SEANCE DU 6 NOVEMBRE 2002
M. le président.
« Art. 8. - L'article 73 de la Constitution est ainsi rédigé :
«
Art. 73
. - Dans les départements et les régions d'outre-mer, les
lois et règlements sont applicables de plein droit, sous réserve d'adaptations
tenant à leurs caractéristiques et contraintes particulières.
« Ces adaptations peuvent être décidées par ces collectivités dans les
matières où s'exercent leurs compétences et si elles y ont été habilitées par
la loi.
« Par dérogation au premier alinéa et pour tenir compte de leurs spécificités,
les collectivités régies par le présent article peuvent, sous les réserves
prévues au quatrième alinéa de l'article 74, être habilitées à fixer
elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, y compris dans
certaines matières relevant du domaine de la loi.
« Les habilitations prévues aux alinéas précédents sont décidées, à la demande
de la collectivité concernée, dans les conditions et sous les réserves prévues
par une loi organique.
« La création par la loi d'une collectivité se substituant à un département et
une région d'outre-mer ou l'institution d'une assemblée délibérante unique pour
ces deux collectivités ne peut intervenir sans qu'ait été recueilli, selon les
formes prévues au deuxième alinéa de l'article 72-3, le consentement des
électeurs inscrits dans le ressort de ces collectivités. »
La parole est à M. Dominique Larifla, sur l'article.
M. Dominique Larifla.
Monsieur le président, madame, monsieur le ministre, mes chers collègues, le
présent article 8, tout en le réaffirmant, en son premier alinéa, introduit des
assouplissements au principe d'identité législative et, dans le même temps,
prévoit, en son dernier alinéa, deux possibilités d'évolution en matière
d'organisation administrative. Ainsi est-il opéré une décentralisation du
pouvoir d'adaptation.
Jusque-là, la consultation des départements d'outre-mer en matière
d'adaptation est largement restée lettre morte. A titre d'exemple, l'article
1er du décret d'avril 1960, qui prévoyait une consultation des départements sur
les projets et décrets tendant à adapter la législation ou l'organisation
administrative des départements, s'est constamment appliqué dans des délais
assez courts pour que ces collectivités soient rarement en mesure de rendre
leur avis.
Certes, de nouvelles dispositions seraient garanties par la Constitution, mais
il ne faudrait pas qu'elles restent sur le plan des principes : nous veillerons
à ce qu'elles se traduisent par une application effective.
S'agissant du pouvoir d'adaptation lui-même, le texte présente une rédaction
qui permet de présager des divergences d'appréciation et, par conséquent, des
recours réguliers à l'arbitrage du juge constitutionnel.
Dans sa rédaction actuelle, l'article 73 fait référence à la « situation
particulière », des départements d'outre-mer. Or on connaît malheureusement
l'interprétation restrictive du Conseil constitutionnel en cette matière.
Aussi je salue l'amendement de la commission des lois, laquelle, dans sa
grande sagesse, a jugé bon de préciser les matières dans lesquelles peut
s'exercer cette compétence.
Enfin, le dernier alinéa de l'article 8 prévoit dans quelles conditions
peuvent avoir lieu les changements d'organisation administrative. Comme je le
disais précédemment, on ne pouvait envisager une telle évolution sans que les
électeurs s'expriment. Ainsi, cet ultime alinéa, essentiellement procédural,
introduit le principe fondamental de la consultation des électeurs.
C'est pourquoi, dans un souci de cohérence, il serait bon que ce même article,
qui prévoit expressément la possibilité de substituer une collectivité à un
département et une région d'outre-mer, place, dans la Constitution, cette
nouvelle collectivité sur le même plan que celles auxquelles elle se
substitue.
M. le président.
La parole est à M. Claude Lise, sur l'article.
M. Claude Lise.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'article 73
est censé remplir une fonction tout à fait essentielle : c'est lui qui doit
permettre de répondre à la nécessité, très largement reconnue, semble-t-il, de
tenir compte des réalités particulières des départements d'outre-mer et, plus
important encore, de tenir compte des aspirations des populations de ces
départements.
Cet article peut, en revanche, se révéler, comme l'actuel article 73, inadapté
à la vocation qu'on lui assigne. Il peut, c'est vrai, donner l'impression
d'ouvrir de très larges perspectives. Cependant, nous le savons tous, quelles
que soient les intentions affichées par le Gouvernement - voire les engagements
que celui-ci pourrait prendre - le Conseil constitutionnel donnera, en toute
indépendance, le moment venu, son interprétation de l'article 73, chaque fois
qu'il sera amené à examiner les lois organiques prévues par ce même article. Et
nous avons une certaine expérience en la matière !
Je voudrais rappeler, s'agissant de l'actuel article 73, que le général de
Gaulle, qui l'avait fait inscrire dans la Constitution, considérait qu'il avait
une très grande portée pour les départements d'outre-mer.
Dans un message adressé aux Antillais et aux Guyanais pour leur demander de
voter « oui » au référendum portant sur le projet de Constitution de 1958, il
disait ceci : « A l'intérieur des nouvelles institutions que les Français vont
se donner, les élus des départements français d'Amérique devront pouvoir
participer à l'adaptation de nos lois aux nécessités locales. » Vous entendez
bien : « A l'adaptation de nos lois aux nécessités locales » !
Et André Malraux, envoyé en mission aux Antilles, pouvait dire, s'adressant à
Aimé Césaire : « A vous, Martiniquais, nous promettons des franchises qui
dépassent vos franchises traditionnelles. »
Aimé Césaire prit acte de ce qu'il considéra comme des engagements et il fit
voter « oui », revenant sur sa position, qui, fondée sur la méfiance que lui
inspirait le fameux article 73, avait été initialement négative.
On connaît la suite, notamment les interprétations systématiquement
restrictives données par le Conseil constitutionnel.
Il ne faudrait pas que l'histoire se répète ! Nous devons donc être très
attentifs à la rédaction de l'article, notamment à celle de son premier alinéa.
