SEANCE DU 19 NOVEMBRE 2002


M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Pierre Fauchon, pour explication de vote.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis trop longtemps les gouvernements successifs de notre pays se sont ingéniés à fermer les yeux sur nos problèmes les plus graves et à repousser à plus tard les réponses.
Il faut donc se réjouir de ce que ce Gouvernement ait pris à bras-le-corps le problème de l'insécurité, disons plutôt des insécurités puisqu'elles s'étendent depuis la vie quotidienne jusqu'aux grands trafics criminels, où s'entremêlent les actions illicites les plus sordides et les plus dangereuses.
Réjouissons-nous également - et je ne dis pas cela par politesse, moins encore par flagornerie - de ce que le Gouvernement ait confié cette mission si essentielle et si exposée à un homme qui n'a pas froid aux yeux (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE) comme il l'a montré naguère dans sa commune de Neuilly, un homme qui sait appeler un chat, un chat, un délinquant, un délinquant ; un désordre, un désordre ; un homme qui a clairement compris que, dans ce domaine, nous sommes en état de combat et que ce combat doit être mené, comme tout combat, non seulement à partir des tribunes mais bien davantage sur le terrain, à la tête des troupes qu'il s'agit d'organiser, d'animer, de mobiliser.
Merci d'agir comme vous le faites, monsieur le ministre !
Dans cet esprit, nous ne marchanderons pas les mesures qui vous paraissent nécessaires, d'abord parce que nous vous faisons confiance, ensuite parce que nous les apprécions au regard des maux auxquels il s'agit de remédier et qui vont croissant, enfin, parce que nous avons appris de longue date que les vraies atteintes aux libertés publiques résultent le plus souvent, pour ne pas dire toujours, non des textes mais des pratiques.
La plupart des régimes totalitaires et liberticides que nous avons connus brillaient par l'excellence de leurs systèmes juridiques, ce qui ne les empêchait nullement de les bafouer de la manière la plus systématique et la plus cynique. On me dispensera de citer des noms ; ils sont dans tous les esprits.
Notre concours à l'action du Gouvernement ne se borne pas cependant au vote des textes proposés et que notre rapporteur, à qui je rends hommage, a su analyser et amender avec sagesse, après avoir procédé à des auditions de façon tout à fait scrupuleuse, je l'en félicite.
Notre réflexion ne saurait s'arrêter aux mesures de protection et de répression, qui sont, sans doute, de première nécessité. Sachant que ces mesures, si elles peuvent enrayer le développement du mal et faire régresser celui-ci, atteignent les conséquences plus que les causes, notre réflexion doit se porter sur ces causes.
Dans leur aspect nouveau par rapport à la délinquance traditionnelle, ces causes sont de deux ordres, de nature bien différente.
Les unes relèvent de la criminalité internationale, à laquelle l'ouverture des frontières jointe aux technologies nouvelles a offert un champ quasiment infini. C'est tout le problème de l'espace judiciaire européen : mandat d'arrêt européen, parquet européen, législation commune, juridictions communes. Voilà un vaste chantier où l'on n'avance guère alors que les événements nous pressent d'agir et condamnent cruellement la paralysie de l'ensemble des gouvernements européens - et je ne vise pas le nôtre en particulier - paralysie qui équivaut objectivement à une forme de complicité, ne reculons pas devant le mot.
Les autres sources concernent ce si grand nombre de jeunes, y compris d'enfants qui sont en rupture de ban avec notre société, dont ils attendent beaucoup sans se croire tenus à quelque obligation que ce soit à son égard.
Que faire pour préserver les nouvelles générations et limiter le nombre des « sauvageons » ? Que faire pour inculquer à nos enfants le sens de la responsabilité, le sens de la solidarité, de l'initiative, du bien commun, qui, très au-delà de l'instruction civique, sont indissociables de l'idée même de civilisation ?
Nous ne saurions nous décharger de ce souci en le renvoyant sur les seules familles, souvent absentes et accablées d'occupations quand elles sont présentes. N'oublions pas qu'aujourd'hui le père comme la mère de famille travaillent.
Ne comptons pas non plus sur les autres formes d'encadrement de la jeunesse : religion, associations, dont le rôle est devenu très marginal. Il reste un lieu, et un seul, où toutes les générations passent, et passent le plus clair du temps de l'enfance et de l'adolescence : c'est l'école. Ne devons-nous pas nous interroger sur le moyen d'utiliser l'école à des fins réellement éducatives, parfaitement distinctes - j'en suis pleinement conscient - de l'enseignement proprement dit ?
Ne faut-il pas s'interroger sur la possibilité de consacrer une partie substantielle du temps scolaire à des activités collectives, de sports ou de plein air mais pratiquées en groupe, c'est-à-dire dans ces petites cellules où il est encore possible de diffuser par l'exemple et l'expérience vécus les valeurs de la vie sociale, ce qui suppose à coup sûr du temps, des équipements et plus encore des moniteurs spécialisés ?
Vaste programme sans doute ! Mais cette transformation profonde de l'éducation nationale est toutefois rendue possible par le fait que l'acquisition des connaissances se répartit maintenant sur l'ensemble de l'existence.
Telles sont, monsieur le ministre, les raisons et les perspectives de notre vote. Sans doute, ces perspectives dépassent-elles le champ de votre compétence immédiate, mais non celui de vos préoccupations, j'en suis persuadé.
Elles traduisent non seulement notre souci de vous aider à limiter et à réduire les atteintes à la sécurité, mais aussi celui de combattre le mal à sa racine, à ses racines. Vous êtes mieux placé que personne pour savoir qu'il faut aller jusque-là si l'on veut, comme vous le voulez et comme nous le voulons avec vous, faire en sorte que la force de la loi l'emporte sur la loi de la force. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre, le débat qui a eu lieu sur votre projet de loi nous a tous passionnés, et au premier chef parce que le texte que vous nous avez soumis était excellent ; en tout cas, je l'ai estimé comme tel, même si d'autres ont pu le critiquer. Quoi qu'il en soit, chacun reconnaît qu'il est de nature à faire avancer les choses.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ah non !
M. Roger Karoutchi. Quant au rapport présenté par notre collègue Jean-Patrick Courtois, c'est un document intelligent, qui a parfaitement éclairé le débat, étant à la pointe, lui aussi, de tout ce qui concerne la sécurité dans notre pays. Toutefois ce débat, avec ses 280 amendements, sur lesquels on a pu apprécier les interventions des uns et des autres, a montré qu'en réalité la notion de sécurité, valeur républicaine s'il en est, n'a pas encore fait l'objet, de la part de chacun d'entre nous, de toute la réflexion nécessaire.
Oui, la sécurité fut l'une des priorités énoncées lors des élections de 2002, à gauche comme à droite, peut-être pas avec la même force, encore que, sur certains points, la gauche ait fait des propositions sur lesquelles elle est revenue depuis et qu'elle a notamment critiquées dans le texte actuel !
M. Jacques Mahéas. Pas du tout !
M. Roger Karoutchi. Ce débat a montré qu'il fallait encore évoluer. Dans bien des cas, à gauche de cet hémicycle, le débat se poursuit entre ceux que j'appellerai les « sécuritaires idéologues » et les « sécuritaires pragmatiques ». Ne l'ayant pas tranché, les premiers se sont employés à critiquer dans le texte ce qui n'y était pas. A les en croire, le texte gouvernemental s'en prendrait de manière générale aux pauvres, aux prostituées, aux mendiants agressifs... Que n'a-t-on entendu ! Ils sont allés jusqu'à comparer les chiens à des peluches,...
Mme Marie-Christine Blandin. C'était votre ministre !
