SEANCE DU 5 NOVEMBRE 2002


M. le président. La parole est à M. Daniel Goulet, auteur de la question n° 56, adressée à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
M. Daniel Goulet. Monsieur le ministre, les lois Voynet et Chevènement ont prolongé la loi Pasqua, créant une structure nouvelle de notre administration territoriale : le pays.
Sous l'impulsion empressée, parfois, de certains préfets et d'élus locaux impatients, cette structure, alors que le législateur entendait dans son esprit, me semble-t-il, ne créer qu'une simple instance de réflexion au sein d'un bassin de vie, a muté en une véritable organisation politico-administrative redistribuant, de fait, de nouvelles cartes géopolitiques.
L'organisation et le fonctionnement de ces pays, qui, en réalité, se superposent à toutes les autres strates de compétences territoriales et qui tentent de s'attribuer une place et une justification administrative de plus, interpellent et désorientent les élus locaux. Nous connaissons bien le fameux « millefeuille territorial », création spécifiquement française, et en déplorons toutes les singularités. Il n'est pas inutile d'en rappeler l'architecture : communes, communautés de communes, voire urbaine et de villes, cantons, syndicats mixtes, à vocation simple ou multiple, parcs régionaux, parcs nationaux, associations de développement, départements, régions, Etat et Europe.
M. Bruno Sido. N'en jetez plus !
M. Daniel Goulet. Faut-il ajouter que ces pays ont, de fait, permis dans certaines régions la reconstitution de fiefs, la redistribution des cartes politiques se faisant, en effet, le plus souvent, au profit de personnages déjà en place, ce qui n'apparaît pas aller dans le sens d'un exercice sain de la démocratie locale.
On constate alors qu'un grand nombre d'élus locaux se trouvent, en quelque sorte, « noyés » à l'intérieur de ces nébuleuses, sans qu'ils puissent peser véritablement sur les moyens financiers, parfois importants, à mettre en oeuvre et qui ne font qu'ajouter aux difficultés déjà grandes de leurs budgets communaux et intercommunaux.
A ce sujet, les exemples ne manquent pas, montrant que les frais de fonctionnement de certains pays obèrent très largement les taux consacrés aux investissements.
Dans le cadre des projets de lois de régionalisation et de décentralisation, les élus attendent d'abord, monsieur le ministre, une clarification sur les différents niveaux de compétence, et notamment sur le rôle des pays.
En d'autres termes, quel est l'avis du Gouvernement sur l'avenir même des pays, et notamment ceux qui ne semblent pas, dans l'état actuel, donner les satisfactions et les garanties souhaitées ?
Allez-vous laisser aux élus, en désespoir de cause, la possibilité de « sortir de ces structures » dans la perspective d'une réorganisation des collectivités territoriales de plus en plus justifiée et attendue ?
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Monsieur le sénateur, la question que vous avez posée est au coeur de toutes les réflexions des élus locaux : quelle est la position du Gouvernement sur le pays et qu'est-ce qu'un pays ?
Au moment où le Gouvernement engage une réflexion sur la décentralisation, vous avez souligné les quelques dérives qu'il nous faut aujourd'hui condamner et corriger. Il importe, en effet, de revenir à l'essentiel : comment inciter les élus locaux à avoir une ambition collective autour d'un projet, plutôt que de mettre en place des espaces de pouvoir ? Les hommes se divisent sur des ambitions et ils se rassemblent sur des projets.
Vous avez mis le doigt sur l'un des défauts actuels de la relation entre l'Etat et les collectivités locales, à savoir l'incitation au développement des dépenses de fonctionnement au détriment de l'investissement.
L'avenir de notre pays réside dans sa capacité à dégager des fonds publics pour l'investissement public.
Développer des structures administratives dont le premier réflexe de celles et de ceux qui les gèrent est d'accroître les dépenses de fonctionnement, c'est programmer l'asphyxie de notre tissu économique, du budget des contribuables, c'est neutraliser le pouvoir et l'action politique et c'est, à l'évidence, aller contre l'intérêt général.
Nous dressons d'ailleurs le même constat : le pays, comme d'autres infrastructures d'ailleurs, devient un enjeu de pouvoir. (M. Daniel Goulet fait un signe d'approbation.) A l'évidence, dès lors qu'il y a instrumentalisation, tant par les régions que par les départements, par celles et ceux qui veulent faire une carrière électorale...
M. Daniel Goulet. Parfaitement !
M. Jean-Paul Delevoye, ministre délégué. ... ou même par l'Etat, cela est totalement contraire à l'intérêt d'un espace de projet.
