SEANCE DU 23 OCTOBRE 2002
M. le président.
« Art. 2
bis. -
Le premier alinéa de l'article L. 212-4
bis
du
code du travail est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Exception faite de la durée d'intervention, la période d'astreinte est
décomptée dans les durées minimales visées aux articles L. 220-1 et L. 221-4.
»
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy sur l'article.
M. Jean-Pierre Godefroy.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, puisque la
question de l'astreinte est arrivée inopinément dans notre débat sur le temps
de travail, le groupe socialiste tient à rappeler sur ce point sa position, qui
n'a pas varié.
Aux termes de l'article L. 212-4
bis
du code du travail, « la période
d'astreinte s'entend comme une période pendant laquelle le salarié, sans être à
la disposition permanente et immédiate de l'employeur, a l'obligation de
demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour
effectuer un travail au service de l'entreprise, la durée de cette intervention
étant considérée comme un temps de travail effectif ».
Ainsi définie, l'astreinte ne couvre pas les périodes de permanence effectuées
dans les locaux de l'entreprise, lesquelles constituent du temps de travail
effectif.
Dans ce cas - et je pense notamment aux professions de santé - des durées
d'équivalence ont été prévues par la législation, par la réglementation et par
des conventions collectives. Ainsi, les périodes de surveillance nocturne en
chambre de veille comptent-elles comme trois heures de travail pour neuf heures
de présence. Au-delà, une demi-heure de travail est décomptée pour chaque heure
de présence, dans la limite de douze heures.
Il existe toute une série de dispositions concernant diverses professions
qu'il semble superflu d'énumérer ici. Je crois que nous sommes au clair sur ce
point, pour le moment tout au moins.
La question se pose donc pour les astreintes hors de l'entreprise.
Monsieur le ministre, vous avez fait remarquer avec pertinence lors du débat à
l'Assemblée nationale que l'astreinte est aujourd'hui facilitée par l'usage de
téléphones portables. C'est exact, mais les progrès n'empêchent pas que
l'astreinte demeure.
Le salarié sous astreinte doit être joignable à tout moment et, s'il peut
s'éloigner d'un téléphone fixe ou de son domicile, il doit toujours rester à
une distance de l'entreprie et des lieux d'intervention lui permettant de s'y
rendre rapidement. Il ne peut donc pas trop s'éloigner de son domicile. Il ne
peut pas pratiquer des activités sportives ou culturelles. Il ne peut pas non
plus, si son conjoint travaille, garder ses enfants à la maison.
Ces observations de simple bon sens nous font mesurer la portée pratique de
l'astreinte, tant pour l'employeur que pour le salarié.
Au demeurant, l'organisation des astreintes dans une entreprise doit faire
l'objet d'une programmation par voie d'accord qui fixera également les
modalités de compensation, sous forme financière ou de temps de repos. Tout
salarié ayant effectué des astreintes doit disposer, en fin de mois, d'un
récapitulatif mentionnant les compensations.
Ce document doit être tenu à la disposition de l'inspection du travail pendant
un an. Je rappelle que l'article R. 261-3 du code du travail prévoit même des
peines d'amende pouvant aller jusqu'à 3 750 euros pour l'employeur, personne
morale, qui faillirait à ces obligations.
On voit donc bien que si, jusqu'à présent, nul ne s'est riqué à donner une
définition juridiquement esthétique de l'astreinte, nous disposons d'un arsenal
complet pour en régler l'exercice.
Il n'existe pas de définition positive et brièvement exprimée de l'astreinte.
Vouloir en introduire une est tout à fait périlleux et risque, très vite, de se
révéler source de conflits.
L'astreinte hors intervention n'est évidemment pas un temps de travail
effectif. Cela se constate. De plus, les finances des entreprises, des
établissements publics et des collectivités en souffriraient gravement.
Prétendre que l'astreinte est un temps de repos est tout aussi inexact,
puisque le salarié n'est pas totalement libre de ses mouvements comme lorsqu'il
est en repos.
Ce qui caractérise l'astreinte, c'est que le lien de subordination qui lie le
salarié à son employeur n'est pas interrompu. Il est représenté par un élément
matériel - au moins un téléphone - et par un élément juridique : l'obligation
pour le salarié d'accomplir un acte professionnel si l'on fait appel à lui.
A l'évidence, l'astreinte est pour le salarié une contrainte, et c'est pour
raison cette qu'elle donne lieu à compensation.
Il n'est donc pas envisageable que la loi profère une contre-vérité, d'autant
plus que ses conséquences pratiques risquent de s'avérer particulièrement
néfastes, tant pour les salariés que pour les entreprises.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous demandons la suppression de
l'article 2
bis
.
M. le président.
Je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendements n° 61 est présenté par MM. Chabroux, Godefroy, Weber et
Domeizel, Mmes San Vicente, Printz et les membres du groupe socialiste,
apparenté et rattachée.
L'amendement n° 100 est présenté par M. Muzeau, Mme Demessine, M. Fischer et
les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
« Supprimer l'article 2
bis
. »
L'amendement n° 123, présenté par M. Gournac, est ainsi libellé :
« Compléter le texte proposé par cet article pour compléter le premier alinéa
de l'article L. 212-4
bis
du code du travail par des dispositions
suivantes :
« Cette période ne peut être supérieure à sept jours consécutifs. »
L'amendement n° 34, présenté par M. Geoffroy, est ainsi libellé :
« A. - Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
« II. - Le deuxième alinéa du même article est complété par une phrase ainsi
rédigé :
« Un décret détermine les garanties minimales en matière d'organisation des
astreintes et de leur compensation.»