M. Roger Karoutchi. ... qui ne pouvaient en aucun cas présenter un danger pour quiconque.
La réalité, c'est que le texte gouvernemental, amendé par le Sénat, s'en prend aux exploiteurs, aux mafieux, aux dérives, à toutes celles et à tous ceux qui nuisent réellement à la sécurité de nos concitoyens, de nos concitoyens les plus modestes, d'abord.
Sur ce plan, nous avons fait évoluer le texte. Le Gouvernement a accepté un certain nombre d'amendements émanant de la commission des lois mais aussi de divers sénateurs, quel que soit le camp auquel ils appartiennent.
Aujourd'hui, je crois pouvoir dire en toute sincérité que le texte que nous allons voter fait évoluer les choses. Grâce à cette loi, les gens rentreront peut-être demain dans leur immeuble sans craindre - du moins, je l'espère - les bandes qui stationnent en bas et qui constituent pour eux une véritable nuisance. Celles-ci sont composées non pas de jeunes, ni de vieux, ni de moins jeunes, ni de moins vieux, mais parfois de délinquants contre lesquels il faut agir. Comme l'a dit M. Fauchon tout à l'heure, il faut appeler un chat un chat. Nous n'en voulons à personne en particulier. Nous n'avons déclaré la guerre à aucune catégorie, loin s'en faut ! Au contraire, ce projet de loi vise, au-delà des clivages politiques, à rassembler tous les Français dans la défense de leur bien premier qui est la sécurité. Tant que certains ne comprendront pas cela, effectivement, il y aura débat.
Quoi qu'il en soit, monsieur le ministre, votre action n'a qu'un objectif : faire de la sécurité le bien commun des Français, qu'elle cesse d'être un sujet de débat parce que c'est une valeur universelle pour tous, du plus modeste au plus privilégié. Vous voulez faire en sorte que chacun soit assuré de pouvoir vivre tranquillement dans son quartier, où qu'il soit, en toute sécurité, et pour cela, oui, monsieur le ministre, je vous dis « merci » de la part des Français ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la sécurité est pour nous une préoccupation essentielle et, que ce soit bien clair, les socialistes considèrent qu'il s'agit de la première des libertés.
M. Jean Chérioux. C'est un scoop !
M. Jacques Mahéas. Pour autant, le débat sur le projet de loi pour la sécurité intérieure ne nous a donné satisfaction ni sur la forme ni, plus grave, sur le fond.
Sur la forme, je tiens à répondre à l'invective de l'un des vôtres qui m'a traité de « bobo complexé ». Il n'y a, sans doute, nulle honte à être un « bobo », mais il se trouve que, pour ma part, je ne suis ni bourgeois ni bohème !
Quand je passe porte de Saint-Ouen, ce n'est certainement pas pour aller dîner rive gauche ! Je discute d'autant plus volontiers avec les Audoniens que c'est dans leur ville que j'ai passé ma jeunesse. J'y ai connu la guerre, puis j'y ai enseigné.
Avec force déclarations patelines, monsieur le ministre, vous mettez beaucoup d'ardeur à vous « approprier » la défense des classes sociales défavorisées. Mais croyez-vous qu'avoir été maire de Neuilly-sur-Seine pendant près de vingt ans vous rende particulièrement crédible sur le sujet ? (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Chérioux. C'est scandaleux, ce que vous dites !
M. Alain Gournac. Toujours aussi brillant !
M. Jacques Mahéas. Personnellement, avec mes vingt-cinq ans de terrain à Neuilly-sur-Marne, me mettre à défendre les nantis m'aurait conduit, de la même manière, à me rompre le cou !
M. Josselin de Rohan. C'est mauvais, cela !
M. Jacques Mahéas. Nous avons écouté vos orateurs ! Alors, faites-nous la gentillesse de nous écouter, même si cela vous donne des complexes ! (Rires et exclamations sur les mêmes travées.)
M. Alain Gournac. Les nôtres, ils étaient bons !
M. Jacques Mahéas. Quand je fais face, quotidiennement, aux réalités de la banlieue et à ses difficultés, comment osez-vous me répondre : « On a les commissaires qu'on mérite ! » Eh bien, justement, il se trouve qu'il n'y a, actuellement, aucun commissaire à Neuilly-sur-Marne, ce qui est sans doute imputable à un défaut d'organisation qui n'est pas de mon fait.
Que dire, d'autre part, de l'inscription d'un texte jugé si important en urgence ? Pourquoi n'en permettre qu'une lecture au Sénat ? Pourquoi toute cette précipitation, alors que l'Assemblée nationale attendra le mois de janvier pour s'en saisir ?
Sur le fond, comment qualifier ce projet de loi ?
Il est à la fois médiatique, répressif, incohérent, inapplicable et hypocrite. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Josselin de Rohan. Et intelligent !
M. Jacques Mahéas. Texte médiatique, disais-je. Ce pourrait être positif. Certaines mesures, comme les bons et mauvais points distribués aux préfets ou la désactivation des portables volés, ne manqueront pas de porter leur effet, faisant diminuer les chiffres de la délinquance et, donc, reculer le sentiment d'insécurité.
Je persiste néanmoins à ne pas comprendre pourquoi vous refusez obstinément, monsieur le ministre, la création d'un observatoire indépendant chargé des statistiques de la délinquance.
Texte répressif, et uniquement répressif puisqu'il prévoit une batterie de nouveaux délits mais n'envisage aucune mesure préventive ou éducative.
Texte incohérent et inapplicable : quelques exemples suffiront à le montrer.
S'agissant des gens du voyage, votre logique se heurte à l'absurde, monsieur le ministre. Saisir simplement les véhicules revient à installer le camp à demeure !
Quant aux regroupements dans les entrées, cages d'escalier et autres parties communes, il faudra mobiliser de nombreux policiers et gendarmes dès que vingt jeunes seront réunis, lesquels auront tôt fait de filer dans les caves, qui sont, elles, des parties privatives.
Au demeurant, vous n'ignorez pas que la multiplication des chefs d'inculpation, dont certains font clairement double emploi avec ceux qui existent déjà, aboutira à la confusion et à de nombreuses contestations d'avocats qui s'en feront les spécialistes.
Texte hypocrite, enfin : faute de temps, je ne citerai qu'un exemple. Vendredi dernier, vous nous avez déclaré ici même que votre projet de loi ne traitait pas des « mendiants ». Or, dans son exposé des motifs, il est indiqué, à propos des articles 22 et 23, qu'ils donnent « un cadre juridique à la lutte contre des formes nouvelles et spécifique de mendicité ». Entre « mendiants » et « mendicité », la nuance est ténue et la distinction, spécieuse !
Pour conclure, permettez-moi de citer l'un des vôtres, vice-président de notre commission des lois : « Je ne crois pas beaucoup à l'efficacité de ces mesures, ni à leur dangerosité. Il faut s'interroger sur les actions de prévention et repenser à notre système d'éducation. » C'est à croire, monsieur le ministre, que votre projet de loi ne fait pas l'unanimité non plus du côté droit de l'hémicycle. (Si ! Si ! sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Vous allez voir cela tout à l'heure !
M. Jean-Claude Carle. Ne vous faites pas trop d'illusions !
M. Jacques Mahéas. Et c'est bien légitime puisqu'il s'agit d'un texte qui a fédéré contre lui les humanistes et les progressistes, les travailleurs sociaux,...
M. Henri de Raincourt. Les socialistes et les communistes !
M. Jacques Mahéas. ... l'abbé Pierre,...
M. Henri de Raincourt. Vous oubliez Mgr Gaillot !
M. Jacques Mahéas. ... d'un texte qui ne s'attaque qu'aux conséquences visibles de la délinquance, négligeant les causes, stigmatisant des populations en souffrance sociale, d'un texte, enfin, qui refuse la main tendue...
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Jacques Mahéas. ... pour secourir et pour aider et lui préfère, ostensiblement, la main levée pour frapper et humilier. (Protestations sur les mêmes travées.)
