SEANCE DU 15 OCTOBRE 2002
MANDATS SOCIAUX
Adoption d'une proposition de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 7,
2002-2003), adoptée par l'Assemblée nationale, modifiant certaines dispositions
du code de commerce relatives aux mandats sociaux. [Rapport n° 13
(2002-2003).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Pierre Bédier,
secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice.
Je voudrais
tout d'abord vous remercier, monsieur le rapporteur, de la présentation très
claire du texte de la proposition de loi qui est aujourd'hui soumise à
discussion. A travers vous, je souhaite saluer le travail remarquable effectué
par la commission des lois, qui a su apporter tous les éclaircissements utiles
pour la qualité de nos débats sur un sujet d'une très grande technicité. Que
son président soit également remercié de la promptitude du travail effectué.
J'ai bien conscience qu'il n'est pas satisfaisant de travailler dans
l'urgence. J'aurais désiré que nous puissions, sur un sujet de cet ordre qui
remet en cause une législation certes ô combien problématique, mais dans un
contexte difficile, prendre davantage de recul. Mais, après y avoir bien
réfléchi, je crois sincèrement que la proposition de loi du député Philippe
Houillon était bienvenue. Je devrais même dire que c'était la seule réponse
possible face à une échéance aussi proche que celle du 15 novembre. A cette
date, les administrateurs et dirigeants qui auraient gardé un mandat en
méconnaissance des dispositions de la loi relative aux nouvelles régulations
économiques, la loi NRE, auraient été, aux termes de l'article 131 de ladite
loi, réputés démissionnaires de l'ensemble de leurs mandats.
Le risque ne peut être couru d'introduire de tels dysfonctionnements dans la
gestion des entreprises. Je pense, en particulier, aux PME, où les
substitutions de personnes sont difficiles à mettre en place.
Je ne pense pas non plus qu'un report global dans le temps de l'ensemble des
dispositions sur le cumul des mandats aurait constitué une solution
satisfaisante. Cela aurait pu être perçu comme traduisant la volonté du
Gouvernement de ne pas s'engager dans la voie de la réduction des cumuls des
mandats, ce qui n'est nullement son intention. Par ailleurs, cela aurait
suscité des demandes reconventionnelles pour des reports d'entrée en vigueur
d'autres parties de la loi. Les débats à l'Assemblée nationale ont été, à cet
égard, révélateurs.
La voie choisie me paraît donc la bonne, d'autant que le Gouvernement s'est
parallèlement engagé dans une réforme d'ampleur sur la sécurité financière des
marchés.
Le ralentissement de la croissance économique, la faillite retentissante aux
Etats-Unis de certains grands groupes, le marché français qui, lui-même, n'a
pas été épargné, démontrent la nécessité d'adopter un ensemble de règles sur le
gouvernement d'entreprise et le contrôle légal des comptes.
(M. le
rapporteur approuve.)
Il s'agit d'attaquer le problème de front et non pas au travers de voies
détournées et au moyen de règles parcellaires et rigides, comme l'a fait la loi
NRE.
Le projet de loi sur la sécurité financière, préparé en étroite collaboration
avec la Chancellerie par le ministère des finances, comportera, outre
l'institution d'une nouvelle autorité de régulation puissante et efficace, des
dispositions que le garde des sceaux présentera sur l'administration des
sociétés et leur commissariat aux comptes, afin, notamment, de restaurer la
confiance des investisseurs. Ce texte sera déposé au Parlement d'ici à la fin
de l'année.
Vous savez, en outre, que des travaux seront menés sur la réforme du droit des
sociétés.
La présente proposition de loi se situe sur un tout autre registre ; il s'agit
d'une réponse pragmatique à un problème ponctuel : comment franchir une
échéance prochaine sans risquer d'être contre-performant pour nos entreprises
?
A un moment où le Gouvernement s'attache à faciliter la création d'entreprise,
où le Premier ministre manifeste son attachement à une France novatrice - il a
présenté, le 7 octobre dernier, avec le secrétaire d'Etat aux petites et
moyennes entreprises, un projet de loi intitulé « Agir pour l'initiative
économique » - il eût été paradoxal de maintenir telles quelles des règles qui,
à l'évidence, sont autant d'obstacles dogmatiques et artificiels à la gestion
des sociétés et qui, ainsi que vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur,
méconnaissent les réalités économiques.
La réalité économique, c'est d'abord ne pas priver les PME de dirigeants
compétents en interdisant le cumul des mandats de direction hors groupe. Mais
c'est aussi favoriser la gestion de groupes, y compris cotés, en facilitant un
meilleur contrôle, par le biais de dirigeants communs, des sociétés mères sur
leurs filiales.
La loi NRE a, par principe, écarté ces objections. Avec la proposition de loi
que vous examinez aujourd'hui, nous vous invitons à suivre une voie plus
mesurée.
Il ne s'agit pas de remettre en question le principe même des limitations de
cumuls de mandats. Ce principe est en effet en parfaite adéquation avec le
gouvernement d'entreprise, qui repose sur une plus grande responsabilisation
des organes de direction et de contrôle de la société et, par conséquent, sur
une meilleure disponibilité de ces organes. Cependant, les sociétés doivent
pouvoir bénéficier de souplesse dans leur administration et leur gestion, pour
répondre tant à la compétitivité interne qu'aux défis de l'internationalisation
des marchés.
Mais il est un autre écueil de la loi NRE qui implique des corrections
législatives sans tarder : il s'agit - vous l'avez fort bien souligné monsieur
le rapporteur - de sa rédaction complexe et ambiguë.
Le domaine économique, pas plus qu'un autre et sans doute moins qu'un autre,
ne peut se satisfaire de l'approximation juridique. Il y va de la sécurité des
milieux professionnels et par là même, bien sûr, des actionnaires et de tous
ceux qui sont, de près ou de loin, liés à l'entreprise. C'est l'entreprise qui
fonde la prospérité d'une nation, d'un peuple.
Or le constat est unanime : les dispositions sur le cumul des mandats génèrent
des interprétations diverses et des perplexités certaines. Tout milite donc en
faveur d'un certain nombre d'aménagements, que je souhaite maintenant
aborder.
La loi NRE du 15 mai 2001 avait tout d'abord introduit - vous l'avez rappelé,
monsieur le rapporteur - des limitations spécifiques à chaque fonction.
C'est ainsi que le nombre de mandats d'administrateur ou de membre du conseil
de surveillance de société anonyme pouvant être détenus par une personne avait
été fixé à cinq, sous réserve de la possibilité de détenir un mandat
supplémentaire dans toutes les sociétés non cotées contrôlées par la société
dans laquelle est exercé le premier mandat.
S'agissant du nombre de mandats de directeur général, de membre du directoire
ou de directeur général unique que peut détenir une même personne, il avait été
fixé à un, avec la faculté d'en détenir un second de même nature lorsque
celui-ci est exercé dans une société non cotée contrôlée par la société dans
laquelle est exercé le premier mandat.
La proposition de loi crée, tout d'abord, des dérogations supplémentaires dans
les groupes de sociétés, dérogations qui sont de trois ordres.
En premier lieu, la proposition de loi étend au bénéfice des sociétés cotées
les dérogations permises par la loi du 15 mai 2001, mais réservées aux seules
sociétés non cotées, rejoignant en cela la position qu'avait adoptée le Sénat
lors de la discussion de ce texte.
(M. le rapporteur approuve.) La logique
de gestion de groupes déborde, en effet, le clivage posé par la loi NRE.
Cette dérogation joue aussi bien pour les administrateurs que pour les membres
de conseil de surveillance et, sur ce point, la proposition de loi lève une
ambiguïté.
