SEANCE DU 16 OCTOBRE 2002
M. le président.
« Art. 21. - I. - La loi n° 46-628 du 8 avril 1946 susmentionnée est ainsi
modifiée :
« 1° L'article 1er est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L'accès aux réseaux et la fourniture de gaz naturel aux clients éligibles
sont exercés dans les conditions déterminées par la loi n° du aux marchés
énergétiques. Les monopoles d'importation et d'exportation de gaz sont
supprimés. » ;
« 2° Au quatrième alinéa (1° ) de l'article 8, les mots : "le transport de gaz
naturel ne pouvant être assuré que par un établissement public ou une société
dans laquelle 30 % au moins du capital serait détenu, directement ou
indirectement, par l'Etat ou des établissements publics" sont supprimés.
« 3° Le dix-septième alinéa de l'article 8, commençant par les mots : "si une
entreprise gazière qui n'est pas nationalisée...", est abrogé.
« II. - Sont abrogés :
« 1° L'article 4 du décret n° 50-578 du 24 mai 1950 relatif à la délimitation
des circonscriptions régionales et à la gestion des ouvrages de production et
de transport de gaz ;
« 2° L'ordonnance n° 58-1132 du 25 novembre 1958 relative au stockage
souterrain de gaz ;
« 3° L'ordonnance n° 58-1152 du 23 décembre 1958 relative au stockage
souterrain d'hydrocarbures liquides et liquéfiés ;
« 4° La loi n° 70-1324 du 31 décembre 1970 relative au stockage souterrain de
produits chimiques.
« Toutefois, les demandes d'autorisation de recherches ou d'exploitation de
stockage souterrain et les demandes de renouvellement de telles autorisations
déposées avant l'entrée en vigueur de la présente loi sont instruites sur le
fondement des dispositions législatives et réglementaires en vigueur à la date
du dépôt de la demande.
« Les autorisations de recherche et d'exploitation de stockage souterrain en
cours de validité à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, ainsi que
les autorisations délivrées à l'issue des procédures mentionnées à l'alinéa
précédent, valent respectivement permis exclusifs de recherche et concessions
de stockage souterrain au titre des articles 104-1 et 104-2 du titre V
bis
du code minier. »
La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, l'article 21
traduit toute la gravité et toute la portée destructrice de ce projet de loi et
de la directive européenne 98/30 qu'il a pour objet de transposer.
Il tend en effet à dénaturer la loi du 8 avril 1946 portant nationalisation de
l'électricité et du gaz dans notre pays : il vise à soustraire l'importation et
l'exportation de gaz naturel du champ de la nationalisation et à abroger la
disposition en vertu de laquelle le transport du gaz doit être assuré par un
établissement public ou une société dont au moins 30 % du capital est public.
Cette dernière disposition, qui ne figure pas expressément dans la directive,
fait l'objet d'un amendement de suppression déposé par notre groupe.
L'article 21 met en évidence le fait que l'ouverture du marché à la
concurrence contenue dans la directive européenne, la dénationalisation du
secteur, la remise en cause des missions de service public de Gaz de France et
sa privatisation, projetée par le Gouvernement, s'inscrivent dans un même
processus, dans une même logique : celle de la « marchandisation », visant à
livrer aux multinationales et aux marchés financiers le secteur à la fois
stratégique et rentable du gaz.
La directive européenne est une première étape. Avec l'ouverture du marché à
hauteur d'abord de 28 % puis de 33 %, elle fait entrer le loup, que ce soit
TotalFinaElf, Exxon, tel ou tel courtier en gaz du type d'Enron ou même GDF
muté en société capitaliste multinationale, dans la bergerie du service public
nationalisé.
M. Alain Gournac.
C'est affreux !
(Sourires.)
Mme Marie-Claude Beaudeau.
L'ouverture à la concurrence, même si elle ne concerne qu'une partie du
marché, à savoir son segment le plus rentable, celui des gros clients dits «
éligibles », établit une logique de profit pour l'ensemble de celui-ci.
Cette logique est incompatible, ainsi que l'ont montré d'autres orateurs de
mon groupe, avec les objectifs du service public et l'intérêt national. Les
principes d'égalité, de recherche du moindre coût pour tous les usagers, de
péréquation tarifaire et de sécurité vont être remis en cause et le sont
d'ailleurs déjà.
