SEANCE DU 28 NOVEMBRE 2002
M. le président.
Le Sénat va examiner tout d'abord les dispositions du projet de loi de
finances concernant la jeunesse, l'éducation nationale et la recherche : I. -
Jeunesse et enseignement scolaire.
J'indique au Sénat que, pour l'examen de ce premier fascicule budgétaire, la
conférence des présidents a opté, sur proposition du président de la commission
des finances, pour la formule des questions et réponses, expérimentée ces deux
dernières années, afin de rendre notre discussion plus vivante, plus dynamique
et plus interactive.
Ainsi, M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de
la recherche, et M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire,
répondront immédiatement et successivement au rapporteur spécial, aux trois
rapporteurs pour avis et, enfin, à chaque orateur des groupes.
Ces réponses successives se substitueront à la réponse unique en fin de
discussion. Chacune des questions des orateurs des groupes ne doit pas dépasser
cinq minutes. Le Gouvernement répondra en trois minutes à chaque orateur -
c'est un art difficile, messieurs les ministres, mais je ne doute pas que vous
y excellerez -, l'orateur disposant d'un droit de réplique de deux minutes
maximum.
La réussite de cette formule suppose que chacun « joue le jeu ». J'invite en
particulier chaque intervenant à respecter à la fois l'esprit de la procédure,
qui repose sur des questions précises et en nombre limité, et les temps de
parole impartis, en insistant sur ce dernier point du fait du nombre des
orateurs inscrits.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Roger Karoutchi,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Ce projet de budget fait montre,
messieurs les ministres, d'un pragmatisme qu'il convient de saluer.
Pragmatisme, car vous n'avez pas hésité à prolonger, en les amplifiant, les
mesures les plus heureuses impulsées par le précédent gouvernement : la relance
de l'internat, la pérennisation et l'approfondissement du plan de scolarisation
des enfants et adolescents handicapés « Handiscol », la revalorisation du
statut des infirmières scolaires, autant de mesures ébauchées sous la
précédente législature et qu'il convenait de maintenir et de conforter dans ce
nouvel exercice.
Pragmatisme encore dans la consolidation, mais, heureusement, sur des bases
nouvelles, de la généralisation de l'enseignement des langues vivantes à
l'école primaire, qui s'était jusqu'ici traduite par le recours, désordonné et
insuffisamment financé, à une multitude d'intervenants extérieurs. Il convenait
d'y mettre bon ordre ; c'est chose faite.
Ce pragmatisme, mes chers collègues, tranche avec certaines pratiques
précédentes qui tendaient, chacun le sait, à multiplier les effets d'annonce et
les demandes de rapports sans mettre en place les structures concrètes ou les
financements adaptés.
Je dois dire que, pour ma part, j'approuve pleinement les orientations du
nouveau gouvernement, qui s'attache à revaloriser la pédagogie du travail et de
l'effort, à mettre plus nettement l'accent sur l'acquisition des savoirs de
base que sont la lecture et l'écriture, et qui s'attaque de front aux fléaux
que sont l'illettrisme, la violence et la déscolarisation.
De ce point de vue, la création de dispositifs relais et le développement des
actions « école ouverte » sont des mesures pragmatiques dont l'efficacité est
unanimement reconnue.
Une telle approche n'exclut cependant pas les prises de conscience.
Quels que soient ses choix ou ses préférences politiques, chacun reconnaît
votre courage, messieurs les ministres, dans l'analyse de la situation.
En premier lieu, vous avez eu le courage de reconnaître que l'école marquait
le pas.
Depuis maintenant plus de dix ans, l'école ne parvient plus à réduire
l'effectif des quelque 20 % d'élèves qui entrent en sixième sans maîtriser les
savoirs fondamentaux. De nombreux jeunes - et, là aussi, les chiffres stagnent
à un niveau élevé - sortent chaque année du système éducatif sans aucune
qualification. La violence, les incivilités, la déscolarisation touchent un
nombre croissant d'élèves de plus en plus jeunes.
Toutes ces évolutions remettent gravement en cause le principe même d'égalité.
Il faut avoir le courage de prendre en compte ces problèmes, sans
a
priori
mais aussi sans naïveté.
En second lieu, vous avez eu le courage de trancher avec l'idéologie de « la
grande réforme » qui marquait, de manière récurrente, chaque époque du nom d'un
ministre de l'éducation. La « grande réforme » n'est plus adaptée : il faut
mettre un terme aux rafales de réformes pédagogiques, qui n'avaient en pratique
guère d'autres conséquences que la désorganisation des établissements ou du
travail des enseignants, imposées à l'enseignement scolaire au cours des
dernières années.
En troisième lieu, vous avez eu le courage de mettre un terme - et c'était le
plus difficile - à la fuite en avant de l'augmentation des moyens, présentée
jusqu'ici comme la solution à tous les problèmes, alors que la plupart n'ont
fait que s'aggraver.
Faut-il rappeler que les effectifs enseignants ont crû de plus de 1,2 % par an
en moyenne au cours de la période 1990-2002, tandis que les effectifs d'élèves
baissaient continûment depuis 1995 ? Faut-il souligner que la France dépense
d'ores et déjà pour l'enseignement scolaire bien plus que la moyenne des pays
de l'OCDE ?
Convient-il d'injecter encore et encore du carburant dans un moteur noyé ? Ne
faut-il pas plutôt faire l'état des lieux et tenter d'apporter des solutions
?
Le projet de budget de la jeunesse et de l'enseignement scolaire prévoit en ce
sens une inflexion des effectifs : un peu plus de 3 400 emplois budgétaires à
structure constante, environ 20 000 si l'on tient compte de la baisse des
effectifs d'aides-éducateurs.
J'estime pour ma part normal, dans un contexte où la maîtrise des dépenses
publiques est de mise, que les effectifs en personnel de l'enseignement
scolaire s'ajustent aux évolutions du nombre d'élèves, d'autant que la
réduction de la taille des classes n'apparaît plus, selon les différentes
études tant de l'inspection générale de l'éducation nationale, l'IGEN, que de
l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale, l'IGAEN,
comme la solution miracle aux problèmes de l'éducation nationale.
La priorité accordée à l'enseignement primaire avec la création de 1 000
postes supplémentaires d'enseignants est par ailleurs triplement légitime :
parce que les effectifs augmentent à nouveau légèrement ; parce que la part des
dépenses que nous lui consacrons est aujourd'hui, contrairement à
l'enseignement secondaire, légèrement inférieure à la moyenne des pays de
l'OCDE ; enfin et surtout parce que l'école primaire est le lieu où se forge
aujourd'hui l'échec scolaire, échec dont on ne peut que constater les
douloureux effets au collège.
J'en viens aux maîtres d'internat et surveillants d'externat, les MI-SE, qui
ont tant défrayé la chronique. De très nombreux rapports internes à l'éducation
nationale, dont celui de 1999, mettaient en cause leur statut, qui était
supposé donner un « coup de pouce » à des jeunes « méritants » recrutés sur
critères sociaux, dans le but de les aider à poursuivre leurs études
supérieures et à préparer les concours d'enseignement. Dans les faits, chacun
le sait, ce « coup de pouce » s'est souvent révélé peu probant, entravant même
parfois gravement la réussite aux concours de ces jeunes. Il convenait donc de
réformer ce statut.
Quant aux emplois-jeunes, souvent considérés comme des aides-éducateurs,
dois-je rappeler que le gouvernement précédent, qui ne payait d'ailleurs pas
leurs cotisations chômage, n'avait prévu ni dispositif de reclassement ni
sortie en sifflet ? Vous avez souhaité, messieurs les ministres, répondre à ce
type de problème par la création, dès septembre 2003, d'un nouveau corps, celui
des assistants d'éducation, sur lequel je vous interrogerai à la fin de mon
intervention.
Sur un plan plus général de l'élaboration du budget de l'éducation, de réels
progrès en matière d'indicateurs et de transparence de la gestion sont à
saluer. Les systèmes de suivi et d'analyse de la consommation des emplois
s'affinent. Le contrôle local de l'emploi s'accentue. La présentation des
documents budgétaires gagne en clarté.
Ces progrès doivent être poursuivis, d'autant que certaines carences
subsistent. En effet, tout dernièrement, les crédits destinés à payer les
enseignants non titulaires pour les mois de novembre et de décembre 2002 ont dû
être abondés à hauteur de 130 millions d'euros, ce qui traduit bien les
dysfonctionnements de gestion au sein des académies.
Ces progrès en matière de contrôle de gestion ont, en outre, permis de mieux
appréhender les divers dysfonctionnements qui minaient le ministère de
l'éducation nationale : l'excès de centralisme ; l'inadaptation de la
définition des obligations de service des enseignants à l'évolution de leur
métier, qui est difficile ; la faiblesse des relations pédagogiques entre les
niveaux d'enseignement ; les carences de la gestion prévisionnelle des
ressources humaines et de la formation continue des personnels ; l'incapacité à
poser les problèmes en termes de gestion des coûts ; enfin, la surconsommation
des moyens pour maîtriser techniquement la rentrée scolaire.
Bien sûr, ces constats ne sont pas nouveaux, mais les réformes inévitables
avaient jusqu'ici été différées, ce qui n'est plus tolérable lorsque l'on sait
qu'il s'agit là du premier budget de l'Etat.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances a
naturellement émis un avis favorable sur ce projet de budget.
Permettez-moi maintenant, messieurs les ministres, de vous poser trois
questions qui intéressent nombre de nos collègues et qui émeuvent quelque peu,
si je puis dire, l'opinion publique, en particulier, bien sûr, le corps
enseignant et l'ensemble du monde de l'éducation.
Ma première question, la plus globale, concerne l'intégration du budget de
l'éducation nationale à l'ensemble du budget de l'Etat. Compte tenu de la
dégradation des recettes générales prévue en 2003, quels efforts envisagez-vous
de consentir ? Quelles réductions de crédits êtes-vous prêts à proposer, et
comment les rendre compatibles avec l'ensemble de votre politique éducative
?
Par ailleurs, en prévoyant la création de 11 000 postes d'assistant
d'éducation en remplacement des 28 000 emplois-jeunes, ne prenez-vous pas le
risque d'une mauvaise interprétation de vos directives par les parents
d'élèves, dont l'une des principales préoccupations demeure la sécurité des
enfants face à la montée de la violence ? Quelle politique entendez-vous mener
en matière de sécurité dans les établissements scolaires ?
Enfin, je souhaiterais connaître votre position, messieurs les ministres, sur
le texte relatif à l'organisation décentralisée de la République. Des
adaptations dans le domaine de l'éducation sont-elles d'ores et déjà envisagées
? Quelle réponse opposez-vous aux rumeurs qui circulent parfois, faisant état
d'une décentralisation rapide, notamment vers les régions, d'un certain nombre
de services du ministère ?
M. Jean-Claude Carle.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry,
ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.
Monsieur le rapporteur, je vous remercie chaleureusement de votre analyse tout
à fait juste de la situation budgétaire que nous soumettons aujourd'hui au
Sénat.
Avant de répondre d'emblée à vos trois questions sans présenter l'ensemble du
projet de budget, puisque telle est la règle du jeu, je rappellerai tout de
même que le budget de l'éducation nationale a augmenté de 25 % dans les dix
dernières années. Or je crois sincèrement que personne ne pourrait affirmer,
sans prêter à rire, que les résultats de notre système éducatif, dans les
domaines que vous avez évoqués, ont également progressé de 25 % !
Il est donc nécessaire de passer d'une logique de la quantité à une logique de
la qualité, d'une logique de l'accroissement des moyens à une logique de
l'amélioration des performances. Cela suppose que nous tenions les deux bouts
de la chaîne, en nous donnant les moyens, notamment financiers, d'atteindre nos
objectifs prioritaires en matière de prévention de l'illettrisme, de création
de classes en alternance, de lutte contre l'échec scolaire d'une manière
générale et de lutte contre la violence et l'insécurité, tout en étant capables
de faire des économies - il faut dire les choses comme elles sont - et de nous
associer à l'effort de rigueur budgétaire de l'ensemble du Gouvernement, pour
réduire un déficit dont nous connaissons tous, aujourd'hui, l'ampleur.
Comment y parvenir ?
En ce qui concerne notre action au cours de l'année 2002, il faut reconnaître
que nous disposions de peu de temps, puisque, alors que le Gouvernement est
entré en fonctions en mai, le budget était pratiquement « bouclé » à la fin du
mois de juin. Cela nous laissait donc peu de latitude pour réorganiser aussi
intelligemment que nous l'aurions souhaité un budget difficile.
Tout d'abord, nous avons déjà décidé de réorienter les moyens au profit des
actions à entreprendre en priorité.
M. Philippe Richert,
rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles pour
l'enseignement scolaire.
Très bien !
M. Luc Ferry,
ministre.
C'est la raison pour laquelle nous avons renoncé à créer les 5
000 postes d'enseignant du second degré qui étaient prévus dans le PPE, le plan
prévisionnel pour l'emploi, élaboré par mon prédécesseur, puisqu'il nous est
apparu que la baisse des effectifs scolarisés permettait de continuer à
améliorer les taux d'encadrement dans les classes. Par conséquent, il n'était
absolument pas nécessaire de créer ces postes.
Par ailleurs, nous avons choisi de recentrer les dispositifs qui ne donnaient
pas satisfaction. Je pense, en particulier, aux emplois-jeunes, mais aussi au
dispositif des maîtres d'internat et surveillants d'externat.
Je dois quand même rappeler, en répondant ainsi au passage à la deuxième
question que vous avez posée, monsieur le rapporteur spécial, que nous pouvions
décider, au mois de juin, soit de pourvoir les 5 600 postes de surveillant qui
étaient vacants, alors que tout le monde reconnaissait que le fonctionnement de
ce dispositif et le statut de ces personnels n'étaient pas satisfaisants à la
fois pour les établissements, en raison des absences trop fréquentes des
surveillants, et pour les intéressés, qui échouaient trop souvent à leurs
examens, soit de supprimer ces 5 600 postes et d'utiliser une partie des
crédits correspondants pour mettre en place le dispositif des assistants
d'éducation, selon des modalités que nous annoncerons dans les jours qui
viennent.
A cet égard, je voudrais cependant exposer dès à présent quelques-uns des
principes qui régiront le dispositif.
En premier lieu, les assistants d'éducation seront recrutés directement par
les établissements, afin de garantir qu'ils y seront plus présents.
En deuxième lieu, le dispositif favorisera le recours au travail à temps
partiel, notamment à mi-temps, pour que les étudiants puissent se consacrer
davantage à leurs études et pour que nous puissions, par ce biais, en aider un
plus grand nombre.
En troisième lieu, nous instaurerons, avec l'accord des universités, un
système de validation des acquis de l'expérience qui permettra à ces étudiants
de bénéficier d'un certain nombre de crédits et d'échouer ainsi moins souvent à
leurs examens de premier cycle, s'agissant en particulier des étudiants
préparant le DEUG, le diplôme d'études universitaires générales.
En quatrième lieu, nous mettrons en place, avec les régions, un système de
formation mieux adapté.
