés, les SPL. Pour les
aider, il convient de résoudre les problèmes suivants : le développement de la
compétitivité, le développement de la valeur ajoutée et l'incitation à la
demande par l'offre.
Si l'on sait que 40 % des produits et
process
que nous utiliserons dans
trente ans ne sont pas inventés, on comprend alors le champ immense d'évolution
de la consommation des produits textiles.
Le textile peut prendre différentes formes : textile technique, biotextile,
agro-textile.
Nous avons affaire aujourd'hui aux fibres antistress, antibactéries, anti-UV
ou même bronzantes, hydratantes, lumineuses. Les tissus doivent devenir
intelligents. Comme l'a dit Christian Larose, syndicaliste du secteur du
textile et de l'habillement : « Ils se prêtent à tout. Ils régulent la chaleur
du corps, distillent des parfums, mais, bien sûr, ces procédés d'avenir sont
complexes à mettre en oeuvre. Une maille antistress utilise le carbone et
protège le corps des ondes électromagnétiques. Certains traitements donnent une
meilleure hygiène et éliminent les mauvaises odeurs. On peut tout imaginer :
des vêtements qui changent de couleurs, qui réagissent à la lumière pour se
transformer. »
Mais avant d'opter pour ces fabrications du futur, nous avons besoin d'une
véritable révolution. Dans les SPL, on y réfléchit déjà et on avance des axes
favorisant ces évolutions.
L'aide à la réflexion stratégique des entreprises, à la recherche de
stratégies alternatives, en est un. Les programmes Stratex, dans ma région
Midi-Pyrénées, ou Nortex, dans le Nord - Pas-de-Calais, en sont des
exemples.
L'aide à l'innovation est un autre axe.
Celle-ci est actuellement articulée autour du réseau industriel d'innovation
du textile et de l'habillement, mis en place par l'Etat dans dix pôles
d'excellence hexagonaux. Cette action qui démarre doit être complétée par une
action directe des entreprises, au travers de la mise à disposition
d'animateurs-innovation.
L'Etat doit permettre un contact direct, en se dotant de moyens d'animation
humains. Les objectifs visés sont de porter l'action innovation indirectement
dans chaque entreprise. Ils doivent aussi être de favoriser l'émergence de
nouveaux projets de création en utilisant l'essaimage ou les techniques
d'incubation, de mise en pépinière et de création.
Une action pour le textile doit veiller à la préservation, la transmission et
l'adaptation des métiers et savoir-faire. C'est un troisième axe. La matière
première du futur est plus que jamais la matière grise alliée à la
connaissance. Sa montée en puissance au sein des entreprises est le seul garant
de la valeur ajoutée des entreprises.
Il faut donc oeuvrer pour le développement de la formation continue, du bac
pro jusqu'à la mémorisation des savoir-faire, en passant par la validation des
acquis et le développement des compétences.
Je l'ai dit en commençant, nous devons nous battre pour améliorer l'image du
textile. C'est un quatrième axe. Il nous faut des opérations de communication
offensive sur les plans à la fois régional, national et international. Pour ce
faire, il convient de relancer l'intérêt, non seulement des étudiants, mais
aussi de l'opinion publique aux potentialités du textile, véritable métier de
passion.
Permettez-moi de vous dire, madame la ministre, que le secteur du textile, ce
sont des femmes et des hommes qui ont consacré leur vie à leur métier et qu'il
conviendrait par conséquent, comme cela a été fait pour la sidérurgie, d'aider
à l'accompagnement des personnes âgées de plus de cinquante ans qui sont
concernées par des plans sociaux.
Pour conclure, je dirai que l'accompagnement des pouvoirs publics dans les
réformes structurelles est l'une des conditions de réussite de la mutation du
secteur textile. Les entreprises, dont les finances sont bien souvent exsangues
à l'heure actuelle, auront du mal à entreprendre seules, malgré leur volonté,
ces mutations, notamment les TPE et les PME, même lorsque celles-ci se
regroupent.
Il en va de même pour l'aménagement du territoire : en effet, on ne remplace
pas du jour au lendemain un type d'activité par un autre, mais on peut
commencer à entreprendre des diversifications préventives à partir d'un socle
solide traditionnel.
En matière textile - je me permets d'insister sur cet aspect - on ne pourra se
passer de la création d'une sorte de comité interministériel d'aménagement du
territoire prenant en compte les territoires en mutation, la politique
sectorielle ayant été condamnée.
Madame la ministre, si une telle volonté se fait jour, chacun sera gagnant.
Tout ce que nous pouvons mettre en oeuvre aujourd'hui sera, de toute façon,
moins coûteux, moins douloureux, que tous les problèmes sociaux engendrés par
l'abandon d'espaces économiques industriels. Il n'y a pas de vie sociale, de
vie économique durable dans un territoire sinistré.
Oui, l'heure est grave et cette occasion pourrait être la dernière. Le textile
a tissé longtemps les fils de la vie. Ne les coupons pas ! Il nous appartient
de ne pas tromper l'espérance de centaines de milliers de femmes et d'hommes
pour qui le textile est à la fois une culture, un environnement et une raison
de vivre.
Actuellement - mon ami Ivan Renar l'a dit -, nous perdons plus de 2 000
emplois pas mois ; c'est pourquoi l'heure n'est plus à la résignation, à
l'interrogation ni à des déclarations d'intention. L'heure est à une vraie
politique industrielle offensive. Madame la ministre, vous avez un rôle éminent
à jouer pour aider le secteur textile à accomplir sa mutation.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Christian Gaudin.
M. Christian Gaudin.
Monsieur le président Poncelet, je vous remercie d'avoir, par votre question,
ouvert le débat sur l'industrie textile.
L'industrie du textile-habillement et de la maille représente 240 000 emplois
aujourd'hui en France. Malheureusement, cette activité est de plus en plus
menacée par la perte de ses emplois à la production.
Deux chiffres illustrent la crise que connaît le seul secteur de l'habillement
; il comptait 250 000 emplois voilà quinze ans contre seulement 100 000
aujourd'hui !
C'est une industrie particulièrement fragilisée, largement ouverte à la
concurrence internationale, en permanente restructuration depuis plusieurs
années déjà.