Concernant l'avenir de GDF, la directive servira de justification à
l'ouverture du capital, sous prétexte que l'entreprise devra trouver des
marchés à l'étranger pour compenser les parts de marché perdues sur le
territoire national.
M. Alain Gournac.
C'est un scandale !
(Nouveaux sourires.)
Mme Marie-Claude Beaudeau.
L'ouverture du capital ne manquera pas non plus de remettre en cause le statut
des personnels, pourtant gage de progrès social et de qualité du service public
pour tout le pays.
Il ne peut y avoir de bonne transposition d'une mauvaise directive. La
directive, on le sait bien, ne constitue pas une base réglementaire
incontestable sur laquelle on pourrait maintenir une forme de service public.
C'est la base de la « marchandisation » et de la privatisation de tout le
secteur du gaz. L'adoption de garde-fous, nécessaires, par exemple, pour
garantir la sécurité, ne suffira pas à préserver le service public.
De même, il est illusoire de penser maintenir ce dernier pour la catégorie des
clients non éligibles. Je dirais même qu'il est hypocrite de travestir la
notion de service public en une logique de cahier des charges, comme c'est le
cas dans ce projet de loi.
Je considère que les dispositions contenues dans cette directive ne sont pas
du tout irréversibles et que le scénario qu'elle annonce n'est pas une
fatalité.
J'ai été frappé par le fait que, au cours du débat, les promoteurs de
l'ouverture à la concurrence n'ont jamais fait référence à l'intérêt des
usagers ou du pays, mais ont renvoyé aux contraintes de la mondialisation et de
la législation européenne, ou même à l'amende que risquerait d'encourir notre
pays s'il ne s'y pliait pas.
Ils veulent faire oublier que la directive résulte du choix politique fait par
l'ensemble des gouvernements européens actuels ou par leurs prédécesseurs,
choix orienté par la volonté des marchés financiers et des multinationales.
La France pourrait, comme un autre pays, s'y opposer, résister en s'appuyant
sur les atouts que représentent EDF, GDF et leurs salariés, ainsi que l'opinion
publique nationale. Ce serait l'occasion de provoquer un large débat dans les
pays d'Europe, de commencer à engager la véritable construction de services
publics européens, à l'opposé de l'esprit qui sous-tend les directives
actuelles.
Je note, à propos des contraintes et des pressions qui seraient exercées par
Bruxelles, que le Gouvernement, notamment M. Francis Mer, ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie, est en train de nous montrer, bien
que je ne partage pas ses orientations, que même les sacro-saints critères du
pacte de stabilité ne sont pas intangibles ni impératifs.
Je pense que l'heure est à la résistance face au processus de «
marchandisation » du gaz et à l'application de la directive qui va être
transposée. Il faut demander la restauration totale de la nationalisation de
1946.
Les éléments objectifs permettant la nationalisation du gaz et la pérennité de
celle-ci existent : les consommateurs, les réseaux de transport, les lieux de
stockage se trouvent sur le territoire national et peuvent parfaitement être
placés sous la responsabilité du seul opérateur public GDF.
A l'heure de la faillite de la privatisation partielle de France Télécom et
des chemins de fer britanniques, ainsi que du scandale Enron, la
nationalisation, les renationalisations reviennent à l'ordre du jour. La
démonstration est en train d'être faite, aux yeux de l'opinion publique
européenne, que la modernité est dans l'appropriation collective de ces
secteurs fondamentaux.
M. Hilaire Flandre.
On a déjà essayé !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Cela ne marche pas si mal que ça, monsieur Flandre !
Vous semblez en avoir pris conscience, madame la ministre, chers collègues de
la majorité, puisque vous avez déclaré l'urgence sur ce texte, lui faisant
ainsi bien peu de publicité. Votre précipitation et votre discrétion répondent
non pas, j'en ai l'intuition, à une impérieuse nécessité de se conformer à la
législation européenne, mais plutôt, comme vos propos, qui se veulent
rassurants, sur l'avenir du statut des salariés d'EDF-GDF, à la crainte que
vous éprouvez devant la force de la mobilisation des gaziers et des
électriciens, illustrée par le formidable succès de la manifestation du 3
octobre dernier et par les fortes possibilités de convergence qui existent, en
matière de lutte pour le service public, avec les salariés des autres
entreprises publiques et toute la population.
Considérant qu'il est inacceptable de revenir sur les principes de la loi de
nationalisation de 1946, issue, faut-il le rappeler, du programme du Conseil
national de la Résistance, nous voterons résolument, on l'aura compris, contre
l'article 21.