En deuxième lieu, à la faveur d'un amendement introduit lors du débat à
l'Assemblée nationale, la proposition de loi institue une dérogation
supplémentaire pour les administrateurs ou les membres de conseils de
surveillance qui détiendraient des mandats de cette nature dans des sociétés «
soeurs », à la condition toutefois que ces sociétés ne soient pas cotées. Le
texte prévoit que cinq mandats pourront être détenus dans de telles sociétés
tout en étant comptabilisés pour un seul.
Ce mécanisme dérogatoire dit du « râteau » tend ainsi à appréhender les
groupes à structure horizontale. Le parallèle ainsi posé entre ce type de
structures et les groupes à organisation verticale ne suscite pas en lui-même
de critiques majeures. Il y a, dans les deux cas, la même logique d'une
certaine souplesse de gestion des groupes.
Mais il est vrai que l'amendement ainsi adopté procède, par l'élargissement
qu'il implique, d'une philosophie qui n'était pas celle de la proposition de
loi initiale. Je m'en étais donc remis à la sagesse de l'Assemblée
nationale.
Concrètement, une même personne pourra, en effet, détenir quatre mandats dans
des sociétés, qu'elles appartiennent ou non à un même groupe, un nombre non
limité de mandats dans leurs filiales, cotées ou non cotées, ainsi que cinq
mandats dans des sociétés soeurs non cotées.
Compte tenu de cet élargissement, il n'est toutefois pas apparu opportun à
l'Assemblée nationale de permettre des mandats croisés dans des sociétés
soeurs.
En définitive, et tout en partageant votre analyse nuancée, monsieur le
rapporteur, je crois qu'il est possible de se rallier à ce dispositif, dont
l'application devrait au demeurant rester très limitée.
En troisième lieu, le texte qui est soumis à votre vote assouplit les
dérogations aux limitations des cumuls de mandats de direction. Plus
précisément, il permet à un directeur général d'exercer un autre mandat de
directeur général dans une société contrôlée, que celle-ci soit cotée ou
non.
Il élargit, dans le même temps, les possibilités de dérogation en faveur d'un
mandat qui n'est pas de même nature que le premier exercé. C'est le cas du
directeur général qui pourra exercer soit un autre mandat de même nature, soit
un autre mandat de membre de directoire ou de directeur général. Il en sera de
même pour les membres des directoires qui souhaiteront détenir un autre mandat
en tant que directeur général.
Nous nous trouvons toujours dans la même logique d'une gestion mieux contrôlée
des groupes.
Ensuite, la proposition de loi tempère la stricte limitation du cumul des
mandats de directeur général exercés dans des sociétés sans liens
capitalistiques entre elles.
Le texte permet ainsi l'exercice de deux mandats de directeur général ou de
membre de directoire ou de directeur général unique dans deux sociétés, en
dehors de toute hypothèse de contrôle, dès lors qu'elles ne sont pas cotées. Il
s'agit là très clairement de favoriser la direction des petites et moyennes
entreprises.
Je rapprocherai de ces dispositions tout à fait pertinentes celles qui ont été
introduites, par voie d'amendements, par l'Assemblée nationale et qui sont
relatives à certaines sociétés aux particularismes marqués qui, bien
qu'agissant sous la forme de sociétés anonymes, répondent à des logiques autres
que purement commerciales.
L'économie du dispositif est de répondre au souci d'efficacité de certains
secteurs professionnels obéissant à des organisations spécifiques.
Sont concernés les sociétés d'économie mixte dans lesquelles les mandats de
gestion ou de direction sont détenus par un représentant d'une collectivité
territoriale, les sociétés d'assurance mutuelle qui ont des sociétés anonymes
comme filiales, ainsi que les établissements de crédit mutualistes et
coopératifs.
La proposition de loi instaure, pour ces sociétés, des régimes dérogatoires
aux règles de limitation du cumul des mandats.
Siègent, en effet, au sein de ces sociétés, des mandataires dont la mission
est de représenter des organes extérieurs à la société ou de refléter les
intérêts d'un groupe économique au statut mixte.
Les limitations actuelles sont, par conséquent, inadaptées.
Enfin, pour satisfaire un même objectif de cohérence, la proposition de loi
harmonise le droit commercial et le code monétaire et financier en ce qui
concerne l'organisation des SICAV.
Sur tous ces sujets, monsieur le rapporteur, vous avez manifesté votre accord
et j'adhère à votre point de vue.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je terminerai en rappelant que le texte que
vous examinez aujourd'hui, au-delà des aménagements nécessaires sur lesquels je
viens de m'exprimer, procède à une heureuse clarification d'un certain nombre
de dispositions sur le cumul des mandats qui ont donné lieu à des
interprétations encore divergentes à ce jour.
La clarification porte notamment sur le cas de l'administrateur d'une société
qui se voit confier la direction générale : la question s'est posée de savoir
si ce cumul était comptabilisé comme deux mandats. La proposition de loi
prévoit expressément que, dans ce cas, l'administrateur n'exerce qu'un seul
mandat pour le décompte au titre du cumul.
Certes, j'en ai conscience comme vous, monsieur le rapporteur, le dispositif
comporte encore certaines imperfections techniques, que vous avez d'ailleurs
analysées avec la compétence que chacun vous reconnaît.
Notre seule excuse sera de vouloir apporter aux entreprises la réponse rapide
qu'elles attendent : nous ne pouvons pas les décevoir.
C'est donc après vous avoir renouvelé mes remerciements, monsieur le
rapporteur, à vous ainsi qu'à la commission des lois et à son président, que je
demande à la Haute Assemblée d'adopter ce texte dans ses limites actuelles,
sachant que le Gouvernement partage les préoccupations de l'auteur de la
proposition de loi et qu'il est conscient de l'urgence qui s'attache à la mise
en oeuvre de ce dispositif.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, certains feront
sans doute mine de s'étonner de l'inscription à notre ordre du jour de cette
proposition de loi, oubliant que nous avions mis en garde le gouvernement
précédent et insisté sur le caractère impraticable de certaines dispositions de
la loi dite NRE.
Ce texte, faut-il le rappeler, a été enfanté dans la douleur ; chacun se
souvient des débats auxquels il a donné lieu à l'Assemblée nationale. Comme le
notait, dans un récent rapport, la chambre de commerce et d'industrie de Paris,
les règles applicables en matière de cumul des mandats sociaux, détaillées à
l'extrême, ont fait l'objet de nombreux amendements et s'en trouvent si mal
rédigées qu'il faut se référer aux travaux parlementaires pour tenter d'en
appréhender la portée exacte. Mais peut-être faudra-t-il procéder de même pour
la présente proposition de loi !
(Sourires.)
Toujours est-il que, face à des interprétations doctrinales divergentes, la
Chancellerie a dû, à plusieurs reprises, préciser la portée de certaines
dispositions, notamment du fait de l'articulation du nouvel article L.
225-94-1, qui fixe une limitation globale du nombre des mandats sociaux, avec
les dispositions de la loi NRE prévoyant la dissociation des fonctions de
président et de directeur général dans les sociétés anonymes à conseil
d'administration. C'est dire l'urgence de ce correctif qui, contrairement à ce
qui est dit parfois, ne remet pas en cause le principe de limitation du cumul
des mandats, mais tient compte de la réalité du fonctionnement des sociétés,
notamment de celles qui sont organisées en groupe. Je l'avais d'ailleurs
proposé à l'époque, et je vous renvoie au rapport pour avis déposé le 5 octobre
2000, qui péconisait d'assouplir « les règles applicables en matière de cumul
des mandats sociaux afin de prendre en considération les nécessités économiques
résultant de l'existence de groupes ».
