SEANCE DU 30 OCTOBRE 2002
M. le président.
« Art. 3. - Le second alinéa de l'article 39 de la Constitution est complété
par la phrase suivante :
« Les projets de loi ayant pour principal objet la libre administration des
collectivités locales, leurs compétences ou leurs ressources sont soumis en
premier lieu au Sénat. »
Je suis saisi de cinq amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 128 est présenté par MM. Peyronnet, Bel, Charasse et Courteau,
Mme Durrieu, MM. Dreyfus-Schmidt, Dauge, Frimat, Frécon, Lagauche, Lise, Marc,
Mauroy, Raoul, Sueur et les membres du groupe socialiste et rattachée.
L'amendement n° 174 est présenté par Mmes Borvo et Mathon, MM. Bret, Autain et
Autexier, Mmes Beaudeau et Beaufils, M. Biarnès, Mme Bidard-Reydet, M.
Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Le Cam et
Loridant, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar et Mme Terrade.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
« Supprimer cet article. »
L'amendement n° 89 rectifié, présenté par M. Charasse et les membres du groupe
socialiste, est ainsi libellé :
« Rédiger comme suit le début du texte proposé par cet article pour compléter
le second alinéa de l'article 39 :
« Les projets de loi dont le Conseil d'Etat a constaté qu'ils ont pour
principal objet. »
L'amendement n° 5, présenté par M. Garrec, au nom de la commission, est ainsi
libellé :
« Dans le texte proposé par cet article pour compléter le second alinéa de
l'article 39 de la Constitution, remplacer le mot : "locales", par le mot :
"territoriales". »
L'amendement n° 50, présenté par M. Cointat, Mme Brisepierre, MM. Cantegrit,
Del Picchia, Durand-Chastel, Duvernois, Ferrand et Guerry, est ainsi libellé
:
« I. - Compléter le texte proposé par cet article pour compléter le second
alinéa de l'article 39 de la Constitution par une phrase ainsi rédigée :
« Ces dispositions sont également applicables aux projets de loi relatifs aux
instances représentatives des Français établis hors de France. »
« II. - En conséquence, à la fin du premier alinéa de cet article, remplacer
les mots : "par la phrase suivante" par les mots : "par les deux phrases
suivantes". »
La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, pour défendre l'amendement n°
128.
M. Jean-Claude Peyronnet.
L'article 3 donne au Sénat la primauté d'examen des projets de loi ayant pour
principal objet la libre administration des collectivités locales. Je remarque
que le Conseil d'Etat a disjoint cet article des autres. Il n'a pas été très
convaincu par l'argumentation...
M. Jean-Jacques Hyest.
On ne connaît pas son avis !
M. Jean-Claude Peyronnet.
J'ai lu le journal !
Le Conseil d'Etat n'a pas été très convaincu par l'idée selon laquelle la
primauté d'examen serait justifiée par le fait que le Sénat représente les
collectivités territoriales, comme l'indique l'exposé des motifs.
On ne peut pas dire qu'un certain nombre de sénateurs représenteraient plus
les collectivités territoriales que d'autres. Tout dépend du mode de scrutin.
Nous ne sommes pas au Bundesrat ! La liaison avec les collectivités
territoriales n'est pas aussi nette que dans d'autres systèmes européens.
Je remarque, par ailleurs, que le rapport de la commission des lois souligne
toutes les difficultés d'application de cette disposition : « Fondée dans son
principe, une telle disposition risque de soulever des difficultés dans sa mise
en oeuvre. Il sera, en effet, peut-être délicat de définir quels sont les
projets de loi ayant pour principal objet la libre administration des
collectivités locales, leurs compétences ou leurs ressources ». De plus, «
cette incertitude risque d'alimenter un important contentieux et de confier, en
définitive, au Conseil constitutionnel le soin de définir cette catégorie de
lois ». Cette rédaction suscitera des difficultés d'interprétation et donc,
nécessairement, un contentieux.
Nombre d'entre nous l'avaient remarqué, mais la commission des lois le précise
: il sera très facile à tel ou tel gouvernement, à telle ou telle majorité de
contourner ce qui pourrait apparaître à certains comme une contrainte à un
moment donné. Il suffira qu'à l'Assemblée nationale soit déposée une
proposition de loi, éventuellement suscitée par tel ou tel gouvernement, pour
que la procédure suive un cours différent.