« B. - Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
« III. - Les astreintes effectuées par des fonctionnaires ou des agents non
titulaires de droit public ouvrent droit à compensation dans des conditions
fixées par décret.
« C. - En conséquences, faire précéder le début de cet article de la mention :
"I. - ". »
La parole est à M. Gilbert Chabroux pour présenter l'amendement n° 61.
M. Philippe Marini.
Il vient d'être défendu !
M. Guy Fischer.
Vous n'allez pas continuer !
M. Gilbert Chabroux.
Monsieur le président, à la suite des propos de M. Jean-Pierre Godefroy, nous
demandons la suppression de l'article 2
bis
, dont le premier objet est
de contrecarrer une jurisprudence de la Cour de cassation et qui n'apporte donc
aucune sécurité juridique nouvelle.
Cet article aurait pour conséquence de porter gravement atteinte aux
conditions de vie des salariés et de remettre en cause les accords collectifs
signés en la matière, créant ainsi de nouveaux contentieux et une grande
confusion.
Le mode d'exercice de l'astreinte doit être laissé à l'appréciation des
partenaires sociaux dans les branches et dans les entreprises.
M. le président.
La parole est à M. Roland Muzeau pour défendre l'amendement n° 100.
M. Roland Muzeau.
Monsieur le ministre, comme je l'ai déjà indiqué dans mon intervention
générale, l'ajout de la disposition modifiant le régime des astreintes me
paraît particulièrement grave et je suis surpris que vous l'ayez accepté car il
déséquilibre gravement votre texte.
Désormais, les choses sont claires : ce projet de loi aggrave la subordination
du salarié à l'employeur.
Les syndicats sont unanimes pour dénoncer ce qu'il est juste de nommer une
atteinte à la vie sociale de millions de salariés car il ne s'agit pas de
quelques dizaines de salariés.
Il ressort clairement des débats qui ont précédé le vote de cet article
additionnel à l'Assemblée nationale que ce texte a pour unique objet de faire
échec à l'arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 10
juillet 2002, dans une affaire concernant la société Dalkia.
Au terme de ce jugement, il est écrit que « les périodes d'astreinte, si elles
ne constituent pas un temps de travail effectif durant les périodes où le
salarié n'est pas tenu d'intervenir au service de l'employeur, ne peuvent être
considérées comme un temps de repos, lequel suppose que le salarié soit
totalement dispensé, directement ou indirectement, sauf cas exceptionnels,
d'accomplir pour son employeur une prestation de travail, même si elle n'est
qu'éventuelle ou occasionnelle ».
Il en résulte qu'un salarié ne bénéficie pas de son repos hebdomadaire
lorsqu'il est d'astreinte.
L'amendement adopté par l'Assemblée nationale a pour conséquence d'opérer une
totale assimilation entre temps de repos et temps d'astreinte et, par là même,
de mettre en cause le repos quotidien de onze heures consécutives et le repos
hebdomadaire de vingt-quatre heures.
Une telle assimilation ne me paraît pas fondée. Ces deux notions sont
totalement inconciliables.
S'agissant en premier lieu d'astreinte, il convient de rappeler que
l'astreinte telle qu'elle est définie par le premier alinéa de l'article L.
212-4
bis
du code du travail est « une période pendant laquelle le
salarié, sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, a
l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure
d'intervenir pour effectuer un tarvail au service de l'entreprise ».
Dès lors, par le fait même de se trouver en astreinte, le salarié est toujours
en situation de subordination juridique par rapport à son employeur puisqu'il a
l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité, de se tenir constamment
prêt à intervenir immédiatement dans la mesure où les périodes d'astreinte
sont, par définition, prévues pour pallier la survenue d'incidents soudains
nécessitant des travaux urgents pour garantir la sécurité des biens et des
personnes qui ne pourraient être réalisés dans le cadre de travaux
planifiés.
Le salarié d'astreinte doit donc toujours effectuer un travail pour le compte
de son employeur.
Monsieur le ministre, le seul fait de se tenir toujours prêt à intervenir dans
l'attente d'une directive de son patron et, au surplus, de demeurer dans un
lieu ou à proximité d'un lieu imposé, constitue à l'évidence une prestation du
salarié pour le compte de son employeur.
L'astreinte est effectuée en exécution du contrat de travail. Elle donne lieu
à une compensation soit financière, soit sous forme de repos, selon l'article
L. 212-4
bis
, alinéa 2, du code du travail. C'est une période pendant
laquelle l'employeur conserve son pouvoir disciplinaire dans toute son
étendue.
Vous ne pouvez ignorer qu'il ne fait aucun doute que le repos, au sens des
autres articles, par exemple les articles L. 220-1 et L. 221-4 du code du
travail, doit s'entendre de toute période pendant laquelle le salarié
n'effectue aucun travail, le salarié ne pouvant et ne devant recevoir pendant
cette période aucune directive de son employeur.
Enfin, la directive européenne du 23 novembre 1993 et les articles 3 et 5
imposent aux Etats membres de prendre les mesures nécessaires pour que tout
travailleur bénéficie d'une période de repos quotidien minimal de onze heures
consécutives et d'une période de repos hebdomadaire de vingt-quatre heures sans
interruption. Tout cela conduit à la définition suivante : la période de
repos, c'est toute période qui n'est pas du temps de travail.
Dès lors, il est certain que l'amendement que vous avez laissé voter par
l'Assemblée nationale le 15 octobre 2002, monsieur le ministre, est contraire à
la directive du Conseil.
Il ne fait guère de doute que, dans l'hypothèse où cet amendement serait
maintenu - je souhaite, bien évidemment, qu'il soit supprimé par notre
assemblée -, les juridictions judiciaires, immanquablement saisies par les
salariés ou par les organisations syndicales, seraient fondées à l'écarter par
voie d'exception.
