SEANCE DU 20 NOVEMBRE 2002
M. le président.
L'amendement n° 132, présenté par Mme Beaudeau, M. Fischer, Mme Demessine, M.
Muzeau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi
libellé :
« Avant l'article 35, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le premier alinéa du I de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23
décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999, après les mots :
"aux salariés et anciens salariés des établissements", sont insérés les mots :
"ou les sites". »
La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Avant de défendre mon amendement, je souhaiterais réagir aux propos de M.
Vasselle. En effet, nous sommes face à un sujet d'une grande gravité, puisqu'on
prédit un nombre de victimes, actuelles et à venir, proche de 100 000. Il
s'agit d'un véritable drame ; ce sont d'ailleurs les mots qu'a employés M. le
ministre. Aussi, même si les amendements qui ont été déposés avoisinent la
quarantaine, monsieur le rapporteur, j'estime que vous devez prendre le temps
de nous donner votre sentiment, un sentiment éclairé, d'ailleurs - et ne voyez
là aucune moquerie de ma part. La question est suffisamment douloureuse pour
que l'on y consacre du temps !
L'amendement n° 132 a pour objet de compléter le I de l'article 41 de la loi
de financement de la sécurité sociale pour 1999, en précisant les conditions
requises pour qu'un salarié puisse prétendre au bénéfice de l'allocation de
cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, l'ACAATA.
Alors que la liste des établissements ouvrant droit à cette allocation est
notoirement incomplète et non exempte d'erreurs, d'autres difficultés se posent
aux personnels ayant été exposés à l'amiante et souhaitant bénéficier de
l'ACAATA.
C'est tout particulièrement le cas des personnels de sous-traitance,
intérimaires ou en régie, ayant travaillé au sein d'établissements employant de
l'amiante, sur des sites où l'exposition à l'amiante était fréquente et
massive.
L'ACAATA est attribuée, lorsque l'établissement en cause est inscrit sur la
liste y ouvrant droit, aux personnels travaillant en contrat à durée
indéterminée et en contrat à durée déterminée. Cependant, dans les murs de cet
établissement ont souvent également travaillé du personnel intérimaire, celui
de sociétés sous-traitantes, le personnel en régie, les stagiaires, toutes
catégories de personnels qui ne peuvent prétendre à l'ACAATA.
Or vous n'êtes pas sans savoir, madame la ministre, mes chers collègues, que
le recours à la sous-traitance et à l'intérim n'est pas une déviance récente de
notre système.
Même si le recours à ces formes de travail s'est particulièrement intensifié
au cours des dernières années, nul n'ignore que les entreprises utilisant des
produits dont elles connaissent le danger pour la santé des salariés - c'était
évidemment le cas pour l'amiante, et on le sait de longue date -, ont de tout
temps et très souvent fait appel à des personnels intérimaires ou de
sous-traitance pour faire réaliser une partie des travaux dangereux tout en
n'en assumant pas les conséquences.
L'un des intérêts majeurs du recours à l'intérim - c'est toujours le cas -
c'est évidemment de faire travailler des personnels « volatils », soumis à des
conditions de travail moins surveillées et protégées, bénéficiant d'une
législation sur la protection de la santé au travail parcellaire et
inefficace.
Il en est de même pour les sous-traitants. Nombre d'entreprises utilisant ou
fabriquant des produits dangereux, toxiques, cancérogènes ont recours à cette
forme de production afin de rendre difficile, voire impossible, le repérage des
lieux de production où les salariés sont exposés, du suivi médical dont ils
disposent et donc, en cas d'atteinte à la santé, de la faute de l'entreprise
responsable.
Telle a parfois été également la logique des établissements producteurs ou
utilisateurs d'amiante. Dès lors, et afin que tous les personnels ayant
travaillé sur ces sites puissent bénéficier de l'ACAATA, il ne faut pas
recréer, comme actuellement, une nouvelle discrimination du point de vue des
droits et de la protection entre les personnels attitrés de l'établissement et
les personnels sous-traitants ou en régie, les stagiaires par exemple.
L'un des objectifs du recours à la sous-traitance et à l'intérim étant de
brouiller les pistes de fabrication et de cheminement des produits dangereux,
il me paraît particulièrement difficile, pour ne pas dire impossible, de
retrouver quels établissements ont fait appel à quelles agences d'intérim, à
quels sous-traitants, et, parmi ces entreprises, quelles personnes ont
travaillé dans l'établissement en question.
Par conséquent, le moyen le plus simple de rétablir l'égalité de droits et
d'accès à l'ACAATA entre salariés en CDI et CDD et personnels sous-traitants,
intérimaires ou en régie, est de prendre en compte la notion de site
d'utilisation de l'amiante et non plus seulement la notion d'établissement.
L'ajout au I de l'article 41 de la loi de financement de la sécurité sociale
pour 1999 de cette notion de site permettra ainsi d'ouvrir le bénéfice de
l'ACAATA à ceux qui, une fois de plus, ont été oubliés de la législation, au
mépris du droit de chacun à l'égalité de traitement.