Il s'agit en fait - on le comprend bien - d'un geste de courtoisie à l'égard
du Sénat de la part d'un ancien sénateur devenu Premier ministre. Nous y sommes
sensibles. Mais de mauvaises langues pourraient dire qu'il s'agit d'une simple
sucette parce qu'au bout du compte le pouvoir du Sénat sera limité. On peut
s'interroger tout de même sur certains aspects, notamment sur l'application de
l'article 40 de la Constitution.
La commission des lois est allée plus loin et propose que l'article 6 du
projet de loi soit adopté conforme par le Sénat et l'Assemblée nationale, ce
qui implique un droit de veto de la part du Sénat sur les dispositions
financières majeures contenues dans l'article 6. Cet article reprend d'ailleurs
un certain nombre de dispositions financières de la proposition de loi
présentée récemment, notamment par le président du Sénat, relative à
l'autonomie financière des collectivités. Cette position nous paraît
complètement inacceptable.
Tout en étant très attachés au bicamérisme, nous considérons qu'il ne peut
fonctionner que si des règles permettent à l'une des assemblées d'avoir le pas
sur l'autre, sauf à aboutir à un blocage total des institutions. Cette
situation ne nous convient vraiment pas.
Il s'agit là d'une sorte de cadeau de la part du Gouvernement qui espère,
peut-être, un « retour sur investissement » en obtenant la mise en oeuvre de la
démocratisation de notre assemblée, annoncée à grand bruit voilà quelques
mois.
Mais, à cet égard, qu'il s'agisse de la durée du mandat ou de l'élargissement
de la représentativité de notre assemblée, les choses ne semblent pas avancer.
Je suis curieux de savoir ce que la majorité aura à dire sur cette affaire !
Enfin, se pose le problème sérieux de l'utilisation de l'article 40 de la
Constitution.
L'article 40 est appliqué de façon extrêmement rigoureuse par l'Assemblée
nationale puisqu'elle n'examine pas les textes auxquels il s'applique.
Au Sénat, nous sommes plus tolérants...
M. Michel Charasse.
Plus libéraux ! Plus souples !
M. Jean-Claude Peyronnet.
... ou plus libéraux, comme on voudra.
Autrement dit, l'article 40 de la Constitution n'est pas appliqué de manière
aussi rigoureuse par le Sénat que par l'Assemblée nationale et il se peut qu'au
bout du compte un certain nombre de gouvernements trouvent là des difficultés
extrêmes.
Au total, l'article 3 du projet de loi constitutionnelle me paraît être une
opération en trompe-l'oeil qui, au-delà du geste de courtoisie, n'a pas grand
effet et comporte le léger risque que j'ai évoqué à propos de l'article 40.
C'est au fond une disposition qui ne présente pas la hauteur de vue que
commande un texte constitutionnel.
C'est pourquoi nous souhaitons la suppression de l'article 3. Tel est le sens
de l'amendement n° 128.
M. le président.
La parole est à Mme Nicole Borvo, pour présenter l'amendement n° 174.
Mme Nicole Borvo.
Nous proposons également de supprimer l'article 3. Je souligne toutefois qu'il
n'est pas question pour nous, bien au contraire, de nier la spécificité du
Sénat, qui représente les collectivités territoriales aux termes de la
Constitution.
Cependant, nous estimons qu'il faudrait recentrer le rôle du Sénat sur cette
spécificité et nous faisons d'ailleurs des propositions dans ce sens.
Nous nous opposons à l'article 3 pour les mêmes raisons que celles que M.
Peyronnet vient de développer. Cet article nous semble beaucoup trop incertain.
Comment, en effet, définir à l'avenir les projet de loi qui seront soumis en
premier lieu au Sénat, sachant que les collectivités territoriales seront
touchées par tous les sujets avec la mise en oeuvre de la décentralisation ? De
plus, il serait inacceptable d'accorder des compétences telles à une assemblée
élue au suffrage universel direct qu'elle deviendrait prioritaire. La France
n'est pas un état fédéral ! Cela ne nous paraît donc pas logique.
Par ailleurs, le groupe de réflexion sur l'institution sénatoriale, présidé
par vous-même, monsieur le président, et auquel nous avons participé a mené un
travail très intéressant. Nous avions cru comprendre que nous partagions l'idée
de réformer le Sénat, s'agissant notamment de la réduction du mandat, de l'âge
d'éligibilité et de la nouvelle répartition des sièges en fonction du
recensement.