C'est la raison pour laquelle j'ai déposé un amendement tendant à reprendre,
non pas partiellement, mais complètement la formulation de l'article 299-2 du
traité d'Amsterdam, auquel l'exposé des motifs se réfère.
Il nous faut être tout aussi attentifs aux dispositions prévues par les autres
alinéas.
A priori
, ce que l'on y trouve correspond, en grande partie, à
ce qu'ont souhaité, de façon très majoritaire, les élus, réunis en congrès, en
Guadeloupe, Guyane et Martinique.
Cependant, l'obtention, par les collectivités locales, d'un pouvoir
d'adaptation ou d'un pouvoir réglementaire suppose une habilitation par le
Parlement dans un champ préalablement défini par une loi organique ; elle est
donc fonction de la mise en oeuvre d'une procédure complexe, à l'issue toujours
incertaine, et, nous l'avons déjà dit, étroitement contrôlée par le Conseil
constitutionnel.
De surcroît, un amendement de la commission des lois tend à bien préciser que
le pouvoir réglementaire ne doit s'appliquer que « dans un nombre limité de
matières relevant du domaine de la loi ». S'il est adopté, cet amendement va
encore réduire un peu plus la portée du dispositif. Tout cela a de quoi rendre
plutôt sceptique sur la portée réelle de ce que l'on nous propose et ne saurait
trop tempérer l'optimisme dont certains font preuve !
Par ailleurs, une incertitude plane sur la nature de la collectivité qui peut
se substituer au département et à la région et qui peut faire cesser le système
de région mono-départementale actuel. Peut-on la considérer comme une
collectivité à statut particulier, pouvant disposer de compétences plus larges
que celles des deux collectivités qu'elle remplace ainsi que d'une organisation
particulière ? Il serait quand même curieux que, en la matière, on puisse
considérer comme anormal pour les départements d'outre-mer ce qui est normal
pour la Corse !
J'en arrive à me demander si le degré de spécificité et la force de l'identité
se mesurent au niveau de violence constaté dans un territoire... On peut
réellement se poser la question !
Cet article 73 soulève un autre problème. Comme je l'ai déjà souligné, il ne
fait aucune place à l'initiative locale au début d'une procédure d'évolution
institutionnelle tendant à créer une assemblée unique ou une collectivité
unique nouvelle. J'ai donc déposé un amendement qui vise à reconnaître un tel
pouvoir d'initiative aux élus des deux assemblées locales. Ce pouvoir leur
avait, d'ailleurs, déjà été reconnu par la loi d'orientation pour
l'outre-mer.
Cela dit, je tiens à souligner de nouveau un élément très positif :
l'inscription, dans la Constitution, de la possibilité, pour les seules
populations concernées, de se prononcer sur tout changement institutionnel
notable. Je m'étais beaucoup battu pour faire inscrire un tel dispositif dans
la loi d'orientation. Je signale, au passage, que ma proposition avait été
combattue par plus de quatre-vingts de nos collègues dont il est inutile de
préciser l'appartenance politique : ils se reconnaîtront...
Je me félicite d'autant plus de cette inscription, aujourd'hui, dans la
Constitution, que la disposition apporte des garanties supplémentaires aux
citoyens concernés, dans les conditions que le Sénat a examinées
précédemment.
Je déplore, toutefois, que les procédures prévues par le présent dispositif ne
permettent plus aux populations de se prononcer sur un projet global. Il est
prévu de les consulter uniquement sur des cadres institutionnels dont elles
découvriront le contenu par la suite, ou bien sur une mesure qu'elles n'auront
pas demandée, à savoir la transformation en territoires d'outre-mer.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président.
Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
L'amendement n° 26, présenté par M. Garrec, au nom de la commission, est ainsi
libellé :
« Rédiger ainsi le premier alinéa du texte proposé par cet article pour
l'article 73 de la Constitution :
« Dans les départements et les régions d'outre-mer, les lois et règlements
sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l'objet d'adaptations tenant
aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités. »
Le sous-amendement n° 270, présenté par MM. Lise, Peyronnet, Bel, Charasse et
Courteau, Mme Durrieu, MM. Dreyfus-Schmidt, Dauge, Frimat, Frécon, Lagauche,
Marc, Mauroy, Raoul, Sueur et les membres du groupe socialiste et rattachée,
est ainsi libellé :
« Dans la seconde phrase du texte proposé par l'amendement n° 26 pour le
premier alinéa de l'article 73 de la Constitution, remplacer les mots : "tenant
aux" par les mots : "et de mesures spécifiques nécessitées par les". »
L'amendement n° 117, présenté par MM. Larifla, Othily et Désiré, est ainsi
libellé :
« Dans le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 73 de
la Constitution, après les mots : "et les régions d'outre-mer,", insérer les
mots : "et dans les collectivités territoriales qui se substitueraient aux uns
et aux autres,". »
L'amendement n° 159 rectifié, présenté par MM. Lise, Peyronnet, Bel, Charasse
et Courteau, Mme Durrieu, MM. Dreyfus-Schmidt, Dauge, Frimat, Frécon, Lagauche,
Marc, Mauroy, Raoul, Sueur et les membres du groupe socialiste et rattachée,
est ainsi libellé :
« Dans le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 73 de
la Constitution, remplacer les mots : "sous réserve d'adaptations tenant à" par
les mots : "sous réserve d'adaptations et de mesures spécifiques nécessitées
par". »
La parole à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 26.
M. René Garrec,
rapporteur.
Cet amendement tend à supprimer une ambiguïté dans la mesure
où la rédaction du projet de loi semble subordonner l'application des lois et
règlements à des adaptations. C'est la raison pour laquelle il convient de
préciser que « les lois et règlements sont applicables de plein droit »,
nonobstant les possibilités d'adaptations « tenant aux caractéristiques et
contraintes particulières de ces collectivités ».
M. le président.
La parole est à M. Claude Lise, pour défendre le sous-amendement n° 270.