Je vous invite donc, mes chers collègues, en votant cet amendement, à rétablir
dans leur droit tous ces personnels dont l'exposition à l'amiante ne fait pas
de doute mais que leur statut a rendus, une fois de plus, socialement et
juridiquement invisibles.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Monsieur le président, mes chers collègues, je ne voudrais
pas que le Sénat se méprenne sur les propos que j'ai tenus dans mon exposé
liminaire sur le titre IV.
Nous avons toute la considération qui s'impose à l'égard des victimes de
l'amiante.
M. Jean Chérioux.
Cela va de soi !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
La commission n'a absolument pas la volonté d'escamoter le
débat sur cette question en bottant en touche, pas plus qu'elle ne souhaite
examiner à un rythme trop rapide les amendements qui méritent intérêt.
Ainsi, celui que vous venez de présenter, monsieur Muzeau, soulève une bonne
question et il mérite, effectivement, de retenir tant notre attention que celle
du Gouvernement.
Cependant, je ne suis pas persuadé que sa rédaction actuelle soit de nature à
satisfaire complètement l'ensemble des victimes que vous voudriez voir
dédommagées par ce fonds.
C'est la raison pour laquelle, si le Gouvernement émettait un avis favorable
sur votre amendement et s'il était adopté, il faudrait sans doute en revoir la
rédaction lors de l'examen du texte en commission mixte paritaire.
Avant de se prononcer, la commission m'a chargé de solliciter l'avis du
Gouvernement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Ameline,
ministre déléguée.
Le Gouvernement est, naturellement, aussi sensible que
M. le rapporteur à la situation des victimes de l'amiante. Toutefois, après
vous avoir écouté, monsieur le sénateur, je voudrais souligner que la notion de
site, à laquelle vous faites référence, pose problème.
En effet, il n'existe pas de définition précise de la notion de site
industriel. L'amendement n° 132 aurait donc pour conséquence d'étendre de façon
non contrôlée le dispositif à des secteurs dans lesquels il serait impossible
d'établir que l'amiante a bien été manipulé.
Pour cette raison, le Gouvernement n'est pas favorable à cet amendement.
J'ajoute que la réglementation en vigueur peut d'ores et déjà s'appliquer à des
personnes qui, employées par une entreprise intérimaire, travaillaient en
permanence dans les établissements visés.
M. le président.
Quel est maintenant l'avis de la commission ?
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Défavorable.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 132.
(L'amendement n'est pas adopté)
M. le président.
L'amendement n° 133, présenté par Mme Beaudeau, M. Fischer, Mme Demessine, M.
Muzeau et les membres du groupe communistes républicain et citoyen, est ainsi
libellé :
« Avant l'article 35, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le deuxième alinéa (1°) du I de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23
décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999, les mots :
"figurant sur une liste établie" sont remplacés par les mots : "figurant sur
une liste indicative établie". »
La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau.
L'article 41 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 a
institué un dispositif de cessation anticipée d'activité pour les salariés
ayant été exposés à l'amiante.
Complété par des dispositions de lois de financement de la sécurité sociale
postérieures ainsi que par des décrets et arrêtés, ce dispositif permet aux
salariés ayant manipulé de l'amiante de bénéficier, à partir de cinquante ans
au moins, d'une ACAATA lorsque l'entreprise dans laquelle ils ont été au
contact de l'amiante figure sur les listes mentionnées au 1er alinéa du I de
l'article 41 précité.
Peuvent également bénéficier de ce dispositif les salariés reconnus comme
atteints d'une maladie professionnelle causée par l'amiante. En dépit
d'élargissements successifs à de nouveaux établissements et à d'autres
professions, des erreurs et de nombreux oublis entachent le dispositif.
Ainsi, les salariés de la métallurgie, de la sidérurgie, des garages, des
fonderies, de la mécanique, de l'automobile ou encore de l'électroménager,
pourtant particulièrement exposés à l'amiante, sont très largement exclus du
dispositif de l'ACAATA. S'agissant de la fonderie, on constate que seuls deux
établissement ont été inscrits sur les listes ; pour la sidérurgie, aucun
établissemnent n'est inscrit, alors qu'on estime à 85 tonnes par an la quantité
d'amiante utilisée sur certains sites.
Allons-nous encore longtemps exclure ces salariés aux conditions de travail
pénibles et dangereuses, mis en contact avec l'amiante au mépris de tout
respect de leur santé, du droit de bénéficier d'une cessation anticipée
d'activité ?
Que répondez-vous, madame la ministre déléguée, à ces salariés de la
sidérurgie que ma collègue Marie-Claude Beaudeau a rencontrés, dont l'usine a
été fermée, puis détruite - à l'exception de deux cheminées parce que celles-ci
sont remplies d'amiante -, et qui ne bénéficient pourtant pas de l'ACAATA ?
