SEANCE DU 13 NOVEMBRE 2002
SÉCURITÉ INTÉRIEURE
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet
de loi (n° 30, 2002-2003) pour la sécurité intérieure. [Rapport n° 36
(2002-2003) et rapport d'information n° 34 (2002-2003).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis
heureux d'être de nouveau devant vous pour présenter un projet de loi qui
répond tout à la fois à la préoccupation prioritaire des Français, celle de la
sécurité, aux leçons qu'il nous fallait tirer des deux derniers scrutins
présidentiel et législatif, à la stupeur des Français et, plus encore, de nos
partenaires étrangers devant la présence du leader d'extrême droite au second
tour de l'élection présidentielle, à la crise de la représentation politique
qui, selon nos concitoyens, ne se préoccupe pas assez de la vie réelle et se
préoccupe trop de sa représentation virtuelle, et, enfin, à l'appel de nos
concitoyens en faveur du rétablissement de valeurs républicaines fondamentales,
dont ils pensent, à une immense majorité, qu'elles ont été délaissées.
M. Paul Blanc.
Très bien !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
En juillet dernier, vous avez approuvé, à une large majorité,
la politique de sécurité que le Gouvernement vous a proposée pour les cinq
années à venir.
Le projet de loi de finances pour 2003 permet d'ores et déjà de garantir que
40 % des moyens prévus dans la LOPSI, la loi d'orientation et de programmation
pour la sécurité intérieure, seront effectivement engagés.
Même si c'est loin de me satisfaire, car c'est à un recul et à un recul
durable auquel je veux aboutir, les premiers résultats, les tout premiers
résultats de notre politique se font sentir. Certes, ils demandent à être
confirmés et, surtout, à être amplifiés. Mais chacun peut noter que la
progression de la délinquance est désormais stoppée. Depuis le mois de mai,
c'est un fait, la délinquance n'augmente plus dans notre pays.
(Exclamations
sur les travées du groupe socialiste),...
M. Jacques Mahéas.
Les statistiques, c'est du pipeau !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
... alors que, de janvier à avril 2002, sur les seuls quatre
premiers mois de l'année, elle augmentait de 5 %.
(Applaudissements sur les
travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mme Nicole Borvo.
Alors, à quoi le présent projet de loi sert-il ?
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Et je ne doute pas que si les résultats avaient été inverses
l'opposition se serait manifestée, à juste titre, pour me reprocher cette
augmentation qu'elle n'a pas pu constater.
(Marques d'approbation sur les
travées du RPR.)
M. Jacques Peyrat.
Très bien !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Aujourd'hui, il faut poursuivre cette action. Les dispositions
que je vais vous proposer ont pour objet d'améliorer l'efficacité des forces de
l'ordre et d'apporter une réponse pénale à des comportements que l'Etat actuel
de notre droit ne permet pas de prendre en compte. Nos concitoyens les plus
modestes, ceux qui ne peuvent compter que sur l'Etat pour les défendre, ne
supportent plus d'être les victimes expiatoires d'un système politique qui ne
les écoute pas et qui ne leur donne jamais la parole. Ce texte, que le
Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a l'honneur de vous présenter, c'est
d'abord le texte de la France des oubliés, de la France dont on n'a jamais tenu
compte tout au long de ces dernières années.
M. Jean Chérioux.
Effectivement !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
C'est d'eux, d'abord, que nous souhaitons nous faire comprendre
; c'est pour eux, d'abord, que nous vous proposons d'agir.
Les dispositions que je vous présente ne sont pas marquées du sceau de
l'idéologie. Elles sont simples, pragmatiques, équilibrées et, de surcroît,
profondément respectueuses des droits de l'homme. Elles apportent des réponses
précises à des situations précises. Chacun sera en mesure de les comprendre et
de porter un jugement. Il n'y aura ni tabous ni périphrases. Ces mesures sont
d'abord motivées par deux préoccupations qui les transcendent toutes : celle de
l'attention que nous devons aux victimes d'aujourd'hui et celle de l'efficacité
que nous devons pour éviter les victimes de demain.
Le débat qui s'ouvre est important.
M. Gérard Le Cam.
Moins de gendarmes en milieu rural !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Permettez-moi de souhaiter qu'il soit exemplaire par la volonté
que nous pourrions tous, quelles que soient nos sensibilités politiques, y
mettre à parler vrai, à voir les problèmes en face, à ne pas faire dire aux
mots ce qu'ils ne disent pas, et à tenter de nous rassembler sur des sujets que
nos concitoyens considèrent comme prioritaires et sur lesquels ils attendent
non pas une réponse de la droite ou une réponse de la gauche, mais une réponse
de la France à une situation quotidienne inadmissible.
(Applaudissements sur
les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Dominique Braye.
Très bien !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Je serai le premier à reconnaître que la droite n'a pas le
monopole de la sécurité pour peu qu'une certaine gauche veuille bien abandonner
des postures...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Des attitudes !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
... qui l'ont fait perdre dans un passé récent et qui
risqueraient de la ridiculiser tant l'outrance de certains propos a été
caricaturale.
(Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cela vous va bien ! Chassez le naturel...
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
J'ai dit : « une certaine gauche », ne se sentent visés que
ceux qui sont concernés !
(Sourires et applaudissements sur les mêmes
travées.)
J'ai en effet observé que tous, à gauche, ne pensaient ni de
façon outrancière, ni de façon qui pouvait être déplacée par rapport à la
réalité que connaissent nos concitoyens.
Soyons réalistes ! Cessons de tout excuser à force de tout vouloir expliquer,
y compris l'inexcusable, et donc l'inexplicable.
Mme Nicole Borvo.
C'est votre interprétation !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Arrêtons de croire que la violence est un phénomène passager,
qui disparaîtra avec le retour de la croissance économique. De surcroît, ne
méprisons pas ceux de nos concitoyens qui souffrent quotidiennement de
l'insécurité en les accusant de devenir sécuritaires, intolérants, victimes des
aléas de mesures statistiques ou, pis, du sentiment d'insécurité. Ne dénions
pas aux Français le droit d'avoir peur s'ils ont peur. Ne leur disons pas
qu'ils ont tort d'avoir peur si c'est ce qu'ils ressentent.
Un sénateur du RPR.
Bien sûr !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Au nom de quel droit et en vertu de quelle supériorité
devrait-on donner des leçons à ceux de nos compatriotes qui habitent dans les
quartiers où la situation de la violence est inadmissible, en leur disant en
plus : vous devez subir cette violence, ne rien dire et, de surcroît, vous
excuser d'avoir peur ? Ce n'est pas comme cela que l'on réconciliera nos
concitoyens avec les valeurs de la République !
(Applaudissements sur les
travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
La réalité est malheureusement simple. La délinquance, notamment celle qui
concerne les actes les plus violents, a augmenté dans des proportions
considérables ces dernières années, au point de bouleverser la vie de certains
de nos compatriotes. Oui, ayons le courage de reconnaître que l'Etat a été
défaillant dans sa mission première,...
Un sénateur du RPR.
C'est vrai !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
... qui consiste à défendre les plus modestes. Et dans une
singulière inversion des valeurs, il faudrait qu'en plus ces derniers, les plus
modestes, s'excusent de demander à se plaindre d'une situation qui est
inacceptable et qui leur est imposée.
Nous avons le devoir de leur rendre la quiétude à laquelle ils aspirent, comme
nous avons le devoir de les détourner de l'intolérance et des choix
extrêmes.
Mme Nicole Borvo.
Idéologiques !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Et je ne suis pas de ceux qui pensent que 5 500 000 Français
qui s'expriment pour Jean-Marie Le Pen après cinq années de gouvernement de
Lionel Jospin, c'est la marque d'un très grand succès.
(Applaudissements sur
les mêmes travées et protestations sur les travées du groupe socialiste et du
groupe CRC.)
M. Gérard Le Cam.
Vous avez passé des alliances avec Le Pen !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Car ces concitoyens qui s'expriment pour eux-mêmes, ce sont les
plus modestes, ceux que vous auriez dû écouter, entendre, défendre et
représenter.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Jacques Mahéas.
C'est un peu court !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Et c'est à ceux-là que nous voulons, nous, nous adresser !
(Applaudissements sur les mêmes travées.)
Oui, je l'affirme, le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter et
que je vous demande, par vos remarques et par vos amendements, d'améliorer,
c'est d'abord celui des plus pauvres, des plus modestes, de tous ceux dont la
vie quotidienne est devenue un enfer - et je n'hésite pas à employer ce mot car
c'est celui qui est utilisé dans les innombrables courriers que je reçois
chaque jour.
Ce projet de loi est conçu pour protéger les plus démunis, ceux dont le
travail est le plus pénible, ceux de nos compatriotes dont les temps de trajet
dans les transports en commun sont les plus longs, ceux qui vivent au sein des
cités les moins agréables et dans les appartements les moins confortables.
Mme Nicole Borvo.
Et la loi SRU !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
C'est d'eux que je souhaite d'abord être compris, c'est d'eux
que je réclame d'abord le soutien, c'est d'abord d'eux que le Gouvernement
aspire à être le représentant !
(Bravo ! et applaudissements sur les mêmes
travées. - Mme Nicole Borvo éclate de rire.)
Ils apprécieront les rires et les quolibets comme il se doit ! Nos
compatriotes les plus modestes comprennent mieux que vous ne l'imaginez les
réactions politiciennes et partisanes.
(Exclamations sur les travées du
groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Nous les connaissons mieux que vous !
Mme Nicole Borvo.
Discours idéologique !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Je précise que ceux qui ont critiqué ce projet de loi sur la
sécurité en l'assimilant à un projet contre les pauvres se sont montrés
particulièrement insultants pour les plus modestes de nos concitoyens.
M. Jacques Peyrat.
Bien sûr !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Ces critiques, en effet, - c'est un comble ! - assimilent, ni
plus ni moins, pauvreté et délinquance. Elles semblent considérer que l'on est
délinquant parce que l'on est pauvre !
Mme Nicole Borvo.
C'est absurde !
M. Jean-Pierre Masseret.
C'est du populisme !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
C'est là une vision caricaturale de la pauvreté, et je me fais
un plaisir de rappeler à ces professionnels de la pétition qu'il y a autant de
délinquants chez les riches que chez les pauvres !
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Nicole Borvo.
Ils ne sont pas visés par ce projet, les riches ; c'est ce qui est formidable
!
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
En revanche, on compte plus de victimes parmi les pauvres que
parmi les riches.
(Bravo ! et nouveaux applaudissements sur les mêmes
travées. - Vives protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe
socialiste.)
Ces victimes se trouvent dans les cités où il est plus difficile de respecter
la loi que de l'enfreindre ; ces victimes se trouvent parmi d'honnêtes gens qui
ont peiné une vie durant pour s'acheter une voiture et la voient brûlée par des
voyous ; ces victimes se trouvent parmi les plus démunis, jetées sur le
trottoir comme une marchandise sur un étal de marché, esclaves de proxénètes ou
de réseaux mafieux.
Mme Nicole Borvo.
Où sont les mesures contre les délinquants riches ?
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Assimiler la quête d'une plus grande sécurité à une agression
contre les droits de l'homme est un contresens absolu : que sont les droits de
l'homme sans droit à la sécurité ?
Sauf pour ceux qui, ne connaissant pas l'insécurité dans leur vie quotidienne,
s'étonnent que ceux de leurs concitoyens qui ne bénéficient pas du même confort
n'éprouvent pas les mêmes préciosités. Les « précieuses ridicules » sont ainsi
réinventées !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
Mme Nicole Borvo.
Quelle honte !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Le combat pour les droits de l'homme est une exigence
profondément respectable, à condition que l'on ne se trompe pas d'époque, ni de
lieu, ni de sujet. Assimiler la France de 2002 à une dictature est indigne !
Mme Nicole Borvo.
Qui a dit cela ?
M. Guy Fischer.
Personne n'a dit cela !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Accuser ce projet de loi d'être liberticide est grotesque ;
croire qu'il met notre démocratie en danger est stupide.
Mme Nicole Borvo.
Qui a dit cela ?
M. Jean Chérioux.
C'est ridicule !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Il y a une différence entre cette conception des droits de
l'homme et la nôtre. Les auteurs d'actes délictuels, ou ceux qui sont
soupçonnés d'en être les auteurs, doivent bien évidemment bénéficier de toutes
les garanties pour assurer leur défense et faire reconnaître leur innocence.
C'est une exigence impérieuse.
Mais, lorsque je pense aux droits de l'homme, je pense qu'il faut avant tout
prendre en compte ceux de la victime et, dois-je le dire, avant même ceux de
l'accusé. Or je ne suis pas sûr que la priorité, ces dernières années, ait
toujours été donnée aux droits de la victime. Le doute est permis.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Dominique Braye.
Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Allons donc !
Mme Nicole Borvo.
Ces droits existent !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Il est tout de même temps de se souvenir que le code pénal est
d'abord fait pour dissuader du crime et pour le sanctionner.
Liberté et sécurité ne sont pas contradictoires. Liberté et sécurité riment
parfaitement.
Mme Nicole Borvo.
Ah bon ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Peyrefitte !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
La police et la gendarmerie doivent voir leurs pouvoirs
encadrés.
Mme Nicole Borvo.
Ne fermez pas les commissariats, alors !...
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
J'y veille quotidiennement, et je n'hésiterai pas à sanctionner
sévèrement le moindre écart par rapport au droit qu'il me serait donné de
connaître.
Mais j'avoue ne pas comprendre et ne pas accepter ces procès
a priori
dressés aux hommes et aux femmes qui composent nos forces de l'ordre
républicaines. Ils font leur travail avec courage, avec dévouement, avec
abnégation.
Mme Nicole Borvo.
Ils ne sont pas tous contents du projet de loi !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Ces procès en sorcellerie sont inacceptables. Ce sont d'abord
la délinquance et l'insécurité qui portent atteinte aux droits et aux libertés
des autres ! Et ce n'est pas en privant des moyens juridiques dont ils ont
besoin les policiers et les gendarmes, qui, malgré les difficultés de leur
mission, agissent dans le strict respect des lois de la République, que nous
leur permettrons de préserver la première des libertés de nos concitoyens : la
sécurité !
Mme Nicole Borvo.
Ils ne sont pourtant pas tous contents de voir fermer leurs commissariats !
Mme Hélène Luc.
Nous ne vous avons pas attendus pour rendre hommage à la police !
Mme Nicole Borvo.
Vous n'en avez pas le monopole !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Améliorer l'action des services de police et de gendarmerie, ce
n'est ni plus ni moins que renforcer la prévention.
M. Jean-Jacques Hyest.
Très bien !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Encore récemment, à Strasbourg, un éducateur se plaignait
auprès de moi de ne plus pouvoir travailler dans le quartier de Hautepierre, et
il soulignait qu'il en serait ainsi aussi longtemps que la sécurité n'y serait
pas rétablie.
C'est là une évidence. Le discours de la prévention n'a aucun sens dans un
quartier où devenir trafiquant de drogue est sans risque.
Mme Nicole Borvo.
Alors, poursuivez les trafiquants de drogue et ceux qui en profitent !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
On ne négocie pas pour rétablir la loi républicaine, on ne
demande pas aux délinquants le droit de rétablir l'Etat de droit : on le
rétablit, puis on discute. C'est dans cet ordre que les choses doivent se
passer, et non dans un autre !
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
Ayons enfin la volonté de parler des questions que le projet de loi aborde
sans travestir son contenu, avec le réalisme et la hauteur de vue qu'elles
exigent. Voyons les choses en face : les sujets traités méritent qu'il en soit
ainsi.
Je n'accepterai aucun amalgame à propos de ce texte. J'ai voulu mettre un
terme à des comportements inacceptables pour nos concitoyens,...
M. Dominique Braye.
Très bien !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
... mais j'ai pris toutes les précautions pour qu'aucune
catégorie de population ne soit désignée dans sa globalité.
(Mme Nicole
Borvo s'exclame.)
Ainsi, aucune mesure n'est dirigée, si peu que cela soit, contre les jeunes.
Il est d'ailleurs temps de changer de vocabulaire. Lorsque des individus
agressent, pillent, volent, ce sont des voyous, pas des jeunes.
Mme Paulette Brisepierre.
Bravo !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Aucune mesure, dans le présent projet de loi, n'est destinée à
empêcher les mendiants de mendier.
Mme Nicole Borvo.
Et pourtant !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Aucune mesure ne vise à interdire aux gens du voyage le mode de
vie qui est le leur.
Mais n'assimilons pas toutes ces catégories aux comportements d'une minorité
qui, depuis trop d'années, se croit tout permis et à qui on a laissé faire
n'importe quoi !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Bien sûr !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Nous allons dire tous ensemble que cela a trop duré, que cela
suffit !
M. Hilaire Flandre.
Il faut agir !
Mme Hélène Luc.
On dirait vraiment que rien n'a été fait avant que vous arriviez !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Désormais, la police disposera des moyens nécessaires pour
disperser les groupes qui exercent une pression insupportable sur les passants
pour leur demander de l'argent en les menaçant, en les bousculant, en les
provoquant.
Désormais, il sera possible de sanctionner pénalement l'occupation illégale de
propriétés privées ou publiques.
Mme Nicole Borvo.
C'est déjà prévu !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Mais fallait-il ignorer ces comportements ? Fallait-il
prolonger l'impuissance publique qui faisait qu'un maire devait attendre
parfois des semaines, voire des mois, avant que ne soit mis un terme à la
violation d'une propriété privée ou communale ?
M. Michel Doublet.
C'est vrai !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Je précise que les dispositions qui sont présentées vont en
même temps permettre une accélération de la construction d'aires d'accueil pour
les gens du voyage.
Mme Nicole Borvo.
Ah bon ? Des communes sont volontaires ?
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Ainsi, vous comprenez l'esprit de ce texte : sévérité et
générosité ne sont plus des valeurs virtuelles ; elles deviennent bien réelles.
Il n'était que temps !
Je souhaite vraiment que nous ayons un débat à la hauteur des attentes, que
nous ne sombrions pas dans le discours de caricature.
(Murmures sur les
travées du groupe CRC.)
M. Gérard Delfau.
Cela commence mal !
Mme Nicole Borvo.
On nous accuse avant que nous ayons parlé !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Légiférer au bénéfice des plus faibles, c'est finalement la
façon la meilleure et sans doute la plus efficace de combattre l'extrémisme
sous toutes ses formes. Rétablir l'ordre républicain, c'est aussi donner toutes
leurs chances à la politique de la jeunesse, à la politique de la ville, à la
politique de l'éducation, qui seront d'autant plus efficaces que la règle sera
rappelée, que la règle sera respectée, que la règle sera incarnée.
Mme Nicole Borvo.
Où est le projet de loi ?
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Notre débat dépasse les clivages politiques. Si l'Etat est trop
fragile pour assurer sa première mission, l'ensemble de la République
vacillera. Si nous apportons encore des réponses théoriques, empreintes de
grands théorèmes, mais parfaitement inadaptées aux réalités, nous pérenniserons
cette image d'un Etat technocratique, d'un Etat inefficace, d'un Etat aveugle,
livré au totalitarisme du faussement « bien-pensant ».
Mme Nicole Borvo.
Venons-en au projet de loi !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Le texte que je vous présente aujourd'hui s'organise en 57
articles, regroupés en six titres.
Premier titre : améliorer l'efficacité des services de sécurité intérieure.
Deuxième titre : éviter que des armes ne soient détenues par des
déséquilibrés.
Troisième titre : donner aux polices municipales les pouvoirs correspondant
aux compétences des maires.
M. Jacques Peyrat.
Très bien !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Quatrième titre : assainir et rendre transparent le monde des
activités de sécurité privée.
Cinquième titre : mettre un terme à la progression constante des agressions à
l'encontre des représentants de l'Etat et de leurs familles.
Le dernier titre, enfin, prévoit les conditions d'application de ce projet de
loi à l'outre-mer.
L'idée-force du projet de loi est de redonner du crédit à la parole publique
et de l'efficacité à l'action publique. Pas un centimètre carré de la
République ne doit être considéré comme une zone de non-droit.
Le texte prévoit donc d'améliorer l'action des services de sécurité pour que
les victimes n'aient plus le sentiment que « la police ne fait rien ».
Je ne détaillerai pas les premiers articles, qui confient aux préfets la
direction des actions de sécurité intérieure dans les départements : c'est le
prolongement logique de la réorganisation nationale qui place policiers et
gendarmes sous l'autorité opérationnelle du ministre chargé de la sécurité
intérieure.
Je soulignerai, pour lever toute ambiguïté, que dorénavant la gendarmerie,
comme la police, obéira aux instructions du préfet, de façon que ces deux
forces soient mieux coordonnées.
Les compétences des officiers de police judiciaire seront élargies, car les
délinquants se moquent de nos subtilités administratives.
J'en viens aux pouvoirs des policiers municipaux. Depuis 2000, ils ont pour
mission de faire respecter la plupart des dispositions du code de la route sans
avoir pour autant les pouvoirs correspondants. Comment expliquer qu'ils
puissent dresser des contraventions mais n'aient pas le droit de consulter le
fichier des véhicules volés ? Ce projet de loi leur permettra d'exercer
pleinement leur mission en leur donnant accès aux informations permettant
d'identifier le propriétaire d'un véhicule, ou encore en leur conférant le
pouvoir d'ordonner la mise en fourrière d'un véhicule sans mobiliser un
fonctionnaire de la police nationale pour l'assister.
Cependant, l'un des principaux objectifs du texte est d'améliorer les moyens
d'action de la police et de la gendarmerie.
Il faut que les services d'investigation disposent des moyens les plus
modernes.
La sécurité n'est pas menacée par les services de l'Etat : la sécurité est
menacée par les criminels, par les délinquants, par les voyous.
En premier lieu, seront autorisées les visites de véhicules, plus généralement
appelées « ouverture des coffres ».
Nous avons souhaité mettre un terme à la jurisprudence selon laquelle la
voiture est un espace privé où même la loi ne peut entrer.
M. Pierre Fauchon.
Très bien !
M. Ladislas Poniatowski.
C'est de bon sens !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Un coffre de voiture, chacun peut en convenir, n'est pas un
domicile.
M. Jean-Jacques Hyest.
Tout à fait !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Et je ne vois pas en quoi le fait d'ouvrir son coffre de
voiture représenterait une atteinte aux droits de l'homme !
M. Ladislas Poniatowski.
Mais bien sûr, c'est très bien !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Le ridicule a ses limites !
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
En revanche, on peut tout à fait imaginer que dans un coffre de voiture se
trouvent des armes, de la drogue, le produit d'un cambriolage. C'est du reste
ce qu'observent les services de police quand ils ont la possibilité de procéder
à des contrôles : les véhicules sont des cachettes ambulantes bien pratiques,
et rien ne justifie qu'elles restent fermées aux lois de la République.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Toujours plus !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
J'ajoute qu'il est étrange que les douaniers aient la
possibilité d'ouvrir les coffres de voiture. Et cette possibilité, qui n'est
pas attentatoire aux droits de l'homme lorsque c'est un douanier qui l'utilise,
le deviendrait lorsqu'il s'agit d'un policier ou d'un gendarme ?
(Très bien
! et vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
Aussi proposons-nous d'étendre les cas de visites de véhicules à la recherche
d'infractions de vol et de recel, aux cas de flagrant délit, ou pour prévenir
une atteinte à l'ordre public.
Personne ne doit craindre d'être intempestivement arrêté. Hormis les cas de
crimes et de délits flagrants, il est clairement établi que ces contrôles ne
pourront avoir lieu que sur décision du procureur, ou avec l'accord du
propriétaire.
Dans le même esprit, nous avons voulu moderniser et fiabiliser les moyens
techniques au service des enquêteurs, je veux parler de la question des
fichiers.
La protection de la vie privée n'est pas incompatible avec celle de la vie
d'autrui. Au contraire, ce texte précise les données personnelles qui pourront
être contenues dans les fichiers des services de police et de gendarmerie.
Notre objectif n'est pas, bien sûr, de « ficher » soixante millions de Français
! A quoi, d'ailleurs, cela pourrait-il bien servir ?
Mme Nicole Borvo.
Cela pourrait toujours être utile !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Ce n'est certainement pas sur les travées de la majorité
sénatoriale que l'on a jamais eu l'idée de ficher tout le monde, si vous voyez
ce que je veux dire, par référence à une autre époque, à d'autres pays, à
d'autres traditions !
(Exclamations sur les travées du groupe
socialiste.)
Un sénateur socialiste.
Lesquels ?
MM. Eric Doligé et Adrien Gouteyron.
Très bien !
Mme Hélène Luc.
Il faut regarder l'avenir, monsieur le ministre !
Mme Nicole Borvo.
Heureusement que nous étions là, contre la délation !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Nous ajoutons simplement aux fichiers existants les noms de
ceux qui sont interdits de séjour ou soumis à des mesures particulières dans le
cadre du contrôle judiciaire.
Chacun mesure-t-il le pathétique de la situation actuelle ? Prenons l'exemple
d'une personne qui est interdite de stade parce qu'elle a été condamnée par la
justice. Elle peut y retourner, puisque, même si elle est contrôlée, la police
ne peut avoir connaissance de la décision prise ! L'extension des informations
contenues dans les fichiers de police permettra, d'abord, de mieux faire
respecter les décisions de justice qui ne se trouvent pas aujourd'hui dans le
fichier et d'améliorer le travail des enquêteurs.
Mais il est également proposé que certains services administratifs aient accès
à une partie des informations. Cette ouverture est limitée aux enquêtes les
plus sensibles concernant les installations prioritaires de la défense et
l'accès aux emplois relevant de la sécurité ou de la défense.
Le texte prévoit également que ces fichiers puissent être consultés par
exemple avant de délivrer un titre de séjour...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Evidemment !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
... ou la nationalité française. Là encore, la situation
actuelle n'est rien moins que grotesque. Les grands principes nous empêchent
ainsi de vérifier qu'un candidat au poste d'agent de sécurité d'une centrale
nucléaire n'est pas soupçonné d'avoir participé à des attentats.
(Mme Nicole Borvo s'exclame.)
La nationalité française ou un titre de
séjour peut aujourd'hui être accordé à une personne impliquée dans un trafic de
drogue,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Non, suspectée !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
... faute de le savoir. Vous percevez rapidement l'intérêt de
ces dispositions. Et c'est sans doute moins leur contenu que leur absence
jusqu'à présent qui doit être critiquée.
M. Dominique Braye.
Absolument !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Dans le même esprit, il est proposé d'étendre les informations
contenues dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques, le
FNAEG,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Créé par qui ?
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
... pour y inclure les personnes condamnées ou objectivement
soupçonnées des actes les plus graves tels que les délits de violence contre
les personnes ou mettant en danger l'ordre public. Là encore, ces dispositions
sont non pas l'annonce d'un Etat policier, mais la fin d'un Etat aveugle. Le
fichier des empreintes génétiques est au xxie siècle ce que le fichier des
empreintes digitales était au siècle dernier. A quoi peut-il servir s'il
comporte simplement, comme en France, un millier de noms...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il vient d'être créé !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
... alors qu'au Royaume-Uni il en comporte 1 700 000 ?
Est-il choquant de pouvoir identifier des personnes soupçonnées de viols
(Mme Nicole Borvo s'exclame)
alors que l'on connaît le taux de récidive
des délinquants sexuels ? Est-il choquant de pouvoir identifier des personnes
soupçonnées de proxénétisme ? Je ne le crois pas.
En revanche, j'ai été meurtri lorsque j'ai reçu les familles de ces trois
pauvres victimes de la Somme et leur ai annoncé qu'il serait difficile de
retrouver l'assassin ou les assassins de leurs filles, faute de disposer d'un
fichier adapté.
Savez-vous qu'au Royaume-Uni le fichier des empreintes génétiques a été
consulté en 2001 à 60 000 reprises ?
(Mme Nicole Borvo s'exclame.)
Pourquoi refuser aux familles des victimes d'aujourd'hui ou, hélas ! à celles
des victimes de demain le droit pour la police et la gendarmerie de bénéficier
des progrès de la science afin d'être plus efficaces ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et en Suisse ?
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Telle est la question que nous devons nous poser.
Loin de porter atteinte aux droits et libertés, ce projet de loi les affermit.
Je vais le prouver : nous allons enfin...
Mme Nicole Borvo.
« Enfin » !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
... donner un cadre législatif aux fichiers et, ainsi,
satisfaire une demande ancienne de la Commission nationale de l'informatique et
des libertés, la CNIL.
Toutes les dispositions qui vous sont présentées répondent à un principe
essentiel du droit des fichiers : le principe de finalité. En d'autres termes,
les enregistrements sont autorisés dans le seul souci d'améliorer l'efficacité
des services de sécurité intérieure. Ils ne sont accessibles, et sous
condition, qu'à cette fin.
Nous avons également voulu que ce texte affirme plusieurs principes essentiels
du droit des fichiers. Je pense d'abord au droit à l'oubli. Les données ne sont
conservées que sur une période donnée et effacées dès la relaxe ou le
non-lieu.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est un progrès !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Je pense également à l'interdiction des interconnexions
automatiques entre les différents fichiers des services publics. Enfin, le
contrôle par l'autorité judiciaire...
M. Jacques Mahéas.
Ah !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
... et les conditions d'accès à ces fichiers sont clairement
posées dans le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter.
M. Jacques Mahéas.
Non, pas clairement !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Par exemple, il n'est pas question d'ouvrir à quiconque l'accès
aux fichiers dans le cadre d'enquêtes administratives.
Mme Nicole Borvo.