M. le président. C'est terminé, monsieur Mahéas !
M. Jacques Mahéas. Laissez-moi encore dire, monsieur le président, que, en conséquence, le groupe socialiste ne peut que voter contre un tel projet de loi.
M. le président. Vous en êtes à six minutes vingt-six !
M. Jacques Mahéas. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. Vous avez largement dépassé votre temps de parole !
M. Jacques Mahéas. Monsieur le président, j'ai été le troisième orateur à prendre la parole. Il est seize heures vingt. J'ai chronométré les orateurs de la majorité : vous les avez largement laissés déborder. (Protestations sur les mêmes travées.)
M. Jean-Claude Carle. Ce n'est pas vrai !
M. Nicolas About. C'est de la mendicité agressive, cela !
M. Jacques Mahéas. Je souhaiterais que, pour une minute, vous ayez la même attitude avec nous qu'avec les orateurs de la majorité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Monsieur Mahéas, je ne vous permets pas de mettre en doute mon honnêteté dans ma manière de présider ce débat ! J'ai ici les temps de parole et les horaires, contrôlés par mes collaborateurs : vous en êtes à six minutes vingt-six. Au bout de cinq minutes, je vous ai demandé de conclure. Aucun des orateurs qui vous ont précédé n'a atteint cinq minutes.
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, je prendrai d'abord trente secondes pour faire une mise au point. C'est M. Xavier Emmanuelli qui avait employé le terme « peluche ». Je n'avais fait que reprendre les propos d'un ancien ministre du gouvernement de M. Alain Juppé.
Monsieur le ministre, vous ne nous avez pas convaincus, au contraire, vous le savez.
Nous sommes très inquiets du choix incohérent d'un gouvernement qui, d'une part, donne acte aux habitants de leur demande de tranquillité mais, d'autre part, réduit les budgets et les emplois de la paix sociale et de la justice économique.
Vous avez répondu aux alertes de nos collègues en leur disant : « Vous parlez social, économie, etc., mais pas de la réalité concrète. » Eh bien, pour nous, la pauvreté, la prévention spécialisée, le travail des associations, la surcharge carcérale, c'est du concret.
Et puis il y a ce que vous écrivez dans la loi, ce que vous écrivez dans l'exposé des motifs, ce que vous dites calmement ce que vous dites dans la colère ou l'enthousiasme d'une présentation quasi électorale. Dans la loi, il n'y a ni mendiant, ni jeune, ni prostituée, ni gens du voyage parmi les suspects. Dans l'exposé des motifs et dans vos propos, en revanche, les portraits-robots se précisent.
Pour ce qui est de la précision, ce n'est pas la caractéristique des formulations employées à propos des délits que vous créez. Des expressions comme « attitude passive » ou « solliciter des fonds avec un animal dangereux » ouvrent la porte aux interprétations diverses et à l'arbitraire.
Enfin, notre collègue Jean-Pierre Sueur a pointé le fait que, dans les médias, les prostituées sont souvent toutes « bulgares », les mendiants, « roumains » et les gens du voyage, « venus d'ailleurs ».
Quiconque, dans cette assemblée, a tenté de vous montrer les risques de ce texte, a eu droit, de votre part, à une distribution de blâmes, rôle inédit pour un ministre au Sénat : « naïveté », « angélisme », « mensonge », « ingénu », « masque de l'hypocrisie », « argumentation lamentable » et, injure suprême, « bande d'intellectuels ».
M. Nicolas About. Cela ouvre les yeux !
Mme Marie-Christine Blandin. En dehors des justes peines pour ceux qui exploitent la mendicité des autres, le code pénal comportait déjà l'arsenal juridique que vous remettez en scène. En revanche, vous prenez de grands risques à permettre le port d'armes à ceux qui n'ont comme fonction que le gardiennage d'immeuble. Je précise au passage qu'il n'a jamais été question, dans nos amendements, de supprimer les armes des transporteurs de fonds, contrairement à ce que vous avez compris ou feint de comprendre.
Monsieur le ministre, ce texte est une étape de plus dans la communication sécuritaire, mais il ne répond pas aux légitimes attentes des gens. Il n'empêchera pas les filles de se faire violer ni les voitures de brûler. Il ne tarira pas les causes de la violence.
Aujourd'hui, vous jouissez de vos sondages. Demain, les gens regarderont si, oui ou non, la société est apaisée et vous demanderont des comptes.
Vous vous plaisez aussi à répéter que les Français ont exprimé une attente. N'oubliez quand même pas que, le 1er mai, sur l'initiative de la gauche, les Français étaient tous dans la rue (Rires sur certaines travées du RPR) non seulement pour faire barrage à des leaders d'extrême droite mais aussi pour éviter une politique régressive et répressive.
Parce que nous percevons votre projet de loi, comme relevant d'une telle politique, nous voterons contre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - Mme Hélène Luc applaudit également.)
M. le président. Quatre minutes et trente et une secondes !
La parole est à Mme Nicole Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la violence, les actes agressifs et, l'insécurité qui en découle se sont considérablement développés, et ce depuis longtemps. Voilà une chose sur laquelle nous pouvons tous être d'accord. Mais ils se produisent dans une société bouleversée, où l'insécurité sociale est impitoyable.
Les mafias, les trafics et l'économie parallèle profitent de la dégradation des conditions de vie, de l'absence de perspectives d'avenir pour de trop nombreux jeunes. Les solidarités volent en éclat. Le mépris de la personne se conjugue au culte de la force et de l'argent.
Face à cela, un sentiment d'abandon a effectivement gagné des pans entiers de la population.
Nous sommes ainsi confrontés à un véritable éclatement de la société. Car comment croire sérieusement que les hommes, les femmes et les jeunes d'aujourd'hui seraient « par nature », en quelque sorte, plus violents, plus délinquants qu'il y a vingt ans ? C'est impensable !
Monsieur le ministre, chers collègues de la majorité sénatoriale, vous prétendez vous attaquer à la violence et à la délinquance en y opposant la surenchère du bâton et de la prison. C'est une supercherie !
L'escalade dans la répression ne fera que nourrir l'insécurité. En effet, avec des populations et des jeunes désignés d'avance au soupçon, avec cette guerre aux pauvres et aux plus fragiles, avec les atteintes à la dignité, la haine et les ressentiments trouveront dans cette escalade de nouveaux ressorts. Malheureusement, c'est bien ce qui est en train de se passer.
Comment les caïds, comme les plus dangereux démagogues, ne prospéreraient-ils pas sur un tel terreau ? Et, à chaque loi, à chaque étape, nos libertés sont dangereusement diminuées.
Nous avons défendu l'exception d'irrecevabilité parce que votre texte, monsieur le ministre, nous paraissait déroger à des principes fondamentaux de notre droit. C'est ce que dit en substance la Commission nationale consultative des droits de l'homme, dont les membres et le président, récemment nommé par le Premier ministre, ne sont pas tous, que je sache, vos adversaires politiques ou de doux rêveurs !
Cette escalade est sans fin ; elle désigne des boucs émissaires et divise les populations.
Faire reculer l'insécurité implique de poursuivre avec la même détermination deux objectifs essentiels.
Evidemment, tout acte de violence ou de délinquance doit être combattu et ses auteurs sanctionnés. Leurs victimes ont droit à réparation matérielle et morale. C'est ainsi que la société établit et fait respecter les règles de vie en commun et les valeurs qui la fondent.
En vingt ans, nous avons connu une suite ininterrompue de modifications du code pénal : lois « Bonnet », « Peyrefitte », nouveau code pénal, lois « Pasqua », « Debré », « Vaillant » ! (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
MM. Roger Karoutchi et Josselin de Rohan. Ah ! Vaillant !
