SEANCE DU 19 NOVEMBRE 2002
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-François Mattei,
ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires
sociales, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai le
plaisir de vous présenter le titre II du projet de loi de financement de la
sécurité sociale qui porte sur la politique d'assurance maladie et, plus
globalement, sur la politique de santé.
L'organisation d'un débat spécifique sur les politiques d'assurance maladie et
de santé est une grande première. Je trouve, personnellement, que c'est une
excellente idée. En effet, la politique en matière d'assurance maladie et de
santé est un sujet important pour nos concitoyens. Permettez-moi d'ailleurs de
remarquer que le fait de consacrer huit heures de débat par an aux dépenses
d'assurance maladie, qui dépassent 100 milliards d'euros et dont l'importance
pour nos concitoyens est si grande, n'est assurément pas beaucoup !
C'est pourquoi je remercie la commission des affaires sociales d'avoir proposé
l'organisation de ce débat et vous tous, mesdames, messieurs les sénateurs, de
l'avoir acceptée.
Je vous ai présenté hier l'état de la sécurité sociale, et notamment du
système de santé. Vous conviendrez avec moi qu'une réforme est indispensable.
Celle qui est proposée par le Gouvernement repose, je le rappelle, sur
l'exigence de vérité et sur la responsabilité partagée.
Je développerai ce deuxième axe majeur, en m'intéressant d'abord à la
responsabilité de l'Etat et des gestionnaires du système de santé, ensuite à
celle des professionnels de santé et, enfin, à celle des patients.
Je vous ai dit que la responsabilité de l'Etat consiste à développer une
politique réelle de santé publique et à organiser la gestion du système de
santé et d'assurance maladie. Je ne souhaite pas revenir sur ce point, même si
je crois que nous ne parlerons jamais assez de prévention.
Toutefois, j'aimerais m'arrêter sur un élément du projet de loi qui concerne
directement la responsabilité de l'Etat. Depuis la loi organique du 22 juillet
1996 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, cette
responsabilité repose sur la fixation du fameux ONDAM, l'objectif national de
dépenses d'assurance maladie. Cet ONDAM doit respecter l'exigence de vérité. A
défaut, l'ensemble des partenaires considérera qu'il n'a aucune valeur.
Or, que constatons-nous ? Depuis 1997, l'objectif d'assurance maladie a été
constamment dépassé. Les dépassements cumulés pour la seule assurance maladie
ont atteint - je l'ai déjà dit, mais le chiffre est impressionnant ! - plus de
9 milliards d'euros en quatre ans !
Pour 2003, le Gouvernement souhaite rompre avec cette situation en proposant
un ONDAM plus réaliste. L'ONDAM ne peut occulter le caractère structurel de la
croissance des dépenses de santé. Depuis plusieurs années, le taux de
croissance des dépenses est supérieur à 5 % en France. Des taux d'évolution
comparables sont observés dans quasiment tous les pays de l'OCDE, que le
système de santé soit libéral, voire complètement libéral comme aux Etats-Unis,
ou très largement étatisé comme en Grande-Bretagne.
L'augmentation des dépenses de santé se poursuivra inéluctablement, il faut le
savoir. Elle est liée à des facteurs que nous connaissons tous : le
vieillissement de la population, le progrès technique et la recherche du
mieux-être.
Il faut bien comprendre que si nous sommes en phase de progression, c'est
parce que c'est en ce moment que se constitue la classe d'âge intégrale des
plus de soixante-cinq ans aux centenaires, qui sont de plus en plus nombreux,
et il faudra bien accepter que pendant une vingtaine d'années cette classe
d'âge gonfle, ce qui, naturellement, aura une forte incidence sur l'évolution
des dépenses de santé. Ce n'est pas avant quinze ou vingt ans, quand le coût de
l'arrivée des classes plus âgées sera assumé, que nous retrouverons un rythme
de croissance plus régulier.
L'ONDAM doit également tenir compte des besoins de santé. C'est pourquoi je
propose de le faire reposer sur une analyse de l'évolution des soins au regard
des besoins de santé. Une première version du futur document annexé au projet
de loi vous a été distribuée. Elle est très imparfaite, mais un groupe de
travail de la commission des comptes de la sécurité sociale, présidé par M.
Alain Coulomb, étudie les modalités de la médicalisation de l'ONDAM. Il rendra
ses conclusions au mois de mars 2003.
Ceux qui ont le privilège de lire le document mensuel de la DRESS, la
direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, ont
cependant déjà pu constater que nous avons commencé à opérer un classement,
pathologie par pathologie, en fonction de l'augmentation des coûts - la plus
importante est la pathologie cardio-vasculaire - année par année. C'est un
début et, naturellement, nous ferons beaucoup mieux.
L'ONDAM doit enfin être estimé en intégrant les économies réalisées. Il ne
s'agit pas de laisser « filer » les dépenses au prétexte qu'elles sont
inéluctables. C'est vrai, mais encore faut-il les accompagner et les maîtriser
grâce à l'amélioration du fonctionnement du système de soins. Les gaspillages
doivent être réduits afin de rendre l'évolution des dépenses supportables par
nos concitoyens.
La fixation du taux de croissance de l'ONDAM à 5,3 % que propose le
Gouvernement répond à trois exigences : l'augmentation structurelle des
dépenses d'assurance maladie, la médicalisation de l'ONDAM, l'optimisation des
dépenses d'assurance maladie.
L'Etat et les gestionnaires de l'assurance maladie doivent aussi se sentir
pleinement responsables de notre politique de santé. La réforme de la
gouvernance dont j'ai parlé hier permettra de clarifier leurs compétences, mais
c'est dès le vote de ce projet de loi que leur responsabilité sera engagée. Ils
devront en effet établir un dialogue de confiance avec les professionnels. Les
discussions conventionnelles qui se tiennent actuellement montrent que ce
dialogue s'amorce.
Pour favoriser l'instauration de cette relation de confiance, il convient de
modifier les modes de gestion actuels. Il faut aussi abandonner les contrôles
tatillons et infantilisants, faire évoluer le contrôle médical de la sécurité
sociale.
Il nous semble qu'il faut privilégier le dialogue et le présent projet de loi
comprend à cet égard une série de mesures qui rompent avec la politique suivie
jusqu'à présent.
La suppression de la maîtrise comptable, des lettres-clés flottantes et des
comités régionaux va dans ce sens. L'évolution des missions du service médical
des caisses marque la priorité accordée au dialogue entre les professionnels et
les organismes de sécurité sociale.
Un avenant à la convention d'objectif et de gestion qui lie l'Etat et la
caisse nationale est, à ma demande, en cours de négociation. Il vise à mieux
définir les orientations de l'action de l'assurance maladie dans le domaine de
la gestion du risque.