M. le président.
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous arrivons
au terme de la discussion de ce projet de loi. A maintes reprises, au travers
de nos interventions, nous avons eu l'occasion de souligner tous les dangers
que représente la libéralisation de notre secteur énergétique. En dépit de
propos qui se veulent rassurants et selon lesquels ce texte ne constituerait
pas une première étape dans la privatisation de nos grandes entreprises
publiques EDF et GDF, nous continuons de penser que telle est bien l'intention
du Gouvernement.
Nous nous sommes appuyés sur des exemples tangibles, anglais et californiens
notamment ; nous avons fait référence à la période perturbée des années vingt
et trente, où la défaillance du marché fut évidente : de tels exemples sont
significatifs des lourdes menaces qui pèsent aujourd'hui sur nos services
publics.
Dès lors, il nous semble indispensable que la puissance publique puisse
exercer un contrôle, à travers la propriété du capital, sur les entreprises
devant assumer des missions de service public.
Nous défendrons d'ailleurs un amendement allant dans ce sens. Mais
permettez-moi, madame la ministre, de faire référence à ce qui se passe dans ma
propre région, où une entreprise comme la Compagnie nationale du Rhône, la CNR,
qui a efficacement contribué à l'aménagement de notre territoire, est en train
d'être livrée aux intérêts privés du groupe Suez. Sa privatisation vient d'être
portée sur les fonts baptismaux par le conseil général du Rhône.
Ce vendredi 11 octobre, je suis d'ailleurs intervenu, devant le conseil
général, lors d'un débat qui portait précisément sur la vente à la filiale
belge du groupe Suez, Electrabel, des actions de la CNR que détenait le
département du Rhône.
Nous sommes dans le même processus de privatisation, d'autant plus
inadmissible que la vente des actions de la CNR à Electrabel procède d'un
abandon, d'un lâche abandon des missions d'intérêt général de notre
département, d'une véritable démission « politique » de la part du conseil
général.
J'ai tenu, en effet, à rappeler que la CNR avait été créée non seulement pour
produire l'énergie hydroélectrique, mais aussi pour améliorer la qualité de
l'eau et des abords, pour mieux maîtriser les rejets polluants et pour
contribuer à la protection contre les crues, bref, pour aménager le Rhône de
façon durable et dans l'intérêt des habitants ainsi que des collectivités
territoriales.
Il est clair que cette cession de titres, visant à donner à Electrabel le
pouvoir de concurrencer EDF, fait peu de cas du service public et de ses
exigences.
Il est probable que, à l'avenir, le moindre coût de la production de
l'hydroélectricité accroisse uniquement la rentabilité du capital, au détriment
du consommateur final. Nous avons tous à l'esprit le funeste exemple d'Enron et
la situation catastrophique de la privatisation de l'énergie en Californie.
Par ailleurs, je me suis interrogé sur les conditions de vente des actions de
la CNR, sur le montant de la transaction, sur les raisons qui ont conduit à
retenir Electrabel, de préférence à d'autres acheteurs potentiels, à commencer
par d'éventuelles collectivités territoriales. Et que l'on ne me parle pas de
saine concurrence ! En effet, l'accord conclu entre Electrabel et la CNR
prévoit qu'à partir du moment où Electrabel détiendra au moins 10 % des actions
de la CNR, aucun autre électricien ne pourra entrer dans le capital.
Mes chers collègues, je me devais de porter à votre connaissance la réalité du
bradage de la CNR. J'ajouterai que la maison mère d'Electrabel, le groupe Suez,
connaît de graves difficultés. Un article paru le 10 octobre dernier dans
La
Tribune
titrait « Suez n'en finit pas de chuter », notamment en raison de
son intervention aux Etats-Unis. Avec la CNR, c'est bien notre patrimoine
national qui irait compenser les déboires de Suez aux Etats-Unis !
C'est inadmissible ! L'ouverture du marché gazier, comme l'ouverture du marché
de l'électricité, ne doit pas conduire à ce genre de manoeuvre.
Aussi, mes collègues et moi-même, voterons-nous résolument contre l'article
21.
M. le président.
Monsieur Fischer, cinq minutes pile, vous êtes exemplaire !