En ce qui concerne les économies budgétaires, qui faisaient l'objet de votre
première question, monsieur le rapporteur spécial, nous avons également choisi
dès cette année de modérer le rythme de montée en charge de certains
dispositifs qui n'avaient pas véritablement été évalués. Je pense en
particulier, ici, à l'enseignement des langues dans les classes de cours
élémentaire deuxième année, mais aussi aux classes à projet artistique et
culturel, les « classes à PAC ». L'ampleur de ce dernier dispositif sera
quelque peu réduite, à hauteur de 15 %, dans l'attente des résultats de
l'évaluation en cours, ce qui me paraît tout à fait légitime.
Cependant, il y a évidemment davantage et mieux à faire, notamment sur le
chapitre, assez scandaleux, des surnombres. Ce point n'apparaît pas dans le
projet de budget, mais, sur le fond, il est évidemment très important. Dans le
second degré, on en a compté jusqu'à près de 4 000, et il en subsistera, à la
fin de l'année, 2 600 : c'est encore beaucoup trop. Plus généralement, dans le
second degré, des emplois ont été créés, au cours des deux dernières années,
par le biais de suppressions de crédits, c'est-à-dire par transformation,
notamment, d'heures supplémentaires. Or la vérité est que ces crédits n'ont pas
été supprimés et que cette gestion a abouti à un dépassement budgétaire de 130
millions d'euros. Cela n'apparaît pas, je le répète, mais c'est bien entendu
sur ce chapitre, en particulier, que nous pouvons et devons rationaliser la
gestion du budget et réaliser des économies véritables.
J'évoquerai maintenant un dernier point très important.
Nous avons engagé un audit visant à évaluer, pour les dix ans à venir, la
baisse des effectifs scolarisés et le nombre des départs à la retraite, ainsi
que l'état réel du « vivier » dans lequel nous pourrons recruter des
enseignants à l'avenir, afin de pouvoir ajuster les chiffres en question.
Telles sont donc les économies que nous proposons de réaliser en 2003.
S'agissant de la question des emplois-jeunes, je rappelle que, lorsque le
dispositif a été mis en place, les besoins réels des établissements n'avaient
pas véritablement été pris en compte. Nous prolongeons d'ailleurs jusqu'au mois
de septembre les contrats qui arrivaient à leur terme en janvier, afin qu'il
n'y ait pas d'interruption brutale des services qu'assurent ces personnels au
sein des établissements. Par ailleurs, les attributions des assistants
d'éducation qui viendront en remplacement des emplois-jeunes seront recentrées
sur les missions essentielles de surveillance et d'aide aux handicapés. Enfin,
les écoles primaires qui affrontent les plus grandes difficultés bénéficieront
d'une aide de notre part.
Avant de laisser la parole à mon collègue Xavier Darcos, je soulignerai que
nous entendrons dans les semaines à venir, notamment le 8 décembre, sans doute,
une argumentation, que je juge véritablement déplorable, selon laquelle il est
scandaleux que le Gouvernement propose de réduire les effectifs de
surveillants, alors même que les phénomènes de violence se développent dans les
établissements.
Je répondrai par avance à cette accusation sur deux plans.
Tout d'abord, elle est infondée, car je m'engage à ce que les surveillants
soient plus nombreux dans les établissements à la rentrée de 2003 qu'à la
rentrée de 2002.
Ensuite, et c'est le point le plus important, l'argumentation que j'ai évoquée
ne tient pas debout ! Il est hallucinant d'entendre affirmer que nous allons
installer des « édredons » et encadrer la violence dans les établissements au
lieu de nous pencher sur la seule véritable question, celle des causes de la
violence et des solutions que l'on peut apporter à ce problème !
A la limite, je préférerais que l'on crée 5 000 classes-relais plutôt que 50
000 postes de surveillant supplémentaires. La solution n'est pas d'encadrer la
violence comme si nous renoncions à l'éradiquer et à nous attaquer à ses
causes, comme si nous renoncions, en tant que parents, à élever nos enfants,
comme si nous considérions qu'il était acquis que nos enfants devaient être
violents, agressifs ou paresseux et que, par conséquent, la seule réponse
possible était de renforcer la présence des adultes dans les établissements.
Dans cette hypothèse, pourquoi ne pas recruter 200 000 surveillants, voire 300
000, puisque les effectifs augmentent chaque année ?
La véritable solution n'est évidemment pas de placer un aide-éducateur
derrière chaque élève ; elle est d'éradiquer la violence, afin de pouvoir
réduire ensuite le nombre des surveillants. Permettez-moi de rappeler, sur le
mode ironique et pour détendre un peu l'atmosphère, que si, en 1968, ceux de ma
génération avaient vu des étudiants ou des élèves défiler dans la rue pour
demander un accroissement des effectifs de surveillants, ils auraient éclaté de
rire !
La solution n'est pas d'augmenter sans cesse le nombre des surveillants dans
les établissements. Notre souci prioritaire doit être de mettre un terme à
l'agressivité, aux insultes racistes, à la violence et à l'insécurité dans les
établissements, afin que les tâches d'assistance à l'éducation puissent être
recentrées sur des missions réellement importantes, par exemple l'aide aux
handicapés.
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Xavier Darcos,
ministre délégué à l'enseignement scolaire.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord remercier M.
Karoutchi d'avoir placé son excellente synthèse sous le signe du pragmatisme,
ce qui correspond à notre perception des choses.
Monsieur le rapporteur spécial, je voudrais, pour compléter l'intervention de
M. Luc Ferry, répondre à deux des questions que vous avez posées.
La surveillance et la sécurité dans les établissements scolaires constituent
une préoccupation majeure non seulement du Gouvernement, mais aussi et surtout
des familles, des professeurs et des élèves. Cela est tout à fait normal,
puisque les phénomènes de violence s'étendent, s'aggravent et concernent des
élèves de plus en plus jeunes.
Je vous confirme, comme vient de le dire M. Luc Ferry, qu'il y aura à la
rentrée 2003 autant d'adultes affectés aux missions de surveillance et de
sécurité qu'il y en avait auparavant, compte tenu des actuels MI-SE, des
aides-éducateurs et des futurs assistants d'éducation.
Par ailleurs, nous mettons en place une vaste politique de prévention de la
violence à l'école, visant à permettre à celle-ci de remplir sa mission
première, qui est la transmission du savoir. En effet, pour rétablir
l'autorité, pour changer les mentalités, il faut refonder l'école sur cette
mission première d'instruction publique. L'obligation scolaire et les
prescriptions du règlement intérieur des établissements seront rappelées, et
les élèves et les parents seront mis devant leurs responsabilités. Par
ailleurs, les pouvoirs des chefs d'établissement seront étendus et les
modalités de sanction diversifiées, de sorte que la sanction serve surtout à
faire prendre conscience au jeune de sa dérive et à le réintégrer au sein du
système éducatif.
Tout cela nécessite, bien sûr, l'implication de la communauté scolaire et ne
mérite pas d'être caricaturé comme la presse l'a fait ces jours-ci, en
imaginant que je voulais installer des miradors ou des cordons de CRS autour de
tous les établissements. En effet, j'avais dit exactement le contraire ! Mais
il n'est pire sourd que celui qui ne veut entendre !
Pour éviter les dérives, je souhaite que la nation elle-même se saisisse de ce
sujet et qu'un grand débat puisse être ouvert au sein de l'opinion publique
puis devant le Parlement.
En ce qui concerne la décentralisation, je considère aussi, comme vous l'avez
évoqué, qu'elle peut offrir de réels gages de progrès à notre école. Le
ministère est déjà très décentralisé, mais on peut aller plus loin, dépasser la
logique de déconcentration qui est la nôtre pour aller vers une logique de
décentralisation, notamment en matière de vie scolaire, de conditions d'études,
d'utilisation plus rationnelle des ressources - je pense en particulier à nos
écoles rurales - et peut-être aussi d'organisation nouvelle de la structure de
nos réseaux d'écoles rurales.
La décentralisation nous permettra d'être plus réactifs. Il ne s'agit
nullement de prendre des blocs de compétences que nous aurions pour nous en
décharger sur autrui ; il s'agit de demander aux élus, aux territoires de nous
faire connaître la manière qui permettrait de mieux réagir. L'éducation
nationale ne se dérobera pas à cette ambition de décentralisation. Nous
incitons tous les responsables que M. Ferry et moi-même rencontrons
régulièrement, lors de nos déplacements sur l'ensemble du territoire national,
à nous proposer des initiatives.
Je terminerai en disant que ce sujet ne doit pas nous inquiéter. La
décentralisation n'est pas une inconnue pour les partenaires de l'école. Depuis
plus de cent ans, notre système éducatif vit sur les règles de partage des
compétences. Bien entendu, l'Etat ne renoncera à aucune de ses missions
régaliennes : détermination des programmes et des cursus, définition et
collation des grades, évaluation du système éducatif et, bien sûr, péréquation,
car il ne s'agit pas d'instaurer, sur le territoire, un système de disparités
ou d'inégalités. J'aurai l'occasion de revenir sur tous ces points, mais je
souhaitais d'ores et déjà répondre aux deux principaux sujets qui vous avez
évoqués.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Pierre Martin, rapporteur pour avis.
M. Pierre Martin,
rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles pour la
jeunesse.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers
collègues, nous avons encore tous à l'esprit les images de la mobilisation de
la jeunesse française, lors de la dernière élection présidentielle.
Confrontée à la dramatisation d'un dilemme inattendu qui se présentait à notre
pays, cette jeunesse, que l'on disait individualiste et peu portée aux
engagements collectifs, a ébahi tous les observateurs, mais s'est aussi révélée
à elle-même.
Cette force de générosité, de solidarité, de civisme et de créativité, qui
s'est manifestée dans des circonstances historiques, nous impose aujourd'hui
d'accorder à la jeunesse les dispositifs et les moyens pour se réaliser, pour
s'épanouir - comme elle nous l'a suggéré - dans une vie sociale, économique et
politique ayant désormais retrouvé ses repères.
Cette impérative considération, dictée par la volonté du Président de la
République, est désormais devenue la mission que vous a confiée le chef de
l'Etat, monsieur le ministre. Cette mission s'appuie sur une importante réforme
gouvernementale et administrative. La politique de la jeunesse, longtemps
accolée à la politique des sports, se trouve être fort logiquement liée à la
politique de l'éducation nationale et à la politique de la recherche.
Inscrits au fascicule budgétaire « jeunesse et enseignement scolaire », mais
regroupés dans un agrégat distinct, les moyens financiers que vous avez à votre
disposition pour conduire la politique de la jeunesse...
M. René-Pierre Signé.
Sont minces !
M. Pierre Martin,
rapporteur pour avis.
...sont modestes : 142 millions d'euros, 150
millions d'euros en y ajoutant les crédits du Fonds national pour le
développement de la vie associative, le FNDVA, lesquels devront permettre,
cependant, de renforcer les actions traditionnelles de la politique de la
jeunesse et d'amorcer de nouveaux programmes.
Je note qu'une mesure nouvelle de 790 000 euros devrait favoriser la création
de nouveaux contrats éducatifs locaux : au moins 100, et peut-être même
davantage - 400, ai-je cru comprendre en commission. Ces nouveaux contrats
permettront-ils, comme mes collègues et moi-même l'espérons, d'organiser un
rééquilibrage entre les grandes et les petites communes ? C'est ma première
question. Je rappelle à ce sujet que 65 % des villes de plus de 100 000
habitants ont signé un contrat éducatif local ; mais la proportion tombe à 19 %
pour les villes de 2 000 à 10 000 habitants, et à un taux évidemment nettement
plus faible pour les communes du secteur rural.
Il est un autre sujet que je voudrais aborder : l'emploi. Vous annoncez la
création de nouveaux postes FONJEP, ou Fonds de coopération de la jeunesse et
de l'éducation populaire. Il s'agit d'une bonne mesure en faveur de l'activité
professionnelle dans le milieu associatif. Mais comment ne pas évoquer, ici, la
question de l'avenir des 40 000 emplois-jeunes créés, dont 60 % sont employés
dans des structures associatives ? Nous sommes conscients de cette réalité, qui
vous fait hériter de la gestion d'un dossier sensible concernant le devenir de
ces jeunes gens, devenir totalement ignoré à l'origine !
(M. René-Pierre
Signé rit.)
Certes, il était entendu, initialement, que ces associations
devaient, en contrepartie de l'aide de l'Etat, assurer une formation à ces
jeunes et rechercher les moyens de préserver leur emploi, au terme de leur
engagement contractuel de cinq années. Mais elles ne sont aujourd'hui que
rarement en mesure de supporter le financement de ces emplois sans l'aide de
l'Etat. D'où les deux questions que je vais vous poser, monsieur le ministre :
les dispositifs permettant leur prolongation - épargne consolidée et
conventions pluriannuelles - seront-ils maintenus ? Le contrat d'insertion dans
la vie sociale, actuellement en préparation, comportera-t-il un volet
spécifique en faveur des emplois-jeunes qui travaillent dans les associations
d'éducation populaire ?
J'en viens à un autre point important : le programme défi-jeunes, qui
encourage l'esprit d'initiative des jeunes en apportant un soutien technique et
financier à leurs projets, arrive à échéance à la fin de l'année.
Envisagez-vous, monsieur le ministre, de le reconduire et, si oui, sous quelle
forme ? Aura-t-il vocation à s'intégrer au vaste et ambitieux programme que
vous envisagez de lancer en 2003 en faveur de l'engagement des jeunes ou
viendra-t-il le compléter ? Quels seront les moyens que vous envisagez de
consacrer à ce futur programme, qui doit les provoquer et les inciter à donner
libre cours à la concrétisation de leur imagination, de leur créativité et de
leurs projets ?
En effet - et c'est sur ces mots que je souhaite conclure ma brève
intervention -, la jeunesse solidaire et enthousiaste, dynamique et créative,
celle qui sait écouter, partager et dialoguer, celle qui sait se défendre et se
mobiliser, a exprimé, par un message clair, son besoin de reconnaissance et
d'épanouissement. Dans une France où l'espérance de vie s'allonge, pour de
multiples raisons, cette jeunesse est une chance et un atout, car elle est
aussi, évidemment, la force vive de demain. Aussi est-il de notre devoir de
l'encourager dans sa volonté et dans son désir de progresser, de se former et
de s'ouvrir à un monde en perpétuelle évolution. Nous savons, monsieur le
ministre, que telle est votre ambition. C'est pourquoi la commission des
affaires culturelles a émis un avis favorable quant à l'adoption des crédits de
la jeunesse inscrits dans le projet de budget de la jeunesse et de
l'enseignement scolaire.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean-Claude Carle.
Excellente intervention !
M. le président.
La parole est à M. Philippe Richert, rapporteur pour avis.
M. Philippe Richert,
rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles pour
l'enseignement scolaire.
Monsieur le président, messieurs les ministres,
mes chers collègues, compte tenu du court laps de temps qui m'est imparti et en
raison des modalités de la discussion, je ne formulerai que quelques
observations et demandes de précisions concernant le projet de budget de
l'enseignement scolaire pour 2003.
Comme il a été excellemment dit, ce budget de près de 54 milliards d'euros,
qui reste le premier budget de l'Etat, voit sa progression quelque peu ralentie
après une trop longue dérive budgétaire, justement soulignée par une commission
d'enquête du Sénat.
Il apparaît ainsi comme un budget de transition et d'inflexion, mais, surtout,
comme un budget de recentrage et de gestion au plus près des réalités : c'est
notamment le cas pour les 1 000 créations d'emploi d'enseignant dans le premier
degré, qui sont destinées à accompagner le sursaut démographique qui se
manifestera en primaire à la rentrée 2003 et qui permettront ainsi de maintenir
les écoles, notamment en milieu rural.