Puis, à côté de l'Etat et des gestionnaires, il y a les offreurs de soins, ce
qui recouvre les professionnels de santé, l'industrie pharmaceutique, et, à
côté des hôpitaux publics, l'hospitalisation privée et les établissements
médico-sociaux. Même s'il faut accroître les coopérations entre ces offreurs de
soins, nous devons tenir compte dans notre politique des effets de cette
diversité quant à la responsabilisation.
Pour donner une plus grande responsabilité aux hôpitaux, il est indispensable
de rénover les établissements et leur mode de gestion. Cela passe d'abord par
l'attribution de moyens financiers suffisants.
C'est pourquoi j'ai décidé que la dotation globale des hôpitaux évoluera de 5
% en 2003, soit une augmentation de 0,2 % par rapport à l'année dernière, et
que l'objectif quantifié national, l'OQN, pour les cliniques privées évoluera
de 4 %, soit une nette augmentation.
La différence entre le public et le privé tient compte notamment du coût des
35 heures pour les hôpitaux publics mais aussi du nécessaire rattrapage
salarial pour les établissements privés.
De manière plus structurelle, le chantier Hôpital 2007 que j'aurai l'honneur
de présenter demain matin en conseil des ministres sera lancé dans les jours
qui viennent. Il s'agit de faire le choix de la confiance et de promouvoir une
plus grande souplesse de gestion, en même temps qu'une plus grande
responsabilité des acteurs hospitaliers. Trois mesures l'annoncent dans le
présent texte.
Premièrement, l'investissement à l'hôpital est relancé pour moderniser les
établissements, pour leur permettre de s'adapter aux contraintes de sécurité
sanitaire et pour accompagner la nécessaire recomposition de l'offre
hospitalière.
En 2003, une première tranche conditionnelle d'investissements de 1 milliard
d'euros est prévue. Permettez-moi de rappeler que chaque année les hôpitaux
reçoivent 2,7 milliards d'euros pour investir, 1,6 milliard d'euros étant
destinés à la maintenance, 1,1 milliard d'euros aux nouvelles réalisations, ce
qui signifie qu'avec 1 milliard d'euros de plus nous doublons les nouvelles
réalisations, soit un effort considérable.
Deuxièmement, les établissements hospitaliers passeront à la tarification à
l'activité.
Tout le monde en parle depuis quinze ans, ce qui veut d'ailleurs dire que nous
sommes tous d'accord sur le principe, mais rien d'opérationnel n'a été fait. Je
vous le concède, ce n'est pas simple, tous les hôpitaux n'ayant pas encore
adopté une comptabilité analytique, mais le Gouvernement souhaite agir. Il
souhaite donner un signal fort. Des expérimentations grandeur nature seront
donc réalisées dans quarante établissements volontaires en 2003, vingt
établissements privés et vingt établissements publics, offrant un éventail
représentatif quant à leur taille.
Je souhaite que ce mode de financement se généralise dès 2004.
Enfin, troisième mesure, je veux aider les établissements à améliorer leur
mode de gestion. C'est une nécessité. On parle de bonne pratique clinique, je
voudrais que l'on parle de bonne pratique de gestion. On parle de référentiel
clinique, je voudrais que l'on parle de référentiel de gestion.
Je vais donc créer une mission permanente d'audit et d'expertise hospitalière
qui ira, à la demande des hôpitaux, examiner leurs difficultés et qui réalisera
les référentiels de bonne pratique et de bonne gestion.
A côté des établissements hospitaliers, les professionnels de santé, notamment
la médecine de ville, jouent un rôle déterminant.
La médecine de ville doit, elle aussi, être rénovée. Les soins de ville
constituent aujourd'hui le poste le plus important et leur croissance est la
plus dynamique. En 2003, l'enveloppe « soins de ville » augmentera de 5,6 %.
Les professionnels libéraux sont en effet les premiers à devoir répondre aux
exigences croissantes des patients.
La principale exigence des patients est la qualité. Les professionnels doivent
donc s'engager, en confiance, dans les processus de formation médicale
continue, comme dans le processus d'évaluation des bonnes pratiques et de
coordination des soins.
A cet égard, le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit
plusieurs mesures importantes. Outre le renouveau du dialogue entre les
professionnels de santé et les services médicaux des caisses que j'ai déjà
évoqué, il s'agit de la promotion de l'évaluation, qui passe notamment par le
financement des actions d'évaluation proposées par les unions régionales des
médecins libéraux, et du développement des actions de l'Agence nationale
d'accréditation et d'évaluation en santé, l'ANAES, lesquelles seront relancées
dans une perspective beaucoup plus opérationnelle, après l'établissement des
références premières.
Concernant la démographie médicale, j'attends pour la fin du mois les
résultats de la mission que j'ai confiée au doyen Berland, mais, d'ores et
déjà, il apparaît que le mécanisme d'incitation à la cessation d'activité devra
être supprimé plus tôt que prévu. On ne peut pas tenir deux discours : dire,
d'un côté, qu'il n'y a pas assez de médecins, et, de l'autre, les inciter à
cesser leur activité prématurément.
M. Alain Gournac.
C'est vrai !
M. Jean-François Mattei,
ministre.
J'ai bien compris cependant, lors de la discussion à
l'Assemblée nationale, qu'il ne fallait pas non plus « brusquer » ceux qui
avaient fait des projets. Naturellement, le Gouvernement est ouvert à la
discussion.
M. Alain Gournac.
C'est ce que nous souhaitons !
M. Jean-François Mattei,
ministre.
Parallèlement, et j'ai été sollicité dans ce sens, la reprise
d'une activité complémentaire par des médecins qui, justement, ont pu
bénéficier du mécanisme d'incitation à la cessation d'activité, le MICA, ou qui
ont pris leur retraite il n'y a pas si longtemps et souhaitent, pendant une
semaine, quinze jours ou trois semaines assurer des remplacements, doit être
possible.
Ils sont désireux de le faire, et ils doivent pouvoir cumuler cette activité,
qui est véritablement une activité complémentaire, et leur retraite, la même
mesure s'appliquant d'ailleurs aux infirmières.
Un amendement au rapport annexé rend par ailleurs possible l'exercice
multisites, pratique que les moins jeunes d'entre nous ont connu sous la forme
des cabinets secondaires. Dans les années cinquante, la pénurie de médecins
conduisait en effet souvent ces derniers à ouvrir, parallèlement à leur cabinet
principal, un cabinet secondaire dans un village ou une bourgade. Puis le
nombre des médecins a augmenté et il a été interdit d'avoir un cabinet
secondaire.
