SEANCE DU 19 NOVEMBRE 2002
M. le président.
La parole est à Mme Jacqueline Gourault, auteur de la question n° 73, adressée
à Mme la ministre déléguée à l'industrie.
Mme Jacqueline Gourault.
Madame la ministre, je veux attirer votre attention sur la situation du bassin
d'emploi de Romorantin et de Salbris, en Loir-et-Cher. Les difficultés de ce
bassin d'emploi sont liées aux lourdes incertitudes relatives au maintien de
l'activité de Matra-Automobile au sein de ce territoire pourtant déjà durement
touché par la disparition des activités d'armement à Salbris, notamment avec le
départ de Giat industrie. En effet, depuis 1984, Matra-Automobile fabriquait à
Romorantin, pour l'entreprise Renault, le modèle Espace. Or Renault a décidé de
délocaliser la production de la quatrième génération de l'Espace dans l'une de
ses nouvelles usines de Sandouville, en Seine-Maritime.
Au plus fort de la production, l'usine de Romorantin comptait trois mille
salariés. Elle n'en compte plus à ce jour que mille six cents, dont huit cents
voient leur emploi menacé à court terme.
L'activité future de Matra-Automobile à Romorantin est désormais entièrement
dépendante de l'Avantime, commercialisée par Renault, du modèle buggy biplace
M72, qui devrait être produit en 2003, et de la volonté de Renault de
participer ou non au développement d'un troisième modèle, dont le nom est
également symbolique, le P83.
La disparition complète de la production automobile est un risque bien réel et
aurait, le cas échéant, de très lourdes conséquences économiques et sociales
tant pour Romorantin que, plus globalement, pour le sud du Loir-et-Cher et les
régions limitrophes des départements du Cher et de l'Indre.
L'avenir de Matra-Automobile dépend donc de la réussite de ces produits et de
la future stratégie industrielle de Renault. L'entreprise porte, naturellement,
une part importante de responsabilité dans la situation actuelle et - dois-je
le rappeler ? - l'Etat reste l'un de ses principaux actionnaires. Madame la
ministre, j'appelle également votre attention sur la volonté de cession par le
groupe Lagardère, actionnaire unique de Matra, de son activité automobile et
sur les conséquences éventuelles de cette décision sur l'activité automobile à
Romorantin et sur l'usine Venture de Theillay.
Madame la ministre, que pensez-vous pouvoir proposer pour favoriser, compte
tenu de la position de l'Etat au sein de Renault, le maintien d'une activité
automobile à Romorantin ? Quels sont les outils nationaux ou européens qui
pourraient être utilisés pour permettre à ce territoire de faire face à ses
difficultés économiques et sociales actuelles ?
M. le président.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nicole Fontaine,
ministre déléguée à l'industrie.
Cette question porte sur un territoire
durement touché par des restructurations industrielles. Soyez assurée, madame
la sénatrice, de l'importance que j'attache plus particulièrement au devenir de
Romorantin.
Je crois qu'il faut replacer ce dossier dans son contexte et dans sa
chronologie.
On parle actuellement de l'absence d'action de l'Etat ; on dit que l'Etat ne
jouerait pas son rôle d'actionnaire, au demeurant minoritaire.
Il faut rappeler que le rôle fondamental des pouvoirs publics est de ménager
les conditions favorables permettant aux entreprises de se développer et de
prospérer, créant ainsi à la fois l'emploi, les compétences et la richesse
collective et, lorsque cela est nécessaire, d'adapter leur stratégie
industrielle afin de réussir leur mutation.
Je ne peux que regretter avec vous, madame Gourault, que cela ait été, en
quelque sorte, oublié par le gouvernement précédent. Cette forme d'amnésie
semi-collective vaut à la France, ces derniers jours, les honneurs de la
presse, notamment anglo-saxonne, sur le thème de la perte d'attractivité de
notre territoire.