Je demande à l'ensemble de nos collègues de prendre la mesure de la gravité de
cet amendement voté pour faire plaisir à une composante de la majorité
présidentielle et qui met en danger la vie de millions de salariés.
(Très
bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Alain Gournac pour présenter l'amendement n° 123.
M. Alain Gournac.
Il ne s'agit pas de revenir sur l'interdiction de faire travailler un salarié
plus de six jours par semaine, le repos hebdomadaire étant obligatoire. Je
propose plutôt d'appréhender d'une façon intelligente la question de
l'astreinte.
Il existe une grande différence entre une astreinte de six jours et une
astreinte de sept jours.
Si le salarié est d'astreinte pendant six jours, son week-end est déjà entamé.
Et si les astreintes sont régulières, notamment dans les services des eaux, de
La Poste, de dépannage, et bien d'autres, le passage à sept jours permettrait,
comme c'est le cas dans nos collectivités territoriales, de libérer davantage
de week-ends pour les intéressés.
Passer à sept jours correspondrait aux souhaits des salariés, je l'ai dit, je
le répète, de bénéficier de week-ends entiers et non pas de repos hebdomadaires
qui ne débutent que le dimanche.
Il s'agit donc d'organiser les astreintes de façon plus rationnelle et plus
proche de la pratique.
M. le président.
La parole est à M. André Geoffroy pour présenter l'amendement n° 34.
M. André Geoffroy.
Pour ma part, je me situerai sur un plan pragmatique et non dogmatique.
L'amendement n° 34 concerne essentiellement l'astreinte dite « de sécurité
».
Compte tenu des implications de l'article 2
bis,
qui modifie le régime
des astreintes, il serait souhaitable de fixer dans la loi le principe d'une
nécessaire compensation, la loi se devant en effet de déterminer les garanties
minimales applicables en la matière. Celles-ci pourraient alors être renvoyées
à un décret.
Cet amendement vise donc à poser ce principe de compensation minimale non
seulement pour les salariés relevant du code du travail, mais aussi pour les
agents publics.
Chacun connaît en effet les difficultés liées aux astreintes, notamment dans
le secteur hospitalier, dans les services départementaux d'incendie et de
secours, ainsi que dans les entreprises liées à la maintenance dans les
immeubles du chauffage et des ascenseurs.
Je prendrai un exemple non corporatiste pour conclure : dans les services
départementaux d'incendie et de secours, modifier les astreintes concerne en
priorité les sapeurs-pompiers volontaires, c'est-à-dire des personnes
passionnées et motivées par leur engagement, puisqu'elles exercent ce métier en
sus de leur activité professionnelle.
Cette mesure pénaliserait les communes rurales moins riches qui emploient plus
de volontaires que de professionnels.
Enfin, en pleine période de crise du volontariat, notamment à cause de
problèmes de manque de disponibilité, il apparaît négatif de supprimer les
astreintes.
Le système de secours en France repose essentiellement sur l'équilibre entre
les professionnels et les volontaires, cette originalité nous permettant de
disposer d'effectifs variables en fonction des besoins.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
L'article 2
bis
répond à une jurisprudence qui aurait
conduit les entreprises à remettre en cause l'ensemble de leur organisation. Il
n'est pas souhaitable de le supprimer, totalement ou en partie.
Cependant, je veux dire quelques mots sur la question des astreintes.
Après consultations et analyses, il m'est apparu que les difficultés liées aux
astreintes ne tenaient pas à l'amendement adopté à l'Assemblée nationale,
celui-ci se contentant de rétablir le droit antérieur à la jurisprudence de
juillet dernier.
Ces difficultés sont avant tout liées aux failles du régime légal telles
qu'elles sont posées par la loi du 19 janvier 2000.
Que constate-t-on en effet ?
Quand un accord collectif est conclu, l'astreinte ainsi négociée ne pose pas
de problème.
En revanche, quand il n'y a pas d'accord et que l'astreinte est mise en place
sur la seule initiative de l'employeur, j'observe qu'aucune garantie minimale
pour le salarié n'est actuellement prévue dans le code du travail, notamment en
matière de compensation.
Je me suis donc demandé comment il serait possible d'assurer de telles
garanties minimales - ma réponse vaut pour l'amendement n° 34 de M. Geoffroy -,
mais les deux solutions que j'ai examinées, à savoir la négociation nationale
interprofessionnelle et le décret se sont en l'état révélées impossibles à
mettre en oeuvre.
Dans ces conditions, j'estime qu'il n'est pas raisonnable de mettre en place,
à la va-vite, un nouveau cadre législatif pour ces garanties minimales.
Je crois que ce problème doit en priorité être négocié par les branches. A
défaut, et sur les bases d'un solide état des lieux, le législateur pourrait,
en son temps, être conduit à se saisir à nouveau de cette question. Mais je
souhaite vivement que vous encouragiez déjà, dans un premier temps, les
partenaires sociaux à se mettre au travail sur ce sujet.
S'agissant de l'amendement n° 123, qui vise à limiter les périodes d'astreinte
à sept jours consécutifs, j'aurais personnellement tendance - et M. Gournac le
sait, car nous en avons parlé ce matin - à y être favorable, mais je souhaite
connaître l'avis du Gouvernement à ce sujet.
Enfin, l'amendement n° 34 renvoie à un décret le soin de fixer les garanties
minimales, notamment en matière d'organisation des astreintes et de
compensation. Je partage, je l'ai déjà dit, largement l'analyse de notre
collègue André Geoffroy. Toutefois, je le répète, ce n'est pas le dispositif
qui a été adopté à l'Assemblée nationale qui pose problème, ce sont les
imperfections du régime. En effet, dès lors qu'il n'y a pas d'accord, le code
du travail ne prévoit aucune garantie minimale.
