SEANCE DU 22 OCTOBRE 2002


M. le président. La parole est à M. André Trillard, auteur de la question n° 4, adressée à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
M. André Trillard. Monsieur le ministre, l'importante abstention qui a caractérisé les deux élections du printemps dernier doit assurément être replacée dans un contexte plus ancien tant il est vrai que, pour spectaculaire qu'il soit, ce taux d'abstention n'est pas un phénomène nouveau.
Néanmoins, pour difficile à accepter que soit ce constat, force nous a été de reconnaître que, parmi les raisons de fond de cette faible participation, la désaffection progressive des Français à l'égard du monde politique et de ses représentants n'était pas la moindre. A cet égard, l'impérieuse nécessité de restaurer la confiance du citoyen dans la politique est un défi qu'il appartient à nous, élus, de relever, indépendamment de nos clivages politiques, et à tous les niveaux d'intervention qui sont les nôtres.
Si la participation des citoyens à une consultation est avant tout un acte de foi dans la démocratie et dans ses représentants, le réalisme commande toutefois de ne pas négliger un aspect plus concret, celui de l'adaptation du dispositif législatif et réglementaire qui permet aux citoyens empêchés de voter. Tous les observateurs avisés de la vie politique et tous les élus appelés à tenir un bureau de vote s'entendent en effet sur un point : les dispositions du code électoral doivent être revues pour prendre en compte une caractéristique fondamentale de notre époque, la mobilité.
Résultat d'un choix ou d'une nécessité, professionnelle, de loisir ou d'étudiant, régulière ou occasionnelle, de courte ou de longue durée, la mobilité est aujourd'hui le fait de toutes les tranches d'âge et de tous les groupes sociaux.
Dès lors, le système conçu, pour l'essentiel, voilà vingt-six ans afin de permettre de voter par procuration aux seuls citoyens placés dans des situations limitativement énumérées et à même de produire un justificatif, dont la validité est appréciée dans des conditions fatalement différenciées et subjectives, me semble devenu obsolète. Plus grave, il est inéquitable et décourageant. Il est enfin peu lisible : en témoignent les cas, paradoxaux mais pas très rares, de mandataires titulaires d'une procuration et s'abstenant doublement, dans l'ignorance où ils sont de la durée exacte de leur procuration, laquelle peut être, vous le savez mieux que quiconque, monsieur le ministre, valable pour un an ou pour un seul scrutin. (M. le ministre délégué acquiesce.)
Les élus de terrain que nous sommes sont conscients de ce que le sujet est complexe et qu'il importe, avant tout, de se garder de la tentation d'une simplification abusive : si le vote par correspondance a été supprimé en France en 1975, c'est notamment en raison des risques de fraude et, dans l'état actuel des choses, il semblerait que le vote électronique, même sécurisé, ne puisse offrir toutes les garanties voulues, s'agissant notamment de celles qui sont liées à l'indépendance de l'électeur.
Il reste que les règles de nos voisins européens apparaissent dans l'ensemble moins contraignantes que les nôtres et que l'efficacité de certains des dispositifs mis en place à l'étranger, tels que le vote par anticipation - je cite cet exemple mais il y en a d'autres -, mériterait d'être analysée au travers du triple critère de la sécurité, de la participation et de la simplicité.
Quant aux motifs justifiant le recours à cette procédure, ils doivent indéniablement être élargis, et je ne vois pas, pour ma part, ce qui s'opposerait à ce que le vote par procuration, quelles qu'en soient les modalités, soit non plus dérogatoire mais de droit.
Monsieur le ministre, répondant à la question écrite posée par deux de nos collègues députés, le ministre de l'intérieur a indiqué que le Gouvernement engageait une réflexion sur l'adaptation du droit de vote par procuration. Je me réjouis de constater que cette préoccupation, partagée, je le sais, par beaucoup d'entre nous, recueille un écho favorable auprès du Gouvernement. Pourriez-vous nous donner quelques détails sur les objectifs qui seront assignés à cette réflexion - s'agit-il d'une refonte ou d'un « toilettage » du dispositif existant ? -, les délais dans lesquels vous envisagez de la conduire et la façon dont y seront associés les élus locaux ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Monsieur Trillard, l'abstention, c'est vrai, se développe. Par exemple, au premier tour de l'élection présidentielle, elle était de 28 % tandis qu'elle était de 35 % pour le premier tour des élections législatives.