La concurrence s'exerce à la fois à l'intérieur de l'Europe avec l'Italie, le
Portugal et l'Espagne, et de plus en plus avec les pays en voie de
développement à faible coût salarial.
Cette activité manufacturière s'amenuisant, ce sont des territoires entiers
qui sont économiquement menacés. Par exemple, dans la région des Pays de la
Loire, dont je suis l'élu, la filière habillement représente 12 000 emplois
répartis sur 200 entreprises concentrées essentiellement dans le bassin
choletais.
La fragilité de cette industrie repose en effet sur l'importance de la
main-d'oeuvre, qui peut représenter 60 % du prix de revient. Nos entreprises
ont modernisé leurs techniques, leur outillage, mais cette technicité est
elle-même devenue très accessible pour les pays en voie de développement, et
les faibles coûts salariaux de ces derniers ont entraîné la délocalisation du
façonnage pour de nombreuses entreprises qui ne gardent dans l'Hexagone que les
activités commerciales et créatives.
Vous n'ignorez pas, madame la ministre, combien la région des Pays de la Loire
a été très affectée par le transfert d'une grande partie des activités de
production dans les pays à faible coût de main-d'oeuvre. La consommation du
marché intérieur, qui avait connu une légère reprise depuis 1997, a régressé
pour devenir négative en 2002. Nous savons tous que, si la période de récession
se confirmait, les résultats seraient encore plus désastreux.
Or c'est dans ce contexte déjà critique que doit intervenir le démantèlement
de l'accord multifibres.
Dans le cadre de l'Uruguay Round et de la conférence de Marrakech en 1994, il
avait été convenu que l'accord multifibres serait démantelé en quatre phases
sur une période de dix ans, démantèlement consistant à supprimer
progressivement les quotas d'importations. Nous entamons aujourd'hui la
dernière phase de cet accord puisque, au 1er janvier 2005, c'est-à-dire dans un
peu plus d'un an, tous les quotas d'importations applicables aux textiles et à
l'habillement seront supprimés et le commerce des vêtements et des tissus
totalement libéré.
Les engagements pris par les pays en voie de développement en contrepartie du
démantèlement de l'accord multifibres consistait, d'une part, à ouvrir leurs
marchés aux tissus et vêtements en provenance des pays plus industrialisés et,
d'autre part, à mettre en oeuvre les moyens législatifs et réglementaires
nécessaires pour faire respecter, sur leur marché, les accords ADPIC en matière
de protection de la propriété industrielle et commerciale. Force est de
constater que les engagements de ces pays n'ont pas été tenus, que ce soit en
matière d'accès aux marchés ou en matière de respect des accords sur la
protection de la propriété intellectuelle et commerciale.
Madame la ministre, est-il normal que l'Union européenne demeure l'une des
zones les plus ouvertes aux importations ? Il convient de rappeler que le tarif
extérieur commun - le TEC - de l'Union européenne est le plus bas du monde,
puisque les droits de douane à l'importation sont de 12 % pour les vêtements et
de 9 % pour les textiles. Les tarifs douaniers consolidés des pays en voie de
développement sont compris dans une fourchette de 30 % à 50 %, avec un record
pour l'Inde à 82 %.
Entre 1995 et 2000, les importations extra-Union européenne sont passées de 41
milliards d'euros à 67 milliards d'euros, soit une progression de 64 %, alors
que, pendant la même période, les exportations extra-Union européenne sont
passées de 27 milliards d'euros à 38 milliards d'euros, soit une progression de
40 %.
Entre les accords de Marrakech de 1994 et la fin de l'année 2001, les
effectifs de l'industrie française de l'habillement ont diminué de 40 %.
L'entrée de la Chine dans l'OMC, en lui permettant de bénéficier des 51 % de
quotas déjà libérés, va se traduire par une pression accrue de ce pays sur le
commerce international du textile et de l'habillement. C'est ainsi que, pour le
seul marché français, les importations de vêtements en provenance de Chine ont
progressé de 8 % pendant le premier semestre. La Chine devient ainsi le
deuxième fournisseur de vêtements en France après la Tunisie.
Dans ce contexte, que reste-t-il à l'industrie française ? Heureusement, notre
industrie de l'habillement conserve ses atouts : le principal est d'avoir su
conserver un capital d'image en matière de mode, grâce notamment à la haute
couture.
Mon département est tout à fait représentatif. Le Maine-et-Loire occupe en
effet une place de choix dans les activités de la mode au niveau national. Dans
le Choletais, nos entreprises fabriquent 30 % du prêt-à-porter français et
occupent la première place européenne dans la confection pour enfants.
Contrairement aux autres régions du textile, le bassin choletais est un pôle
industriel qui s'est construit autour de petites communes. Cette spécificité de
créer des usines à la campagne est unique en France, un exemple de
décentralisation avant l'heure. En contrepartie, les possibilités de
reconversion professionnelle dans des zones essentiellement rurales sont
extrêmement faibles. C'est une réalité à prendre en compte dans le cadre de
l'aménagement du territoire. Notons à ce sujet que les salaires sont souvent
peu attractifs et n'incitent pas à la mobilité. Ne pourrait-il pas être
envisagé une défiscalisation salariale ou une baisse des charges pour les
emplois de production ?
Bien sûr, la sous-traitance est majoritaire au sein de la filière. Les
donneurs d'ordres sont soit de grands distributeurs, soit les marques les plus
prestigieuses de la haute couture, ce qui conforte l'excellente image dont
bénéficie la profession dans ce bassin d'emplois.
La qualité est un atout majeur. Gardons à l'esprit que 100 % de la production
très haut de gamme française est fabriquée en France. C'est pourquoi il est
important d'accentuer nos efforts dans trois domaines qui sont la création, la
qualité et le développement des exportations vers les pays à fort potentiel
comme l'Asie du Sud-Est et l'Amérique latine.
En conséquence, face à la concurrence des pays à faible coût de main-d'oeuvre,
la survie de cette industrie réside dans ses capacités à aider la création et
l'émergence de jeunes créateurs, à développer la fabrication haut de gamme, à
continuer de promouvoir la qualité, à développer les exportations en s'appuyant
sur des marques à forte image et notoriété et, enfin, à mener une politique de
formation.