La présente proposition de loi a été adoptée par l'Assemblée nationale dès le
premier jour de la nouvelle session. Compte tenu du délai de dix-huit mois
imparti par la loi pour se mettre en conformité, il est urgent de corriger les
imperfections qui se sont révélées source de graves incertitudes, d'autant que
les mandataires sociaux, comme vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire
d'Etat, se verraient déclarer démissionnaires de tous leurs mandats à défaut de
modification de la législation avant le 16 novembre.
Certes, on pourra objecter que les sociétés n'ont pas attendu aujourd'hui pour
s'organiser, comme le prouve un recours accru aux sociétés anonymes
simplifiées, souvent sur le conseil d'excellents praticiens. En effet, ces
sociétés anonymes simplifiées ne comportent aucune règle en matière de cumul,
ce qui est très intéressant. Mais est-ce bien légiférer que d'adopter un
dispositif si restrictif et si inapplicable qu'il aura pour seul effet de
conduire les entreprises à le contourner ? Non, à l'évidence.
C'est pourquoi cette proposition de loi me paraît utile et pertinente. En
effet, elle procède à un certain nombre de clarifications contribuant à
restaurer la sécurité juridique en matière de réglementation du cumul des
mandats dans les sociétés anonymes.
Elle est d'abord une réponse aux difficultés d'interprétation et aux
incohérences grevant le dispositif actuel.
Comme je l'ai déjà indiqué, la mauvaise articulation entre les nouvelles
dispositions régissant le cumul des mandats et celles qui prévoient la
dissociation des fonctions de président du conseil d'administration et de
directeur général est une première ambiguïté qu'il convient de lever. Comme l'a
précisé la Chancellerie, en cas de dissociation, les mandats d'administrateur
et de directeur général doivent être comptés pour un seul. Cette précision doit
être inscrite dans la loi.
La seconde ambiguïté qu'il convient de lever réside dans l'impossibilité des
dérogations croisées en vue de faciliter la représentation au sein des groupes.
En effet, il y a lieu de permettre qu'un second mandat détenu dans une société
contrôlée par une personne physique exerçant un mandat de directeur général
dans la société mère puisse être un mandat de directeur général unique ou de
membre du directoire, et inversement.
Enfin, la proposition de loi vise à éliminer l'incohérence consistant à
interdire au président du conseil d'administration de bénéficier de la
dérogation de groupe, alors qu'il n'assume plus la direction générale de la
société.
Le deuxième volet de la proposition de loi traite de l'assouplissement des
règles de cumul pour tenir compte des réalités économiques. C'est ainsi que le
texte étend aux sociétés cotées la dérogation de groupe. C'était, du reste, la
position du Sénat, le fait, pour une société, d'être cotée ou non n'ayant
aucune incidence réelle ; en fin de compte, c'est une fiction, raison pour
laquelle il y a lieu de lever cette restriction.
En outre, le texte autorise le titulaire d'un mandat de direction à exercer un
autre mandat de cette nature dans une autre société, sous réserve qu'aucune de
ces sociétés ne soit cotée. Il s'agit ici de permettre l'organisation de
synergies entre sociétés intervenant dans des domaines d'activité voisins ou
complémentaires. Ces dispositions s'adressent plus particulièrement aux
dirigeants des petites et moyennes entreprises qui, comme chacun le sait, font
la richesse économique de la France.
Par ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez souligné l'extension du
dispositif, par amendement, aux sociétés dites en râteau, ce qui assouplit les
règles de cumul des mandats sociaux, un mandat comptant pour cinq dans la
limite de cinq. Si cette nouvelle dérogation peut, dans son principe, paraître
énorme, elle n'aura cependant pas une portée considérable dans les faits. Ainsi
qu'un certain nombre de responsables de groupes dotés de nombreuses sociétés
filiales nous l'ont fait savoir, il serait bientôt impossible de trouver des
administrateurs si l'on n'admettait pas cette nouvelle dérogation ; je crois
que cette dernière est acceptable, même si, c'est vrai, elle va au-delà de la
philosophie de la proposition de loi et de la position que le Sénat avait
adoptée lors de la discussion de la loi NRE.
Enfin, comme vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'Etat, outre ces
assouplissements, la proposition de loi instaure de nouvelles exceptions au
profit de secteurs pour lesquels la réglementation sur le cumul des mandats
constitue un lourd handicap.
Sont ici visées, bien sûr, d'abord les SICAV, la proposition de loi adaptant
une exception prévue dans le code monétaire et financier, à la suite
d'observations formulées par la Commission des opérations de bourse. Il s'agit
aussi des sociétés d'économie mixte, ce qui paraît normal, puisque, à défaut -
les mandats étant, de surcroît, souvent gratuits - les collectivités locales
auraient bien du mal à trouver des candidats pou siéger dans les sociétés
d'économie-mixte ! Il s'agit, enfin des sociétés d'assurance mutuelle et des
établissements de crédit mutualiste à organe central.
Ces difficultés n'avaient pas été prévues lors de l'élaboration de la loi NRE,
et ce n'est qu'à la pratique que l'on s'est rendu compte des problèmes
rencontrés pour y faire siéger des administrateurs dans ces sociétés. Ces
nouvelles dispositions sont donc nécessaires.
La commission des lois souscrit au dispositif proposé, qui tend à restaurer la
sécurité juridique et à privilégier l'efficacité économique. Elle vous propose
donc, mes chers collègues, d'adopter sans modification la présente proposition
de loi.
Contrairement a ce qui a pu être dit et écrit, cette proposition de loi, à
moins de ne rien comprendre à la vie économique, ne mérite sans doute ni un
excès d'honneur - elle comporte encore quelques imprécisions de rédaction - ni
l'indignité dont certains voudraient la frapper parce qu'elle ne remet pas en
cause les éléments positifs du gouvernement d'entreprise contenus dans la loi
NRE, au moins dans la rédaction initiale du projet de loi, car les débats ont
été l'occasion de nombreuses surenchères. C'est bien dommage, car je pense que,
si le Sénat avait été entendu, un texte équilibré aurait pu être adopté
alors.
M. Philippe Marini.
Tout à fait !
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
La proposition de loi ne contredit en rien la volonté du
Gouvernement d'instaurer une sécurité financière pour les entreprises. A cet
égard, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez annoncé le dépôt d'un projet de
loi dont nous aurons à débattre prochainement, de même que vous avez annoncé la
réforme d'ensemble de la législation sur les sociétés, y compris la loi
relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises. Sans
cesse repoussées, ces réformes répondent cependant à une nécessité dont il nous
faut bien tenir compte.
Mais je suis certain que le Sénat, qui a déjà beaucoup travaillé sur ces
réformes - n'est-ce pas, monsieur Marini ? - est prêt à aider le Gouvernement
dans ce domaine.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du
RPR et des Républicains et Indépendants).
M. Philippe Marini.
Merci beaucoup, monsieur le rapporteur.
M. le président.
La parole est à M. Simon Sutour.
M. Simon Sutour.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
proposition de loi aujourd'hui soumise à l'examen du Sénat est non seulement
injustifiée et empreinte d'hypocrisie, mais surtout choquante dans son
principe.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
En nous invitant à adopter un texte qui a pour objet d'autoriser le cumul
illimité des mandats sociaux, notamment pour les conseils d'administration des
groupes de sociétés anonymes cotées, le Gouvernement et sa majorité ne tirent
aucune leçon de l'actualité économique et financière.
En effet, depuis plusieurs mois, les marchés boursiers traversent une profonde
crise de confiance. Aux Etats-Unis comme en Amérique du Sud et en Europe, les
places financières connaissent des journées noires.
Pour l'anecdote - mais est-ce une anecdote ? -, à la veille du débat à
l'Assemblée nationale sur cette proposition de loi, la Bourse de Paris
terminait sur un violent décrochage, avec une baisse des valeurs de 5,87 %.