Sur un plan plus général, la commission souhaiterait que les années à venir,
compte tenu du renouvellement inéluctable de 40 % du corps enseignant, soient
l'occasion d'un réexamen de la fonction enseignante et d'une réflexion sur le
découpage disciplinaire des enseignants, notamment en collège.
Au-delà de la seule analyse du budget, elle ne peut que se féliciter de la
tonalité nouvelle du discours tenu par les deux ministres qui sont chargés de
l'éducation, aussi bien pour réduire l'illettrisme et l'échec scolaire au
collège - fléau ô combien important ! -, les sorties du système éducatif sans
diplôme ni qualification que pour lutter contre la violence en restaurant, dans
le même temps, l'autorité dans les établissements.
Puisque le temps m'est compté, je n'évoquerai ensuite, messieurs les
ministres, que quelques dossiers, qui appellent de nécessaires
éclaircissements.
S'agissant de la scolarisation avant l'âge de trois ans, la commission se
demande si l'accueil de très jeunes enfants, en vue de leur socialisation
future, doit exclusivement s'effectuer dans un cadre scolaire. En effet, si
notre école maternelle est justement enviée par nos voisins européens, je ne
suis pas certain qu'elle soit la plus efficace pour accueillir de très jeunes
enfants et que la formation de haut niveau de ses enseignants soit la plus
adaptée. L'éducation nationale poursuivra-t-elle ses efforts pour accompagner
la demande des familles qui, pour des raisons diverses, choisissent cette
formule de scolarisation précoce ?
Concernant la formation des enseignants, force est de constater que les IUFM,
les instituts universitaires de formation des maîtres, privilégient trop
l'approche théorique au détriment de la pratique, et apparaissent parfois en
retrait, en termes de durée effective de formation appliquée, par rapport à ce
qui se faisait dans les écoles normales. La commission, qui ne peut que se
féliciter par ailleurs de la réduction annoncée du nombre excessif de postes
sur liste complémentaire, celui-ci conduisant à placer trop de jeunes
enseignants dépourvus de toute formation pratique et pédagogique devant les
élèves, souhaiterait connaître les grandes lignes et le calendrier d'une
possible réforme des IUFM permettant de renforcer la professionnalisation des
formations et de les adapter aux publics scolaires et aux caractéristiques des
établissements.
La commission ne peut, ensuite, que saluer le plan de prévention de
l'illettrisme qu'elle réclamait depuis plusieurs années, en soulignant
cependant que toute expérimentation menée en ce domaine - on l'a vu dans le
passé avec les mathématiques modernes et la lecture - suppose un échantillon de
classes et d'enseignants suffisamment important, des méthodes pédagogiques
éprouvées et une nécessaire continuité. Dans ce domaine, il ne faut pas
expérimenter sur le dos de nos jeunes ; nous devons avoir des garanties quant
aux méthodes qui seront généralisées.
Dans cette perspective, la commission souhaiterait obtenir des précisions sur
les moyens qui seront affectés aux classes de cours préparatoire à effectifs
réduits, lorsque ce dispositif, au-delà de l'expérimentation engagée dans une
quarantaine d'écoles, sera généralisé.
En ce qui concerne les bourses de collège et de lycée, le rapporteur de la
commission se demande s'il ne conviendrait pas, dans un souci d'équité, de
transférer au système des bourses une partie des crédits des fonds sociaux des
établissements, qui ne sont pas tous consommés, et, au-delà des seules
conditions de ressources actuelles, de prendre éventuellement en compte le
mérite dans leurs critères d'attribution. Le montant des bourses est encore
trop faible. Il faudrait penser à l'augmenter un peu.
Enfin, la commission souhaiterait que les modalités d'association des
collectivités locales au recrutement, à la gestion et au financement des
nouveaux assistants d'éducation soient clairement précisées.
Sous réserve de ces observations, la commission a donné un avis favorable à
l'adoption des crédits de l'enseignement scolaire pour 2003.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Annie David, rapporteur pour avis.
Mme Annie David,
rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles pour
l'enseignement technologique et professionnel.
Monsieur le président,
messieurs les ministres, mes chers collègues, comme à l'accoutumée, il est
particulièrement difficile d'évaluer l'effort budgétaire de l'Etat en faveur de
l'enseignement technologique et professionnel, car les crédits qui lui sont
affectés ne sont pas individualisés, à l'exception des emplois de professeur de
lycée professionnel et de quelques aides spécifiques aux élèves. Ce flou
budgétaire est d'autant plus regrettable qu'un lycéen sur trois est aujourd'hui
scolarisé dans l'enseignement professionnel et que ce dernier souffre d'une
image négative dans l'opinion.
Le rapporteur de la commission des affaires culturelles regrette également la
disparition du ministère délégué à l'enseignement professionnel, dont le
dernier titulaire avait engagé ou poursuivi des réformes porteuses d'avenir,
comme la réforme du lycée des métiers.
La commission se félicite cependant du fait que la revalorisation de cet
enseignement figure parmi les priorités ministérielles annoncées pour réduire
la fracture scolaire. Son rapporteur constate, néanmoins, que les chantiers
annoncés à ce titre lors du conseil des ministres du 13 novembre dernier, qui
prolongent d'ailleurs, pour une large part, les actions engagées depuis cinq
ans, ne s'accompagnent d'aucun effort budgétaire pour 2003, et regrette que les
modalités de leur mise en oeuvre ne lui aient pas été communiquées.
Le projet de budget pour 2003 se caractérise par une stabilité des emplois
budgétaires des professeurs de lycée professionnel, les PLP, sous réserve de la
transformation de 235 emplois, alors que l'exercice budgétaire précédent
s'était traduit par la création de 1 770 emplois. Il faut rappeler que 13 000
professeurs de lycée professionnel sont appelés à partir à la retraite dans les
cinq ans à venir et que le taux de précarité est de plus de 9 % dans
l'enseignement professionnel.
Puisque le temps m'est compté, je n'évoquerai que certains dossiers, qui
appellent, selon moi, quelques précisions.
S'agissant des personnels de surveillance, le nombre de maîtres d'internat et
surveillants d'externat affectés en lycée professionnel est à peu près du même
ordre de grandeur que le nombre de suppressions d'emploi annoncées en 2003 - 5
600 environ -, alors que ces lycées accueillent par ailleurs 59 000
internes.
Ma première question, monsieur le ministre, est la suivante : dans quelle
mesure ces établissements sont-ils susceptibles d'être touchés par la réduction
des emplois de MI-SE, notamment des maîtres d'internat qui assurent un
encadrement de proximité ?
Concernant l'effort engagé pour passer d'une orientation par défaut à une
orientation positive vers l'enseignement professionnel, nous ne pouvons que
nous féliciter de la reconduction du dispositif qui a permis d'éviter depuis
deux ans que la baisse démographique ne se répercute exclusivement sur les
lycées professionnels. Il reste que la généralisation de l'entretien « plan de
carrière à 15 ans » se heurte au problème de l'insuffisance des personnels
d'orientation. Avez-vous, monsieur le ministre, l'intention de renforcer le
corps des conseillers d'orientation-psychologues, les COPsy, dans les années à
venir ?
J'évoquerai ensuite l'expérimentation de l'alternance au collège, qui a pour
objet de diversifier les parcours scolaires sans toucher au collège unique,
dont le principe est cependant mis en cause aujourd'hui, y compris par les
enseignants. Cette formule n'est pas nouvelle et les diverses modalités de
transition expérimentées depuis les années soixante-dix se sont souvent
transformées en filière de relégation pour les élèves en situation d'échec
scolaire. Pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, les moyens humains
et matériels qui seront affectés à ce nouveau dispositif ? Je rappellerai qu'il
est susceptible de s'appliquer à 10 % des collégiens, ce qui est
considérable.
S'agissant du lycée des métiers, force est de constater que son développement
s'effectuera en mutualisant les moyens existants. La commission exprime
cependant la crainte que cette formule, séduisante dans son principe et qui
concerne d'ores et déjà plus de 100 établissements en voie de labellisation, ne
privilégie les établissements les plus importants qui disposent d'un internat
et d'un fort partenariat patronal. Cela conduirait à accélérer la disparition
des petits lycées professionnels de proximité, qui ne proposent que des
formations de niveau V. Celles-ci risqueraient alors d'être laissées à
l'apprentissage. Comment comptez-vous éviter, monsieur le ministre, l'émergence
de lycées professionnels à deux vitesses ?
Sous réserve de ces observations, la commission des affaires culturelles a
émis un avis favorable à l'adoption des crédits de l'enseignement technologique
et professionnel.
(Applaudissements sur les travées du groupe CRC et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry,
ministre.
S'agissant des contrats éducatifs locaux, monsieur Martini je
suis entièrement d'accord avec vous pour faire en sorte que nous fassions,
plutôt que 100 contrats nouveaux dans des grandes villes, 400 contrats dans des
villes moyennes ou des petites villes. Je pense que c'est la bonne orientation.
Je vous réponds très franchement et sans fioritures.
Concernant la question du programme défi-jeunes, qui est en effet très
importante, non seulement le dispositif sera maintenu, mais il deviendra en
quelque façon le fleuron de notre livret des engagements. Il va, comme vous le
savez, être abrité à l'INJEP, l'Institut national de la jeunesse et de
l'éducation populaire, à partir du mois de janvier prochain, puisque le
groupement d'intérêt public dans lequel il trouvait place jusqu'à présent a
pris fin. Donc, non seulement il sera doté de crédits suffisants pour
fonctionner, mais il sera en synergie avec les autres dispositifs de l'INJEP,
ce qui lui permettra de bien travailler et, encore une fois, de trouver sa
place de
leader,
si je puis dire, dans le dispositif du livret des
engagements.
Par ailleurs, en ce qui concerne les emplois-jeunes qui fonctionnaient dans
les associations, nous travaillons avec mon collègue François Fillon - nous
annoncerons le résultat de ce travail dans les jours à venir - à un dispositif
CIVIS, ou contrat d'insertion dans la vie sociale, qui permettra, en effet, de
prendre le relais du dispositif des emplois-jeunes.
Madame David, je vous remercie d'abord de la qualité de votre intervention sur
l'enseignement professionnel.
Personne, dans les lycées professionnels, ne sera touché par la suppression
des 5 600 postes de MI-SE, d'abord pour la bonne et simple raison qu'il en
reste 40 000, ensuite - je le disais tout à l'heure - parce que nous allons
mettre en place un dispositif, le dispositif des assistants d'éducation, qui
évidemment fonctionnera dans les lycées professionnels comme dans les autres
lycées.
Au contraire, vous le savez, nous allons donner une nouvelle impulsion au
système de l'internat, très utile dans les lycées professionnels. Je prends un
exemple tout simple : celui du lycée d'Arras, qui a une section « taille de
pierre », relativement rare et très attractive. L'établissement a évidemment
besoin, pour accueillir les élèves des régions voisines, de disposer d'un
internat. Il faut donc aller dans ce sens.
M. Ivan Renar.
Je confirme !
M. Luc Ferry,
ministre.
Pour ce qui est des COP, j'aimerais - mais je n'ai pas le temps
de développer ce point - que nous ayons plus de COPro, si je puis dire, que de
COPsy, parce que c'est de ceux-là que nous avons besoin. Plutôt que de
réfléchir au projet personnel de l'élève et de faire de la psychanalyse -
pardonnez ma brutalité, mais je n'ai pas le temps de nuancer -, il serait
parfois plus utile que les conseillers d'orientation aient aussi une bonne
connaissance de l'enseignement professionnel !
Pour ce qui concerne le lycée des métiers, nous allons poursuivre la
labellisation, mais dans une optique tout à fait différente : il s'agira
d'assouplir les critères, notamment celui qui exige de regrouper toutes les
voies de formation d'une même branche - c'est une obligation à laquelle les
petits lycées professionnels ne peuvent satisfaire -, afin de créer une
dynamique d'excellence dans l'ensemble des lycées professionnels, qui, à terme,
auront tous vocation à devenir des lycées des métiers dès lors qu'ils pourront
présenter tous les niveaux de diplômes, depuis le certificat d'aptitude
professionnelle, le CAP jusqu'à la licence professionnelle. Ainsi, les élèves
qui fréquenteront ces lycées des métiers pourront immédiatement percevoir que
ce peut être pour eux une voie d'excellence. A mes yeux, l'essentiel est là.
Il s'agit donc de créer une dynamique de qualité, et non pas d'instaurer des
lycées à deux vitesses.
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Xavier Darcos,
ministre délégué.
Je voudrais adresser tous mes compliments et mes
remerciements à M. le rapporteur spécial : sa présentation du projet de budget
concernant l'enseignement scolaire a parfaitement mis en lumière les lignes de
force de notre projet.
Il a choisi cinq questions qui sont, en effet, essentielles.
La question de la scolarisation des enfants de moins de trois ans - première
question - fait l'objet d'une demande de la part des familles, nous le savons.
Certains parents qui travaillent y voient une facilité de vie, et cette
tendance est plus fortement marquée dans les zones rurales où les communes ne
disposent pas de budgets suffisants pour investir dans des crèches, dont la
création mais surtout le fonctionnement ont un coût élevé. Les parents se
tournent donc volontiers vers l'école préélémentaire.
Notre avis est nuancé, parce que, comme vous le savez, les pédagogues ne
considèrent pas comme absolument certain qu'un accueil précoce à l'école
maternelle facilite la réussite scolaire des enfants.
M. René-Pierre Signé.
C'est discutable !
M. Xavier Darcos,
ministre délégué.
Une étude assez récente a pourtant démontré que la
scolarisation à deux ans n'a pas de conséquence tangible sur les résultats
obtenus à l'école élémentaire ! A l'inverse, il est clairement établi que des
enfants scolarisés bien après l'âge de trois ans rencontrent des difficultés
assez marquées.
Mme Hélène Luc.
Il faut parler de leur milieu familial et culturel, monsieur le ministre !
M. Xavier Darcos,
ministre délégué.
Il reste que tous les enfants âgés de trois ans sont
scolarisés et que, par conséquent, le nombre d'enfants scolarisés très
tardivement en maternelle s'avère presque dérisoire.
Dans les zones socialement défavorisées, la préscolarisation précoce peut être
une bonne solution pour favoriser la socialisation des enfants qui vivent dans
des conditions familiales difficiles, madame Hélène Luc. Actuellement, environ
33 % des enfants de deux ans sont accueillis dans nos écoles, et nous
continuerons d'en accueillir un nombre similaire. Mais, je le répète, il nous
semble nécessaire d'insister sur un certain nombre de conditions : maturité
suffisante de l'enfant pour s'intégrer à un groupe, engagement de la famille à
un minimum d'assiduité, dialogue approfondi entre la famille et la directrice
préalablement à l'inscription. De bonnes conditions d'accueil sont également
nécessaires, qu'il s'agisse des locaux ou des équipements sanitaires, ou encore
des assistantes de maternelle ; la responsabilité en incombe aux communes.
La deuxième question est celle de l'illettrisme. Vous savez que Luc Ferry et
moi-même avons fait de la lutte contre l'illettrisme notre chantier
prioritaire. Nous estimons en effet, d'une part, que la situation est sérieuse
et, d'autre part, que l'échec précoce, au moment de l'apprentissage de la
lecture, est une situation terrible pour les jeunes qui la vivent. Il constitue
le premier signe révélateur de l'échec plus large du système éducatif et de
l'échec probable du jeune au cours de sa scolarité ultérieure. Il est donc de
notre responsabilité de combattre ce fléau de l'illettrisme.