Mme Nicole Borvo. Vous avez bien entendu ! Si vous voulez, je peux me répéter : lois « Bonnet », « Peyrefitte », « Pasqua », « Debré » ou « Vaillant » !
M. Alain Gournac. N'attaquez pas Vaillant ! (Sourires sur les mêmes travées.)
Mme Nicole Borvo. Je suis tentée de dire : « N'en jetez plus dans le durcissement des peines ! » Ce n'est qu'affichage politique.
Les lois pénales existent. Il faut les faire appliquer et, pour cela, évidemment, donner des moyens non seulement à la police et à la justice, mais aussi aux diverses institutions dont l'action conjointe est nécessaire, d'une part, pour réparer et protéger et, d'autre part, pour dissuader, réprimer et réinsérer les auteurs d'actes de violence et de délinquance.
La société doit s'attaquer à tout ce qui constitue des ferments de violence et d'insécurité : les injustices, les inégalités, les ségrégations, la pauvreté, qui engendrent souffrances, humiliations, frustrations, désespoir et haines.
Elle doit s'attaquer à tout ce qui dégrade les valeurs humaines et réduit à l'état de marchandises les femmes, les hommes, les jeunes.
Elle doit faire reculer les dominations et les violences sexistes, racistes, de classe, de groupes, de clans.
Elle doit rechercher en toutes circonstances des réponses humaines aux problèmes des populations migrantes.
Elle doit donner force aux valeurs de respect et de dignité de chaque être humain, en commençant par le respect des plus faibles - les immigrés, les pauvres, les jeunes et les sans-droits -, en faisant avancer la justice et l'égalité.
Hélas ! nous sommes loin, aujourd'hui, de la loi contre les exclusions de 1998, qui ouvrait la voie à des mesures positives.
Les pouvoirs publics doivent développer tout ce qui permet le progrès social et humain. Que l'éducation et la culture mettent réellement en partage les savoirs et les valeurs de civilisation ! Que les services publics garantissent l'égal accès et usage des biens et des services ! Que les protections sociales se renforcent sur leur socle solidaire ! Que chacun bénéficie d'un logement et d'une sécurité d'emploi ! Que la ville, les quartiers et l'espace public prennent des dimensions humaines ! Que la démocratie s'enrichisse d'un réel partage des responsabilités et des pouvoirs !
On en est loin ! Vos orientations sont tout autres et votre conception de la tranquillité publique est fort différente de la nôtre. Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voterons contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur celles du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici parvenus au terme de nos débats.
Nous ne dirons jamais assez que nous, les élus communistes, qui sommes pour la plupart, vous en conviendrez, élus dans des villes souvent difficiles, ne nions pas la réalité des besoins et des attentes des Français en matière de sécurité.
Nous estimons qu'il revient à l'Etat et à la société civile de construire des réponses proportionnées et adéquates à cette légitime attente de nos concitoyens. C'est précisément dans les réponses à apporter que nos points de vue divergent le plus.
A notre sens, la répression ne réglera pas les problèmes quotidiens des Français qui ont pour nom : chômage, précarité, pouvoir d'achat, retraites, habitat, santé, éducation, et j'en passe ! L'adoption de normes juridiques répressives apparaît comme une réponse rapide, trop rapide, aux aspirations des Français. Mais qu'adviendra-t-il à long terme ? Croyez-vous un seul instant que vous ferez baisser le sentiment d'insécurité en stigmatisant, sans proposer un traitement social de fond, les populations les plus fragilisées ou en marge de la norme sociale : jeunes, SDF, étrangers, postituées, squatters, gens du voyage ?
Plus que la délinquance, c'est la déviance qui est sanctionnée dans votre texte, qui prend pour cibles autant des comportements que des actes.
Déclarer la guerre à la délinquance, c'est bien ; cela peut, éventuellement, rassurer les Français, mais uniquement à très court terme.
En revanche, donner de l'espoir aux jeunes, un emploi aux chômeurs, un habitat décent aux sans-logis, c'est plus long, mais c'est plus efficace.
Etait-il vraiment utile d'ajouter dans notre code pénal - qu'on peut difficilement qualifier de laxiste - de nouvelles incriminations alors même qu'il visait déjà 12 000 infractions, dont certaines permettent évidemment de répondre à l'objectif que vous visez ?
Commençons par appliquer les textes existants et par donner à la justice les moyens de remplir convenablement ses missions avant d'engager de telles réformes.
Pendant les débats parlementaires, avec le mouvement syndical et associatif, nous avons été nombreux à dénoncer le caractère liberticide de votre texte.
Depuis le 15 novembre dernier, la Commission nationale consultative des droits de l'homme, qui s'est elle-même saisie du texte, ne dit pas autre chose. Il ressort ainsi de son avis que votre projet de loi est un texte dangereux pour les libertés publiques, porteur d'un ordre moral dirigé contre une partie de la population, au mépris de certains principes de droit. Irez-vous jusqu'à taxer cette commission de « droits-de-l'hommiste », alors qu'elle comprend plusieurs personnalités proches de la droite ?
Le système policier et répressif que vous souhaitez mettre en place trouve sa traduction dans le projet de budget pour 2003, qui est principalement axé sur le sécuritaire. Priorité absolue est en effet donnée aux fonctions régaliennes de l'Etat : les crédits de la justice augmentent de 7,4 %, ceux de la défense de 6,1 % et ceux de l'intérieur de 5,1 %.
M. Jean-Pierre Schosteck. Et c'est bien !
M. Robert Bret. Dans le même temps, vous négligez les budgets qui sont nécessaires au soutien de l'activité économique, du secteur social, du monde éducatif et des actions de prévention.
En résumé, il y aura moins d'adultes dans les écoles, plus de policiers pour arrêter les jeunes et plus de surveillants dans le prisons.
M. Jean-Pierre Schosteck. Parfait !
M. Robert Bret. Là, avec votre texte, il y a de l'avenir !
A la recherche, au développement, à la culture, à la redistribution, vous opposez l'ordre, la surveillance, la suspicion et la punition. Quel est l'avenir d'une société qui ne propose que des réponses pénales ?
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, les sénateurs communistes voteront résolument contre votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur celles du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous apprêtons à voter un texte important.
Important, car la sécurité est et reste la première préoccupation de nos concitoyens.
Important, car il conjugue éthique et réalité, et répond aux engagements pris devant les Françaises et les Français par le Président de la République.
Important, car, après la loi d'orientation que nous avons adoptée en juillet, il en fixe les modalités d'application.
Ceux qui, aujourd'hui, monsieur le ministre, vous donnent des leçons ne sont pas qualifiés pour le faire parce qu'ils ont échoué dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Alain Gournac. Echoué lamentablement !
M. Jean-Claude Carle. D'ailleurs, mes chers collègues, ce débat a montré leur embarras. Ils sont en effet partagés entre une opposition de principe et une adhésion non avouée.
M. Jacques Mahéas. Il n'y a aucune adhésion !
M. Jean-Claude Carle. Cette opposition de principe s'étiole chaque jour un peu plus, d'abord avec la prise de position de certains de leurs leaders, tels le maire de Montpellier ou celui de Mulhouse, M. Jean-Marie Bockel...
M. Josselin de Rohan. Ou Michel Charasse !
M. Jean-Claude Carle. ... qui vivent comme l'ensemble des maires de France, des élus locaux, cette réalité au quotidien et qui, sans renier leur éthique, reconnaissent que les critiques adressées à votre texte relèvent « d'une gauche qui n'est plus une gauche pragmatique, mais une gauche qui a perdu contact avec la réalité vécue par les gens ».
M. Alain Gournac. Tiens ! tiens !
M. Jean-Claude Carle. Voilà ce que dit M. Jean-Marie Bockel. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Alain Gournac. Bravo !