Comme M. Geoffroy, j'avais aussi cherché à explorer la voie du décret. Il m'a
cependant semblé, après consultations et analyses, que cette voie était
difficile à mettre en oeuvre eu égard non seulement à la place respective de la
loi et du règlement, mais aussi à la diversité bien compréhensible des besoins
qui se font jour selon les branches. Sur cet amendement également, je souhaite
connaître l'avis du Gouvernement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon,
ministre.
Pour que nos débats soient fructueux, il faut que, à un moment
donné, les faits soient admis par tout le monde. On ne peut pas, pendant des
semaines, continuer à dire des choses qui sont inexactes, qui reposent sur des
analyses fausses, qui peuvent avoir été inspirées par telle ou telle
déclaration entendues ici ou là, mais qui ne résistent pas à l'examen des faits
!
Nous ne sommes nullement en train de modifier le régime des astreintes. Nous
revenons à l'application de la législation, qui bénéficiait d'ailleurs du
soutien de ceux qui sont aujourd'hui tout à coup si critiques sur les
astreintes !
(Protestations sur les travées socialistes et sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
Comme je l'ai indiqué à plusieurs reprises, il faut que les choses soient
claires. L'amendement qui a été adopté par l'Assemblée nationale - c'est la
raison pour laquelle le Gouvernement l'a soutenu - reprend mot pour mot une
circulaire de Mme Aubry. Mais des problèmes d'interprétation juridique se
posaient.
M. Guy Fischer.
Nous ne l'avons jamais vue !
M. François Fillon,
ministre.
Je vais même vous la lire !
Mme Michelle Demessine.
Cela ne résoudra pas le problème !
M. François Fillon,
ministre.
« Le salarié placé en position d'astreinte »...
Mme Michelle Demessine.
Ce n'est la question !
M. François Fillon
ministre.
Depuis quand êtes-vous spécialiste du droit du travail ?
(Protestations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
ainsi que sur les travées socialistes.)
Madame, je n'ai pas l'impression que vous aviez participé à nos débats. Je
suis très intéressé par ce que vous allez nous dire, mais j'aimerais bien que
vous m'écoutiez d'abord !
Cette circulaire du 3 mars 2000 précise que « le salarié placé en position
d'astreinte sans réaliser d'intervention ne se trouve pas placé dans une
position permettant d'analyser le temps de l'astreinte comme un temps de
travail effectif. Il en résulte que la position d'astreinte sans intervention
durant une période de repos ne constitue pas en tant que telle une infraction
aux règles relatives au repos quotidien ou au repos hebdomadaire. Il convient
cependant de souligner que cette situation ne doit pas conduire à ce qu'un même
salarié soit systématiquement placé en situation d'astreinte durant les
périodes de repos quotidien ou hebdomadaire. Si le développement de telles
pratiques venait à être constaté, il appartiendra aux services de le signaler
aux services de l'administration centrale. »
Cela signifie que nous ne sommes pas en train de modifier le régime des
astreintes. Ce ne sont pas des temps de repos. D'ailleurs, comme vous l'avez
vous-même reconnu, elles donnent droit à un certain nombre de contreparties,
financières ou sous forme de repos, qui sont fixées par des conventions.
La seule chose que nous voulons obtenir avec cet amendement, c'est une
clarification de l'application des textes précédents. Nous voulons, notamment,
qu'une astreinte qui n'a pas fait l'objet d'intervention n'affecte pas - c'est
le seul objet de cet amendement - le décompte des temps de repos fixés par les
articles L. 220 et L. 221-4 du code du travail.
J'ajoute que - comme il est indiqué dans la circulaire que je viens de lire -
en cas abus, par l'employeur, dans les conditions de l'astreinte, il peut y
avoir requalification, par l'inspection du travail, du temps d'astreinte en
temps de travail. Pour toutes ces raisons, je souhaite, évidemment, le rejet
des amendements n°s 61 et 100.
S'agissant de l'amendement n° 123, il me paraît préférable - monsieur Gournac,
comme le demandait M. le rapporteur sur un autre sujet - de laisser aux
partenaires sociaux qui mettent en place des périodes d'astreintes dans des
conditions définies à l'article L. 212-4
bis
du code du travail d'en
fixer les modes d'organisation, notamment la durée et le nombre, ainsi que les
contreparties en repos et en rémunération. Je ne suis donc pas favorable à cet
amendement qui limite la période d'astreinte à sept jours consécutifs.
Le Gouvernement n'est pas non plus favorable à l'amendement n° 34, parce que
le principe même des compensations financières ou sous forme de repos est déjà
fixé par la loi. Les modalités de mise en oeuvre des astreintes font l'objet de
négociations collectives ou d'une décision de l'employeur après consultation
des institutions représentatives du personnel. Encadrer par la voie d'un décret
le recours aux astreintes ne me semble pas utile.
Par ailleurs, ce projet de loi n'a pas vocation à s'appliquer aux agents de la
fonction publique, qui restent soumis au statut de la fonction publique pour
les dispositions concernant leurs conditions de travail.
M. le président.
La parole est à M. Gilbert Chabroux pour explication de vote sur les
amendements identiques n°s 61 et 100.
M. Gilbert Chabroux.
Monsieur le ministre, j'ai l'impression que nous ne parlons pas de la même
chose !
M. François Fillon
ministre.
C'est sûr !