Il ne s'agit évidemment nullement - nous devons le rappeler avec fermeté
devant le Sénat - de stigmatiser les enseignants ou les élèves ; il s'agit
simplement de prendre la mesure d'un problème grave qu'il est de notre
responsabilité de combattre.
Sans reprendre l'ensemble du plan de lutte contre l'illettrisme, que vous
connaissez bien, mesdames, messieurs les sénateurs, j'en rappelle les grands
axes, que le rapporteur pour avis, M. Philippe Richert, a déjà signalés :
nouveaux programmes pour l'école primaire, centrés prioritairement sur la
maîtrise de la langue française ; dispositifs d'évaluation des acquisitions en
français ; livret en classe de cours préparatoire, pour synthétiser les
principales difficultés rencontrées par les élèves et indiquer les situations
et les activités pédagogiques permettant d'y remédier ; expérimentation portant
sur des classes de cours préparatoire à effectifs réduits, en application dès
cette rentrée dans une centaine de classes ; attention spécifique portée aux
élèves ayant, dirons-nous, des besoins éducatifs particuliers, c'est-à-dire les
enfants qui ont des troubles spécifiques ou les élèves nouveaux arrivants non
francophones, les « primo-arrivants ».
Enfin, les contrats de réussite mis en place dans les zones d'éducation
prioritaire, les ZEP, et dans les réseaux d'éducation prioritaire, les REP,
comportent un axe qui concerne la maîtrise de la langue française et utilise
les résultats des évaluations nationales de CE2 et de sixième en français.
Bien entendu, le plan de prévention s'accompagnera d'une formation continue
des enseignants, et les contrats éducatifs locaux, dont il a été question tout
à l'heure, pourront participer à cette prévention, dont ils feront l'un de
leurs volets prioritaires.
Je sais bien, monsieur le rapporteur, que nous ne résoudrons pas le problème
de l'illettrisme - pas plus que les autres ! - du jour au lendemain. Il s'agit
d'un travail de longue haleine et, pour commencer, nous tirerons les
enseignements de l'expérimentation en cours, notamment du dédoublement des
classes de CP.
Troisième sujet : les bourses des collégiens et des lycéens. Elles
augmenteront en 2003, je le rappelle, d'un montant total de 3,5 millions
d'euros, ce qui n'est pas rien. Cette hausse reste modérée, mais elle nous
permettra d'accroître notre effort en faveur des nombreuses familles modestes
et de répondre à des besoins immédiats.
Je rappelle que, contrairement à ce qui a été dit ici ou là, y compris à
l'Assemblée nationale, les fonds sociaux pour les collégiens, les fonds sociaux
pour les lycéens et les fonds pour les cantines - la plupart ont d'ailleurs été
créés lorsque François Bayrou était ministre de l'éducation nationale - ne
connaissent ni réduction des moyens disponibles ni difficultés de financement.
Si leur gestion est un peu complexe du fait des diminutions de crédits décidées
dans la loi de finances pour 2002, il n'en demeure pas moins que les
établissements ont en réserve, globalement, les moyens nécessaires à une année
de fonctionnement, et nous leur avons demandé de n'utiliser les moyens dont ils
disposent qu'en fonction de leurs besoins, afin que ceux qui ont des besoins
plus importants puissent disposer de réserves complémentaires.
En tout état de cause, nous entendons poursuivre pleinement les actions
financées au titre des fonds sociaux, en particulier celles qui ont trait aux
cantines scolaires.
La quatrième question portait sur les IUFM. Vous savez que nous avons engagé
une discussion à ce sujet. Nous constatons là aussi - « pragmatisme », dirait
M. Karoutchi, « réalisme », dirait M. Richert - que les jeunes professeurs qui
sortent de ces établissements ont le sentiment que, dans la dernière année, ils
ont beaucoup théorisé les pratiques, mais que leur formation est trop peu
adaptée à leurs besoins. Il faut donc faire évoluer très rapidement la forme du
cycle des IUFM, en particulier mieux lier le stage de formation et le stage en
responsabilité.
Nous examinerons les résultats des études qui sont actuellement conduites,
mais Luc Ferry et moi-même comptons pouvoir faire dès le début de l'année 2003
un certain nombre d'annonces en ce domaine.
Enfin, cinquième et dernier point abordé : le remplacement des maîtres
d'internat et surveillants d'externat, qui constitue - Luc Ferry l'a rappelé,
mais il faut le répéter inlassablement - l'une de nos préoccupations. A la
rentrée prochaine, l'ensemble des missions qu'ils accomplissaient seront
remplies d'une manière comparable par d'autres, qui seront en tous les cas en
nombre au moins égal.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Messieurs les ministres, votre présence au Sénat
ce matin vous met dans l'impossibilité de participer au séminaire
gouvernemental sur le développement durable. Je me permettrai de souligner à
quel point le déficit public contrarie la philosophie du développement
durable.
La dérive structurelle des dépenses publiques, au cours de la précédente
législature, les difficultés conjoncturelles, qui ont amené hier le ministre du
budget à demander au Sénat de voter un article d'équilibre portant révision des
recettes fiscales à la baisse de 700 millions d'euros, et les perspectives
d'avoir à faire face aux pensions de retraite dans la fonction publique nous
placent dans une situation délicate sur le plan budgétaire.
M. René-Pierre Signé.
C'est hors sujet !
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
Nous savons bien que votre
ministère concentre plus de la moitié des emplois civils de l'Etat et que toute
maîtrise des dépenses publiques passe par un ajustement des emplois dans la
fonction publique.
Mme Hélène Luc.
Et voilà !
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
Les statistiques présentées par
Roger Karoutchi dans son excellent rapport et portant sur l'évolution du nombre
des élèves par rapport à celle du nombre des enseignants, ainsi que les
comparaisons internationales, conduisent à penser que l'on aurait peut-être pu
renoncer à la création de certains postes d'enseignant.
Je dois vous avouer ma surprise, messieurs les ministres : vous annoncez la
suppression des emplois budgétaires de surveillance pour nous indiquer ensuite
la perspective de création d'emplois non budgétaires d'assistants d'éducation !
Certes, j'ai bien compris qu'il ne s'agissait pas d'un tour de passe-passe,
mais je voudrais que, devant le Sénat, vous vous engagiez solennellement à
mettre en oeuvre les dispositions structurelles qui vous permettront, demain,
de mieux ajuster les effectifs d'enseignants et d'éviter le recours à des
emplois non budgétaires, qui sont difficiles à maîtriser et qui vous ont amenés
récemment à solliciter en urgence 130 millions d'euros de crédits
supplémentaires par un décret d'avance en date du 8 novembre.
C'est votre premier budget, et nous sommes bien conscients que sa préparation
a dû être difficile. Mais nous serons conduits dans le courant de l'année 2003,
puisque c'est ce que nous dicte la loi organique relative aux lois de finances,
à vous demander compte de votre gestion.
Merci, messieurs les ministres, de l'engagement solennel que vous pourrez
prendre à cet égard.
M. René-Pierre Signé.
Ils n'ont pas assez supprimé !
Mme Hélène Luc.
Voilà qui est clair !
M. René-Pierre Signé.
L'intervention est significative !
M. Luc Ferry,
ministre.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry,
ministre.
Monsieur Arthuis, sachez-le bien, nous partageons totalement
vos préoccupations. J'ai rappelé tout à l'heure que nous avons demandé un
audit, dont nous attendons les résultats. Nous nous engageons, évidemment, dans
une démarche tout à la fois de rigueur et de qualité.
Lorsque nous annonçons des réductions, il ne s'agit pas de tours de
passe-passe, en effet. Il y a près de 100 000 emplois-jeunes dans la maison, si
je tiens compte à la fois de la jeunesse et de l'éducation nationale : aucun
ministre de l'éducation nationale, dans toute l'histoire de la République, ne
s'est heurté à une telle difficulté.
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
C'est vrai !
M. Luc Ferry,
ministre.
Il faut néanmoins avoir conscience que les aides-éducateurs,
bientôt les assistants d'éducation, remplissent - M. Martin le rappelait tout à
l'heure - des missions importantes...
M. René-Pierre Signé.
Exactement !
M. Luc Ferry,
ministre.
... qui ne peuvent pas relever de l'emploi marchand. Il nous
faut donc trouver une démarche de compromis.
Je vous ai annoncé tout à l'heure qu'il y aurait à la rentrée prochaine plus
de surveillants, plus d'auxiliaires de vie scolaire pour l'aide à la
scolarisation des handicapés - probablement quatre ou cinq fois plus. Ces
renforcements d'effectifs seront obtenus par redéploiement. Mais il est évident
- je le dis sans aucune démagogie - que le nombre des assistants d'éducation
sera nettement inférieur à celui des emplois-jeunes.
Mme Hélène Luc.
Par qui seront-ils payés, monsieur le ministre ?
M. Luc Ferry,
ministre.
Evidemment par nous tous, madame le sénateur, comme le reste
!
M. René-Pierre Signé.
On le savait !
M. Ivan Renar.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar.
Monsieur le président, mes chers collègues, je m'étonne de l'intervention de
notre collègue M. Arthuis,...
Mme Hélène Luc.
Oh oui !
M. Ivan Renar.
... qui vient étaler dans ce débat, sans que les commissions ni les
rapporteurs en aient été saisis, une logique comptable et financière que je
trouve insupportable.
Monsieur Arthuis, vous nous parlez du coût de la formation, du coût de la
culture, mais je n'entends pas dans votre propos le moindre calcul sur le coût
de l'absence de formation et de culture, et votre attitude au sujet de l'école
me fait penser à ce que disait Jacques Prévert, dont vous connaissez
l'insolence et l'impertinence - ce sont aussi des valeurs de la démocratie ! Il
venait d'offrir un superbe bouquet de fleurs à la femme aimée et la regardait
le mettre en vase :
« Tu dis que tu aimes les fleurs,
« et tu leur coupes la queue.
« [...]
« Alors quand tu dis que tu m'aimes,
« j'ai un peu peur. »
(Rires.)
M. le président.
Monsieur Renar, je vous rappelle que, dans un débat budgétaire, M. le
président de la commission des finances peut demander la parole à tout
moment.
M. Jean-Claude Carle.
C'est normal !
M. le président.
Nous passons aux questions.
Je rappelle que chaque intervenant dispose de cinq minutes maximum pour poser
sa question, que le ministre dispose de trois minutes pour répondre et que
l'orateur dispose d'un droit de réplique de deux minutes maximum.
La parole est à M. Jean-René Lecerf.
M. Jean-René Lecerf.
Messieurs les ministres, il est au moins deux raisons pour lesquelles il
s'avère tout particulièrement intéressant de vous soumettre, courtoisement, à
la question sur ce budget concernant la jeunesse et l'enseignement scolaire.
La première raison tient à son importance considérable : avec 54 milliards
d'euros, c'est le premier budget de l'Etat, et son montant équivaut au produit
total de l'impôt sur le revenu. C'est qu'il s'agit ici de notre principale
richesse, nos enfants, de leur formation et de leur avenir, qui s'identifie à
celui de notre pays.
La seconde raison réside dans une certaine rupture avec le passé. Le budget
qui nous est présenté est un budget d'alternance qui ne recherche plus dans
l'envolée des moyens financiers le remède miracle aux faiblesses cruelles de
notre système éducatif et qui, sous l'apparence d'un budget de transition,
balise déjà assez clairement le chemin pour les années à venir.
Les quelques précisions que je vous demanderai portent sur des problèmes qui
peuvent paraître ponctuels. Mais l'essentiel n'a-t-il pas déjà été largement
appréhendé par les commissions et les rapporteurs, ainsi que par vous-mêmes
dans vos interventions ? En outre, dans l'immense machinerie de l'éducation
nationale, chacun des rouages peut s'avérer essentiel au bon fonctionnement de
l'ensemble.
Ma première question portera sur les personnels ATOSS, ou personnels
administratifs, techniques, ouvriers, sociaux, de santé et de service, et elle
est largement dictée par le vaste débat ouvert aujourd'hui sur la
décentralisation. Au cours des assises régionales, nombreux ont été les
intervenants qui se sont prononcés en faveur d'un transfert des personnels
autres qu'enseignants aux collectivités territoriales de rattachement des
collèges et des lycées.
Je sais que le Gouvernement ne souhaite pas une telle solution. Cette
évolution n'aurait-elle pas, pourtant, le mérite de la logique et de
l'efficacité ? Ces personnels ne pourraient-ils eux-mêmes trouver avantage à
une gestion de proximité ?
Je crains fort que ne plane sur ce dossier l'éternelle rivalité entre les
fonctions publiques. Si tel était le cas, ce serait l'opportunité de réaffirmer
haut et fort l'absurdité d'une discrimination entre une fonction publique qui
serait éminente, la fonction publique d'Etat, et une autre qui ne serait que
subalterne, la fonction publique territoriale.
Chacune des fonctions publiques est digne du même respect et des mêmes éloges,
et il serait d'ailleurs grand temps que les passerelles de l'une à l'autre
cessent de fonctionner largement à sens unique.
Puisque ce problème est posé, encore conviendrait-il, pour que la réflexion
puisse prospérer, que l'on connaisse la répartition des personnels ATOSS sur le
territoire et que l'on puisse rapidement remédier au déséquilibre fort qui me
semble exister aujourd'hui. La création de 1 200 emplois de personnels ATOSS
dans le second degré devrait permettre de réaliser des premières avancées.
Nous avons beaucoup parlé ces derniers jours, dans cet hémicycle, de
péréquation. Il ne faudrait pas oublier qu'une autre modalité de l'égalité
territoriale réside dans une répartition équilibrée des services de l'Etat et
qu'il reste, sur ce point, bien des progrès à réaliser.
En ce qui concerne les personnels ATOSS, tout transfert avant un nécessaire
redéploiement ne pourrait que figer les inégalités actuelles.
Le second point de mon intervention, messieurs les ministres, portera sur la
politique de développement des internats menée par vos prédécesseurs, politique
que vous souhaitez, à juste titre, poursuivre.
En charge des collèges dans le département du Nord pendant six ans, j'ai
amplement constaté que l'internat pouvait être parfois la réponse la plus
simple et la plus efficace à bien des difficultés d'origine et de nature fort
diverses que rencontrent un certain nombre d'élèves.
J'ai aussi déploré les réticences de maintes communautés éducatives devant la
volonté des élus de créer des internats. Bien souvent, on nous opposait la
crainte d'attirer des jeunes difficiles ou de nuire à la réputation de
l'établissement ; il fallait bien de la persévérance pour faire aboutir ces
projets !
Enfin, je suis plus nuancé que vous, messieurs les ministres, sur l'aptitude
des lycées, et plus encore des collèges, à accueillir rapidement de nouveaux
internes car, si des capacités existent, je crains qu'elles n'exigent de
lourdes rénovations préalables.
Je prends l'exemple du département du Nord, qui comptait à l'époque du
transfert 207 collèges publics, dont une soixantaine d'établissements de type
Pailleron ou à tout le moins d'établissements à structure métallique, qu'il a
fallu tous reconstruire.