A partir d'un tel constat, quelle est notre analyse et quelle est notre position ? Aujourd'hui, certains pays fonctionnent bien...
M. Daniel Goulet. Absolument !
M. Jean-Paul Delevoye, ministre. ... et d'autres ne fonctionnent pas du tout.
Quelle est notre ambition ? Dans la relation nouvelle qui s'instaure entre l'Etat et les collectivités locales, nous sentons bien qu'aujourd'hui l'Etat tirera sa puissance de sa capacité à libérer des initiatives locales et territoriales et à soutenir les projets de territoire. L'Etat doit inciter les élus locaux à faire preuve d'ambition collective sur un projet de territoire et les accompagnagner.
Le pays doit être un espace de projet - et uniquement cela ! - appuyé sur une structure juridique souple, informelle et modulable. A l'évidence, la structure doit soutenir la nature même du projet. Si une réflexion est menée sur l'offre portuaire d'une façade maritime, elle peut se développer sur un espace de projet qui concerne plusieurs centaines de kilomètres. A l'inverse, si la réflexion a trait à une politique d'insertion et de cohésion sociale, elle peut porter sur un espace plus restreint.
C'est aussi un moyen de rendre complémentaires le tissu urbain et le tissu rural. Cet espace de projet doit rester un espace de projet et en aucun cas devenir un espace d'exécution.
Par ailleurs, comment faire en sorte que cette volonté exprimée par les élus locaux ne se transforme pas en contrainte par des passages successifs en conférence régionale d'aménagement et de développement du territoire, la CRADT, ou en schéma régional d'aménagement et de développement du territoire, le SRADT, qui s'accompagnent à chaque fois d'une lecture négative ou positive des enjeux de pouvoir ?
Nous avons, là aussi, le souci de supprimer toutes ces démarches administratives et de recueillir l'avis des départements et des régions. En effet, si le projet de territoire est pertinent, les départements et les régions suivront. S'il ne l'est pas et s'il n'intéresse pas un développement collectif, il ne mobilisera pas de fonds.
La problématique est simple : comment faire en sorte que ce projet de territoire puisse s'inscrire dans une contractualisation des fonds européens eu égard à l'intérêt collectif ?
C'est la raison pour laquelle nous affirmons très clairement que le pays est un espace de projet et non un espace d'exécution, qu'il est l'expression d'une volonté locale et non le lieu d'exercice d'un pouvoir, que la priorité doit être donnée aux projets et non aux procédures.
Nous souhaitons également, avec Patrick Devedjian et Gilles de Robien, mettre en cohérence l'expression de ce projet territorial avec ses déclinaisons juridiques sur des documents opposables aux tiers relatifs à la structuration des territoires qui le composent.
Par conséquent, aujourd'hui, notre position est claire : comment faire en sorte qu'en s'appuyant sur la région, qui est un espace de cohésion et qui doit, à l'évidence, mettre en place une synergie en matière de projets de territoires - avec les départements, il peut même y avoir quelquefois des délégations de politique de proximité - soit favorisée l'expression des établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, ou des intercommunalités, de sorte que ceux-ci puissent concevoir ensemble un projet ambitieux de territoire dont la déclinaison et l'exécution s'effectueraient par les établissements publics à fiscalité additionnelle ?
Ne confondons pas l'espace de réflexion et de projet et l'espace d'exécution ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Gérard Longuet. Cela a enfin le mérite de la clarté !
M. le président. La parole est à M. Daniel Goulet.
M. Daniel Goulet. Monsieur le ministre, je ne sais pas si la question était pertinente...
M. Gérard Longuet. Elle l'était !
M. Daniel Goulet. ... et si les élus de notre pays s'y reconnaîtront, mais la réponse fait montre de votre compétence en la matière : elle est courageuse et porteuse d'avenir, ne serait-ce que parce que vous êtes aujourd'hui en charge d'un ministère important et que vous avez été président de l'Association des maires de France.
Je tiens à vous remercier de la clarté de votre réponse, monsieur le ministre ; mais nous devons rester conscients que l'on ne peut pas donner le sentiment de vouloir simplifier toutes les procédures administratives qui compliquent la vie des élus locaux et de leurs administrés et, dans le même temps, maintenir ces différents niveaux de compétence, dans lesquels on se perd, vous l'avez reconnu.
Il me paraît important de poursuivre la réflexion sur le sujet. Alors, faisons preuve de courage, de volonté politique, mais également de bon sens ; j'espère que cela fait encore partie de notre vocabulaire !
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures quarante, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)