Aujourd'hui, alors que beaucoup de villages et de bourgs se plaignent à
nouveau d'une pénurie médicale, il faut sans aucun doute autoriser l'ouverture
de cabinets secondaires. On peut ainsi parfaitement imaginer que cinq médecins
exerçant dans une ville ouvrent ensemble un cabinet secondaire dans un bourg et
assurent à tour de rôle chaque jour de la semaine une permanence médicale.
Après l'hôpital et les professionnels libéraux, venons-en aux professionnels
du médicament, qui font aussi partie de ce troisième partenaire que constituent
les offreurs de soins.
Les prescriptions représentent plus de la moitié des dépenses de soins de
ville et, dans les prescriptions, le médicament domine.
Probablement pour la première fois depuis longtemps, le Gouvernement souhaite
définir une politique du médicament. Il faut que les industriels du médicament
sachent exactement le cap qu'il convient de suivre. Le cap qu'a choisi le
Gouvernement, c'est celui de l'innovation. Tout sera entrepris pour inciter les
industriels de la pharmacie à innover et faciliter l'innovation.
Un tel système implique, bien sûr, que des mesures soient prises. Ces mesures
vous seront proposées.
Un partenariat étroit entre l'industrie et l'Etat doit trouver sa traduction
dans un nouvel accord sectoriel, fondé notamment sur une augmentation de la
dotation globale qui permettra d'accroître de 200 millions d'euros les moyens
des établissements hospitaliers pour l'achat des médicaments innovants.
Je reviendrai dans le détail sur cette mesure lors de la discussion des
amendements. Le coût, individuel et annuel, de certains médicaments innovants,
pour le cancer, le sida ou d'autres affections, est tel que la nécessité
d'aider l'innovation pharmaceutique est évidente.
Les établissements hospitaliers devront pouvoir modifier, améliorer et
simplifier leur procédure d'achat. Le système actuel est beaucoup trop
contraignant. Une procédure visera à mettre en circulation beaucoup plus vite
les médicaments. Un accès plus rapide au remboursement, en médecine de ville,
des médicaments les plus utiles doit par ailleurs être organisé.
Enfin, en ce qui concerne les médicaments génériques, toute personne gérant un
budget, même familial, comprendra qu'aucune raison ne justifie de payer très
cher un produit quand on peut trouver ce même produit beaucoup moins cher. En
tant que responsable de l'argent public de la sécurité sociale, je ne vois pas
au nom de quoi j'accepterai de payer plus cher une molécule alors que la
molécule générique a très exactement la même efficacité.
Il faut donc encore expliquer la notion de médicament générique, même si elle
commence à être assimilée.
Lorsqu'une nouvelle molécule est découverte, elle fait l'objet d'un brevet
puis tombe, au bout d'un certain temps, dans le domaine public. Il devient
alors possible de la fabriquer à moindre coût, et c'est ce que l'on appelle les
médicaments génériques. Le premier médicament qui a été breveté, le princeps,
continue bien sûr d'exister, mais, ces médicaments génériques, beaucoup moins
chers, deviennent disponibles.
Je trouve d'ailleurs incroyable que l'on n'ait pas pensé plus tôt aux
génériques.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jean-François Mattei,
ministre.
Par ailleurs, il me paraît nécessaire de tirer toutes les
conséquences de la réévaluation du service médical rendu par les médicaments.
Le gouvernement précédent a d'ailleurs voulu engager cette étude, et il a bien
fait !
En 1998, 835 médicaments ont été reconnus par les experts et par les
scientifiques comme rendant un service médical insuffisant. Cela ne signifie
pas que ce ne sont plus des médicaments. Cela ne signifie pas non plus que, en
leur temps, ils n'ont pas apporté un service qu'aucun autre médicament
n'offrait. Simplement, on ne peut accepter de continuer à voir s'empiler au fil
des progrès, dans le dictionnaire Vidal ou sur les rayons de nos pharmacies,
des médicaments dont nous savons très bien qu'ils sont dépassés. Si la
solidarité nationale doit s'exercer, ce doit être au bénéfice des médicaments
les plus efficaces.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Très bien !
M. Jean-François Mattei,
ministre.
Personne ne peut regretter d'avoir acheté une Traction avant en
son temps, mais il ne viendrait à l'idée de personne, si ce n'est à un
collectionneur, d'en acheter une aujourd'hui. Il en est de même pour les
médicaments.
Un médicament naît, vit, puis, progressivement, s'éteint. C'est une réalité
qu'il faut prendre en compte.
Certes, cette décision n'est pas aisée à mettre en oeuvre, chacun pouvant être
attaché à tel ou tel produit. Après concertation avec l'ensemble des
partenaires, j'échelonnerai donc l'entrée en application de la mesure sur trois
ans afin de permettre aux patients et aux médecins de modifier leur
comportement et aux industriels d'adapter graduellement leur stratégie. Il n'y
aura donc pas de couperet.
Cette mesure repose en définitive sur deux préoccupations de fond, celle de la
santé publique au regard de produits anciens peu efficaces et parfois
déconseillés - j'y reviendrai tout à l'heure - et celle d'une solidarité plus
adaptée.
La réévaluation du service médical rendu des médicaments a pour conséquence
une révision du taux de remboursement des médicaments à service médical
moyen.
Le précédent gouvernement avait proposé de diminuer le taux de 65 % à 35 %, ce
qui a été fait pour plusieurs médicaments. Il s'agit aujourd'hui de mener à son
terme cette opération, qui relève du domaine réglementaire, mais je vous ai
indiqué les modalités car vous avez droit à la totalité des informations.
J'ai, bien sûr, rencontré les organismes assurant une couverture
complémentaire, et, dans les tout prochains mois, plusieurs médicaments ne
seront plus remboursés qu'à 35 % par l'assurance maladie. Les assurances
complémentaires rembourseront, ce qui ne changera donc rien pour les patients,
le complément.
Toute une série de mesures étagées sont donc prévues.
Les établissements du secteur médico-social, pour leur part, méritent une
attention particulière. Le secteur médico-social concerne le plus souvent des
personnes qui se trouvent dans des situations difficiles que la solidarité
nationale doit permettre de compenser. C'est tout le domaine de responsabilité
de Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées.
Dans le domaine des soins, cela passe d'abord et avant tout par la création de
places supplémentaires dans les établissements. Vous connaissez tous, et vous
m'en avez parlé, la détresse des personnes handicapées et de leurs familles
quand elles apprennent qu'aucune place n'est disponible.
J'indique que l'ONDAM pour le secteur médico-social sera de 6 %, ce qui nous
permettra de doubler les créations de place dans les établissements d'accueil
d'adultes handicapés, mais aussi de soutenir ceux qui souhaitent rester à
domicile, en leur apportant une aide adéquate. C'est la traduction de la
priorité donnée au chantier « handicap », conformément au souhait du Président
de la République.