Par conséquent, au moment où il est question de renforcer les compétences du
Sénat, il serait bon - et c'est ce que je proposerai - de réformer
l'institution elle-même.
(M. Pierre Mauroy applaudit.)
M. le président.
La parole est à M. Michel Charasse, pour présenter l'amendement n° 89
rectifié.
M. Michel Charasse.
Les propositions qui viennent d'être présentées par le groupe socialiste et
par le groupe communiste visent à supprimer l'article 3.
Mais si, d'aventure, le Sénat repoussait ces amendements de suppression
(Rires sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen),...
Mme Nicole Borvo.
Cela m'étonnerait !
M. Michel Charasse.
... il me semble utile de prévoir tout de même un dispositif assez précis sur
la manière de faire le tri.
En effet, dire simplement que les projets de loi dont le principal objet
concerne les collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat,
c'est - permettez-moi de vous le dire - facile. Quant à déterminer si un projet
de loi a vraiment, incontestablement, sans discussion possible, ce principal
objet, ce n'est pas si facile que cela.
J'ignore si, le moment venu, il sera opéré un décompte en nombre d'articles,
d'alinéas, de paragraphes ou de titres, compte tenu des différents cas qui
peuvent être assez délicats. J'ai surtout voulu, monsieur le président, attirer
l'attention du Sénat sur ce point. Il serait très fâcheux que l'interprétation
erronée de l'article 39 ainsi modifié conduise le Conseil constitutionnel à
annuler une loi pour un banal motif de procédure et que l'on soit obligé de
tout recommencer.
Le dispositif que je vous propose est très simple. Dans la mesure où, aux
termes de la Constitution, le Conseil d'Etat est saisi pour avis de tous les
projets de loi, pourquoi ne pas lui demander de se prononcer sur la nature d'un
texte afin de déterminer s'il concerne principalement ou non les collectivités
territoriales et s'il doit être soumis ou non en priorité au Sénat ?
Cela me paraît le seul moyen pour éviter des « chicayas » et des difficultés.
Certes, le Conseil constitutionnel pourra lui aussi être saisi, mais il sera,
non pas influencé parce que ce n'est pas le terme qui convient pour le Conseil
constitutionnel, mais intéressé par les motivations qui auront conduit le
Conseil d'Etat à décider qu'un projet de loi, compte tenu de sa nature, doit en
priorité être soumis ou non au Sénat. Et, même si le Conseil d'Etat considérait
que telle disposition ne concerne pas principalement les collectivités locales,
le Gouvernement conserve toujours la possibilité de déposer les projets de loi
sur le bureau de l'assemblée de son choix.
Mme Nicole Borvo.
Bien sûr !
M. Michel Charasse.
Ce mécanisme me paraît être une sage précaution, mais si une solution
meilleure est proposée, je suis prêt à m'y rallier. Je ne suis pas très
fanatique pour donner des pouvoirs à des assemblées telles que le Conseil
d'Etat ou à des juridictions non élues. Mais, après tout, comme le Conseil
d'Etat est obligatoirement saisi pour avis aux termes de la Constitution, il
peut, à l'occasion, être tenu de dire : « Je constate que, etc. »
Tel est l'objet de l'amendement n° 89 rectifié qui, vous l'avez compris, est
un amendement de repli.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 5.
M. René Garrec,
rapporteur.
Il s'agit d'un amendement rédactionnel.
M. le président.
La parole est à M. Christian Cointat, pour présenter l'amendement n° 50.
M. Christian Cointat.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je ne
veux pas vous importuner avec les Français établis hors de France, mais vous
l'avez bien compris, ce débat est très important pour nous.
En effet, le troisième alinéa de l'article 24 de la Constitution, qui
détermine les compétences du Sénat, dispose que celui-ci « assure la
représentation des collectivités territoriales de la République ». Il précise,
en outre, que « les Français de l'étranger sont représentés au Sénat ».
A partir du moment où il y a deux volets dans les compétences du Sénat, si le
Gouvernement décide - et c'est lui qui en fait la proposition ; nous ne sommes
pas demandeurs - de saisir en premier le Sénat pour les collectivités
territoriales, il doit aller jusqu'au bout des compétences de la Haute
Assemblée et proposer que le Sénat soit également saisi en premier lorsqu'il
s'agit des Français établis hors de France. C'est d'ailleurs ce qui s'est fait
dans la plupart des cas jusqu'à présent, puisque les Français établis hors de
France ne sont représentés qu'au Sénat.