L'amendement n° 210, présenté par M. Coquelle, Mmes Beaufils, Didier et
Terrade, M. Le Cam et les membres du groupe communiste républicain et citoyen,
est ainsi libellé :
« Supprimer le quatrième alinéa (2°) du I de cet article. »
La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade.
Dans l'article 21, il est proposé de mettre fin au monopole d'importation et
d'exportation de Gaz de France. Nous savons bien que la directive l'exige. Mais
pourquoi l'Etat français a-t-il accepté une telle disposition, au lieu de la
refuser catégoriquement ?
Permettez-nous de rappeler que, pendant des décennies et jusqu'à un passé
récent, l'ensemble de la classe politique, toutes tendances confondues, et les
dirigeants de GDF eux-mêmes considéraient que le monopole d'importation de GDF
était une condition indispensable pour que la France puisse importer le gaz
naturel au moindre coût.
Pour notre part, nous continuerons de le dire, et nous sommes sûrs, hélas !
que le futur ne tardera pas à nous donner raison.
Cela étant dit, cet abandon du monopole d'importation, que vous ne tentez
guère de compenser par des dispositions légales de protection de la sécurité
d'approvisionnement - vous avez brutalement rejeté nos propositions à l'article
3 - ne vous suffit pas.
Vous proposez, en outre, de priver notre pays d'une garantie en matière de
service public de transport de gaz en supprimant l'exigence d'au moins 30 % de
capital public dans les entreprises de transport de gaz.
Nous exprimons notre total désaccord en proposant de faire disparaître
l'alinéa qui traduit l'abandon de cette exigence.
Nous rappelons que nous ne manquons pas d'arguments pour défendre auprès de
l'Union européenne la position selon laquelle les obligations de service public
en matière de transport justifient cette exigence d'un contrôle minimal de la
puissance publique sur les entreprises concernées.
Nous demandons un scrutin public sur cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski,
rapporteur.
Le projet de loi vise à libéraliser le marché. Cela passe
notamment par la suppression de la loi Armengaud, qui est l'objet de l'article
21. Vous proposez de rétablir cette loi, vous comprendrez que je ne peux être
que d'accord.
Aussi, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Fontaine,
ministre déléguée.
Le Gouvernement émet, lui aussi, un avis défavorable
sur cet amendement.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 210.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe communiste
républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du
règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Nombre de votants | 314 |
Nombre de suffrages exprimés | 224 |
Majorité absolue des suffrages | 113 |
Pour l'adoption | 23 |
Contre | 201 |
L'amendement n° 211, présenté par M. Coquelle, Mmes Beaufils, Didier et Terrade, M. Le Cam et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
« Rédiger ainsi le dernier alinéa (3°) du I de cet article :
« 3° : Le dix-septième alinéa de l'article 8 est ainsi rédigé :
« Si une entreprise gazière qui n'est pas nationalisée se trouve sur le parcours d'une canalisation de transport de gaz naturel, l'Etat pourra lui imposer de se raccorder à cette source. »
La parole est à Mme Evelyne Didier.
Mme Evelyne Didier. Le projet de loi prévoit d'abroger le dix-septième alinéa de l'article 8 de la loi de nationalisation de l'électricité et du gaz.
Sans doute justifiez-vous cette proposition par l'incompatibilité entre cet alinéa et l'exigence de la directive de mise en concurrence et d'interdiction des monopoles.
Cela étant, le sens de cet alinéa de la loi de 1946 garde toute sa valeur. Cet alinéa, en imposant le raccordement d'installations gazières non nationalisées au réseau de GDF, si celui-ci passe à proximité, vise à éviter un développement anarchique des réseaux et des installations gazières, anarchie absolument antiéconomique, et donc contraire à l'intérêt général.
Cette préoccupation d'éviter un développement anarchique garde toute sa valeur. Aussi proposons-nous une autre rédaction pour cet alinéa de l'article 8 de la loi de nationalisation, qui efface la référence à GDF et la remplace par celle d'une canalisation de transport, quel qu'en soit le propriétaire exploitant.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Par cet amendement, vous proposez en quelque sorte une petite renationalisation, que je ne peux accepter.
Mme Marie-France Beaufils. Nous sommes cohérents !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Aussi, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée. Cet amendement est contraire au principe même de liberté d'accès au réseau prévu par la directive et, plus largement, aux règles communautaires. Le Gouvernement ne peut donc pas l'accepter.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 211.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 21.
(L'article 21 est adopté.)
Vote sur l'ensemble