M. Gilbert Chabroux.
Nous avons de la peine à comprendre ce dont vous parlez, compte tenu de ce qui
s'est passé à l'Assemblée nationale. C'est un amendement de M. Hervé Morin qui
est à l'origine de l'article 2
bis
dont je vous donne lecture : «
Exception faite de la durée d'intervention, la période d'astreinte est
décomptée dans les durées minimales visées aux articles L. 220-1 et L. 221-4.
»
Cela signifie - à moins que nous ne comprenions rien - que l'astreinte est
considérée comme du temps de repos, sauf s'il y a intervention. Je voudrais que
toute la lumière soit faite sur ce point, en prenant en compte l'intérêt des
salariés.
Si le décret reprend, comme vous le dites, la circulaire de Mme Aubry,
permettez que l'on supprime l'article 2
bis,
et ne changez pas la
circulaire, qui règle le problème dans le sens que vous souhaitez. De plus, la
Cour de cassation a tranché en se fondant sur cette circulaire et son jugement
est d'ordre juridique et non politique. Alors ne faites pas de faux procès !
Je demande l'application de la circulaire Aubry, ce qui clarifie les choses et
nous permettra d'aller dans le sens que nous souhaitons, et que nous devrions
tous souhaiter si nous prenons bien en compte l'intérêt des salariés !
M. le président.
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le ministre, je ne vous comprends pas.
M. François Fillon,
ministre.
C'est bien ce que je regrette !
M. Guy Fischer.
Tout à l'heure, vous avez fait preuve de bon sens. Lorsque M. de Broissia nous
a présenté son amendement n° 137, qui visait à redéfinir le travail de nuit en
abrogeant deux dispositions, amendement qui était une véritable provocation en
termes de régression sociale, vous avez indiqué qu'il n'était pas possible, au
détour d'un tel amendement, de faire perdre aux salariés des avantages
financiers inhérents aux conditions de travail de nuit.
Nous sommes dans la même situation qu'à l'Assemblée nationale le 15 octobre,
lorsque M. Morin, du groupe de de l'UDF, a présenté un amendement visant - et
je partage à cet égard tout à fait l'analyse de mon ami Gilbert Chabroux - à
établir une définition de l'astreinte contraire à celle que la Cour de
cassation a posée dans son jugement du 10 juillet 2002. Nous sommes en octobre
: nous voilà au coeur de l'actualité !
En considérant que les périodes d'astreinte peuvent s'assimiler à du repos en
dehors des temps réels d'intervention, M. Morin a de toute évidence cherché à
atténuer le caractère contraignant de l'astreinte et à octroyer ainsi aux
employeurs des moyens de cumuler les temps de travail normal et l'exercice de
l'astreinte. Ce n'est pas moi qui l'affirme, c'est le secrétaire général de la
CGT de l'industrie électrique et gazière.
(Murmures sur les travées du RPR
et des Républicains et Indépendants.)
M. Philippe Marini.
Je nevvois pas la différence. Vous restez en famille !
M. Guy Fischer.
Je n'ai pas honte de mes amis ! Chacun les siens, d'ailleurs ! Vous, le baron
Seillière, et moi, les gaziers !
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. Roland Muzeau.
C'est toute la différence !
M. le président.
Continuez, monsieur Fischer. Ne vous laissez pas détourner de votre propos.
M. Guy Fischer.
Les salariés de la branche des industries électriques et gazières ont été
particulièrement sollicités ces dernières années. En 1999, ce fut la « tempête
», véritable catastrophe nationale. Puis ce furent les récentes inondations -
25 morts au total -, qui ont touché les départements du Sud-Est, notamment le
Gard, dont le territoire a été inondé à plus de 85 %.
Actuellement, l'astreinte constitue une véritable contrainte dans la vie
quotidienne, des agents et elle ne peut pas se réduire - contrairement à ce qui
a été dit pour justifier une modification de la loi - à de simples relations à
distance, par le câble notamment. Les agents qui y sont confrontés en ont fait
l'expérience lors des intempéries que je viens de rappeler.
Chacun peut comprendre que le respect du principe de continuité du service
public - assurer l'alimentation en énergie, par exemple - est une exigence très
forte ; par conséquent, il n'est pas concevable que les agents puissent vaquer
à leurs occupations personnelles pendant les périodes d'astreinte. Leur vie
familiale est ainsi particulièrement compliquée, par toutes ces astreintes
contraignantes...
M. Hilaire Flandre.
Seulement lorsqu'ils interviennent !
M. Guy Fischer.
... qui suivent le rythme régulier d'une semaine par mois en moyenne et de
deux semaines pendant les périodes de vacances.
Au demeurant, l'obligation de résider dans une zone géographique précise, qui
soit compatible avec les contraintes de l'astreinte, montre également
l'importance de cette exigence de disponibilité.
Pour conclure, la rédaction de l'article 2
bis
introduit par un
amendement de l'Assemblée nationale ne nous satisfait absolument pas. C'est la
raison pour laquelle nous demandons sa suppression.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen.)
Mme Michelle Demessine.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Claude Domeizel pour explication de vote.
M. Claude Domeizel.
Je ne reprendrai pas les démonstrations brillantes de MM. Chabroux et Fischer,
mais, ce matin même, en commission, la majorité sénatoriale a été troublée par
cette question et elle s'est interrogée sur cet amendement.
Je ne reviendrai pas sur les arguments qui ont été fournis, mais je
rappellerai que, pour ce qui nous concerne, si nous avons une lecture de ce
texte identique à celle du groupe communiste républicain et citoyen, nous ne
sommes pas les seuls !