M. Claude Lise.
Il s'agit de reprendre, comme je l'avais annoncé tout à l'heure, complètement
et non pas seulement partiellement, la formulation de l'article 299-2 du traité
d'Amsterdam.
En effet, ce que l'on a retenu, dans la rédaction de cet article, c'est-à-dire
les termes « caractéristiques et contraintes particulières », en lieu et place
des « situations particulières », n'est pas ce qui donne le plus de portée à
l'article 73.
L'article 299-2 du traité d'Amsterdam prévoit que le Conseil « arrête les
mesures visées au deuxième alinéa » - alinéa qui renvoie aux « mesures
spécifiques » - « en tenant compte des caractéristiques et contraintes
particulières des régions ultrapériphériques ».
Cette formulation me paraît bien meilleure si l'on veut vraiment faire en
sorte que le Conseil constitutionnel ne se sente pas fondé à interpréter le
nouvel article 73 comme il a malheureusement toujours interprété le précédent,
c'est-à-dire de façon extrêmement restrictive.
M. le président.
La parole est à M. Dominique Larifla, pour défendre l'amendement n° 117.
M. Dominique Larifla.
Cet amendement vise à préciser le régime législatif de la collectivité
territoriale unique, créé en application du dernier alinéa de l'article 73 de
la Constitution, en levant toute ambiguïté qui pourrait subsister de la
rédaction actuelle du projet de loi.
M. le président.
La parole est M. Claude Lise, pour défendre l'amendement n° 159 rectifié.
M. Claude Lise.
J'ai défendu cet amendement de repli en présentant tout à l'heure le
sous-amendement n° 270, monsieur le président.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec,
rapporteur.
La rédaction du sous-amendement n° 270 est lourde et
n'apporte rien par rapport au texte du projet de loi. C'est pourquoi la
commission a émis un avis défavorable, ainsi que sur l'amendement n° 159
rectifié des mêmes auteurs.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Brigitte Girardin,
ministre.
Le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 26.
En revanche, le Gouvernement est défavorable au sous-amendement n° 270, car il
considère que les mesures sont incluses dans les adaptations : on ne peut
adapter sans prendre de mesures !
M. le président.
Je mets aux voix le sous-amendement n° 270.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 26.
(L'amendement est adopté.).
M. le président.
En conséquence, les amendements n°s 117 et 159 rectifié n'ont plus d'objet.
L'amendement n° 160 rectifié, présenté par MM. Lise, Peyronnet, Bel, Charasse
et Courteau, Mme Durrieu, MM. Dreyfus-Schmidt, Dauge, Frimat, Frécon, Lagauche,
Marc, Mauroy, Raoul, Sueur et les membres du groupe socialiste et rattachée,
est ainsi libellé :
« Rédiger comme suit le début du deuxième alinéa du texte proposé par cet
article pour l'article 73 de la Constitution :
« Ces adaptations et mesures spécifiques nécessitées par leurs
caractéristiques et contraintes particulières peuvent... »
Cet amendement est également sans objet, compte tenu du vote intervenu
précédemment.
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
L'amendement n° 27, présenté par M. Garrec, au nom de la commission, est ainsi
libellé :
« Remplacer le troisième alinéa du texte proposé par cet article pour
l'article 73 de la Constitution par deux alinéas ainsi rédigés :
« Par dérogation au premier alinéa et pour tenir compte de leurs spécificités,
les collectivités régies par le présent article peuvent être habilitées par la
loi à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, dans un
nombre limité de matières relevant du domaine de la loi.
« Ces règles ne peuvent porter sur la nationalité, les droits civiques, les
garanties des libertés publiques, l'état et la capacité des personnes,
l'organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, la politique
étrangère, la défense, la sécurité et l'ordre publics, la monnaie, le crédit et
les changes, ainsi que le droit électoral. Cette énumération pourra être
précisée et complétée par une loi organique. »
Le sous-amendement n° 236, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé
:
« Dans le premier alinéa du texte proposé par l'amendement n° 27 pour
remplacer le troisième alinéa de l'article 73 de la Constitution, remplacer le
mot : "relevant" par les mots : "pouvant relever". »
Le sous-amendement n° 107, présenté par M. Charasse, est ainsi libellé :
« Après les mots : "Ces règles ne peuvent porter sur", rédiger comme suit la
fin de la première phrase du second alinéa du texte proposé par l'amendement n°
27 : "les matières qui, par nature et par nécessité, relèvent de la
souveraineté nationale et de l'Etat.". »
L'amendement n° 85 rectifié, présenté par M. Virapoullé, Mme Payet, M. Hyest
et les membres du groupe de l'Union centriste, est ainsi libellé :
« Compléter le troisième alinéa du texte proposé par cet article pour
l'article 73 de la Constitution par une phrase ainsi rédigée :
« Cette disposition n'est pas applicable au département et à la région de la
Réunion. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 27.
M. René Garrec,
rapporteur.
Il s'agit d'un amendement de conséquence par rapport à
l'amendement n° 31, adopté à l'article 9.
M. le président.
La parole est Mme la ministre, pour présenter le sous-amendement n° 236.
Mme Brigitte Girardin,
ministre.
Le Gouvernement souhaite modifier la rédaction proposée pour le
troisième alinéa de l'article 73 afin de ne pas limiter la compétence dévolue
aux assemblées locales au seul domaine législatif. Il s'agit de l'étendre
également au domaine réglementaire de l'Etat.
M. le président.
La parole est M. Michel Charasse, pour défendre la sous-amendement n° 107.
M. Michel Charasse.
Je n'insiste pas sur le sous-amendement n° 107, identique à un amendement qui
a été précédemment rejeté, dans sa rédaction comme dans sa forme,
d'ailleurs.
Cependant, au passage, je voudrais faire observer que je ne sais pas où se
trouve la mention du pouvoir réglementaire dans le sous-amendement n° 236 du
Gouvernement. Je vois que cela concerne les matières pouvant relever du domaine
de la loi, mais il n'est pas question du domaine réglementaire, contrairement à
ce que pourrait laisser entendre le commentaire de Mme Girardin.