Très bien !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre
Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la CNIL, fixera
les catégories de personnes qui ont accès à l'information, les conditions dans
lesquelles les informations pourront être communiquées ou les conditions dans
lesquelles une victime pourra s'opposer à ce que des informations la concernant
soient conservées. De même, les informations inscrites dans le fichier des
empreintes génétiques seront celles qui sont données au procureur, lequel aura
ainsi un droit de contrôle sur son contenu, le juge des libertés et de la
détention pouvant ordonner l'effacement de données à la demande des
personnes.
Nous avons ainsi mis fin à tout risque d'arbitraire et d'anarchie, en
clarifiant les conditions d'utilisation des fichiers de police. D'ailleurs, la
CNIL, que le Gouvernement n'a pas consultée préalablement - il n'avait pas à le
faire et il considère que le Parlement a tout autant qualité qu'une autorité
indépendante pour se prononcer sur ces sujets -, mais qui s'est autosaisie de
ce dossier, n'a relevé aucune atteinte aux libertés individuelles.
Cette information est, me semble-t-il, de nature à clore le débat sur ce
point.
Un sénateur du RPR.
Absolument !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Elle n'est pas d'accord avec votre texte !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Vous le constatez, l'objectif est bien d'être plus efficace
pour que la loi soit réellement appliquée. C'est aussi pourquoi il est proposé
que les services de police ou de gendarmerie puissent utiliser certains biens
saisis. Il n'y a pas de raison que les grosses cylindrées si utiles aux
délinquants ne puissent pas servir également aux représentants de la loi, sur
décision judiciaire. Cela voudra dire que, comme dans toute bonne histoire, il
y aura une morale ! La morale, c'est que les gros véhicules serviront aux
policiers et aux gendarmes ! Je ne doute pas que cette initiative soit
approuvée sur toutes les travées de la Haute Assemblée.
(Bravo ! et
applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Exclamations sur
les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Ce projet de loi doit aussi combler des lacunes du droit. Trop d'événéments
récents ont montré que la législation en vigueur ne permet pas de prévenir de
façon satisfaisante les risques pour la sécurité de nos concitoyens. Je suis,
pour ma part, convaincu que la pire des politiques consiste à attendre un drame
pour réagir avant d'agir. Nous devons penser aux possibles victimes de demain,
nous devons anticiper, prévenir, protéger. C'est notre devoir, et nous devons
l'assumer.
Le premier risque est évident : il concerne le terrorisme. C'est pourquoi,
nous vous proposons de proroger jusqu'en décembre 2005 certaines dispositions
de la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, présentée par
M. Vaillant. Elles permettront par exemple aux officiers de police judiciaire
de contrôler les personnes, leurs bagages, les aéronefs dans les aéroports ou
les navires dans les ports.
Le second risque est malheureusement bien connu : il s'agit des armes. Nous ne
voulons pas faire peser de contrainte sur les chasseurs et les tireurs sportifs
sous prétexte de réglementer pour réglementer.
(Exclamations sur les travées
du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. René Garrec,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale,
et M. Philippe François.
Très bien !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Mais, nous avons le devoir de trouver une solution rapide pour
mettre un terme à un réel danger, celui que certains acquéreurs d'armes n'aient
pas l'état mental que nécessite leur détention.
(Rires sur les travées du
groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo.
C'est vrai !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Les exemples récents en France et à l'étranger montrent que la
question n'est pas sans fondements. Exiger un certificat médical des détenteurs
d'armes semble de bon sens. En Espagne, en Grèce, au Portugal et, demain, en
Belgique...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Enfin du droit comparé !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre
... ce certificat médical est exigé pour toute détention d'arme.
Il est également logique qu'un professionnel de la santé puisse signaler que
l'un de ses patients n'est pas sain d'esprit alors même qu'il avait
connaissance de la possession d'une arme par celui-ci.
(Mme Nicole Borvo
s'exclame.)
Aussi est-il proposé d'autoriser la levée du secret médical
pour préserver la vie d'autrui. N'est-ce pas la finalité même du métier de
médecin que de protéger la vie ?
Le texte prévoit encore un nouveau régime administratif des armes. Il n'a pas
pour ambition de corriger les innombrables défauts de la classification
actuelle des armes. Ce chantier sera engagé prochainement avec les
professionnels. Ce projet vise seulement à mieux contrôler la diffusion de
certaines armes, notamment les carabines 22 long rifle. Et il donne les moyens
aux préfets d'engager les procédures utiles pour qu'une personne notoirement
déséquilibrée ou dangereuse soit dessaisie de son arme.
Il vous est également proposé de mieux encadrer les activités des sociétés de
sécurité. Nous ne pouvons pas ignorer les enjeux liés à ce secteur. Savez-vous,
mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il existe en France autant d'agents de
sécurité privés chargés de prévenir les actes de malveillance que de policiers
? C'est un marché libre, en plein essor, qui touche des secteurs aussi
sensibles que la protection des banques ou la surveillance de sites sensibles.
Aussi, le projet de loi définit précisément les tâches de ces sociétés,
renforce leur professionnalisation et les conditions d'agrément ou
d'autorisation. Il faut que chaque entreprise soit autorisée, que l'exercice à
titre individuel soit agréé et que les embauches soient, par-dessus tout,
déclarées.
Mon objectif est que personne n'attende un drame pour découvrir que l'agent de
sécurité était un malfaiteur ou un terroriste. Mon objectif est aussi de lutter
contre le travail clandestin, trop souvent répandu. Là encore, vous constaterez
que c'est non pas l'excès mais plutôt l'insuffisance du droit existant qui
était une réelle menace pour la sécurité et pour les libertés individuelles.
Enfin, nous comblons une lacune du droit dont beaucoup de Français ont déjà
fait les frais. Jusqu'à présent, rien n'obligeait les opérateurs à bloquer les
téléphones portables volés. Or, les solutions techniques existent.
(M.
Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Je vous propose qu'elles soient
désormais obligatoires. Cela devrait fortement limiter l'intérêt des voleurs
pour les téléphones portables et, par conséquent, réduire le nombre de vols à
l'arraché dont les conséquences psychologiques et parfois physiques sont très
lourdes pour les victimes. Je ne doute pas que, sur toutes les travées de cette
assemblée, on voudra bien considérer que l'on doit pouvoir faire un bout de
chemin ensemble...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Tout de suite ! Aujour- d'hui !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
... sur une mesure qui n'est que de bon sens. J'ai d'ailleurs
l'intention, dans les mois à venir, de vous proposer des mesures qui s'en
inspirent, s'agissant du vol de véhicule qui devient véritablement un problème
considérable. En effet, le vol de véhicule, c'est le premier pas vers les vols
par voiture-bélier ou le transport de drogue.
(M. Michel Dreyfus-Schmidt
s'exclame.)
Le projet de loi qui vous est soumis a pour ambition de combler le vide
juridique qui empêche toute action efficace contre de nouvelles formes de
délinquance. C'est sans doute un sujet difficile, mais nous nous sommes posé la
question de savoir comment répondre à l'exaspération des Français qui ne
supportent plus l'impuissance de la puissance publique face à l'insécurité
quotidienne. Ne fermons plus les yeux, sans pour autant sombrer dans je ne sais
quelle exagération sécuritaire ! La République, toute la République, mais rien
que la République. Tel est bien l'enjeu !
Je vous propose des solutions républicaines et réalistes. Vous le verrez, nos
cibles n'ont rien à voir avec les caricatures habituelles d'une
intelligentsia
qui parle beaucoup d'une France qu'elle connaît bien mal
!
(« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Robert Bret.
C'est de l'abbé Pierre que vous parlez ?
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Elle lui est si différente qu'elle finit par lui être
étrangère.
Mme Nicole Borvo.
De qui parlez-vous ?
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
D'abord, le développement de la prostitution,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ah !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
... sujet très douloureux qui ne se prête à aucune plaisanterie
ni aucune légèreté.
M. Robert Bret.
Tout à fait !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Nous savons que la prostitution, de nos jours, c'est d'abord
l'exploitation d'êtres humains sous la contrainte...
Mme Nicole Borvo.
Très juste !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
... parfois, pis, l'exploitation de mineurs. Ce n'est ni plus
ni moins que de l'esclavagisme.
C'est ensuite une activité lucrative.
Mme Nicole Borvo.
C'est vrai !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Et si le proxénète prospère, c'est parce que le ou la prostitué
est autorisé sur le trottoir.
Mme Nicole Borvo.
Pas seulement, monsieur le ministre !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
J'aimerais que l'on m'explique au nom de quoi on dirait que le
proxénétisme c'est de l'esclavagisme et on en tirerait la conclusion qu'il faut
tolérer la prostitution qui nourrit le proxénète.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ce sont des victimes !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Si le proxénétisme, c'est de l'esclavagisme, alors il faut en
tirer toutes les conséquences...
Un sénateur du RPR.
Très bien !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
... sur la conséquence première qui est la prostitution sur nos
trottoirs.
Mme Nicole Borvo.
Lâchez les prostituées !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Plus de 60 % des prostituées sont aujourd'hui de nationalité
étrangère.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Des victimes !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Or, bien sûr, les dispositions existantes sont à l'évidence
inadaptées.
Monsieur Michel Dreyfus-Schmidt, si elles ne sont que des victimes pour vous,
je me demande pourquoi vous avez accepté pendant tant d'années que le racolage
actif soit un délit !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Tout le monde l'a accepté ! Vous aussi !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Le racolage actif est un délit, la prostituée est une victime ;
vous l'avez accepté, et vous n'avez rien changé à cette réalité ! Et c'est une
tartuferie que de considérer les prostituées comme des victimes, de dire que le
racolage actif est un délit, et, dans le même temps, de fermer les yeux sur le
racolage ! Nos compatriotes ne supportent plus tous ces bons sentiments de gens
qui passent Porte de Clichy dans des voitures bien fermées
(M. Michel
Dreyfus-Schmidt s'exclame),
... qui regardent les prostituées dehors au
travers des vitres fermées de leur véhicule...
Mme Nicole Borvo.
Rouvrons les maisons closes, comme le demande Mme de Panafieu ! C'est plus
propre !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
... en disant : « Oh les pauvres ! », et qui s'en vont dîner en
oubliant ce qu'ils viennent de voir !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste. -
Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Dominique Braye.
Ils doivent se reconnaître !
Mme Nicole Borvo.
Cachez ces prostituées que je ne saurais voir !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Les dispositions existantes sont à l'évidence inadaptées. Qui
peut croire que les prostituées, dont le racolage est autorisé, ont vraiment
aujourd'hui la possibilité de dénoncer leur proxénète qui lui-même est hors la
loi ?
Je vous propose un peu de réalisme. Le racolage ne sera plus actif ou passif :
il sera interdit, car délictuel.
Un sénateur socialiste.
Il va y avoir du boulot !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
De surcroît, dès lors que le racolage sera le fait de personnes
étrangères en situation de court séjour, elles seront reconduites dans leur
pays d'origine.
Certains affirment que nous sanctionnons les victimes alors qu'il faudrait
viser les coupables, c'est-à-dire les proxénètes et les clients. Je vous
rassure : les coupables seront directement visés. Le délit d'exhibition sera
réhabilité...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il existe !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
... et une prostituée en situation irrégulière qui dénonce son
proxénète pourra se voir attribuer, outre la protection des forces de l'ordre,
un titre de séjour, ce qui sera la meilleure façon - j'allais dire la seule -
de l'arracher au réseau qui l'a amenée dans un pays dont elle ne parle pas du
tout la langue.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Jusqu'au jugement !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Dans le même esprit, j'ai décidé de doubler les effectifs des
services de police spécialisés dans la lutte contre les filières de
prostitution.
Cela étant, nous n'avons pas créé un délit dans l'optique de punir des
malheureuses qui, c'est vrai, sont plus souvent victimes que coupables. Si nous
avons créé un délit, c'est, au contraire, pour les protéger ; l'argument est
lumineux dans sa simplicité.
Mme Nicole Borvo.
Pas tellement !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Si l'on veut que l'exploitation de la prostitution cesse, nous
devons réduire le phénomène de la prostitution lui-même.
Mme Nicole Borvo.
Absolument !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
C'est cette réduction qui mettra un terme aux activités des
proxénètes.
Pourquoi voulez-vous que les proxénètes albanais, bulgares, roumains,
africains...
Mme Nicole Borvo.
Français !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
... se gênent pour faire venir des prostituées en France,
pratiquant ainsi une véritable traite d'êtres humains, tout à fait comparable à
l'esclavagisme, à partir du moment où cela ne coûte rien de mettre ces
malheureuses sur le trottoir ?
J'aimerais que l'on m'explique comment dissuader ces six frères albanais de
Lyon, que nous avons arrêtés, d'utiliser, de frapper, de violenter ces filles
s'ils peuvent les mettre sur le trottoir sans encourir aucun risque ! Ils
vivaient dans une chambre d'hôtel et l'ensemble de leurs biens se trouvaient en
Albanie ! J'aimerais que l'on m'indique comment éradiquer ce phénomène sans
s'attaquer à la prostitution !
M. Jacques Peyrat.
Très bien !
Mme Nicole Borvo.
Ce n'est pas cela que nous vous reprochons, monsieur le ministre !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Si l'on veut que l'esclavage des prostituées étrangères cesse,
nous devons organiser leur retour systématique dans leur pays d'origine. Depuis
dix ans, la prostitution envahit nos villes. Il faut que cela cesse !
Je souhaite notamment que, sur le terrain, les liens entre les associations
qui aident les prostituées et les préfectures soient renforcés. Il faut que les
prostituées aient enfin un avenir autre que la perspective, soir après soir,
d'une activité dégradante et de rencontres sordides.
Dans le même temps, nous devons être attentifs aux préoccupations de ceux qui
vivent dans les quartiers où la vie est devenue impossible parce que la
prostitution s'y est développée de façon exponentielle.
M. Jacques Legendre.
Très bien !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Tous ceux qui me demandent de fermer les yeux sur la
prostitution de rue, qu'ont-ils à dire aux habitants de ces quartiers où, à la
tombée de la nuit, on ne peut plus rentrer chez soi sans croiser des
proxénètes, des clients, des détraqués et des prostituées ?
En vérité, ceux qui plaident pour le
statu quo
sont ceux qui résident
dans des quartiers préservés !
M. Jacques Peyrat.
Absolument !
M. Dominique Braye.
Comme pour tous ces problèmes !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Ceux qui vivent avec ce phénomène n'en peuvent plus !
J'ai voulu que, pour une fois, on entende la voix de ceux qui souffrent.
Le même raisonnement conduit à considérer que des mesures doivent être prises
contre la minorité des gens du voyage qui s'installe de force sur des
propriétés privées ou communales sans respecter aucune des règles minimales de
la vie en société.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. Bernard Murat.
Très bien !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Pour autant, les gens du voyage ne doivent pas non plus être
victimes d'amalgames qui seraient scandaleux, inadmissibles. Mais, lorsque l'un
d'eux se comporte mal, il n'y a aucune raison qu'on doive le taire.
De fait, la situation actuelle se résume à l'impossibilité de faire respecter
le droit de propriété. Vous connaissez bien le schéma, vous qui êtes les
représentants des communes de France : un groupe arrive, avec des véhicules et
des caravanes. Il s'installe sur un terrain, de préférence propre et bien
situé, se branche sur les réseaux d'eau et d'électricité et repart en laissant
aux propriétaires un amas de détritus ou un champ saccagé.
Pendant ce temps, le propriétaire engage une procédure civile, mais celle-ci,
même s'il a saisi le juge des référés, ne peut en aucun cas, précisément parce
qu'il s'agit d'une procédure civile, aboutir avant le départ du campement.
Je le répète, il ne s'agit nullement de stigmatiser les gens du voyage, qui
sont, dans leur grande majorité, honnêtes. J'irai même plus loin : ils ont
choisi un mode de vie qu'il nous appartient de respecter et de protéger, car ce
mode de vie est une liberté.
En revanche, que certains enfreignent la loi, rendant la vie impossible à
d'autres, et que l'on soit dans l'incapacité légale d'intervenir efficacement
est proprement inadmissible et doit cesser. C'est pourquoi le Gouvernement
propose de créer un nouveau délit, afin de donner un cadre juridique permettant
à la police et à la gendarmerie d'intervenir immédiatement et, si nécessaire,
d'enlever les véhicules, de suspendre le permis de conduire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Plus six mois de prison !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Loin de porter atteinte aux droits des gens du voyage, ce texte
doit au contraire conforter les plus honnêtes. Il est ainsi, à l'évidence, de
nature à accélérer l'aménagement d'aires d'accueil dans les communes.
En effet, si ce nouveau délit protège toutes les propriétés privées, il ne
protégera les territoires communaux que dans les communes qui ont effectivement
respecté leurs obligations vis-à-vis de la loi Besson. Car, il faut le savoir,
cette loi que la gauche défend si ardemment n'est véritablement appliquée que
dans vingt-quatre départements sur cent. Je n'ai donc que peu de leçons à
recevoir...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Des leçons, vous en donnez sans arrêt !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
... de la part de ceux qui ont si peu fait pour les gens du
voyage et pour les installations.
(Très bien ! et applaudissements sur les
mêmes travées.)
Mesdames, messieurs les sénateurs de gauche, que vous ayez le ministère de la
parole au moment où vous êtes dans l'opposition, c'est normal, mais c'est en
vérité le seul que vous ayez réellement exercé avec brio, s'agissant des gens
du voyage, lorsque vous aviez la majorité !
(Applaudissements sur les mêmes
travées.)
Vous le voyez, il est proposé de trouver un juste équilibre entre la nécessité
de donner aux gens du voyage des conditions d'accueil correspondant à leur mode
de vie et l'impératif de ne pas fermer les yeux sur des violations outrancières
de la loi.
Et que dire des regroupements hostiles de personnes dans les espaces communs
des immeubles d'habitation ?
Je ne vous le cache pas, je suis choqué que certains aient pu assimiler, sur
ce point, mon projet à une volonté de réprimer les jeunes. Comme si les jeunes,
dans leur ensemble, occupaient les cages d'escalier, rendaient la vie
impossible dans les immeubles ou se préparaient à être des délinquants ! C'est,
là encore, un amalgame que je n'accepterai pas.
Ce qui est en cause, ce n'est pas une catégorie de la population, ce sont des
comportements qui rendent la vie impossible. En l'occurrence, l'occupation des
halls d'immeubles est un vrai problème.
Il n'est pas facile de subir le bruit dans un hall d'immeuble ou une cage
d'escalier lorsque l'on cherche un peu de repos après sa journée de travail. Il
n'est pas facile de devoir passer, jour après jour, au milieu d'un groupe plus
ou moins hostile pour rentrer chez soi, éventuellement sous les quolibets.
Il n'y a aucune raison pour qu'un homme ou une femme qui a travaillé toute sa
vie doive baisser la tête parce que des individus qui, eux, ne travaillent pas,
veulent l'empêcher de rentrer dans son immeuble ! Il est inacceptable que cette
réalité soit encore celle de notre pays !
(Très bien ! et applaudissements
sur les mêmes travées.)
Or les moyens mis en oeuvre pour faire cesser ces comportements ne sont pas,
aujourd'hui, à la hauteur du problème.
Daniel Vaillant avait parfaitement raison de proposer, en novembre 2001, dans
son projet de loi relatif à la sécurité quotidienne, que la police puisse
intervenir dans les immeubles lorsque des groupes en entravent les accès ou
nuisent à leur tranquillité. En revanche, je ne comprends pas pourquoi il avait
oublié de prévoir la sanction qui permet de réprimer de tels comportements.
Peut-on imaginer attitude plus hypocrite ? A quoi bon donner à la police la
possibilité d'entrer dans les halls d'immeubles pour les évacuer si le délit
ainsi constitué n'est pas punissable ?
Comment, dans ces conditions, s'étonner que la police, appelée par des
habitants des immeubles dont la vie était ainsi perturbée, refuse de se
déplacer en invoquant précisément l'absence de sanction prévue par la loi ?
M. Dominique Braye.
Voilà !
Mme Nicole Borvo.
Quelle démagogie !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Dorénavant, si la Haute Assemblée accepte d'adopter ce projet
de loi, une sanction sera prévue, et elle sera appliquée.
Plusieurs sénateurs socialistes.
La prison !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Enfin, les élus locaux font énormément pour pallier
l'insuffisance du nombre de salles dans les quartiers. L'Etat, de son côté,
appuiera autant qu'il le pourra les initiatives des élus locaux pour permettre
le financement de salles communes dans les quartiers qui n'en disposeraient
pas, de façon que toute présence hostile disparaisse des halls d'immeubles. On
doit s'assurer que, dans ces quartiers, des salles existent pour que, à toute
heure, certains jeunes puissent s'y retrouver.
Mme Nicole Borvo.
Chez M. Braye, il y en aura sûrement beaucoup !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Tel est l'esprit du projet : la fermeté d'un côté, l'ouverture
de l'autre.
L'exploitation de la mendicité a également été un sujet de polémique. Nous
savons que des personnes démunies, parfois handicapées, parfois mineures, sont
exploitées comme des marchandises pour fournir des rentes de situation à des
délinquants sans scrupules.
Faut-il laisser faire ? Faut-il fermer les yeux ? Faut-il qu'une fois encore
le politique démissionne ? Faut-il une fois encore renoncer au courage le plus
élementaire pour répondre à une situation qui exaspère nos concitoyens ? La
France doit-elle devenir un lieu accueillant pour cette autre nouvelle forme
d'esclavage ? Je ne le crois pas !
Nous nous attaquerons à ce phénomène, en faisant en sorte que les personnes
qui encadrent, transportent, utilisent les mendiants et finalement récupèrent
les sommes ainsi collectées soient déférées devant la justice. Je n'imagine pas
une seconde que puisse exister un différend entre nous sur ce sujet.
Dans le même esprit, nous proposerons de prendre en compte une forme de
mendicité qui s'est beaucoup développée, qui s'apparente à de l'extorsion de
fonds : il s'agit, dans le projet de loi, de la « demande de fonds sous
contrainte », qui consiste, pour plusieurs individus, à se rassembler autour
d'une personne, de façon agressive, éventuellement avec des chiens démuselés,
et à lui demander de l'argent avec une insistance telle que la victime a le
sentiment de ne pouvoir résister à cette pression.
Là encore, le droit existant n'est guère compréhensible pour les victimes : il
faut qu'il y ait eu violence à l'encontre de la personne avant que la police
puisse intervenir ! Je pense, moi, qu'il est indispensable que les services de
police puissent intervenir, avant la commission de l'acte violent, et non
après, de manière à protéger la victime, parce que c'est elle qui est au coeur
du projet de loi que je vous soumets.
(Applaudissements sur les mêmes
travées.)
M. Dominique Braye.
Très bien !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
La mendicité agressive constituera dorénavant un délit
identifiable par des critères objectifs.
Vous le constatez, on est bien loin de la caricature faisant des mendiants
traditionnels les cibles de la police. Il ne s'agit en aucun cas de poursuivre
un mendiant qui tend la main. Rien dans la loi ne le permettra. Alors pourquoi
mentir ? Pourquoi travestir la réalité ? Pourquoi vouloir nous condamner à
l'immobilisme ? Je laisse les spécialistes réfléchir sur cette question !
Quant à moi, je considère qu'il est temps d'agir et je mets quiconque au défi
de nous apporter le moindre début de commencement de preuve sur le fait que le
mendiant traditionnel est la cible de ce projet de loi. En vérité, il ne faut
pas confondre la mendicité et le racket.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est de l'extorsion de fonds !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Je n'ai aucune compassion, et encore moins de faiblesse, pour
ceux qui réclament de l'argent agressivement, en groupe ou à l'aide de chiens.
Ce n'est rien de moins que du racket déguisé en mendicité !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
De l'extorsion de fonds !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Quel grand principe justifierait que l'on tolère le racolage,
la violation de propriété, l'intimidation des habitants, l'exploitation de la
misère et la mendicité agressive ?
Je sais que vous serez d'accord avec moi pour estimer que plus un seul de nos
concitoyens ne doit se croire obligé de baisser la tête face à un délinquant
parce que l'Etat serait impuissant.
Enfin, si nous voulons que les valeurs de la République aient un sens, il faut
établir clairement que le respect de la loi ne se négocie pas.
Je considère que, lorsque l'on est invité dans un pays étranger, son premier
devoir est d'en respecter les lois. Sinon, c'est le signe évident que l'on n'a
pas l'intention d'en respecter les valeurs. Or il est actuellement impossible
d'expulser les personnes étrangères qui ont une carte ou un titre de séjour
inférieur à un an pour des faits tels que le racolage, le proxénétisme ou
l'exploitation de la mendicité. Ce ne sont pourtant pas des infractions
mineures ! Le texte complète le droit existant en permettant à l'autorité
administrative de mettre un terme au droit de séjour de ces personnes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Avant jugement !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Au demeurant, il me paraît plus normal de procéder à
l'expulsion de prostituées qui ne parlent pas un mot de français, qui ne sont
que depuis quelques mois ou quelques semaines présentes sur notre territoire et
que l'on peut faire échapper aux réseaux en les raccompagnant dans le pays où
elles sont nées, dont elles parlent la langue, que d'infliger une double peine
qui est parfaitement inapplicable s'agissant de personnes qui sont en France
depuis trente ans, qui ont une femme française, et des enfants nés en France.
C'est cela la vraie générosité, et je ne parviens pas à comprendre pourquoi
certains qui parlent tant des droits de l'homme n'ont pas eu, en cinq ans, le
temps de réformer la double peine. Voilà la logique de notre projet !
(Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Quel rapport ?
Mme Nicole Borvo et M. Robert Bret.
Alors, vous allez accepter nos amendements !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
En second lieu, nous ne pourrons faire respecter les lois qu'en
affichant clairement notre volonté de ne tolérer strictement aucune atteinte à
ses représentants.
Les agressions à l'égard de policiers, de gendarmes, de sapeurs-pompiers et de
leurs familles ont augmenté de 135 % en vingt ans !
Je ne resterai pas passif face aux voyous qui appellent les sapeurs-pompiers
pour leur tendre un guet-apens, pour les « caillasser », les blesser et les
injurier.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Dominique Braye.
Très bien !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Je ne fermerai pas les yeux sur les tentatives d'intimidation
des familles de gendarmes par quelques caïds qui veulent imposer leur loi dans
une cité. Ces faits ne sont pas des jeux d'enfants, ce ne sont pas les risques
du métier. Ils signifient simplement que des bandes considèrent aujourd'hui que
l'Etat est si faible et si peu crédible qu'ils peuvent essayer d'intimider et
de faire reculer ses représentants. Ces faits signifient que, dans certains
quartiers, la loi de la force a remplacé la force de la loi, et cette situation
est inacceptable !
(Applaudissements sur les mêmes travées - murmures
ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
M. Dominique Braye.
Très bien !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Le texte du Gouvernement renforce la protection des
représentants de l'Etat. Il supprime notamment l'exigence d'une menace réitérée
ou matérialisée dont la preuve ne pouvait jamais être rapportée.
Au-delà, il étend la protection de l'Etat à de nouvelles catégories : aux
adjoints de sécurité, auxquels il convient de rendre hommage tant leur travail
est remarquable, aux gendarmes adjoints volontaires, aux douaniers, aux agents
de police municipale qui, pas plus que les policiers ou les gendarmes, n'ont à
être injuriés ou frappés...
M. Jacques Peyrat.
Et les élus !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
... à l'ensemble des sapeurs-pompiers, aux agents investis
d'une mission de service public, aux conducteurs d'autobus ou même aux gardiens
d'immeuble dont nous avons impérativement besoin.
Nous voulons que toutes ces catégories puissent habiter de nouveau dans les
cités où leur présence est nécessaire.
Notre devoir, c'est de les protéger. Cette protection sera donc étendue à
leurs familles pour qu'elles puissent vivre normalement là où elles le
souhaitent, dans toutes les villes de France.
Enfin, j'estime normal que les frais de procédure soient pris en charge par
l'Etat lorsque les fonctionnaires déposeront plainte.
Permettez-moi de dire à la majorité sénatoriale que c'est un beau message que
nous adressons à l'ensemble du secteur de la fonction publique.
Nous, nous ne parlons pas, avec des trémolos dans la voix, des fonctionnaires
et de la fonction publique ! Mais nous disons aux fonctionnaires que,
lorsqu'ils seront injuriés ou frappés dans l'exercice de leur mission, nous
assumerons les frais de procédure et d'avocat que nous leur devons !
(Bravo
! Et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Mme Nicole Borvo.
Ne parlez pas au nom des fonctionnaires ! Laissez-les s'exprimer eux-mêmes
!
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, les fonctionnaires et
le monde de la fonction publique ont toute leur place dans le projet
gouvernemental...
M. Jacques Mahéas.
Vous enfoncez des portes ouvertes !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
... et dans les attentions de la majorité sénatoriale. Sans
doute, pendant cinq ans, le gouvernement précédent a beaucoup aimé les
fonctionnaires, mais il a oublié de répondre à cette revendication ancienne et
parfaitement équitable de surcroît !
(Bravo ! et applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cette disposition figure dans la loi depuis longtemps !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l'objectif du Gouvernement,
vous l'avez compris, n'est pas, et ne sera jamais, d'établir un ordre moral ;
il est de garantir l'ordre public.
Ne nous accommodons pas de l'impuissance. Ne restons pas passifs. Rester
passif serait une faute à l'égard de la France des oubliés, trop longtemps
ignorés, une faute à l'égard des délinquants qui seraient ainsi incités à
poursuivre dans une voie qui ne mène pour eux qu'à l'échec. Les délinquants
n'écouteront le langage de la prévention qu'en ayant la certitude qu'ils
n'auront plus d'avenir dans la délinquance.
Les valeurs de la République ne se négocient pas. Ce sont elles que le
Gouvernement entend défendre avec votre soutien, en apportant aux Français et
plus largement à tous ceux qui vivent dans notre pays plus de tranquillité,
plus de bonheur paisible, plus de liberté, plus de sécurité dans le strict
respect des droits de l'homme.