Il reste néanmoins que de nombreux voyants sont aujourd'hui à l'orange, si ce
n'est au rouge. C'est bien l'une des orientations majeures de notre
gouvernement que de remédier à cette situation. De nombreuses mesures
importantes ont déjà été prises allant, je crois pouvoir le dire, dans la bonne
direction avec, notamment, l'assouplissement des 35 heures et l'allégement des
charges sur le coût du travail, en particulier sur les bas salaires.
D'autres mesures suivront ; je citerai, en particulier, le plan en faveur de
l'innovation que je présenterai prochainement en conseil des ministres.
En ce qui concerne plus précisément l'avenir de Romorantin, Matra-Automobile a
bâti sa stratégie industrielle autour d'un produit phare, l'Avantime.
Malheureusement, force est de constater que les ventes actuelles restent très
en deçà des objectifs initiaux : produit particulièrement innovant, il
nécessite du temps pour s'installer sur le marché. Je rappelle qu'il a fallu à
l'Espace plus d'un an pour voir ses ventes décoller.
Sachez que je me suis personnellement entretenue de cette question avec M.
Schweitzer. Il m'a confirmé que l'Avantime est un produit important pour
Renault, précurseur de sa nouvelle identité de marque, aujourd'hui déclinée sur
tout le haut de gamme, et qu'un effort de marketing important est en cours pour
en promouvoir la vente.
M. Schweitzer m'a également confirmé que Renault apportait son soutien à la
commercialisation d'un deuxième véhicule, le M72. Il s'agit d'une petite
voiture conçue par Matra, présentée au dernier Mondial de l'automobile, cet
automne, et destinée à compléter la gamme de véhicules produits à
Romorantin.
En ce qui concerne le plan social, madame Gourault, il est très important de
noter que la direction de l'entreprise et les syndicats sont parvenus à un
accord sur l'indemnisation du personnel licencié et sur les modalités de leur
accompagnement vers un reclassement. Je crois vraiment que Matra s'est, dans ce
domaine, comporté de façon responsable à l'égard de son personnel.
Il reste aujourd'hui un point important, et même déterminant, madame la
sénatrice : la revitalisation du bassin d'emploi de Romorantin.
Comme vous le savez, la loi met à la charge des groupes industriels la
revitalisation des bassins d'emploi touchés par une restructuration. Dans cet
esprit, Matra a déjà contribué à la mise en place et au financement de la
structure ROMA dédiée à la promotion des capacités d'accueil de l'agglomération
de Romorantin-Lanthenay.
Le Gouvernement est intervenu auprès du groupe Lagardère afin d'obtenir le
renforcement des actions engagées pour favoriser la création d'emplois
nouveaux. La direction de Matra vient ainsi, en réponse à ces sollicitations,
de charger l'un des membres de son état-major non seulement de rechercher des
investissements qui pourraient être réalisés à Romorantin, tant au sein du
groupe Lagardère que chez les sous-traitants, mais aussi de rechercher plus
généralement de la charge de travail pour cette usine.
Je puis vous dire, madame la sénatrice, que je veillerai personnellement à
obtenir du groupe Matra que les engagements de revitalisation du bassin
d'emploi soient tenus à la hauteur des emplois supprimés.
Ces engagements feront l'objet d'une convention entre Matra et l'Etat
permettant d'assurer leur mise en place et leur suivi, et ce même après
l'entrée éventuelle de nouveaux actionnaires dans le capital de
Matra-Automobile.
M. le président.
La parole est à Mme Jacqueline Gourault.
Mme Jacqueline Gourault.
Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre, ainsi que des
engagements clairs que vous venez de prendre devant cette assemblée.
Je tiens à souligner que, lors des négociations qui ont eu lieu entre la
direction et les représentants des salariés, les uns et les autres ont fait
preuve d'une grande dignité - c'est vrai, d'ailleurs, dans tout ce bassin
d'emploi -, dignité d'autant plus remarquable qu'il s'agit tout de même de la
disparition de milliers d'emplois, aussi bien à Salbris qu'à Romorantin. Je
tenais à rendre cet hommage aux entreprises et aux salariés.
LIBÉRATION D'INGRID BETANCOURT