Il était bien normal, dans ces conditions, que l'investissement dans les
internats ne puisse être une priorité. Toute aide, toute incitation de l'Etat
en ce domaine s'avérera donc particulièrement utile, si ce n'est décisive. Je
vous remercie de nous rappeler, messieurs les ministres, vos propositions en
cette matière.
Permettez-moi un dernier mot sur l'enseignement précoce des langues
vivantes.
J'ai lu que vous ne souhaitiez pas que des aides-éducateurs remplacent des
professeurs à l'école primaire dans l'enseignement des langues. Je souhaiterais
simplement que vous rassuriez de nombreuses communes qui ont parfois suppléé au
manque d'enseignants disponibles grâce à leur réseau de jumelage et ont trouvé
des solutions en partenariat avec les inspecteurs de l'éducation nationale. Je
pense que ce qui se passe bien doit être poursuivi ; merci de nous le confirmer
!
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Xavier Darcos,
ministre délégué.
Monsieur le sénateur, vous m'avez posé trois
questions.
La première porte sur les personnels ATOSS. Je suis heureux que vous nous
donniez l'occasion, à Luc Ferry et à moi-même, de rappeler le rôle fondamental
qu'ils jouent dans nos établissements : un rôle de proximité, un rôle de
réactivité par rapport aux petits problèmes qui se posent au quotidien. Ils
jouent donc un rôle très important dans la communauté éducative et, parfois
même, ils jouent un rôle de médiation auprès d'élèves difficiles qu'ils
acceptent d'accompagner dans des tâches de travaux d'intérêt général.
Bref, c'est parce que nous reconnaissons la place éminente de ces personnels
que le projet de loi de finances qui vous est présenté prévoit un effort très
important en faveur de cette catégorie, effort sans comparaison avec les années
précédentes.
Ainsi, nous créons 900 emplois de personnels ATOSS, ce qui est beaucoup, pour
assurer un meilleur fonctionnement des établissements. Nous créons 262 emplois
dans la filière médico-sociale, dont les personnels jouent auprès des élèves un
rôle de plus en plus irremplaçable. Nous revalorisons de 32 millions d'euros le
régime indemnitaire des personnels ATOSS, soit une amélioration moyenne de plus
d'un tiers. Enfin, nous mettons en place une revalorisation de la carrière des
infirmières, qui, comme vous le savez, appartiennent à ce corps, pour un coût
en année pleine estimé à 5,8 millions d'euros.
Je sais bien que, derrière cette question, est sous-jacente la crainte que le
Gouvernement ne veuille, à l'occasion de la décentralisation, se défaire d'une
partie de ces personnels.
Ce que nous savons, c'est que certaines collectivités émettent l'idée de
prendre en charge, dans le cadre d'expérimentations, telle ou telle tâche
relevant aujourd'hui des missions confiées aux personnels ATOSS. Ces
propositions prendront place dans le débat national sur la décentralisation ;
nous les examinerons, mais nous veillerons à ce que soient préservés les
intérêts des personnels en cause et la cohérence de la communauté éducative
nationale, mais aussi à ce qu'il n'y ait pas une trop grande disparité entre
les différents territoires.
Votre deuxième question portait, monsieur Lecerf, sur les internats.
Contrairement à ce que vous avez dit, ce ne sont pas nos prédécesseurs qui ont
ouvert la politique engagée. Au contraire, ce que nous proposons est vraiment
en rupture par rapport à ce qu'ils ont fait. Nous pensons en effet qu'il s'agit
d'un mode d'accueil des élèves qui peut être pour eux un facteur de réussite,
lorsqu'ils rencontrent des difficultés dans leur vie de famille.
C'est pourquoi nous avons décidé de faire un effort très sensible : nous avons
augmenté de 5 600 places le contingent des bourses d'internat, pour un coût de
1,3 million d'euros. Par ailleurs, une somme de 4,6 millions d'euros a été
débloquée à la fin de 2002 pour aider à la création et à la réhabilitation des
internats. Cette mesure ne peut toutefois être qu'un coup de pouce ponctuel,
dans un domaine où la compétence, l'initiative et l'essentiel du financement
reviennent aux collectivités locales.
Dès juin 2002, nous avons demandé à l'inspection générale une étude sur le
fonctionnement des internats, étude qui ne nous a pas suffisamment renseignés,
si bien que nous en avons demandé une seconde, plus ciblée, visant à observer
les internats en collège, où seulement 56 % environ des places sont
utilisées.
Il y a plusieurs modèles possibles d'internats en fonction des publics
accueillis. Diverses expériences sont en cours. Les réussites existent, et il
faut s'en inspirer. Elles exigent un encadrement renforcé.
La réflexion sur le concept de l'internat renouvelé, plus adapté, plus
moderne, avance grâce, en particulier, à l'aide de la Caisse des dépôts et
consignations.
Nous souhaitons travailler en étroite collaboration sur ce sujet avec les
conseils généraux et régionaux, qui ont compétence en matière de construction,
d'aménagement et de fonctionnement des établissements et qui connaissent bien
le terrain. Nous poursuivons notre effort dans ce domaine.
Vous avez enfin évoqué l'enseignement précoce des langues vivantes.
Aujourd'hui, 94 % des classes de CM 1 et de CM 2 bénéficient de l'enseignement
d'une langue vivante, en tout cas d'une sensibilisation, soit quasiment la
totalité de ces classes.
Des différences existent cependant d'un département à l'autre, notamment en ce
qui concerne l'implication des maîtres dans le dispositif, peut-être à cause de
la difficulté que nous avons à trouver des maîtres qualifiés et disponibles.
Luc Ferry et moi-même avons pensé qu'il ne fallait pas aller à marche forcée
vers une extension systématique de l'enseignement des langues à l'école
élémentaire, en particulier en CE 2. Si cet enseignement doit être encouragé,
il ne faut pas vouloir l'imposer à tout prix en CE 2 dans les académies où il a
du mal à fonctionner en CM 1 et CM 2. Il s'agit, en effet, de faire de la
qualité ; il ne s'agit pas d'étendre à tout prix ce dispositif sans vérifier
s'il fonctionnera bien.
Il nous faut aussi prendre le temps de consolider la formation et l'engagement
des maîtres, y compris par les dispositifs que vous avez évoqués, par des
sollicitations dans le cadre de jumelages, par exemple. En tout cas, il faut
nous assurer de la qualité de l'enseignement.
Je terminerai en faisant part de notre inquiétude à propos de la prédominance
de l'anglais, qui représente plus de 75 % des effectifs. Nous souhaitons une
diversification des langues enseignées. Encore faut-il que la demande existe ;
la plupart des parents, comme vous le savez, souhaitent que leurs enfants
soient formés à l'anglais.
M. le président.
La parole est à M. Jean-René Lecerf.
M. Jean-René Lecerf.
Je remercie très chaleureusement M. Darcos de ses réponses, qui me donnent
largement satisfaction.
En ce qui concerne l'enseignement précoce des langues vivantes, je me permets
de rappeler mon expérience peu ancienne de maire, au cours de laquelle j'avais
souhaité obtenir un enseignant dispensant des cours de néerlandais pour ma
commune, où existe une demande forte à cet égard. Il a malheureusement été
impossible de trouver de tels enseignants par le biais de l'éducation
nationale.
S'agissant des personnels ATOSS, nous devons aborder cette question avec
beaucoup d'objectivité. Je suis de ceux qui pensent qu'un transfert de ces
personnels pourrait être opportun et ne remettrait aucunement en cause leurs
avantages. Il permettrait parfois une meilleure répartition sur le terrain.
Dans le département du Nord, je me souviens d'avoir connu des collèges neufs où
le nombre de personnels ATOSS était relativement important alors que d'autres
collèges qui en auraient eu bien besoin n'en avaient pratiquement pas. Le
transfert nous permettrait de remédier à ce type de situation.
Enfin, en ce qui concerne les internats, l'action que vous développez est
particulièrement intéressante. Les incitations financières que vous avez
rappelées et qui m'avaient échappé, même si elles ne sont pas considérables,
auront certainement pour les collectivités, départements et régions, un effet
de levier intéressant.
M. le président.
La parole est à M. Pierre Laffitte.
M. Pierre Laffitte.
Ma question touche à l'utilisation massive de bonnes volontés extérieures par
le ministère de l'éducation nationale pour combattre la montée de
l'obscurantisme, qui peut présenter un certain danger pour la démocratie, mais
aussi pour remédier à la faiblesse des vocations scientifiques et techniques,
autre tendance qui se dégage dans l'ensemble des pays européens et en Amérique
du Nord.
Ce constat a conduit la commission des affaires culturelles à créer une
mission d'information sur la diffusion de la culture scientifique et technique.
Cette mission a travaillé, elle a beaucoup écouté et a formulé un certain
nombre de recommandations. La plus importante d'entre elles consiste à afficher
une priorité nationale pour la diffusion de la culture scientifique, technique
et économique. Cette priorité concerne l'ensemble des pouvoirs publics et des
forces vives de notre pays. Elle s'adresse tout particulièrement à vous,
messieurs les ministres, puisque vous êtes les seuls à disposer d'une structure
répartie largement sur l'ensemble du territoire.
Il y a donc une nécessité prégnante, pour laquelle les structures existantes
ne sont pas forcément les plus adaptées. Dans ces conditions, un redéploiement
de certains moyens semble obligatoire.
Je pense en particulier à ceux qui sont concentrés à Paris, au sein de grands
organismes qui reçoivent l'essentiel des crédits publics alors que, sur
l'ensemble du territoire, il existe des centaines, voire des milliers de
petites structures, constituées pour l'essentiel par des associations
bénévoles, qui participent efficacement à cette volonté de restaurer la
confiance dans le progrès au service de l'humanité. Ce principe fait en effet
partie des principes fondamentaux de notre République.
Les conclusions du colloque organisé le 11 septembre 2002 au Sénat ont
conforté encore notre opinion. Il nous faut inventer et mettre en place une
meilleure organisation d'ensemble. Cela peut être réalisé grâce à un certain
nombre de décisions qui coûteront très peu, mais qui peuvent faciliter les
actions, y compris le travail éducatif.
Ainsi les écoles, collèges et lycées devraient être plus ouverts vers le monde
de la recherche, le monde associatif et le monde économique, notamment dans le
domaine des nouvelles technologies. Surtout devrait être créée une fondation
regroupant les départements ministériels concernés, les collectivités locales,
les centres de recherche et universités, les assemblées consulaires et des
représentants du monde économique et social.
Cette fondation reconnue d'utilité publique permettrait, en particulier, de
fédérer toutes les initiatives et de les mettre à la disposition des mairies et
des établissements d'enseignement.
Il me semble que vous pourriez adresser une invitation aux recteurs pour
diffuser un certain nombre de consignes ou de suggestions allant dans ce sens.
Ainsi, dans le primaire, on pourrait, plus rapidement qu'actuellement,
encourager l'extension d'expériences initiées par l'Académie des sciences,
telles que « La main à la pâte ».
Une circulaire devrait être adressée aux chefs d'établissement pour les
inciter à faciliter l'interaction entre le monde éducatif, le monde de la
recherche, le monde associatif, le monde consulaire et le monde économique.
Cela faciliterait la diffusion de la culture scientifique, technique et
économique indispensable à la compréhension de la société moderne.
Enfin, monsieur le ministre, la fondation dont je parlais tout à l'heure
pourrait être rapidement mise en place si votre ministère confiait à une haute
personnalité du monde scientifique ou technique le soin d'en préparer les
statuts. Il est également envisageable de demander à une fondation reconnue
d'utilité publique telle que la Fondation de France ou autres d'ouvrir un
compte spécial pour que l'action s'engage sans délais.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry,
ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.
Monsieur le sénateur, je partage tout à fait votre préoccupation.
Effectivement, les premiers cycles universitaires scientifiques connaissent une
baisse des vocations d'environ 10 % depuis huit ans, probablement même un peu
plus, et cette baisse n'est pas compensée par une affluence d'inscriptions dans
les IUT, les instituts universitaires de technologie. Du reste, la technologie
et la recherche fondamentale ne peuvent pas être confondues.
Il s'agit là d'un problème majeur qui touche tous les pays occidentaux,
singulièrement l'Allemagne et le Canada, ce qui prouve, d'ailleurs, que ce
problème n'est pas simplement lié aux conditions financières et matérielles
dans lesquelles s'exerce la recherche scientifique, puisqu'elles sont souvent
plus favorables au Canada ou en Allemagne qu'en France.
Nous sommes, en la matière, devant un problème de fond, que j'ai déjà abordé
hier soir, lors d'une réunion du comité consultatif national d'éthique et sur
lequel je m'exprimerai en janvier prochain devant l'Académie des sciences.
Il y a, à mon avis, deux causes essentielles à cette situation.
Premièrement, dans l'esprit de nos contemporains, la science est associée plus
à l'idée de risque qu'à l'idée de progrès, et c'est un problème majeur.
Deuxièmement, à l'instar de ce qui a été fait pour l'apprentissage de la
langue maternelle et de la grammaire, nous avons développé depuis trente ans
des techniques pédagogiques qui insistent sur la spontanéité et la créativité
des enfants. Or, s'il est un domaine dans lequel il faut mettre - tout au moins
dans un premier temps - sa spontanéité et sa créativité de côté, c'est bien le
domaine de la science. Le nombre de protéines, cela ne s'invente pas, cela
s'apprend. Il y a un certain nombre de choses à savoir dans le domaine
scientifique, et nous voyons bien que les élèves décrochent à partir de la
classe de seconde en raison des difficultés qu'ils éprouvent en cours de
physique.
Tels sont donc les deux problèmes majeurs auxquels nous nous heurtons. Je suis
tout prêt à discuter avec vous, monsieur Laffitte, des réponses
institutionnelles qu'il faut y apporter.
Vous avez évoqué l'expérience « La main à la pâte ». Je peux vous dire que ce
type d'action recueillera tout mon soutien dans le primaire, mais qu'il s'agit
d'un dispositif « hameçon ». Il vise à « accrocher » les élèves, mais il ne
pourra pas se substituer à l'enseignement scientifique, qui exige un véritable
travail. Si cette forme d'apprentissage, fondée sur la découverte,
l'observation, la sensibilisation, est utile dans l'enseignement, il faut
néanmoins garder à l'esprit que l'enseignement des sciences repose sur un
travail incompressible et sur un effort dont, il faut bien le dire, nos élèves
ont parfois perdu le goût.
Le plan de revalorisation de la science dans la cité que j'envisage de mettre
en place intégrera des propositions comme celles que vous faites. Il est très
important, dans l'enseignement secondaire, pour des disciplines comme les
sciences de la vie et de la terre, les SVT, que les professeurs emmènent leurs
élèves visiter des laboratoires. C'est en effet de cette façon que l'on peut
prendre goût à la recherche.
Dans le même ordre d'idées, les étudiants des premiers cycles universitaires
pourraient se voir proposer des cours de culture générale scientifique, sur les
grandes découvertes scientifiques du XXe siècle, par exemple.
Je suis ouvert à toutes les réponses d'ordre institutionnel, monsieur le
sénateur, et je suis prêt à en discuter avec vous dans les semaines qui
viennent ou lorsque cela vous conviendra.
M. le président.
La parole est à M. Pierre Laffitte.
M. Pierre Laffitte.
Monsieur le ministre, je vous remercie des réponses que vous m'avez
apportées.