Puisque 30 % de ce secteur lié à la création est destiné à être exporté, il
est nécessaire de développer et de coordonner les aides dans ce secteur. Le
maintien - et je l'espère, la croissance - de l'industrie du textile dépend de
l'ouverture de nouveaux marchés. L'Europe, la France doivent être fermes sur
l'accès aux marchés de certains pays. Nous ne devons pas oublier que si le
pourcentage de la population susceptible d'acheter des produits haut de gamme
français reste faible en Inde ou en Chine par exemple, ce pourcentage, au
regard de la population de ces pays, représente néanmoins un marché énorme pour
nos entreprises.
La défense de nos marques, des dessins et de la création de modèles,
c'est-à-dire la protection intellectuelle de nos créateurs, doit constituer une
autre priorité. L'attente est grande, mais les professionnels ne voient rien
venir et retrouvent leurs modèles plagiés dans la grande distribution française
ou internationale.
En corollaire, l'industrie française doit développer une politique de
formation : d'une part, sauvegarder les métiers traditionnels, les savoir-faire
à haute valeur ajoutée ; d'autre part, promouvoir les formations en matière de
logistique et de commerce international.
Je souhaite à présent vous faire part, madame la ministre, d'une question
importante pour la profession.
L'industrie française de l'habillement dispose d'une taxe parafiscale qui lui
permet, par une mutualisation du produit de cette taxe, de mettre en oeuvre des
programmes nationaux collectifs en matière de soutien à la création,
d'accompagnement et de développement de la formation et de promotion des
exportations. Or cette taxe parafiscale est appelée à disparaître à la fin de
l'année 2003. Sa pérennisation sous la forme d'une imposition affectée est
vitale pour l'avenir des industries françaises de l'habillement et de la mode.
Les professionnels aimeraient connaître votre position sur cette question
précise, madame la ministre.
Pour conclure, je souhaite que vous puissiez, dès à présent, nous annoncer les
mesures nouvelles arrêtées par votre ministère ou par l'Union européenne pour
répondre à l'attente des salariés, des chefs d'entreprises et des élus locaux.
L'annonce d'un réel plan textile-habillement serait un signal très fort quant
au soutien que le Gouvernement entend apporter à cette industrie primordiale
pour l'emploi, qui contribue largement au rayonnement de l'image de la France.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Pierre André.
M. Pierre André.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, depuis
quelques mois, le rythme des dépôts de bilans dans le secteur textile
s'accélère de façon inquiétante, accompagnés de leur lot de drames en tout
genre et particulièrement de drames humains.
Aussi, monsieur Poncelet, le débat sur l'industrie textile que vous avez
souhaité arrive au bon moment. En effet, les Français sont nombreux à se poser
la question de savoir si la France a encore la volonté de défendre et de
soutenir son industrie et particulièrement son industrie textile. Au vu de la
politique industrielle des vingt dernières années, nous sommes en droit d'en
douter.
Elus du Nord de la France, bastion de l'industrie textile, qui a créé tant de
richesses pour notre pays, nous vivons, impuissants, l'inexorable déclin de nos
usines et l'augmentation continue du chômage, qui atteint 13, 14, 15, voire 20
% de la population active.
Dans le bassin d'emploi de Saint-Quentin, ville dont je suis maire, quatre
mille emplois ont disparu, c'est-à-dire la moitié des emplois industriels
existants et les plans de redressement en cours portent malheureusement sur
plusieurs centaines de suppressions de postes.
De temps à autre, lorsque la colère monte, à l'approche d'une échéance
électorale, les gouvernements successifs nous proposent des mesures locales du
type « cabinet de reconversion », dont les résultats sont souvent comparables à
l'effet d'un cataplasme sur une jambe de bois, alors que c'est d'une véritable
politique « de rupture » dont nous avons besoin.
Tout à l'heure, le président Christian Poncelet a brillamment ouvert un
certain nombre de voies sur lesquelles il nous faudra travailler dans les
semaines et dans les mois à venir. Nos collègues qui sont intervenus voilà
quelques instants ont également souligné l'aspect international et conjoncturel
de l'industrie textile. Aussi limiterai-je mon intervention à quelques
remarques relatives au contexte national.
Pour l'industrie textile, il faut aller plus loin. Comme Alain Juppé l'a fait
avec succès avec les zones franches urbaines, c'est-à-dire avec nos quartiers
les plus en difficulté, il faut mettre en place - peut-être à l'échelon
européen, d'ailleurs - une politique de discrimination positive en faveur des
entreprises textiles, afin de réduire les charges fiscales et sociales.
Il paraît également important de mieux réguler les relations entre donneurs
d'ordres et sous-traitants. Je pense, par exemple, aux équipementiers
automobiles du secteur textile, qui doivent souvent investir lourdement et
ensuite passer sous les fourches caudines des fabricants, qui imposent leurs
prix - en général, ils baissent de 3 % à 4 % par an - les délais, les stockages
et aussi les aléas du marché. La distribution a également sa part à prendre.
La confection en France est sinistrée, nous dit-on. Or, curieusement, dans les
grandes villes françaises et étrangères, voire sur notre prestigieuse avenue
des Champs-Elysées, nous voyons les meilleurs emplacements commerciaux occupés
par des marques de vêtements féminins ou masculins fabriqués en Europe - je
pense aux grandes marques espagnoles, dont les produits sont fabriqués dans
leur pays -, voire aux Etats-Unis.
Le secteur de l'habillement n'est donc pas une industrie réservée aux seuls
pays à faibles niveaux de salaires.
Autre constatation : la grande distribution et la vente par correspondance, au
nom des « sacro-saints prix bas », offrent aux consommateurs, dans leurs rayons
ou dans leurs catalogues, des produits qui, dans 90 % des cas, sont fabriqués à
l'étranger.
Le Gouvernement doit, madame le ministre, dans ce domaine du textile comme
dans d'autres, insuffler un esprit nouveau et tonique dans les relations entre
distributeurs et producteurs.
Mais l'avenir de l'industrie textile française passe par sa capacité à
innover.
Les avancées technologiques sont importantes, les mutations grandes et
rapides. Nos entreprises savent être réactives et tirer leur épingle du jeu
pour peu qu'elles soient soutenues et encouragées. Nous devons les aider dans
leurs efforts de recherche et dans la mise en oeuvre de leurs résultats, car
plus de technicité, c'est moins de concurrence que sur les produits moins
élaborés.