Par ailleurs, la médicalisation des établissements hospitaliers pour personnes
âgées dépendantes, les EHPAD, lesquels sont placés sous la responsabilité de M.
Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées, sera poursuivie.
Il est cependant impossible de ne pas tenir compte des difficultés
d'application de cette réforme au cours des années passées. C'est pourquoi le
projet de loi prévoit de prolonger le calendrier jusqu'en 2005.
Parallèlement à l'Etat, aux gestionnaires, aux offreurs de soins, il faut
citer enfin les patients, qui constituent le quatrième partenaire, partenaire
que l'on a souvent tendance à oublier. Or, ils souhaitent et doivent être
entendus en tant que partenaires à part entière.
Ce sont d'ailleurs eux qui sont à l'origine de l'acte de soin par la demande
qu'ils formulent auprès des praticiens. Ils ont déjà été sollicités par le
biais de l'accord conventionnel sur les visites et ils assument le coût
supplémentaire d'une visite non justifiée sur le plan médical. J'observe que
l'ensemble des partenaires ont très bien accueilli cette mesure, y compris les
patients. Ainsi, dans les départements où la visite faisait partie des
habitudes, on constate déjà un recul important de cette pratique.
Les patients sont aussi sollicités par le biais de l'instauration, prévue par
le projet de loi de financement de la sécurité sociale, du forfait de
remboursement des médicaments génériques. S'ils souhaitent le médicament
princeps, ils paieront la différence. Cette mesure, je tiens à le préciser,
tend à se généraliser dans tous les pays voisins, qui sont confrontés à un
envol préoccupant des dépenses de santé, s'agissant notamment du poste «
médicaments ».
Demain, d'autres mesures de responsabilisation des patients devront être
prises, telles que le dossier médical partagé. Ce dispositif est prévu par la
loi du 4 mars 2002, mais je n'ai trouvé aucun dossier préparatoire ! Il
n'existe pas l'ombre du début d'un commencement d'esquisse de ce projet ! J'ai
donc immédiatement demandé que tous les efforts soient concentrés, et je
voudrais pouvoir vous présenter la phase expérimentale du dossier médical
partagé l'année prochaine.
Responsabiliser les patients, c'est bien leur faire prendre conscience du fait
que rien n'est gratuit. La sécurité sociale est un « pot » commun, auquel
chacun met en fonction de ses ressources. Quand il est vide, tout le monde
s'interroge : n'y a-t-il pas eu des excès, du gaspillage ? Je crois que nous
devons répondre à cette question.
Il est très étonnant de constater que, dans un récent sondage qui précédait
une émission de télévision, 90 % des personnes interrogées - j'insiste sur ce
pourcentage - pensaient que l'ensemble des Français consommaient trop de
médicaments ; mais que 90 % d'entre elles estimaient par ailleurs que, pour
leur part, elles n'étaient pas dans ce cas !
(M. le président de la
commission des affaires sociales approuve.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, quand je dis que rien n'est gratuit, c'est
que je pense qu'il faut lever cette contradiction entre le général et le
particulier manifestée par le sondage que j'évoquais.
Je sais, par expérience, comment les choses se passent dans le cabinet du
médecin : « Docteur, vous ne pourriez pas me marquer cela sur l'ordonnance ?
(Sourires.)
De toute façon, je ne paie pas ! »
M. Paul Blanc.
C'est remboursé !
M. Jean-François Mattei,
ministre.
Il ne s'agit pas de faire payer davantage, il s'agit de faire
comprendre aux gens que ce qu'ils croient être gratuit ne l'est pas. En effet,
ils paient par le biais de la contribution sociale généralisée, ils paient de
diverses façons, y compris en souscrivant une assurance complémentaire,...
M. Guy Fischer.
Vous voulez la fin de la gratuité ?
M. Roland Muzeau.
C'est de la manipulation !
M. Jean-François Mattei,
ministre.
... mais il existe une sorte de culture de la gratuité qui est
dangereuse, perverse et source d'irresponsabilité.
La politique du Gouvernement vise à placer chacun des quatre partenaires
devant ses responsabilités : l'Etat prendra les siennes ; les gestionnaires
devront prendre les leurs ; les offreurs de soins, qu'il s'agisse des hôpitaux,
des professionnels de santé ou de l'industrie du médicament, devront également
assumer les leurs ; enfin, les patients devront naturellement prendre eux aussi
leurs responsabilités.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Alain Vasselle, rapporteur.
M. Alain Vasselle,
rapporteur de la commission des affaires sociales pour les équilibres
financiers généraux et l'assurance maladie.
Mes chers collègues, après
avoir entendu M. le ministre de la santé, je me demande s'il est vraiment utile
que j'intervienne à la tribune, tant mes propos ne pourront que venir conforter
ceux qu'il a tenus, avec beaucoup de conviction, de sincérité et une très
grande honnêteté intellectuelle, que nous devons saluer.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Tout à fait !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Cela tranche sensiblement avec ce que j'ai pu connaître, en
tant que rapporteur, sous le précédent gouvernement
(M. Guy Fischer
s'exclame),...
Mme Michelle Demessine.
Un peu de modestie, cela ne fait pas de mal !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
... en particulier avec Mme Guigou, qui affirmait un certain
nombre de contrevérités. La démonstration a été faite très rapidement que, en
définitive, c'était bien le Sénat qui avait raison. Le débat contradictoire
était alors utile, parce qu'il permettait aux Français de prendre conscience de
la réalité, un peu trop tard, malheureusement ! Mais nos concitoyens n'ont pas
été dupes, puisqu'ils se sont prononcés, le moment venu, de la manière que l'on
sait ! Nous avons, pour notre part, un devoir devant les Français, celui de
respecter la parole donnée et de nous engager dans la voie de la réforme qu'ils
attendent.
Vous avez souhaité, monsieur le ministre, que s'instaure le dialogue social -
c'est la première initiative que vous avez prise - et que nous consacrions plus
d'attention et de temps à l'assurance maladie. A cet égard, l'organisation d'un
débat thématique, sur l'initiative conjointe du Parlement et du Gouvernement,
montre toute l'importance que nous entendons accorder à l'examen du projet de
budget de la sécurité sociale.
Monsieur le ministre, lorsque vous avez pris vos fonctions, vous avez trouvé
un système de santé en crise profonde, des professionnels désemparés,
démotivés, des établissements de santé fragilisés, une assurance maladie
complètement dépourvue de pilote, un déficit sans cesse croissant.
(M.
Gilbert Chabroux s'esclaffe.)
Telle était la réalité de la situation, monsieur Chabroux, je vous remercie de
le reconnaître !
M. Gilbert Chabroux.
Quel numéro !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour
2003 est, à l'évidence, et le Gouvernement ne s'est pas privé de le souligner,
un texte de transition.