M. le président.
Le sous-amendement n° 107 est retiré.
La parole est à M. Jean-Paul Virapoullé, pour présenter l'amendement n° 85
rectifié.
M. Jean-Paul Virapoullé.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais
solliciter votre attention et votre soutien sur cet amendement qui revêt une
importance essentielle - et je pèse mes mots - pour nos compatriotes de l'île
de la Réunion.
Cet amendement nous paraît justifié. En effet, il prend sa source dans des
déclarations importantes puisqu'elles proviennent du chef de l'Etat. Dans deux
discours, l'un à Madiana, l'autre à l'île de la Réunion, le Président de la
République a déclaré : « L'heure des statuts uniformes est passée. Il n'y a
plus aujourd'hui de formule unique qui réponde efficacement aux attentes
variées des différentes collectivités d'outre-mer. Chacune d'entre elles doit
être libre de définir, au sein de la République, le régime le plus conforme à
ses aspirations et à ses besoins, sans se voir opposer un cadre rigide et
identique. »
Dans son projet pour l'outre-mer, M. le Président de la République a
clairement exprimé que chaque collectivité avait le droit au respect de sa
liberté de choix, qu'à cet égard la Réunion avait choisi de rester dans son
statut départemental actuel et que ce choix devait être respecté.
Cet amendement a en outre une réelle légitimité. Ma collègue Anne-Marie Payet
et moi-même avons été candidats aux élections sénatoriales voilà un an. A cette
occasion, nous avons pris des engagements devant les grands électeurs qui
représentent la population. Nous avons incité la population réunionnaise à
voter pour nous en lui promettant de défendre la Réunion dans son statut actuel
et - je reprends les termes de notre engagement - de « verrouiller la Réunion
dans le statut de l'article 73 de la Constitution. »
N'étant pas de ceux qui trahissent leurs engagements, nous sollicitons le
soutien du Sénat pour accomplir cette mission qui nous a été confiée par plus
de la moitié des grands électeurs, puisque notre liste a remporté deux sièges
sur trois.
Les conséquences seront importantes. Dans l'article 73 de la Constitution, la
volonté du Président de la République est clairement exprimée. Nous aurons
droit à l'assimilation adaptée en fonction de nos contraintes et de nos
caractéristiques particulières. Le champ d'adaptation sera beaucoup plus
important qu'il ne l'était dans le précédent article.
En outre, l'alinéa 2 de l'article 73 va nous donner, dans les matières
réglementaires, la possibilité d'adapter toutes les lois qui relèvent de nos
compétences, soit pour le conseil général, soit pour le conseil régional. Nous
sommes favorables à cette possibilité, qui est énorme. Si vous additionnez les
compétences du conseil régional et celles du conseil général, vous obtenez une
liste importante de responsabilités.
Comme nous sommes des paysans, nous sommes prudents. Nous disons « oui » à
l'assimilation adaptée, « oui » au champ de compétences nouvelles ouvert grâce
à l'alinéa 2. Mais lorsqu'on nous propose de délibérer aussi dans les matières
qui relèvent de la loi, la loi étant votée par le Parlement, ...
M. Michel Charasse.
Jusqu'à nouvel ordre !
M. Jean-Paul Virapoullé.
... en paysans prudents, nous disons « non, nous ne voulons pas ».
Telles sont les justifications qui nous permettent de demander au Sénat
d'adopter notre amendement.
Je le rappelle, la Réunion est un département français éloigné de 9 800
kilomètres de la métropole. Un container destiné à la fabrication de produits
doit accomplir un véritable parcours du combattant et franchir 9 800
kilomètres, le produit exporté refaisant ces 9 800 kilomètres en sens inverse.
Un touriste doit parcourir la même distance, dans les deux sens.
De plus, notre environnement est hostile ; nous sommes entourés d'un océan de
misère.
La prudence que nous faisons valoir ne tient pas seulement à Jean-Paul
Virapoullé ou à Anne-Marie Payet ; elle est recommandée par la population
réunionnaise. En effet, lorsque les Réunionnais se rendent à Paris, ils doivent
survoler l'Afrique. Or, une pensée m'anime souvent lorsque je traverse ces
pays. Au moment où l'hôtesse de l'air range les plateaux-repas à moitié
consommés, quel gaspillage, me dis-je, alors que, sous cet avion, des milliers
d'enfants meurent de faim, des millions de gens n'ont ni de quoi manger ni de
quoi boire !
Voilà qui inspire la prudence à la Réunion : nous sommes favorables à la
départementalisation adaptée, à des mesures dans le domaine réglementaire de
nos compétences, mais nous demandons à la représentation nationale de faire
droit à notre souhait de prudence. Nous ne voulons pas ouvrir une brèche dans
le domaine législatif hors de nos compétences. Nous préférons la stabilité
institutionnelle et la sécurité juridique parce que ce sont deux fondements
essentiels au décollage économique de notre département et à la paix sociale.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec,
rapporteur.
Monsieur Virapoullé, votre amendement nous pose un problème !
La commission a émis un avis de sagesse très favorable sur votre texte, dans la
mesure où il viendrait modifier l'amendement n° 27. Ce serait plus logique.
M. le président.
Monsieur Virapoullé, accédez-vous à la demande de M. le rapporteur de
transformer l'amendement n° 85 rectifié en un sous-amendement n° 85 rectifié
bis
à l'amendement n° 27 de la commission ?
M. Jean-Paul Virapoullé.
Oui, monsieur le président, l'essentiel est qu'il soit voté ! Qu'importe le
flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse !
M. le président.
Je suis donc saisi d'un sous-amendement n° 85 rectifié
bis
, présenté
par M. Virapoullé, Mme Payet, M. Hyest et les membres du groupe de l'Union
centriste, ainsi libellé :
« Compléter le texte de l'amendement n° 27 par un alinéa ainsi rédigé :
« La disposition prévue aux deux précédents alinéas n'est pas applicable au
département et à la région de la Réunion. »
Quel est donc l'avis de la commission ?