M. Jean-Claude Carle. Enfin, cette opposition de principe ne tient plus face aux mesures que vous proposez, monsieur le ministre. Ces mesures sont à la hauteur de votre force de conviction, dont ce débat a été le témoignage.
Cette conviction, vous l'avez exprimée avec beaucoup de passion au cours de ce débat par la qualité et la précision de vos réponses sans sectarisme, reprenant les propositions formulées quelle que fut leur origine dans la mesure où elles tendaient à améliorer le texte.
Ce fut le cas sur des sujets aussi complexes et difficiles que la prostitution, qu'il faut se garder de stigmatiser mais où le devoir de l'Etat est de s'attaquer à la racine du mal, le proxénétisme.
Ce fut le cas pour les immigrants clandestins que l'on ne déplace pas comme de vulgaires objets mais qui doivent être traités avec humanité, respect et dignité.
M. Jacques Mahéas. Comme à Sangatte !
M. Jean-Claude Carle. Ce fut le cas en ce qui concerne la détention d'armes et la légitime inquiétude des chasseurs devant le risque d'amalgame, comme l'a très bien rappelé notre collègue Ladislas Poniatowski.
Ce fut enfin le cas pour les gens du voyage, sujet qui interpelle tous les élus locaux et qui exaspère nos compatriotes.
Les mesures contenues dans ce texte permettront de rendre effective, crédible et efficace la loi Besson, qu'il s'agisse de la simplification de la procédure d'expulsion, de la confiscation des véhicules et de votre volonté de faire respecter la loi, ni plus ni moins, qui s'impose à eux comme à tous les citoyens de notre pays.
Toutes ces raisons font que le groupe des Républicains et Indépendants votera sans hésitation ce texte, encore amélioré par le travail et l'implication de notre rapporteur Jean-Patrick Courtois. Ce texte, je le rappelle, conjugue éthique et réalité. Comme j'ai eu l'occasion de le dire au cours de la discussion générale, il est le texte du coeur et de la raison et vous l'avez défendu, monsieur le ministre, avec passion et conviction. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Paul Blanc. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon.
M. Alain Gournac. Encore un orateur du groupe CRC !
M. Michel Pelchat. Quel temps de parole !
Mme Josiane Mathon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, décidément ce texte correspond bien à l'air du temps libéral dans lequel nous sommes entrés depuis six mois. Nous n'acceptons plus les leçons que la majorité prétend donner en matière de sécurité,...
M. Michel Pelchat. C'est vous qui donnez des leçons !
Mme Josiane Mathon. ... surtout pas à nous, parlementaires communistes, qui sommes élus de villes populaires, et donc sensibilisés au problème de l'insécurité. (Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Eh oui, messieurs !
M. Henri de Raincourt. De moins en moins, d'ailleurs !
Mme Josiane Mathon. Monsieur le ministre, vous ne pouvez prétendre être le seul défenseur des pauvres. Bien au contraire ! Je ne prendrai qu'un exemple : vous supprimez la disposition de la loi SRU imposant aux communes de construire 20 % de logements sociaux, qui, me semble-t-il, sont justement prévus pour les plus démunis.
Vous souhaitez le retour de l'Etat gendarme, au moment où vous exigez moins d'Etat en matière économique et sociale.
M. Henri de Raincourt. Nous sommes républicains plus que gendarmes !
Mme Josiane Mathon. L'éducation nationale, les politiques de lutte contre le chômage et pour la réinsertion sont les grandes absentes de ce débat.
Les services publics sont également laissés pour compte, alors que c'est avec eux, en les préservant et en optimisant leur efficacité, que nous arriverons à restaurer une certaine autorité publique.
Vous insistez sur le fait que vous voulez préserver et renforcer une police républicaine. C'est également ce que nous souhaitons, d'autant plus que, contrairement au Gouvernement, nous défendons et continuerons de défendre nos services publics, qui contribuent à assurer l'égalité des chances dans notre pays.
Nous sommes plus que favorables à une police républicaine, qui, effectivement, doit protéger et garantir la sécurité de tous les citoyens. Mais c'est ici que nos points de vue divergent.
Garantir la sécurité publique, ce n'est pas le faire pour les uns au détriment des autres. Ce n'est pas mettre en prison des personnes différentes par leur mode de vie, modeste, voire précaire, pour satisfaire un électorat. Car vos procédés d'affichage politique auront peut-être un effet à court terme, mais préparent des lendemains « désenchanteurs ».
Certes, la police sera dotée d'un arsenal répressif renforcé. Mais il serait illusoire de croire qu'il sera effectivement et surtout efficacement employé, surtout s'il n'est pas accompagné de mesures à caractère social, et cela aussi bien de manière préventive, afin d'éviter l'infraction, que pour aider à la réinsertion, en cas de peine d'emprisonnement.
En effet, aucun plan d'aide aux victimes n'est apparu dans ce texte, sauf en ce qui concerne la traite des êtres humains. Mais surtout, au regard de toutes les nouvelles peines de prison prévues pour être insérées dans notre code pénal, aucun traitement de la récidive n'est envisagé.
La prison n'est décidément pas la solution en matière de traitement de l'insécurité ; c'est pourtant la seule réponse que vous apportez à ces violences urbaines que constituent à vos yeux la prostitution, la mendicité et les rassemblements dans les parties communes d'immeubles.
La preuve en est que vous créez un délit de racolage, avec pour seule conséquence de renvoyer les prostituées dans la clandestinité ; vous pénalisez la prostitution bien qu'elle ne soit pas interdite en France ! La mendicité agressive devient également un délit.
Quant aux jeunes, déjà largement stigmatisés dans votre loi d'orientation et de programmation pour la justice adoptée cet été, ils le sont une fois encore. Certes, il faut sanctionner quand cela est nécessaire, mais pourquoi ne pas utiliser des sanctions déjà existantes ?
Monsieur le ministre, vous nous avez dit beaucoup de choses critiquables durant ce débat.
Je vous cite : « Le délit de racolage n'est pas créé dans l'optique de punir des malheureuses mais pour les protéger. » Et que faites-vous pour les protéger ? Vous les envoyez en prison.
Vous dites encore : « Assimiler la quête d'une meilleure sécurité à une agression contre les droits de l'homme est un non-sens. » La commission nationale consultative des droits de l'homme estime, pour sa part, que « l'action à mener contre l'insécurité ne légitime pas certaines mesures de répression d'ordre moral » et que « la volonté ciblée de lutter contre l'insécurité est mise en oeuvre en prenant des libertés avec certains principes de droit ».
Vous dites avoir « pris toutes les précautions pour qu'aucune catégorie de population ne soit désignée dans sa globalité » et vous prévoyez une sanction collective pour les jeunes rassemblés dans les halls d'immeubles, les mendiants agressifs et les gens du voyage. Concernant ces derniers, la globalisation va encore plus loin puisque vous avez accepté un amendement facilitant la procédure d'expulsion en cas d'occupation sauvage d'un terrain. Cet amendement prévoit que l'ordonnance de référé, prise à l'encontre de certaines personnes présentes sur le terrain vaut ordonnance de requête à l'encontre de tous les occupants.
Enfin, ce qui est le plus choquant, c'est que vous qualifiez de texte inutile l'amendement « Abbé Pierre », dont l'objet est la lutte pour des conditions de vie décentes. Vous dites cela d'un texte défendu par un homme qui a fait du combat aux côtés des exclus sa profession de foi depuis cinquante ans, et qui est, à ce titre, la personnalité la plus écoutée des Français.
Evidemment, la sécurité est un droit fondamental, que l'Etat se doit d'assurer à tous. Mais certainement pas comme vous le prévoyez, de manière sécuritaire et arbitraire, aux dépens des plus démunis.