M. Gilbert Chabroux.
C'est bon à savoir !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Il vise à supprimer les dispositions les plus contestables
héritées de la précédente législature. Il tend également à préparer l'avenir de
notre système de santé, en traçant d'ores et déjà les pistes suivant lesquelles
celui-ci pourra être refondé et pérennisé. Il permet enfin de répondre à un
certain nombre de préoccupations exprimées depuis longtemps par la commission
des affaires sociales du Sénat.
Ce projet de loi est avant tout fondé sur la confiance que place le
Gouvernement dans les différents acteurs du système de santé. On n'y trouvera
nul mécanisme de régulation comptable des dépenses de santé : le choix a été
fait, il est clairement assumé, de parier sur le sens des responsabilités de
chacun, comme vous venez de l'indiquer à l'instant, monsieur le ministre.
La situation financière de la branche maladie est aujourd'hui très
préoccupante. Le Gouvernement doit, en effet, assumer le lourd héritage de cinq
années d'errements ! Ainsi, l'ONDAM a été systématiquement dépassé depuis 1998,
seul celui de 1997 ayant été respecté.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
C'était le premier !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Vous avez souligné, monsieur le ministre, que le montant
cumulé du dérapage atteignait, sur quatre années, 9 milliards d'euros ; sur
cinq années, de 1998 à 2002, il devrait s'élever à 12,8 milliards d'euros,
c'est-à-dire pas moins de 84 milliards de francs - il n'est peut-être pas
inutile de le préciser pour ceux qui ne sont pas encore tout à fait
familiarisés avec l'euro !
M. Paul Blanc.
Ils sont nombreux !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
L'ONDAM pour 2002 avait été fixé par la loi de financement de
la sécurité sociale à 112,8 milliards d'euros, en augmentation de 4 % par
rapport à 2001. Au nom de la commission des affaires sociales, j'avais affirmé,
lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour
2002, que cet objectif apparaissait bâti en fonction d'hypothèses
irréalistes...
M. Guy Fischer.
Comme aujourd'hui ! Comme cette année !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
... et qu'il ne serait pas davantage respecté que les
précédents.
Votre opinion négative, monsieur Fischer, est certainement moins fondée que
n'a pu l'être la nôtre, les cinq années passées, quand nous dénoncions le
non-respect de l'ONDAM, qui perdait de ce fait toute raison d'être ! A aucun
moment le gouvernement précédent n'a tenté de corriger le tir ! Il n'a même
jamais pris la précaution d'annoncer, comme l'a fait M. Mattei, qu'il serait
éventuellement nécessaire, les experts eux-mêmes n'étant pas en mesure de
déterminer avec exactitude quel sera le taux de croissance pour l'année à
venir, de réévaluer la situation, en particulier de modifier l'ONDAM au regard
de l'évolution de la conjoncture et de celle des dépenses !
(Exclamations
sur les travées du groupe socialiste et sur celles du groupe CRC.)
M. Guy Fischer.
Dont acte !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Mes chers collègues, c'est une réalité que vous n'avez jamais
contestée ! N'est-ce pas ainsi que l'on procède en matière budgétaire, et
n'a-t-on pas dit hier qu'il convenait d'établir un parallèle entre la loi de
finances et la loi de financement de la sécurité sociale ?
Quoi qu'il en soit, toutes les estimations reposent sur une hypothèse de
croissance dont on ne sait si elle se vérifiera. Toutefois, les chiffres
présentés cette année sont beaucoup plus réalistes que ceux qui nous avaient
été soumis par le passé, puisque la croissance des dépenses de santé atteindra
en réalité 7,2 % en 2002, alors que la hausse prévue était de 3,9 % !
La branche maladie se trouve de ce fait complètement fragilisée. La CNAMTS a
connu, en 2001, un déficit de 2,1 milliards d'euros, sa situation s'aggravant
de manière significative par rapport à l'exercice 2000, au terme duquel le
déficit atteignait 1,6 milliard d'euros. Cette dégradation du solde s'explique
par deux raisons : par la forte augmentation des dépenses, mais également par
la provision exceptionnelle - je me permets de le rappeler, même si cela n'est
pas très agréable à entendre pour certains de mes collègues ! - de 948 millions
d'euros destinée à couvrir l'annulation de la créance sur le FOREC au titre de
2000. En 2002, la situation financière de la CNAMTS se dégrade encore plus
fortement, et le déficit devrait tripler, pour atteindre 6,1 milliards d'euros
s'agissant de la branche maladie.
Ce déficit croissant s'explique par un classique effet de ciseaux entre des
dépenses qui s'alourdissent et des recettes qui diminuent sous l'effet d'une
conjoncture économique moins favorable. Il résulte aussi, rappelons-le, de la
perte de recettes de 410 millions d'euros subie par la branche maladie dans le
cadre du plan de financement du FOREC en 2002.
M. Paul Blanc.
Eh oui !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
L'hypothèse retenue par le Gouvernement dans le projet de loi
de financement pour 2003 est celle d'un ONDAM, net de la contribution
conventionnelle de l'industrie pharmaceutique, de 123,5 milliards d'euros en
droits constatés. Elle me semble beaucoup plus réaliste que celles que nous
avait présentées le précédent gouvernement.
Cela correspond à une augmentation de 5,3 % des dépenses par rapport aux
prévisions établies s'agissant de l'ONDAM pour 2002, à quoi s'ajoutent 580
millions d'euros de dépenses transférées à l'ONDAM à partir de 2003.
Je le répète à l'intention de tous mes collègues, notamment de M. Fischer :
pour la première fois, l'ONDAM retenu apparaît crédible et réaliste.
M. Paul Blanc.
Bien sûr !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Les ONDAM trop restrictifs votés les années précédentes ont
eu pour effet de démotiver les professionnels de santé et de décrédibiliser
l'outil que l'ONDAM était censé constituer.
Toutefois, au-delà du chiffre retenu pour l'ONDAM pour 2003, ce qui est sans
doute le plus important, c'est la volonté affirmée par le Gouvernement de «
médicaliser » l'ONDAM, qui répond aux souhaits exprimés par la commission des
affaires sociales du Sénat depuis plusieurs années.
La détermination du taux d'évolution et du niveau, en valeur, de l'ONDAM a
essentiellement reposé, ces dernières années, sur des critères budgétaires.
Dépourvu de tout contenu en matière de santé publique, il demeure aujourd'hui
un arbitrage comptable, inévitablement contesté, entre les contraintes
financières de l'assurance maladie et le souci des pouvoirs publics d'apaiser
les tensions que connaît notre système de soins.
Pour redonner sa crédibilité à l'ONDAM, M. Jean-François Mattei, au nom du
Gouvernement, rompt avec les pratiques antérieures et opte pour le réalisme, la
sincérité et la transparence dans la détermination de l'ONDAM pour 2003. Il
entend fonder à l'avenir l'ONDAM sur l'analyse de l'évolution de l'activité de
soins et des besoins de notre pays.
