SEANCE DU 23 OCTOBRE 2002
M. le président.
L'amendement n° 137, présenté par MM. de Broissia et Gournac, est ainsi
libellé :
« Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article L. 213-1-1 du code du travail est complété par un alinéa
ainsi rédigé :
« Par dérogation au premier alinéa ci-dessus, pour les activités de production
rédactionnelle et industrielle et de distribution de presse, de radio, de
télévision, de production et d'exploitation cinématographiques, de spectacles
vivants, de discothèque, la période de nuit est fixée entre 24 heures et 7
heures. Une autre période de travail de nuit peut être fixée par une convention
ou un accord collectif de branche étendu, un accord d'entreprise ou
d'établissement. Cette période de substitution devra comprendre en tout cas
l'intervalle compris entre 24 heures et 5 heures. »
« II. - Après le deuxième alinéa de l'article L. 213-4 du même code, il est
inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour les activités visées au troisième alinéa de l'article L. 213-1-1,
lorsque la durée effective du travail de nuit est inférieure à la durée légale,
les contreparties visées aux deux alinéas ci-dessus ne sont pas obligatoirement
données sous forme de repos compensateur. »
La parole est à M. Louis de Broissia.
M. Louis de Broissia.
J'ai déposé cet amendement avec mon collègue Alain Gournac...
M. Guy Fischer.
Pourquoi ne le défend-il pas lui-même ?
M. Louis de Broissia.
... afin d'évoquer, à propos de ce texte visant le temps de travail, la
rémunération et les conditions de travail, un certains nombre d'activités
exercées uniquement la nuit : je veux parler des industries culturelles, de
celles qui sont liées à la production rédactionnelle, à la distribution de
presse, à la radio, à la télévision, à la production cinématographique et au
spectacle vivant.
Nous considérons, pour en avoir parlé avec les intéressés, qu'il est
nécessaire de prévoir des dispositions spécifiques à cet égard. Si des mesures
particulières existent déjà en matière sociale ou fiscale - pour les porteurs
de presse, par exemple - et si, juridiquement, aux termes de l'article L. 213-1
du code du travail, le recours au travail de nuit doit être exceptionnel, «
doit prendre en compte les impératifs de protection de la sécurité et de la
santé des travailleurs » et « doit être justifié par la nécessité d'assurer la
continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale », il
n'en reste pas moins que certaines activités ne peuvent être pratiquées que la
nuit. Comme le disait M. de La Palice, une activité nocturne ne se déroule que
la nuit !
Je sais que la commission n'a été que pour partie sensible à cette
organisation, mais je tiens à rassurer M. le rapporteur : le dialogue social
devra être poursuivi sur ces questions.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
La commission est bien embarrassée face à cet amendement qui
vise à adapter le nouveau régime légal du travail de nuit pour les entreprises
de spectacle et d'information.
Il est vrai que la spécificité desdites entreprises mériterait peut-être
d'être mieux prise en compte, mais cela doit se faire dans le cadre d'une étude
plus approfondie et non au détour de l'examen d'un tel amendement.
En tout état de cause, la commission m'a chargé d'invoquer la sagesse du
Sénat.
M. Guy Fischer,
Ah bon ? Elle n'est pas défavorable, cette fois-ci ?
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon
ministre.
Le Gouvernement souhaite effectivement que le Sénat fasse
preuve de sagesse sur cette question, qui est grave puisque, comme celle que
nous avons traitée tout à l'heure, elle a des conséquences sur la négociation
entre le Gouvernement et les partenaires sociaux.
Ce n'est un secret pour personne, nous avions prévu, dans le texte qui a été
soumis à l'origine aux partenaires sociaux, des dispositions sur ce sujet. Mais
la concertation nous a conduits à les retirer.
Même si je suis conscient que la loi sur le travail de nuit suscite des
difficultés d'application dans un certain nombre de secteurs - c'est le cas du
spectacle, de l'audiovisuel, du cinéma, mais aussi des hôtels, des cafés et des
restaurants - ces secteurs ont commencé à négocier et je les encourage à
trouver entre partenaires sociaux toutes solutions susceptibles de lever ces
difficultés.