Nous voterons donc résolument contre ce projet de loi, qui ne répond pas, sur le long terme, aux réels besoins de sécurité des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur celles du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Pelletier.
M. Jacques Pelletier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte répond à l'attente des Français en faisant, enfin, de la sécurité une priorité de l'Etat.
Il est en effet urgent de mettre un terme au sentiment d'insécurité, même si celui-ci repose quelquefois sur une part d'irrationnel, mais peu importe ! Il faut sécuriser et rassurer les Français avant de s'attaquer à toutes les autres grandes réformes ! La sécurité constitue en effet un préalable nécessaire, une condition sine qua non, pour aller de l'avant et fonder une société plus juste et plus solidaire.
Les mesures contenues dans ce projet de loi permettront aux institutions de l'Etat chargées du maintien et du respect de l'ordre de disposer désormais des instruments juridiques nécessaires et appropriés à la conduite d'une politique efficace. Nous vous en saurons gré, monsieur le ministre.
Ainsi ce texte s'attaque-t-il à toutes les insécurités - elles sont nombreuses - qui troublent l'ordre public et nuisent à la tranquillité du plus grand nombre : menaces terroristes, incivilités au quotidien, insultes et actes dégradants, délinquance, proxénétisme, etc.
Faut-il rappeler, une fois de plus, que la jouissance de la liberté, à laquelle nous sommes tous ici très attachés, n'est rendue possible que si la sécurité est une réalité ?
C'est pourquoi il faut donner les moyens pratiques au Gouvernement d'obtenir des résultat rapides et durables dans le domaine de la lutte contre les incivilités comme de l'insécurité. Il faut lui permettre de s'attaquer aux causes visibles et directes de l'insécurité, que l'on observe dans nos villes et dans nos campagnes.
Il faut également, et surtout, lui donner les moyens de s'attaquer à tous les réseaux mafieux et souterrains qui exploitent la misère sociale et la détresse humaine et qui expliquent véritablement les grandes manifestations d'insécurité dans notre pays. Nos débats dans cet hémicycle ont été, sur ce point, très clairs.
Néanmoins, les parlementaires que nous sommes devront rester vigilants dans l'application de ce texte, monsieur le ministre. En effet, il ne faudra pas tomber dans l'excès inverse : une dérive vers le tout sécuritaire qui signifierait, au final, une nouvelle insécurité pour nos concitoyens.
A ce titre, des amendements ont été proposés par notre rapporteur dont je salue l'excellent travail de fond.
M. Henri de Raincourt. Tout à fait !
M. Jacques Pelletier. Ces amendements, adoptés par notre assemblée, vont dans le bon sens. Je pense notamment à l'amendement concernant les traitements automatisés de données personnelles qui oblige le procureur de la République, en cas de classement sans suite, de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement, d'ordonner l'effacement des données dont la conservation n'est dès lors plus justifiée.
Ainsi la loi devra-t-elle s'appliquer dans le respect des principes de la dignité humaine, de la présomption d'innocence et de l'état de droit.
La sanction et les instruments juridiques sont nécessaires, mais ils ne sont pas suffisants. Le combat contre l'insécurité se gagnera aussi en restaurant le civisme comme valeur essentielle de notre République et de notre « vivre ensemble ».
Monsieur le ministre, c'est dans cet esprit que la grande majorité du groupe du RDSE, au-delà même de notre clivage habituel, votera ce texte tel qu'il a été amendé par notre assemblée. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Paul Loridant.
M. Paul Loridant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la démocratie est un régime de libertés, garanties par nos lois et nos institutions. Mais elle ne peut, en aucune circonstance, être un régime de faiblesse, sous peine de bafouer ses principes et de mépriser les droits élémentaires de ses citoyens.
Aussi, en qualité de parlementaires, nous devons certes concourir à l'élaboration de la loi mais également veiller en permanence aux conditions de son application.
Malheureusement, mon expérience de parlementaire et de maire d'une ville de la banlieue parisienne m'incite à penser que l'application de la loi est souvent défaillante.
Dans certains quartiers, déjà en proie à une somme considérable de problèmes économiques et sociaux, les lois appliquées sont non plus celles de l'Etat mais celles qui sont fondées sur la violence. La citoyenneté est quotidiennement rongée au profit de la logique de l'enfermement dont profite le communautarisme.
Aussi, affronter la question de la sécurité, c'est finalement poser la question des conditions du « vivre ensemble ».
Face à cette inquiétante situation, nous sommes tous responsables, et il est vain de vouloir entretenir les polémiques et de se renvoyer la balle.
Elus, enseignants, parents, militants associatifs, nous avons souvent péché par naïveté ou par excès d'optimisme, sous-estimant par là même la dimension de crise de civilisation que revêtait le développement de la délinquance.
Mais l'Etat lui-même n'a pas été en reste. Permettez-moi de vous livrer cette anecdote - hélas véridique -, car elle en dit long sur le fonctionnement ou plutôt les dysfonctionnements de nos institutions.
En qualité de maire des Ulis, j'ai été confronté à une occupation par les gens du voyage d'un établissement classé « défense nationale » - le Centre national de transfusion sanguine -, classement établi par l'Etat lui-même. Immédiatement après avoir été informé des faits, j'ai saisi le représentant de l'Etat pour l'enjoindre de prendre des mesures d'expulsion immédiate. Or quelle n'a pas été ma stupéfaction de m'entendre répondre par le préfet qu'une procédure « classique » d'expulsion allait être mise en oeuvre. Mes chers collègues, monsieur le ministre, l'Etat lui-même ne fait pas respecter ses propres prescriptions !
M. Jean Chérioux. Qui était le ministre à l'époque ? M. Vaillant ?
M. Paul Loridant. Je ne m'étendrai pas non plus sur ces instructions adressées aux responsables d'établissements scolaires et aux enseignants les appelant à surtout ne pas faire de vagues concernant les faits de violence scolaire qu'ils seraient amenés à connaître.
Au-delà de notre propre crédibilité de femmes et d'hommes politiques, d'élus locaux ou de parlementaires, c'est la foi même en l'Etat et donc en la démocratie qui est ébranlée. Beaucoup de nos concitoyens, et souvent parmi les plus modestes, en viennent à douter de notre volonté, qui s'exprime pourtant tous les jours, de leur porter assistance face à l'insécurité.
Dès lors, ce projet de loi est-il à la mesure de cet enjeu ?
M. Henri de Raincourt. Oui !
M. Paul Loridant. Nous avons de sérieuses raisons de nous interroger.
Nous divergeons sur l'analyse que nous faisons des causes de l'insécurité. Mon collègue François Autain a eu l'occasion d'exposer nos vues sur cette question. Comment, par exemple, relever des quartiers sensibles lorsque l'on supprime les emplois-jeunes ou que l'on démantèle des services publics, ou que l'on ne pourvoit pas sur-le-champ au remplacement d'un commissaire de police d'une ville de banlieue, comme c'est le cas aux Ulis, monsieur le ministre ?
De même, nous doutons sérieusement de la volonté du Gouvernement d'accroître les moyens en matière de prévention. Or une bonne politique de sécurité doit, selon nous, articuler en permanence prévention et sanction.
Néanmoins, nous reconnaissons que votre projet de loi contient des mesures qui traduisent la volonté de réaffirmer la primauté du droit et le souci de prendre en compte les nouvelles formes d'insécurité. (Applaudissements sur les travées du RPR, ainsi que sur certaines travées des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.) Je suis d'autant plus à l'aise pour dire cela, monsieur le ministre, que j'avais soutenu, en son temps, la démarche de vos prédécesseurs MM. Jean-Pierre Chevènement et Daniel Vaillant.
Monsieur le ministre, nous vous jugerons sur vos actes et non pas sur vos déclarations ou vos mises en scène médiatiques, aussi brillantes fussent-elles. (Ah ! sur les travées du RPR.)