Je suis convaincu qu'il faut approfondir les voies évoquées, notamment la
visite de laboratoires. Il faut encourager les sorties scolaires. Les recteurs,
inspecteurs généraux et chefs d'établissement ont sans doute un rôle à jouer
dans ce domaine en signalant les difficultés qui peuvent s'y opposer,
difficultés que la fondation pourrait contribuer à lever. Des questions de
financement sont-elles en cause ? Ce n'est pas évident. C'est à mon sens une
question de volonté. Je suis heureux de sentir que vous avez cette volonté,
d'autant qu'après chaque visite de laboratoires organisée à Sophia Antipolis
les professeurs disent : « Mais qu'a-t-on fait à mes élèves ? Désormais ils
s'intéressent à la physique et aux maths ! ».
Il y a véritablement là une voie à suivre. Je vous remercie de votre
proposition d'en parler ensemble, monsieur le ministre, et je me tiens pour
cela à votre disposition.
M. le président.
La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle.
Monsieur le ministre, vous avez déclaré devant la commission des affaires
culturelles, et encore il y a quelques instants à cette tribune, que le
quantitatif n'était pas toujours synonyme de qualitatif. M. Darcos a ajouté que
ce sont les objectifs et non pas les moyens qui doivent piloter le système. Je
partage totalement ces deux points de vue, car, depuis sept ans, je ne cesse de
dire avec la même constance qu'il faut mettre un terme à la fuite en avant
budgétaire.
Si notre devoir est de faire que l'éducation reste la priorité de la nation,
il est aussi de ne pas se cantonner à satisfaire l'éternelle revendication des
moyens.
Les moyens n'ont pas fait défaut depuis deux décennies. Pourtant, les
résultats ne sont pas à la hauteur des moyens engagés. Le budget a été
multiplié par deux en quinze ans. Le nombre d'enseignants a augmenté de 40 %
durant cette période, alors que celui des élèves connaît aujourd'hui une
diminution.
Dans le même temps, des élèves se retrouvent sans professeurs et des
professeurs sans élèves. La commission d'enquête sénatoriale a dénombré 30 000
enseignants en surnombre, soit l'équivalent d'une trente et unième académie.
Malgré cette inflation de moyens, un jeune entre la sixième et la terminale
perd une demi-année d'enseignement.
Près d'un enfant sur trois éprouve des difficultés à maîtriser les disciplines
de base au collège et 60 000 élèves sortent chaque année du système éducatif
sans qualification.
Nombre de jeunes au terme de leurs études pousseront non pas la porte d'une
entreprise, mais, malheureusement, celle de l'ANPE, et certains d'entre eux,
après un cursus à bac + 2 ou bac + 4, sont contraints de préparer un brevet
professionnel. Je peux en témoigner, messieurs les ministres : il existe en
effet un centre de formation d'apprentis dans ma commune, qui, entre autres
formations, propose un brevet professionnel de préparateur en pharmacie ; or,
nombre de jeunes ayant suivi une, deux, quatre années d'études après le
baccalauréat viennent, à vingt-trois, vingt-quatre ans, préparer ce brevet
professionnel. N'aurait-il pas mieux valu les orienter plus tôt vers des
filières porteuses de débouchés et éviter ainsi un gâchis humain et financier
?
S'il est souhaitable de prendre en compte la demande sociale, il est néanmoins
nécessaire de tenir compte des besoins de notre économie et, en particulier,
des besoins locaux. Nous l'avions peut-être un peu trop oublié.
Je me réjouis donc, messieurs les ministres, de votre volonté, de votre triple
volonté, oserai-je dire.
La première est d'orienter et de redéployer les moyens là où sont les besoins,
en particulier au niveau du premier degré, afin de recréer une véritable
égalité des chances pour tous les enfants et de redonner confiance à de
nombreux enseignants fiers d'exercer leur mission de transmission du savoir
dans des conditions souvent difficiles.
La deuxième est de leur permettre de le faire dans un climat empreint d'une
plus grande sécurité morale et physique. Et je salue les mesures mises en place
par M. Xavier Darcos pour lutter contre la violence en milieu scolaire, son
souci courageux quant à l'amélioration d'une situation qui, aujourd'hui, nous
interpelle tous. La commision d'enquête sur la délinquance des mineurs, dont
j'ai été le rapporteur, s'est parfaitement rendu compte que les actes de
violence, d'incivilité ou de délinquance ne s'arrêtaient pas à la porte de
l'école et qu'il nous fallait mettre en place des mesures conjuguant bien
évidemment éducation, mais aussi dissuasion et sanction.
Vous le savez comme moi, les idées les plus généreuses se heurtent parfois à
la dure réalité du quotidien.
C'est pourquoi, à l'heure où certains se gaussent des mesures que vous prenez
afin de protéger la communauté éducative et le patrimoine, je leur rappellerai
l'exemple du lycée Léon-Blum de Saint-Fons, que certains, en 1984 et 1985, ont
voulu « ouvert », au sens physique du terme, puisqu'une rue avec des animations
traversait l'établissement. Nous avons dû le fermer quelques années plus tard,
car cet établissement était soumis à des actes de dégradation, de violence, et
il était devenu impossible d'y assumer la mission d'éducation.
Votre troisième souci, et peut-être votre première priorité, est de mettre sur
un pied d'égalité toutes les formes d'intelligence. Nous sommes en effet dans
une société qui n'a d'yeux que pour les sciences abstraites et qui oublie
l'autre forme d'intelligence, celle du geste, de la main, celle qui valorise la
matière et qui a fait la renommée de la France dans des domaines aussi variés
que l'architecture, le bâtiment, l'ébénisterie ou les métiers de bouche et de
la table.
Nous sommes là, messieurs les ministres, face à un véritable problème
culturel, qui, comme tout problème de cet ordre, se résoudra non par décret ou
par circulaire mais par des actions qui s'inscrivent dans le temps.
Il faut donc mettre un terme à un système qui est trop souvent régi par une
orientation faite d'échecs successifs, pour mettre en place une véritable
orientation positive. Nous devons avoir la même considération pour toutes les
formes d'intelligence, pour toutes les voies de formation, qu'elles soient
classiques ou par alternance.
Le collège doit permettre à des jeunes qui sont aujourd'hui voués à l'échec et
parfois conduits à se réfugier dans la violence et le refus de l'école
d'exceller.
Messieurs les ministres, êtes-vous prêts à définir une orientation positive
?
Si oui, êtes-vous prêts à vous appuyer sur deux concepts, le partenariat et la
proximité ?
Ce partenariat s'exercerait avec les collectivités locales, en particulier la
région, avec les familles, premières cellules d'éducation, et les professions,
car l'insertion professionnelle reste l'un des premiers facteurs de réussite
dans la vie.
Par ailleurs, la proximité permettrait de favoriser en particulier la mise en
réseaux de tous les partenaires précités, notamment au niveau du bassin de
formation.
En effet, ce n'est pas seuls et depuis la rue de Grenelle que vous pourrez,
messieurs les ministres, répondre à la diversité des situations et des
besoins.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry,
ministre.
Monsieur le sénateur, je partage tout à fait vos
préoccupations. Pour mettre véritablement en oeuvre ou valoriser la voie
professionnelle comme elle le mérite aujourd'hui, et étant donné que le lycée
professionnel n'est plus celui que nous avons connu dans notre enfance, qu'il
est généralement très bien équipé et attrayant pour les élèves, lesquels y
reçoivent une formation intéressante et de grande qualité, il faut dépasser les
bons sentiments, de manière que cette voie professionnelle puisse être choisie
autrement que par défaut. Là est en effet le problème majeur.
Pour résoudre ce problème, trois orientations sont envisageables.
Premièrement, la voie professionnelle doit être découverte plus tôt par les
élèves de collège : c'est le seul moyen pour qu'elle ne soit pas choisie par
défaut. Cela signifie, non pas que l'orientation professionnelle se fera plus
tôt, mais que, grâce à la mise en place des classes en alternance, les élèves
pourront découvrir, tout en restant des collégiens, l'enseignement
professionnel et la réalité des métiers plus tôt. Ils pourront par conséquent
choisir en toute connaissance de cause plutôt que d'être obligés de le faire
par défaut.
Deuxième orientation, il faut faire apparaître, comme je le disais tout à
l'heure, notamment dans le cadre du lycée des métiers, que la voie
professionnelle peut être une voie d'excellence, qu'elle peut amener à un
niveau bac + 3, et que l'on peut, à la sortie de cette voie professionnelle,
non seulement trouver un métier attrayant, mais - pourquoi pas ? - créer une
entreprise, être indépendant et, disons-le franchement, gagner de l'argent.
Cela n'est pas honteux et fait aussi partie de ce qui peut intéresser les
jeunes.
Troisième orientation, il faut évidemment, dans le cadre de la
décentralisation proposée par M. le Premier ministre, améliorer le copilotage
des cartes de formation professionnelle, de telle sorte que les élus ne se
retrouvent pas au pied du mur, après avoir équipé magnifiquement certains
lycées, à regretter que telle voie de formation soit ouverte ou telle autre
fermée. Il faut évidemment harmoniser à la fois l'offre de formation et les
besoins réels des entreprises.
Vous savez parfaitement, monsieur le sénateur, qu'une enquête récente de
l'association Jeunesse et entreprises montre qu'il y a un décalage considérable
entre l'image que les jeunes se font des métiers d'avenir et la réalité des
besoins des entreprises.
Il faut évidemment veiller à l'harmonisation de ces deux données. Je
demanderai à partir du mois de janvier aux recteurs de toutes les académies de
réunir les principaux de collèges et les proviseurs de lycées professionnels,
afin que puissent être mises en place ces classes en alternance, où les
collégiens, tout en accompagnant les réformes essentielles en matière
d'enseignement général, pourront néanmoins découvrir la réalité des métiers.
M. le président.
La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle.
Je remercie M. le ministre de sa réponse, de la volonté qu'il a exprimée de
développer cette orientation positive qui permet de faire entrer les meilleurs,
le plus tôt possible, dans la voie professionnelle, dans la voie technologique,
en leur donnant l'assurance qu'ils pourront évoluer, éventuellement suivre une
autre formation et, le cas échéant, changer de filière.
Tout système éducatif se doit, à l'évidence, d'apporter une réponse sociale
aux besoins des jeunes - et l'on ne fait rien de bien sans passion - mais aussi
une réponse aux besoins de notre économie, car l'insertion professionnelle est
la meilleure façon pour les jeunes de réussir leur vie, et notre mission est
justement de les y aider.
M. le président.
La parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits
en faveur de la jeunesse et de la vie associative, désormais rattachés à ceux
de l'enseignement scolaire, feront l'objet en 2003 d'une baisse de 2,1 % par
rapport à 2002, et seront fixés à 141,9 millions d'euros.
Le choix du Gouvernement de diluer cette enveloppe, déjà insuffisante, au sein
du premier budget de l'Etat, d'une part, et la présentation de ce budget par le
rapporteur de la commission des affaires culturelles comme étant « de
transition » et « préparant l'avenir », d'autre part, ne suffiront pas à
masquer, monsieur le ministre, votre volonté de rompre clairement avec l'action
menée par le précédent gouvernement et laissent présager un avenir des plus
inquiétants pour la jeunesse, le réseau associatif et l'éducation populaire.
Parmi les mesures proposées, je citerai celle qui concerne le réseau
info-jeunes : malgré le succès rencontré - près de 5 millions de personnes ont
été renseignées dans les différentes structures du réseau -, celui-ci verra ses
crédits diminuer de plus de 24 %, au détriment de la qualité de l'information,
de l'indispensable modernisation liée au développement de la société numérique,
du matériel et, bien évidemment, de l'encadrement.
De la même façon, le Gouvernement montre son maigre intérêt pour les contrats
éducatifs locaux : malgré la montée en puissance de ce dispositif initié par le
gouvernement de Lionel Jospin en raison des disparités territoriales
constatées, ils ne bénéficient que d'une mesure nouvelle de 800 000 euros sur
un total que nous avions porté en 2002 à près de 49 millions d'euros
Les crédits destinés aux bourses pour la préparation des brevets d'aptitude
aux fonctions d'animateur ou de directeur de centre de vacances et de loisirs,
ou ceux qui sont consacrés à l'INJEP sont, quant à eux, simplement reconduits,
ce qui, à structure constante, correspond en fait à une baisse.
La situation dans laquelle vont se retrouver de nombreuses associations est
tout aussi inquiétante : le Fonds national de développement de la vie
associative, qui a notamment pour mission de financer la formation des
bénévoles, verra ses crédits diminuer de 20,7 %, hors reliquat des crédits de
la mission interministérielle pour la célébration du centenaire de la loi de
1901.
Monsieur le ministre, la reconnaissance du rôle joué dans notre pays par le
monde associatif a donné lieu, à l'occasion du centenaire de la loi de 1901, à
la signature d'une charte d'engagement entre l'Etat et les associations. Dans
cette charte, l'Etat s'engage, d'une part, à promouvoir et à faciliter
l'engagement bénévole et, d'autre part, conjointement avec les associations, à
ouvrir la citoyenneté au plus grand nombre, en particulier aux jeunes et à ceux
qui ont le plus de mal à se faire entendre.
Que dire enfin de l'emploi quand les quelque 30 000 emplois-jeunes dont
bénéficiaient les associations sont appelés à disparaître en 2003 et quand vous
ne prévoyez que la création de soixante postes dans le cadre du fonds de
coopération de la jeunesse et de l'éducation populaire ?
Mme Hélène Luc.
C'est toute la question !
M. Serge Lagauche.
Bien maigre effort, en effet, lorsque l'on sait tout l'intérêt des nouveaux
services qu'a généré le programme des emploi-jeunes ! Qui plus est, la
situation financière des collectivités locales et les incertitudes liées à la
décentralisation encore peu explicite engagée par le Gouvernement ne
permettront pas à ces collectivités de soutenir les associations autant que de
besoin et encore moins le dispositif de contrats d'insertion dans la vie
sociale, comme nous le savons tous.
Le monde associatif, dans ce contexte difficile, n'en devra pas moins
redoubler d'efforts pour participer, en partenariat avec l'éducation nationale,
à la réinsertion des jeunes les plus en difficulté.
Si l'on peut ainsi se féliciter que le Gouvernement ait fait des dispositifs
éducatifs comme l'opération « Ecole ouverte », les « classes-relais » et les «
ateliers-relais » une priorité, on regrettera néanmoins, d'une part, que les
crédits soient pris sur ceux qui sont consacrés à l'éducation artistique et
culturelle et, d'autre part, que la participation, au demeurant très positive,
des associations à ces actions oblige celles-ci à fournir plus de moyens tant
humains, pour l'Ecole ouverte par exemple, que matériels, tels les locaux pour
les ateliers-relais.
Je souhaiterais donc savoir si vous comptez, monsieur le ministre, intensifier
vos efforts en faveur de ces dispositifs que sont « l'Ecole ouverte », les «
classes-relais » et les « ateliers-relais », et connaître les aides que vous
comptez apporter aux associations qui s'investissent ainsi en partenariat avec
l'éducation nationale pour lutter contre l'échec scolaire des jeunes. Je me
fais l'écho des vives inquiétudes que suscite au sein du monde associatif votre
projet de budget : dans votre logique de transition, comptez-vous, à l'avenir,
renforcer la participation de votre ministère au FONJEP pour limiter les
difficultés qu'entraînera la disparition des emplois-jeunes ?