Permettez-moi, en outre, de souligner qu'il n'y a aucune raison de traiter de
manière distincte les secteurs visés par l'amendement de M. de Broissia.
J'ajoute que les partenaires sociaux sont extrêmement attachés à la
législation actuelle. A l'évidence, celle-ci présente en effet des avantages,
notamment pécuniaires, pour les salariés qualifiés travailleurs de nuit.
Sur ce sujet comme sur d'autres, j'examinerai tout accord entre les
partenaires sociaux dès lors que ces derniers sont animés par le souci de
respecter le dialogue social. Revenir, à l'occasion de l'examen de ce texte et
sous la forme de cet amendement, sur la définition du travail de nuit
reviendrait à remettre en cause les avantages que je viens d'évoquer.
M. Gilbert Chabroux.
C'est gravissime !
M. François Fillon,
ministre.
Je préfère, pour ma part, que ce type de débat soit d'abord
engagé par le biais de la négociation, afin de garantir l'équilibre entre les
parties.
M. Gilbert Chabroux.
Bien sûr !
M. François Fillon,
ministre.
La loi prévoit ainsi, pour certaines branches visées dans un
décret, la possibilité d'aller, par voie d'accord, au-delà de la durée maximale
de huit heures pour le travail de nuit. Cette possibilité est d'ailleurs prévue
par une directive européenne de 1993.
Si des accords venaient à être conclus dans des branches qui, aujourd'hui, ne
figurent pas dans ce décret - c'est le cas du spectacle, du cinéma et d'autres
secteurs que M. de Broissia a cités tout à l'heure - le Gouvernement pourrait
alors en tirer les conséquences. Mais imposer aujourd'hui, dans le cadre de ce
texte, la perte des avantages financiers que représentent aujourd'hui les
accords qui ont été signés pour les salariés en question me paraîtrait
dangereux, même si, comme le disait M. de Broissia, certains métiers ne peuvent
s'exercer que la nuit.
Quoi qu'il en soit, le travail de nuit n'est pas le travail de jour, et le
Sénat doit bien prendre en compte l'importance et la gravité qu'il y aurait à
modifier de manière unilatérale, sans concertation avec les partenaires
sociaux, sans chercher à trouver des équilibres à travers une négociation,
cette question, au demeurant très importante.
Le Gouvernement souhaite donc le retrait de cet amendement.
M. le président.
La parole est à M. Louis de Broissia pour explication de vote.
M. Louis de Broissia.
Monsieur le ministre, la sagesse qu'a invoquée M. le rapporteur pourrait
éventuellement me permettre - avec mon ami Alain Gournac je l'espère - de
convaincre nos collègues qu'il y a lieu de légiférer sur un sujet de cet
importance.
Il est en effet nécessaire et opportun de mener un dialogue social ouvert dans
les industries de la culture, du spectacle, de la presse, de la
distribution,...
M. Guy Fischer.
Sans oublier les intermittents du spectacle !
M. Louis de Broissia.
... pour tous ces intéressés qui travaillent la nuit et auxquels je
m'intéresse en tant que rapporteur spécial sur les budgets de la communication
et de l'audiovisuel, secteurs extrêmement fragiles.
Comparaison n'étant pas raison, je sais bien que d'autres travaillent la nuit
: les policiers, les gendarmes, les hôteliers, les restaurateurs...
M. Hilaire Flandre.
Les sénateurs !
M. Louis de Broissia.
Pour eux, c'est normal ! Et je n'oublie pas tous ceux qui travaillent avec
nous.
Cela étant, même si d'autres travaillent la nuit, je rappelle que le
Gouvernement a toujours défendu ce bien spécifique qu'est le bien culturel.
Ainsi, dans les négociations internationales, la France est en tête du combat
pour la diversité culturelle et contre le produit culturel unique.
M. Guy Fischer.
Et nous serons en tête pour la régression sociale si cet amendement est adopté
!
M. Louis de Broissia.
Cependant, au-delà de cet argument, monsieur le ministre, et parce que je
souhaite que la négociation puisse s'ouvrir dans les meilleures conditions, je
vous demande de créer une mission non pas sur le travail de nuit en général,
mais sur le travail nocturne dans les industries culturelles, dans les
industries du spectacle.