Finalement, l'amendement qui vous est présenté est un amendement de cohérence,
qui reflète une position équilibrée. En effet, si cet amendement n'était pas
adopté, non seulement il y aurait inégalité de traitement, mais - fait beaucoup
plus grave ! - serait minimisée la deuxième partie de l'article 24 de la
Constitution relative aux Français établis hors de France. En effet, ceux-ci ne
seraient pas jugés suffisamment dignes pour que les textes qui les concernent
soient d'abord examinés au Sénat, alors même, et vous le savez bien, que les
constitutionnalistes reconnaissent que la Constitution ne permet pas aux
Français établis hors de France d'être représentés par des députés, au motif
que l'article 24 l'interdit dans sa rédaction actuelle.
Donc, s'il y avait une raison particulière pour saisir en premier le Sénat, ce
serait surtout pour les Français établis hors de France, qui sont représentés à
la fois comme entité - je n'oserai pas dire, pour ne pas effrayer nos
ministres, en tant que collectivité - mais également en tant qu'individus, en
tant que citoyens.
Mes chers collègues, cet amendement vise à assurer l'équilibre et l'égalité.
S'il n'en était pas ainsi, cela reviendrait également à mettre en péril la
position affirmée avec force par le Premier ministre selon laquelle le citoyen
est au centre des préoccupations du Gouvernement. En effet, nous ferions ainsi
passer le territoire avant le citoyen, ce qui, vous en conviendrez, ne serait
pas acceptable.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec,
rapporteur.
Les amendements identiques n°s 128 et 174 ne sont pas
compatibles avec la position de la commission. Le troisième alinéa de l'article
24, qui vient d'être évoqué par M. Christian Cointat, confère au Sénat le rôle
de représentant des collectivités territoriales de la République, ce qui
légitime cette nouvelle prérogative qui lui est attribuée, même si cela est
considéré comme une simple bonne manière.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements.
L'amendement n° 89 rectifié est intéressant car M. Michel Charasse cherche une
solution à un problème complexe. Il s'agit, par cet amendement, de conférer au
Conseil d'Etat le soin de définir la catégorie des projets de loi ayant pour
principal objet la libre administration des collectivités locales, leurs
compétences ou leurs ressources. La commission des lois a déjà mis en évidence
le fait que l'incertitude qui entoure cette définition risquait d'alimenter un
important contentieux, ce qui vient d'être rappelé, et de confier au Conseil
constitutionnel le soin d'en préciser les contours. Cette idée, qui est bonne,
comporte une limite. Elle n'est pas souhaitable dans la mesure où le Conseil
d'Etat n'a qu'un rôle d'avis auprès du Gouvernement, et il ne doit en aucun cas
le lier par sa décision.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Quant à l'amendement n° 50, il fait référence à l'article 24 de la
Constitution. Comme je l'ai dit tout à l'heure à M. Cointat pour ne pas perdre
la forte charge affective dont il m'avait couvert
(Sourires),
la
commission a décidé de s'en remettre à la sagesse de notre assemblée.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué.
S'agissant des amendements n°s 128 et 174, le
Gouvernement émet, lui aussi, un avis défavorable, pour les raisons évoquées
par la commission. En effet, l'article 24 de la Constitution prévoit que le
Sénat assure la représentation des collectivités territoriales. Par conséquent,
il est cohérent. On en tire simplement la conséquence qu'il doit être saisi en
premier.
L'amendement de repli n° 89 rectifié me paraît alourdir inutilement la
procédure et pose effectivement le problème de l'avis, qui ne lie pas le
Gouvernement. Donc, il est doublement inutile.
En revanche, le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 5, qui est une
conséquence de ce que le Sénat a voté tout à l'heure.
Enfin, soucieux, bien sûr, des très bonnes relations entre M. Garrec et M.
Cointat et souhaitant ne rien faire pour nuire à ce climat de paix retrouvée
entre eux
(Nouveaux sourires)
, je m'en rapporte à la sagesse du Sénat
sur l'amendement n° 50.