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry,
ministre.
Monsieur le sénateur, je tiens immédiatement à vous rassurer.
D'abord, le nombre de classes-relais sera multiplié par deux en 2003 et le
nombre d'ateliers-relais, dispositif encore meilleur d'une certaine façon
puisqu'il associe les associations de jeunesse et d'éducation populaire, sera
multiplié par trois dans l'année qui vient. Vous l'avez vous-même rappelé, nous
faisons un effort en faveur du FONJEP, puisque 60 postes supplémentaires sont
créés. J'ai indiqué tout à l'heure à M. Martin que nous avions un objectif de
400 nouveaux contrats éducatifs locaux l'année prochaine. Quant aux crédits du
FNDVA, ils sont maintenus.
Vous savez, par ailleurs, que les crédits consacrés à la jeunesse avaient
considérablement augmenté au cours des trois dernières années. Nous ne pouvons,
vous et moi, que nous en féliciter ; mais, honnêtement, vous m'accorderez que
le maintien de ces crédits au même niveau n'est pas véritablement
dramatique.
Par ailleurs, je crois que nous devons répondre, dans le cadre de ce budget, à
la demande d'engagement des jeunes, qui est très grande. Les jeunes en ont plus
qu'assez d'être associés aux incivilités, aux « sauvageons », à la violence, en
particulier dans les médias. Ils ont envie de s'engager dans la cité et d'être
reconnus pour cela.
Je crois qu'il y a un espace intermédiaire dans la vie des jeunes entre, d'une
part, leur vie dans les établissements scolaires et, d'autre part, leur vie
privée, leur vie intime : c'est l'espace de la société civile, dans laquelle il
faut leur proposer des engagements. C'est ce que nous allons faire, précisément
avec l'aide des associations de jeunesse et d'éducation populaire, dès le mois
de janvier, puisque nous leur proposerons 10 000 projets très sérieux
d'engagement dans les domaines de l'humanitaire, de la vie civique, de la
culture et du sport, mais aussi dans le domaine de la création
d'entreprises.
Il s'agit là, me semble-t-il, d'une véritable réponse non seulement à la
demande de sens et de reconnaissance qui est celle des jeunes mais aussi à
cette préoccupation souvent présente dans les familles face à cet âge difficile
de l'adolescence, où les jeunes ne savent pas trop quoi faire d'eux-mêmes, où
ils sont parfois désoeuvrés, où ils ont envie d'agir et d'être reconnus.
C'est aussi à cette situation-là que nous allons répondre par le livret des
engagements que nous mettrons en place au mois de janvier ou de février, et je
puis vous assurer que, compte tenu du budget actuel, la mise en oeuvre de ce
beau chantier ne soulèvera aucune difficultué.
M. le président.
La parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Vos réponses ne me rassurent pas, monsieur le ministre. En effet, ne
croyez-vous pas que les objectifs et les attentes des associations, qui
souhaitent avant tout pouvoir contribuer pleinement à l'intérêt général,
nécessiteraient des efforts plus importants de la part de l'Etat ? Or, dans le
projet de budget que vous nous présentez, on n'en trouve malheureusement pas
trace, ce qui doit d'ailleurs faire plaisir à M. le président de la commission
des finances.
Cela est d'autant plus inquiétant que, dans le domaine de la prévention de la
délinquance, de nombreuses associations mènent une action de proximité très
positive, en parallèle avec l'éducation nationale. Ne pas les soutenir
pleinement revient à laisser libre champ à la politique répressive de votre
collègue Nicolas Sarkozy, qui n'a pour conséquence que de supprimer
définitivement les chances de réinsertion sociale des jeunes les plus en
difficulté, même si M. Darcos ne croit pas aux miradors, aux hauts murs et aux
barbelés autour des établissements !
Votre ministère, c'est à la jeunesse dans son ensemble - avec toute sa
complexité - qu'il s'adresse : celle qui étudie, qui travaille, qui se
distrait, qui se cultive, qui s'amuse, qui aime, mais aussi celle qui souffre,
qui est en échec, qui est angoissée pour son avenir et qui observe le monde de
violence qui l'entoure. J'ai l'impression, monsieur le ministre, que cette
lourde responsabilité ne transparaît vraiment pas dans votre budget.
M. le président de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée
nationale a demandé que soit organisé un débat sur les orientations et les
missions de l'éducation nationale. Si l'on peut rejoindre cette idée, n'est-il
pas préférable d'organiser, en réalité, un grand débat sur la jeunesse - c'est
sur elle que repose l'avenir de notre pays - au sein duquel l'éducation
nationale, l'un des principaux acteurs, aurait bien évidemment toute sa place
?
Pour le groupe socialiste du Sénat, la politique de rupture engagée par le
Gouvernement dans le domaine de la jeunesse et de la vie associative suscite de
vives inquiétudes. C'est pourquoi il s'oppose au projet de budget pour la
jeunesse et l'enseignement scolaire.
M. le président.
La parole est à M. Jean-Louis Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain.
Messieurs les ministres, il peut sembler banal, voire inutile, de vous
interpeller à propos des violences scolaires devant le nombre de réactions
médiatiques, de déclarations et d'initiatives qui se multiplient depuis
plusieurs années. Je rappelle néanmoins que nous nous sommes intéressés
personnellement à ces problèmes, alors que le mutisme était de règle et les
signalements culpabilisants.
Vous êtes injustement mis en cause à propos des effectifs de surveillants et
nous savons que l'approche quantitative ne règle rien. Il est plus utile de
créer un véritable corps professionnel. Les conditions d'études des jeunes
adultes se sont modifiées et la diversité des populations scolaires nécessite
une adaptation et des compétences. Monsieur le ministre, vous souhaitez changer
les mentalités. Il s'agit d'un travail de longue haleine. Dans cette enceinte,
nous avons organisé un colloque sur les incivilités. Il serait nécessaire de
poursuivre la recherche, la réflexion et l'action, car les incivilités sont à
l'origine de troubles graves du comportement. Nous ne pouvons pas seulement
répondre ponctuellement aux agressions sévères et inadmissibles.
Les textes sur la menace proférée à l'encontre du personnel de l'éducation
nationale ou sur les outrages à l'intérieur des établissements montrent les
bonnes intentions du Gouvernement. La prise de conscience des difficultés et
des conditions d'enseignement permet de déclencher une solidarité des parents,
mais elle engendre aussi une profonde angoisse.
L'école doit être protégée de l'extérieur et de l'intérieur. A son rôle
éducatif, elle doit adjoindre - éventuellement pour les retrouver - un certain
nombre d'outils indispensables à une vie scolaire de qualité, malgré des
acteurs qui sont parfois en grande difficulté.
A cet égard, le débat sur la décentralisation est une occasion.
Mais l'éducation nationale reste une forteresse où se maintient une hiérarchie
pesante et où, malgré le développement récent du partenariat avec la justice,
la police et la gendarmerie, les initiatives sont limitées.
En développant les relations avec la prévention spécialisée qui relève de
l'action du conseil général, pourrait être assurée une liaison entre la
politique de prévention de la délinquance et les violences internes à l'école.
En développant un service social suffisant et en contractualisant avec des
départements, vous pourriez assurer une continuité entre la PMI en amont et le
service social départemental. La prévention et le traitement social seraient
acquis.
Monsieur le ministre, il nous faut agir non seulement sur les mentalités -
c'est ce que vous souhaitez -, mais aussi sur les comportements. Nous sommes
convaincus que le rôle primordial de l'école reste la transmission du savoir,
mais il y a nécessité d'une éducation fondée sur le respect des valeurs :
appréhension du bien et du mal, respect de l'adulte et de l'autre, contrôle des
pulsions agressives, respect du corps et de la dignité de la femme, perception
de son propre « patrimoine santé », enseignement de la politesse et refus du «
para-langage ».
Faut-il sanctuariser l'école, monsieur le ministre, et si oui, comment ? Nous
vivons simplement une transcription des événements violents perçus dans la
ville, dans les familles. L'enfant porte dans son sac les souffrances
familiales : maltraitance, carence éducative, manque d'affectivité. Mais il
doit pouvoir bénéficier d'une observation et d'un dépistage préventif pour
enrayer toute fatalité.
L'école doit redevenir un temple du savoir, avec des rituels qui sont
structurants pour l'avenir. Vous proposez un parcours civique de la maternelle
à la classe terminale. Nous avions proposé un carnet d'accompagnement différent
du livret scolaire.
Quant aux violences graves, elles doivent être traitées de manière rapide et
adaptée. L'école ne peut s'occuper des phénomènes de délinquance, en
particulier de ceux qui relèvent de l'économie parallèle. C'est l'affaire de la
justice, de la protection judiciaire de la jeunesse, de la police judiciaire,
notamment.
Monsieur le ministre, dans le budget, sont prévus 20 millions d'euros
consacrés à cette politique de prévention de la violence à l'école, dont vous
faites une priorité.
Comment changer la donne ? Comment sortir d'une situation inacceptable ?
Il y a des remèdes à court terme. Quels sont-ils, selon vous ? Sans anticiper
sur vos réponses, je crois qu'il est nécessaire de faire comprendre que la
violence n'est ni un jeu ni une réponse. Les crimes sont perçus par des jeunes
comme un légitime règlement de compte. Bien sûr, la sanction évite le sentiment
d'impunité. Cependant, les enseignants ont aussi besoin du soutien de leurs
collègues. L'établissement scolaire a le devoir d'assurer l'intégrité morale et
physique des individus dans ses murs.
Il y a aussi des remèdes à moyen terme. Lesquels voyez-vous, monsieur le
ministre ? Nous pourrions développer l'enseignement des valeurs dès le plus
jeunes âge. Des normes et des impératifs sont nécessaires pour apprendre à
vivre ensemble. L'enseignement précoce des rudiments de la philosophie, du
droit et du fait religieux peut changer les mentalités.
(M. René-Pierre
Signé s'exclame.)
Une réflexion nationale sur la fonction première de l'école est-elle
envisageable ?
L'idéologie est devenue partie intégrante des sciences sociales ; le
démocratisme scolaire a rendu plus injuste la sélection des élites. Les
sciences de l'éducation ne semblent pas remplir leur fonction, pour avoir
cherché à développer une pédagogie de masse.
Il serait utile de retrouver Foucault, Piaget, Durkheim au-delà des chapitres
budgétaires.
M. René-Pierre Signé.
Et vive l'enseignement confessionnel !
(Sourires sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Xavier Darcos,
ministre délégué.
Monsieur le sénateur, vous avez raison de rappeler que
le dispositif auquel nous pensons pour lutter contre les violences scolaires
est essentiel, car nous sommes, à cet égard, face à une réalité indéniable.
Je suis d'ailleurs surpris que l'on critique l'action gouvernementale dans ce
domaine, alors que nous ne faisons que répondre à une situation d'urgence. On
parle en effet, pour l'année passée, de 81 362 incidents graves, c'est-à-dire
des incidents qui interrompent la vie de tout un établissement pendant une
demi-journée, voire une journée. C'est tout de même là un chiffre très
important. Pour le seul premier trimestre, les chiffres sont de l'ordre de 17
000 à 18 000 incidents graves signalés, et il y en a peut-être qui ne le sont
pas.
Je pense que, devant un tel problème, il ne faut ni se livrer à des
rodomontades ni faire l'autruche.
Nous avons considéré qu'il existait déjà beaucoup de dispositifs de lutte
contre la violence scolaire : six pour être précis. Les divers gouvernements se
sont en effet attelés à ce problème. J'ai moi-même, dans d'autres fonctions, eu
l'occasion d'être associé à la réalisation de deux de ces dispositifs.
Cependant, à nos yeux, ces actions ponctuelles successives ne sont pas
suffisantes. Il faut plutôt changer les mentalités. Cela signifie que les
représentants de la nation doivent se mettre d'accord sur ce qu'ils considèrent
comme devant être les valeurs essentielles partagées par les élèves, qu'elles
soient civiques, morales ou comportementales.
Nous devons donc mettre au point une sorte de charte, fixant pour l'ensemble
de la communauté éducative les règles auquelles chacun doit se conformer. Une
fois que nous disposerons de ce grand document, qui sera d'ailleurs présenté au
Parlement, car la représentation nationale doit en débattre, la vie dans les
établissements scolaires pourra se dérouler selon les règles ainsi établies.
Nous souhaitons d'ailleurs que, au moment où les élèves découvrent
l'établissement, accompagnés de leur famille, ces règles leur soient clairement
explicitées, par exemple, au cours d'une demi-journée spécialement consacrée à
cela, et que les élèves signent ensuite un contrat pour lequel ils s'engagent
sur l'honneur à se comporter conformément auxdites règles.
Tout cela peut paraître un peu théorique à ceux qui ne sont pas des
spécialistes de l'éducation. Mais nous qui connaissons cette maison qu'est
l'éducation nationale, nous savons qu'il faut réellement changer les
mentalités, qu'il faut renverser lentement, mais d'une manière continue, l'état
d'esprit qui règne dans nos établissements. Cela passe par la reconnaissance
d'un code commun de comportement et par la volonté de restituer l'école dans sa
mission première, qui n'est pas de faire du gardiennage mais d'instruire.
Je voudrais dire aussi un mot des victimes. Comment réagiraient ceux qui nous
reprochent de vouloir protéger l'établissement ou qui estiment que nous sommes
trop répressifs si leur propre enfant avait reçu un
flash ball
dans
l'oeil, après une intrusion de gens cagoulés dans l'établissement ?
Trouveraient-ils normal qu'on laisse l'établissement ouvert à tous vents ?
N'oublions pas que, derrière tout cela, il y a de la souffrance, d'autant que
ce sont toujours les mêmes qui « trinquent » : ceux qui vivent dans les
quartiers difficiles, qui sont en échec scolaire, dont la famille n'a pas les
moyens d'envoyer ses enfants dans des établissements où ils seront protégés.
Il s'agit donc d'une action réellement sociale, qui va dans le sens de
l'égalité des chances.
Pour les victimes, en particulier pour les personnels qui sont confrontés à
cette violence, nous avons prévu un certain nombre de dispositifs.
Je rappelle qu'il existe désormais un numéro SOS qui permet d'obtenir
immédiatement un contact dans chaque rectorat. Ne sous-estimons pas ces
systèmes d'alerte téléphonique, qui fonctionnent d'ailleurs très bien. L'Ecole
des parents d'Ile-de-France a installé un dispositif comparable qui reçoit 1
250 000 appels par an. Cela prouve bien que l'installation d'un tel dispositif
d'écoute est en fait très important.
Par ailleurs, nous installons dans chaque établissement un adulte référent, de
manière que, lorsqu'une difficulté, une violence quelconque est signalée, on
sache à qui s'adresser. C'est cet adulte référent qui suivra le dossier, qui
accompagnera les parents, les victimes.
Nous avons également décidé de renégocier notre convention avec l'INAVEM,
l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation.
Le gouvernement précédent, ayant réduit de deux tiers la subvention de l'Etat
à cet organisme, nous l'avons restaurée dans son intégralité.
Nous croyons aussi - je n'hésite pas à le dire - qu'il faut sanctuariser les
établissements. Bien entendu, il ne s'agit pas d'installer dans les
établissements, comme certains l'ont dit de manière parfaitement caricaturale,
des miradors ou des pelotons de CRS ! C'est complètement ridicule ! Nous
voulons simplement qu'il soit répondu plus rapidement qu'aujourd'hui aux
demandes des établissements qui souhaitent que leurs abords soient mieux
protégés, et cela, évidemment, en accord avec les collectivités locales. Nous
ne voulons pas que les autorités des établissements aient l'impression qu'elles
sont livrées à elles-mêmes en cas de difficulté.