C'est là une grande ambition que le Gouvernement vous invite à partager.
(Vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
- Mmes et MM. les sénateurs du RPR et des Républicains et Indépendants se
lèvent.)
(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON
VICE-PRÉSIDENT
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Patrick Courtois,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
« La
sécurité est l'un des droits les plus fondamentaux de nos concitoyens. » La
formule est connue. Elle a été maintes et maintes fois répétée par presque
tous, au point même d'être vidée de sa substance.
Les uns la mettaient au frontispice de leurs programmes électoraux pour mieux
l'oublier ensuite, assurant qu'ils avaient bien compris les préoccupations des
Français, sans rien faire, néanmoins, pour endiguer l'insécurité croissante
dans notre pays.
Les autres la fustigeaient, faisant des procès en démagogie à ceux qui osaient
parler de l'indicible- comme si le meilleur remède à ce mal contemporain était
l'aveuglement -, réinventant la formule de Knock par la négation et par
l'absurde : « Tout malade est un bien-portant qui s'ignore ! »
C'est dans ce contexte, et nous vous en savons gré, monsieur le ministre, que
vous avez, avec courage et détermination, ouvert la voie qu'avait tracée le
Président de la République durant la campagne électorale.
Sans outrance ni démagogie, vous avez évité la facilité de limiter votre
politique à un seul aspect qui n'aurait été que répressif.
Sans compromission, vous avez échappé au modèle de certains de vos
prédécesseurs qui, arrivés à la Place Beauvau, dressaient la liste de toutes
les bonnes raisons, d'ordre institutionnel, juridique ou sociétal, pour
lesquelles ce qui devait être fait ne pouvait l'être.
Le 30 juillet dernier, à cette même tribune, considérant qu'il n'y avait pas
de fatalisme à l'insécurité, je vous invitais au volontarisme pour apporter à
chaque problème la réponse la plus appropriée.
Les réponses ne se sont pas fait attendre. La sécurité intérieure a fait
l'objet depuis mai dernier d'une véritable refondation. Ainsi, en quelques
mois, le Gouvernement n'a pas ménagé sa peine pour lancer ce signal fort à
l'opinion publique et lui faire comprendre qu'elle avait été entendue.
Dès la session extraordinaire de cet été, conformément aux engagements du
Président de la République, un grand chantier législatif a été lancé.
Le premier acte en fut la loi d'orientation et de programmation pour la
sécurité intérieure, qui a fixé le programme d'action pour les cinq ans à venir
des forces de sécurité intérieure dans notre pays.
En ce sens, le coup d'arrêt à l'augmentation des chiffres de la délinquance
démontre à ceux qui justifiaient leur inaction par l'irréversibilité de ces
phénomènes que la volonté politique peut décanter bien des situations.
Le projet de loi de finances pour 2003 en est le deuxième acte puisque
celui-ci traduit scrupuleusement les engagements de la LOPSI en matière de
crédits.
De considérables moyens financiers supplémentaires sont accordés à la police
et à la gendarmerie nationales. Le budget de la police progresse ainsi de 5,8 %
et celui de la gendarmerie de 8,4 %.
Par ailleurs, dans un contexte de réduction globale des effectifs de la
fonction publique, le recrutement de 1 900 policiers et de 1 200 gendarmes met
en lumière la détermination sans précédent de ce gouvernement en matière de
sécurité intérieure.
Le premier acte fut celui des orientations. Le deuxième est celui des moyens
financiers. Le troisième, qui nous réunit aujourd'hui, est celui des moyens
juridiques.
En effet, malgré la volonté retrouvée, malgré les moyens déployés, l'action au
service de nos concitoyens des forces de sécurié intérieure se heurte, dans de
nombeux cas, à l'absence de moyens juridiques adaptés.
Le présent projet de loi n'a d'autre objet que de leur donner ces moyens dont
elles sont souvent aujourd'hui privées.
Ceux-ci s'articulent en cinq axes : le renforcement des pouvoirs des préfets
pour rendre plus cohérentes les actions menées par les forces de sécurité
intérieure ; l'amélioration de l'efficacité de la police judiciaire, négligée
depuis trop d'années ; la préservation de la sécurité des Français par l'apport
de réponses concrètes à de nouvelles formes de délinquance ; la mise en place
de moyens permettant un contrôle plus strict des acquisitions et détention
d'armes ; l'encadrement de l'exercice des activités de sécurité privée.
Le premier axe du projet de loi tend à parachever la nouvelle architecture
institutionnelle de la sécurité intérieure prévue par la LOPSI.
Celle-ci est organisée au niveau national autour du conseil de sécurité
intérieure présidé par le chef de l'Etat, du Gouvernement et du ministre de
l'intérieur. Cette organisation nationale est transposée au niveau
départemental où le préfet assurera la coordination de l'ensemble du dispositif
de sécurité intérieure. A tous les échelons, tout concourt à une mobilisation
optimale des acteurs de la sécurité et les premiers résultats sont, à ce titre,
concluants.
Les conférences départementales de sécurité présidées par le préfet et le
procureur de la République, se réunissent régulièrement pour décliner au niveau
local les objectifs fixés au niveau national. Elles définissent notamment les
cibles des groupes d'intervention régionaux, les GIR.
Les résultats spectaculaires obtenus par ces groupes d'intervention régionaux
sont emblématiques de l'efficacité sur le terrain de la collaboration des
différents services de l'Etat aux actions de sécurité intérieure.
Le GIR de Nantes, par exemple, a démantelé au début du mois d'octobre un
réseau de cambrioleurs et de voleurs à la tire impliquant une centaine de
Roumains qui sévissait dans le département de la Loire-Atlantique et les
départements limitrophes. Deux cent soixante-quatorze policiers et gendarmes
ont ainsi participé à cette opération.
Les premiers conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance,
qui sont, eux, présidés par les maires, ont vu le jour. Ils permettront de
mieux associer les élus locaux à la définition des politiques locales de
sécurité.
Le texte qui nous est soumis prévoit de renforcer le rôle du préfet en
affirmant son caractère prépondérant dans l'animation et dans la direction des
actions de sécurité, afin d'améliorer la cohérence et l'efficacité de l'action
de l'ensemble des forces de sécurité intérieure.
Ainsi, en premier lieu, l'autorité du préfet sera renforcée dans le
département à l'égard des services déconcentrés, puisque ce dernier dirigera
l'action de la police et de la gendarmerie en matière d'ordre public et de
police administrative et qu'il pourra faire appel, en tant que de besoin, à des
services dépendant des ministères des finances ou de l'emploi.
En second lieu, les préfets de zone de défense obtiendront un rôle de
coordination en matière d'ordre public, et la coordination des forces de
sécurité sur l'ensemble des transports ferroviaires d'Ile-de-France sera
confiée au préfet de police.
Le deuxième axe de ce projet de loi vise à renforcer les capacités d'action de
la police judiciaire, la PJ.
En effet, depuis de nombreuses années, la PJ est le parent pauvre de la
procédure pénale en France. De nombreuses mesures ont été adoptées pour
renforcer les droits de la défense, alors que, dans le même temps, rien n'a été
entrepris pour permettre à la police judiciaire de mener ses investigations. Ce
déséquilibre de la procédure pénale est préjudiciable à son efficacité.
A ce titre, les mesures proposées dans le projet de loi faciliteront les
investigations en matière de recherche des auteurs d'infractions.
Ces mesures ne portent en rien atteinte aux libertés individuelles puisque,
parallèlement, les droits de la défense sont garantis. Notre justice a tout à y
gagner : une procédure pénale forte pour notre pays, reposant sur une police
judiciaire forte et efficace et des droits de la défense forts et garantis.
Ainsi, il est proposé d'étendre la compétence territoriale des officiers de
police judiciaire. L'extension de ce ressort est justifiée par la mobilité
accrue des délinquants, le cadre actuel étant trop étroit pour lutter contre
une délinquance opérant habilement aux frontières des différents ressorts et
utilisant à son profit les failles de notre système.
Surtout, il sera donné une base légale aux traitements automatisés de données
personnelles mis en oeuvre par la police et la gendarmerie. Ces fichiers
pourront notamment être consultés au cours d'enquêtes administratives ou de
missions de sécurité.
A ce titre, rendre plus utiles les fichiers de recherche criminelle, surtout
le fichier national des empreintes génétiques, est un véritable enjeu de notre
politique en matière d'investigations judiciaires. Ce fichier ne compte que 1
200 empreintes en France alors qu'outre-Manche il en comporte plus de 1 700
000.
Certains ont beaucoup glosé ces derniers temps sur l'atteinte aux libertés
individuelles que constituerait ce fichier. Encore faut-il signaler que les
empreintes génétiques ne sont ni plus ni moins au xxie siècle ce que furent au
xxe les empreintes digitales.
Pour qui souhaite que ce fichier ait une véritable efficacité, l'insertion des
suspects dans ce document paraît parfaitement logique, d'autant que les
segments d'ADN utilisés sont dits « non codants » et ne peuvent, de la sorte,
fournir aucune information sur l'état de santé présent ou futur d'une
personne.
Il semble pour autant utile de pousser la logique de ces nouvelles
dispositions à leur terme afin d'empêcher que l'on ne puisse exploiter ces
fichiers en raison d'effacements trop systématiques de données essentielles.
En effet, le texte prévoit un effacement systématique des données personnelles
en cas de relaxe et d'acquittement, tandis qu'un décret devrait déterminer le
sort des données dans le cas d'un non-lieu ou d'un classement sans suite.
Une telle différence de traitement n'apparaît pas pleinement justifiée. En
outre, les relaxes et les acquittements recouvrent des situations très diverses
- découverte du véritable auteur, annulation de la procédure, charges
insuffisantes, irresponsabilité de la personne poursuivie pour cause de démence
au moment des faits - qui peuvent faire l'objet de traitements différents.
Il est sans doute préférable de prévoir, en cas de classement sans suite, de
non-lieu, de relaxe ou d'acquittement, de conférer au procureur de la
République le rôle d'ordonner l'effacement des données personnelles dont la
conservation ne serait plus justifiée au regard de l'objet du fichier.
Le troisième axe de ce projet de loi comporte, conformément aux engagements
pris dans la LOPSI, de nombreuses dispositions, notamment d'ordre pénal,
relatives à la tranquillité et à la sécurité publiques.
Ces mesures sont guidées par un principe simple : le réalisme. Il s'agit de
mieux appréhender les nouvelles formes de délinquance et de ne pas laisser
démunies les forces de sécurité intérieure. Celles-ci, malgré leur
détermination, qu'il convient de souligner, à combattre sans relâche les
réseaux mafieux, sont le plus souvent privées des moyens juridiques nécessaires
au démantèlement de ces bandes organisées.
Ces dispositions ont donné lieu à d'abondants commentaires, le plus souvent
caricaturaux, trahissant parfois les propos mêmes du projet de loi. Ils sont de
trois ordres.
Les premiers, coutumiers du fait, hurlent avec les loups au retour de l'Etat
policier. Pétris d'une idéologie permissive et libertaire, ils considèrent les
délinquants comme les victimes et l'Etat comme le bourreau.
D'autres, embarrassés, veulent sans doute masquer l'absence de doctrine de
leur camp sur ces questions qui préoccupent au quotidien nos concitoyens, en
schématisant des mesures pourtant essentielles.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Rapportez au lieu de polémiquer !
M. Jean-Patrick Courtois,
rapporteur.
Il est vrai que contester le fond de ces mesures leur est
difficile puisqu'ils les ont défendues eux aussi durant la campagne
présidentielle. Le seul moyen dont ils disposent, c'est donc de les
caricaturer.
Les derniers, enfin, vivent dans l'aveuglement et persistent à croire que
l'insécurité n'est qu'un sentiment, d'autant plus diffus, il est vrai, que l'on
vit éloigné de nos concitoyens qui la subissent au quotidien. Pour notre part,
il ne nous semble pas inutile de lutter contre des phénomènes qui ne paraissent
anodins qu'à ceux qui, coupés du réel, ne les vivent pas.
On a voulu faire passer ce projet de loi pour une déclaration de guerre aux
pauvres et aux minorités. Il convient de balayer ici quelques lieux communs.
Concernant la prostitution, tout d'abord, il ne s'agit pas de stigmatiser les
prostitués, mais au contraire de lutter contre les réseaux mafieux qui
organisent cet abominable esclavage. La pénalisation du racolage passif n'a pas
d'autre objet.
Ceux qui s'insurgent contre ces mesures, faisant croire que le Gouvernement
souhaiterait remplir nos prisons de prostitués, ne comprennent pas la réalité
de la détresse de ces personnes. Ceux-ci, dénonçant le retour à l'ordre moral,
s'insurgent contre le fait que des prostitués puissent être placés en garde à
vue, mais ne proposent aucune solution pour sortir ces femmes et ces hommes de
leur esclavage.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mais si !
M. Jean-Patrick Courtois,
rapporteur.
Qu'est-ce qui est liberticide ? Placer ces personnes en garde
à vue quelques heures afin de démanteler le réseau de leurs proxénètes ? Ou les
laisser, des années durant, sur les trottoirs de nos villes, exercer sous la
contrainte la prostitution ?
Concernant l'incrimination de certains attroupements dans les parties communes
d'immeubles. Il n'est pas juste de faire croire qu'il s'agirait de viser de
paisibles groupes d'adolescents discutant dans une cage d'escalier.
Les maires sont bien placés pour savoir que certains individus font régner une
véritable terreur dans des immeubles habités, le plus souvent, par les plus
modestes de nos concitoyens.
Le Sénat ne peut que se réjouir que ce problème donne enfin lieu à la
recherche de véritables solutions. A ce titre, il me faut rappeler que notre
excellent collègue M. Jean-Pierre Schosteck avait, le premier, proposé la
création d'une telle infraction en tant que rapporteur du projet de loi relatif
à la sécurité quotidienne.
M. Nicolas Sarkozy
ministre.
Tout à fait !
M. Jean-Patrick Courtois,
rapporteur.
De la même manière, la création d'une incrimination
d'exploitation de la mendicité s'avère particulièrement utile face au
développement de réseaux qui vivent de l'exploitation de la misère.
Quant à l'incrimination de l'occupation sans titre d'un terrain, son
dispositif est particulièrement judicieux. En effet, d'une part, il permettra
de lutter plus efficacement contre certains comportements inacceptables
d'envahissement de propriétés privées ou de terrains communaux. D'autre part,
il devrait accélérer la mise en oeuvre des dispositions de la loi du 5 juillet
2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, l'infraction ne
devant être constituée, en cas d'occupation d'un terrain communal, que si la
commune respecte les obligations qui lui incombent pour l'accueil des gens du
voyage.
Ces mesures sont donc bien éloignées des caricatures qu'on a voulu dresser
d'elles. La commission des lois proposera, par ailleurs, de compléter le
dispositif proposé.
Au-delà de la répression de ces formes de délinquance, il s'agit également
d'appréhender, dans toute sa dimension, la nécessaire protection des victimes.
Qu'il s'agisse des victimes directes de ces violences, parce que leurs
fonctions les conduisent à y être confrontées ou de ceux qui sont exploités par
ces réseaux.
En premier lieu, constatant que les infractions créées par le projet de loi
visaient des comportements qui sont souvent commis dans le cadre de réseaux
organisés, il s'agira de créer une infraction de traite des êtres humains et de
renforcer les instruments de lutte contre le proxénétisme et l'exploitation de
toutes les formes de misère.
Ces dispositions seront le juste corollaire des mesures proposées,
conformément à la proposition de loi renforçant la lutte contre les différentes
formes de l'esclavage aujourd'hui, adoptée par l'Assemblée nationale en janvier
2002.
Elles permettront de renforcer la lutte contre le proxénétisme en permettant,
d'une part, la confiscation de tout ou partie des biens des personnes
condamnées pour proxénétisme et, d'autre part, de prévoir une procédure de
saisie conservatoire des biens des personnes poursuivies pour cette infraction.
En second lieu, dans un souci de protection des victimes du proxénétisme il
sera proposé de compléter les dispositions du projet de loi prévoyant la
possibilité d'attribuer une autorisation provisoire de séjour à l'étranger
portant plainte contre un proxénète.
Il s'agit de permettre à ces personnes de bénéficier d'un titre de séjour
jusqu'à l'achèvement de la procédure judiciaire pour prévoir la possibilité
d'attribuer à cet étranger une carte de résident en cas de condamnation
définitive de la personne mise en cause.
En effet, le renvoi contre son gré dans son pays d'origine d'un étranger dont
le témoignage a permis la condamnation de proxénètes pourrait avoir des
conséquences dramatiques pour cette personne.
Ensuite, il s'agira de mieux prendre en compte la difficulté des missions
exercées par les gardiens d'immeubles sociaux, en aggravant les peines
encourues en cas de violences ou de meurtre commis à l'encontre de ces
personnes.
Enfin, pour répondre aux violences subies par les proches de policiers, de
gendarmes ou de fonctionnaires de l'administration pénitentiaires, des
aggravations de peines en cas de meurtre ou de violences seront prévues si
elles sont commises contre les familles de personnes chargées d'une mission de
service public, lorsque ces infractions sont commises en raison des fonctions
exercées par ces personnes.
Concernant le volet de ce projet de loi relatif à la circulation des armes,
les mesures proposées sont de nature à satisfaire l'impératif de renforcement
de leur contrôle.
Les événements dramatiques survenus au printemps dernier à Nanterre et à
Chambéry, ou, le 14 juillet dernier, lorsqu'un fanatique a tenté d'attenter à
la vie du chef de l'Etat, justifient à eux seuls la nécessité d'améliorer le
contrôle des armes en circulation et de limiter leur usage par des personnes en
proie à des troubles psychiatriques.
Toutefois, je souhaite attirer votre attention, monsieur le ministre, sur un
point très précis. Dans un contexte où le trafic d'armes en provenance de
l'étranger augmente, il ne semble pas prioritaire de soumettre à des formalités
administratives contraignantes les 1 400 000 chasseurs qui n'ont d'autre
intention que de se livrer paisiblement à leur sport.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Bien sûr !
M. Jean-Patrick Courtois,
rapporteur.
Il faut à ce titre souligner que l'administration n'aurait
d'ailleurs pas les moyens de faire face à un afflux important de nouvelles
déclarations. Il semble donc préférable qu'elle s'attache en priorité à mieux
contrôler les armes soumises à autorisation.
Il est à noter que l'autorisation de détention d'armes du responsable de la
tuerie de Nanterre était périmée depuis deux ans.
Je souhaite donc, monsieur le ministre, obtenir l'assurance du Gouvernement
que l'affirmation de principe de la déclaration des armes de chasse, sous
réserve d'exceptions, ne sera pas suivie par une modification réglementaire
imposant la déclaration d'armes de chasse dont la détention n'est pas, à ce
jour, soumise à cette procédure.
En tout état de cause, l'efficacité de la réglementation dépendra de
l'effectivité de son application par les préfectures. En effet, le fichier
national des armes, AGRIPPA, ne devrait être opérationnel qu'en 2004, et les
agents de préfectures sont, à ce jour, encore mal formés.
Le renforcement de la réglementation doit impérativement s'accompagner d'un
renforcement des moyens de contrôle et d'une lutte contre les trafics d'armes
internationaux.
Enfin, le projet de loi vise à proposer un meilleur encadrement de la sécurité
privée.
Les nécessités de la lutte antiterroriste ont accru le recours à ces sociétés
qui sont de plus en plus souvent appelées à intervenir en complément ou en
collaboration avec les forces de police de l'Etat et ont contribué à
l'accroissement des prérogatives confiées à leurs agents.
De la sorte, les agents de sécurité portuaires et aéroportuaires, ainsi que
les agents de sécurité exerçant sur la voie publique sont notamment autorisés à
procéder à la fouille des bagages à main et à des palpations de sécurité.
Les garanties d'honorabilité des professionnels, de transparence des
entreprises et les exigences de qualification professionnelle des agents sont,
en conséquence, le juste corollaire de l'extension des prérogatives accordées à
ces sociétés.
Or, à ce jour, ces garanties ne sont pas obtenues alors que cette profession
est appelée à jouer un rôle de plus en plus important en complément des forces
de sécurité de l'Etat.
La simple production d'un bulletin n° 2 du casier judiciaire n'est pas
satisfaisante pour garantir l'honorabilité de ces personnels. L'origine des
capitaux peut être douteuse, et le recours à la sous-traitance illicite ou au
travail au noir est une pratique trop répandue.
En ce sens, les dispositions de ce projet de loi seront de nature à garantir,
en quelque sorte, l'établissement d'une réelle déontologie de cette
profession.
Je conclus, mes chers collègues, en insistant sur deux points qui me semblent
tout à fait essentiels. Ce projet de loi a le double mérite de redonner du
crédit à la parole publique, parce qu'il parachève l'édifice institutionnel du
Gouvernement en matière de sécurité intérieure, et de protéger les plus
modestes.
Là où certains détracteurs n'ont voulu voir que des promesses électorales qui
n'avaient d'autre but que de surfer avec démagogie sur les peurs des Français,
nous avons la démonstration que le Gouvernement met tout en oeuvre pour
garantir la sécurité de nos concitoyens, qu'il s'agisse des moyens
organisationnels, financiers ou juridiques.
Si une politique se juge à l'aune de ses résultats, je ne doute pas de la
réussite de ce grand projet.
Ce texte a pour objet de protéger les plus modestes, parce qu'ils ont enfin
été entendus. Ceux qui ont voulu faire croire que ce projet de loi était une
guerre engagée contre les pauvres n'ont pas su ou n'ont pas voulu comprendre,
nantis et enfermés dans leur tour d'ivoire, que ce texte s'adressait en
priorité à ceux de nos compatriotes, les plus modestes, qui vivent dans les
quartiers difficiles et sont à ce titre les plus vulnérables.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Nous avons déjà entendu cette chanson !
M. Jean-Patrick Courtois,
rapporteur.
Ce sont eux qui ressentent avec le plus d'acuité qu'ils ne
peuvent compter que sur l'Etat pour jouir de la sécurité à laquelle ils ont
droit. Ils ont été entendus, et je me réjouis que tout son sens ait été redonné
à l'action publique.
Au bénéfice de ces observations et sous réserve des amendements soumis, je
vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs, au nom de la commission des
lois, d'adopter le présent projet de loi dont les dispositions sont de nature à
donner aux forces de sécurité intérieure les moyens juridiques dont elles ont
besoin pour garantir la sécurité de nos concitoyens.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme Jeanine Rozier.
(Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
Mme Janine Rozier,
représentante de la Délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité
des chances entre les hommes et les femmes.
Monsieur le président,
monsieur le ministre, mes chers collègues, après le rapport sur l'autorité
parentale c'est, cette fois encore, comme membre de la Délégation du Sénat aux
droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes que
j'ai, pour la deuxième fois, l'honneur de m'exprimer à cette tribune.
Je remercie la commission des lois et son président, M. Garrec, d'avoir
souhaité recueillir l'avis de la délégation sur les articles 18, 28 et 29 de ce
projet de loi relatif à la sécurité intérieure qui visent la prostitution et de
suggérer d'éventuelles modifications aux importantes mesures qui vont être
soumises à notre vote.
On dit que la prostitution « prospère systématiquement sur un fond d'ignorance
et d'indifférence ». Je le pense aussi et je le regrette. Et je souhaite que le
rapport qui retrace le travail la délégation puisse être lu de tous. Il est
suffisamment complet pour permettre de mesurer l'étendue des ravages causés par
l'exploitation de la prostitution. Il renseigne sur l'étendue du fléau en
France et sur ses ramifications européennes et internationales. Il montre la
détresse d'hommes et de femmes complètements perdus, qui s'enfoncent chaque
jour un peu plus dans la misère. Il condamne ceux qui font de l'argent avec
cette misère et souhaite les voir punis.
Il n'a pas été question, pour notre délégation, de se poser en censeur, de
juger en bloc le monde de la prostitution, ni d'attenter à la liberté de tel ou
telle. Nous nous sommes émus à l'évocation des victimes et des exploités envers
qui nous avons un devoir de secours.
Personne ne peut rester insensible au fait que de très jeunes femmes
étrangères, venant surtout des pays de l'Est et du continent africain soient
jetées en pâture, souvent par la violence et la menace, sur les trottoirs de
nos grandes villes.
Personne ne peut rester insensible au fait que des enfants, la plupart du
temps déracinés, souvent violés et battus, le soient aussi.
Personne ne peut rester insensible au fait que des êtres faibles, exploités en
raison de cette faiblesse, soient livrés à la prostitution, que des profits en
soient tirés et que des réseaux maffieux en soient les bénéficiaires
impunis.
Pour y remédier, pour venir en aide à tous ces malheureux, il faut prendre des
mesures.
Nous avons étudié en détail, monsieur le ministre, le texte que vous nous
présentez, et nous l'approuvons.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous l'avez étudié rapidement !
M. Josselin de Rohan.
On peut aller vite !
Mme Janine Rozier,
représentante de la délégation.
Nous avons organisé, au titre de notre
délégation, plusieurs auditions et nous avons notamment reçu des représentants
d'associations qui apportent un secours certain aux victimes du monde de la
prostitution.
A propos de l'article 18, qui traite du racolage actif et passif, nous nous
étions interrogés sur la dimension vestimentaire de ce racolage. Mais vous avez
répondu par anticipation à notre interrogation, monsieur le ministre, en
proposant la suppression des mots « tenue vestimentaire ». Nous vous en
remercions.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ce n'est pas par anticipation, c'est après !
M. Jacques Mahéas.
Postérieurement !
Mme Janine Rozier,
représentante de la délégation.
Nous aurions pu craindre, autrement, une
atteinte à notre légitime souci de la mode, qui va de pair avec notre féminité.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union
centriste.)
L'article 28, quant à lui, vise à contrecarrer l'internationalisation des
réseaux de proxénétisme développés par la présence d'étrangers souvent en
situation irrégulière et qui viennent troubler l'ordre public. Notre délégation
préconise que le devoir de secours soit systématiquement pris en compte pour
que celle qui en est victime dans notre pays ne devienne pas martyre dans le
sien.
M. Jean-Jacques Hyest.
Absolument !
Mme Janine Rozier,
représentante de la délégation.
L'article 29, qui permet l'obtention d'un
titre de séjour aux victimes qui dénoncent leur proxénète, nous paraît une
mesure conforme au devoir de protection. Il permet aux témoins de trouver
refuge en France, mais nous nous devons également de leur offrir des outils de
réinsertion.
Toutes ces mesures fortes que vous nous proposez, monsieur le ministre, seront
critiquées par certains, mais je suis sûre que les Français, ceux dont vous
avez parlé, ceux de la majorité silencieuse qui ne se répandent ni dans la
presse ni à la télévision,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ce n'est pas lui !
Mme Janine Rozier,
représentante de la délégation.
... ceux qui ont manifesté lors des
dernières élections leurs attentes impératives en matière de sécurité et de
tranquillité dans la vie de chaque jour, ceux-là sauront véritablement les
apprécier et verront leurs effets se manifester dans la durée.
Notre délégation s'est surtout préoccupée de l'accompagnement social qui doit
nécessairement compléter l'application de ces mesures.
Il sera impérieux de prévoir un accueil, une écoute et, le cas échéant, de
mettre à l'abri toutes les personnes vulnérables et toutes les victimes afin de
leur permettre de sortir du réseau infernal dans lequel on les a enfermées. Il
faudrait prévoir, tout d'abord, des lieux pour les sécuriser, ensuite des
structures pour relayer les décisions des juges...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Voilà !
Mme Janine Rozier,
représentante de la délégation.
... et leur faciliter ainsi le recours à
toute la gamme des sanctions alternatives à la prison afin de leur permettre
une réinsertion dans la dignité.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Voilà qui est très bien ! Mais ce n'est pas dans la loi...
M. Jacques Mahéas.
C'est mieux !
Mme Janine Rozier,
représentante de la délégation.
Dans cette optique, je me félicite que
notre délégation préconise l'institution d'un défenseur des victimes de
l'exploitation sexuelle sur le modèle juridique du défenseur des enfants,
c'est-à-dire une autorité indépendante. Comme Mme Claire Brisset est devenue
une entité, notre défenseur le deviendrait.
Cette autorité indépendante pourrait avoir pour mission d'être un référent
permanent, une écoute, un soutien et un interlocteur attentif des associations
qui font un travail remarquable sur le terrain, un interlocuteur aussi des
services sociaux, des services de police et de justice qui sont confrontés à la
prostitution. Les victimes doivent pouvoir trouver un abri sûr, avant, pendant
et après leur jugement si nous voulons les aider et peut-être les sauver.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien encore, mais ce n'est pas non plus dans la loi.
Mme Janine Rozier,
représentante de la délégation.
C'est avec fermeté et avec l'espoir
d'être entendue que notre délégation aux droits des femmes et à l'égalité des
chances entre les hommes et les femmes formule ce voeu.
Et si je peux me permettre une remarque personnelle, monsieur le ministre, je
dirai que les mesures vigoureuses et rigoureuses que vous préconisez doivent
être expliquées à notre jeunesse à travers l'éducation que nous nous devons de
lui transmettre. Il nous faut travailler au mieux-être d'aujourd'hui, mais
aussi préparer la France de demain.
(Bravo ! et vifs applaudissements sur
les traves du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous auriez pu citer le rapport de Mme Dinah Derycke !
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 57 minutes ;
Groupe socialiste, 52 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 39 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 34 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 25 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
8 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jacques Mahéas.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Mahéas.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si
j'interviens aujourd'hui dans ce débat, c'est notamment parce que j'ai le
bonheur d'être depuis vingt-cinq ans le maire de Neuilly.
(Applaudissements
sur les travées du groupe socialiste.)