M. le président.
La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote sur les
amendements identiques n°s 128 et 174.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Depuis vingt-cinq ans que je siège dans cet hémicycle, deux choses m'ont
toujours étonné, qui reviennent de manière récurrente.
La première, c'est la référence permanente au Conseil d'Etat et au Conseil
constitutionnel, comme si nous, législateur, nous avions en quelque sorte un
réflexe d'inquiétude et de timidité à l'égard de ces instances extraordinaires
qui sont chargées de dire le droit et de censurer ce que nous faisons.
Nous avons été élus pour élaborer la loi. Aujourd'hui, nous sommes dans une
phase constitutionnelle et, par conséquent, si le fait de savoir ce que pense
le Conseil d'Etat de tel ou tel sujet me paraît tout à fait intéressant pour
l'esprit, cela ne va pas plus loin. Je suis surpris d'entendre tous les
orateurs qui se sont succédé depuis une heure sur ces problèmes juridiques
répéter que le Conseil d'Etat dit que..., qu'il pense que..., et que la
jurisprudence du Conseil constitutionnel... Non ! Nous examinons un projet de
loi constitutionnelle, prenons nos responsabilités !
Le second élément qui m'a toujours beaucoup étonné, c'est que nous semblons
oublier que nous sommes dans une assemblée politique. Nous ne sommes pas au
Conseil d'Etat, mes chers collègues ! Nous ne sommes pas encore au Conseil
constitutionnel !
M. Michel Charasse.
Il n'y a pas beaucoup de places !
(Sourires.)
M. Jean-Pierre Fourcade.
Peut-être certains d'entre vous y finiront-ils leur carrière, pour
éventuellement censurer ce qu'auront fait leurs anciens collègues.
Nous devons nous adresser à ceux qui constituent le tissu essentiel de la
décentralisation, à savoir les 500 000 élus locaux. Et, pour les 500 000 élus
locaux que nous sommes chargés de représenter ici, il est logique que,
parallèlement au fait que l'Assemblée nationale est saisie en priorité des
projets de loi de finances et des projets de loi de financement de la sécurité
sociale, le Sénat de la République soit saisi en premier lieu des textes
relatifs aux compétences ou aux ressources des collectivités locales. Je n'y
vois aucun inconvénient ; j'y vois un signal fort donné aux 500 000 élus
locaux.
Je souhaiterais, mes chers collègues, que nous quittions un peu l'échelon des
problèmes juridiques ou du pinaillage sur ce qu'a pu penser tel ou tel
conseiller d'Etat ou tel ou tel membre du Conseil constitutionnel pour nous
préoccuper enfin de ceux qui constituent la trame de la décentralisation, ceux
qui vont mettre en oeuvre les décisions que nous allons prendre, c'est-à-dire
l'ensemble des élus locaux. C'est la raison pour laquelle je voterai sans
aucune arrière-pensée l'article qui nous est proposé.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Pierre Mauroy, pour explication de vote.
M. Pierre Mauroy.
En ce qui concerne le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat, je ne puis
accepter vos arguments, monsieur Fourcade. On dit que c'est une fleur du
Gouvernement.
Le Gouvernement ferait, dit-on, une fleur au Sénat en permettant à celui-ci
d'être saisi en premier. Or, dans la mesure où le Sénat a des compétences
particulières vis-à-vis des collectivités territoriales, il me paraît tout à
fait normal que la préférence lui soit accordée.
Alors, vous allez me rétorquer : pourquoi ne votez-vous pas cette disposition
? Je vais vous répondre. Je l'ai déjà répété cent fois, gentiment. Tous les
socialistes peuvent également vous le dire, et même tous ceux qui siègent dans
cet hémicycle sur les travées de la gauche. Que vous vouliez faire, comme on
nous le dit, une petite révolution dans la décentralisation et que vous y
participiez gaiement, comme les choeurs de l'Opéra, soit ! Mais, selon nous,
vous devriez faire votre propre révolution et le Sénat devrait, vous le savez
bien, trouver l'occasion de supprimer ce qui paraît tout de même anormal aux
Français dans le mode d'élection des sénateurs et dans la durée de leur
mandat.
Mme Nicole Borvo.
Effectivement !
M. Pierre Mauroy.
Si vous vous leviez en disant : « On ajoute ces articles-là à cette loi »,
comme le dit M. le Premier ministre, ça aurait de la gueule !
(Sourires.)
A vous d'en décider !