C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, les quatre sénateurs membres du pôle républicain et apparenté confirment leur abstention sur le projet de loi relatif à la sécurité quotidienne. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, ainsi que sur certaines travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RDSE.)
M. Jean Chérioux. Courageux mais pas téméraire !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes arrivés au terme d'une discussion particulièrement riche sur un texte qui nous paraît tout à fait essentiel.
Ce projet de loi, je le rappelle, donnera aux forces de sécurité les instruments juridiques nécessaires à la conduite d'une politique efficace.
M. Jacques Mahéas. Pas du tout !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Il va en effet avoir plusieurs avantages. D'abord, il rendra plus cohérentes les actions conduites en matière de sécurité intérieure grâce au renforcement des pouvoirs des préfets. Ensuite, il va améliorer l'efficacité d'une police judiciaire qui a été négligée au cours des dernières années.
Au-delà des caricatures qui en ont été faites, le texte permettra d'apporter des réponses concrètes à des formes de délinquance qui affectent particulièrement la vie quotidienne de nos concitoyens : attroupements dans les parties communes d'immeubles, exploitation de la mendicité, occupation sans titre d'un terrain, racolage.
Le projet de loi permettra aussi de mieux contrôler les armes en circulation et de lutter contre leur usage par des personnes en proie à des troubles psychiatriques.
M. Jacques Mahéas. Ce n'est pas vrai !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Enfin, il propose une réforme de la réglementation de la sécurité privée trop longtemps différée.
Monsieur le ministre, vous avez été critiqué sur la procédure. On vous a dit que la déclaration d'urgence était scandaleuse. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.) Je voudrais rappeler que la loi relative à la sécurité quotidienne, chère à l'opposition de cette assemblée, a été adoptée selon la même procédure.
Pour notre part, nous acceptons l'urgence quand il y urgence. Et il nous semble bien qu'en matière de sécurité il y a urgence. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
Au demeurant, l'urgence n'a pas empêché un travail approfondi de notre assemblée, malgré les quelques sarcasmes que nous avons entendus sur ce sujet.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Tu parles !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Au cours de plus de 27 heures de débat, nous avons examiné 294 amendements et nous en avons adopté 108, dont 63 ont été proposés par votre commissions des lois.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Forcément, vous avez travaillé ensemble !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Ce sont des chiffres qui méritent d'être soulignés et qui sont à porter au crédit du Gouvernement.
Le Sénat a ainsi adopté plusieurs modifications importantes au texte.
Je citerai, en premier lieu, l'incrimination de la traite des êtres humains et le renforcement des instruments de lutte contre le proxénétisme et contre l'exploitation de toutes les formes de misère.
De même, afin de mieux protéger les victimes étrangères du proxénétisme, le Sénat a prévu la possibilité de leur attribuer une carte de résident au cas où elles auraient contribué à la condamnation de leur proxénète.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et les expulsés sans jugement !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Il a en outre prévu, sur proposition du groupe socialiste, que certains établissements soient réservés et sécurisés afin d'accueillir les victimes de la traite des êtres humains.
Le Sénat a ainsi marqué son souci de lutter contre les réseaux et de protéger leurs victimes.
M. Michel Pelchat. Très bien !
M. Jean-Claude Carle. Bravo !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Peut-on vraiment, dans ces conditions, dire que notre assemblée ne fait pas son travail, comme l'ont prétendu certains orateurs ?
Le Sénat a par ailleurs complété les dispositions relatives aux fichiers automatisés de police judiciaire afin d'en accroître l'efficacité, dans le respect des libertés individuelles. Il a ainsi tenu à définir précisément la finalité de ces fichiers.
S'agissant de la protection juridique des agents, le Sénat a prévu des aggravations de peine en cas de meurtre ou de violence commis à l'encontre des gardiens d'immeubles sociaux.
Il a tenu à étendre aux maires les aggravations de peines et la protection juridique accordée par le texte aux personnes en charge de la sécurité.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ils l'avaient déjà !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Sur les armes enfin, le Sénat a obtenu du Gouvernement l'assurance que son intention n'était pas de soumettre à déclaration l'ensemble des armes de chasse. (MM. Jacques Mahéas et Michel Dreyfus-Schmidt s'exclament.)
Au vu de ces apports du Sénat, je crois que ceux qui ont affirmé un peu vite que notre assemblée ne jouait pas son rôle devraient faire amende honorable. Mais je ne me fais guère d'illusions !
On nous a reproché l'harmonie régnant entre la commission et le Gouvernement. Mais je la revendique et je tiens, monsieur le ministre, à remercier vos collaborateurs pour leur disponibilité, leur volonté constante de respecter nos prérogatives, l'accueil toujours ouvert qu'ils ont réservé à nos propositions.
Je me dois aussi de souligner tout spécialement, monsieur le ministre, l'intérêt que vous avez apporté aux propositions des sénateurs. Votre sens de l'écoute, votre volonté d'ouverture, votre recherche pragmatique et systématique du meilleur dispositif législatif ont été particulièrement appréciés par les membres de la Haute Assemblée.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Parlez seulement pour la majorité, s'il vous plaît !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Tout à fait !
Pour ma part, il me semble plutôt rassurant qu'il puisse exister une harmonie entre le Gouvernement et le Parlement, même si je comprends bien que cela n'arrange pas les affaires de nos collègues de l'opposition !
M. Claude Estier. Reconnaissez qu'il puisse y avoir une opposition !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. L'opposition a d'ailleurs elle-même bénéficié de votre capacité d'écoute, monsieur le ministre.
M. Jean-Claude Carle. Eh oui !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Ce ne sont, en effet, pas moins de vingt-huit de ses amendements qui ont été adoptés au cours de la discussion. C'est un exemple assez rare qui mérite d'être souligné !
Je ne doute pas que nos collègues en tireront les conséquences lors du vote qui interviendra dans quelques instants !
Le présent texte est un texte utile. C'est un texte nécessaire, qui a été amélioré par le Sénat. Enfin, c'est un texte qui concrétise les engagements que le Président de la République et le Gouvernement ont pris devant les Français. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
Aussi votre commission des lois vous en recommande-t-elle avec force, mes chers collègues, son adoption. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Nicolas Sarkozy ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, compte tenu de l'importance du sujet, je ne m'exprimerai pas sur le même ton qu'un certain nombre d'intervenants.
Avant que le Sénat ne se prononce sur le projet de loi pour la sécurité intérieure, dont les discussions furent très soutenues pendant trois jours, je veux vous dire que j'ai ressenti ce débat comme un moment fort de démocratie ; et cette appréciation est, dans mon esprit, très loin d'être formelle.
Qu'il me soit ici permis de remercier votre commission des lois, son président, son rapporteur, à qui je veux rendre un hommage particulier pour son travail remarquable, reconnaissant bien volontiers sa contribution personnelle, ainsi que celle de tous les membres de la commission, à l'amélioration du texte.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous vous renvoyez la balle !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Monsieur le rapporteur, je sais toutes les concertations que vous avez menées depuis plusieurs semaines à la fois par le biais des personnes que vous avez auditionnées et au sein même des différents groupes de la majorité sénatoriale. Vos propositions visant à améliorer le projet de loi ont été très constructives. Vous dites qu'elles ont abouti à l'adoption de soixante-trois amendements, j'en avais compté soixante-quatre, mais c'est peut-être moi qui me trompe !... (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Tout au long de cette discussion, Jean-Patrick Courtois, votre compétence de juriste, votre écoute et aussi votre humanité sur des sujets sensibles et difficiles ont été, pour le Gouvernement, une aide extrêmement précieuse. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je tiens à remercier également vos collaborateurs.