M. Philippe Marini.
Vous devriez en être ravi !
M. Simon Sutour.
L'économie française n'en finit pas de payer le dégonflement de la bulle des
télécommunications et de l'Internet.
M. Jean Chérioux.
Qui était au gouvernement à cette époque-là ?
Alain Gournac.
Les socialistes !
M. Simon Sutour.
Une débâcle encore aggravée par les scandales américains et la kyrielle de
faillites en chaînes, d'Enron, la plus importante de l'histoire des Etats-Unis,
à celle de WorldCom et Tyco, pour ne citer que les plus connues.
M. Philippe Marini.
Vous êtes en dehors du sujet !
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Cela n'a vraiment rien à voir !
M. Simon Sutour.
En France, la baisse de la bourse a précipité dans l'abîme les titans Vivendi
Universal - il y aurait beaucoup à en dire -,...
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Ah !
M. Simon Sutour.
... France Télécom et Alcatel.
Plusieurs facteurs conjoncturels sont à l'origine de cette crise, qui comporte
également une dimension structurelle propre aux formes nouvelles du capitalisme
mondialisé. Au mépris du respect des ressorts intrinsèques de l'économie
réelle, les principaux acteurs du jeu économique ont admis l'idée que la
poursuite du profit était plus importante que le respect des bonnes pratiques
et des règles déontologiques. Or l'entreprise est un projet humain qui
s'inscrit dans la durée. A quoi bon créer la valeur pour l'actionnaire si
l'activité de l'entreprise ne profite pas également aux salariés et à la
société tout entière ?
Ce que nous vivons ne se résume pas seulement à une crise de confiance, mais
traduit aussi une crise de valeur. Nous raisonnons encore en France avec l'idée
du patron de droit divin,...
M. Jean Chérioux.
Oh !
M. Simon Sutour.
... mais ce concept rencontre ses limites. Ces grands patrons qui ont affolé
les marchés se sont laissé griser par des rêves de conquête vertigineux. Quand
ils ne pouvaient plus échanger de titres, ils payaient cash. Résultat, même si
leurs chiffres d'exploitation apparaissaient florissants, ils se sont retrouvés
asphyxiés par des dettes colossales et ont affiché des pertes par milliards
pour remettre la valeur de leurs filiales au niveau du marché.
Manifestement, il existe des lacunes dans l'application des principes, de
nature éthique et professionnelle, du gouvernement d'entreprise, dont l'objet
principal s'intéresse à la répartition des pouvoirs au sein des sociétés,
notamment dans les conseils d'administration.
Dans ce contexte fortement déprimé, au lieu d'ouvrir un espace de réflexion
sur les modes de régulation qu'il convient d'adopter pour répondre à la crise
actuelle, le Gouvernement choisit d'inscrire à l'ordre du jour du Sénat
l'examen d'une proposition de loi dont le contenu est à l'opposé de l'exigence
de respect des critères éthiques et responsables que l'on est en droit
d'attendre d'un dirigeant d'entreprise. Ce manque de clairvoyance est
stupéfiant.
M. Jean Chérioux.
Ce qui est stupéfiant, c'est l'analyse que vous en faites !
M. Alain Gournac.
Oui ! D'autant que vous avez, vous aussi, été stupéfiants !
M. Simon Sutour.
Nous commençons cependant à nous y habituer.
Au mois de juillet dernier, au moment où ont été annoncées la hausse de
certains tarifs publics et la progression des prix à la pompe, du fait de la
suppression de la taxe flottante, le Premier ministre a fait valoir que la
chute des Bourses ne présentait pas de « risques graves » pour la reprise
économique.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Et qu'avait dit M. Fabius ?
M. Simon Sutour.
Aujourd'hui, alors que l'INSEE vient de réviser à la baisse la prévision de
croissance pour 2002, avec ce que cela implique pour 2003, et que nombre
d'économistes et de chefs d'entreprise s'en préoccupent, le Gouvernement
maintient sa prévision de croissance de 2,5 % pour l'année prochaine.
M. Alain Gournac.
Vous êtes loin du sujet !
M. Simon Sutour.
Les travailleurs du « capitalisme d'en bas » et les petits épargnants
apprécieront !
Les entreprises comme Alcatel n'en finissent pas de supprimer des emplois.
Quant aux petits porteurs, ils ne manqueront pas de se sentir doublement floués
: pour n'avoir pas recueilli les bénéfices qu'ils étaient en droit d'espérer et
qu'on leur avait fait miroiter, et parce qu'ils constatent qu'ils n'ont pesé en
rien sur la stratégie des grands groupes, sauf à assurer leur trésorerie.
Une telle situation entraîne des conséquences néfastes sur la crédibilité de
l'actionnariat salarié. Ce modèle, qui permet de renforcer le contrôle du
capital et de la direction, est durablement remis en question, les actionnaires
salariés ayant perdu 29 % de leurs avoirs en 2002, selon une enquête menée dans
plus de quarante sociétés françaises.
Ce texte nous heurte, enfin, parce qu'il n'est pas sincère, parce qu'il tourne
le dos à l'intérêt général et, surtout, parce qu'il dénature la force et la
solennité de la loi.
Sous le prétexte de clarifier des dispositions techniques et de mieux
conjuguer la logique économique et la logique juridique, la proposition
assouplit considérablement le système anti-cumul tel qu'il avait été élaboré
sous la précédente législature, dans le cadre du projet de loi sur les
nouvelles régulations économiques.
Ainsi, en autorisant explicitement les dérogations croisées pour les
administrateurs et les membres du conseil de surveillance comme pour les
directeurs généraux, membres du directoire et les directeurs généraux uniques,
en permettant le cumul d'un mandat de directeur général et de membre du conseil
d'administration sans que cela compte pour deux mandats, en étendant aux
sociétés cotées la dérogation de groupe, autrement dit la dérogation verticale,
en autorisant le détenteur d'un mandat de direction d'une petite et moyenne
entreprise à exercer un autre mandat de la même catégorie dans une autre
société non cotée - il s'agit là de la dérogation horizontale -, en supprimant
l'impossibilité, pour le président d'un conseil d'administration, de bénéficier
de la dérogation de groupe, en visant les mandats de gestion et de direction
exercés par un représentant permanent d'une société d'économie mixte ou d'un
groupement de collectivités territoriales, en inscrivant une dérogation pour
les sociétés d'assurance mutuelle, la proposition de loi adoptée par
l'Assemblée nationale en première lecture a bien pour unique objet de revenir
sur la limitation du cumul des mandats sociaux au profit des dirigeants
d'entreprises.
Ce texte est une vaste hypocrisie, car il prétend ne rien changer alors qu'il
brise l'équilibre du dispositif élaboré dans la loi NRE.
Nous sommes au coeur du problème. En matière de cumul des mandats sociaux, les
choix qui ont présidé à l'élaboration de cette loi n'ont reposé en rien sur une
attitude dogmatique, contrairement à ce qu'affirme notre excellent rapporteur.
En effet, la loi NRE ne s'inscrit pas aussi nettement qu'une lecture rapide
pourrait le faire croire dans une ligne résolument hostile au cumul des
mandats. Si certaines dispositions durcissent la limitation du cumul, d'autres,
au contraire, l'assouplissent. Ainsi le législateur a-t-il volontairement
adopté une position franche et mesurée afin de prendre en considération la
réalité des faits.