Notre collègue M. Bel le rappelait tout à l'heure, des fibres naturelles aux
propriétés améliorées aux fibres synthétiques ayant des qualités médicales
diverses - filtrant le soleil, permettant au corps de résister à des
températures extrêmes... - les textiles de demain n'ont pas fini de nous
étonner.
Or, aujourd'hui, déjà 25 % de l'industrie textile se consacrent aux tissus
techniques, et c'est là une voie vers laquelle nous devons nous tourner, car
c'est l'innovation qui peut surmonter le handicap des niveaux des salaires.
C'est un devoir pour l'Etat d'accompagner, d'inciter, d'encourager les
entreprises dans cette voie. C'est ainsi que nous créerons les emplois du
futur.
Sauver l'industrie textile, madame le ministre, est un enjeu prioritaire, car
il s'agit, bien sûr, d'emplois, mais aussi, et surtout, de la crédibilité
industrielle de la France.
(Très bien ! et applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme nombre
d'intervenants, je veux aujourd'hui remercier ceux qui nous donnent l'occasion
de parler du textile au Parlement : le président Christian Poncelet, par la
question dont il a eu l'initiative, et vous, madame la ministre, qui avez
accepté ce débat. Que le Gouvernement ait accepté peu de temps après sa
nomination d'aborder la question de l'industrie textile dans notre assemblée
marque, me semble-t-il, l'importance qu'il attache à ce secteur.
M. Christian Poncelet.
Très bien !
M. Michel Mercier.
Qu'un tel débat n'ait pas eu lieu plus tôt, alors que les problèmes ne datent
pas d'hier, accroît naturellement, madame la ministre, les espoirs que nous
mettons en vous. L'attente est grande !
Mes collègues ont déjà très largement souligné quelle était la situation de
l'industrie textile aujourd'hui : elle traverse une crise quasi structurelle,
certes, mais elle n'est pas pour autant condamnée à disparaître, pour peu que
l'on se rassemble tous autour d'elle et que l'on prenne, pour l'immédiat, les
mesures de sauvegarde qui assureront son avenir.
Naturellement, comme celles et ceux qui se sont succédé à cette tribune, je
vous parlerai, madame la ministre, des problèmes que rencontre cette industrie,
mais je voudrais qu'après notre débat on ait une vision plus optimiste de son
avenir dans notre pays.
L'industrie textile n'est ni une industrie du passé ni une industrie
vieillotte, encore moins une industrie qui n'a d'avenir que dans des pays où
les salaires sont dramatiquement bas : elle est porteuse d'avenir !
Il s'agit, nous le savons tous, d'une crise structurelle. Nous le vivons dans
nos départements, dans nos régions, et nous avons tous conscience des
conséquences de l'organisation du marché sur le plan mondial. L'industrie
textile a toujours été aux avant-postes, en quelque sorte, pour prendre les
premiers coups, que ce soit dans l'histoire industrielle de notre pays ou
aujourd'hui. En accueillant, tout à l'heure, nos amis de Chine, nous savions
qu'ils représentaient le principal pays concurrent de notre industrie
textile.
A titre d'exemple, je citerai le cas de la couverture. Il se trouve que les
deux derniers fabricants de couvertures en France - malheureusement ! - sont
installés dans le canton dont je suis l'élu. Voilà quelques années, lorsque la
couette est arrivée, ces fabricants se sont adaptés. Quelques années plus tard,
la couverture polaire, produit de grand luxe, est apparue. Depuis deux ans,
cette couverture est fabriquée en Chine. Elle est devenue un produit ne coûtant
que quelques francs, ce qui ruine actuellement l'industrie textile.
Cette industrie est donc extrêmement vulnérable. Doit-on se contenter de le
constater ? Doit-on se dire que, après tout, c'est ainsi que les choses se
font, qu'il nous faut les subir et essayer de trouver des mesures sociales ? De
telles mesures sont, certes, nécessaires - j'en parlerai dans quelques instants
- mais l'industrie textile mérite plus que cela. C'est une véritable industrie
!
L'industrie textile se bat ! Les présentations, voilà quelques semaines, au
salon Première Vision, suffisent à rendre compte de la capacité de l'industrie
française - et, plus largement, de l'industrie européenne - en matière de
créativité, de recherche et de mode.
Cette industrie est le reflet, pour chacune et chacun d'entre nous, d'une
forme d'épanouissement personnel. Elle est porteuse de valeurs importantes.
N'oublions jamais que, outre sa forte valeur sociale, l'industrie du textile et
de l'habillement est une partie de l'image de notre pays. Pour cette raison et
parce qu'elle a un avenir, nous devons nous battre ! Cet avenir, il faut le
préparer en prenant des mesures conjoncturelles ; nombre de nos collègues y ont
fait allusion et, par conséquent, je n'y insisterai pas.
Il s'agit, par ces mesures conjoncturelles, tout à la fois de répondre aux
problèmes sociaux qui sont posés par les dépôts de bilan, notamment, mais aussi
d'anticiper.
Le textile perd des emplois. La situation est telle qu'il en perdra
probablement encore au cours des mois, voire des années qui viennent. Sachons
préserver cet outil humain, sans oublier que les emplois du textile sont
pénibles, que ceux qui les occupent sont souvent assez âgés, qu'ils sont entrés
très jeunes dans l'industrie et qu'ils y ont travaillé toute leur vie. A cet
égard, madame la ministre, je crois qu'une mesure d'âge s'impose : afin de
préserver l'outil de l'industrie textile, je demande au Gouvernement qu'il
étudie le plus vite possible une mesure d'âge pour permettre aux salariés les
plus âgés de prendre leur retraite et ainsi de laisser la place aux plus
jeunes.
Mais il faut savoir aussi bien utiliser l'outil humain du textile. Car, en la
matière, tout le monde ne peut pas faire n'importe quoi et n'importe comment.
Les salariés du textile et de l'habillement ont un vrai savoir-faire industriel
qui peut être utilisé dans d'autres secteurs. Il y a là une véritable filière
professionnelle qui exige de vrais professionnels. Je pense donc que, outre une
mesure sociale comme la mesure d'âge que je suggérais à l'instant, il est bon
de prévoir des actions de formation lourdes, à long terme, qui mobiliseront
tant l'Etat et les régions que, bien entendu, l'Europe. Ces deux séries de
mesures nous permettront, je pense, de préserver l'outil textile.