Cependant, notre pays n'est pas le plus mal loti parmi les démocraties en matière de développement de l'abstention. Que l'on songe aux Etats-Unis, où l'élection présidentielle ne suscite guère plus de 50 % de participation, personne ne mettant d'ailleurs en cause le caractère démocratique des Etats-Unis.
Pour ma part, j'ai tendance à considérer que, la démocratie, c'est d'abord le droit de voter contre. Or, d'une certaine manière, il y a une forme de consentement. « Qui ne dit mot consent », dit le proverbe.
Il faut donc relativiser l'atteinte à la démocratie que porterait en elle l'abstention. J'observe d'ailleurs que, plus une société est consensuelle, plus la participation diminue. Quand il y a de grands enjeux ou de grandes tensions, voire quand on est au bord de la guerre civile, la participation est très forte. L'abstention est donc à la fois la meilleure et la pire des choses, aurait dit Esope.
Je suis cependant d'accord avec vous, monsieur Trillard, sur le fait que l'usage du droit de vote doit être favorisé, car le scrutin est un hommage rendu à la démocratie et la marque d'un enracinement dans les institutions.
Certaines pistes doivent être cependant écartées, car elles ont montré qu'elles n'étaient par pertinentes.
Ainsi en est-il d'abord du vote par correspondance, qui a été supprimé en 1975, car il donnait lieu à de nombreuses fraudes.
L'étalement du vote sur plusieurs jours, avec la création de bureaux temporaires et itinérants, est d'une particulière lourdeur et pose un problème de surveillance des urnes. Là aussi, le risque de fraude est important.
Je crois, comme vous, que la piste qui doit être suivie est celle de l'extension du vote par procuration.
En arrivant au ministère, je me suis tout de suite préoccupé de cette question et un projet est presque prêt, projet qui ressortit plutôt au domaine de la loi qu'à celui du règlement, car il s'agit non pas d'un simple toilettage mais d'une réforme de la procédure du vote par procuration.
Premièrement, il faut assouplir les conditions d'ouverture du vote par procuration, car elles sont trop restrictives. Certains citoyens absents de leur commune le jour du scrutin pourraient ainsi voter par procuration alors qu'ils ne le peuvent pas aujourd'hui. Il me semble qu'une déclaration sur l'honneur devrait suffire. Demander aux électeurs de justifier du motif réel de leur absence - par exemple, leur demander de présenter le faire-part de la communion de leur petite fille - relève d'une méfiance de mauvais aloi à l'égard du citoyen qui ne veut qu'exercer son droit de vote. Il me semble que la seule affirmation de son indisponibilité et de son désir de voter par procuration doit donc être suffisante.
M. Jacques Pelletier. Très bien !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Deuxièmement, il faut sans doute transférer l'établissement des procurations vers d'autres services publics, parce que ce sont toujours les mêmes services, et notamment les commissariats de police, qui y procèdent alors que ce n'est pas leur vocation. Ils ont d'autres problèmes à régler.
Troisièmement, il faut davantage simplifer le formulaire de vote par procuration, qui - ceux qui ont tenu un bureau de vote le savent - n'est pas d'une grande clarté.
C'est vers ces pistes que nous nous acheminons. Mon projet est prêt, reste à l'inscrire à l'ordre du jour du Parlement. J'en ai saisi M. le Premier ministre : cela pourrait se faire dans l'année à venir.
M. le président. La parole est à M. André Trillard.
M. André Trillard. Monsieur le ministre, je vous remercie vivement de cette réponse dont l'esprit correspond à mes attentes : je me réjouis de ce que l'on fasse désormais confiance aux citoyens quant à la réalité de leur absence afin que tous puissent voter.

AVENIR DU COMMISSARIAT DE POLICE DE LURE