La plaie du capitalisme français demeure la faiblesse des conseils
d'administration, dont la taille est parfois pléthorique, conjuguée à la
puissance des réseaux issus des grandes écoles ou des amitiés d'affaires. Ces
instances se sont trop souvent muées en chambres d'enregistrement des décisions
de la direction. Si, au fil des ans, les participations croisées, tant
décriées, ont été dénouées, les administrateurs croisés, eux, demeurent. De ce
fait, l'adoption des comportements rigoureux prescrits par la loi est, dans la
pratique, très adoucie : pourquoi embarrasser « un confrère » alors qu'on peut
avoir besoin plus tard de sa compréhension ?
Cette situation anormale et dangereuse devait être assainie. C'est pourquoi le
législateur a souhaité renforcer le dispositif anticumul qui existait dans la
loi du 24 juillet 1966, car le cumul de trop nombreux mandats nuit à
l'implication des dirigeants et peut conduire à des négligences coupables.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Nous sommes d'accord sur ce point !
M. Simon Sutour.
Les buts recherchés sont l'efficacité et le contrôle : d'une part, une
personne physique qui ne se disperse pas entre d'innombrables fonctions pourra
mieux s'occuper de la ou des sociétés anonymes pour la direction desquelles
elle a été mandatée ; d'autre part, les pouvoirs seront moins concentrés entre
les mains d'un petit nombre de personnes se retrouvant dans une multitude
d'entreprises. Les abus d'influences réciproques pourront, de ce fait, être
limités.
Mes chers collègues, « être administrateur, c'est une véritable responsabilité
et non un titre honorifique ». Ce n'est pas moi qui m'exprime ainsi, c'est M.
Serge Weinberg, président du directoire de Pinault-Printemps-La Redoute.
M. Philippe Marini.
Il a raison !
M. Simon Sutour.
De son côté, M. Daniel Bouton, P-DG de la Société générale, qui a présidé un
groupe de réflexion sur le gouvernement d'entreprise, invite les conseils
d'administration à jouer leur rôle et évoque dans un rapport d'étude les
administrateurs « compétents, actifs, présents et impliqués ».
Au fond, la différence essentielle qui nous distingue repose sur la définition
du rôle que doit jouer la puissance publique et sur la capacité qu'a celle-ci
d'introduire des contre-pouvoirs. Pour résoudre ces questions, l'idéologie
libérale disqualifie le droit au profit de recommandations ou de préconisations
devant prétendument apporter la souplesse nécessaire à ces mécanismes subtils
de pouvoir.
On choisira de douter de la capacité des acteurs économiques à s'autoréguler.
Le bon équilibre ne peut être trouvé à l'intérieur même du système.
L'autorégulation n'existe pas, et c'est au politique qu'il revient de prendre
ses responsabilités. Ce constat justifie le régime du cumul des mandats
instauré par la loi NRE, qui s'appuie sur un dispositif juridique ferme, adapté
et équilibré.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Et ambigu !
M. Simon Sutour.
Les conditions d'examen de cette proposition de loi, monsieur le rapporteur,
appellent également plusieurs observations.
Déposée dans l'urgence, puisqu'elle a été enregistrée à la présidence de
l'Assemblée nationale le 20 septembre dernier, elle figure parmi les premiers
textes inscrits à l'ordre du jour de la nouvelle session parlementaire. Or, y
avait-il urgence à délibérer sur cette question ?
M. Jean Chérioux.
Oui !
M. Simon Sutour.
La loi NRE est entrée en vigueur il y a moins d'un an et demi. Elle n'a pas
encore pu faire sentir tous ses effets. Au lieu de légiférer dans la
précipitation, il eût été plus sage d'accorder un peu de temps aux usagers du
droit des sociétés pour mieux découvrir, avec le concours de la doctrine, les
multiples problèmes concrets posés par les nouvelles dispositions et pour
rechercher plus sereinement les ajustements et les solutions appropriés.
Relativement au cumul des mandats, je rappelle que la loi n'a pas été
d'application immédiate. Elle octroyait tout de même aux dirigeants un délai de
dix-huit mois pour se mettre en conformité avec les nouvelles règles, afin de
permettre aux intéressés de se préparer et d'éviter des surprises. En l'espèce,
le mieux aura été l'ennemi du bien ! De plus, certaines ambiguïtés de la loi
ont pu être levées grâce aux travaux parlementaires, grâce aux interprétations
très claires que le gouvernement précédent avait énoncées sur le texte et grâce
aux avis professionnels, tels ceux de l'Association nationale des sociétés
anonymes, l'ANSA, notamment sur la question de l'application de la loi dans le
temps.
Pourquoi agir avec une telle célérité, alors que le Premier ministre, notre
ancien collègue M. Jean-Pierre Raffarin, interrogé sur France 2 le 26 septembre
dernier, a réclamé « plus de transparence et de rigueur dans l'exercice du
pouvoir financier dans les entreprises » et que le ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie, M. Francis Mer, a annoncé clairement son intention
d'insérer dans la loi relative à la sécurité financière des mesures sur ce
sujet ? Le Gouvernement et la majorité auraient pu attendre la présentation de
ce futur projet de loi, qui constituera le cadre idéal pour clarifier les
règles du jeu de la gouvernance d'entreprise !
En réalité, loin de défendre l'intérêt général, la proposition de loi a été
taillée sur mesure pour répondre à la seule préoccupation des dirigeants
d'entreprise qui ne veulent pas se voir appliquer d'office le régime anti-cumul
des mandats sociaux. Le Gouvernement et la majorité obtempèrent, sans discuter,
aux injonctions des organisations patronales. Mais, au lieu de le reconnaître
et de l'assumer en toute franchise, M. Hyest, dans son excellent rapport, nous
explique sans ambages que ce sont les rigidités excessives du dispositif légal
en vigueur qui conduisent les entreprises à chercher à le contourner.
M. Jean Chérioux.
Eh oui !
M. Simon Sutour.
Cette justification suscite un grand trouble.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Vous pouvez être troublé, oui !
M. Simon Sutour.
Que devient l'autorité de la loi si vous acceptez qu'on puisse ne plus exiger
le respect d'une règle obligatoire et générale au motif qu'elle contrarie des
intérêts particuliers ?
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Lorsqu'on fait de mauvaises lois, elles sont contournées !
M. Jean Chérioux.
Quand elle est inapplicable, il faut bien changer la loi !
M. Alain Gournac.
Cela ne vous a jamais contrariés !
M. Philippe Marini.
Vous savez ce qu'est une entreprise, ce qu'est un groupe ?
M. Simon Sutour.
Au contraire, il faut donner à la loi de la République sa force et sa
solennité.
Ce trouble n'a pas été exprimé par les seuls représentants de l'opposition. Au
sein même de votre majorité, il a été partagé par des membres éminents,...
M. André Vantomme.
Absolument !
M. Simon Sutour.
... qui se sont ostensiblement abstenus ou qui ont refusé de prendre part au
vote conforme d'un texte dont le contenu, après son passage à l'Assemblée
nationale, a excessivement élargi le champ d'application de la dérogation aux
règles de cumul des mandats sociaux. Ainsi, lors de la réunion de la commission
des lois, M. Maurice Ulrich « s'est interrogé sur la compatibilité des
assouplissements proposés avec l'objectif affiché de recherche d'une plus
grande transparence dans le fonctionnement des entreprises et d'une meilleure
responsabilisation des administrateurs ». De son côté, M. Pierre Fauchon a
exprimé le regret que cette proposition « vienne en discussion au moment précis
où plusieurs scandales conduisaient à observer une dilution des responsabilités
dans la gestion des sociétés ».
Vous-même, monsieur le rapporteur, reconnaissez « que certaines rédactions
auraient mérité d'être clarifiées ».
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Oui !
M. Simon Sutour.
Pourtant, vous estimez nécessaire d'adopter la proposition de loi sans
modification.