Monsieur le ministre, nous avons auditionné plusieurs syndicats la semaine
dernière, et ce n'est pas le fait que ceux-ci aient la même lecture du texte
que nous qui justifie notre opposition. Nous avons, nous, une autre conception
de la concertation et nous avons bien entendu ce qu'ils nous ont dit : tous, en
commission, nous ont démontré que cet amendement devait être supprimé.
J'ai l'impression qu'il y a une incompréhension quant à la portée de cette
mesure. Je demande à nos collègues de la majorité, en particulier, de bien
réfléchir, car cet amendement aura des effets redoutables pour les salariés.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy.
Monsieur le ministre, je suis très surpris de votre obstination sur cette
disposition. Depuis le début du débat, vous avez passé votre temps à nous dire
- et cela peut tout à fait se comprendre - qu'il fallait laisser « respirer »
le dialogue social, qu'il ne fallait pas être normatif, qu'il fallait que
chacun puisse discuter et qu'il y ait un échange entre le patronat et les
salariés. C'est le cas actuellement, même si une circulaire n'est pas une
loi.
Or, dans ce texte, du fait que l'astreinte est maintenant considérée comme un
temps de repos, cela signifie qu'on annule l'arrêt de la Cour de cassation et
qu'on libère les entreprises de cet arrêt. En conséquence, les employeurs sont
fondés à considérer qu'en dehors de toute intervention le temps d'astreinte est
un temps de repos, alors que chacun ici s'accorde à reconnaître qu'il
représente quand même une contrainte pour l'employé. Il dépendra donc de la
bonne volonté de l'entrepreneur ou du patron de payer, le cas échéant, le
salarié, voire peut-être de le rémunérer d'une façon peu licite, parce qu'il
s'agira de compensations qui seront négociées en douce.
Je crois véritablement que cette disposition n'est pas satisfaisante et je
m'étonne vraiment que vous vous obstiniez dans cette démarche.
M. le président.
La parole est à M. Eric Doligé pour explication de vote.
M. Eric Doligé.
Tout à l'heure, et je le regrette, le Gouvernement ne nous a pas beaucoup
soutenus dans notre volonté d'assouplir, d'une part, le dispositif relatif au
théâtre vivant, notamment en ce qui concerne le travail de nuit et, d'autre
part, les mesures relatives aux heures supplémentaires pour les entreprises
nouvelles, ce qui aurait permis à celles-ci de « respirer » un peu. Toutefois,
comme l'a souligné M. le ministre, nous aurons l'occasion de revenir sur ces
questions ultérieurement.
En revanche, nous devons apporter un soutien sans faille au Gouvernement sur
cet article.
Mes chers collègues, je comprends que vous noircissiez le tableau, que vous
preniez les exemples les plus excessifs possibles.
M. Claude Domeizel.
Non !
M. Eric Doligé.
Mais vous ne pouvez pas nier la réalité ! Connaissez-vous le poids de
l'astreinte dans le budget d'une maison de retraite ?
M. Gilbert Chabroux.
Ce n'est pas du repos !
M. Jean-François Picheral.
Il y a un minimum !
M. Eric Doligé.
Dans certains cas, l'obligation de payer les heures d'astreinte à des coûts
exorbitants conduit à une augmentation du prix de journée, alors qu'en réalité
les personnels restent chez eux. N'oublions pas que le téléphone portable
permet aux personnes qui sont d'astreinte de demeurer plus loin qu'autrefois de
leur lieu de travail.
Alors, apportons quelque souplesse, et n'essayez pas de nous faire croire que
nous vivons dans une société coercitive ! Des possibilités existent maintenant
en matière d'astreinte dès lors que les personnes concernées ne sont pas
appelées à travailler. Or vous voulez ôter toute souplesse !
Pour une fois qu'un texte de Mme Aubry nous donne satisfaction, il serait
judicieux de faire figurer ce décret dans la loi et de confirmer ainsi ce que
vous avez toujours soutenu.
M. le président.
La parole est à M. Roland Muzeau pour explication de vote.
M. Roland Muzeau.
Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas dire que ce débat résulte d'une
incompréhension technique de notre part...
M. François Fillon
ministre.
Si !
M. Roland Muzeau.
... voire d'une « manipulation », vous avez lâché le mot tout à l'heure. S'il
y a manipulation, dites-nous de qui elle émane ! Cela nous permettra, comme on
dit, de ne pas mourir idiots.
Nous nous sommes forgé une opinion en travaillant beaucoup sur le texte, en
consultant l'ensemble des organisations syndicales, en lisant ce qu'elles
éditaient sur le sujet, en interrogeant des juristes spécialisés sur les
questions du droit du travail. Vous ne pouvez pas balayer tout cela d'un revers
de main en laissant entendre que nous agirions au nom de je ne sais quoi ! Ce
texte ne fait l'objet d'aucun malentendu !
L'amendement déposé par l'Assemblée nationale est extrêmement grave et ce ne
sont pas les propos que vient de tenir Eric Doligé qui changeront quoi que ce
soit !
Le téléphone portable ne modifiera pas la situation de millions de personnes
qui, lorsqu'elles sont d'astreinte, ont une responsabilité. Et elles le savent
! Je n'ai pas parlé d'esclavage, mon cher collègue ! Je dis qu'elles ont une
responsabilité, qui figure souvent dans leur contrat de travail et elles
l'assument avec beaucoup de compétence.
M. Guy Fischer a fait allusion tout à l'heure aux agents de la Direction
départementale de l'équipement, la DDE, qui interviennent en cas de coup dur
dans notre pays ; nous en avons connu quelques-uns. On parle des techniciens
qui réparent les ascenseurs, des agents de EDF... Il ne suffit pas, au
lendemain de catastrophes où l'on a apprécié le dévouement de ces salariés, de
les féliciter par un communiqué officiel et, quelques jours après, de laisser
passer un amendement qui les « fusille » sur place !