Permettez-moi deux suggestions, madame la ministre. Il serait vain - et
inexact, car cela ne correspond pas à la réalité de la situation - que nous
nous battions sur le seul terrain national : c'est un problème européen qui est
ici posé et, pour le régler, nous devons avoir une politique européenne du
textile.
Mais je ne vous apprendrai rien sur le sujet, madame la ministre. Je souhaite
simplement que, grâce à votre savoir-faire et à votre pratique de l'Europe,
nous puissions obtenir de l'Union européenne une véritable stratégie
industrielle dans ce domaine.
Certes, nous avons les fonds européens. Tout cela est très beau, même presque
trop beau, parfois, tellement il y en a. Observons cependant que ces fonds ne
jouent que pour des territoires qui ont déjà subi la crise. Or il est très
difficile de recréer ce qui a disparu.
M. Christian Poncelet.
C'est vrai !
M. Michel Mercier.
Essayons d'agir en amont et mettons les fonds structurels européens au service
des filières industrielles afin de développer une véritable stratégie
industrielle qui réponde aux exigences d'une économie désormais ouverte sur le
monde.
L'heure n'est plus à la fermeture sur soi, et, si vous devez vous battre,
madame la ministre, c'est non pas pour que nos tarifs douaniers augmentent,
mais bien pour que ceux des autres pays diminuent. Telle est l'action qu'il
faut accompagner d'une stratégie industrielle.
Quant à la créativité de nos industries, je souhaite également qu'elle soit
protégée sur les deux plans, national et européen.
Des efforts extrêmement importants sont faits en termes de recherche sur les
textiles, mais toute cette créativité est parfois pillée en quelques semaines,
voire en quelques jours, par des personnes qui se contentent d'acheter quelques
mètres d'un tissu, pour le faire fabriquer au loin et nous revendre des
cargaisons de copies. Il y a là un véritable pillage intellectuel contre lequel
le Gouvernement doit agir.
Créativité, recherche et matière grise, tel est le textile d'aujourd'hui.
C'est cette industrie véritablement moderne qu'il nous faut sauver, d'autant
qu'elle est la manifestation du savoir-faire industriel de notre pays. Voilà
pourquoi les mesures conjoncturelles qu'il nous faut prendre doivent être tout
à la fois économiques - je m'associe aux propos qu'ont tenus mes collègues à
cet égard - et sociales, pour préserver l'outil humain qui fait le textile. Il
y là une voie, certes étroite, qui peut nous permettre de maintenir une
industrie textile de qualité dans notre pays. Tel est le sens de l'action qui
nous mobilise tous aujourd'hui.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Louis Moinard.
M. Louis Moinard.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la question du
président Christian Poncelet est claire. L'évolution de l'industrie du
textile-habillement en France, du moins ce qu'il en reste, est très
préoccupante. Tout a été dit sur cette industrie de main-d'oeuvre, qu'il
s'agisse de la mondialisation, des charges salariales, des 35 heures ou encore
des délocalisations.
Permettez-moi de citer le cas de mon département. En Vendée, ce sont encore
plus de 6 000 salariés qui sont concernés. En Vendée comme sur le reste du
territoire français, il faut voir, derrière les chiffres, nos administrés, nos
amis, nos voisins, nos enfants. Ne l'oublions pas !
Aujourd'hui, ce secteur de notre industrie est en perdition. En effet, de
nombreux façonniers sont au bord du gouffre du dépôt de bilan. Certains
n'attendront pas six mois.
Permettez-moi un exemple très concret. Un pantalon confectionné par notre
main-d'oeuvre qualifiée pour un coût de 22 euros revient de 13 à 15 euros si
l'entreprise française possède un atelier délocalisé dans un pays de l'Europe
de l'Est, par exemple, et à 9 euros, si c'est un entrepreneur de ce même pays
qui le produit. En un an, la diminution du nombre des commandes représente 50 %
du chiffre d'affaires.
A ce jour, certaines entreprises n'ont plus de commandes pour la fin de
l'année ; elles doivent rechercher d'improbables nouveaux clients, avec des
prix qui ne couvriront pas les charges de production.
A l'heure où dix nouveaux pays doivent intégrer l'Union européenne, la
question se pose : quelle Europe voulons-nous ? Pour moi, c'est très clair :
s'il ne s'agit pas de remettre en cause le principe de la construction
européenne, il faut en revoir les modalités. En effet, l'on ne saurait
construire cette Union, cette indispensable solidarité entre les peuples de
notre continent européen par le sacrifice de pans entiers de notre industrie de
main-d'oeuvre !
Cette main-d'oeuvre, ce sont des femmes et des hommes qui ont investi leur
savoir-faire et leurs compétences ; ce sont des familles, des enfants qui en
vivent, qui veulent construire leur avenir et attendent que nous, leurs élus,
nous leurs donnions des réponses à dimension humaine. Sinon, à quoi
servirait-il que nous nous engagions en politique ?
Il existe des réponses faciles : reconversion, formation, mobilité !
Chaque fois que nous votons des lois, que nous prenons des décisions, nous
devons le faire en regardant droit dans les yeux les Françaises et les Français
!
Madame la ministre, mes chers collègues, acceptons-nous le déclin inéluctable
de l'industrie du textile et, par voie de conséquence, le sacrifice de celles
et de ceux qui ont contribué au rayonnement de la France par leur créativité et
la qualité de leurs productions ? Pour ma part, je réponds : non !
Nous n'avons pas été élus pour nous résigner. Nous devons, au contraire, faire
preuve de courage, de volontarisme et d'imagination.
L'avenir de notre pays, et de nos enfants, mérite qu'ensemble nous trouvions
des réponses.
Madame la ministre, quelles mesures, si sectorielles soient-elles,
comptez-vous prendre, quelles sont les négociations que vous envisagez
d'entreprendre avec nos partenaires européens auprès des pays émergents, et
dans quels délais ?
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nicole Fontaine,
ministre déléguée à l'industrie.