J'ajouterai cependant à votre crédit que, ce matin même, la commission des
lois a rejeté à l'unanimité les deux amendements de notre collègue M.
Marini.
M. François Autain.
M. Marini est un extrémiste !
M. Simon Sutour.
Mais est-ce un rejet sur le fond, ou bien vise-t-il à obtenir ce fameux vote
conforme ?
Une préoccupation demeure. En proposant de voter conforme la proposition de
loi, la commission fait-elle le choix de transformer le Sénat en guichet
d'enregistrement des textes adoptés en première lecture par l'Assemblée
nationale dans les cinq ans qui viennent ? J'insiste tout particulièrement sur
ce point, parce que nous avons entendu tellement de choses ces derniers mois
!
M. Alain Gournac.
Nous avons en effet cinq ans, ne l'oubliez pas !
M. Simon Sutour.
Après l'examen de la loi d'orientation et de programmation sur la sécurité
intérieure, au cours duquel on a vu le Sénat s'aligner purement et simplement
sur l'Assemblée nationale, la Haute Assemblée est de nouveau prête à émettre
aujourd'hui un vote identique. N'est-il pas paradoxal que le Sénat choisisse de
s'effacer de la sorte, alors que, dans le chantier constitutionnel qui va
s'ouvrir, il entend occuper une place prépondérante ?
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
La première !
M. Simon Sutour.
La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale n'est qu'une réforme
partielle et partiale, justifiée par la défense des intérêts partagés d'un
cercle d'administrateurs tout terrain qui collectionnent les mandats. De façon
générale, d'ailleurs, la droite est rétive au principe de l'application stricte
des lois anti-cumul.
M. Philippe Marini.
Je connais quelques sénateurs socialistes qui étaient satisfaits de pouvoir
rester maires !
M. Simon Sutour.
Ainsi a-t-on appris que, à la suite de ses consultations sur la modification
des modes de scrutin, le ministre de l'intérieur propose de revenir sur la
règle interdisant le cumul d'un mandat européen avec un mandat exécutif.
La question du cumul des mandats sociaux dans les entreprises mériterait
d'être examinée au même titre que celles de la promotion des administrateurs
indépendants, de la politique d'attribution des stock-options, du régime des
activités de conseil et d'audit, de la sincérité des comptes,...
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
C'est vrai pour les deux derniers points, mais c'est un autre
sujet : il s'agit de la sécurité financière !
M. Simon Sutour.
... autant de sujets que l'actualité a mis en avant de manière parfois
dramatique et sur lesquels il conviendrait de réfléchir sereinement.
C'est la raison pour laquelle, vous l'aurez compris, le groupe socialiste, au
nom duquel j'interviens, votera contre ce texte.
(Applaudissements sur les
travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Philippe Marini.
M. Philippe Marini.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il
s'agit aujourd'hui de rectifier, sur un point bien particulier, la loi relative
aux nouvelles régulations économiques. Nous procédons donc à une rectification
spécifique
a minima
d'un dispositif sur lequel il faudra probablement
revenir à d'autres égards.
En quelques mots, je voudrais mettre l'accent sur un sujet parmi d'autres dont
traite cette loi, qui ne concerne pas spécifiquement le droit des sociétés
commerciales.
Mes chers collègues, je ne résiste pas au plaisir de vous citer des extraits
d'une lettre que j'ai reçue voilà quelques mois, émanant du président de
l'ordre des experts comptables de ma région, au sujet des articles 53 et 54 de
la loi relative aux nouvelles régulations économiques. Vous verrez à quelles
absurdités cette loi peut conduire !
« L'idée du législateur était au départ généreuse. Pour schématiser, il
s'agissait de se rapprocher des règles européennes en instituant une sorte
d'obligation légale de paiement en France qui n'excède pas trente jours et qui,
sous certaines conditions, s'accompagne de la remise obligatoire d'un effet de
commerce lorsque le délai excède quarante-cinq jours.
« On ne peut qu'applaudir ce projet généreux qui, s'il parvient à son terme,
permettra d'éviter un certain nombre de dépôts de bilan.
« Malheureusement, cet article 53 fait l'objet de mesures d'accompagnement qui
sont à la fois injustes et inapplicables.
« Ces mesures sont les suivantes :
« La facture mentionne la date à laquelle le règlement doit intervenir ; elle
précise les conditions d'escompte applicables en cas de paiement à une date
antérieure à celle résultant de l'application des conditions générales de
vente, ainsi que le taux des pénalités exigibles le jour suivant la date à
laquelle les fonds sont mis, par le client, à la disposition du bénéficiaire ou
de son subrogé.
« Les obligations relatives aux conditions générales de ventes sont assorties
d'une amende de 15 000 euros pour une personne physique, et de 75 000 euros
pour une société ; l'omission sur une facture d'une mention obligatoire peut
être sanctionnée par une amende de 75 000 euros pour une personne physique et
375 000 euros pour une personne morale. »
MM. Jean Chérioux et Lucien Lanier.
C'est grotesque !
M. Alain Gournac.
Ridicule !
M. Philippe Marini.
Il ajoute, de façon tout à fait modérée et technique : « Il est important
d'observer que cette rédaction méconnaît les règles habituelles du commerce et
de l'artisanat. Il est, en effet, extrêmement rare de porter sur une facture
la mention "facture payable au 14 juillet 2002". Les mentions habituellement
utilisées et qu'il conviendrait, à notre sens, de continuer à employer sont du
type "payable au comptant", "payable à 30 jours fin de mois", etc. Bien
entendu, il semble normal de laisser le soin à l'entrepreneur d'apprécier s'il
convient d'appliquer ou non les pénalités de retard, et surtout à partir de
quel moment il convient de les appliquer.
« Sérieusement, monsieur le sénateur-maire, pouvez-vous imaginer que votre
électricien, par exemple, vous adresse une facture de pénalités parce que vous
auriez réglé avec huit jours de retard sa facture ? Pourtant, s'il ne le fait
pas, il encourt un redressement fiscal. »
M. Jean Chérioux.
Incroyable !
M. Philippe Marini.
« D'autre part, s'il omet d'indiquer sur sa facture cette date "couperet"
limite de paiement, il pourrait être condamné à 75 000 euros voire à 375 000
euros d'amende...
MM. Jean Chérioux et Alain Gournac.
C'est Ubu !
M. Philippe Marini.
... s'il a le malheur d'être en EURL .»
Cet exemple, même s'il ne relève pas tout à fait du droit des sociétés, vous
montre, mes chers collègues, que l'enfer peut être pavé des meilleures
intentions.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
C'est évident !
M. Alain Gournac.
Oui !
M. Philippe Marini.
Croyez-moi, de nombreux exemples de cette nature, issus de la pratique,
figurent dans la loi relative aux nouvelles régulations économiques. Des
approches théoriciennes, accompagnées de mesures d'application, renforcent le
caratère pointilliste et exagérément contraignant de certaines stipulations.
Il en va exactement de même au sujet du cumul des mandats d'administrateur au
sein d'un groupe, point qui nous intéresse aujourd'hui.
Comme notre excellent rapporteur, je voudrais souligner que le problème de
l'unité économique du groupe est posé.
(M. le rapporteur acquiesce.)
Qu'on le veuille ou non, les entreprises, aujourd'hui, sont des groupes.
Même au sein des petites et moyennes entreprises, il est devenu très rare de
trouver une entreprise significative, autonome économiquement, qui soit
monosociétale.
Lorsqu'ils souhaitent développer ou diversifier leurs activités, les
entrepreneurs créent des instruments juridiques, des sociétés commerciales,
pour des questions de responsabilité et de transparence vis-à-vis des tiers.
Ainsi, tout naturellement, des entreprises de taille économique relativement
réduite - tout comme de très grands groupes, d'ailleurs - vont se trouver
constitués en groupe.