M. René Garrec,
rapporteur.
La commission émet un avis de sagesse très favorable sur le
sous-amendement n° 85 rectifié
bis
.
Elle est par ailleurs favorable au sous-amendement n° 236.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Brigitte Girardin,
ministre.
Le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 27 de la
commission.
S'agissant du sous-amendement n° 85 rectifié
bis
, le Gouvernement s'en
remet à la sagesse du Sénat.
Je voudrais tout d'abord dire à M. Virapoullé qu'il a eu la sagesse de ne pas
suivre certains qui, de façon irrationnelle, souhaitaient exclure la Réunion de
l'article 73 de la Constitution pour qu'elle soit assimilée à un département de
la métropole. Quelle régression économique et sociale !
Vous le savez bien, cela aurait signifié la fin de la défiscalisation et de
l'exonération des charges sociales pour les entreprises réunionnaises.
Finalement, une obligation constitutionnelle m'aurait imposé d'exclure la
Réunion de la loi de programme sur quinze ans que je prépare. Monsieur le
sénateur, je tiens à vous féliciter de ne pas avoir cédé aux pressions et même
à une démagogie un peu suspecte.
Toutefois, vous souhaitez priver la Réunion d'une possibilité - j'insiste sur
le fait qu'il s'agit d'une simple possibilité - de fixer des règles à sa
demande - et non pas à celle de l'Etat -, dans un nombre limité de matières qui
relèvent normalement du domaine de la loi, et ce pour répondre à une situation
spécifique de votre île.
Je tiens tout de même à préciser que, par cet article 73-3, il s'agit ni plus
ni moins pour le Gouvernement d'appliquer, sur un plan national, la possibilité
de déroger au droit communautaire permise par l'article 299-2 du traité
d'Amsterdam que vous connaissez bien, monsieur le sénateur, et pour la pleine
application duquel vous avez été chargé par le Gouvernement d'une mission
parlementaire.
Cette possibilité que nous prévoyons à l'article 73-3 est très encadrée.
Alors même que je suis saisie par plusieurs élus réunionnais très attachés au
département - je le répète, il n'est en rien remis en cause par cette réforme
et voit au contraire son statut consolidé -, qui souhaitent de telles
dérogations dans certains secteurs où les lois, même adaptées, sont souvent en
décalage complet avec les réalités locales, le Gouvernement considère qu'une
telle exclusion de la Constitution pourrait s'avérer, un jour, préjudiciable
aux intérêts de la Réunion.
Il estime, en effet, que la loi organique de décentralisation qui sera
préparée après l'adoption de cette révision constitutionnelle, selon une
procédure solennelle d'adoption, peut suffire à exclure un département et une
région d'outre-mer de la possibilité ainsi ouverte par l'article 73, alinéa 3,
de la Constitution.
Cette loi organique encadrera d'ailleurs suffisamment la procédure en
ajoutant, le cas échéant, d'autres matières à la liste de celles qui ne peuvent
pas faire l'objet d'une habilitation, en précisant, comme elle le fera pour
l'expérimentation de droit commun, les conditions d'exercice de ces
habilitations.
Je considère donc que ce sous-amendement peut être une source de rigidité un
peu excessive, car, une fois que cette limitation sera inscrite dans la
Constitution, il ne sera plus possible de la modifier sans réviser à nouveau la
Constitution.
En outre, je signale que la procédure de l'expérimentation de l'article 72
n'est pas forcément une alternative, puisqu'elle a un effet transitoire et
qu'au terme de l'expérimentation elle est soit généralisée, soit stoppée. Or,
je ne suis pas sûre que cela réponde aux besoins de la Réunion.
Pour illustrer mon propos, je vais prendre un exemple précis. Vous savez que
la Réunion a une spécificité, liée à la présence, sur son territoire, d'un
volcan en activité. Il se peut qu'un jour les Réunionnais souhaitent mettre en
place une réglementation spécifique en matière d'environnement ou d'aménagement
du territoire liée à ces éruptions volcaniques. Le sous-amendement qui vous est
proposé, à l'évidence, les en empêchera.
La Réunion ne pourra pas davantage expérimenter une telle réglementation
puisque, sauf à constater que les volcans d'Auvergne reprennent subitement de
l'activité,...
M. Jean-Jacques Hyest.
Cela se peut !
Mme Brigitte Girardin
ministre.
... cette expérimentation ne serait pas généralisable à
l'ensemble du territoire français. Tels sont les quelques éléments que je
souhaitais porter à votre réflexion.
Toutefois, je tiens à préciser que, si ce sous-amendement est adopté, il ne
constituera en rien, comme j'ai pu le lire dans certains articles de la presse
réunionnaise, une censure du minstre que je suis ou du gouvernement que je
représente. Si les Réunionnais souhaitent se priver d'une telle possibilité,
c'est leur droit le plus strict. Je tiens à redire ici qu'ils sont des Français
responsables, méritant notre confiance et notre respect ; leur choix doit être
respecté.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président.
Je mets aux voix le sous-amendement n° 236.
(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président.
La parole est à Mme Anne-Marie Payet, pour explication de vote sur le
sous-amendement n° 85 rectifié
bis
.
Mme Anne-Marie Payet.
Personne au sein de cette assemblée ne se sera étonné que j'ai cosigné ce
sous-amendement. Je vous propose, mes chers collègues, de nous apporter votre
soutien, au nom du respect de la volonté clairement exprimée et maintes fois
réaffirmée des Réunionnais, qui souhaitent vivre dans un climat de paix
institutionnelle et de sécurité juridique.
Oui au principe d'assimilation législative adaptée, qui a fait tant de bien à
la Réunion, non au principe de spécialité législative, tel est le sens de ce
sous-amendement.
M. le président.
La parole est à Mme Jacqueline Gourault, pour explication de vote.