Monsieur le président Poncelet, je suis
particulièrement sensible au fait que vous interpelliez le Gouvernement sur
l'un des défis les plus exemplaires posés aux industries traditionnelles de
notre pays et, en particulier, aux industries du textile et de l'habillement,
par les contradictions de la globalisation des échanges économiques, qui risque
de laisser sur le bord du chemin les entreprises ou les travailleurs les plus
vulnérables.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais très sincèrement remercier tous
ceux d'entre vous qui sont intervenus dans ce débat d'une très grande qualité :
il honore, s'il en était besoin, la Haute Assemblée.
M. Christian Poncelet.
Merci pour elle !
(Sourires.)
Mme Nicole Fontaine,
ministre déléguée.
Monsieur Poncelet, vous avez évoqué mon passé
européen. C'est vrai que je suis avec beaucoup d'attention les évolutions de ce
secteur, notamment depuis que, au sein du Parlement européen, nous avions
constitué un intergroupe textile. Je puis vous dire que je demeure dans le même
état d'esprit aux fonctions qui sont aujourd'hui les miennes.
Permettez-moi de répondre aux diverses questions qui m'ont été posées, à la
vôtre, bien sûr, monsieur Poncelet, ainsi qu'à celles de MM. les sénateurs.
Le défi peut se résumer en une question claire, celle qu'a posée M. Renar.
M. Christian Poncelet.
Puis-je vous interrompre, madame la ministre ?
Mme Nicole Fontaine,
ministre déléguée.
Je vous en prie, monsieur Poncelet.
M. le président.
La parole est à M. Christian Poncelet, avec l'autorisation de Mme la ministre
déléguée.
M. Christian Poncelet.
Madame la ministre, M. Renar vous prie de bien vouloir l'excuser. Notre
collègue aurait voulu assister à la suite de ce débat, mais il en a été empêché
par une obligation impérative.
M. le président.
Veuillez poursuivre, madame la ministre déléguée.
Mme Nicole Fontaine
ministre déléguée.
M. Renar a eu la délicatesse de m'adresser un petit
mot pour m'expliquer, en effet, son absence, monsieur Poncelet.
La question de M. Renar est la suivante : existe-t-il un avenir crédible pour
l'industrie textile française et pour les hommes et les femmes qui, souvent
depuis des générations, travaillent dans ce secteur dont les branches
traditionnelles n'ont cessé, depuis des décennies, de s'étioler, entretenant
l'angoisse du lendemain dans des régions entières, dont la vôtre, monsieur
Poncelet ?
De restructurations en plans sociaux palliatifs, peut-on offrir à ce secteur
un autre avenir que celui qui prévaut souvent, malheureusement, de variable
d'ajustement dans le cadre de négociations plus globales sur les échanges
commerciaux à l'échelle du monde ?
Ce défi est économique dans ses données, social dans ses effets, mais il est
aussi culturel, dans la mesure où il touche à la conscience identitaire de
certaines de nos régions. Ce dernier aspect ne doit pas être sous-estimé ; il
participe de la cohésion nationale. Face à des réalités internationales
prégnantes, quel est l'état des lieux ? Il est contrasté, comme vous l'avez
tous constaté, en fonction des métiers et des régions d'implantation des
entreprises.
Si l'industrie traditionnelle du textile est partout inquiète et fragilisée,
la consommation liée à l'habillement a, pour sa part, affiché en juillet
dernier une hausse annuelle de 7 %. La fermeté relative des exportations
françaises d'habillement témoigne d'un regain de compétitivité des marques
françaises face à leurs concurrentes européennes. Cela est dû en large part à
leur créativité et à leur capacité à capter « l'air du temps », sans oublier
cependant qu'en vingt ans l'industrie française de l'habillement a perdu plus
de 55 % de ses effectifs.
En revanche, le textile français ne bénéficie pas de ce relatif redressement
de la consommation de l'habillement. En tonnage, la production globale a
baissé, en un an, de 11 % sur le premier semestre 2002. Les industries les plus
touchées sont celles qui sont le plus en amont de la filière : sur les quatre
premiers mois de 2002, les fils cotonniers ont régressé de 15 % et les
filatures de laine de 20 %.
Cette régression préoccupante, qui touche d'ailleurs dans des proportions
comparables nos principaux voisins, tels que l'Italie avec une baisse de 8 %,
est essentiellement due à l'affaiblissement structurel du commerce
intra-européen. A hauteur de 60 %, il était naguère le principal débouché de
nos industries textiles. Au cours des premiers mois de l'année, nos
exportations se sont contractées de 23 % vers l'Allemagne, de 19 % vers
l'Italie et, hors de l'Europe, de 26 % vers les Etats-Unis.
La raison principale, nous la connaissons tous : pour des raisons de coût de
revient, les industries européennes de l'habillement orientent de plus en plus
leurs approvisionnements, aussi bien en tissus qu'en produits finis - notamment
ceux qui sont commercialisés par les chaînes spécialisées et la grande
distribution - vers les pays en voie de développement, là où la main-d'oeuvre
est à bon marché, tels que l'Inde, la Chine, le Pakistan. C'est devenu une
réalité incontournable, sans espoir de retour, car le consommateur final va -
et ira toujours - vers le produit le moins cher, à égalité de qualité ou perçue
comme telle.
Cependant les conséquences sociales sont lourdes. Dans les Vosges - et vous le
savez trop bien, monsieur le président -, où l'industrie textile compte encore
7 000 salariés, le symbole que constituait la société Boussac vacille.
L'Ariège, le Tarn, la Drôme, l'Ardèche, la région Rhône-Alpes, pour ne citer
que ces exemples, sont touchés de la même manière. En région Midi-Pyrénées, les
seules activités de filatures et de tissage lainier représentent 22 % des
emplois à Castres-Mazamet et 85 % à Lavelanet. Dans les régions
traditionnellement industrielles du Nord-Pas-de-Calais et de Rhône-Alpes, qui
continuent de représenter près de la moitié des emplois du secteur textile, la
situation est partout cruciale, comme vous l'avez dit.
Monsieur Braun, vous avez évoqué l'hypothèse de faire appel à un abondement
des fonds d'intervention pour les bassins textiles. Les difficultés de
l'industrie textile dont nous parlons aujourd'hui sont présentes dans des
bassins d'emplois très différents, à côté d'autres difficultés sectorielles ;
les moyens qui vont être nécessaires pour accompagner ces mutations ne me
paraissent pas relever d'un fonds d'intervention dédié ; je pense plutôt aux
moyens communs de redéploiement industriel qui ont été prévus, comme vous le
savez, dans le projet de loi de finances pour 2003. Ceux-ci ont d'ailleurs été
quasiment doublés par rapport à l'année 2002 et ils seront, bien sûr, mis en
oeuvre dans chacune des régions, en étroite concertation avec les élus
locaux.