Il est donc nécessaire de faire prévaloir le principe de réalité. Ce qui
compte pour les tiers, pour les actionnaires, c'est naturellement le groupe et
non pas chaque entité sociale prise individuellement.
Certes, chacune de ces entités pourra avoir un actionnariat légèrement
différent, notamment des actionnaires minoritaires. Mais, s'il faut respecter
le patrimoine individuel de chaque société commerciale, il faut aussi prendre
en compte la notion de groupe. C'est ce que l'on a oublié de faire de manière
réaliste dans la loi sur les nouvelles régulations économiques, et c'est ce
qu'il nous est proposé ici de rectifier.
Cependant, sur la forme, comme notre excellent rapporteur Jean-Jacques Hyest,
ainsi que l'orateur précédent, on peut regretter le fait que l'on ait demandé
au Sénat de ne pas adopter d'amendements, afin d'adopter ce texte dans les
mêmes termes dans les deux assemblées et à la date prévue.
Il est vrai que ce texte doit être promulgué avant une certaine date, sinon -
certains ont évoqué le nom symbolique d'Ubu - nous serons confrontés à des
situations pratiques que nous ne saurons plus gérer.
Nous ne pouvons naturellement qu'être sensibles, monsieur le secrétaire
d'Etat, à cet impératif, tout en exprimant un regret, dans la mesure où nous
considérons qu'il revient effectivement à la seconde chambre de travailler les
textes, notamment sur des sujets où elle a, en particulier au sein de la
commission des lois, l'antériorité d'une longue réflexion. Ce n'est cependant
pas possible pour ce texte, compte tenu de son objet très spécifique et de la
date à laquelle il faut se conformer. Nous le comprenons bien, au-delà de la
petite frustration qui est nécessairement la nôtre parce que nous aimons faire
notre travail législatif et que nous sommes là pour cela.
Monsieur le secrétaire d'Etat, bien entendu, je soutiendrai un texte de bon
sens. J'appelle toutefois votre attention sur un effet pervers qui ne me semble
pas avoir été mesuré, en tout cas que nos collègues de l'Assemblée nationale
n'ont pas vu. Ils ont introduit des amendements, notamment pour traiter du
problème des réseaux coopératifs. Ils ont bien fait, mais ils auraient pu
concentrer aussi leur attention sur une situation que beaucoup de collectivités
territoriales connaissent et que je voudrais souligner, celle du groupe de la
Caisse des dépôts et consignations.
J'ai été sensibilisé à ce sujet, notamment en tant que membre, depuis peu, de
la commission de surveillance. On m'a fait remarquer à juste titre que les
dirigeants de la Caisse qui siègent dans les filiales - lesquelles peuvent être
« en râteau », c'est-à-dire constituer des sociétés soeurs et non pas des
sociétés mères et des sociétés filles - ne vont pas être concernés par le
régime assoupli que vous nous proposez. Dès lors, chacun des mandats comptera
pour un, alors que nous sommes bien à l'intérieur du groupe économique et
juridique de la Caisse des dépôts et consignations.
Faut-il vraiment, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'Etat se tire ainsi «
une balle dans le pied » ? Franchement, je ne le crois pas ; cet aspect me
semble donc devoir être rectifié. Tel est l'objet de l'un des deux amendements
que j'avais déposés.
Quant à l'autre amendement que je souhaitais présenter, je le reconnais, il
exposait une vision plus large que nous ne sommes peut-être pas prêts
aujourd'hui à adopter. Il s'agit de notions sur lesquelles il faudra cependant
certainement revenir lorsque nous en aurons le temps.
Dans ces conditions, je suis prêt à retirer ces deux amendements, tout en
insistant sur la situation spécifique de la Caisse des dépôts et consignations,
qui me semble devoir être prise en compte.
S'agissant, monsieur Sutour, du secteur financier public, j'espère que vous
auriez soutenu mon amendement au sein de la commission des lois si vous aviez
eu connaissance des explications que je viens de donner.
(M. Alain Gournac sourit.)
Monsieur le secrétaire d'Etat, ce texte se situe, il est vrai, dans le
contexte beaucoup plus général de l'attractivité de notre système juridique.
Nous avons besoin de faire des progrès dans un domaine qu'il faudra notamment
traiter au sein du projet de loi relatif à la sécurité financière dont nous
débattrons prochainement. Ce texte comportera des aspects de nature à mieux
assurer la transparence de l'information et la sécurité sur les marchés, ce qui
est indispensable dans le monde excessivement dangereux dans lequel nous
vivons.
On nous annonce bien d'autres mesures qui devraient être de nature à rendre la
confiance aux investisseurs, en particulier aux petits actionnaires. Il
convient en effet de concevoir des ajustements en matières fiscale, juridique
et financière.
Mais c'est une autre affaire, ce n'est pas l'ambition du présent texte, qui
est un petit pas dans la bonne direction, ce dont il faut vous remercier,
monsieur le secrétaire d'Etat. Bien entendu, mes chers collègues, il convient
d'accepter ce petit pas et de voter la proposition de loi telle qu'elle nous
est proposée par la commission des lois de notre Haute Assemblée.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et des Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon
propos sera bref. Je ne peux que regretter à mon tour le caractère précipité de
cette proposition de loi, qui est, de surcroît, en complète contradiction avec
la situation économique actuelle, aussi bien internationale que nationale.
A la suite des graves crises financières qui ont touché les grandes compagnies
internationales telles que Enron ou WorldCom, la France s'était juré que jamais
cela n'arriverait sur son territoire. Pourtant, nous venons, nous aussi, de
connaître des scandales financiers, avec France Télécom, Alcatel et Vivendi
Universal.
Dans ce dernier cas, comment les administrateurs auraient-ils pu accorder du
temps au groupe Vivendi Universal alors qu'ils étaient déjà complètement
absorbés par leur propre entreprise ?
Les administrateurs doivent non seulement avoir une bonne connaissance du
groupe, mais aussi pouvoir s'y rendre et s'y réunir souvent. Cela exige du
temps et une compétence technique, mais également une bonne connaissance de
l'entreprise. C'est pourquoi il était nécessaire de limiter le cumul des
mandats sociaux, de garantir et surtout d'accroître la responsabilisation des
administrateurs.
La loi sur les nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001 instaurait une
limitation du cumul, dans un but d'efficacité et de contrôle.
Elle limitait les abus d'influence et la concentration des pouvoirs entre les
mains d'un petit nombre de personnes se retrouvant dans de multiples
entreprises. Par ailleurs, elle évitait qu'un dirigeant ne disperse trop son
activité afin qu'il se consacre pleinement à la société dont il a la charge.
La « nouvelle gouvernance » allait enfin légiférer sur la « gouvernance
d'entreprise », en instaurant la responsabilité financière comme principe de
gestion. Le non-cumul des mandats devait être effectif dès le 17 novembre
prochain, ce qui explique l'empressement qui a conduit au dépôt de la présente
proposition de loi.
Le problème est que le patronat et les lobbies ont fait pression pour soulager
les dirigeants d'une mesure prétendument trop rigide, en soutenant par exemple
que ces derniers avaient besoin de contrôler les différentes entités qui
composent leur groupe. Nous voyons aujourd'hui, mes chers collègues, ce que
cela a donné chez Vivendi ! Le groupe détient des filiales devenues non
rentables - en raison de la gestion hasardeuse de Jean-Marie Messier - que
l'actuel P-DG, Jean-René Fourtou, s'empresse de vendre, telles que la presse
grand public et, ce qui est plus grave encore, Vivendi Universal Publishing,
qui détient notamment les éditions Robert et Larousse.