Je ne souhaite pas ouvrir ici le dossier des restaurateurs, par exemple, pour
qui le travail de nuit est réglementé par le code du travail ! Je veux
simplement savoir si, oui ou non, le Gouvernement fait preuve d'ouverture sur
ce sujet qui, je le maintiens, est d'une grande actualité.
Si j'obtiens une réponse favorable, j'aviserai !...
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon,
ministre.
Le Gouvernement est tout à fait favorable à la mise en oeuvre
d'une mission sur le travail de nuit, si elle est limitée aux professions que
vous venez d'évoquer. Cela permettra de mettre à plat certains des problèmes
qui se posent dans ces secteurs, et surtout d'entendre les partenaires sociaux
et de mettre en place avec eux les conditions d'une négociation qui pourrait
déboucher sur un accord équilibré.
A la question de M. de Broissia, je réponds donc oui : une mission travaillera
sur ce sujet, et tout de suite.
M. le président.
Monsieur de Broissia, l'amendement est-il maintenu ?
M. Louis de Broissia.
J'attends du Gouvernement une réponse avant la fin de 2002. En attendant,
monsieur le président, l'amendement est retiré.
M. le président.
L'amendement n° 137 est retiré.
L'amendement n° 23, présenté par M. Joly, est ainsi libellé :
« Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« A l'article L. 932-2 du code du travail :
« 1. La seconde phrase du premier alinéa de l'article L. 932-2 est
supprimée.
« 2. Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :
« Un accord de branche ou d'entreprise peut prévoir les conditions dans
lesquelles les actions de formation peuvent être organisées, en accord avec le
salarié, pour partie hors du temps de travail effectif. »
La parole est à M. Bernard Joly.
M. Bernard Joly.
Cet amendement a pour objet de sécuriser, au moins par un accord de branche
ou, si possible, par un accord d'entreprise ou d'établissement, la définition
des formations susceptibles d'être, en accord avec le salarié, effectuées pour
partie hors du temps de travail effectif. A défaut, on en resterait à la loi «
Aubry II », et c'est encore le juge qui devrait dire si telle formation est
dite « d'adaptation à l'emploi », et donc obligatoirement réalisée sur le temps
de travail, ou si elle est dite « de développement des compétences », et donc
susceptible d'être effectuée pour partie en dehors du temps de travail
effectif. C'est un nid à contentieux qu'il faut éliminer.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
La commission considère que le présent projet de loi n'a
évidemment pas à revenir sur l'articulation entre le temps de travail et le
temps de formation au moment même où les négociations des partenaires sociaux
sur la formation professionnelle devraient reprendre.
Elle souhaite donc que notre collègue retire son amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon,
ministre.
J'ai un bon argument, monsieur le sénateur, pour vous
convaincre de retirer votre amendement : la négociation interprofessionnelle
sur la formation professionnelle, que j'ai souhaitée, est sur le point de
s'engager.
Vous savez que la négociation conduite en 2001 avait échoué, alors qu'elle
était sur le point d'aboutir. J'ai envoyé au début de la semaine une lettre à
tous les partenaires sociaux en leur demandant de reprendre cette négociation,
notamment avec l'idée de mettre au point l'assurance-emploi, c'est-à-dire ce
compte individuel de formation professionnelle permanente tout au long de la
vie que le Président de la République s'était engagé à mettre en oeuvre au
cours de la campagne électorale.
Adopter aujourd'hui un amendement qui modifie de manière sensible la question
de la qualification du temps de formation professionnelle par rapport au temps
de travail reviendrait à envoyer un signal négatif aux partenaires sociaux et
les conduirait sans doute à ne pas engager cette négociation très
importante.
Je suis convaincu que M. Bernard Joly acceptera de retirer son amendement : il
montrera ainsi aux partenaires sociaux qu'il leur laisse la liberté de
s'engager dans une négociation pour obtenir satisfaction.
M. le président.
Monsieur Joly, l'amendement est-il maintenu ?
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, j'ai cru, pendant un moment, que certains voulaient
faire le bonheur des gens malgré eux. Devant le ton convaincant de M. le
ministre, et pour l'aider dans sa négociation, je ne peux que retirer mon
amendement.
M. le président.
L'amendement n° 23 est retiré.
Article 2 bis