Il est temps de revenir à l'objet même du débat qui nous occupe depuis
quelques instants - fort heureusement, cette partie de la discussion n'a pas
été bâclée, comme d'autres questions - et de nous poser la question de savoir
s'il y a ou non modification de la notion d'astreinte, avec les conséquences
qui en découlent.
Oui, il y a une modification importante de la notion d'astreinte !
Si vous confirmez en l'état l'amendement de l'Assemblée nationale, vous
pourrez dire ce que vous voulez, vous aurez pris la responsabilité de changer
la vie de millions de salariés et, bien évidemment, de la dégrader.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Très bien !
M. Roland Muzeau.
Vous ne pouvez pas dire le contraire !
(Applaudissements sur les travées du
groupe communiste républicain et sur les travées socialistes.)
M. le président.
On ne pourra pas dire qu'il n'y a pas eu de débat !
La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon
ministre.
Je veux une dernière fois tenter de convaincre l'oppositon
sénatoriale qu'elle a juridiquement tort. Il n'y a pas de modification du
régime des astreintes !
Le texte qui vous est présenté vise simplement à revenir à la loi du 19
janvier 2000, en application de laquelle l'astreinte doit faire l'objet de
contreparties en temps ou en argent : c'est donc bien la preuve que ce n'est
pas du temps de repos ! Il s'agit simplement, comme je l'ai dit tout à l'heure,
de faire en sorte que les astreintes sans interventions ne soient pas
décomptées.
L'argument qui a été utilisé tout à l'heure par le groupe socialiste, selon
lequel, si la circulaire Aubry est une bonne circulaire, il faut la laisser
s'appliquer, laisse à penser que le Gouvernement ignorerait qu'une circulaire
n'a aucun effet législatif.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
C'est justement parce que cette circulaire n'a pas d'effet législatif que des
décisions de jurisprudence vont à l'encontre de l'interprétation de la loi.
C'est la raison pour laquelle il est nécessaire, aujourd'hui, de traduire dans
la loi l'esprit de la circulaire de Mme Aubry.
M. Gilbert Chabroux.
Retirez ce texte !
M. Claude Domeizel.
Vous avez le droit de vous tromper, pas de persévérer dans l'erreur !
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Nicolas About,
président de la commission.
Il faut comprendre l'émotion de l'opposition
sénatoriale, qui s'apparente à une forme de culpabilité. Après tout,
l'opposition avait la possibilité, durant cinq années, de parfaire les
dispositions relatives à l'astreinte. Manifestement, comme le disait tout à
l'heure notre collègue Guy Fischer, elle a dû beaucoup travailler, puisque, au
bout de ces cinq années, elle a enfin une solution à nous proposer !
M. Alain Gournac.
Elle n'a rien fait pour cela !
M. Jean-Pierre Godefroy.
Cela vous est également arrivé !
M. Guy Fischer.
On en reparlera !
M. Nicolas About,
président de la commission.
Je voudrais aller au-delà de ce constat. Je
vous ai écoutés avec une patience angélique et avec admiration, mes chers
collègues, car je me suis dit que vous atteigniez enfin votre but : parvenir à
préciser la notion d'astreinte. Mais le ministre vous a répondu qu'il ne
s'agissait pas véritablement de cela ce soir : il fallait simplement éviter
qu'une astreinte n'ayant pas entraîné un travail ne provoque le déclenchement
du repos légal.
Cela dit, nous avons tous clairement conscience que l'absence d'accords ou de
conventions peut entraîner des abus en matière d'astreinte. Dès lors, je serais
tenté de dire que l'amendement de M. Geoffroy apporte certainement, dans sa
première partie, une réponse. Modifié, il pourrait éventuellement être adopté,
en retenant l'idée qu'à défaut d'accords ou de conventions un décret pourrait
fixer une sorte de minimum en la matière.
Il revient au Gouvernement d'étudier cette possibilité et de nous apporter une
réponse soit ce soir, soit ultérieurement. Pour l'avoir vécu lorsque j'étais un
jeune étudiant en médecine, je peux vous dire que les abus d'astreintes
existent partout. Cela étant, si l'astreinte n'est pas un repos au sens strict
du terme, elle n'est pas non plus une période de travail au sens strict : c'est
une période de disponibilité, de responsabilité - c'est vrai - et de capacité
d'intervention avec efficacité.
Le principe d'une compensation est déjà prévu par la loi « Aubry ». Mais à
nous créer une sorte de correspondance minimale, de temps de travail qui
permettrait, à défaut d'accord ou de convention, de déterminer les limites dans
lesquelles s'exercerait l'obligation de déclencher le repos légal.
Pour éviter tout abus, M. le ministre a indiqué qu'il demanderait aux
partenaires sociaux de travailler sur ce sujet. J'aimerais qu'il nous indique
s'il accepterait l'amendement de M. Geoffroy, modifié.
M. Philippe Marini.
Très bien !
M. Guy Fischer.
Il nous « roule » !
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon,
ministre.
Je ne voudrais pas allonger les débats, mais je souhaite
répondre au président de la commission. A l'évidence, je suis très sensible à
l'argumentation qu'il a développée. J'ai deux propositions à lui soumettre.
Tout d'abord - et cela figure d'ailleurs déjà dans la circulaire « Aubry » -
il faudrait rappeler aux services qui sont chargés du contrôle des entreprises
dans ce domaine qu'ils doivent vérifier qu'il n'y a pas d'abus d'astreinte.
Dans le cas contraire, ces astreintes seraient requalifiées en temps de
travail.