M. Houillon précise, dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi, que «
l'objectif n'est pas de revenir sur la limitation du cumul des mandats sociaux,
mais d'adapter les règles qui régissent ce domaine dans un souci de réalisme
».
Mais parlons-nous de la même réalité, à l'heure où les dirigeants, tel
Jean-Marie Messier, ne pensent qu'à leur omniprésence et leur omnipotence dans
plusieurs secteurs d'activités ?
Qu'est-ce qui est réellement en jeu ? Souhaitons-nous qu'une plus grande
responsabilité financière soit assumée par les responsables économiques ou que
le nombre de scandales et de faillites continue d'augmenter ?
Il est évident que, pour beaucoup de dirigeants, l'échéance du 16 novembre
fixée par la loi NRE, qui les contraint à démissionner de leurs mandats
excédentaires, doit être supprimée. Ils ont d'ailleurs bien su se faire
entendre du Gouvernement puisque nous examinons dans l'urgence cette
proposition de loi.
Ce n'est certainement pas dans l'urgence et la précipitation que des réponses
justes et adaptées seront apportées à cette question, importante, aux yeux,
bien sûr, de tous ceux qui dépendent des choix économiques du P-DG de leur
entreprise.
En effet, il s'agit bien de cela lorsque des milliers de petits actionnaires
se font abuser par l'entreprise dans laquelle ils ont placé leur confiance et
leurs économies, et qu'ils perdent, la plupart du temps, ce que leur a rapporté
une vie de labeur car le dirigeant de l'entreprise concernée n'a pas voulu se
contenter de détenir un nombre raisonnable de mandats dans le groupe auquel
elle appartient.
Monsieur le secrétaire d'Etat, il aurait été souhaitable que cette question du
cumul des mandats, sur laquelle vous souhaitez absolument revenir pour faire un
cadeau supplémentaire au patronat et au MEDEF, soit intégrée dans le volet sur
la gouvernance d'entreprise de votre futur projet de loi sur la sécurité
financière, qui est actuellement en préparation à Bercy.
Au lieu de cela, vous décidez que les conseils d'administration resteront les
chambres d'enregistrement des choix inopportuns et douteux des P-DG.
Au cumul des pouvoirs continuera de s'ajouter le cumul des jetons de présence,
et donc des rémunérations, le tout dans une opacité bien peu contrôlée.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pourquoi ne pas instaurer
dans les grands groupes un fichier des dirigeants et des actionnaires, comme
celui qui a été établi par le Comité des établissements de crédit et des
entreprises d'investissement à propos des établissements de crédit ?
Ce fichier centraliserait les informations de nature à mieux apprécier non
seulement l'expérience et l'honorabilité des dirigeants, mais aussi leur
compétence.
Par la suite, avant toute nomination de dirigeant, le groupe serait en mesure
de vérifier la disponibilité du dirigeant dans ses emplois antérieurs ou bien
encore les éventuels conflits d'intérêts au regard des différents mandats
sociaux déjà exercés en dehors du groupe auquel appartient l'entreprise.
Mais vous ne voulez pas généraliser un tel principe.
Pourtant, dans tous ces cas de scandales et de faillites économiques, il
s'agit de respect, du respect des petits actionnaires, qui souhaiteraient que
la transparence financière soit la règle chez les personnes qui dirigent
l'entreprise et dont leur salaire, leur retraite ou leur pouvoir d'achat
dépendent.
Décidément, ce texte est bien dans l'air du temps, un temps où la dérégulation
et les marchés financiers sont rois, où les petits actionnaires représentent
une entité bien négligeable face aux intérêts de quelques-uns.
C'est tout aussi vrai pour les salariés des entreprises concernées.
Plus que tout, c'est parce qu'elle joue la finance contre le social que
l'entreprise est aujourd'hui au bord du gouffre.
Depuis le début de l'année, comme chacun le sait, les quarante plus grandes
sociétés françaises ont vu leur valeur dégradée de 40 % par les marchés
financiers et leurs dettes s'accumuler. Beau résultat !
Certes, l'entreprise a besoin d'une nouvelle gouvernance, mais les
responsabilités des dirigeants doivent être accrues vis-à-vis des résultats du
groupe et de leurs conséquences sur les actionnaires, et en priorité, vous
l'aurez compris, sur les plus modestes d'entre eux. Il faut aussi une plus
grande démocratisation de la gestion.
Tout cela permettrait d'engager de meilleures politiques économiques,
associant avec plus d'efficacité les différents acteurs de l'entreprise.
Hier, lorsque vous étiez dans l'opposition, vous n'avez cessé, avec raison, de
reprocher au précédent gouvernement de vouloir faire passer dans l'urgence des
projets de loi. Or, depuis le début de la nouvelle législature, que
faites-vous, sinon demander l'urgence sur tous vos textes ?
M. Jean Chérioux.
Il faut bien corriger les erreurs du passé !
M. Robert Bret.
En tout cas, monsieur Chérioux, la présente proposition de loi est - M. le
secrétaire d'Etat a lui-même parlé d'« imperfections techniques » - un texte
bâclé, voté en catimini à l'Assemblée nationale. Mais M. le rapporteur de la
commission des lois nous demande d'adopter le texte conforme, toujours avec la
date butoir du 17 novembre prochain !
Pour toutes ces raisons, vous comprendrez l'opposition des membres du groupe
communiste républicain et citoyen à ce texte.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
et sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Pierre Bédier,
secrétaire d'Etat.
Je voudrais d'abord vous remercier, monsieur le
rapporteur. Nous aurons effectivement l'occasion de poursuivre ce débat lors de
l'examen du texte sur la sécurité financière annoncé par le Premier ministre.
Par ailleurs, la réforme des procédures collectives, que vous évoquez, est une
des priorités du garde des sceaux. A l'issue d'une large concertation, qui sera
entamée l'année prochaine, ce dernier fera une proposition.
Je voudrais aussi remercier M. Marini, qui a parfaitement résumé l'économie de
la proposition de loi. Il s'agit en effet d'une rectification spécifique
a
minima
. M. Philippe Marini a d'ailleurs très bien montré que les
précédentes dispositions de la loi NRE méconnaissaient la réalité économique du
fonctionnement d'un groupe.
Il a également évoqué, sujet important, la Caisse des dépôts et consignations.
Ce qu'il a observé mériterait effectivement réponse. Mais, pour des raisons de
calendrier parlementaire, nous sommes convenus que ces réponses pourraient être
apportées lors de l'examen du projet de loi sur la sécurité financière, qui
sera soumis prochainement au Parlement.
J'ai écouté avec beaucoup de plaisir M. Simon Sutour dresser un réquisitoire
implacable de la gestion de France Télécom par le précédent gouvernement.
(Sourires sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste.)
J'ai également écouté avec beaucoup de plaisir
l'orateur du groupe communiste républicain et citoyen condamner l'ancien
président de la société Vivendi qui, chacun le sait, avait bénéficié de
dispositions législatives votées très rapidement par la précédente majorité, et
en particulier de mesures concernant les stock-options.
M. Robert Bret.
Sans nous !
M. Pierre Bédier,
secrétaire d'Etat.
Je les remercie, l'un et l'autre, d'avoir dressé ce
brillant réquisitoire contre la majorité précédente.
(Nouveaux sourires sur les mêmes travées.)
Plus sérieusement, je préciserai que, bien entendu, il ne faut pas confondre
la loi sur la sécurité financière et la loi NRE : la loi sur la sécurité
financière protégera les épargnants ; la présente réforme de la loi NRE ne vise
qu'à lever les obstacles au bon management des entreprises, et non pas des
grands groupes internationaux, mais des petites et moyennes entreprises.
Il convenait de rétablir la vérité !
(Applaudissements sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er