En outre - c'était, là encore, une idée avancée par la commission des affaires
sociales du Sénat depuis plusieurs années - le Gouvernement s'est engagé à
présenter au Parlement, au printemps de chaque année, un projet de loi de
financement de la sécurité sociale rectificatif, ou « collectif social », si
les données économiques et financières s'écartent sensiblement de celles qui
avaient été retenues dans le texte initial, par exemple si les dépenses
d'assurance maladie venaient à croître plus vite que prévu.
En dépit du peu de temps qui lui a été laissé, le Gouvernement fait
apparaître, au travers du projet de loi de financement de la sécurité sociale
pour 2003, des éléments de rupture qui marquent la mise en oeuvre d'une autre
politique.
J'évoquerai ici tout particulièrement les axes les plus forts de la politique
menée par le Gouvernement s'agissant des soins de ville, d'une part, et de
l'hôpital, d'autre part.
Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour
2002, la commission des affaires sociales s'était émue de la dégradation très
sensible des relations entre les pouvoirs publics et l'ensemble des
professionnels de santé. Elle avait regretté que la politique gouvernementale
ait abouti à un blocage durable des relations conventionnelles.
Nous nous félicitons, par conséquent, de ce que l'examen du présent projet de
loi intervienne dans un contexte nouveau, marqué par la reprise du dialogue
entre les différents partenaires.
M. Guy Fischer.
Avant les élections !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Non ! Le dialogue social a été renoué après les élections. Il
a d'ailleurs permis la signature, le 5 juin 2002, d'un accord conventionnel
entre la CNAMTS et les médecins généralistes, accord que M. le ministre a
lui-même qualifié de « fondateur ».
M. Guy Fischer.
Et le second tour, c'était quand ?
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Cet accord apparaît très symbolique de la démarche qu'entend
désormais adopter le Gouvernement dans ses relations avec les professionnels de
santé. Prenant acte de l'échec du dispositif des lettres clés flottantes, le
Gouvernement a pris la décision de « tourner la page de la régulation
comptable, au profit d'une maîtrise médicalisée qui fait le choix de la
confiance ».
M. Paul Blanc.
Il était temps !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Comme l'a souligné M. Jean-Marie Spaeth, président du conseil
d'administration de la CNAMTS, lors de son audition par la commission des
affaires sociales du Sénat, les médecins généralistes ont, pour la première
fois, accepté la notion de contrepartie, en s'engageant à prescrire davantage
de médicaments génériques en échange d'une revalorisation des honoraires.
C'est, à l'évidence, l'amorce d'une dynamique nouvelle, dont nous commençons à
récolter les fruits. M. le ministre en a fait état tout à l'heure.
Les résultats de cet accord ne se sont pas fait attendre : les médecins «
jouent le jeu » ; le volume des prescriptions en dénomination commune a très
nettement gonflé ; la part des médicaments génériques est passée, selon les
chiffres de la CNAMTS, de 7,3 % en mai à 8,8 % en août ; enfin, le nombre de
visites semble déjà diminuer significativement, comme l'a souligné tout à
l'heure M. le ministre.
Dans le prolongement de l'accord signé le 5 juin 2002, le Gouvernement a
également souhaité redonner vie à la politique conventionnelle. Les
négociations entre la CNAMTS et le Centre national des professions de santé
relatives à l'accord-cadre interprofessionnel prévu par la loi du 6 mars 2002
ont véritablement démarré au mois de juillet, sous l'impulsion du ministre de
la santé. Elles devraient s'achever avant la fin de l'année 2002.
Parallèlement, les caisses d'assurance maladie et les organisations
représentatives de médecins ont entamé des discussions afin de définir un
nouveau cadre conventionnel propre aux généralistes et aux spécialistes.
Le présent projet de loi pose les bases d'un nouveau mode de régulation,
fondée sur la confiance partagée - nous ne le dirons jamais assez - la qualité
des soins et l'optimisation médicalisée des dépenses. L'article 15 du texte met
ainsi un terme définitif à l'application du mécanisme dit des « lettres clés
flottantes », auquel le Sénat s'est opposé à de nombreuses reprises.
Le second sujet de satisfaction de la commission des affaires sociales
concerne l'hôpital.
Les établissements de santé publics connaissent, chacun le sait, des
difficultés financières croissantes depuis quelques années. D'expédients en
reports de charges, de procédés de cavalerie en décalages d'opérations, les
hôpitaux accumulent des déficits qui atteignent maintenant un montant
considérable, de plus en plus difficilement récupérable.
C'est dans ce contexte, déjà particulièrement tendu, qu'a été décidée, sans
préparation ni concertation préalable, l'application de la RTT, la réduction du
temps de travail, dans les établissements publics de santé.
(Eh oui ! sur
les travées du RPR.)
Dans un « esprit de continuité républicaine », le Premier ministre, M.
Jean-Pierre Raffarin, a indiqué qu'il assumerait les décisions prises par le
précédent gouvernement et qu'il ne remettrait donc pas en cause l'application
de la RTT dans les hôpitaux.
Conscient cependant des difficultés qu'entraîne cette réforme, vous avez
constitué, monsieur le ministre, une mission nationale d'évaluation de
l'application de la RTT dans les établissements de santé, présidée par M. Angel
Piquemal, directeur du centre hospitalier de Bayonne.
Dans un rapport qui vous a été remis récemment, le 7 novembre dernier, les
auteurs de la mission constatent que la RTT a accentué « la crise du système
hospitalier et de ses missions », confirmant d'ailleurs ainsi le diagnostic
posé par notre commission des affaires sociales lors de l'examen du projet de
loi de financement de la sécurité sociale pour 2002.
M. Piquemal estime que la réduction du temps de travail a servi de «
révélateur d'une crise du fonctionnement interne des établissements ». La RTT,
force est de le reconnaître, arrive au pire moment : la majorité des
responsables d'établissement dénonce une situation budgétaire quasi « explosive
». La RTT intervient, de surcroît, dans un contexte démographique défavorable.
Les hôpitaux manquent de médecins, notamment dans certaines disciplines à
gardes et astreintes telles que la chirurgie, l'anesthésie, l'obstétrique et la
pédiatrie. La crise démographique touche également les infirmières.
Le rapport Piquemal constate que, faute d'être parvenus à se réorganiser de
manière efficace, les établissements ont dû diminuer les plages d'ouverture des
blocs opératoires, des consultations externes et des secrétariats médicaux.