Mme Jacqueline Gourault.
Le groupe de l'Union centriste apporte son soutien à la proposition de M.
Virapoullé.
Vous l'avez rappelé, madame le ministre, dans ce projet de loi
constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République, le
Gouvernement a choisi une méthode adaptée à l'outre-mer. Pour le
sous-amendement n° 85 rectifié
bis
, il a souhaité s'appuyer sur la
sagesse du Sénat, et les membres du groupe de l'Union centriste l'en
remercient.
Je suis sûre que la Haute Assemblée adoptera ce sous-amendement, conformément
au souhait de nos Amis réunionnais, pour lesquels l'intégration à la nation et
à l'Europe passe inéluctablement par le maintien du statut départemental.
M. le président.
La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.
M. Michel Charasse.
Le sous-amendement de M. Virapoullé et de ses collègues ne me gêne en aucune
façon. Je ferai seulement remarquer qu'en début de semaine on parlait grande
surface, grand bazar et supermarché ; maintenant, c'est fromage ou dessert !
C'est le self-service, mais ce n'est pas très grave !
M. Michel Mercier.
C'est la République !
M. Michel Charasse.
Je relève que Mme le ministre a dit tout à l'heure, avec beaucoup de
sincérité, « je n'ai pas le droit de vous censurer ». Madame le ministre,
rassurez-vous, quand ce débat sera fini, vous n'aurez plus le droit de faire
quoi que ce soit où que ce soit, si ce n'est de signer des mandats et des
chèques !
M. le président.
Vous êtes un peu dur !
M. Michel Charasse.
Ce n'est pas faux !
M. le président.
La parole est à M. Robert Bret, pour explication de vote.
M. Robert Bret.
Après vos explications, madame la ministre, j'avoue que j'ai du mal à
comprendre que vous vous en remettiez, sur ce sous-amendement, à la sagesse du
Sénat. Pouvons-nous raisonnablement accepter, en effet, que notre Constitution
comporte demain une disposition particulière visant à exclure un département,
la Réunion, du bénéfice de la disposition prévue au troisième alinéa ? Alors
que la réforme constitutionnelle dont nous débattons a vocation à durer, je
trouve l'argument un peu léger !
Par ailleurs, M. Virapoullé parle au nom de tous les Réunionnais, mais - vous
connaissez la situation dans ce département - il n'est représentatif ni de
l'ensemble des élus ni de l'ensemble de la population.
Attention donc à ne pas suivre aveuglément M. Virapoullé. Ne privons pas la
Réunion du bénéfice d'une telle disposition.
M. le président.
La parole est à M. Jean-Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Masson.
Le sous-amendement de M. Virapoullé témoigne d'un certain bon sens et d'une
très grande prudence. Je le soutiens donc sans réserve.
Ce sous-amendement devrait d'ailleurs peut-être nous amener à réfléchir sur la
nécessité d'adopter une prudence globale sur tous les textes que nous
examinons, car je me demande si nous n'allons pas un peu loin s'agissant de
l'outre-mer.
M. le président.
La parole est à M. Dominique Larifla, pour explication de vote.
M. Dominique Larifla.
Nous avions souhaité que la collectivité unique qui se substituerait
éventuellement à un département ou à une région demeure régie par l'article 73
de la Constitution, étant entendu que si la substitution devait se faire par
étape on devrait prendre le temps de les franchir. C'est pourquoi nous
approuvons l'esprit qui sous-tend ce sous-amendement, lequel en dépit de
certaines confusions que nous avons eu l'occasion de souligner, a le mérite de
rendre possible - et non pas obligatoire - une évolution statutaire, dans le
respect de la volonté des électeurs.
Toutefois, M. Virapoullé, pour qui j'ai beaucoup de sympathie, semble préjuger
la volonté démocratique présente et surtout future des habitants de la Réunion
en figeant le statut de l'île.
C'est la raison pour laquelle, malgré l'admiration que je porte à M.
Virapoullé, à titre personnel et au nom de mes collègues radicaux de gauche
membres du RDSE, je voterai contre le sous-amendement.
M. le président.
La parole est à M. Yann Gaillard, pour explication de vote.
M. Yann Gaillard.
L'occurrence est tout à fait exceptionnelle, et elle me laisse ému en même
temps que perplexe !
Je me réfère à un grand homme que j'ai servi et que vous avez bien connu,
monsieur le président, Edgar Faure, qui avait quelques principes, au nombre
desquels celui-ci : il faut donner aux gens ce qu'ils demandent, ce qui veut
dire non pas qu'il faut leur donner tout ce qu'ils demandent, mais qu'il ne
faut pas leur proposer autre chose.
M. Virapoullé, avec beaucoup d'éloquence, a clairement pris ses
responsabilités. Je voterai le sous-amendement en sachant qu'il en est à la
source.
M. le président.
Vous en imputez donc la responsabilité à M. Virapoullé !
M. Jean-Paul Virapoullé.
Je l'accepte !
M. le président.
Je mets aux voix le sous-amendement n° 85 rectifié
bis
.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe de l'Union
centriste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du
règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Nombre de votants | 314 |
Nombre de suffrages exprimés | 232 |
Majorité absolue des suffrages | 117 |
Pour l'adoption | 188 |
Contre |
44 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
Je mets aux voix l'amendement n° 27, modifié.
(L'amendement est adopté.)
(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON
vice-président
M. le président.
L'amendement n° 105, présenté par M. Charasse, est ainsi libellé :
« Au quatrième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 73 de la
Constitution, remplacer les mots : "sont décidées" par les mots : "peuvent être
décidées". »
La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse.
Fidèle à la ligne qui est la mienne dans cette affaire, j'estime que le
Gouvernement et le Parlement ne sauraient être des notaires muets chargés
d'exécuter sans broncher les décisions ou les souhaits émis localement, quels
que soient ceux-ci.