Le caractère limitatif des listes prévues par l'article 41 de la loi de
financement de la sécurité sociale pour 1999 exclut donc de nombreux salariés,
ce qui crée une situation inéquitable et profondément injuste et
discriminatoire. Vous le savez, l'amiante a été, durant des décennies, un
matériau abondamment utilisé, dans des domaines d'activité particulièrement
nombreux et différents. L'inventaire de tous les établissements ayant utilisé
et manipulé, voire fabriqué de l'amiante s'avère parfois très complexe, du fait
non seulement de leur grand nombre, mais aussi des fermetures d'usines, des
délocalisations, des changements de nom, des rachats par d'autres sociétés.
Le travail d'échange d'informations, de vérification et de recoupements
réalisé par les directions départementales du travail et de l'emploi et les
caisses régionales d'assurance maladie, les CRAM, ne permet pas, en l'état
actuel de la législation et de l'avancement des dossiers de demandes de
classement d'établissements dans la liste ACAATA, de dresser cette dernière de
manière vraiment complète, sans erreurs ni oublis.
Les salariés concernés par ce dispositif ne peuvent attendre. Ce sont des
victimes du travail : beaucoup sont déjà ou seront prochainement atteints par
les pathologies de l'amiante, dont nul n'ignore la gravité.
Dès lors, madame la ministre, il est urgent d'ajouter le qualificatif «
indicative » à la liste mentionnée à l'article 41 de la loi de financement de
la sécurité sociale pour 1999, afin que les salariés exposés à l'amiante mais
dont les établissements ne sont pas classés en liste ACAATA puissent bénéficier
du droit qui leur revient sans conteste de cesser leur activité de façon
anticipée.
Le caractère particulièrement parcellaire de cette liste est un affront de
plus aux victimes du travail, une nouvelle tentative d'instaurer entre elles
des inégalités et des discriminations que rien ne peut justifier.
Je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter cet amendement, dont le
seul objet est de permettre à ceux qui ont été exposés à l'amiante et risquent
d'en subir de plein fouet les conséquences catastrophiques de bénéficier de
l'ACAATA.
Je me permets de vous rappeler que, si l'ACAATA a été créée, c'est d'abord
parce que l'espérance de vie des personnes exposées à l'amiante est fortement
réduite : inutile d'ajouter à cette souffrance de nouvelles injustices.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
La commission a considéré qu'il s'agissait autant d'un
amendement d'appel au Gouvernement que d'un amendement destiné à insérer cette
disposition dans le présent projet de loi des établissements.
Effectivement, la mise à jour de la « liste » des établissements est beaucoup
trop lente. Certes, des efforts ont été accomplis : le Gouvernement n'est pas
resté inactif en la matière puisque, le 12 août dernier, il a pris un arrêté
visant à étendre cette liste à une centaine de nouveaux établissements.
Il reste que, entre le moment où a été créé ce dispositif et celui où le
Gouvernement a pris ses responsabilités, s'est écoulé un temps pendant lequel
des victimes de l'amiante, déjà atteintes par la maladie ou sachant qu'elles
allaient l'être, ont pu avoir le sentiment que les choses traînaient quelque
peu.
Les assurances qui vont certainement vous être données, monsieur Muzeau,
devraient vous permettre de retirer cet amendement, d'autant que, s'il devait
être maintenu en l'état, se poserait la question de savoir qui doit déterminer
les établissements concernés.
En vérité, la disposition que vous proposez est beaucoup trop floue, et, mise
en oeuvre, elle risquerait d'aboutir à l'inverse de ce que vous recherchez,
c'est-à-dire une accélération du processus de prise en compte des victimes de
l'amiante.
Je ne doute pas, mon cher collègue, que la sagesse l'emportera dans la
position que vous adopterez finalement à l'égard de cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Ameline,
ministre déléguée.
Je rappelle que c'est la loi qui définit les secteurs
d'activité concernés.
L'article 41 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 a
institué un mécanisme simple d'accès au dispositif de cessation anticipée
d'activité : il faut être atteint d'une maladie liée à l'amiante ou avoir
travaillé dans un établissement précisément défini.
L'inscription sur la liste des établissements peut être demandée aussi bien
par l'employeur que par une organisation ou une personne physique. Elle fait
nécessairement l'objet d'une procédure d'instruction qui est d'ores et déjà
déconcentrée, faisant intervenir les directions régionales du travail et de
l'emploi et les CRAM. Elle s'est traduite, au cours des dernières années, par
trois révisions de liste par an, aussi bien dans le domaine de la construction
et de la réparation navale que dans celui de la fabrication et du
calorifugeage.
Le fait de rendre ces listes indicatives, comme vous le souhaitez, monsieur le
sénateur, accroîtrait la complexité de la tâche de gestion des CRAM, qui
devraient réaliser la même instruction, sans gain important de rapidité.
J'ajoute qu'une circulaire du 4 septembre 2001 a d'ores et déjà rendu possible
la rectification par les CRAM d'erreurs matérielles concernant, par exemple,
des noms ou des adresses.
Pour l'ensemble de ces raisons et pour celles qu'a évoquées M. le rapporteur,
le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 133.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article additionnel avant l'article 35
ou après l'article 36