Le panorama du fonctionnement hospitalier dressé par le rapport semble
particulièrement préoccupant : « Repli sur soi des équipes, augmentation des
"prescriptions-parapluie", du temps d'attente aux urgences, des délais pour les
actes programmés et retards pour l'envoi des comptes rendus ». De plus, « les
tensions à l'intérieur des équipes se sont accrues ». Les personnels se
plaignent d'une « dégradation des soins », qui retentit sur « leur propre
reconnaissance professionnelle ».
Face à ce constat, la mission préconise de ne pas remettre en cause le
principe de la RTT à l'hôpital, mais tout de même d'en « clarifier le contexte
», en « développant une politique de gestion prévisionnelle des emplois » et en
« accroissant la visibilité financière » des hôpitaux. Elle formule un certain
nombre de recommandations concernant les « ajustements » qu'il convient
d'apporter à la RTT.
Aussi, nous ne sommes pas allés jusqu'à remettre en cause la RTT. A titre
personnel, je me suis longtemps demandé s'il n'y aurait pas lieu de mettre en
place un moratoire en ce qui concerne les hôpitaux, d'autant plus que vos
prédécesseurs, monsieur le ministre, ont vraiment pris cette mesure de mise en
oeuvre de la RTT à l'hôpital avec beaucoup de légèreté. En effet, ils ne se
sont jamais demandé si des mesures auraient dû être prises en amont en matière
de démographie médicale pour que des moyens humains suffisants existent à
l'hôpital afin que la RTT soit mise en oeuvre et profite réellement à
l'ensemble du personnel, ce qui n'est pas aujourd'hui le cas et nous oblige
tous à trouver des solutions qui ne sont pas satisfaisantes.
M. Dominique Leclerc.
Ils le savaient !
M. Paul Blanc.
C'était pour préparer les élections !
M. Guy Fischer.
Il y en a qui ont fait bien autre chose !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
C'était un engagement de leur part. A l'époque, ils ont gagné
les élections sans trop y croire. Ils avaient fait des promesses purement
démagogiques sur le plan social avec les 35 heures. Comme cet engagement avait
été pris, ils ont voulu le respecter, mais ils en ont récolté les fruits, les
Français s'étant rendu compte très rapidement que ces propositions se
retournaient contre eux.
(M. Guy Fischer s'exclame.)
Le rapport de cette
mission était très attendu par le Gouvernement, qui doit dévoiler demain en
conseil des ministres le contenu du plan Hôpital 2007.
Ce plan, qui est bien sûr très attendu par l'hôpital, devrait enfin « redonner
ambition et espoir au monde hospitalier ».
Il reposera tout d'abord sur une relance volontariste de l'investissement.
Ainsi, vous avez décidé, monsieur le ministre, de lancer un plan quinquennal
d'investissement, qui sera engagé dès 2003. Le présent projet de loi amorce ce
plan, puisqu'il prévoit le financement de la première tranche de 6 milliards
d'euros pour 2003, ce qui représentera plus de 1 milliard d'euros
d'investissements supplémentaires. Ces efforts couvriront toutes les opérations
d'investissements, qu'il s'agisse de l'immobilier, de l'équipement ou des
systèmes d'information, qui constituent un préalable indispensable à toute
réorganisation.
Le deuxième volet du plan repose sur la rénovation du mode de financement des
établissements par l'instauration de la tarification à l'activité, vous avez
évoqué ce point tout à l'heure, monsieur le ministre.
Les objectifs de la tarification à l'activité sont les suivants : d'une part,
pouvoir fonder le financement de chaque établissement sur une mesure juste de
son activité - en volume et en structure - et, d'autre part, rapprocher ainsi
les modes de financement et de régulation des deux secteurs
d'hospitalisation.
Enfin le troisième volet du plan vise à assouplir les règles de
planification.
Le Gouvernement souhaite que les établissements puissent jouir d'une plus
grande autonomie dans leur gestion quotidienne. Cela suppose la simplification
d'un certain nombre de règles, en particulier pour les achats, qui génèrent à
la fois des surcoûts et des dysfonctionnements au sein des établissements.
Il s'agit donc d'un plan ambitieux, à la hauteur du défi que représente
aujourd'hui le sauvetage de notre système hospitalier, et dont votre commission
partage pleinement les objectifs.
En définitive, quelles conclusions doit-on tirer des propositions formulées
par le Gouvernement ?
Médicaliser l'ONDAM, restaurer le dialogue et la confiance avec les
professionnels de santé, redonner un sens à la politique conventionnelle, poser
les bases d'une véritable maîtrise médicalisée des dépenses, moderniser
l'hôpital en surmontant le défi que représente la réduction du temps de
travail, tels sont les nombreux chantiers et la tâche difficile auxquels le
Gouvernement a décidé de s'attacher. Vous savez, monsieur le ministre, que vous
pouvez compter sur le soutien de la Haute Assemblée. Nous ferons tout pour vous
aider à réussir dans votre mission.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste. - M. Jean-Pierre Fourcade applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Adrien Gouteyron,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, il est difficile de prendre la parole en cet
instant pour revenir sur ce que vous avez fort bien dit, monsieur le ministre,
et sur ce qui a été excellemment exposé, et avec beaucoup de conviction, par M.
le rapporteur. Mais il est bon que plusieurs commissions du Parlement se
saisissent d'un sujet aussi important que celui dont vous avez la charge,
monsieur le ministre. En effet, la commission des finances est fondée à
examiner ces questions.
Comme vous l'avez dit, ce débat constitue une réelle innovation, qui exprime
l'importance de la branche maladie et qui est le signe des difficultés qu'elle
rencontre. Puis-je rappeler, à mon tour, que la branche maladie reste la seule
branche déficitaire, avec un déficit prévisionnel de 6,1 milliards d'euros en
2002 et de 8,2 milliards d'euros pour 2003, avant les mesures nouvelles que
vous proposez dans le présent projet de loi de financement de la sécurité
sociale. Depuis l'année 2000, l'accélération de ce déficit est manifeste, avec
un quasi-triplement du besoin de financement de la branche entre 2001 et 2002.
Le creusement de ce déficit devrait se ralentir entre 2002 et 2003, selon les
prévisions de la commission des comptes de la sécurité sociale, avant mesures
nouvelles, et plus encore, bien entendu, grâce aux dispositifs de maîtrise de
la dépense que vous mettez en place dans le présent projet de loi.
Le dynamisme des dépenses d'assurance maladie et le retournement de la
conjoncture sont à l'origine du retour du déficit du régime général de la
sécurité sociale en 2002, qui s'établirait à 3,3 milliards d'euros.
La progression des dépenses et le creusement du déficit peuvent être
appréhendés à travers l'évolution de l'objectif national de dépenses
d'assurance maladie, dont je dirai, moi aussi, quelques mots.