Ensuite, je propose au président de la commission d'engager les partenaires
sociaux à négocier sur ce sujet.
Je suis très réservé en ce qui concerne le décret dans la mesure où celui-ci
fixera, naturellement, comme vous le proposiez vous-même, des conditions
minimales en matière d'astreinte. Or vous savez que, très souvent, c'est
précisément sur ces conditions minimales fixées par décret que les négociations
aboutissent. Tel n'est pas l'objectif que nous nous sommes fixé : nous ne
souhaitons pas diminuer la qualité des accords ou des conventions qui ont été
signés, qui encadrent les astreintes et qui permettent, par exemple, de les
rémunérer.
L'argumentation qui a été développée tout au long de cette discussion n'est
pas exacte, car si ces atreintes sont rémunérées, c'est, à l'évidence, qu'elles
ont un statut particulier et qu'elles ne peuvent être assimilées à du temps de
repos.
Le décret risque donc d'aboutir à une moindre protection des salariés, parce
qu'il fixera des normes minimales sur lesquelles, naturellement, les
partenaires sociaux auront tendance à se fonder dans la négociation de leurs
accords. Le fait de leur confier une réflexion sur ce sujet pourrait permettre
d'engager la discussion que souhaite M. le président de la commission.
M. le président.
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 61 et 100.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du
règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Nombre de votants | 313 |
Nombre de suffrages exprimés | 313 |
Majorité absolue des suffrages | 157 |
Pour l'adoption | 113 |
Contre | 200 |
Monsieur Gournac, l'amendement n° 123 est-il maintenu ?
M. Alain Gournac. Monsieur le président, permettez-moi, avant de vous répondre, d'une part, de remercier M. le rapporteur, qui a reconnu qu'il trouvait ma proposition plutôt positive, d'autre part, de dire à M. le ministre combien je regrette qu'une proposition aussi pleine de bon sens, qui n'engage pas et qui n'enferme pas, ne puisse être retenue, d'autant qu'elle correspond au souhait des salariés.
Monsieur le ministre, tous les salariés sont favorables au dispositif que j'ai proposé, tous, quelles que soient leurs convictions syndicales.
Mais je veux respecter la règle, et retire mon amendement en conséquence.
M. le président. L'amendement n° 123 est retiré.
Je suis saisi d'un amendement n° 34 rectifié, présenté par M. Geoffroy et ainsi libellé :
« A. - Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
« II. - Le deuxième alinéa du même article est complété par une phrase ainsi rédigée :
« A défaut de convention ou d'accord collectif, un décret détermine les garanties minimales en matière d'organisation des astreintes et de leur compensation. »
« B. - En conséquence, faire précéder le début de cet article de la mention : "I. -". »
La parole est à M. André Geoffroy.
M. André Geoffroy. Monsieur le ministre, permettez à un nouveau sénateur un trait d'humour : j'ai cru comprendre que nos collègues de l'Assemblée nationale avaient déposé un amendement reprenant une circulaire de Mme Aubry. Je suis personnellement contre la loi Aubry ; donc mon amendement rectifié est parfait. Voilà pour l'humour !
Pour ce qui est de ma rectification, elle se comprend d'elle-même après les propos de M. le président de la commission, que je remercie.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet, rapporteur. Monsieur le président, la commission n'a pas été consultée sur l'amendement n° 34 ainsi rectifié. Cela étant, je crois savoir que son président en appelle à la sagesse du Sénat. (M. le président de la commission opine.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon, ministre. Malgré mon désir d'être agréable à M. Geoffroy, je ne peux répondre à son invitation. Je souhaite vraiment attirer l'attention du Sénat sur les risques que ferait courir l'adoption de l'amendement n° 34 rectifié. En effet, il conduirait naturellement le Gouvernement à fixer par décret des conditions minimales en matière d'astreinte, et les accords entre les partenaires sociaux ne manqueraient pas d'être fortement influencés par le caractère minimal de ces conditions.
Je préférerais de beaucoup que l'on fasse confiance aux partenaires sociaux, dans les branches, pour fixer, bien entendu dans le cadre de la loi, les conditions de l'astreinte.
Je comprends bien votre souci, monsieur Geoffroy, et celui du président de la commission, qui a souffert dans sa jeunesse d'un régime d'astreinte, semble-t-il, abusif...
M. Nicolas About, président de la commission. J'ai survécu ! (Sourires.)
M. François Fillon, ministre. J'ai peur, cependant, que la solution du décret ne se retourne contre les salariés, contrairement au souhait des auteurs de l'amendement.
M. Eric Doligé. Absolument !
M. Hilaire Flandre. Tout à fait !
M. François Fillon, ministre. C'est la raison pour laquelle je suis défavorable à l'amendement n° 34 même rectifié.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Nicolas About, président de la commission. J'avais cru pouvoir fléchir le ministre.
M. Alain Gournac. Ce n'est pas facile, ce soir !
M. Nicolas About, président de la commission. Je ne voudrais pas que les efforts conjugués de M. Geoffroy, de la commission et de moi-même aboutissent à une solution minimale, alors qu'il existe déjà de multiples conventions et accords qui profitent aux travailleurs.
Je souhaite que la navette soit l'occasion de trouver une solution satisfaisante et demande en conséquence à M. Geoffroy de retirer son amendement, même rectifié.
M. le président. Monsieur Geoffroy, l'amendement est-il maintenu ?
M. André Geoffroy. Monsieur le président, je comprends et j'approuve M. le président de la commission. Par conséquent, je retire l'amendement n° 34 rectifié.
M. le président. L'amendement n° 34 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'article 2 bis.
(L'article 2 bis est adopté.)
Articles additionnels après l'article 2 bis