Mais avec le soutien de la Haute Assemblée, le Gouvernement n'entend pas
baisser les bras. Notre volonté est de faire de ce secteur industriel un
secteur non pas résigné, mais à nouveau confiant et conquérant - comme l'a si
bien dit M. Mercier -, non pas en dissimulant les réalités et la vérité, mais
en prenant résolument les choses à bras-le-corps, et en réunissant et soutenant
les énergies de tous ceux - salariés, chefs d'entreprise, organismes de
recherche et de soutien, élus - qui peuvent contribuer à relever ce défi.
Il faut d'abord parler en vérité. Dans l'industrie textile, la chance de la
France, comme dans beaucoup d'autres domaines industriels, réside dans
l'intelligence, c'est-à-dire dans la plus-value apportée aux produits de base.
Sur la filature ou le tissage classique, nous ne pourrons pas entrer en
compétition avec des pays tels que ceux que j'ai cités tout à l'heure. Ce
serait un faux espoir offert aux travailleurs qui comptent sur nous. Nous ne
devons pas les tromper.
Mais nos industries disposent d'équipements modernes de premier plan ; elles
ont un savoir-faire exceptionnel. Le textile s'ouvre à des innovations tout à
fait considérables et les hommes et les femmes qui travaillent dans ce secteur
sont hautement motivés. L'un d'entre vous a parlé - j'ai noté l'expression -
d'un « métier passion ».
M. Christian Poncelet.
Oui !
Mme Nicole Fontaine,
ministre déléguée.
Ce capital humain peut être plus fort que tout, et
c'est notre premier atout. Oui, monsieur Moinard, vous avez su le dire avec
passion. Et je dirai que, comme pour vous, il n'est nullement question pour moi
d'accepter l'idée d'un déclin.
M. Louis Moinard.
Très bien !
Mme Nicole Fontaine,
ministre déléguée.
Mais il faut valoriser ce secteur, le promouvoir. Or,
rivés à leurs métiers ou à ce qui les a remplacés, la plupart des salariés de
nos entreprises textiles traditionnelles n'ont jamais eu, tout au long de leur
carrière, l'opportunité de s'ouvrir, par le biais de la formation en cours
d'emploi, à ces innovations qui les pressent de l'extérieur à leur insu.
Le moyen terme, celui de leur capacité d'adaptation, a été, souvent par
nécessité - car je ne fais pas de polémique -, sacrifié au court terme, celui
de la productivité au jour le jour. Une des priorités stratégiques du
Gouvernement dans ce secteur sera de pallier cette carence, parce que c'est la
condition d'une réactivité nécessaire à un monde extérieur qui assiège et
fragilise.
M. Adnot a su très précisément souligner dans son intervention l'importance de
la formation permanente. Dès maintenant, je vais proposer à mon collègue
François Fillon de mener une action résolue en ce sens, laquelle devrait
s'exprimer région par région en fonction des besoins précis.
Naturellement, tous les efforts, législatifs et budgétaires, qui sont
actuellement consentis par le Gouvernement, avec le soutien du Parlement, pour
réduire davantage les charges sociales sur les bas salaires, fréquents dans le
secteur du textile, sont de nature à atténuer le handicap de compétitivité
internationale, même si nous avons bien conscience que ce n'est pas suffisant
pour le secteur de l'industrie textile et de l'habillement. Il en est de même
de la réforme de la taxe professionnelle avec la suppression de la dernière
part assise sur les salaires. A l'horizon 2007, ce sont 8 milliards et demi
d'euros qui seront réinjectés dans l'économie.
Mais nous avons aussi d'autres atouts opérationnels qu'il nous faut valoriser.
Le réseau industriel d'innovation textile-habillement, qui associe les
entreprises, les instances professionnelles, les centres de formation, les
laboratoires de recherche et de développement et les services de l'Etat, est un
outil particulièrement bien approprié.
S'appuyant aujourd'hui sur huit pôles régionaux, cette structure légère a déjà
permis de faire émerger des projets collectifs innovants et de soutenir le
financement de plates-formes technologiques d'application industrielle. Le
ministère de l'industrie y a consacré 5 millions d'euros en 2002. Je vous
indique que cet effort sera maintenu en 2003, et que je veillerai à ce que la
filière textile-habillement ne soit pas, comme trop souvent, ignorée ou
sous-estimée.
Les trois organismes auxquels l'Etat apporte une aide globale de plus de 12
millions d'euros - l'Institut français de la mode, l'Institut français du
textile et de l'habillement, le Centre technique de la teinture et du nettoyage
- seront fortement mobilisés pour contribuer à redresser un secteur en
difficulté structurelle.
Leur concours, ainsi que la mobilisation des laboratoires des universités,
doit, notamment, contribuer à faire de la France un leader dans le domaine des
textiles dits techniques ou industriels, utilisant des fibres généralement non
naturelles ou mixtes pour la fabrication de produits tels que les nouveaux
vêtements de sport de haut niveau, les textiles pour l'électronique, les bâches
ou les géotextiles.
D'ores et déjà, avec 24 % de la production européenne, la France est
aujourd'hui le deuxième producteur européen dans ce domaine après l'Allemagne,
et le potentiel de croissance annuelle est estimé à 5 %. Il peut être amplifié.
Oui, monsieur André, les textiles de demain n'ont pas fini de nous étonner !
Ils sont l'avenir de notre industrie textile.
Cet exemple, parmi d'autres, montre que le secteur du textile et de
l'habillement, comme de nombreux autres secteurs manufacturiers, doit
résolument développer une stratégie de différenciation, notamment en s'appuyant
sur les points forts reconnus traditionnellement à la France, à savoir l'image
de marque, la créativité, la qualité et, également, l'innovation.
Cet effort de différenciation doit, bien entendu, s'accompagner d'une
intensification de la lutte contre la contrefaçon, comme l'a souligné fort
opportunément M. Mercier. Ce point est essentiel sur le plan international,
surtout européen. Je puis vous dire que notre gouvernement est particulièrement
attentif aux projets de directives du commissaire Bolkestein.