C'est pourquoi, je propose qu'au quatrième alinéa du texte présenté pour
l'article 73 de la Constitution les mots : « sont décidées » soient remplacés
par les mots : « peuvent être décidées », le Parlement et le Gouvernement
faisant ce qu'ils veulent.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec,
rapporteur.
Une loi organique doit prévoir les conditions dans lesquelles
de telles habilitations interviendront. Celles-ci ne sont donc pas
automatiques. La commission émet, par conséquent, un avis défavorable sur
l'amendement n° 105.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Brigitte Girardin,
ministre.
Défavorable.
M. le président.
La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.
M. Michel Charasse.
S'il s'agit de considérer que l'alinéa visé constate que les habilitations ne
pourront intervenir que par une loi organique, et pas autrement, cet amendement
n'a plus d'objet.
M. René Garrec,
rapporteur.
C'est bien cela !
M. Michel Charasse.
Puisque M. le rapporteur me confirme que c'est le cas, je retire mon
amendement.
M. le président.
L'amendement n° 105 est retiré.
L'amendement n° 28, présenté par M. Garrec, au nom de la commission, est ainsi
libellé :
« Compléter l'avant-dernier alinéa du texte proposé par cet article pour
l'article 73 de la Constitution par une phrase ainsi rédigée : "Elles ne
peuvent intervenir lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice
d'une liberté publique". »
Le sous-amendement n° 108, présenté par M. Charasse, est ainsi libellé :
« Dans le texte proposé par l'amendement n° 28, après les mots : "sont en
cause", insérer les mots : "le principe d'égalité des citoyens et". »
La parole est à M. le rapporteur pour défendre l'amendement n° 28.
M. René Garrec,
rapporteur.
Cet amendement tend à interdire les possibilités d'adaptation
et de réglementation par les collectivités régies par l'article 73 de la
Constitution dans le domaine de la loi lorsque sont en cause les conditions
essentielles d'exercice d'une liberté publique. En effet, de telles précisions
étant prévues à l'article 72 de la Constitution relatif à l'expérimentation
locale, il paraît anormal que les garanties soient moindres s'agissant cette
fois de dispositions qui seront pérennes.
M. le président.
La parole est à M. Michel Charasse, pour défendre le sous-amendement n°
108.
M. Michel Charasse.
Je propose de compléter l'amendement n° 108 présenté par M. le
président-rapporteur, qui vise les conditions essentielles d'exercice des
libertés publiques, par le principe d'égalité des citoyens. Encore que je ne
sache plus s'il est vraiment applicable outre-mer... Je ne sais d'ailleurs pas
non plus s'il est toujours applicable en métropole
(Sourires),
mais,
s'agissant de l'outre-mer, je crois qu'il doit être applicable à certaines
catégories de la population, mais pas forcément à toute la population !
Je pense en tout cas qu'il vaudrait mieux avouer clairement les choses !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement n° 108 ?
M. René Garrec,
rapporteur.
Les possibilités d'adaptation et de réglementation ouvertes
aux assemblées locales visent précisément à contrôler le respect du principe
d'égalité. L'encadrement prévu par l'amendement n° 28 lui paraissant suffisant,
la commission émet un avis défavorable sur le sous-amendement n° 108.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement et le sous-amendement ?
Mme Brigitte Girardin,
ministre.
Le Gouvernement considère que l'amendement n° 28 n'est pas
forcément utile, cependant il s'en remet à la sagesse du Sénat. Sur le
sous-amendement de M. Charasse, il émet un avis défavorable.
M. le président.
La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote sur le
sous-amendement n° 108.
M. Michel Charasse.
Cette discussion est très utile puisque, subitement, le principe d'égalité
vient de faire sa réapparition ! Tantôt il est dans le noir, tantôt il est dans
le blanc...
Cela étant, comme la loi organique garantira le respect du principe d'égalité,
je retire mon sous-amendement.
M. le président.
Le sous-amendement n° 108 est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 28.
(L'amendement est adopté).
M. le président.
Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
L'amendement n° 161 rectifié
quater,
présenté par MM. Lise, Peyronnet,
Bel, Charasse et Courteau, Mme Durrieu, MM. Dreyfus-Schmidt, Dauge, Frimat,
Frécon, Lagauche, Marc, Mauroy, Raoul, Sueur et les membres du groupe
Socialiste et rattachée, est ainsi libellé :
« Remplacer le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article
73 de la Constitution par quatre alinéas ainsi rédigés :
« Une assemblée délibérante unique, commune à un département et à une région
d'outre-mer peut être instituée par la loi à la demande des élus des deux
collectivités concernées.
« Une collectivité territoriale à statut particulier se substituant à un
département et à une région d'outre-mer peut être créée par la loi à la demande
des élus des deux collectivités concernées.
« Les modalités selon lesquelles la demande des élus des deux collectivités
concernées est recueillie sont définies par la loi.
« L'institution de l'assemblée délibérante unique et la création de la
collectivité à statut particulier, prévue aux alinéas précédents ne peuvent
intervenir sans que le consentement des électeurs des collectivités concernées,
convoqués par le Président de la République sur proposition du Gouvernement,
ait été préalablement recueilli. »
L'amendement n° 29 rectifié, présenté par M. Garrec, au nom de la commission,
est ainsi libellé :
« Dans le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 73 de
la Constitution, remplacer la référence : "72-3" par la référence : "72-4".
»
L'amendement n° 106, présenté par M. Charasse, est ainsi libellé :
« Dans le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 73 de
la Constitution, remplacer les mots : "le consentement" par les mots :
"l'avis". »
La parole est à M. Claude Lise, pour défendre l'amendement n° 161 rectifié
quater.
M. Claude Lise.
Cet amendement vise à confirmer un acquis fondamental obtenu dans le cadre de
la loi d'orientation pour l'outre-mer et qui consiste à privilégier
l'initiative locale en matière d'évolutions institutionnelles. Les élus locaux
sont particulièrement attachés au respect de ce pouvoir d'initiative qui leur a
été reconnu et qu'ils ont eu l'occasion d'utiliser à l'occasion des congrès des
élus départementaux et régionaux qui se sont tenus en Guadeloupe, en Guyane et
en Martinique dans les formes prévues par la loi - j'y insiste, car cela donne
une certaine légitimité à ces congrès, dont on doit tenir compte.