Il me semblerait inimaginable de revendiquer l'idée de la démocratie et, une fois devant la Haute Assemblée, de n'accepter aucun amendement, de considérer que les remarques des sénateurs, fussent-ils de la majorité, seraient illégitimes. Laissons cela à des régimes qui ne sont pas démocratiques ! Lorsqu'un ministre vient devant une assemblée, notamment la Haute Assemblée, il vient aussi pour écouter, pour amender et pour construire. Il est évident que la majorité d'hier n'a pas toujours agi ainsi. Elle en a payé cher les conséquences.
D'ailleurs, je le dis à l'opposition d'aujourd'hui, lorsque nous nous sommes laissés aller nous aussi, dans le passé, à ne pas assez écouter notre majorité, nous n'avons pas tardé à être sanctionnés.
La leçon ne vaut pas que pour la gauche, elle vaut aussi pour la droite et pour le centre ; elle vaut pour le présent mais, surtout, pour le futur. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je veux rendre aussi un hommage tout particulier à tous ceux qui ont participé au débat, tous groupes confondus. Cela prouve l'intérêt réel des sénateurs pour ce projet de loi qui est en effet au coeur de l'action menée par le Gouvernement.
Tous, vous avez été au rendez-vous que nous ont fixé les Français et vous avez participé de manière passionnée, et souvent passionnante, à ce débat.
M. Jacques Mahéas. Critique !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je remercie donc tous les représentants des groupes de la majorité, présents, actifs, parfaitement cohérents avec l'engagement du Gouvernement ; les amendements de la commission, ceux de MM. Türk, Nogrix et Carle sont là pour témoigner de leur vigilance.
Je veux également rendre hommage à l'opposition sénatoriale (Exclamations sur les travées du RPR) dont vingt-huit amendements ont été adoptés avec avis favorable du Gouvernement, même si neuf d'entre eux - c'est vrai - étaient identiques à ceux de la commission.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est le contraire ! Elle nous a copiés !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Monsieur Dreyfus-Schmidt, pour une fois que je vous épargne, restez tranquille ! (Rires et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
C'est plutôt une bonne nouvelle que, sur des sujets aussi difficiles et aussi sérieux, l'opposition, la majorité, la commission et le Gouvernement soient d'accord.
Peu importe la paternité ! C'est une question d'ego qui n'a aucun sens en l'occurrence. Seul compte le résultat et le fait que, pour l'obtenir, nous ayons été capables de nous entendre.
Lors de l'examen de certains articles du projet de loi, l'opposition a accepté de les étudier sans esprit de système.
Messieurs Dreyfus-Schmidt et Mahéas, vos premiers propos avaient pu laisser craindre une attitude de défiance. Mais, tout au long de la discussion, vous avez su parfois être constructifs tout en défendant votre conception des libertés individuelles avec une mesure relative. Cela me permet de relativiser vos interventions lors de la discussion générale, dont vous me permettrez de dire qu'elles s'apparentent plus à des figures imposées qu'à des contributions intellectuelles au projet de loi que j'ai eu l'honneur de présenter. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jacques Mahéas. Nous n'acceptons pas vos leçons !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Vous avez - hélas ! - terminé comme vous aviez commencé !
Je veux également saluer l'apport de MM. Gautier et Charasse. La finesse de juriste de ce dernier a bénéficié notamment, mais pas seulement, aux douaniers, qu'il n'a jamais oubliés ! (Rires sur les mêmes travées.) Je lui donne raison sur ce point, et je regrette beaucoup que, par un étrange hasard, il ne soit pas là en cet instant.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il est au congrès des maires de France !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je suis sûr en tout cas que vous lui transmettrez les compliments du Gouvernement.
Madame Blandin, il semble que je vous ai blessée en vous traitant d'intellectuelle. Je vous prie de m'en excuser. Je retire bien volontiers ce que vous avez reçu comme une injure ! (Rires et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - Exclamations sur les travées du groupe socialiste et sur celles du groupe CRC.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, ne m'en veuillez pas de m'imprégner à ce point de la courtoisie sénatoriale ! J'ai bien des choses à apprendre. Mais, comme vous le voyez, madame Blandin, j'essaie de progresser. (Nouveaux rires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - Nouvelles exclamations sur les travées du groupe socialiste et sur celles du groupe CRC.)
M. Claude Estier. Vous en rajoutez !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je voudrais aussi souligner la modération et l'humanité d'un certain nombre de sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, qui nous ont permis, fort tard dans la nuit, de vivre des moments privilégiés. Ils sortaient des clivages obligés tels que nous en avons connu, madame Borvo, à propos de la prostitution.
Croyez bien qu'en vous disant cela je ne souhaite pas vous gêner. Je veux simplement vous dire que si votre combat pour humaniser le sort des prostituées était sincère, soyez persuadée que c'est avec la même sincérité que je vous ai porté la contradiction.
Un sujet d'une telle importance méritait en effet que l'on laisse parler son coeur, quel que soit son engagement politique. Vous l'avez fait. Comprenez que je vous en rende hommage et que je le reconnaisse bien volontiers.
Monsieur le président, votre présidence attentive et éclairée nous a grandement aidés ainsi que la vigilance de tous les vice-présidents qui ont assuré la bonne tenue de ces débats.
Cent huit amendements ont été adoptés, soit plus d'un tiers de ceux qui avaient été déposés sur ce projet de loi. C'est le signe de la vigueur et du réalisme de nos discussions. C'est aussi le signe de l'utilité, de l'importance et de la vitalité du Sénat ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Après un tel bilan, qu'il me soit permis de dire aux sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, que le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin ne se pose pas de question sur l'utilité et sur la modernité du Sénat ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je n'hésiterai pas non plus à dire aux sénateurs socialistes qui soutenaient le gouvernement de Lionel Jospin que même leurs avis peuvent s'avérer très utiles pour élaborer un texte sur la sécurité ! (Rires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - Exclamations sur les travées socialistes.)
En ce qui concerne les gens du voyage, la prostitution, l'exploitation de la mendicité, sujets sur lesquels les maires ont l'impression d'être seuls...
M. Jacques Mahéas. Ils le resteront !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Chacun d'entre nous a pris ses responsabilités.
Monsieur le président, le Gouvernement est très attentif à ces avancées qui sont dues à la grande connaissance du terrain qu'ont tous les sénateurs.
Notre collaboration a prouvé que nous avons tous pris la mesure des difficultés quotidiennes des Français, et que nous avions tous, en proposant parfois des voies différentes, à coeur de les résoudre. Grâce au Sénat, les Français les plus modestes, les plus faibles, les plus petits, mais aussi les victimes, les innocents, ceux qui, au quotidien, travaillent dur, sans rien demander à la société en échange, se sentiront pris en compte, représentés, défendus, entendus.
Puissions-nous, tous ensemble, leur rendre confiance dans la parole publique ! Puissions-nous tous ensemble, grâce au vote du Sénat, leur rendre espérance dans une action publique dont nos concitoyens doutent si souvent !
Une chose est de voter les textes de loi, autre chose est de les appliquer. Monsieur Loridant, je veillerai donc à ce que, dans leur mise en oeuvre, ces mesures soient, au quotidien, efficaces et, en même temps, profondément respectueuses des valeurs républicaines qui nous rassemblent.
Ma mission, c'est d'agir et, grâce à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, grâce au Sénat, c'est désormais ce que je pourrai faire. (Très bien ! et applaudissements prolongés sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je vous remercie, monsieur le ministre, des compliments que vous avez adressés au Sénat. Les sénateurs y ont été sensibles.
Nous ne doutons pas un seul instant que vous ferez partager cette appréciation par tous vos collègues et que vous demeurerez constamment un avocat chaleureux et courageux de cette institution.
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 51:

Nombre de votants 320
Nombre de suffrages exprimés 315
Majorité absolue des suffrages 158
Pour l'adoption 208
Contre 107

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

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