M. Christian Gaudin m'a interrogée sur le remplacement des taxes parafiscales
qui sont vouées effectivement à disparaître à la fin de 2003, notamment la taxe
qui assure le financement du DEFI, c'est-à-dire le comité de développement et
de promotion du textile et de l'habillement. C'est un sujet tout à fait
important. Notre préoccupation doit être de maintenir le financement de ces
missions d'intérêt collectif qui ont démontré leur profonde utilité pour notre
tissu industriel. Le choix devra donc être fait, sous le contrôle des
assemblées, entre l'instauration d'une imposition affectée et le financement
intégral sur dotations budgétaires. Le Gouvernement, qui souhaite poursuivre
les consultations et recueillir l'avis des parlementaires, n'a pas encore
arrêté sa position.
Sur le plan mondial, la fin programmée, d'ici au 1er janvier 2005, de l'accord
textile et vêtements de 1994, l'accord multifibres, qui entraînera la
suppression totale des quotas d'importation, conjuguée à la récente entrée de
la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, va profondément
modifier les conditions de la concurrence internationale dans le secteur du
textile et de l'habillement.
Naturellement, le Gouvernement est attaché à l'application des accords de
l'OMC. M. Christian Gaudin a souligné de manière particulièrement pertinente
que les droits de douane de l'Union européenne sont aujourd'hui les plus bas du
monde puisqu'ils s'élèvent à 9 %.
A contrario
, certains pays
exportateurs conservent aujourd'hui des droits tarifaires très élevés,
notamment l'Inde, où ils dépassent dans certains cas 80 %,...
M. Christian Gaudin.
Oui !
Mme Nicole Fontaine,
ministre déléguée.
... et surtout un arsenal de barrières non tarifaires,
aboutissant à des impossibilités
de facto
d'exporter sur leur marché.
Notre intention n'est pas d'accepter de faire des concessions unilatérales
au-delà de ce qui a déjà été fait. Sans minimiser le principe d'une certaines
asymétrie des concessions au profit des pays en voie de developpement, entériné
par la déclaration ministérielle de Doha, il est légitime de préserver une
certaine réciprocité des concessions - j'ai retenu à cet égard les suggestions
que vous avez formulées, monsieur le président Poncelet - et d'obtenir
l'ouverture progressive des marchés des pays en développement exportateurs. Je
me mobiliserai, aux côtés de mon collègue François Loos, pour que cet objectif
soit pris en compte dans la négociation. C'est d'ailleurs bien en vue de cet
objectif que l'Union européenne a conclu de récents accords bilatéraux
permettant un meilleur accès aux marchés de l'Asie et de l'Amérique du Sud.
M. le sénateur Bel a évoqué l'espace euroméditerranéen. Je crois effectivement
qu'une vaste zone regroupant les quinze pays de l'Union européenne, les pays
d'Europe centrale et orientale, la Turquie et les pays du Maghreb offrirait à
une large partie de notre industrie manufacturière de sérieux atouts en termes
de compétitivité.
M. Christian Poncelet.
Oui !
Mme Nicole Fontaine
ministre déléguée.
Au sein même de l'Union européenne, il devient urgent,
et nos partenaires allemands l'ont particulièrement souligné, que s'ouvre un
véritable débat de fond pour l'émergence sur le plan communautaire d'une
stratégie de compétitivité pour l'industrie européenne.
J'ai noté que beaucoup d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, l'ont
appelé de leurs voeux. Ces voeux rejoignent les miens et soyez assurés que j'ai
bien entendu votre message.
M. Gérard Braun.
Très bien !
Mme Nicole Fontaine,
ministre déléguée.
La récente fusion des conseils européens « marché
intérieur », « industrie » et « énergie » au sein d'un unique « Conseil
compétitivité » nous engage à une telle réflexion. Une société n'existe que
pour autant qu'elle développe un tissu économique dynamique, créatif et vivant.
Je n'attendrai pas longtemps pour faire passer très fortement ce message
puisque j'en aurai l'occasion, dès demain, au Conseil de Nyborg.
Sans négliger l'ampleur des mutations industrielles en cours et les
conséquences qu'elles portent sur le plan social, le Gouvernement est convaincu
qu'un pays, qui a toujours marqué un attachement profond à la création du
vêtement, peut conserver, à l'instar de l'Italie, une industrie du textile et
de l'habillement forte et intégrant les différents métiers d'un secteur qui
emploie, aujourd'hui encore, plus de 200 000 personnes et qui a enregistré, en
2001, un chiffre d'affaires de l'ordre de 28 milliards d'euros.
Il n'y a de vraie politique durable qu'à moyen et long terme. C'est la raison
pour laquelle j'en ai évoqué les pistes principales. Mais il y a aussi les
situations d'urgence, celles qui n'attendent pas, parce que les actes des
restructurations plus ou moins définitives ont déjà été posés ou sont en
perspective. Beaucoup d'entre vous les ont évoquées. Ces situations exigent
qu'on privilégie l'attention à porter aux personnes et aux drames qu'elles
peuvent vivre ou craindre et d'engager un dialogue social d'une particulière
qualité.
Il faut des mesures immédiates, pour réactiver les dispositifs
interentreprises permettant un véritable accompagnement, pour que chaque
personne concernée bénéficie d'un reclassement convenable. Il faut également
renforcer les missions de revitalisation économique dans les bassins textiles,
pour favoriser la création et le développement d'activités et d'entreprises
nouvelles.
J'ai d'ailleurs tenu, dès ma prise de fonctions, à ce qu'au sein de mon
cabinet un conseiller spécial soit affecté à ces questions et suive très en
amont la gestion des crises qui, hélas ! touchent ce secteur. C'est vous dire
l'intérêt que personnellement j'y porte.
En conclusion, soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que le
Gouvernement, comme moi-même en son nom, sera très attentif aux propositions
qui ont émergé aujourd'hui grâce à votre Haute Assemblée.
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Madame la ministre, je vous remercie.
Je remercie également M. Christian Poncelet d'avoir posé cette question
essentielle pour l'avenir de l'industrie textile, car, nous venons de le voir,
plusieurs de nos régions sont concernées.
En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est
clos.
15