Mais, attention ! Ne confondons pas
fleuve et rivière...
M. Dominique Braye.
Facile !
M. Jacques Mahéas.
Non pas le maire de Neuilly-sur-Seine, le Neuilly « d'en haut » où se croisent
principalement les gens aisées - 1,3 % de logements sociaux, soit 375
logements.
M. Dominique Braye.
Beaucoup d'hommes de gauche habitent Neuilly-sur-Seine !
M. Hilaire Flandre.
Il y a beaucoup de bobos !
M. Jacques Mahéas.
... mais celui de Neuilly-sur-Marne.
(Exclamations sur les travées du RPR,
des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Evidemment, vous êtes venus soutenir, mesdames, messieurs les sénateurs, le
maire de Neuilly-sur-Seine.
M. Dominique Braye.
Il n'a pas besoin de nous, vous l'avez remarqué !
M. Jacques Mahéas.
... qui devait, selon la loi SRU, construire 807 logements par période de
trois ans !
Un sénateur du RPR.
On est contre les caricatures !
M. Jacques Mahéas.
Or, avec votre loi, monsieur Braye, le maire de Neuilly-sur-Seine - je ne
parle pas de M. Sarkozy lui-même, bien évidemment - n'aura à construire que 288
logements...
M. Dominique Braye.
La suite !
M. Jacques Mahéas.
... ou à payer comme la municipalité le fait depuis des années.
M. Jean-Pierre Sueur.
C'est là qu'on voit ceux qui s'occupent des pauvres !
M. Jacques Mahéas.
Je suis le maire de Neuilly-sur-Marne, le Neuilly du « neuf trois », banlieue
estampillée « sensible », où résident des classes sociales moyennes ou peu
favorisées, et qui attire souvent, malheureusement, l'attention des médias par
ses difficultés socio-économiques et ses problèmes d'insécurité.
M. Josselin de Rohan.
Pauvre Neuilly !
M. Dominique Braye.
Vous avez toujours tiré profit de la misère !
M. Jacques Mahéas.
Aussi je n'éprouve nul besoin de faire des visites ponctuelles en zones «
chaudes », bardé de micros et de caméras, pour appréhender la réalité de
l'insécurité.
(Applaudissements sur les travées du groupe
socialiste.)
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Il n'y a pas de risque !
M. Dominique Braye.
Ce n'est pas gentil pour Daniel Vaillant !
M. Claude Estier.
Monsieur Braye, vous avez eu toute la nuit pour parler, alors laissez
maintenant s'exprimer les autres !
M. Jacques Mahéas.
Si mes collègues ne veulent pas que je m'exprime...
M. le président.
Monsieur Mahéas, il y a des interrupteurs sur toutes les travées. Laissez-moi
diriger les débats, s'il vous plaît, et veuillez poursuivre !
M. Jacques Mahéas.
Ma commune, je côtoie ses difficultés au quotidien et je peux donc m'exprimer,
fort d'une réelle expérience de terrain qui n'a pas grand-chose à voir avec
d'hypothétiques conversations mondaines à la terrasse du café de Flore.
M. Dominique Braye.
Vous êtes un bobo complexé !
M. Jacques Mahéas.
Cela dit, vous comprendrez, monsieur le ministre, que j'aie du mal à accepter
le mépris dans lequel vous englobez les adversaires de votre projet de loi.
J'estime, pour ma part, ne pas avoir de leçons à recevoir, car je connais assez
bien cette « France des oubliés » dont vous vous faites apparemment l'ardent
défenseur.
Compte tenu de mon expérience, j'ai le regret de trouver votre projet de loi
particulièrement médiocre, même si, monsieur le ministre, vous avez habilement
abandonné les mesures les plus scélérates. Je ferai d'ailleurs une brève
parenthèse : comment faire du squat un délit quand on refuse la construction de
20 % de logements sociaux dans sa propre commune ou dans celle de ses amis
politiques ?
Quelle philosophie transparaît dans ce texte ?
Une philosophie explicitement et exclusivement répressive. Certes, tout
ministre de l'intérieur est amené à adopter des mesures d'ordre répressif et,
contrairement à certaines allégations, le gouvernement de M. Jospin n'a
nullement failli en la matière en renforçant, notamment, les moyens en
effectifs de la police, de la gendarmerie et de la justice. Seulement la
sanction participait naguère d'un système équilibré qui reposait également sur
la prévention et sur l'éducation.
Ministères de l'intérieur, de la justice, de l'éducation nationale et de la
ville travaillaient de concert pour créer des dispositifs et des nouveaux
services répondant à de véritables besoins et avaient su recréer du lien
social. Il en était ainsi des emplois-jeunes, du programme TRACE pour les
jeunes en grandes difficultés, des CES, des CEC, de l'objectif de 20 % de
logements sociaux... La répression n'était pas absente, mais elle n'intervenait
pas
a priori
.
Si les mesures de prévention ne sont jamais tapageuses et ne peuvent être que
longues à porter leurs fruits, elles sont néanmoins essentielles. Alors
pourquoi abandonner tout ce travail accompli en coopération ? Pourquoi les
entreprises d'insertion ou les clubs de prévention ont-ils désormais de grosses
difficultés pour pérenniser leurs subventions ? Faute de cette coopération, on
peut se demander désormais si le ministère de la justice n'est pas devenu un
secrétariat d'Etat du ministère de l'intérieur !
J'en viens aux mesures de ce projet de loi.
Nous ne rejetons pas en bloc toutes les dispositions que vous nous proposez,
monsieur le ministre.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
Nous
pensons, par exemple, qu'il est bon de se doter d'une législation stricte sur
les armes et les munitions, conformément à une politique déjà engagée par M.
Joxe, ou encore d'encadrer les activités de sécurité privée en imposant une
formation. Il me paraît également logique d'aggraver les peines de ceux qui
profèrent des menaces à l'encontre des représentants de l'ordre ou des gardiens
assermentés d'immeubles.
En revanche, s'il est parfaitement légitime de répondre à l'exigence
républicaine de sécurité, notamment en luttant contre la délinquance de voie
publique, il me semble choquant d'axer tous les efforts sur une visible reprise
en main de la rue, en faisant mine de croire qu'on s'attaque là à l'insécurité
la plus grave. Restons sérieux !
Pour n'évoquer que des drames récents, c'est l'insécurité ménagère qui a tué
cinq jeunes pompiers à Neuilly-sur-Marne,...
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
C'était à Neuilly-sur-Seine ! Quand on veut faire de
l'esprit...
M. Jacques Mahéas.
... à Neuilly-sur-Seine, et c'est l'insécurité routière qui a causé la mort de
trois jeunes à Neuilly-sur-Marne. Et que dire des menaces terroristes qui
doivent appeler toute notre vigilance.
Face à ces réalités, « nettoyer » la rue participe de la plus grande
tartufferie. En effet, il s'agit ni plus ni moins que d'éliminer ceux qui
peuvent gêner en renvoyant une image jugée déplaisante de notre société :
prostituées, mendiants, gens du voyage, étrangers délinquants, groupes de
jeunes dans les halls d'immeubles ou vendeurs d'aliments à emporter.
Notons au passage que cet inventaire hétéroclite - bien qu'il ne comprenne pas
de raton laveur ! - dessine en filigrane ce qu'est un « bon » citoyen, un
citoyen « normal ». On donne ainsi l'illusion d'agir en se débarrassant à bon
compte de populations socialement fragiles, aux comportements jugés
déviants.
Je ne méconnais pas l'exaspération que peut susciter localement telle ou telle
situation, mais pénaliser ainsi les désordres de voie publique reviendra
simplement à déplacer les problèmes... tout en encombrant grandement
institution judiciaires et prisons.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. Jacques Mahéas.
Certes, les rassemblements dans les halls d'immeuble et les cages d'escalier
sont un souci pour les habitants concernés, surtout lorsqu'il s'agit, en
réalité, d'effectuer du commerce illicite. Mais lorsque les motivations sont
plus innoncentes, ne pensez-vous pas que les jeunes en question souffrent avant
tout de désoeuvrement ? Leur offrir des lieux d'accueil - j'ai noté vos
propositions à cet égard - et des activités encadrées par des éducateurs,
résout bien souvent les difficultés. Ce n'est pas de l'angélisme, car cela
fonctionne ! J'en atteste.
S'agissant des gens du voyage, vos mesures sont tout à fait inapplicables. Je
m'interroge sur l'opportunité des plans départementaux et non communaux. Je
m'interroge également sur les différences chiffrées d'un département à l'autre
: 800 places d'accueil de caravanes en Seine-Saint-Denis, soit beaucoup plus
que dans les Hauts-de-Seine. Pourquoi ?
M. Claude Estier.
Bonne question !
M. Jacques Mahéas.
Franchement, monsieur le ministre, lorsque quatre cents nomades arrivent dans
votre commune - cela a été le cas à Neuilly-sur-Marne voilà deux ans -,
comptez-vous saisir tous les véhicules ?
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
On ne fait rien !
M. Jacques Mahéas.
A part la négociation, à part des possibilités de dialogue avec les
propriétaires de quatre cents caravanes, je pense que, dans ce cas-là, votre
loi sera totalement inapplicable.
Par ailleurs, priver des gens du voyage de leur véhicule et, partant, de leur
lieu d'habitation ou de leur permis de conduire pour une durée pouvant aller
jusqu'à trois ans, n'est-ce pas stigmatiser - et même empêcher - un certain
choix de vie ?
(M. Philippe Nogrix s'exclame.)
Je note votre évolution à
ce propos.
Evoquons encore le sort réservé à la prostitution. Croyez-vous vraiment que
les prostituées, notamment les jeunes étrangères, au français plus
qu'approximatif, tiraillées entre le double écueil de la prison et de la
reconduite à la frontière, viendront en masse, au péril de leur vie, dénoncer
leur proxénète ? Non, bien évidemment !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
On ne fait rien !
M. Jacques Mahéas.
On tend là à une prohibition qui ne dit pas son nom, alors que la France est
liée par des engagements internationaux de type abolitionniste. Je vous
rappelle, monsieur le ministre, car vous avez l'air de contester ce point,
qu'il s'agit d'une convention de l'ONU du 2 décembre 1949 que nous avons
ratifiée en 1960. Cela ne date donc pas d'hier !
M. Philippe Nogrix.
C'est un devoir de protéger les enfants mineurs !
M. Jacques Mahéas.
Ces femmes entreront en clandestinité ou seront envoyées sur les trottoirs
d'un autre pays. En attendant, l'affichage sera réussi : le bois de Boulogne,
qui jouxte Neuilly-sur-Seine, aura retrouvé sa verte tranquillité !
M. Dominique Braye.
Caricature, toujours !
M. Jacques Mahéas.
Je vous sens très gênés, mes chers collègues !
M. Dominique Braye.
Il nous en faudrait beaucoup plus !
M. Josselin de Rohan.
Je suis plutôt gêné pour vous !
M. Philippe Nogrix.
Ce qui gêne, c'est le raisonnement !
M. Jacques Mahéas.
Enfin, je voudrais dire un mot des différents fichiers - police, empreintes
génétiques - pour affirmer que le traitement automatisé de données si sensibles
me paraît absolument impensable sans la garantie d'un contrôle judiciaire
strict. L'inconvénient, voyez-vous, c'est que, en tant que maire de
Neuilly-sur-Marne, je sais de quoi je parle !
(M. Dominique Braye et M.
Jean-Jacques Hyest s'exclament.)
Quant au sentiment d'insécurité et à la contre-éducation, au-delà des
remarques que je viens de formuler, si je trouve aussi peu d'intérêt à ce
texte, c'est qu'il manque son objet en traitant non pas d'insécurité, mais de
sentiment d'insécurité.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
L'exposé des motifs de ce projet de loi comprend, en ouverture, la
constatation suivante : « L'insécurité est une réalité inquiétante. Le
sentiment d'insécurité qu'elle nourrit est encore plus grand. Ces deux
phénomènes doivent reculer. »
(M. Dominique Braye s'exclame.)
Je ne me laisserai pas ici entraîner dans un débat galvaudé : je ne nie pas
l'existence de l'insécurité, ni ses conséquences dramatiques.
M. Jean Chérioux.
Mais qu'avez vous fait ?
M. Jacques Mahéas.
En revanche, je ne veux pas croire qu'une importante partie de nos concitoyens
se soient, en avril dernier, réfugiés dans un vote extrême, parce qu'ils
souffraient personnellement de l'insécurité.
M. Dominique Braye.
Mais si !
M. Jacques Mahéas.
Sinon, comment expliquer ce type de vote dans des villages totalement
paisibles ?
Non, ce qui participe du sentiment d'insécurité, que vous qualifiez vous-même
de plus grand que l'insécurité elle-même, c'est aussi la façon dont tout cela
est médiatiquement orchestré et amplifié.
D'ailleurs, ces derniers temps, les faits divers sordides ne manquent pas,
même si leur écho semble plus faible, de l'attentat dont a été victime M.
Delanoë, à la jeune fille brûlée vive par un ex-compagnon, en passant par les
incendies de voitures, le « caillassage » des pompiers à Strasbourg et les
attentats en Corse.
(M. Philippe Nogrix s'exclame.)
Gageons toutefois que la logique de résultat sera bonne : les chiffres de la
délinquance vont baisser. Les techniques de montage des statistiques sont très
subtiles et parions que les préfets, traités comme de bons ou de mauvais
élèves, auront à coeur d'offrir d'honorables résultats !
(Exclamations sur
les travées du RPR.)
Nous connaissons tous des exemples où les commissariats préfèrent déjà les
mains courantes au dépôt de plainte ! Personnellement, j'en connais deux
exemples flagrants à Neuilly-sur-Marne.
Un sénateur du RPR.
Ce n'est pas un bon exemple !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
On a les commissariats qu'on mérite !
M. Jacques Mahéas.
Là encore, monsieur le ministre, vous me paraissez manquer votre objectif en
vous attaquant à ce qui est le plus visible, aux conséquences plutôt qu'aux
causes. Or ces causes sont plutôt a rechercher du côté de ce que j'appellerai
une « contre-éducation », dont les manifestations sont diverses : la télévision
et ses films violents ; les jeux vidéos ou il faut éliminer l'adversaire en
usant de réflexes et non de réflexion ; les rubriques de certains journaux avec
leurs faits divers abjects ; la logique de consommation érigée en valeur par la
publicité omniprésente ; l'argent roi, gagné facilement et parfois gaspillé par
nos édiles, industriels, politiques et sportifs ; la rue, ses phénomènes de
bandes et son commerce parallèle ; l'alcool, dont on mésestime trop souvent les
graves dégâts ; le milieu carcéral ; enfin, l'intégrisme religieux ou
coutumier.
M. Dominique Braye.
Qu'est-ce que vous avez fait depuis cinq ans ?
M. Jean Chérioux.
Cinq ans à ne rien faire et à dormir !
M. Jacques Mahéas.
Ce constat, loin de nous conduire à une dérive sécuritaire, nous inviterait
plutôt à poursuivre les actions éducatives entamées et à accélérer la
consolidation du lien social.
La droite, elle, se gargarise et raille les « droits-de-l'hommiste ». Mais
pensez-vous réellement que l'abbé Pierre puisse être rangé dans une telle
catégorie ?
M. Roger Karoutchi.
Voilà, on y est !
M. Jacques Mahéas.
Chacun connaît son engagement sur le terrain et il n'est d'ailleurs pas anodin
que les premières communautés d'Emmaüs aient vu le jour à Neuilly-sur-Marne et
à Neuilly-Plaisance.
(Rires sur les través du RPR.)
M. Claude Estier.
Il n'y a pas de quoi rire !
M. Jean-Pierre Sueur.
Ce n'est pas risible !
M. Jean Chérioux.
On ne va pas pleurer !
M. Jacques Mahéas.
Or l'abbé Pierre s'inquiète au point de nous soumettre un amendement sur une
insécurité qui vous aura échappé, monsieur le ministre : celle des exclus.
Comme à Sangatte, vous allez déplacer les problèmes, et non pas les résoudre.
Ce projet de loi pour la sécurité intérieure donne l'apparence d'une grande
activité ministérielle, avec une connotation très droitière.
(Exclamations
sur les travées du RPR)
Vous présentez, monsieur le ministre, un ersatz
d'une politique souhaitée par des Français qui flirtent avec l'extrême-droite !
(Protestations sur les mêmes travées.)
M. Dominique Braye.
C'est le catéchisme !
M. Jacques Mahéas.
Non, décidément, monsieur le ministre, nous ne pouvons en aucun cas soutenir
une loi à courte vue, dont la philosophie, explicitement et uniquement
répressive, néglige le fond du problème pour ne s'attaquer qu'à ses apparences
matérielles.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du
groupe CRC.)
M. Bernard Murat.
Avec cela, le Front national est tranquille ! Il continuera de progresser !
M. le président.
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat a
adopté, au mois de juillet dernier, le projet de loi d'orientation et de
programmation pour la sécurité intérieure.
Le texte qui nous est aujourd'hui soumis décline une partie très importante
des orientations que nous avons alors approuvées, monsieur le ministre, et qui
font de la sécurité l'une des priorités de l'action de l'Etat.
Contrairement à ce que vient d'indiquer M. Mahéas, l'ancien ministre de
l'intérieur aurait souhaité pouvoir faire voter ces dispositions
(M.
Dominique Braye s'exclame.)
, mais on ne lui en a donné ni les moyens ni les
outils !
(Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Messieurs de l'opposition, vous avez fait voter, au mois de janvier dernier,
en catastrophe, un certain nombre de dispositions...
M. Roger Karoutchi.
Bien sûr !
M. Jean-Jacques Hyest.
... dont l'esprit était, je le rappelle, dans la droite ligne de celles qui
sont proposées aujourd'hui.
(Marques d'approbation sur les travées du
RPR.)
Il est donc inutile de continuer de parler de ceux qui sont généreux
et de ceux qui sont sécuritaires ! La sécurité, c'est un bien qui est commun !
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
Comme l'a noté la commission des lois, on ne peut que se féliciter de la mise
en oeuvre rapide des engagements pris en ce qui concerne tant les moyens
matériels et humains - bien entendu, ils se développeront au cours des
prochaines années et nous aurons l'occasion d'en reparler, monsieur le
ministre, lors de l'examen du projet de loi de finances - que les instruments
juridiques nécessaires à la conduite d'une politique efficace.
A l'évidence, il ne saurait être question, dans le cadre de la discussion
générale, de développer une appréciation détaillée de chacun des aspects
importants du projet de loi.
Notons que, contrairement à ce qui s'était produit pour la loi d'orientation
de 1995, qui a, comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre, largement
inspiré le dispositif actuel - c'était une grande loi ! -, mais dont beaucoup
d'éléments avaient été abandonnés en chemin, on ne peut qu'apprécier le respect
des orientations approuvées par le Parlement.
Je constate néanmoins que l'insécurité routière, qui est aussi l'un des fléaux
de notre société, fait l'objet d'un projet de loi en cours d'élaboration.
Tout d'abord, le projet de loi vise à assurer une meilleure cohérence de
l'action en matière de sécurité intérieure en ce qui concerne tant la
direction, sur le terrain, des forces de police et de gendarmerie, que les
dispositions en matière de police judiciaire, le traitement automatisé
d'informations et le renforcement des moyens de la police technique et
scientifique.
Sur le premier sujet, il me paraît important que, sans remettre en cause
l'unité de commandement nécessaire des forces de sécurité intérieure, soit
précisée la spécificité de la gendarmerie nationale, dont le statut militaire
s'accompagne de contraintes qui apparaîtraient vite insupportables si l'on
voulait trop rapprocher ce statut de celui de la police nationale. Nous
reviendrons sur cette question lors de l'examen des articles.
Mais l'amélioration de l'efficacité des forces de police et de gendarmerie
passe aussi par des mesures qui relèvent non pas de la loi, mais de
l'organisation de l'Etat.
Qu'il s'agisse des tâches dites « indues », de la meilleure utilisation des
forces mobiles, de la suppression d'un certain nombre de gardiens de la paix ou
de gendarmes, qui attendent paisiblement devant la porte d'une ambassade ou
d'un ministère, de l'externalisation des tâches logistiques
(M. Jacques
Mahéas s'exclame)
, elles contribuent à une véritable réforme de l'Etat,
comme bien sûr le problème récurrent de la meilleure répartition des forces de
police et de gendarmerie sur le territoire. Je n'en dirai pas plus, mais je
sais que vous avez l'intention de poursuivre cette réforme.
Quel que soit l'effort de recrutement, il ne doit pas être consacré à
maintenir des inégalités criantes et se briser sur le conservatisme et le
corporatisme souvent masqués par la défense de grands principes. Nous l'avons
trop vu dans ce domaine.
A ce sujet, et s'il faut donner une priorité à la police de proximité et lui
octroyer les moyens de lutter efficacement contre l'insécurité quotidienne, la
grande criminalité, les réseaux mafieux qui alimentent les trafics d'êtres
humains ou de stupéfiants, la délinquance itinérante nécessitent la coopération
efficace de divers services et un renforcement des moyens et des outils de la
police judiciaire. Au fil des ans, celle-ci avait perdu beaucoup de moyens, ce
qui explique son efficacité relative.
C'est dire que tout ce qui concerne le dispositif relatif aux investigations
policières ne peut qu'être approuvé, bien que je sois un peu dubitatif sur
l'efficacité de la création d'une réserve civile de la police nationale. Est-ce
pour faire un peu comme les gendarmes ?
Quant aux fichiers qui n'avaient pas, jusqu'a présent, d'encadrement
législatif, et sous contrôle de l'autorité judiciaire garante des libertés
publiques, il y a lieu de saluer l'effort de clarification, de même que doivent
être approuvées toutes les dispositions sur la fouille des véhicules et les
dispositifs de contrôle des données signalétiques de véhicules, qui figuraient
déjà dans la loi du 17 janvier 1995.
En revanche, on ne s'étonnera pas que l'article 4 du projet de loi me laisse
plus perplexe compte tenu des débats que nous avions eu à l'occasion de
l'examen de la loi du 4 mars 2002. Je continue à préférer « les indices faisant
présumer » à la notion très ambiguë de « raisons plausibles de soupçonner »,
d'un anglicisme peu fréquent dans notre culture juridique.
Si nous en venons aux dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme,
elles se situent dans la droite ligne de ce que nous avons adopté en février
2002, tant la menace du terrorisme continue à être présente.
En ce qui concerne le chapitre VI, qui a trait aux dispositions relatives à
la tranquillité et à la sécurité publiques, il s'agit de la création de
nouvelles infractions pénales.
Il n'y a rien à dire des articles 20 et 21, qui visent à renforcer la
protection des personnes exerçant une fonction publique ou assimilée et de
leurs familles. Vous avez raison, monsieur le ministre, car nous, c'est-à-dire
l'Etat et les collectivités locales, nous avons le devoir de protéger nos
fonctionnaires. Simplement, il arrive bien souvent que nos dépôts de plainte et
nos constitutions de partie civile n'aient aucune suite.
En revanche, je m'arrêterai sur les articles 19, 21, 22 et 23. Ils
correspondent bien à l'attente de nos concitoyens et des services de police,
ces derniers étant impuissants devant des phénomènes tels que le racolage,
l'occupation illicite de terrains par les gens du voyage, la mendicité
agressive et l'exploitation de la mendicité, sans parler des attroupements dans
les halls d'immeubles.
Certes, nos services ont besoin d'armes juridiques pour combattre ces
comportements qui alimentent le sentiment d'insécurité. Cependant, la question
qui se pose toujours en matière de création d'infractions nouvelles est de
savoir si, en fait, elles ne « doublonnent » pas des infractions existantes.
Il existe déjà, il est vrai, de nombreuses incriminations pour troubles de
voisinage et troubles à l'ordre public mais, à la limite, je préfère des
dispositions pénales précises à des arrêtés municipaux dont la légalité est
aléatoire, et dont les services de police et la justice ont tendance à ne pas
tenir compte, quand ils ne s'en moquent pas totalement !
Sur le problème des gens du voyage, nous avions déploré les insuffisances du
texte dit « Besson » dans ce domaine. Cela étant, le dispositif qui nous est
proposé ici, outre le fait que l'on oblige les communes concernées à assumer
leurs responsabilités légales pour bénéficier des dispositions de l'article 19,
ne résoudra pas tous les problèmes, notamment ceux qui nous sont signalés
périodiquement par les chefs d'entreprise et par les agriculteurs - nous sommes
très touchés dans nos départements de grande couronne -, qui sont régulièrement
confrontés au stationnement sauvage de groupes importants de caravanes. Mais
mon excellent collègue M. Pierre Hérisson évoquera plus complètement ce
dossier.
Quant au racolage passif dont il est proposé de faire un délit - il a retenu
l'attention de certains médias plus que toutes les autres dispositions
importantes du projet de loi - rappelons qu'il fut d'abord une contravention et
que, compte tenu de son inefficacité, à l'époque, cette contravention fut
supprimée.
Lors d'un débat récent - c'était au mois de février -, nous avions toutefois
accepté d'incriminer le fait pour les clients d'avoir recours à des prostituées
mineures, compte tenu du développement du fléau que constitue l'exploitation de
mineures venant d'Afrique ou d'Europe de l'Est.
Aujourd'hui, on va plus loin. Instituer un nouveau délit de racolage passif
permettra, selon ce que vous nous en avez dit, monsieur le ministre, ainsi que
les services de police, de permettre la remontée de filières de prostitution
mafieuses, par la mise en garde à vue des prostituées. En fait, c'est le
but.
D'autres craignent que, loin de les faire diminuer, le nouveau délit ne rende
simplement ces trafics plus souterrains, et donc plus dangereux pour des
prostituées qui demeurent des victimes plus que des délinquantes.
Encore faut-il que le dispositif soit précis. C'est d'ailleurs pourquoi la
rédaction de l'article 225-10-1 nouveau du code pénal a dû être améliorée
(M. le ministre acquiesce)
, des précisions inutiles pouvant, sinon,
donner lieu à des interprétations erronées.
Bien sûr, il faut soutenir avec beaucoup de force les dispositions qui
concernent les prostituées vulnérables, de même que celles qui permettent de
protéger ceux qui dénonceront les proxénètes dont elles sont victimes. A
condition, toutefois, monsieur le ministre, que cette protection soit réelle et
efficace.
M. Jean-Pierre Godefroy.
Rappelez-vous Toulouse !
M. Jean-Jacques Hyest.
On a pu voir, dans le passé que, parfois, la protection s'arrêtait à la porte
du commissariat.
Il faut vraiment organiser une protection efficace si l'on veut que ces
personnes soient effectivement protégées.
M. Claude Estier.
C'est tout le problème !
M. Jean-Jacques Hyest.
Il faut mettre les moyens ! Ce n'est pas une question de lois et de règlements
nouveaux.
Rien ne sert de créer chaque année, comme nous le faisons à un rythme
accéléré, bon an mal an, cinquante ou soixante infractions nouvelles. Ce qui
importe, c'est non pas l'abondance des textes, mais bien la certitude de leur
application.
(M. Charles Gautier s'exclame.)
Nous l'avons constaté, le
caractère aléatoire de la répression des infractions et l'engorgement des
juridictions laissent craindre que, demain comme hier, la chaîne pénale ne
souffre vite de paralysie.
C'est l'un des grands enjeux aussi de la loi d'orientation et de programmation
pour la justice que nous avons votée cet été, car les dispositifs dissuasifs
que vous nous proposez, monsieur le ministre, doivent être accompagnés d'une
réelle politique pénale.
Si la délivrance d'une autorisation de séjour à l'étranger qui dépose plainte
est une mesure utile et protectrice, il faut saluer l'initiative prise par
notre rapporteur et la commission des lois pour compléter le dispositif du
Gouvernement par le texte de la proposition de loi concernant la traite des
êtres humains, votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale.
La lutte contre le trafic d'être humains doit demeurer une priorité, ce qui
exige que les moyens policiers et judiciaires nécessaires y soient affectés.
Monsieur le ministre, nous aimerions savoir si l'office central pour la
répression de la traite des êtres humains bénéficie et bénéficiera de moyens
accrus, car la meilleure manière de lutter contre la prostitution est de
remonter à la source de ces trafics.
Je passe volontairement sur les dispositions relatives aux armes et aux
munitions, tant ce problème semble être, pour les services chargés du contrôle
des armes, l'équivalent du travail de Pénélope. Certes, les événements récents,
tout à fait horribles, justifient l'amélioration du dispositif de limitation
très stricte d'acquisition et de détention d'armes, quelles qu'elles soient,
toutes étant dangereuses. Mais les préfectures sont-elles en mesure d'assumer
la fiabilité du dispositif prévu, comme du dispositif actuel ?
Dernier volet de ce texte et non le moindre, à nos yeux, le titre concernant
la réglementation de la sécurité privée. J'aurais envie de dire : « Enfin ! ».
Cette réglementation remise par deux fois, demandée par les entreprises
sérieuses et qualifiées, ayant fait l'objet de nombreuses consultations, est
une nécessité tant le secteur de la sécurité privée se développe. Compte tenu
de son rôle croissant dans notre société, l'Etat ne saurait se désintéresser de
cette activité qui doit donner des garanties en termes de compétence, de
déontologie et de protection des libertés publiques. Ce projet de loi, même
s'il pourrait faire l'objet de quelques précisions, notamment en ce qui
concerne le convoyage de fonds, marque bien que le Gouvernement ne se
désintéressera pas de ce secteur.
A ce propos, où en est l'application des dispositions de la loi du 15 novembre
2001 ? Je pose la question, car il semble y avoir des difficultés
d'application, notamment pour un certain nombre d'établissements bancaires.