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur plusieurs travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.
M. Michel Charasse.
Bien entendu, je voterai les amendements de suppression, non pas parce que,
sur le fond, je suis contre la priorité qu'on propose d'accorder au Sénat, mais
parce que j'ai des doutes - surtout après l'intervention du président de la
commission des lois - sur la pratique.
Cela étant dit, je ne peux pas ne pas réagir aux propos de M. Fourcade, pour
lequel j'ai de l'estime depuis fort longtemps. Cher ami, nous passons notre
temps à légiférer pour confirmer ou infirmer la jurisprudence de la Cour de
cassation, du Conseil d'Etat et de quelques autres tribunaux !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Pas là !
M. Michel Charasse.
En général ! Donc, la question qui consiste à savoir ce qu'ils pensent ou ce
qu'ils penseraient fait hélas ! partie de notre réflexion. A de nombreuses
reprises, nous nous sommes fait « ramasser » par le Conseil constitutionnel sur
plusieurs points. Nous ne sommes jamais allés à la révision constitutionnelle,
sauf en 1993 sur l'affaire du droit d'asile.
M. Jean-Jacques Hyest.
Oui !
M. Michel Charasse.
Et, si le Conseil constitutionnel est désormais tellement présent dans nos
débats, c'est parce qu'un président du Sénat, Gaston Monnerville, l'a saisi en
1962, en vain, parce qu'un autre président du Sénat, Alain Poher, l'a saisi,
avec succès, en 1971, et, enfin, parce qu'un Président de la République, que
vous connaissez bien et que vous avez servi, M. Giscard d'Estaing, a donné le
droit à une minorité de le saisir, et les minorités ne s'en privent pas !
Donc, comment voulez-vous que nous ne soyons pas préoccupés par les
perspectives de cette éventuelle jurisprudence, d'aujourd'hui ou de demain ?
Et permettez-moi de vous dire - mais c'est la méchanceté finale - qu'il y en a
une qui est comme la ligne bleue des Vosges - on y pense toujours mais on n'en
parle jamais -, c'est la jurisprudence de la Cour de cassation sur les abus de
bien sociaux. Cela fait vingt ans que l'on essaie de trouver une solution pour
s'en sortir, et on n'y arrive pas !
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué.
Si !
M. Michel Charasse.
Par conséquent, si vous n'êtes pas trop préoccupé par la jurisprudence, cher
ami Fourcade, moi, je le suis toujours un peu. Je pense que la République a eu
tort de donner trop de marge de manoeuvre à ses tribunaux et à ses magistrats,
mais c'est une autre paire de manches !
(Sourires sur de nombreuses travées.)
M. le président.
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 128 et 174.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du
règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Nombre de votants | 320 |
Nombre de suffrages exprimés | 320 |
Majorité absolue des suffrages | 161 |
Pour l'adoption | 105 |
Contre | 215 |
Je mets aux voix l'amendement n° 89 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote sur l'amendement n° 50.
M. Michel Charasse. L'amendement n° 50 vise, au fond, à étendre la priorité reconnue au Sénat pour les projets de loi sur les collectivités locales à d'autres catégories de textes intéressant les Français de l'étranger.
Je ne reviendrai pas sur mon amendement n° 89 rectifié, qui vient d'être repoussé. Je veux néanmoins dire au Gouvernement que, s'il est peut être très lourd de prévoir dans la loi que le Conseil d'Etat donne un avis sur le sujet, rien n'interdit au Premier ministre, président en exercice du Conseil d'Etat, de demander désormais à ce dernier - la procédure devant les sections administratives relève en effet de la compétence du pouvoir exécutif - de se prononcer systématiquement sur la question de la priorité dans son avis. Cela ne liera pas plus le Gouvernement, mais, au moins, cela donnera une indication pour éviter des chicayas ultérieures.
Je demande donc au Gouvernement de donner les instructions nécessaires au Conseil d'Etat pour obliger ce dernier à se prononcer sur ce point, de façon qu'il y ait des règles d'application de la priorité conférée aux lois sur les collectivités qu'on vient de voter et, éventuellement, à celles proposées par M. Cointat, sans être obligé de faire figurer une telle disposition dans le texte, comme je le proposais.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 50.
(L'amendement est adopté.)
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission. Bravo !
M. le président. Je mets aux voix l'article 3, modifié.
(L'article 3 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 3