Cela étant, l'amendement n° 161 rectifié
quater
ne fait pas
expressément référence aux congrès, malgré les motions qui émanent de nos
assemblées locales. Je propose simplement que l'on inscrive dans la
Constitution qu'une évolution institutionnelle pourra résulter d'une initiative
des élus locaux, lesquels sont, me semble-t-il, à même de connaître les
souhaits de la population.
Je trouve assez paradoxal que, dans le cadre d'une réforme constitutionnelle
visant à renforcer la décentralisation, on « centralise » l'initiative en
matière d'évolutions institutionnelles. Cela dit, nous nous trouvons, d'une
manière générale, dans une situation paradoxale : demain, à mon retour en
Martinique, je ferai part aux élus locaux réunis de propos assez ahurissants
que j'ai entendus dans cet hémicycle.
En effet, alors que l'on se montre, sur certaines travées, très audacieux
quand il s'agit de l'Hexagone - on est prêt à octroyer des statuts particuliers
à l'Alsace, à la Moselle, etc.
(M. Daniel Hoeffel s'étonne)
-, j'entends
dire qu'il serait extrêmement dangereux de faire de semblables propositions
pour l'outre-mer. Il semble que nos situations soient moins spécifiques, qu'il
n'y ait chez nous ni problèmes d'identité, ni aspirations particulières ... Une
fois de plus se manifestent, à mon sens, le vieil esprit conservateur et
l'incompréhension des vrais problèmes de l'outre-mer.
Je signale que le Gouvernement adopte quand même une position plus avancée que
celle des sénateurs qui le soutiennent. Je reconnais qu'il y a au moins une
tentative d'ouverture, même si de nombreux verrous subsistent. Il est toutefois
assez ahurissant d'entendre encore des propos selon lesquels aucune adaptation
ne serait nécessaire dans ces régions qui sont tout de même assez lointaines et
qui présentent de nombreuses spécificités !
C'est là une erreur, comme est erronée cette vision perpétuellement
pessimiste, à courte portée et de nature toujours comptable, soumise à un
prisme budgétaire. On a toujours l'impression, lorsque l'on entend parler de
nos départements, que ceux-ci ne présentent que des handicaps. On ne voit pas
leurs atouts, or je ne pense pas que l'on puisse faire de grande politique en
adoptant un point de vue aussi limité.
(Applaudissements sur les travées du
groupe socialiste.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 29
rectifié.
M. René Garrec,
rapporteur.
Il s'agit d'un amendement de coordination.
M. le président.
La parole est à M. Michel Charasse, pour défendre l'amendement n° 106.
M. Michel Charasse.
Je m'obstine à considérer que les populations ne peuvent être consultées que
pour avis et qu'une section du peuple ne peut pas s'attribuer l'exercice de la
souveraineté nationale. Je persisterai jusqu'au bout et je résiste d'ailleurs
de moins en moins au plaisir de voir cette assemblée piétiner
consciencieusement la souveraineté nationale...
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 161 rectifié
quater
et 106 ?
M. René Garrec,
rapporteur.
L'amendement n° 161 rectifié
quater
va à l'encontre de
la position de la commission, qui privilégie le rôle de la représentation
nationale et des électeurs. Subordonner la mise en oeuvre d'une telle faculté à
une demande des élus concernés risquerait d'empêcher toute réforme et
remettrait en cause les prérogatives du Parlement.
M. Michel Charasse.
Il a encore des prérogatives ?
M. René Garrec,
rapporteur.
Ce dernier pourra, bien évidemment, consulter les assemblées
délibérantes.
De plus, une telle disposition est de nature politique et ne nous semble pas
avoir sa place dans la Constitution.
En ce qui concerne l'amendement n° 106, la commission y est défavorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les trois amendements ?
Mme Brigitte Girardin,
ministre.
S'agissant de l'amendement n° 161 rectifié
quater
, que
les choses soient bien claires : le Gouvernement n'entend nullement engager une
éventuelle procédure d'évolution institutionnelle dans un département
d'outre-mer sans un large accord des forces politiques locales. Une telle
démarche consensuelle est d'ailleurs la seule qui soit envisageable.
Il n'entre donc pas dans les intentions du Gouvernement de présenter une
solution « clés en main » et de régler ainsi les problèmes rencontrés par
chaque collectivité territoriale. On a vu, par le passé, que de telles
démarches pouvaient quasiment provoquer des crises : je pense notamment à la
bidépartementalisation de la Réunion et à toutes les conséquences qu'elle a pu
entraîner.
Pour autant, la démarche consensuelle qui doit être propre à chaque
collectivité territoriale est un processus purement politique qui ne doit pas
être rigidifié dans la Constitution au risque de se priver de la souplesse
nécessaire. L'exemple de la Guyane le montre bien : les élus sont associés au
processus de réflexion statutaire, naturellement, mais également les forces
politiques représentatives et les forces vives.
Le Gouvernement souhaite donc conserver une certaine souplesse et n'inscrire
dans la Constitution que l'essentiel, c'est-à-dire la garantie que le processus
d'évolution institutionnelle sera ratifié par les électeurs.
Sur l'amendement n° 29 rectifié, le Gouvernement émet un avis favorable.
Quant à l'amendement n° 106, je suis désolée de vous dire, monsieur Charasse,
que je persiste moi aussi et que je continue de penser que nous devons
recueillir l'assentiment de la population, et non pas seulement son avis.
M. Michel Charasse.
Vous vous faites du mal, à terme !
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 161 rectifié
quater
.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 29 rectifié.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 106.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'article 8, modifié.
(L'article 8 est adopté.)
Article additionnel avant l'article 10 ou après l'article 11