La sécurité, qui est la garantie pour tous les citoyens, où qu'ils se
trouvent, de vivre en « sûreté », justifie parfaitement ce projet de loi compte
tenu du développement de la délinquance violente de voie publique notamment.
Dans une démocratie, la sécurité doit s'accompagner d'une attention toute
particulière portée au respect et à la protection de la liberté individuelle
et, globalement, des libertés publiques. Le législateur doit aussi y veiller,
sans nuire à l'efficacité des services qui, chargés de la sécurité, doivent à
tout moment faire l'objet d'une bonne formation et témoigner d'un grand
discernement.
Surtout, la Constitution confie à l'autorité judiciaire le soin d'être la
gardienne de la liberté individuelle.
L'ensemble doit se situer dans un vaste programme de prévention. Il faut
encore féliciter le Gouvernement de la promptitude et de la cohérence de sa
démarche, mais la discussion de ce texte ne saurait faire oublier la nécessité
de politiques de la ville, de l'éducation et de la justice cohérentes. Nous
savons que c'est aussi la volonté du Gouvernement.
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, personne ne
conteste aujourd'hui - surtout pas nous, parlementaires communistes, élus de
villes populaires - la réalité de la montée de la délinquance dans notre pays,
dont les auteurs sont de plus en plus jeunes et de plus en plus violents.
La lutte contre l'insécurité, qui touche au premier plan les populations les
plus démunies et aggrave leurs difficultés de vie, est devenue une priorité
qu'il convient de prendre très au sérieux.
Cependant, traiter la délinquance nécessite de prendre des mesures sur le
court, le moyen et le long terme, des mesures qui soient appropriées et
proportionnées au résultat recherché. Ce n'est certainement pas en déclarant
l'urgence, à la dernière minute, sur ce texte, monsieur le ministre, que vous
améliorerez le traitement de l'insécurité. Et c'est bien là que le bât blesse
et que nous ne pouvons pas, nous, parlementaires communistes, accepter vos
réponses, monsieur le ministre.
Je précise que mon collègue François Autain interviendra un peu plus tard pour
exposer la position des sénateurs du Pôle républicain sur ce texte.
Avec ce projet de loi, vous affichez, monsieur le ministre, l'ambition de
garantir la sécurité des Français, et d'abord celle des plus pauvres d'entre
eux. Bien ! Qui pourrait s'y opposer ? Personne, évidemment.
Votre texte doit, selon vous, répondre à une triple ambition : améliorer
l'efficacité des forces de sécurité intérieure dans la recherche des auteurs de
crimes et de délits ; moderniser notre droit afin de mieux appréhender
certaines formes de délinquance ; enfin, renforcer l'autorité et la capacité
des agents publics concourant à la restauration de la sécurité.
C'est sans aucun doute le rôle du ministre de l'intérieur.
Cependant, à y regarder de plus près, votre projet de loi, bien qu'il ait été
allégé des quelques fameuses dispositions empiétant notamment sur les
prérogatives de votre collègue de la justice, affiche une conception de l'ordre
public fondée sur l'exclusion et la répression. Je m'explique et je vais
essayer de le faire sans polémique et sans caricature.
Votre « brouillon » initial - comme vous l'avez vous-même nommé - vous aura,
en réalité, permis de tester l'ensemble de votre arsenal répressif auprès de
l'opinion publique pour voir jusqu'où vous pouviez aller en la matière, en
d'autres termes, pour voir ce que les Français étaient prêts à supporter au nom
de cette fameuse lutte contre l'insécurité.
Le premier texte comprenait quatre-vingt-neuf articles, dont la sanction de
l'absentéisme scolaire et tout un pan de réforme de la procédure pénale, avec,
notamment, la remise en cause de la présence de l'avocat dès la première heure
de la garde à vue et de la durée de cette garde à vue, le fait que celle des
mineurs soit désormais calquée sur celles des majeurs, et la sanction du
squat.
Devant le tollé - le mot n'est pas trop fort - que ces mesures ont soulevé
dans les milieux scolaire, judiciaire, associatif ou politique, vous avez fait
officiellement machine arrière.
Je pense, par exemple, à la mobilisation du DAL, qui vous a obligé à retirer
de votre texte la sanction de l'utilisation d'un bien immobilier sans
autorisation.
Ainsi, monsieur le ministre, quand des organisations et des associations se
mobilisent, vous regardez à deux fois avant de créer de nouvelles
incriminations !
M. Roger Karoutchi.
Oh !
M. Robert Bret.
Je constate, pour ma part, que votre action s'attache davantage à lutter non
pas contre l'insécurité elle-même, mais contre le sentiment d'insécurité
qu'elle nourrit.
J'en veux pour preuve l'exposé des motifs du projet de loi, dans lequel vous
indiquez clairement que « le sentiment d'insécurité est plus grand que la
réalité inquiétante de la sécurité ».
Votre texte répond donc bien à une volonté d'affichage politique, et non à la
volonté de lutter contre les causes profondes de cette insécurité. C'est bien
cela que nous vous reprochons !
Vous nous répondez, monsieur le ministre, que vous agissez selon la volonté
des Français pour rétablir les valeurs républicaines. Mais qui peut croire un
seul instant que les Français auraient voté pour une restriction de leurs
libertés ou encore pour une criminalisation de la pauvreté ?
(Exclamations
sur les travées du RPR.)
Depuis la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure du
29 août 2002, c'est bien le soupçon, la répression et la détention qui
prévalent sur la présomption d'innocence et la liberté.
Avec ces dispositions, nous assistons à un véritable recul de la fonction de
juger, fonction qui perd de sa substance avec votre projet de loi.
La procédure pénale est profondément révisée en faveur des policiers. La règle
devient la systématisation de la comparution immédiate, avec les conséquences
que cela entraîne : les droits de la défense sont amenuisés - les juges
n'auront que quelques minutes pour juger - alors que l'on constate déjà une
augmentation du nombre des peines lourdes prononcées à l'issue de ces
audiences.
En juillet dernier, dans les deux lois d'orientation qu'il nous a présentées,
le Gouvernement a principalement pris pour cible la jeunesse, plutôt d'origine
étrangère et issue de milieux modestes ; aujourd'hui, il « récidive » avec les
nouvelles « classes dangereuses » que constituent les catégories les plus
soumises à la pauvreté et à la violence de notre société.
Nous assistons à un véritable durcissement de notre droit pénal là où des
réponses sociales sont nécessaires et font défaut.
C'est non seulement dangereux mais, surtout, monsieur le ministre, inefficace
et contre-productif.
En effet, les premières victimes de violences, ce sont les jeunes. Cette
violence, qui se retourne souvent contre eux-mêmes, s'exprime par le racket,
les viols collectifs, l'utilisation abusive d'alcool ou le recours à la
drogue.
Mais la violence se retourne également contre les populations marginalisées,
les prostituées, les SDF, le plus souvent en lutte pour la délimitation des
territoires de chacun.
Franchement, est-ce l'arsenal répressif qui fait défaut aujourd'hui ? Ou bien
n'est-ce pas plutôt le tissu social qui manque ? Je pense ici à une police
réellement proche, aujourd'hui absente des quartiers, et plus encore aux moyens
d'accompagnement social, d'insertion et de réinsertion.
La solution ne peut consister à augmenter le nombre des arrestations, des
condamnations pénales et donc, à terme, celui des incarcérations.
Que se passera-t-il lorsque ces incarcérations auront atteint des proportions
que nous ne sommes pas en mesure de prévoir aujourd'hui ?
Vous savez d'ailleurs pertinemment que, si l'emprisonnement éloigne les
personnes délinquantes de la société et fait baisser les chiffres de la
délinquance, une fois les peines purgées, l'insertion n'est pas au rendez-vous.
Que proposerez-vous comme projet de réinsertion à ceux qui sortent de prison
?
Elles ne seront pourtant pas coupables de délinquance à vie. Vous devrez les
aider à un moment ou à un autre, alors pourquoi ne pas le faire avant qu'il ne
soit trop tard ?
D'ailleurs, ce texte ne prend pas plus en compte l'aide aux victimes que le
traitement de la récidive. Pourtant, vous n'hésitez pas à indemniser, avant
même d'avoir examiné précisément les cas, et surtout devant les caméras, les
personnes qui ont vu leur voiture incendiée à Strasbourg le mois dernier.
Or, prévoir une aide juridictionnelle efficace participe aussi, monsieur le
ministre, à la lutte contre l'insécurité.
En bref, vous souhaitez ni plus ni moins mettre sous tutelle policière et
pénale des personnes qui sont déjà marginalisées par leur mode de vie.
Alors que vous vous présentez comme le défenseur des Français les plus
pauvres, vous les considérez en réalité comme des citoyens de seconde catégorie
qu'il faut soumettre à un contrôle qui deviendra permanent puisque, de par leur
statut, ils sont soupçonnés par avance de déviance morale et criminelle. Avec
vous, les pauvres sont devenus coupables de l'être !
En résumé, votre texte criminalise la différence en rejetant de la société
ceux qui en étaient déjà partiellement écartés.
Vous décidez de fermer les yeux sur ceux qui ont délibérément choisi la
délinquance, qui doivent être distingués de ceux qui rencontrent la délinquance
sans l'avoir choisie, le plus souvent pour une question de subsistance.
Ce sont les premiers qu'il faut sanctionner, alors que les seconds doivent
être accompagnés dans un processus de socialisation et de retour à une vie
normale.
Par votre texte, monsieur le ministre, vous faites le choix délibéré de
substituer le policier au juge et à l'éducateur, alors même que notre pays a
besoin d'une véritable politique de prévention de la délinquance et de la
récidive.
Or, l'on sait - et vous le premier - que le taux de récidive est moins
important chez les condamnés qui ont bénéficié d'une libération conditionnelle
que chez ceux qui ont purgé la totalité de leur peine.
C'est bien la preuve que la prison n'est pas la solution pour enrayer la
délinquance et l'insécurité.
Monsieur le ministre, pourquoi procédez-vous à une telle surenchère pénale
alors que les parquets n'utilisent que 200 des 12 000 infractions qui sont
actuellement répertoriées dans le code pénal ? Pourquoi ne pas exploiter
correctement l'arsenal juridique dont nous disposons, monsieur le ministre ?
Est-il vraiment nécessaire de créer de nouvelles infractions ?
Je pense plutôt qu'il convient en priorité de donner à la justice les moyens
d'accomplir ses missions en utilisant correctement les infractions qui sont à
sa disposition. Cela s'impose d'autant plus que la justice est déjà encombrée
par le développement de la judiciarisation dans notre pays.
Vous n'hésitez pas à étendre le champ d'application des fichiers de police et
des empreintes génétiques de façon démesurée, les conditions d'entrée et de
sortie n'étant pas définies de façon claire, monsieur le ministre.
Il est possible d'être fiché à n'importe quel âge, y compris en cas de
non-lieu. Nous avons déposé un amendement afin de modifier ces dispositions.
Par cette extension de l'utilisation des fichiers, vous rendez inexistant le
contrôle de la justice sur l'action d'une police dont le pouvoir
d'investigation est bien trop vaste.
Tous les citoyens sont concernés et non pas simplement les plus démunis.
Croyez-vous qu'ils accepteront, parce qu'ils seront simplement soupçonnés dans
une affaire ou, pire, entendus comme simple témoin, d'être fichés, y compris
génétiquement, sans avoir jamais été reconnus coupables ? Je ne le pense
pas.
Le pouvoir donné à la police dans ce domaine est disproportionné par rapport
aux libertés publiques, au droit de chacun et au respect de la vie privée.
Par ailleurs, le principe de la présomption d'innocence est mis à mal dans ces
dispositions. Mais cela ne vous dérange certainement pas, monsieur le ministre,
vous qui ne cessez de stigmatiser la loi du 15 juin 2000 sur la présomption
d'innocence, qui serait, selon vous, un frein à l'investigation policière.
Nous émettons les mêmes doutes et les mêmes critiques à l'encontre des
dispositions facilitant la fouille des véhicules. Encore une fois, le citoyen
lambda
ne sera plus protégé par notre droit puisque son véhicule pourra
être immobilisé pendant trente minutes au bord de la route au seul motif qu'une
infraction a eu lieu dans ce périmètre. C'est la porte ouverte à tous les
arbitraires !
Nous avons déposé des amendements tendant à la suppression pure et simple de
la possibilité donnée à la police de fouiller les véhicules dans les conditions
prévues par le texte.
Ce ne sont pourtant pas les seules dispositions critiquables de ce projet de
loi.
Le chapitre VI, qui traite de la tranquillité et de la sécurité publiques,
prévoit pêle-mêle des dispositions à l'encontre des prostituées, des gens du
voyage, des mendiants, des jeunes se rassemblant dans les halls d'immeubles.
A croire que ce sont des personnes dangereuses et que, pour préserver la
tranquillité et la sécurité, il n'est pas d'autre moyen que de les mettre en
prison ! Vous avouerez, monsieur le ministre, que c'est un traitement social de
la misère quelque peu réducteur !
En effet, les mesures dirigées contre les prostituées sont en totale
contradiction avec le travail qu'effectuent les associations dans ce domaine.
Vous le savez.
Seules les personnes qui se prostituent sont visées par votre texte, qui punit
le racolage de 6 mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende.
Les personnes qui, par leur tenue vestimentaire ou par leur attitude, se
livrent au racolage sont visées. L'amendement que le Gouvernement a déposé ce
matin ne prévoit pas, à ce sujet, une véritable amélioration. La
caractérisation de l'infraction sera bien difficile à établir, monsieur le
ministre !
Les prostituées seront les nouvelles victimes des policiers, qui choisiront
arbitrairement d'arrêter une fille, selon qu'ils considéront qu'elle porte, ou
non, une tenue provocante.
Par ailleurs, ne vous trompez pas de cible, monsieur le ministre, ce ne sont
pas les prostituées qu'il faut mettre en prison : le trottoir en est souvent
déjà une, qui leur est imposée par leur proxénète.
Ce sont ces derniers qu'il faut poursuivre. Malheureusement, une simple action
au niveau national n'est pas suffisante, vous l'avez dit tout à l'heure.
Pourquoi n'instaurez-vous pas une coopération européenne afin de lutter non pas
contre une vague d'immigration que vous semblez redouter, mais contre ces
proxénètes qui dirigent le plus souvent leurs réseaux depuis les pays de l'Est
?
Pourquoi criminaliser des personnes qui sont déjà marginalisées et le plus
souvent victimes des violences de leurs souteneurs, bien sûr, mais aussi des
autres prostituées ? Leur réinsertion est déjà délicate à mettre en oeuvre,
elle le sera encore davantage après un séjour en prison.
Nous nous opposons au traitement que vous voulez infliger aux prostituées.
Nous défendrons un amendement tendant à la suppression de ces dispositions.
Quant aux gens du voyage, les sanctions proposées sont également synonymes de
rejet, même si les communes ne peuvent engager de poursuites que si elles se
sont conformées à la loi Besson, ce qui doit être remarqué. Il est encore une
fois prévu des sanctions là où une politique d'accueil correctement appliquée
aurait constitué un point de départ à l'intégration des populations nomades.
Faut-il rappeler, par ailleurs, qu'il est déjà possible d'agir en cas de
violation d'une propriété ou de dégradations commises sur celle-ci, monsieur le
ministre ? Pourquoi créer de nouvelles infractions là où il en existe déjà ?
Vous nous répondez que cette mesure incitera les maires à se mettre en
conformité avec la loi Besson, c'est-à-dire que l'on ajoute des dispositions au
code pénal pour que les élus appliquent la loi Besson ! Où va-t-on ?
La même critique peut être formulée à l'encontre les dispositions relatives à
la mendicité. Le maire, en tant que détenteur d'un pouvoir de police
administrative, peut déjà intervenir en cas de trouble à l'ordre public dans sa
commune, à condition d'édicter un arrêté dont la portée soit adaptée et
proportionnée aux risques et que celui-ci ne contienne pas d'interdiction
générale et absolue, au regard des nécessités de l'ordre public.
S'agissant de sanctionner « la demande de fonds sous contrainte », comment
qualifier objectivement l'agressivité, monsieur le ministre ?
Cette mesure ouvre largement la voie à l'arbitraire policier. C'est d'autant
plus inadmissible dans un Etat de droit que l'extorsion s'applique déjà à ce
genre de situation, puisqu'elle consiste, aux termes de l'article 312-1 du code
pénal, à obtenir par la violence, par la menace de violences ou par la
contrainte, notamment la remise de fonds.
Voilà qui peut répondre au souci de sanctionner la mendicité agressive et qui
est de nature à montrer que votre article concernant la demande de fonds sous
contrainte n'a pas beaucoup de sens.
En ce qui concerne les rassemblements de jeunes dans les halls d'immeubles,
depuis la loi Vaillant sur la sécurité quotidienne - que les parlementaires
communistes n'ont d'ailleurs pas votée - les policiers peuvent intervenir à la
demande des bailleurs pour dégager les parties communes d'immeubles, ce qui se
solde généralement par une procédure pour outrage à policier et rébellion.
Mais, le plus souvent, ce sont les élus locaux qui se trouvent démunis face
aux nouvelles formes de délinquance.
Les élus locaux et leurs concitoyens, particulièrement ceux que je connais le
mieux, sont aux prises avec les difficultés sociales et ils constatent de
surcroît les trafics en tous genres, l'économie parallèle, la violence, la
drogue. Ils attendent une politique concertée, monsieur le ministre.
Cette politique doit mettre en oeuvre des outils appropriés contre les
trafics, qu'il s'agisse de la police et de la justice, au niveau nécessaire.
Elle requiert une police de proximité formée et insérée dans les quartiers, des
mesures éducatives et de prévention pour les jeunes et une prise en charge
effective, dans la durée, de ceux qui sont les plus marginalisés, pour
favoriser l'insertion et la dignité des populations les plus fragilisées.
Nous avons d'ailleurs déposé des amendements qui tendent à supprimer les
sanctions mal adaptées aux situations rencontrées par les gens du voyage, les
mendiants et les jeunes.
Autrement dit, chers collègues, nous estimons que ce texte affiche une
politique de répression, d'enfermement et d'exclusion dont les conséquences
peuvent être graves, y compris pour les policiers, monsieur le ministre, alors
que la prévention et le traitement en sont absents.
Mais est-ce si surprenant ? Cette politique pénale répressive n'est-elle pas
le corollaire de la politique économique et sociale ultralibérale que le
Gouvernement est en train de mettre en place avec les privatisations, la baisse
des impôts et des charges sociales, la remise en cause de la solidarité
nationale dans le financement de la sécurité sociale, la diminution de postes
dans la fonction publique, la suppression des services publics de proximité,
les licenciements, la réforme des retraites, la suppression des emplois-jeunes
?
Votre gouvernement a décidé de s'occuper des populations dites « à problèmes
», c'est-à-dire celles qui ne se soumettent pas docilement à l'impératif du
travail flexible, par la voie pénale.
Nous assistons à la mise en place d'une gestion sécuritaire et policière de
l'Etat dont les fonctions régaliennes sont réduites à leur plus simple
expression : police, défense et justice.
Voilà l'investissement de l'Etat dans la société que la République propose
désormais aux citoyens ! Nous sommes bien loin de l'Etat providence, monsieur
le ministre.
Pour accompagner la lutte contre la délinquance, les crédits accordés au
ministère de l'intérieur dans le projet de budget pour 2003 augmentent de
manière significative, de même que ceux qui sont alloués aux ministères de la
justice et de la défense.
En 2003, les moyens de la police nationale atteindront 5,45 milliards d'euros,
soit une hausse de 5,8 % par rapport à 2002 ; ceux de la gendarmerie
s'élèveront à 4,26 milliards d'euros, soit une progression de 8,4 %.
Les maires sont cependant inquiets. J'ai reçu une lettre du préfet des
Bouches-du-Rhône indiquant que deux gendarmeries et quatre commissariats
étaient visés par le projet de restructuration et de redéploiement que vous
envisagez. J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec des maires qui pensent au
contraire qu'ils risquent de se trouver encore plus démunis face à
l'insécurité.
Les budgets des trois domaines régaliens privilégiés par le Gouvernement sont
en forte hausse, alors que les budgets à caractère éducatif ou social qu'il
s'agisse de l'éducation nationale, de la protection sociale, du logement ou de
la politique de la ville, sont en diminution.
Or il faudrait par exemple créer de nouvelles structures d'accueil et
d'hébergement pour les sans-domicile fixe, les prostituées et les gens du
voyage - notamment pour les grands rassemblement qui sont de la responsabilité
de l'Etat - et de nouveaux centres de vie au sein des quartiers dits «
sensibles ».
Ces derniers auraient vocation à accueillir des jeunes, le plus souvent
déscolarisés et sans repères, ceux-là mêmes qui se réunissent dans les halls
d'immeubles et que vous préférez mettre en prison, monsieur le ministre !
M. Roger Karoutchi.
Oh !
M. Robert Bret.
Il aurait été également préférable de créer des programmes efficaces
d'insertion et d'alphabétisation.
Les populations visées nécessitent avant tout des réponses sociales en termes
de logements sociaux, ou encore d'aides sociales pour les sans-logis, réduits à
la mendicité.
Monsieur le ministre, conformément à l'engagement pris par le Parlement dans
la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions du 29 juillet
1998, « la lutte contre les exclusions est un impératif national fondé sur le
respect de l'égale dignité de tous les êtres humains et une priorité de
l'ensemble des politiques publiques de la nation ».
Le Gouvernement décide pour sa part d'apporter des réponses pénales en aval,
telles que la prison, plutôt que de privilégier, en amont, la prévention de la
délinquance et de la récidive.
Dans ces conditions, vous comprendrez que les sénateurs communistes refusent
de s'associer à un texte qui relève plus de la stigmatisation, de l'affichage
politique, de la démagogie pour rassurer les Français que d'une réelle volonté
de s'attaquer de manière efficace et en profondeur au problème de l'insécurité.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. -
Exclamations ironiques sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Jacques Peyrat.
M. Jacques Peyrat.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la liste des
formes de délinquance et de criminalité auxquelles l'Etat doit faire face dans
sa mission de maintien de l'ordre, de la sécurité, de la tranquillité publics
est longue : proches de nous, le drame de Nanterre ou celui de Chambéry, les
tentatives d'assassinat du Président de la République et du maire de Paris,
l'agression de policiers, de pompiers, de convoyeurs de fonds, de conducteurs
de bus, la prolifération de la prostitution et du proxénétisme, l'exploitation
de la mendicité, les agressions verbales et physiques, les agressions, parfois
mortelles, de jeunes filles.
Se contenter d'effectifs et de moyens matériels et financiers supplémentaires
n'aurait pas suffi à enrayer le processus de délinquance croissante dans lequel
notre pays s'est engouffré.
Je me félicite donc des orientations de ce projet de loi qui visent non
seulement à permettre d'appréhender plus efficacement la délinquance et
certaines formes de criminalité, mais qui s'attachent également à restaurer
l'autorité de l'Etat et à prendre en considération les risques liés au
terrorisme et aux armes à feu.
Depuis un certain temps, des voix s'élèvent et ce que nous appelons, dans le
comté de Nice, le « festin des reproches » se développe, alimenté par
différents collectifs politiques, syndicaux, de défense, voire parfois
confessionnels et d'associations.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
L'abbé Pierre !
M. Jacques Peyrat.
Mais notre devoir, je crois, consiste à dire les choses telles que nos
concitoyens les ressentent majoritairement dans le pays et à provoquer les
changements susceptibles de répondre à leur attente et, partant de là, outre le
fait de satisfaire celle-ci, de réconcilier les Français avec la vie
publique.
Je pense, bien évidemment, à la majorité de notre population telle qu'elle
s'est exprimée aux dernières élections présidentielles et législatives, même si
je comprends que se dressent des opposants, quelques minorités, des groupes de
pression et de vertueux moralistes.
Les atermoiements du gouvernement qui a précédé le vôtre, monsieur le
ministre, impliquaient un changement radical. Ce changement, vous l'insufflez à
travers le projet de loi que vous nous proposez.
Il y a quelques jours, un quotidien nous révélait que, à l'occasion d'un
colloque judiciaire organisé par des avocats d'un barreau prestigieux, certains
d'entre eux, et même des magistrats et des professeurs, avaient révélé puiser,
« dans l'acharnement primitif qui se donne libre cours dans la société
française, des raisons d'inquiétude, craignant une surenchère pénale lourde
d'effets pervers ».
Le rédacteur de l'article mentionnait dans son propos Montesquieu : « Les lois
inutiles affaiblissent les lois nécessaires. »
Peut-être étiez-vous visé, monsieur le ministre, peut être était-ce le sens -
pour partie tout au moins - de l'intervention de celui qui m'a précédé à cette
tribune. Aussi me suis-je posé la question suivante : quelles sont les lois
nécessaires ?
Assurément, ce sont celles qui permettent aux citoyens de vivre ensemble,
toutes origines, toutes conditions sociales, tous âges confondus, dans les
hameaux, les villages, les villes, les agglomérations qui composent le
territoire national.
Ceux qui, comme la plupart d'entre nous, ont pour charge d'administrer nos
communes savent bien les atteintes de nature diverses, nombreuses, réitérées,
qui menacent, jour après jour, la sécurité et, partant de là, la liberté de
ceux qui y résident, perturbant la tranquillité de leur vie quotidienne,
entravant l'éducation des enfants, la vie professionnelle, l'épanouissement de
la vie conjugale et familiale, les loisirs et la retraite de leur fin de
vie.
L'accroissement considérable de la délinquance qui a été constaté dans nos
villes d'abord et l'est maintenant dans nos campagnes vient bouleverser la vie
de chacun, de la simple agression verbale ou de la contrainte physique jusqu'à
l'homicide, voire à l'attentat terroriste, en passant par la menace, le vol, le
racket, le lynchage, le viol, qui n'épargnent ni le domicile, ni l'école, ni
les commerces, ni les services des urgences de l'hôpital, ni même, hélas ! le
cimetière, paisible lieu de recueillement dans le souvenir des disparus.
Les maires comme les présidents d'agglomération ou de communauté assistent
dans les communes, surtout lorsqu'il s'agit de villes, voire de grandes villes,
non seulement à une progression inquiétante de la délinquance, qui se mesure à
l'augmentation statistique des crimes et délits, mais aussi au développement et
à l'aggravation d'agissements qui portent atteinte à la tranquillité et à la
sécurité publiques, agissements qui font l'objet des dispositions du chapitre
VI du présent projet de loi.
C'est sur les articles 18 à 29 qui composent ce chapitre que je souhaite
poursuivre mon intervention.
Les responsables locaux constatent le développement inquiétant de la
prostitution dans les artères de leurs villes, où non seulement le racolage le
plus intempestif se déroule sous leurs yeux,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Outrage public !
M. Jacques Peyrat.
... mais où les ébats dans les voitures et les résultats apparents de ceux-ci
sur les trottoirs, sur les pelouses et dans les squares provoquent
l'indignation - sauf la vôtre, monsieur Dreyfus-Schmidt - et le malaise des
habitants.
« Parlez vrai », avez-vous dit tout à l'heure, souffrez, monsieur le ministre,
un arrêt sur image.
M. Charles Gautier.
Quel théâtre !
M. Jacques Peyrat.
Dans la seule ville de Nice, 47 360 délits ont été constatés en 2001, soit une
augmentation de 11,85 % en un an, bien supérieure à celle - plus 6,1 % - qu'a
connue le département et plus élevée que la moyenne nationale, qui s'est
établie à 7,69 %.
A Nice, la délinquance touche chaque année, 10 000 visiteurs étrangers, qui
représentent 20 % des victimes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et que fait le maire ?
M. Jacques Peyrat.
Quant à la prostitution, la direction centrale des affaires sociales et de la
santé publique de la ville de Nice, que je dirige, en symbiose avec le service
de prévention et de réadaptation sociale, a répertorié 443 prostituées sur le
territoire communal.
Mme Nicole Borvo.
Combien de clients alors ?
M. Jacques Peyrat.
Quatre-vingts sont françaises, 322 proviennent de l'Est ; la Bulgarie, dont
vous parliez tout à l'heure, monsieur le ministre, étant la championne avec 132
ressortissantes.
Mme Nicole Borvo.
Il doit y avoir plus de clients qu'à Paris !
Mme Hélène Luc.
On dirait qu'il découvre ça aujourd'hui !
Mme Nicole Borvo.
A Nice, en plus !
M. Jacques Peyrat.
Un tiers sont des hommes ou des travestis, deux tiers sont des femmes.
Remarque qui revêt une importance particulière, nos services sociaux ont
rencontré depuis le début de cette année 245 nouvelles prostituées.
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Eh bien !
M. Jacques Peyrat.
Il ne s'agit là que des formes que revêt cette activité sexuelle. Un débat sur
la prostitution s'ouvrira peut-être un jour mais, d'ores et déjà, on peut se
demander si une loi n'est pas nécessaire.
Les maires assistent, impuissants, au « caillassage » des véhicules de police
municipale ou de police nationale dans leurs missions de maintien de l'ordre,
ou des véhicules de sapeurs-pompiers dans leurs missions de secours, et même
des véhicules du SAMU, des infirmiers, des sages-femmes, des médecins, ainsi
que des chauffeurs de bus dans leur mission de transport.
Une loi n'est-elle pas nécessaire ?
Les maires le savent, certains habitants quand ils rentrent chez eux à la fin
d'une journée de travail doivent subir de la part de jeunes dans le hall de
leur immeuble sarcasmes, insultes, brimades, menaces d'agression, puis monter à
pied dans les étages, l'ascenseur ayant été détraqué pour entreposer de la
drogue au fond de la cage.
Une loi n'est-elle pas nécessaire ?
M. Charles Gautier.
Pas pour réparer l'ascenseur !