Hormis 1997, seule année où, on l'a dit, il avait été respecté, l'ONDAM a été
systématiquement dépassé. Les dépenses entrant dans le champ de cet objectif
ont augmenté en moyenne de 3,9 % par an, soit 1,8 point d'évolution par an de
plus que les objectifs votés dans les lois de financement de la sécurité
sociale, puisque ces derniers ont crû, en moyenne, de 2,1 % par an. Le
dépassement s'est même beaucoup accéléré en fin de période, essentiellement
sous l'effet d'une croissance des dépenses de soins de ville très supérieure
aux objectifs fixés.
Entre 1996 et 2001, les dépenses de soins de ville on augmenté en moyenne de
5,3 % par an, alors que l'objectif d'évolution moyenne annuelle s'établissait à
1,5 %. Ces taux de croissance élevés sont dus, pour l'essentiel, à une forte
augmentation du poste qui concerne les dépenses de médicaments.
Au cours des cinq dernières années, l'ONDAM est devenu un outil complexe mais,
surtout, peu lisible, qui n'a pas rempli sa mission de suivi et de régulation
des dépenses de l'assurance maladie.
C'est donc dans un contexte de dérapage incontrôlé des dépenses d'assurance
maladie qu'intervient le projet de loi de financement de la sécurité sociale
pour 2003. La conviction affichée par le Gouvernement aujourd'hui est que
l'ONDAM ne saurait être respecté qu'à condition de le fixer de manière crédible
dès le départ. Certes, vous n'êtes pas devin, monsieur le ministre, mais vous
êtes honnête et vous fixez l'ONDAM à un niveau qui est plausible, et le
Parlement doit vous en donner acte. Une progression de 5,3 % par an par rapport
aux réalisations de l'année 2002, cela contraste en effet avec ce qui s'est
passé les années précédentes. Ainsi, l'ONDAM fixé pour 2002 par le précédent
gouvernement avait, je le rappelle, été dénoncé, dès septembre 2001, par la
commission des comptes de la sécurité sociale et, bien sûr, par notre
commission des affaires sociales, comme revêtant un caractère tout à fait
irréaliste et dont la réalisation aurait supposé un freinage considérable des
dépenses par rapport à la tendance moyenne des dernières années.
L'objectif pour 2002 avait été fixé à 112,8 milliards d'euros, en augmentation
de 3,9 % par rapport à la base 2001. La progression des dépenses s'est établie
à 7,2 %, ce que vous nous avez confirmé tout à l'heure.
Pour 2003, l'ONDAM est fixé de manière réaliste et crédible : 123,5 milliards
d'euros, soit une augmentation de 5,3 % par rapport à l'ONDAM 2002 révisé.
L'enjeu est primordial, et pas seulement sur le plan comptable, ni même en
termes de la seule maîtrise des dépenses de santé, pourtant tout à fait
essentielle. Il s'agit, aujourd'hui, et vous l'avez dit, monsieur le ministre,
de redonner confiance à l'ensemble des acteurs de notre système de soins.
L'absence de crédibilité et de réalisme au moment de la fixation de l'objectif
national avait des effets extrêmement fâcheux et un impact dévastateur sur les
professionnels de santé, conduisait... en quelque sorte, à les décrédibiliser
et introduisait dans l'opinion un sentiment de scepticisme généralisé. Vous
voulez y mettre fin. Il s'agit d'un assainissement important non seulement sur
le plan de la prévision, sur le plan comptable, mais aussi sur le plan de la
psychologie générale de la nation, et des rapports entre la nation et son
système de soins. C'est essentiel. Si l'on veut sauver notre système de
sécurité sociale, il faut que la confiance revienne.
Toutefois, l'ONDAM 2003 ne pourra être respecté que si, parallèlement, le
Gouvernement met en oeuvre des dispositions visant à la maîtrise des dépenses.
Une réelle volonté de maîtrise médicalisée des dépenses est donc nécessaire. A
cet égard, le présent projet de loi contient certaines mesures phares, qui
permettent d'engager ce processus de médicalisation de la maîtrise des dépenses
de santé. Je ne les énumérerai pas. Il s'agit des mesures qui concernent le
médicament, vous les avez rappelées tout à l'heure. Outre le développement des
génériques et le moindre remboursement des médicaments à service médical rendu
insuffisant, une mesure, qui n'est pas une mesure de compensation, montre bien
que vous ne renoncez pas, loin de là, à ce que doit être l'innovation en
matière de médicaments : c'est - et je veux le relever - l'inscription
accélérée sur la liste des médicaments remboursables pour les médicaments les
plus innovants. Cette mesure est importante car elle constitue, en quelque
sorte, l'autre plateau de la balance.
M. Jean-François Mattei,
ministre.
Exactement !
M. Adrien Gouteyron,
rapporteur pour avis.
Comme M. le rapporteur l'a fort bien dit tout à
l'heure, ce projet de loi comporte également des dispositions relatives à
l'activité hospitalière, avec la relance de l'expérimentation de la
tarification à l'activité, la mise en place d'une mission d'audit et
d'expertise hospitaliers et le programme de relance de l'investissement.
Enfin, ce projet de loi affiche l'ambition de renouer le dialogue avec les
médecins de ville pour aller vers une régulation des dépenses de soins de ville
fondée sur la confiance partagée.
Monsieur le ministre, en tant que nouveau rapporteur de la commission des
finances, je me suis résolument efforcé de comprendre toutes les subtilités
d'un domaine complexe. Lorsque je me suis astreint à recevoir un certain nombre
de partenaires, et notamment les syndicats de médecins, j'ai été frappé de les
entendre tous dire que quelque chose de nouveau se passait, que l'on pouvait
enfin avancer sur des bases nouvelles, dans une relation de confiance avec les
pouvoirs publics, et en particulier avec vous-même, monsieur le ministre.
Pour parler simple, je crois pouvoir vous dire qu'ils y croient. Ce que j'ai
entendu de leur part, je l'ai constaté dans mon département, et notamment dans
ma commune, lorsque j'y ai rencontré des médecins. Aussi, je veux vous en
donner acte, monsieur le ministre. Une chance vous est offerte. Mais cela vous
crée des devoirs, car vous ne devez pas décevoir cette confiance qui est mise
en vous. Ils reconnaissent votre courage, votre lucidité et, bien sûr, votre
compétence. Ils considèrent qu'ils ont un bon ministre.
Monsieur le ministre, je suis heureux de vous le dire, la commission des
finances du Sénat a, bien sûr, approuvé vos propositions,...
M. Guy Fischer.
Heureusement !
M. Adrien Gouteyron,
rapporteur pour avis.
... elle vous fait entièrement confiance et elle
avancera avec vous en toute lucidité.
(Applaudissements sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste. - M. Jean-Pierre
Fourcade applaudit également.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et
une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Bernard Angels.)