M. Jacques Peyrat.
Les maires doivent-ils continuer d'accepter, ainsi que les propriétaires
privés de terrains, qui sont souvent des travailleurs de la terre, l'invasion
inopinée de leur propriété par des nomades qui saccagent leurs plantations et
leurs barrières, se branchent sur leurs compteurs électriques ou leur bouche
d'eau, salissent, ravagent, puis repartent avec leurs caravanes et leurs
véhicules, souvent rutilants d'ailleurs, pour revenir quelques mois après,
quant tout aura été réparé ?
Une loi n'est-elle pas nécessaire ?
Les maires ne peuvent endiguer dans les rues, les squares, les jardins, la
venue de marginaux, souvent jeunes, avec des chiens, en provenance de l'Europe
de l'Est...
M. Marcel Debarge.
Les chiens ?
M. Jacques Mahéas.
Le danger vient toujours de l'Est !
M. Jacques Peyrat.
... pratiquant une mendicité violente et agressive avec parfois l'apport de
pauvres handicapés « importés » et surveillés par des réseaux mafieux
d'exploiteurs de la détresse et de la générosité des hommes.
Une loi n'est-elle pas nécessaire ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Non !
M. Jacques Peyrat.
Pour aider les présidents de club à lutter contre les bandes de marginaux qui
viennent polluer les rencontres sportives en jetant des bouteilles, des
projectiles de toute nature, des pétards et provoquent des bagarres qui
pourrissent ces manifestations, ne faudrait-il pas que ces marginaux soient
contrôlés, fouillés, palpés s'il le faut, par les services de sécurité ?
Une loi n'est-elle pas nécessaire ?
Les braves gens qui vivent normalement leur vie de couple dans la cité, qui
prennent le risque de faire des enfants, qui travaillent, qui payent leurs
impôts grâce auxquels vivent et se développent les collectivités et la nation
toute entière, n'ont-ils pas plus que ceux qui les importunent, les menacent,
les salissent, les angoissent, les agressent, droit à la tranquillité et à être
protégés ?
Une loi n'est-elle pas nécessaire pour garantir la vie collective et
communautaire sur tout le territoire de la République ?
Je réponds si, bien entendu.
M. Jean-Patrick Courtois,
rapporteur.
Nous aussi !
M. Jacques Peyrat.
Paraphrasant Montesquieu, à mon tour, je pourrais dire que les contestations
inutiles affaiblissent les lois nécessaires.
Nous vous savons gré, monsieur le ministre, de votre fermeté et de votre
opiniâtreté, nous savons gré au gouvernement auquel vous appartenez, dans
lequel vous assurez les fonctions difficiles de ministre de l'intérieur, de son
courage à afficher une volonté différente de celle du gouvernement qui l'a
précédé. Ne vous préoccupez pas de ceux qui vous reprocheront sans doute de
faire précisément ce qu'ils auraient dû faire mais qu'ils n'ont pas voulu
mettre en oeuvre !
Dans la préface de
L'homme révolté
, Albert Camus écrivait : « Le jour
où le crime se pare des dépouilles de l'innocence, par un curieux renversement
des valeurs propres à notre temps, c'est l'innocence qui est sommée d'avoir à
fournir ses justifications. »
Mme Nicole Borvo.
Oh là là !
M. René Garrec,
président de la commission.
On n'est pas obligé d'aimer Camus...
M. Jacques Peyrat.
Il n'en sera plus ainsi. Grâce à votre projet de loi, que nous voterons avec
soulagement et enthousiasme, chacun retrouvera sa place, l'honnête citoyen,
enfin protégé par la loi,...
Mme Nicole Borvo.
Les bons pauvres et les mauvais pauvres !
M. Jacques Peyrat.
... comme celui qui l'enfreint, soumis à la rigueur des nouvelles règles qui,
je l'espère, seront mises le plus vite possible en application par le
Gouvernement et appliquées avec fermeté par nos tribunaux.
(Applaudissements
sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste. - Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe
CRC.)
M. Jean-Pierre Sueur.
Ce n'est pas ainsi qu'il faut lire Camus !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il n'aurait pas été content d'être cité par vous !
M. Jacques Peyrat.
Vous criez dans le désert ! Et je n'ai pas de leçon à recevoir de vous dans le
domaine de la lecture !
Mme Nicole Borvo.
Nous non plus !
M. Jacques Peyrat.
Décidément, cela ne leur plaît pas ! Je ne sais pourquoi d'ailleurs...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
On est contre Le Pen depuis longtemps !
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod !
M. Paul Girod.
Monsieur le ministre, votre projet de loi comporte, me semble-t-il, deux
aspects assez différents, dont l'un - il vient d'en être assez largement
question dans les interventions précédentes - attire l'attention des foules et
des médias, et suscite, çà et là, des polémiques dont je ne crains pas de dire
qu'elles sont assez largement artificielles ou convenues.
M. René Garrec,
président de la commission.
Tout à fait !
Mme Nicole Borvo.
Ah bon ?
M. Paul Girod.
Pour ma part, monsieur le ministre, j'approuve pleinement cet aspect du projet
de loi.
M. René Garrec,
président de la commission,
et M. Jean-Patrick Courtois,
rapporteur.
Très bien !
M. Paul Girod.
Donner à la puissance publique, qui reçoit ses pouvoirs du peuple, les moyens
de protéger celui-ci contre les agissements agressifs, intimidants, dolosifs ou
dégradants de voyous trop longtemps protégés par la culture de l'excuse me
semble normal.
Cela doit même être encouragé, car cette culture de l'excuse, qui a régné
pendant des années, a eu pour résultat de terroriser la société, de paralyser
la police et la justice, de désespérer les victimes, lesquelles n'osent même
plus porter plainte. Bref, elle a été le terreau de ces réseaux parallèles
dominés par de petits caïds - parfois lieutenants de grands caïds - que l'on
doit aujourd'hui briser sans pitié.
Or, si j'ai bien compris les événements du jour, monsieur le ministre, nous
assistons, dans une localité du nord de la France, à la lutte terminale de
caïds ayant prospérés pendant fort longtemps et qui, privés de leur capacité de
nuisance, organisent l'opposition au retour à l'ordre normal.
C'est précisément la caricature de ce à quoi vous entendez vous attaquez,
monsieur le ministre.
(M. le ministre acquiesce.)
Je vous soutiendrai sans faiblesse, sous une seule réserve, mais elle est
essentielle.
Les forces de l'ordre doivent se garder de toute dérive et être en permanence
guidées par l'éthique. Le soutien général qui leur est accordé ne doit en aucun
cas être prétexte à des abus de pouvoir. Cela irait à l'encontre de la remise
en ordre de notre société que nous appelons de nos voeux.
Nous vous connaissons d'ailleurs assez, monsieur le ministre, pour ne pas
douter que vous serez aussi intraitable sur ce point que sur les autres et,
d'avance, je vous en remercie ; nous serons néanmoins très vigilants.
D'autres aspects de votre texte sont passés plus inaperçus aux yeux des médias
et n'ont pas fait l'objet de procès d'intention - cela s'explique d'ailleurs
aisément : je veux parler du volet ayant trait à la lutte contre le terrorisme,
problème sur lequel mes responsabilités de président du Haut Comité français de
défense civile m'amènent à me pencher depuis plusieurs années déjà.
J'ai constaté avec une certaine satisfaction, monsieur le ministre, que vous
vous étiez fortement attaché à faire en sorte que cette lutte contre le
terrorisme ne soit pas marquée du sceau de la précarité. Cela ressort notamment
des dispositions de l'article 13 concernant la consultation des traitements
automatisés de données personnelles et la protection des secteurs de sécurité
des installations prioritaires de défense et de celles de l'article 17, qui
reprend en partie la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité
quotidienne, laquelle présentait l'inconvénient de n'être applicable que
jusqu'en 2003, alors que nous savons bien que, malheureusement, la lutte contre
le terrorisme se prolongera bien au-delà. Que cela plaise ou non à nos
compatriotes, la France est potentiellement une nation agressée. Il faut que
nous le sachions !
Cela m'amène, monsieur le ministre, à m'attarder un instant sur l'article 17
de l'ordonnance n° 59-147 du 7 janvier 1959, qui décrit le rôle du ministre de
l'intérieur en matière de défense civile. On confond souvent la défense civile
et la sécurité civile, or il s'agit de deux notions totalement différentes.
En effet, la sécurité civile, c'est la protection des populations, c'est
peut-être le bras armé de la défense civile, mais ce n'est pas la défense
civile. La défense civile, c'est la nation en éveil, sous la conduite du
ministre de l'intérieur, comme le dispose l'article 17 de l'ordonnance de 1959,
que vous connaissez sûrement par coeur, monsieur le ministre !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Sûrement !
(Sourires.)
M. Paul Girod.
Permettez-moi, à l'occasion de ce débat, d'exprimer le souhait que,
parallèlement aux mesures de remise en ordre de la société courante, vous
preniez, dans les mois à venir, des initiatives visant à la remise en ordre
intellectuelle de cette même société. Il convient de lui rappeler qu'elle est
menacée en permanence, que sa défense est son affaire et celle de tous les
citoyens et que les moyens de protection que vous êtes chargé de mettre en
oeuvre ne peuvent être efficaces que dans la mesure où vous remplissez, au sein
du Gouvernement, le rôle de coordination qui incombe au ministre « pilote » de
la défense civile.
Monsieur le ministre, nous parlons beaucoup de sécurité intérieure : la
défense civile en est l'un des aspects, et je souhaite donc que, dans les mois
à venir, d'autres textes viennent compléter, à cet égard, le dispositif que
vous nous présentez aujourd'hui. Dans la pratique, nous devons devenir une
nation adulte, où l'on ne renonce pas à organiser des exercices préventifs de
protection sous prétexte que cela risquerait d'affoler les populations. C'est
précisément en se masquant la vue devant la réalité de la dérive criminelle que
l'on a abouti à la situation actuelle en matière de délinquance : souhaitons
que l'on n'adopte pas la même attitude face aux menaces que nous avons à
affronter.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Bernard Plasait.
M. Bernard Plasait.
Monsieur le ministre, je trouve vraiment étonnant que vous ayez réussi à faire
mentir Voltaire.
M. Jean-Pierre Sueur.
Voltaire, dites-vous ?
M. Bernard Plasait.
« Le secret d'ennuyer est celui de tout dire », disait-il, or vous avez
réussi, monsieur le ministre, à tout dire tout en nous passionnant jusqu'au
bout.
(Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Mahéas.
La brosse à reluire !
M. Bernard Plasait.
Bravo, et merci ! En effet, cette performance m'a conduit à supprimer de
nombreux passages de mon texte, par lesquels j'aurais bien voulu dire la même
chose que vous, mais en termes trop peu éloquents pour que je puisse les
conserver ! Mes collègues y gagneront, puisque je parlerai moins longtemps.
(Marques d'amusement sur les mêmes travées.)
Cela étant, je voudrais dire ma stupeur devant l'accueil que certains ont cru
devoir réserver à vos initiatives, monsieur le ministre.
Face à la cohérence et à l'équilibre du dispositif que vous avez élaboré pour
restaurer la sécurité des biens et des personnes dans notre pays, je croyais
que les vieilles lunes du passé n'étaient plus de mise. C'était, hélas ! une
erreur.
En effet, la nouvelle opposition et ses relais médiatiques poussent des cris
d'orfraie depuis qu'un grand quotidien du soir a, le 27 septembre dernier, jugé
urgent de divulguer un « brouillon » d'avant-projet de loi pour la sécurité
intérieure auquel les services de votre ministère travaillaient. Verdict
immédiat, en forme de réflexe de Pavlov : « Toutes ces mesures en direction des
prostituées, squatters, gens du voyage, étrangers, jeunes trop bruyants ou
élèves trop absents, en pénalisant des comportements déviants, témoignent d'un
renoncement à régler autrement que par la répression les petits désordres de
voie publique. » Et ce journal de conclure son éditorial par un avertissement
jupitérien : « Avec ce projet, qui procède d'une vision policière de la
société, ce sont bel et bien les libertés individuelles qui se trouvent
menacées. »
M. Charles Gautier.
Eh oui !
M. Bernard Plasait.
Vision policière, liberté menacée : les « gros mots » sont lâchés, voici
revenus les délires d'antan sur le « tout répressif » !
Pourtant, la France qui souffre, celle des victimes anonymes et silencieuses
de l'insécurité, ne doute pas qu'il est grand temps de rétablir le règne de la
loi. Ce que demande le peuple, c'est que l'on arrête la violence en arrêtant
les violents, que l'on mette fin au scandale de l'impunité en rétablissant la
sanction.
Depuis des dizaines d'années, l'idéologie dominante rêvait d'un modèle
préventif qui permettrait, croyait-on, d'éviter toute répression. La grande
habileté du diable, c'est de faire croire que le mal n'existe pas, que
l'individu ne doit pas être puni, puisque ce sont les autres, la société, qui
sont responsables de tout. On mesure aujourd'hui les dégâts de cette utopie.
Quand la violence est partout, c'est que la prévention de la violence a échoué,
et il faut trouver des remèdes, sauf à être dur aux faibles, c'est-à-dire
injuste, en faisant preuve de trop de sollicitude pour les violents. Quand le
feu est à la maison, il faut penser d'abord aux victimes ! Le traitement social
des pyromanes peut attendre un peu !
Mais peut-on, sans être traité de brute épaisse, faire l'éloge raisonné de la
sanction ? Peut-on faire un éloge de la répression - voyez ma témérité, j'ose
le mot ! - un éloge posé, aussi ferme que mesuré, qui s'inscrirait dans le
droit fil d'une vérité trop longtemps négligée, qu'énonçait déjà ce cher
Montesquieu, que l'on cite beaucoup à cette tribune, un Montesquieu au
demeurant peu suspect de dérives fascisantes ? « Dans les Etats modérés,
évrivait-il, l'amour de la patrie, la honte et la crainte du blâme sont des
motifs réprimants qui peuvent arrêter bien des crimes. »
Je pourrais m'interroger, à cet instant, sur les raisons pour lesquelles la
France a, depuis si longtemps, renoncé à enseigner à ses jeunes citoyens
l'amour de leur pays, mais je me bornerai à envisager la validité, si peu
démentie par les faits, de ces « motifs réprimants qui peuvent arrêter bien des
crimes ». En effet, quelle meilleure définition pourrait-on donner de la
prévention si nécessaire, mais dont aucune des conditions de mise en oeuvre
efficace n'est plus remplie aujourd'hui ?
Mais Montesquieu, pour être un esprit supérieur, n'avait point prévu les
ravages de la gauche plurielle sur le sens commun et l'appréhension de la
réalité. A la honte et à la crainte du blâme, on est donc forcé d'ajouter, au
sortir de cinq années d'impunité généralisée, l'assurance absolue d'une
sanction proportionnée pour toute personne responsable ayant manqué à la règle
commune.
Les meilleurs auteurs, et cela ne date pas d'hier, ont tout dit sur le sujet.
Pour l'un, la punition est la première des préventions ; pour l'autre, la
sanction fait partie de l'éducation ; pour un autre encore, un délit généralisé
devient bientôt un droit : on pourrait multiplier les exemples... Tous ces
propos, bien sûr, n'expriment jamais que des évidences, qu'il semble vain de
rappeler.
Pourtant, à peine aviez-vous entrepris, monsieur le ministre, de vous attaquer
sans faiblesse aux nouvelles filières mafieuses de l'esclavage moderne -
prostitution, mendicité agressive organisée... - et de remettre un peu d'ordre
dans la vie de nos cités que les beaux esprits clamaient leur indignation.
Selon les uns, votre projet viserait à déclencher une forme de guerre sociale
contre les pauvres. Selon les autres, il s'agirait d'un véritable dispositif
liberticide, dirigé d'abord contre les populations les plus démunies. Quant au
Parti communiste français, toujours aussi nuancé, il épingle à votre revers,
monsieur le ministre, l'anathème commode de « maniaco-répressif », pour mieux
disqualifier d'emblée votre démarche, mais surtout pour mieux s'exonérer de
toute autocritique.
Que, à de rares exceptions près, la nouvelle opposition reste empêtrée dans sa
« culture de l'excuse », c'est une évidence, mais une chose a changé : chance
inespérée, le « ras-le-bol » aidant, son terrorisme intellectuel, coutumier
s'agissant des questions de société, a de moins en moins de prise, y compris
sur sa clientèle traditionnelle, et tourne de plus en plus à vide face à
l'inflation du nombre des victimes de l'insécurité. Les résultats d'un sondage
réalisé par l'IPSOS, publiés le 7 octobre dernier et indiquant que 72 % des
Français et 63 % des sympathisants de la gauche parlementaire estiment pour
l'essentiel « justifiées compte tenu de la situation en France » les mesures
présentées dans ce projet de loi pour la sécurité intérieure, en sont une
illustration sans appel.
Oui, monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous soumettez va dans la
bonne direction. Je ne reprendrai pas le détail des mesures qu'il comporte,
celles-ci ayant été brillamment exposées par M. le rapporteur, notre excellent
collègue Jean-Patrick Courtois. Je voudrais simplement souligner que, grâce à
ce texte, les personnels concourant à la sécurité intérieure verront leur
autorité renforcée, ce qui constitue le préalable indispensable à
l'élargissement de leurs moyens d'action.
En effet, restaurer l'autorité de l'Etat, c'est avant tout restaurer celle de
ses agents. Pour ce faire, il était indispensable de renforcer leur protection
juridique, tant il est insupportable de voir se développer sans réagir les
agressions et menaces à l'encontre des agents qui incarnent l'autorité
publique...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
La réaction est là !
M. Bernard Plasait.
... ou des agents qui assument des missions de service public, par exemple les
sapeurs-pompiers. Juridiquement mieux protégés, les personnels concourant à la
sécurité intérieure n'en seront pas moins tenus d'oeuvrer dans le strict
respect des prescriptions légales et réglementaires. Cela est élémentaire, mais
vous avez tenu à le rappeler, monsieur le ministre. Vous avez ainsi très
opportunément réaffirmé les contraintes de la déontologie et manifesté votre
souci d'éviter les débordements, en prévenant que vous considéreriez les
bavures comme une véritable trahison.
Enfin, parmi les moyens d'action plus étendus que vous entendez donner aux
agents pour une plus grande efficacité, je relève avec satisfaction les
nouveaux moyens de police technique et scientifique. Le fichier national
automatisé des empreintes génétiques, placé sous le contrôle d'un magistrat,
permettra une lutte plus efficace contre la criminalité.
Monsieur le ministre, j'approuve pleinement ce projet de loi, comme j'approuve
les propositions de la commission des lois du Sénat. Je voterai votre texte
avec une grande satisfaction, notamment parce qu'il constitue un acte politique
majeur de restauration de l'autorité républicaine, c'est-à-dire un signal,
celui d'une remise en ordre qui ne pourra qu'inquiéter les délinquants et
rassurer les honnêtes gens.
Dans
Pile ou Face
, le regretté Michel Audiard résumait d'un clin d'oeil
farceur le bon sens français : « La justice, c'est comme la Sainte Vierge : si
on ne la voit pas de temps en temps, le doute s'installe. »
(Sourires.)
Sa prochaine réapparition, aujourd'hui bel et bien
programmée, devrait sonner comme une vraie bonne nouvelle pour nos
compatriotes.
M. Marcel Debarge.
Il a des visions !
M. Bernard Plasait.
N'en déplaise à tous ceux qui continuent à nier l'évidence, rien de tel que la
fin de l'impunité pour faire reculer l'insécurité.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Alex Türk.
M. Alex Turk.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ferai
deux séries d'observations : la première est relative aux fichiers et la
seconde, plus générale, concerne l'esprit de ce texte.
S'agissant des fichiers, je m'exprime ici bien sûr en tant que membre de cette
assemblée et non en tant que vice-président de la CNIL, la Commission nationale
de l'informatique et des libertés. Cependant, comme je ne peux me dissocier, ce
que je vais dire est forcément inspiré par ce que j'entends dans cette autre
enceinte.
Première remarque : pour bien mesurer la portée du texte en matière de
fichiers, il faut distinguer ce qui constitue une différence de degré et une
différence de nature avec les textes précédents. Il faut toujours avoir présent
à l'esprit la fait que les textes précédents, en particulier celui qui est
relatif à la sécurité quotidienne, avaient apporté de nombreuses innovations,
et que vous avez souhaité simplement apporter des modifications, des
extensions, parfois en les cristallisant. C'est important de le signaler car il
est toujours judicieux d'éviter de s'égosiller quand cela n'est pas
nécessaire.
Je prendrai l'exemple, qui me paraît le plus aigu, de l'article 13, lequel
soulève le plus de réflexions. Les décrets d'application que devra prendre le
Gouvernement ne seront pas soumis à la procédure d'avis de la Commission
nationale de l'informatique et des libertés, et on ne peut que le regretter. Je
rappelle toutefois qu'il en est déjà ainsi. Aussi, nous perdons notre temps en
débattant sur ce point, puisque la précédente majorité avait déjà procédé de
cette manière, et donc acté cette procédure. C'est d'autant plus cocasse,
d'ailleurs, que nous serons prochainement saisis d'un projet de loi visant à
réformer l'ensemble du processus de la Commission nationale de l'informatique
et des libertés. Les avis formulés par la CNIL seront non plus conformes, mais
simplement motivés et publiés. Or cette disposition a déjà été adoptée par
l'Assemblée nationale en première lecture, et par l'ancienne majorité ! Il ne
faut donc pas faire de procès lorsque cela n'est pas nécessaire. En
l'occurrence, s'agissant des fichiers, on peut écarter ce premier argument.
Le second critère qui permet d'évaluer un texte comme celui qui nous est
soumis concerne le fond. Chacun le sait, dès que l'on touche aux libertés
publiques, on revient au principe de proportionnalité, si cher au Conseil
d'Etat et au Conseil constitutionnel. Simplement, il faut savoir, et vous
l'avez rappelé à juste titre, monsieur le ministre, que, au fond, l'autre forme
que prend le principe de proportionnalité en matière de fichiers, c'est le
principe de finalité.
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Effectivement !
M. Alex Türk.
A chaque fois qu'en séance plénière, à la Commission nationale de
l'informatique et des libertés, nous avons un doute, nous tentons de nous
orienter en nous référant au principe de finalité, car nous n'avons pas une
réponse juridique précise et objective à chaque question qui se pose sur des
sujets qui évoluent tant.
(M. le ministre opine.)
C'est ainsi que nous devons procéder. C'est ainsi
que je voudrais procéder vis-à-vis de votre texte, monsieur le ministre.
D'abord, il convient de relever les progrès qui pourront être accomplis par
votre texte et par les amendements que vous voudrez bien accepter et qui ont
été proposés par M. le rapporteur et acceptés par la commission des lois.
L'énumération à laquelle je vais procéder pourra sembler technique, mais il
est important de voir d'où l'on vient.
Premièrement, ce texte donne une base légale aux fichiers de police
judiciaire.
Deuxièmement, la finalité du système de traitement des infractions constatées,
le STIC, est exprimée. Ce n'est pas sans intérêt car c'est nouveau. En effet,
sous l'ancienne majorité, le STIC fonctionnait sans que la finalité soit
exprimée objectivement et expressément. Désormais, elle est exprimée : il
s'agit de la constatation des infractions pénales, du rassemblement des preuves
de ces infractions, de la recherche de leurs auteurs, de l'exploitation de ces
informations à des fins statistiques. Comme on le dit parfois : cela va mieux
en le disant.
Troisièmement, l'entrée - pour reprendre le jargon habituel, que je regrette -
des victimes dans le fichier sera désormais prévue, au terme de la
collaboration qui se noue entre la commission et vous-même, monsieur le
ministre - elle ne l'était pas jusqu'à présent et c'était sans doute un oubli
-, alors que seule la sortie était expressément prévue.
Quatrièmement, un décret en Conseil d'Etat précisera la liste des
contraventions susceptibles de donner lieu à l'inscription des informations
dans les traitements automatisés.
Cinquièmement, l'avis de la Commission nationale de l'informatique et des
libertés sera requis sur le décret devant préciser la durée de conservation des
données relatives aux véhicules volés. Sixièmement, le procureur de la
République ordonnera l'effacement des données personnelles concernant les
individus mis en cause si leur conservation n'est plus justifiée.
Septièmement - et c'est un sujet que je connais particulièrement - en matière
de coopération internationale, on relève l'inscription dans notre droit positif
du principe des garanties équivalentes. Cela signifie que chaque fois que nous
transmettrons des données vers l'extérieur, c'est-à-dire vers des services de
police étrangers ou des organismes internationaux de police, nous devrons avoir
l'assurance que le niveau de protection sera équivalent. C'est une question
essentielle. Elle nous agite, nous les Européens, depuis près d'un an par
rapport aux Etats-Unis : c'est dire son importance !
Restent, monsieur le ministre, quelques questions qu'il m'appartient de vous
poser.
Premièrement, à l'article 9, nous ne trouvons pas de référence explicite à la
loi de 1978. Nous pourrions ouvrir un débat juridique, qui nous occuperait
toute la soirée, sur le point de savoir si c'est bénéfique ou néfaste. Pour ma
part, je souhaiterais simplement vous poser la question suivante : les
mécanismes en question sont-ils, comme je le crois, soumis aux dispositions de
la loi de 1978 ?
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Oui !
M. Alex Turk.
Vous avez d'ores et déjà répondu !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
C'est un point important !
M. Alex Turk.
Pour quelles raisons éprouvez-vous, me semble-t-il, une réticence à voir
précisées, dans le corps même de l'article 9, les conditions dans lesquelles
les informations peuvent être communiquées dans le cadre de missions de police
administrative ? Cette question nous préoccupe. Sincèrement, je vois mal ce qui
pourrait vous gêner dans le fait d'apporter cette précision. C'est pourquoi il
me paraît utile de le faire.
J'en viens à ma troisième question. Le texte qui nous est soumis procède à
l'élargissement de l'accès aux fichiers STIC et JUDEX à des fins d'enquêtes
administratives. Cela pose le problème du droit à l'oubli, qui a été évoqué à
plusieurs reprises aujourd'hui, et notamment, par vous-même, monsieur le
ministre. Cela pose aussi le problème d'un éventuel glissement vers une
utilisation sur le modèle casier judiciaire.
Là encore, pouvez-vous nous donner des assurances quant à l'ouverture d'une
réflexion sur cette question ? En effet, et chacun le comprend bien,
l'évolution de ces dossiers est telle que nous devrons reconsidérer le problème
du casier judiciaire.
S'agissant du fichier des empreintes génétiques, je vais m'efforcer de vous
faire comprendre la réflexion de la CNIL à cet égard. A partir du moment où il
est prévu à la fois d'étendre l'accès à ce fichier aux officiers de police
judiciaire et d'assouplir les critères d'entrée dans le fichier, ne serait-il
pas possible, pour éviter une situation trop tendue, de jouer sur l'un ou
l'autre de ces critères ? Je présenterai tout à l'heure un amendement sur ce
point.
Enfin, s'agissant de la coopération internationale, je souhaitais formuler un
certain nombre de remarques mais, afin de ne pas prolonger le débat, je les
exprimerai à l'occasion de l'examen de votre projet de budget, monsieur le
ministre.
Je terminerai sur une réflexion que je me suis faite en lisant Montesquieu,
qui a l'avantage d'avoir écrit beaucoup et qui est souvent cité.
M. Claude Estier.
Il est effectivement beaucoup cité !
M. Alex Turk.
C'est d'une incroyable modernité, qui vous dépasse : « La liberté politique
consiste dans la sûreté ou, du moins, dans l'opinion que l'on a de sa sûreté »,
disait Montesquieu. Aussi, il est totalement absurde de se demander s'il y a
réellement un manque de sûreté. En effet, il y a bien sûr un manque de sûreté.
Cependant, si la population croit qu'elle n'est pas en sécurité, elle se prive
de la possibilité d'exercer sa liberté. Dans notre droit, en matière de
libertés publiques, chaque fois que l'on touche à une liberté, on fixe un
régime juridique clair qui détermine des autorisations ou des interdictions, et
chaque citoyen sait ce qu'il peut faire ou ne pas faire. Lorsqu'il n'y a pas de
sûreté, les citoyens sont dans l'incapacité d'exercer des libertés publiques,
alors qu'ils ne savent pas pourquoi, par le seul fait qu'il y ait une menace ou
un doute sur un éventuel danger. Cette réflexion, qui est suscitée par
Montesquieu...
M. Jacques Mahéas.
Encore Montesquieu !
M. Alex Turk.
... mais qui nous agite de manière beaucoup plus moderne,...
M. Jean-Pierre Sueur.
Quelle littérature !
M. Alex Turk.
... devrait suffire à écarter cet aspect du débat. Dès lors, peu importe qu'il
y ait ou non insécurité comprise, reconnue objectivement, si nos concitoyens
ont peur d'exercer leur liberté.
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et
Indépendants.)
Mme Nicole Borvo.
C'est très ambigu !
M. le président.
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux,...
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
C'est fini !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... pardon, monsieur le ministre de l'intérieur, mes chers collègues, le temps
n'est plus où le préfet Louis Lépine pouvait affirmer : « La France est un pays
policé qui réalise ce phénomène de ne pas avoir de police. »
Ce temps n'était déjà plus quand, voilà un demi-siècle, le professeur Jacques
Donnedieu de Vabres citait cette phrase à ses étudiants de l'Institut d'études
politiques de Paris en ajoutant, non sans humour : « Proposition devenue fausse
dans ce qu'elle affirme comme dans ce qu'elle nie. »
Avec votre projet de loi, monsieur le ministre, la situation risque de
s'aggraver singulièrement.
D'humour, vous n'en manquez certes pas non plus puisque vous avez bien voulu
me faire porter, comme sans doute à l'ensemble des membres de la commission des
lois, en « très très urgent » et « sans attendre », le mardi 22 octobre 2002,
le texte de l'avant-projet de loi que vous deviez présenter en conseil des
ministres le lendemain, c'est-à-dire le mercredi 23 octobre. Cela, nous
avez-vous écrit - et je dois bien sûr vous en remercier vivement - « afin de
permettre au Sénat de travailler dans les meilleures conditions ».
(Sourires
sur les travées du groupe socialiste.)
Parlons-en ! En fait, les conditions que, avec la complicité de la majorité du
Sénat, vous nous avez imposées pour préparer le débat que nous abordons
maintenant sont les pires que l'on puisse imaginer.
Elles sont indignes d'une démocratie parlementaire digne de ce nom. Elles
bafouent le Parlement et nous nous devons de les dénoncer.
(Applaudissements
sur les mêmes travées.)
Il vous a fallu six mois pour préparer ce projet de loi pour « la sécurité
intérieure » et, s'il faut en croire la presse - et comme nous l'avons ensuite
constaté - vous n'avez cessé, jusques et y compris le mercredi 23 octobre, que
dis-je, jusques et y compris aujourd'hui d'en supprimer, d'y ajouter ou d'en
modifier de nombreuses dispositions.
Or le mercredi 23 octobre, précisément, le président Garrec présentait à la
commission des lois son rapport sur le projet, pour le moins important, portant
réforme constitutionnelle et « organisation décentralisée de la République »
sur lequel les débats en séance publique ont commencé le mardi 29 octobre au
matin, l'après-midi et le soir, pour se poursuivre dans les mêmes conditions
jusqu'au mercredi 6 novembre, faute d'avoir pu se terminer, comme il était
présomptueusement prévu, le jeudi 31 octobre !
Quant au rapport sur le projet de loi concernant la sécurité intérieure, son
auteur, notre collègue M. Jean-Patrick Courtois, l'a présenté en commission des
lois le mercredi 30 octobre.
C'est mardi 5 novembre, date fixée à l'origine pour le début des débats, que
l'ensemble de nos collègues, au lendemain du pont de la Toussaint, ont pu
obtenir du service de la distribution les 325 pages du rapport écrit dans
lequel ne figure d'ailleurs pas le compte rendu des auditions auxquelles a
procédé le rapporteur en présence de quelques rares sénateurs, puisqu'il n'en a
pas été établi de procès-verbal ! - alors que la date limite de dépôt des
amendements était fixée au lundi 4 novembre à dix-sept heures.
On ne peut donc pas y lire, par exemple, qu'un représentant du syndicat de
police « Synergie officiers » a demandé que « les juges soient mis au pas »
!
En revanche, on perd son temps à y lire les trente-deux pages de la prétendue
étude d'impact : si l'on se demande, par exemple, combien coûte l'analyse d'une
empreinte génétique - puisque le fichier en question serait formidablement
étendu -, on en est pour ses frais, car, à la rubrique « Impact économique et
budgétaire » concernant cette extension, on peut lire : « La mesure proposée
doit être accompagnée de dotations budgétaires adaptées, étalées sur cinq ans
(2003/2007) ». On est bien renseigné !
Mes chers collègues, le projet de loi pour la sécurité intérieure est un texte
fleuve.
Si le projet de loi de réforme constitutionnelle comporte 11 articles qui ont
donné lieu à douze auditions par la commission elle-même, dont les comptes
rendus figurent au rapport -, il est vrai, lui aussi mis en distribution le
jour même où s'ouvrait le débat - celui dont nous débattons présentement n'en
comporte pas moins de 57, souvent longs, difficiles à apprécier dans leur
portée, nécessitant une étude minutieuse.
Ces 57 articles, répartis en 6 titres et en 2 chapitres, portent, sauf erreur
ou omission, pour les modifier, les supprimer ou les remplacer, sur 14 articles
du code de procédure pénale, 13 articles du code pénal, 6 articles du code des
postes et télécommunications, 5 articles du décret du 18 avril 1939 relatif aux
armes et munitions, 4 articles du code de la route, 24 articles de la loi du 12
juillet 1983 relative aux activités de sécurité privée, 3 articles du code
général des collectivités territoriales, 2 articles de l'ordonnance du 2
novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en
France, 1 article du code de la consommation, 1 article du code de la
construction et de l'habitation, 1 article de la loi relative à l'organisation
et à la promotion des activités physiques et sportives du 16 juillet 1984
enfin, sur quelques lois diverses, notamment la loi d'orientation et de
programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995, et sur la loi sur la
sécurité quotidienne du 15 novembre 2001.
Excusez du peu !
Nous sommes ainsi invités à renforcer singulièrement l'inflation des textes
législatifs, mais aussi réglementaires, que chacun prétend dénoncer et qui, à
la « sécurité » tout court, à la sécurité « quotidienne » et à la sécurité «
intérieure », ajoute, ô combien ! l'insécurité juridique.
En définitive, nous avons appris mercredi dernier au soir que les débats ne
s'ouvriraient pas aussitôt. Peut-on, en effet, imaginer M. le ministre de
l'intérieur monter à la tribune du Sénat à vingt-deux heures ? C'est trop tard
pour la presse du lendemain !
M. Jacques Mahéas.
C'eût été un crime de lèse-majesté !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est donc seulement aujourd'hui, mercredi 13 novembre, que commence la
discussion du projet de loi. Il reste que nous avons dû rédiger nos amendements
dans la précipitation pour pouvoir les déposer avant la date limite, fixée au
lundi 4 novembre. Enfin - cerise sur le gâteau ! -, nous avons appris la
semaine dernière que le Gouvernement avait demandé l'urgence sur ce texte, qui
comprend cinquante-sept articles. C'est évidemment tout à fait inadmissible.
Nous vivons, mes chers collègues, des heures extraordinaires ! C'est le
ministre de l'intérieur qui s'occupe de la procédure pénale, et un texte comme
celui-là ne connaîtra qu'une seule lecture !
Voilà donc rappelées les « bonnes conditions » dans lesquelles nous avons dû
travailler et travaillons encore.
Sous ces réserves, j'en arrive, monsieur le ministre, au mauvais procès que
vous ne cessez de faire à vos devanciers, comme à l'opposition tout entière.
Hormis, peut-être, les criminels et les délinquants, il n'est personne en
France, il n'est personne au sein des assemblées parlementaires, bien
évidemment, qui ne veuille absolument que chacune et chacun puisse vivre en
sécurité quel que soit l'endroit où il vit. Et vous me permettrez d'avoir une
pensée émue, en cet instant, pour notre ancien collègue Louis Virapoullé,
récemment décédé dans de tragiques conditions à la suite de l'agression dont il
a été l'objet au coeur du xvie arrondissement.
Vous présentant en novateurs, vous ne cessez, monsieur le ministre, avec vos
collègues, de répéter à l'envi la formule selon laquelle ce sont les plus
modestes qui souffrent le plus de ne pas jouir de cette liberté essentielle que
constitue le droit à la sécurité. Vous n'avez pas le droit de feindre d'ignorer
que vos devanciers, et singulièrement Lionel Jospin, en sont les inventeurs, et
ce dès les premiers temps de la formation du gouvernement de M. Jospin, dès
octobre 1997, à l'occasion du colloque de Villepinte.
M. Josselin de Rohan.
Mais ils n'ont rien fait !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous n'avez pas non plus le droit de feindre d'ignorer que c'est le
gouvernement de Lionel Jospin qui a mis en place les contrats locaux de
sécurité et la police de proximité, qui a fait un effort budgétaire
considérable, quantitativement et qualitativement, en matière de police, de
gendarmerie, et,
last but not least
, de magistrats.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Josselin de Rohan.
Cela n'a pas empêché la délinquance !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ce rappel, nous ne cesserons de vous le faire aussi souvent qu'il sera
nécessaire, en particulier chaque fois que vous adopterez à notre égard, sans
répondre courtoisement à nos courtoises questions, un ton polémique qui nous
est de plus en plus insupportable.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe
CRC.)
Il paraît, à lire l'« entretien » que vous avez accordé à trois journalistes
de ce qu'il est convenu d'appeler un grand quotidien du soir - entretien « relu
et amendé » par vous-même -, que vous traitez vos opposants, entre autres
aménités, de « tartuffes ».
Dire ce que l'on pense n'a rien d'hypocrite, et vous l'avez encore rappelé
tout à l'heure à propos de votre prédécesseur, Daniel Vaillant.
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Ce n'est pas vrai !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous relirez vos propos !
Ce qui est hypocrite, c'est de feindre d'ouvrir de fausses fenêtres en
laissant quelques chevau-légers de votre majorité se dire sensibles à la double
peine ou au vote des résidents étrangers aux élections municipales, alors que
la droite n'a cessé et ne cesse de réclamer l'une et de s'opposer à l'autre
!
Ce qui est hypocrite, c'est aussi d'annoncer des mesures, telles la
suppression de la présence de l'avocat à la première heure ou la pénalisation
des squatters, puis de les retirer du projet de loi en suggérant que des amis
pourraient déposer au cours des débats des amendements tendant à les introduire
de nouveau.
J'en arrive maintenant au contenu même de votre texte, m'en tenant à
quelques-uns seulement de ses aspects, faute de temps, car le groupe socialiste
ne dispose que de cinquante-deux minutes,...
M. René Garrec,
président de la commission.
C'est beaucoup !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... c'est-à-dire de beaucoup moins de temps que vous n'en avez pris tout à
l'heure, monsieur le ministre, votre temps de parole n'étant pas limité...
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est la règle, monsieur Dreyfus-Schmidt !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
J'évoquerai ce que vous prétendez faire de la loi du 15 novembre 2001 relative
à la sécurité quotidienne ; les fichiers automatisés, auxquels sont consacrés
plusieurs articles ; vos propositions de modification du code pénal.
Votée par vous et par nous, socialistes, la loi relative à la sécurité
quotidienne était et demeure clairement une loi d'exception, proposée par le
précédent gouvernement pour lutter contre le terrorisme au lendemain des
considérables événements survenus aux Etats-Unis le 11 septembre 2001.
Une limite était fixée à l'application de ses dispositions, celle du 31
décembre 2003, précision étant apportée qu'avant cette date le Gouvernement
doit présenter un rapport d'évaluation sur l'application de l'ensemble des
dispositions de la loi.
Or il est d'ores et déjà proposé, sans qu'aucun rapport d'évaluation ne soit
présenté, de proroger l'ensemble des dispositions de la loi relative à la
sécurité quotidienne jusqu'au 31 décembre 2005, tandis que certaines d'entre
elles seraient purement et simplement pérennisées !...
J'en viens aux fichiers automatisés, auxquels plusieurs articles du projet de
loi sont consacrés.
Nous ne disconvenons pas que des fichiers automatisés soient nécessaires à
l'identification rapide d'auteurs d'infractions graves.
En revanche, nul ne peut ne pas voir le danger pour les libertés que pourrait
représenter un fichier, dressé par des policiers au stade de l'enquête
préliminaire, dans lequel figureraient toutes les personnes concernées,
c'est-à-dire des suspects de crimes, de délits et même de contraventions de
cinquième classe, ce même fichier pouvant être consulté librement par
d'innombrables policiers, fussent-ils qualifiés d'« habilités ».
Ficher de simples suspects, « quel que soit leur âge », c'est à l'évidence
porter atteinte au principe de la présemption d'innocence, le même fichier
recensant non seulement des criminels et des délinquants, mais également, je le
répète, des suspects, et étant consultable y compris avant des décisions
administratives de recrutement, mais aussi pour l'instruction des demandes
d'acquisition de la nationalité française, de délivrance et de renouvellement
des titres relatifs à l'entrée et au séjour des étrangers, ou encore... pour la
nomination et la promotion dans les ordres nationaux !
Ces réflexions concernent aussi bien le fichier d'informations nominatives
visé, avec de nombreux autres, à l'article 9, que le FNAEG, le ficher national
automatisé des empreintes génétiques, dont l'article 15 propose une singulière
extension.
Ce dernier fichier concernerait non plus seulement les personnes condamnées
pour des délits graves, mais également celles qui paraissent suspectes à la
police, ainsi que les condamnés et suspects dans des affaires relatives à une
kyrielle de nouveaux délits ; le prélèvement pourrait, en matière de flagrant
délit, être décidé par un policier seul, le refus de prélèvement constituant un
délit passible de six mois de prison et de 7 500 euros d'amende, sans
possibilité de confusion ! Il faut noter que de tels excès n'étaient en rien
prévus dans l'annexe de la loi d'orientation et de programmation sur la
sécurité intérieure du 29 août 2002 !
Evidemment, on pourrait ficher tout le monde : on pourrait, comme jadis pour
le BCG, faire un prélèvement sur tous les nouveau-nés ! Seulement, les fichiers
sont dangereux, car, vous le savez bien, les progrès de la science sont tels
qu'on pourra bientôt y lire les maladies dont les gens sont atteints, ce qui
permettra aux banques de refuser des prêts et aux compagnies d'assurances de
refuser d'assurer les personnes concernées.
A l'évidence, plus les fichiers nécessaires - les fichiers autorisés - sont
étendus, plus il est indispensable que l'autorité judiciaire, gardienne des
libertés aux termes mêmes de la Constitution, intervienne à tous les stades.
Soyez assurés qu'au cours de nos délibérations nous serons vigilants,
vigilants comme la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la
CNIL, que vous n'avez pas même consultée et qui a dû se saisir elle-même -
alors que la loi l'a créée précisément pour veiller à ce que l'informatique ne
piétine pas les libertés ! -, vigilants comme la Commission nationale
consultative des droits de l'homme, qui, elle aussi, a dû se saisir d'office
!
Quant à vos propositions de modification du code pénal, je prendrai trois
exemples relatifs aux prostitués, aux mendiants agressifs et en réunion, enfin,
à ceux que vous appelez à tort les « gens du voyage ». Il est vrai que vous
n'êtes pas les premiers à les désigner ainsi, je vous le concède.
M. Josselin de Rohan.
Ah bon ? C'est pourtant comme cela qu'on les appelle !
M. Roger Karoutchi.
Comment les appellerait-on, alors ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
A l'évidence, il s'agit de s'en prendre non pas - je vous le concède aussi - à
la pauvreté, car il y a, hélas ! d'autres pauvres, mais à la marginalisation, à
ceux qui suivent « une autre route » que les braves gens, comme l'eût dit
Brassens : à ceux dont le comportement se voit et, nous n'en disconvenons pas
non plus, dérange.
Ce que vous voulez faire disparaître, c'est précisément et principalement ce
qui se voit dans la rue. Et le projet de loi, en vérité, porte non pas sur la
sécurité intérieure, mais sur la tranquillité publique. Vous parliez tout à
l'heure de la grande criminalité, monsieur le ministre : elle n'est pas visée
ici, sauf en ce qui concerne les réseaux, mais nous y reviendrons.
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Et les fichiers !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
S'agissant de la prostitution, revoici Tartuffe à la lettre : « Couvrez ce
sein que je ne saurais voir ! », puisque la seule tenue vestimentaire
constituerait un racolage !
(Rires. - M Jean-Pierre Sueur applaudit.)
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Mais non !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je n'irai pas jusqu'à dire que c'est vous, monsieur le ministre, qui êtes un
racoleur, mais, vraiment, j'en aurais envie !...
M. Jacques Mahéas.
C'est la France d'en bas !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Qui plus est, le racolage serait non plus une contravention de cinquième
classe, passible au maximum d'une amende de 10 000 francs, mais un délit,
passible au maximum, excusez encore du peu, de six mois d'emprisonnement et de
3 750 euros d'amende - seulement, puisque vous vous êtes repris et avez réduit
l'amende de moitié !
Que faites-vous du principe de proportionnalité des peines, qui doivent être,
comme la déclaration des droits de l'homme l'impose, « strictement et
évidemment nécessaires » ?
Pour en revenir à la tenue vestimentaire, monsieur le ministre, si vous étiez
suivi - si je puis dire ! -, il risquerait d'y avoir encore plus de monde que
vous ne l'imaginez en garde à vue, sinon en prison, et même du beau monde si
l'on considère les collections printemps-été 2003 de la plupart de nos grands
couturiers
(Sourires.),
ainsi présentées par les médias, photos à
l'appui, voilà moins d'un mois
(M. Michel Dreyfus-Schmidt brandit les
photographies en question.)
: « Vêtements échancrés, voiles complètement
transparents : les créateurs du prêt-à-porter printemps-été 2003 se lâchent...
»
M. Jacques Peyrat.
Ils ne sont pas sur la promenade des Anglais !
M. Georges Gruillot.
Tout cela n'est pas très sérieux !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je continue : « 2003, année érotique ? » Ou encore : « Eté torride pour Dior,
où strass et sexe riment avec soleil » ; « Tom Ford découvre les seins dans sa
collection rive gauche » ; « La jupette bouffante à ras des fesses, la culotte
ou le short servant de faire-valoir à la veste... » Ce n'est pas moi qui le
dis, c'est la presse !
Si vous n'avez pas eu le temps de voir cela, monsieur le ministre, je vous
offre ces quelques photos.
(Rires et applaudissements sur les travées du
groupe socialiste.)
M. Dominique Braye.
Refusez, monsieur le ministre !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Huissier, auriez-vous l'obligeance de les remettre à M. le ministre ?
(M.
le ministre marque son refus.)
Nous avons appris ce matin que, finalement, vous renonceriez aux mots : «
tenue vestimentaire ». Il est vrai que certains se demandaient si l'absence
totale de tenue vestimentaire était ou non une tenue vestimentaire !
Il reste entendu que l'atteinte à la pudeur figure dans le code pénal depuis
très longtemps et qu'il suffit au ministre de l'intérieur de faire appliquer
les textes existants.
Vous remplaceriez, nous dit-on, les termes : « tenue vestimentaire » par les
mots : « par tout moyen, y compris l'attitude même passive », c'est-à-dire que
n'importe qui pourrait être arrêté !
M. Josselin de Rohan.
Il ne faut pas exagérer !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Tout à l'heure, vous avez dit qu'il était honteux que le code pénal ait
supprimé le racolage passif. Mais vous avez voté le code pénal, monsieur le
ministre, comme tous ceux, droite et centre compris, qui siègent sur ces
travées, du reste. Vous ne pouvez tout de même pas tout mettre sur le dos de
vos prédécesseurs, si j'ose dire !
Est-il pensable de prévoir de telles peines - six mois de prison - pour
l'exercice d'une activité qui n'est pas illégale et alors que chacun s'accorde
à penser que la pire solution de ce difficile problème serait, comme votre
initiative y conduirait à coup sûr, de contraindre la prostitution à devenir
clandestine ? Si vous faites disparaître, comme vous le dites, la pointe de
l'iceberg, nul ne voit plus rien, et la clandestinité est ce qui peut arriver
de pire en termes tant de sécurité que de santé publique.
Mme Nicole Borvo.
Cachons les prostituées au fond des maisons closes !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Combattre, comme vous le proposez par ailleurs, les réseaux mafieux, que ce
soit en matière de proxénétisme ou de mendicité organisée, j'imagine que nous
en serons tous d'accord ; mais, de grâce, ne confondons pas les criminels et
leurs victimes !
Quant aux mendiants menaçant en réunion et avec chien méchant, vous savez
parfaitement que vous n'avez pas besoin de créer un nouvel article du code
pénal pour les poursuivre : le texte existant sur l'extorsion simple suffit
parfaitement pour ce faire, même s'ils agissent seuls et pas en réunion !
On ne voit pas dans la rue ceux qui commettent des extorsions aggravées ! Par
conséquent, même s'ils sont étrangers, il faudra attendre leur condamnation
pour pouvoir éventuellement les reconduire à la frontière.
Je dis donc bien que c'est à ce qui se voit que vous voulez vous en
prendre.
Mme Nicole Borvo.
Il vaut mieux ne rien voir !
M. Hilaire Flandre.
C'est cela qui nous pourrit la vie !
Mme Nicole Borvo.
La grande criminalité ne pourrit pas la vie, on le sait bien ! Laissons les
mafieux tranquilles sur la Côte d'Azur.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous n'évoquez que les mendiants menaçant en réunion. Mais s'il n'y en a
qu'un, est-ce que cela ne vous pourrit pas la vie tout autant ?
Quant à ceux qui sont désignés à l'article 19 comme des « gens du voyage » -
ce sont d'ailleurs non pas eux qui sont visés
stricto sensu
mais
d'autres caravaniers -, vous ne les ferez certainement pas partir en saisissant
leurs véhicules
(Mme Nicole Borvo rit)
jusqu'à ce que le tribunal correctionnel ait
prononcé la confiscation,...
Mme Nicole Borvo.
Ils partent en courant !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... pas plus qu'en suspendant leur permis de conduire !
Ainsi Gribouille se jetait-il à l'eau pour éviter de se mouiller !
Et quand le procureur de la République de la deuxième ville de France,
Marseille, demande en vertu de quel critère le parquet « va-t-il poursuivre une
personne A plutôt qu'une personne B, dans une communauté d'une soixantaine
d'individus ? » - et il peut y en avoir beaucoup plus, comme nous le savons
bien dans le Territoire de Belfort -, le directeur adjoint de votre cabinet
répond ceci, ainsi que la presse l'a rapporté : « L'objectif de cet article 19
est de ne servir à rien. Il suffit qu'il soit dissuasif. »
De même, quand on s'étonne de voir une contravention devenir un délit, M. le
rapporteur ici présent nous répond en commission que c'est seulement pour faire
passer un message, ce fameux message que vous avez entendu, dites-vous, dont
vous tirez la leçon,...
M. Jean-Patrick Courtois,
rapporteur.
Je n'ai pas dit cela !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... et dont l'un de nos collègues qui nous vient du Front national s'estime
parfaitement satisfait
(protestations sur les travées du RPR),
c'est-à-dire qu'il pense que vous
avez entendu ce message-là !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du
groupe CRC.)
Comme si le code pénal était un moyen de communication ! Comme si les
marginaux, quand ils ne sont pas illettrés, lisaient la presse, le
Journal
officiel
ou le code pénal !
En revanche, si vous cherchez à faire appliquer tous ces textes, vous allez
considérablement augmenter la charge et le travail déjà excessifs des
magistrats et des policiers, ainsi que la surpopulation de nos prisons dont
récemment, même si c'était avant les dernières élections présidentielle et
législatives, les sénateurs unanimes considéraient, en demandant que cela
cesse, qu'elles sont « une humiliation pour la France ».
J'en arrive à ma conclusion.
Quelles sont les sources de l'accroissement de l'insécurité que l'on constate
partout dans le monde, y compris en Europe ?
Plus que jamais la pauvreté, la misère, l'exclusion ; plus que jamais
l'ignorance ; plus que jamais l'oisiveté ; plus que jamais l'inégalité sociale
; plus que jamais la discrimination !
Vous ne guérirez pas la France de ce mal dont tous risquent, en effet, d'être
frappés et qui s'appelle l'insécurité si vous n'en combattez pas les causes.
(MM. Robert Badinter et Jean-Pierre Sueur applaudissent.)
Les sommes considérables que vous prétendez consacrer à la répression, à la
seule répression, ne laissent rien pour les éducateurs de rues, rien pour les
surveillants que vous supprimez déjà dans les lycées et collèges, rien pour la
santé en général et la médecine scolaire en particulier, rien pour la lutte
contre les plans sociaux de vos amis du MEDEF et le chômage accru qui en
découle, rien pour le logement social...
Ont le droit de vous le dire ceux qui ont mis en place le revenu minimum
d'insertion, le RMI, la couverture maladie universelle, la CMU, et les
emplois-jeunes.
Ecoutez, au lieu de les stigmatiser, ceux qu'avec mépris vous osez appeler «
les droits-de-l'hommistes ».
Ecoutez le Secours populaire, le Secours catholique et les autres
organisations non gouvernementales qui, elles, sur le terrain, s'en prennent
aux causes de l'insécurité.
Ecoutez la Ligue des droits de l'homme, la LICRA et le MRAP !
Ecoutez la CNIL et la commission consultative des droits de l'homme.
Ecoutez ce « droits-de-l'hommiste », dont chacun fête cette année le deux
centième anniversaire de la naissance, particulièrement dans ce Palais du
Luxembourg - nous le faisions encore ce matin, en évoquant les « communards »
réprimés comme on sait - où sa voix a si souvent retenti, fréquemment au milieu
des quolibets de la droite, écoutez Victor Hugo lorsqu'il dit :
« Je rêve l'équité, la vérité profonde,
« L'amour qui veut, l'espoir qui luit, la foi qui fonde,
« Et le peuple éclairé plutôt que châtié. »
(Très bien ! et vifs
applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. -
Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. FrançoisZocchetto.
M. François Zocchetto.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que
nous examinons ce soir est très important à double titre : d'une part, parce
que, pour nous, il concrétise les engagements pris par l'actuelle majorité lors
de la campagne électorale ; d'autre part, parce que ces engagements portent sur
le problème majeur de la société française, à savoir la lutte contre
l'insécurité.
Contrairement à ce que disent certains, l'insécurité est bien une réalité.
C'est une évidence ! Ce n'est pas un simple sentiment ou un enjeu politicien,
comme on voudrait nous le faire croire.
Mme Nicole Borvo.
Qui a dit cela ?
M. François Zocchetto.
Alors que la sécurité est un droit naturel et imprescriptible consacré par la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, elle n'est plus
assurée de manière égale sur l'ensemble de notre territoire.
Qui peut nier que la délinquance progresse régulièrement depuis de nombreuses
années,...
Mme Nicole Borvo.
Personne !
M. François Zocchetto.
... rendant la vie quotidienne de nos concitoyens intolérable ?
Mme Nicole Borvo.
C'est vrai !
M. François Zocchetto.
Il s'agit donc bien d'un problème dont l'ampleur et la gravité sapent les
bases de notre démocratie,...
Mme Nicole Borvo.
Absolument !
M. François Zocchetto.
... et, au premier chef, le principe d'égalité sur lequel la République s'est
construite.
Mme Nicole Borvo.
Très juste !
M. François Zocchetto.
Je rappelle que le droit à la sûreté est un concept républicain et
égalitaire.
M. Robert Bret.
C'est vrai !
Mme Nicole Borvo.
Tout à fait !
M. François Zocchetto.
A ce titre, l'égalité de nos concitoyens est insupportable. Qui peut rejeter
le fait - cela a pourtant été redit tout à l'heure - que ce sont les citoyens
les plus modestes qui sont particulièrement touchés par la délinquance ?
Mme Nicole Borvo.
Personne n'a dit le contraire !
M. Robert Bret.
Vous enfoncez des portes ouvertes !
M. François Zochetto.
Vous savez bien que l'insécurité, c'est d'abord avoir peur pour soi et ses
proches. Toutes les études montrent que la peur au domicile augmente dans les
quartiers en difficultés.
Mme Nicole Borvo.
Absolument !
M. François Zocchetto.
L'insécurité fait davantage peur quant elle paraît liée aux conditions de vie
d'un quartier qu'on ne peut quitter faute de ressources suffisantes.
Cela rend cette situation encore plus inacceptable et nous impose bien sûr de
mener de façon urgente une politique volontariste sans équivoque.
L'insécurité se place au premier rang des problèmes à résoudre, car il s'agit
d'une problématique de service public. Je répète qu'elle n'est pas une
idéologie mais qu'elle est bien la prise en compte de la réalité sociale.
Mme Nicole Borvo.
Ah !
M. François Zocchetto.
Le vote des électeurs du printemps dernier va plus loin que ce simple constat.
Il s'analyse bien comme une injonction de faire aux pouvoirs publics, ce qui
implique souvent - c'est vrai, même si ce n'est pas satisfaisant pour nous tous
- une injonction de sanctionner. Faire une bonne politique de sécurité, celle
qui est souhaitée par les Français, c'est faire réellement et sensiblement
baisser l'insécurité sur le terrain, c'est-à-dire sanctionner réellement les
délinquants, ce qui implique une collaboration sans faille de la police, de la
gendarmerie et de la justice.
Le texte que nous examinons répond à mon avis à cette exigence démocratique.
Il fait suite à la loi du 29 août 2002 d'orientation et de programmation pour
la sécurité intérieure. Conformément à ce texte, nous observons dans le projet
de loi de finances pour 2003 que des moyens matériels seront donnés, monsieur
le ministre, à votre politique.
Aujourd'hui, nous examinons des moyens juridiques supplémentaires pour
améliorer l'efficacité de votre action.
Je note, pour m'en féliciter, que l'action du Gouvernement apparaît, dans ce
domaine comme dans d'autres d'ailleurs, rapide et efficace. La preuve en est -
vous l'avez rappelé tout à l'heure - que la délinquance commence à se
stabiliser sur le terrain et que les groupes d'intervention régionaux ont
enregistré de notables réussites.
Il faut aussi rappeler que les dispositions que nous allons étudier
s'inscrivent souvent dans la droite ligne de la loi du 15 novembre 2001 et de
celle du 4 mars 2002 que le précédent gouvernement avait tenté d'élaborer. Il
est donc très étonnant de constater que ceux qui soutenaient hier une certaine
politique s'acharnent subitement à la combattre.
(M. Roger Karoutchi s'exclame.)
Sur le calendrier supposé serré des travaux du Sénat et en particulier de la
commission des lois, je voudrais témoigner de deux choses.
Tout d'abord, le texte ne présente pas d'innovations d'un caractère technique
tel...
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Oui !
M. François Zocchetto.
... que les trois semaines qui viennent de s'écouler ne permettaient pas à
chaque sénateur de se forger une idée sur lui.
M. Roger Karoutchi.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
Très juste remarque !
M. François Zocchetto.
Ensuite, l'année 2001 a été bien pire sur les mêmes sujets.
Plusieurs mesures du projet de loi retiennent particulièrement notre
attention. Evidemment, nous nous réjouissons du rôle prépondérant des préfets
et de l'amélioration des capacités d'actions de la police judiciaire ; cela
facilitera la recherche des auteurs d'infractions.
Mais il ne s'agit bien entendu pas - je tiens à le souligner - de porter
atteinte aux libertés individuelles. A cet égard, les précisions sur le
traitement automatisé de données personnelles que la commission des lois a
proposées et que notre collègue M. Alex Türk a rappelées tout à l'heure
respectent cette exigence.
Cependant, monsieur le ministre, j'aimerais que vous nous confirmiez,
s'agissant de l'article 4 du projet de loi que les « raisons plausibles de
soupçonner » - cela constitue encore pour nous une notion imprécise jusqu'à ce
ce jour - s'entendent bien, de près ou de loin - mais si possible de près ! -
comme des « indices », notion, quant à elle, parfaitement définie par la
pratique et la jurisprudence.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Absolument !
(M. Michel Dreyfus-Schmidt applaudit.)
M. François Zocchetto.
La majorité sénatoriale s'était déjà émue de ce changement de terminologie
voulu par le gouvernement précédent. Nous avons donc besoin de quelques
précisions sur ce sujet.
On ne peut que souscrire au souhait du texte de mieux protéger contre les
menaces les agents chargés d'une mission de service public et leur famille.
Par ailleurs, la création par la commission des lois d'une infraction de
traite des être humains ainsi que le renforcement des instruments de lutte
contre le proxénétisme et l'exploitation de toutes les formes de misère
constituent un progrès important.
L'article 18 du projet de loi a lui aussi suscité de vives polémiques - M.
Dreyfus-Schmidt vient d'ailleurs d'en parler - et donné lieu à des débats, en
commission et ailleurs, qui méritent, je le pense, d'être repris à nouveau.
Nous sommes bien sûr très favorables à la lutte contre les réseaux mafieux et
contre le proxénétisme, et, à ce titre, notre groupe ne voit pas d'objection au
rétablissement de l'incrimination pour racolage passif.
Cependant, il ne nous paraît pas judicieux - nous avons déjà eu l'occasion de
le dire - de définir cette notion au regard de « la tenue vestimentaire ».
D'une part, cette précision n'est pas utile dès lors que le texte précise déjà
« par tous moyens ». D'autre part, chacun sait que l'habit ne fait pas le moine
et que l'appréciation d'une tenue vestimentaire ne peut être que subjective et
ne présente aucun caractère juridique permettant de retenir la notion dans le
code pénal.
La délégation aux droits des femmes du Sénat, sous la plume de notre collègue
madame Rozier, nous met d'ailleurs clairement en garde contre ces risques de
discrimination au détriment des femmes et entre les femmes elles-mêmes,
s'interrogeant « à propos de l'instauration, dans le code pénal, d'une notion
de racolage vestimentaire, sur les modalités permettant de manier cet outil
juridique avec suffisamment de précautions pour prévenir tout risque d'atteinte
aux droits des femmes ».
Aussi, monsieur le ministre, je vous remercie de nous proposer, par un
amendement, le retrait de cette référence à la notion de « tenue vestimentaire
». C'est bien la preuve, d'ailleurs, puisque certains en doutent, que le
travail parlementaire, et en particulier celui du Sénat, est pris en
considération dans l'élaboration de ce texte.
Une mesure trouve un écho particulier dans cette assemblée : la pénalisation
de l'occupation sans titre d'un terrain.
Cependant, une question reste posée : cette pénalisation permettra-t-elle de
rendre les expulsions plus rapides ?
Je suis un peu dubitatif, comme un certain nombre de mes collègues, car, en
pratique, cela nous semble difficile. Je souhaite que vous puissiez nous
rassurer sur ce point, monsieur le ministre.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et doit-il nécessairement y avoir condamnation ?
M. François Zocchetto.
En conclusion, il faut se féliciter de la prompte mise en oeuvre des
engagements pris dans la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité
intérieure, en ce qui concerne tant les moyens matériels, que nous examinerons
dans quelque temps, que les moyens juridiques, que nous allons, je l'espère,
décider dès cette semaine.
Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que la véritable lutte contre
l'insécurité se joue sur le terrain, avec les outils fournis par la loi. Après
le vote de ce texte, la balle sera dans le camp de la police, de la gendarmerie
et de la justice, qu'il ne faut pas oublier. Notre majorité doit garder à
l'esprit que, si elle a été élue sur des engagements, elle sera jugée sur des
résultats. Nous avons donc non seulement une obligation de moyens mais aussi,
vous le savez bien, monsieur le ministre, une obligation de résultats.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. François Autain.
M. François Autain.
Vous reconnaîtrez sûrement avec moi, monsieur le ministre, que la sécurité est
à la base du contrat social. Sans elle, aucune liberté individuelle ou
collective n'est possible. C'est le premier droit du citoyen, celui qui
garantit tous les autres.
Il n'est donc pas étonnant que la sécurité soit au coeur du débat public. Les
attentes des Français en matière de sécurité sont d'autant plus fortes qu'ils
ont le sentiment d'une impuissance croissante des pouvoirs publics face à un
phénomène qui progresse et prend de nouvelles formes.
Ses causes sont profondes et multiples. Comment ne pas lier cette progression
de la petite et moyenne délinquance, qui nourrit le sentiment d'insécurité, à
la dégradation de la situation économique et sociale ? Lorsque la société
continue d'exclure, lorsque les inégalités sociales se développent, que
reste-t-il du contrat social ? La pauvreté, le chômage, l'absence de
perspectives d'insertion pour des populations démunies, souvent concentrées
dans les banlieues.
Cependant, à mes yeux, la délinquance tient d'abord à la perte des repères et
témoigne d'une véritable crise de civilisation : dilution des liens sociaux ou
familiaux, grande difficulté de nos institutions à transmettre les valeurs qui
fondent notre société de droit et à rappeler l'existence de règles
intangibles.
Ma conviction est qu'il faut, en matière de sécurité, éviter deux écueils
aussi redoutables l'un que l'autre.
Le premier, que j'appellerai l'angélisme, et que je connais bien puisque j'en
viens, se caractérise par beaucoup de laxisme et aboutit souvent à l'opposé de
l'effet recherché, la vie de nos concitoyens se transformant en un véritable
enfer quotidien.
Le second, que je connais moins bien mais que certains ici connaissent
beaucoup mieux, consiste à verser dans la démagogie sécuritaire et conduit à
s'en remettre exclusivement à la répression.
Entre ces deux dangereuses dérives, il existe un espace dans lesquel une
politique républicaine de sécurité peut être mise en oeuvre. Elle doit associer
une réponse sociale forte, restaurer une école recentrée sur ces missions
originelles, s'engager résolument ans le démantèlement de ghettos qui sont
devenus de véritables zones de non-droit, où se concentrent tous les
problèmes.
Mais ces actions seront d'autant plus soutenues et mieux comprises par nos
concitoyens que les sanctions seront appliquées avec à la fois discernement et
fermeté. Chaque institution, qu'il s'agisse de l'école, des collectivités
locales, de la famille ou de l'Etat, à la place qui lui est dévolue, se doit de
participer à ce rappel aux règles ; en démocratie, il convient de ne jamais
l'oublier, c'est la loi qui libère.
Monsieur le ministre, globalement, votre projet de loi s'inscrit, comme vous
l'avez rappelé, dans la continuité de la politique conduite par le gouvernement
précédent en matière d'insécurité. C'est pourquoi il nous est difficile de le
rejeter en bloc sans nous déjuger et sans courir le risque de ne pas être
compris par nos concitoyens les plus modestes, qui sont aussi souvent les plus
touchés par le fléau de l'insécurité.
Toutefois, je ne vous le cache pas, je m'interroge sur certaines dispositions
du texte qui nous est soumis, non parce qu'elles seraient liberticides, comme
il a pu être dit abusivement ici où là, mais bien parce qu'elles me semblent
superflues. En effet, le code pénal, dans sa forme actuelle, permet déjà de
réprimer les infractions qu'elles visent. Je pense notamment aux articles 18,
20 ou 22.
Il reste que nous relevons des aspects positifs, comme l'extension du fichier
national automatisé des empreintes génétiques. Vous avez, à juste titre,
rappelé que les Britanniques nous avaient précédés dans ce domaine, pour le
plus grand bien des habitants du Royaume-Uni.
Le volet du texte qui concerne les gens du voyage est un autre point
positif.
Nombre de mes collègues qui exercent des fonctions de maire sont trop souvent
confrontés à des occupations intempestives, malgré les efforts importants
réalisés par le gouvernement précédent pour l'accueil des gens du voyage.
Mon collègue Paul Loridant, maire des Ulis, et qui n'a malheureusement pas pu
être présent ce soir,...
M. Roger Karoutchi.
Dommage !
M. François Autain
... me faisait récemment part de son inquiétude à la suite du départ de
nombreuses entreprises de la zone industrielle de Courtaboeuf, que vous
connaissez bien, monsieur le ministre,...
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
En effet !
M. François Autain.
... lassées par notre incapacité à faire respecter la loi sur ce point.
De même, nous sommes sensibles aux nouveaux pouvoirs attribués à la police
municipale en matière de mise en fourrière, car le triste spectacle de voitures
abandonnées est fort dégradant pour le cadre de vie quotidien de nos
habitants.
Enfin, nous ne sommes pas choqués par les dispositions visant à mettre un
terme aux regroupements dans les cages d'escalier, d'autant que le code pénal,
là aussi, dans sa rédaction actuelle, permettrait de les réprimer. Encore
faudrait-il que les forces de police et de gendarmerie soient en mesure de le
faire. Car je crains que les nouvelles dispositions que vous nous proposez ne
se heurtent aux mêmes difficultés, sauf si vous parvenez à mobiliser les moyens
qui font aujourd'hui défaut.
Ainsi, sous réserve, bien entendu, que votre volonté de rétablir l'ordre
public se manifeste par des moyens et des actes, et aussi sous réserve que la
majorité sénatoriale ne fasse pas sombrer votre projet de loi dans la démagogie
sécuritaire - mais les choses ont plutôt l'air de bien se présenter -, les
quatre sénateurs membres du pôle républicain ou apparenté s'abstiendront sur ce
texte.
(M. le président de la commission des lois, M. le rapporteur et M.
Patrice Gélard applaudissent.)
M. le président.
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout va bien
!
Mme Nicole Borvo.
Personne n'a dit cela !
M. Roger Karoutchi.
Si !
Mme Nicole Borvo.
Mais non ! Ecoutons-nous donc les uns les autres ! Ça, c'est de la polémique
pure !
M. Roger Karoutchi.
Je vous en prie, madame, j'ai écouté les intervenants de gauche dans le
silence !
Tout va bien, donc, ce pays nage dans la sérénité, on se promène. C'est Amélie
Poulain dans les communes !
M. Robert Bret.
N'importe quoi !
Mme Nicole Borvo.
Pas un sénateur n'a dit cela !
M. Roger Karoutchi.
C'est ce que j'ai entendu tout à l'heure !
Nous avons eu un Premier ministre qui, candidat à l'élection présidentielle, a
reconnu lui-même à la télévision qu'il avait été naïf en pensant que le simple
fait de lutter contre le chômage ferait baisser l'insécurité.
Quant à M. Georges Frêche, maire socialiste de Montpellier, il affirme : « Si
la gauche avait fait la moitié de la loi Sarkozy, Jospin aurait été élu. »
M. Hilaire Flandre.
Heureusement qu'elle ne l'a pas fait !
(Sourires sur les travées du
RPR.)
M. Roger Karoutchi.
Et M. Jean-Marie Bockel, maire de Mulhouse, de dire : « La loi Sarkozy n'est
pas une loi contre les pauvres. Les couches populaires, y compris celles issues
de l'immigration, sont les premières victimes de l'insécurité. »
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Eh oui !
M. Roger Karoutchi.
Je pourrais encore citer des déclarations de Manuel Valls, de Jean-Christophe
Cambadélis et d'autres.
Mme Nicole Borvo.
Ils ne sont pas là !
M. Roger Karoutchi.
Certes !
M. Jacques Mahéas.
On peut aussi citer Pierre Fauchon !
M. Roger Karoutchi.
Mais vous avez eu tout le temps de le faire !
Est-ce l'opinion de toute la gauche que celle qui consiste à considérer que ce
texte est un texte contre les pauvres, contre les exclus ? Non, bien entendu !
Outre ceux que j'ai cités, un certain nombre d'élus et de responsables
politiques de gauche, estiment que ce texte va dans le bon sens.
Au demeurant, si l'on en croit les sondages parus dans la presse, 70 % des
Français considèrent que la politique désormais conduite en matière de sécurité
est la bonne.
M. Jean-Patrick Courtois,
rapporteur.
Tout à fait !
M. Roger Karoutchi.
Sur l'ensemble des politiques gouvernementales, elle serait même celle qui est
la plus appréciée par les Français !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et par les 20 % de lepénistes !
M. Roger Karoutchi.
Je vous en prie !
Au moment du débat sur la LOPSI, au mois de juillet dernier, la gauche
affirmait que le texte était trop général, que ce n'était qu'une loi de
programme de cinq ans, demandant où étaient les mesures concrètes, susceptibles
de démontrer les crédits qui démontraient qu'une nouvelle politique de sécurité
allait être mise en place.
Eh bien, nous y voilà ! Les premières mesures concrètes, au-delà des mesures
budgétaires, elles nous sont présentées aujourd'hui dans ce texte qui permet
effectivement d'aller de l'avant.
Je sais bien que certains à gauche - l'orateur qui m'a précédé, par exemple -
étaient conscients, dès avant les mois d'avril et de mai, des besoins en
matière de sécurité.
Je me souviens que, durant la précédente législature, alors que je réclamais
la création d'une police régionale des transports en Ile-de-France, M. Daniel
Vaillant m'avait répondu : « Monsieur Karoutchi, par pitié ! Nous avançons,
nous évoluons, mais ne me demandez pas tout d'un coup ! Je ne peux pas
révolutionner en un jour les mentalités des uns et des autres ! »
Il était conscient, probablement parce qu'il occupait à l'époque la place qui
est aujourd'hui la vôtre, monsieur le ministre, que l'insécurité était un vrai
problème pour tous les Français. Il était conscient du vrai défi qu'elle
constituait pour tous les républicains, qu'ils soient de gauche, de droite ou
du centre. Il avait compris que le moment était venu d'accomplir, dans ce
domaine, une révolution culturelle.
Que chacun se souvienne du programme de campagne du candidat Jospin, sur bien
des points, il allait bien plus loin que ce que dit la gauche aujourd'hui. Il
demandait des mesures que vous qualifieriez aujourd'hui, mesdames, messieurs
les sénateurs de l'opposition, de mesures répressives ou excessives parce qu'il
était probablement lui aussi conscient que l'insécurité était un vrai défi pour
tous et qu'il fallait le relever.
Nous objecterons aujourd'hui que tout celà, c'est l'expression d'une lutte
contre les pauvres, ce n'est pas bien.
Vouloir proroger les dispositions qui visent à renforcer la lutte contre le
terrorisme jusqu'en 2005 ou demander l'ouverture des coffres de voiture, qui
pourra peut-être éviter un attentat, une agression contre les pauvres ? Ne
serons-nous pas alors fiers des forces de police ?
Est-ce une agression contre les pauvres que de vouloir l'élargissement du
fichier national des empreintes génétiques qui compte aujourd'hui 1 200
empreintes alors qu'au Royaume-Uni, patrie des droits de l'homme, il en compte
1,7 million.
(Mme Nicole Borvo s'exclame.)
Et ce sont 60 000
indentifications génétiques qui étaient demandées au fichier britannique
l'année dernière.
Est-ce une agresion contre les exclus que de faire en sorte que, en France,
nous nous dotions des moyens modernes de ce fichier génétique ? En quoi
serait-ce répréhensible si cela peut éviter la répétition des viols, si cela
peut permettre l'arrestation de délinquants sexuels ?
En quoi protéger les familles de ceux qui, tous les jours, prennent des
risques pour notre sécurité serait s'en prendre aux pauvres.
Il ne s'agit nullement de lutter contre les exclus, de les marginaliser, de
les écarter de la société. Il s'agit de défendre une vertu républicaine, en
protégeant ceux qui défendent la République et qui ont le droit d'être
respectés.
Est-ce encore lutter contre les pauvres que de se battre contre les réseaux de
proxénétisme, contre l'exploitation des êtres humains ? Cela a été tourné en
dérision. Mais, très franchement, comment pouvez-vous, mesdames et messieurs
les sénateurs de l'opposition, sérieusement penser, après tous les débats à la
télévision, à la radio, dans la presse sur la prostitution, que prendre des
mesures contre les réseaux de proxénétisme serait lutter contre les exclus ?
Mme Nicole Borvo.
On ne parle pas des réseaux ! On parle des prostitués !
M. Roger Karoutchi.
Pensez-vous sincèrement que les souteneurs, les proxénètes, les mafias qui
exploitent des êtres humains ont une conscience morale, éthique ?
M. Jacques Mahéas.
Vous ne nous avez pas entendus !
M. Roger Karoutchi.
Mais, si, je vous ai entendus !
Mme Nicole Borvo.
Ce n'est pas dans le texte !
M. le président.
Mes chers collègues, laissez parler l'orateur !
M. Jacques Mahéas.
Monsieur Karoutchi, nous avons dit le contraire !
M. Roger Karoutchi.
Bien sûr ! Vous avez toujours raison !
Le fait de ne pas interdire la prostitution implique-t-il de ne rien faire, de
laisser faire ?
Monsieur le ministre, chacun comprend qu'il faut aider les exploités en étant
intransigeant avec les profiteurs de la misère humaine. C'est à quoi tend votre
projet de loi. Et chacun sait bien à quoi s'en tenir.
Certains disent : il y a déjà des textes ! C'est exact, mais si ces textes
suffisaient, chacune et chacun d'entre nous le sauraient.
L'application des textes, c'est vrai, doit être juste, équilibrée. Pourquoi ne
serait-elle pas plus équilibrée demain qu'hier ?
Les forces de sécurité sont des forces républicaines ! Elles ne vont pas
changer. Elles vont appliquer la loi et faire en sorte que cette loi soit la
mieux appliquée pour chacun de nous. Pourquoi, d'un coup d'un seul,
basculerions-nous dans l'excès et dans l'inacceptable ?
A propos de la lutte contre la mendicité agressive avec des menaces, on a dit
tout à l'heure qu'il existait déjà un délit d'extorsion simple. Mais nous
savons tous que ce délit est très difficile à caractériser et que si un texte
supplémentaire doit-être adopté, c'est que nous avons besoin d'une loi plus
claire, plus complète.
Si le projet de loi qui est examiné aujourd'hui n'est qu'un complément ou un
substitut d'un texte déjà existant, c'est donc que nous avions tous accepté ce
texte.
Ce texte permet aujourd'hui d'aller de l'avant, de faciliter le travail des
forces de police afin qu'elles puissent assurer la sécurité de chacun.
Qui est derrière cette mendicité agressive ? Ce sont les réseaux, les mafias
qui provoquent l'exaspération croissante de nos concitoyens, à commencer,
chacun peut le vérifier en prenant le métro, par tous les utilisateurs des
transports publics.
Les mesures prises pour sécuriser les halls et les entrées d'immeubles
signifient-elles, encore et toujours, qu'on lutte contre les exclus ou les
pauvres ? Vous avez parfaitement raison de le dire, monsieur le ministre, les
mesures prises ne concernent pas directement les immeubles bourgeois des
quartiers résidentiels. Elles visent, pour les plus modestes, le premier droit,
le droit à une vie plus sûre, plus sereine, le droit de ne pas être agressés
dans leur propre immeuble. C'est un droit élémentaire.
Nous avons tous reçus, dans nos communes, des gens qui se plaignent d'une
situation invivable à partir de 18 heures. Nous avons tous reçu des gardiens
d'immeubles qui nous disent que les policiers constatent qu'il n'y a pas délit,
puis repartent. Les gens, eux, restent et le gardien, lui, après, a quelques
problèmes.
Il faut, à certains moments, convenir que des mesures ne sont pas excessives,
qu'elles sont nécessaires pour que la sécurité et la sérénité de chacun soient
respectées.
Monsieur le ministre, je crois que, depuis le début de ce débat, vous avez été
à l'écoute de nos concitoyens. Vous avez été à l'écoute pendant l'élaboration
de ce texte.
Nous verrons ce qui se passera au cours du débat parlementaire, mais nous
savons que vous avez reçu les représentants des associations, et qu'ils vous
ont convaincu de modifier votre texte, notamment sur les squats.
C'est la démonstration que le ministre n'est pas fermé et qu'il écoute.
Lors du débat parlementaire, des améliorations seront peut-être encore
apportées mais, selon moi, très franchement, comme vous l'avez dit vous-même
tout à l'heure, à juste titre, monsieur le ministre, la sécurité ne devrait
être ni de gauche ni de droite. Nous l'avions déjà dit à Daniel Vaillant à
l'époque : la sécurité est un droit éminent pour chacun, du plus modeste au
plus privilégié. Les effets de la nouvelle politique, ils se voient déjà, qu'on
le veuille ou non : les chiffres les plus récents sur la délinquance montrent
l'inversion des tendances.
Bien sûr, cette inversion doit être confirmée. Mais l'inversion est là ! La
hausse n'est plus inéluctable. L'insécurité n'est plus perçue comme un mal
contre lequel personne ne peut rien.
On avait l'impression, depuis plusieurs années, et ce n'est pas un reproche
que j'adresse spécifiquement à la gauche, que l'augmentation de la délinquance
était un mal dans l'air du temps et contre lequel on ne savait plus très bien
que faire. On ne savait d'ailleurs même pas s'il fallait faire quelque
chose.
Vous l'avez dit dans votre intervention, monsieur le ministre, la prévention
est évidemment l'un des fondements de votre politique et de la politique
globale du Gouvernement. Mais chacun sait qu'elle a d'autant plus de portée que
la lutte contre les réseaux, les mafias et la délinquance violente obtiendra de
vrais résultats.
La sécurité est une affaire de mesure : il ne faut ni laxisme ni excès. Le
laxisme conduit à l'affadissement de la République, l'excès à la remise en
cause de la République. Nos concitoyens méritent mieux que les querelles
subalternes autour de votre projet de loi, monsieur le ministre. Agir pour la
sécurité, pour rassurer tous nos concitoyens, c'est faire oeuvre utile pour la
République et pour tous les Français. C'est parce que nous vous faisons
confiance monsieur le ministre, c'est parce que vous allez continuer
inlassablement en ce sens qu'un jour, je l'espère, la sécurité sera pour chacun
et pour chacune de nous une valeur commune et ne fera plus l'objet d'un débat,
ni dans la rue ni au Parlement.
(Applaudissements sur les travées du RPR,
des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Bravo !
M. le président.
La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans leur
vie quotidienne, certains Français avaient peur : ils ne se sentaient pas
protégés contre l'insécurité. Depuis l'adoption de la loi d'orientation et de
programmation sur la sécurité intérieure, voilà à peine quelques mois, chacun a
pu constater les changements intervenus tant dans l'organisation des services
chargés de la sécurité intérieure que dans les esprits. Vos réformes, monsieur
le ministre, ont pour fondement le bon sens. Elles sont donc lisibles pour
l'ensemble des citoyens. Elles ont pour résultat une plus grande efficacité des
services et pour objectif une recherche constante de la performance dans leurs
actions.
La mise en place de la coordination entre la police, la gendarmerie et les
services des douanes, en particulier dans le cadre des groupements
d'intervention régionaux, commence à porter ses fruits sur le terrain.
Pour un certain nombre de missions, la simple mise en oeuvre de ce bon sens
permet d'économiser d'importants effectifs de policiers pour renforcer les
moyens déployés au service de la sécurité des biens et des personnes sur la
voie publique. Il en va désormais ainsi de la surveillance des ambassades et
des autres bâtiments publics protégés à Paris, qui générait un sous-emploi des
forces de police. Je souhaite que prochainement il en soit de même pour le
convoyage des détenus vers les palais de justice, auquel devrait se substituer
le déplacement des juges dans les prisons.
La prochaine mise en oeuvre de la réforme de la carte des zones police et
gendarmerie permettra enfin de rationaliser, avec des effectifs accrus, le
déploiement de notre dispositif de sécurité intérieure et de l'adapter à
l'évolution des menaces qui pèsent sur nos concitoyens.
Le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui s'inscrit dans un contexte
international marqué par la multiplication des actes terroristes et la
diversification des menaces. Les attentats tragiques qui ont visé des
ressortissants français à Karachi, puis un pétrolier français au large du Yémen
montrent que notre pays est une cible pour les organisations terroristes. Le
récent attentat particulièrement meurtrier à Bali rappelle que le terrorisme
n'a plus de frontières, pas plus que de limites dans la barbarie.
Depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, l'ensemble du monde
occidental a pris conscience de l'importance des services de renseignement pour
la prévention des actes terroristes. L'inefficacité des services américains,
s'appuyant trop sur l'électronique, et le constat d'une insuffisante
coordination entre les différentes structures chargées du renseignement, ont
mis en relief
a contrario
la performance qu'il convient de saluer des
services français, reposant beaucoup plus sur la qualité des hommes.
Cependant, face à un terrorisme à la fois mal connu et multiple, notre pays
ne peut se reposer sur un calme aléatoire. Il doit adapter son dispositif à
l'évolution des menaces extérieures et intérieures, afin de renforcer la
prévention et, chacun peut l'espérer, épargner nos compatriotes et notre
territoire national.
Les services de renseignement, la direction centrale des renseignements
généraux et la direction de la surveillance du territoire se distinguent par
des savoir-faire et des réseaux propres, tout en accomplissant des missions qui
se recoupent en partie. La mise en commun des moyens de ces deux directions,
que l'on pourrait imaginer souhaitable dans un souci de rationalisation
administrative, m'apparaît cependant comme pouvant être contre-productive. En
effet, l'existence de deux services distincts permet de multiplier les sources
d'information et de croiser les regards et les analyses sur les menaces qui
s'adressent à notre pays.
Les informations recueillies par ces deux services doivent pouvoir être mises
en commun et comparées, afin de fournir au pouvoir politique la réflexion la
plus précise et la plus étayée possible pour la préparation des décisions. A
cette fin, il est indispensable de favoriser les synergies et les échanges
d'informations ainsi que, cela va de soi, de mettre fin aux détestables
rivalités entre services - mais je connais, sur ce point comme sur beaucoup
d'autres, votre détermination, monsieur le ministre, - pour mettre fin aux
guerres internes, d'autant plus consternantes qu'elles sont pérennes.
Face à une menace terroriste complexe, il faut absolument transcender les
frontières administratives existantes et s'appuyer sur l'ensemble des
expertises disponibles au sein des administrations - ministère de la défense,
ministère des affaires étrangères, ministère de l'intérieur - et, le cas
échéant, à l'extérieur de celles-ci. La mise en place d'une structure de
coordination entre les services spécialisés des ministères concernés semble
indispensable. Elle permettrait en effet de mutualiser les hypothèses et les
conclusions afin d'accroître considérablement la connaissance de la menace et
donc la sécurité.
Je le souligne, croiser les regards et les analyses est indispensable en
matière de lutte contre le terrorisme, dès lors qu'il s'agit de prospective.
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, personne ne peut écarter une
hypothèse sous prétexte que « l'invraisemblable est impossible » puisque
l'invraisemblable a eu lieu.
La diversification des sources et des études doit permettre à la France de
mettre tous les atouts de son côté pour déceler, à un stade précoce, les
menaces terroristes. La création d'une véritable filière du renseignement,
ouverte sur les profils les plus divers et dotée d'un programme de formation
spécifique, serait un apport utile dans la poursuite de cet objectif, en
particulier au niveau des langues : il est indispensable de comprendre certains
prêches.
Je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous ayez à coeur de développer
toutes les synergies au service de la lutte contre le terrorisme. La prévention
constitue l'essentiel de ce travail.
Dans le cadre de cette prévention, prenons en compte le fait que les attaques
terroristes sont souvent ciblées sur des objectifs permettant de médiatiser
l'horreur. Les aéroports sont le siège de contrôles rigoureux qui devraient, je
pense, être étendus à d'autres lieux, en particulier aux gares et aux trains.
Comme vous venez de le dire, il ne faut pas attendre qu'il y ait des victimes
pour agir.
En ce qui concerne la répression, je souhaite que soient adoptées
prochainement l'imprescriptibilité des crimes terroristes, ainsi que
l'incompressibilité des peines prononcées à ce titre. La frontière entre les
crimes contre l'humanité et les crimes terroristes semble s'estomper, tant les
actes terroristes ont franchi, au cours des derniers mois, une nouvelle étape
dans la barbarie et dans l'horreur. J'estime qu'il convient aujourd'hui de
tirer toutes les conséquences qui s'imposent face aux nouvelles menaces, que ce
soit en matière de prévention ou de répression.
Monsieur le ministre, votre détermination a été essentielle pour changer
l'état d'esprit d'une police, souvent découragée par un pouvoir politique qui
s'interrogeait plus sur la conformité de son action avec son idéologie que sur
la mise en échec des délinquants. Je rappellerai cette phrase éloquente
prononcée en ces lieux : « Nous voterons la loi sur la sécurité intérieure,
mais c'est contre notre culture ».
Votre culture, monsieur le ministre, c'est celle du résultat. Votre volonté
est d'assurer à tous la même sécurité, en particulier aux plus faibles d'entre
nous, qui sont les plus exposés. C'est une action qui nécessite du temps, qui
connaîtra des périodes difficiles mais, soyez-en certain, votre détermination a
rendu aux Français l'espoir d'une vie plus paisible.
(Applaudissements sur
les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et
une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Guy Fischer.)