M. le président.
La parole est à M. Jean-Louis Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain.
Monsieur le ministre, je vous remercie des précisions que vous nous avez
apportées. Je me contenterai, en cet instant, d'évoquer la réflexion qu'a
engagée le Sénat sur la problématique de l'adolescence. Un groupe de travail a
été constitué, qui souhaite oeuvrer en liaison avec le ministère de la santé et
celui de la famille et des personnes âgées, mais qui requiert également votre
soutien.
Nous sommes particulièrement attentifs aux projets tendant à l'ouverture de
maisons de l'adolescence.
Ces maisons de l'adolescence sont des lieux d'écoute et d'accueil ; elles
peuvent aussi être des lieux de soins et d'hébergement ainsi que des lieux
d'éducation. Et c'est pour cette raison que nous avons besoin de tisser des
liens avec le ministère de l'éducation nationale. C'est pourquoi, monsieur le
ministre, je me permettrai de reprendre contact avec vous à ce sujet.
M. le président.
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il nous
incombe de construire l'avenir de manière solidaire, car c'est l'intérêt de
chaque citoyen, toutes générations confondues ; c'est également l'intérêt de la
nation tout entière.
Notre jeunesse dans sa totalité et dans sa diversité constituera, sans nous,
la France de demain : le budget proposé engage cet avenir et ne pas considérer
comme prioritaire l'éducation de notre jeunesse, c'est, selon moi, faire une
bien étrange économie !
Avec 54 milliards d'euros de dépenses, même si c'est là un montant important,
ce budget n'est pas suffisant, et il n'a pas réussi à convaincre mon groupe, ni
l'opinion publique d'ailleurs, comme l'a démontré la manifestation du 17
octobre dernier.
Le budget est traité en termes de masse financière et non pas en fonction des
postes nécessaires, des besoins avérés. La logique qui le sous-tend est celle
du résultat et non celle des moyens. Cette logique entraîne, sans pitié pour la
mission moderne de ce service défini comme laïque et gratuit, la remise en
cause du collège unique et de l'objectif des 80 % d'élèves atteignant le niveau
du bac, la diminution des subventions allouées aux programmes pédagogiques et
la réduction des effectifs prévus.
Pourquoi rompre avec le plan pluriannuel qui, décidé par le gouvernement
précédent, entrait dans sa troisième et dernière année ?
Le budget fait par ailleurs l'impasse sur le financement des manuels
scolaires. Or c'est une revendication forte de toutes les familles. Le Premier
ministre ne déclarait-il pas, voilà quelques mois, en sa qualité de président
de l'Assemblée des régions de France, que cette dépense incombait à l'Etat et
non aux collectivités territoriales ?
Pour que le tandem élève-enseignant avance, il faut que l'enseignement et la
pédagogie soient reconnus comme un savoir-faire spécialisé, comme une mission
qui ne se résume pas à la stricte transmission des connaissances.
Pour ce faire, l'enseignant doit bénéficier d'une formation professionnelle
continue, adaptée aux nouvelles technologies et aux nouveaux outils
pédagogiques. Pourtant, l'enveloppe destinée à la formation continue est, dans
le budget proposé, amputée de 50 millions d'euros.
Par ailleurs, l'enseignant doit être entièrement libéré des tâches de gestion,
de surveillance et de maintenance, d'assistanat social.
Les professionnels de l'encadrement, nécessaires et précieux, intégrés dans la
vie de l'école, sont là pour remplir cette mission : or le Gouvernement
supprime 5600 emplois de MI-SE ; ce sont environ 10 000 personnes qui sont
concernées en tenant compte des emplois à mi-temps et à temps partiel. En
outre, 20 000 aides-éducateurs ne seront pas reconduits.
Les crédits pédagogiques alloués à la vie scolaire et aux différents projets
pédagogiques sont réduits, alors que ces initiatives s'inscrivent dans la
logique d'une action éducative renforcée. De plus, le Gouvernement supprime les
crédits pour les actions éducatives et culturelles, et la plupart des projets
d'action culturelle seront abandonnés puisque ce chapitre du budget connaît une
réduction de 20 millions d'euros.
Au moment où M. Darcos, inquiet et scandalisé devant les faits graves de
violence à l'école, présente un « plan pour la paix scolaire » - intitulé
quelque peu choquant, qui rappelle d'autres situations -, les suppressions
prévues paraissent incohérentes et en totale contradiction avec les exigences
des personnels du monde enseignant.
Si l'école est un régulateur, elle ne peut toutefois assumer seule notre crise
sociale endémique et les effets de celle-ci sur notre jeunesse.
Notre jeunesse, par ailleurs, n'est pas un peuple de « sauvageons » que
l'armée serait susceptible de « pacifier ».
(Murmures d'approbation sur les travées du groupe CRC.)
M. Pierre Martin
en a très bien parlé tout à l'heure, lors de la présentation de son rapport.
Le Gouvernement ne devrait pas revenir aux schémas de pensée, de langage et
d'action du xixe siècle. Des symptômes comme l'illettrisme, l'absentéisme et
même l'insolence à l'école ne sauraient être assimilés à la délinquance et au
banditisme. Certes, la délinquance et le banditisme existent à l'école, mais
ils sont inséparables des problèmes globaux de la société. De surcroît, vous le
savez bien, la délinquance sociale et économique n'a pas d'âge !
La jeunesse, toute la jeunesse, était dans la rue le 21 avril, et sur tout
l'Hexagone, rappelez-vous ! Elle demande non seulement les moyens d'agir sur sa
vie et sur celle de la cité, mais aussi de l'estime et de la confiance.
A ce propos, le projet de budget ne prend pas en compte la question importante
de l'allocation d'autonomie, et rien n'est proposé concernant l'aide financière
aux lycéens.
Le service public, selon les principes de la République, est pourtant là pour
garantir l'égalité des chances et l'accès de tous aux savoirs, permettant ainsi
aux élèves d'acquérir une conscience citoyenne ; le déterminisme social n'est
pas une fatalité !
Monsieur le ministre, ma question concerne l'emploi des jeunes dans
l'éducation nationale. Que proposez-vous aux aides-éducateurs, aux
emplois-jeunes dont le contrat arrive à échéance ? Quelle solution
préconisez-vous concernant le besoin de personnel d'encadrement de proximité
?
Après la déclaration de M. le président de la commission des finances et après
vous avoir entendu répondre, monsieur le ministre, que vous feriez des efforts
pour réduire le budget, j'aimerais que vous nous précisiez sur quels secteurs
vous comptez faire peser ces efforts.
(Applaudissements sur les travées du
groupe CRC.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry,
ministre.
Madame David, je vous écoute toujours avec beaucoup
d'attention. Pardonnez-moi d'être un peu polémique, mais ce n'est pas sur la
sortie du dispositif des emplois-jeunes que vous avez été le plus
convaincante.
Permettez-moi de rappeler que rien n'a été prévu à cet égard par le précédent
gouvernement. J'ai d'ailleurs été obligé de faire savoir à mon précédesseur que
le financement des indemnités de chômage n'avait pas été prévu.
M. Alain Gournac.
Tout à fait !
Mme Hélène Luc.
C'est vrai, mais demandez donc aux jeunes qui ont été aides-éducateurs s'ils
n'ont pas apprécié !
M. Luc Ferry,
ministre.
J'ajoute qu'aucun des jeunes occupant aujourd'hui un tel emploi
ne va être licencié. Qu'on cesse de présenter la sortie du dispositif des
emplois-jeunes comme si nous étions en train de faire un plan de licenciement !
Non seulement ces jeunes sont appelés à conserver l'emploi qu'ils occupent
jusqu'à la fin de leur contrat, mais j'ai décidé de prolonger ces contrats
jusqu'au mois de septembre 2003, alors que leur terme était fixé au mois de
janvier !
Ce n'est donc pas sur la question de la sortie du dispositif que le
gouvernement précédent a été le plus grandiose !
Nous allons, de toute façon, mettre en place un autre dispositif, destiné à
prendre le relais.
S'agissant des crédits de formation, je suis obligé, là aussi, de vous opposer
un démenti : ils sont augmentés.
Quant aux classes à projet artistique et culturel, les « classes à PAC », il
est vrai que nous allons en réduire un peu le nombre. Mais, là encore, il
convient de rester sérieux : nous allons passer de 24 000 classes prévues à 20
000, ce qui n'est déjà pas si mal, notamment au regard du travail d'évaluation
qui a été effectué et lorsque l'on sait que, l'an dernier, le dispositif prévu
n'avait pas été intégralement mis en place.
En tout cas, ne dites pas que nous anéantissons le dispositif. Nous ne sommes
pas dans une perspective aussi noire que vous voulez bien le dire !
Le vrai problème, aujourd'hui, c'est d'améliorer la qualité du métier
d'enseignant. Vous savez bien que 5 % des jeunes agrégés ou des jeunes
certifiés démissionnent dès la première année. C'est dramatique ! Vous savez
bien que le vivier de recrutement des enseignants, contrairement à ce qu'avait
dit mon prédécesseur, connaît un très grave tarissement. Il y a là un problème
de fond.
Le dispositif que Xavier Darcos et moi-même mettons en place pour lutter
contre l'insécurité, les incivilités et la violence dans les établissements
n'est pas un dispositif répressif
a priori.
Il a pour finalité
essentielles, précisément, d'aider les enseignants à retrouver le goût de leur
travail, qui est quand même de transmettre les savoirs pour lesquels ils ont eu
une passion comme étudiants.
Il est évident que, si l'on ne réussit pas à rétablir le calme et la sérénité
dans les établissements, nos enseignants du second degré auront bien du mal à y
réaliser leur vocation. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si cette vocation se
reporte massivement sur le premier degré, où l'on est encore à peu près
tranquille, où l'on peut exercer son métier d'enseignant dans des conditions
qui sont encore à peu près satisfaisantes.
Donc, travaillons ensemble à améliorer la vie des enseignants ; c'est cela,
pour moi, la priorité des priorités.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David.
Monsieur le ministre, vous vous doutez bien que je ne suis pas complètement
convaincue par vos réponses.
Vous me dites que, pour les emplois-jeunes, rien n'avait été prévu. Soit !
Mais vous, que prévoyez-vous, puisque c'est vous qui êtes aujourd'hui au
Gouvernement ? Et je vous rappelle que cela concerne quand même plus de 62 000
emplois-jeunes, des emplois-jeunes qui ont une réelle utilité, dans l'éducation
nationale comme dans la vie associative.
Ma question était donc essentiellement la suivante : comment faire pour
remplacer tous ces jeunes qui vont quitter l'encadrement de proximité ?
Quant à la condition des enseignants, qui est effectivement un point très
important, je vous rappelle, monsieur le ministre, qu'environ 60 000 d'entre
eux vont bientôt prendre leur retraite. Or, du fait de la non-création de
postes cette année, rien n'est aujourd'hui prévu pour renouveler les
effectifs.
M. le président.
La parole est à M. André Lardeux.
M. André Lardeux.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce n'est pas
d'un manque de moyens que souffre l'éducation nationale : ceux-ci n'ont jamais
été aussi élevés ! Il faut plutôt s'interroger, me semble-t-il, sur l'indice
coût-performance.
Avec 6,2 % du PIB consacrés à la formation des jeunes, la France se situe
nettement au-dessus de la moyenne des pays de l'OCDE. La vieille antienne de
l'insuffisance des moyens n'est qu'un prétexte pour se dispenser de toute
réflexion sur les véritables problèmes auxquels l'école est confrontée ou sur
les pseudo-réformes qui l'ont inutilement perturbée.
La question n'est pas de dépenser plus, mais de dépenser mieux. L'école doit
aider à la fois au développement culturel, à la croissance économique et à la
promotion sociale d'un pays. Or notre système éducatif souffre de carences et
de faiblesses. Parmi celles-ci, il faut souligner le déficit de l'éducation
morale, celui de l'éducation civique ou l'insuffisance pour conduire les jeunes
à l'autonomie de jugement et de détermination.
On peut penser trouver une solution à un certain nombre de ces difficultés en
mettant en place d'autres modes de
management.
Il faut donc, me
semble-t-il, envisager une modification profonde du système éducatif.
Monsieur le ministre, je souhaite que vous nous éclairiez sur ce qui est
envisagé ou envisageable, tant dans le domaine de la déconcentration que dans
celui de la décentralisation. L'idée de donner aux lycées et aux collèges qui
le souhaitent la faculté de disposer d'une grande autonomie en matière de
gestion - qu'il s'agisse des moyens financiers ou de la pédagogie - ne saurait
être écartée
a priori.
En revanche, les objectifs doivent être fixés sur le plan national, et toute
avancée dans l'autonomie doit s'accompagner d'un renforcement de l'autorité
centrale en matière de définition du cahier des charges et d'évaluation.
Quant aux modalités d'exécution, elles relèvent, me semble-t-il, de
l'initiative locale. Un système aussi hiérarchisé et centralisé qu'il l'est
actuellement a fait son temps. Comment, en effet, mener à bien un projet
d'établissement sans avoir son mot à dire sur le recrutement du personnel dudit
établissement ?
On ne peut se satisfaire de laisser les affectations déterminées par un
ordinateur, sauf prétexte d'égalité. Ce système n'est guère conforme à l'équité
et à l'efficacité, car c'est ainsi que les enseignants les moins expérimentés
et les moins bien armés se retrouvent dans des situations qu'ils ont du mal à
gérer et à surmonter.
Les évolutions que j'appelle de mes voeux permettraient, me semble-t-il, de
sauver le collège, « l'homme malade de l'éducation nationale », même si l'école
primaire ne se porte peut-être pas non plus de façon excellente.
Le collège unique est devenu une cocotte-minute prête à exploser. Je peux
citer, à titre d'exemple, un collège de ZEP, situé à quelques mètres de mon
domicile, à Angers, où, malgré la faiblesse de l'effectif global, les
enseignants ont de plus en plus de mal à gérer des comportements violents,
générés pour partie par l'inadaptation des élèves aux classes où ils sont
affectés : les élèves de la SEGPA, ou section d'enseignement général et
professionnel adapté, relèvent davantage, pour nombre d'entre eux, de
l'institut médico-éducatif ou de l'institut médico-professionnel, tandis que
nombre d'élèves du collège relèveraient de la SEGPA.
Il me paraît urgent de mettre fin au caractère uniforme du collège, uniforme
qui vire à la grisaille ! Il faut réintroduire la diversité des voies, car
multiples sont les possibilités des élèves, et les chemins pour les exprimer
sont, à l'évidence, très variés.
Tout le monde sait que la filière unique est une fiction, voire une imposture
que les stratagèmes des parents - plus souvent les enseignants et les cadres
que les autres, d'ailleurs - pour contourner la carte scolaire illustrent
fréquemment et que la répartition géographique des collèges confirme. A cet
égard, il y a lieu de s'interroger sur les raisons qui motivent, ici, la
création de classes à horaires adaptés, là, l'introduction d'une langue plus ou
moins exotique.
Enfin, quelle place pensez-vous donner à l'avenir aux collectivités locales
dans le fonctionnement du système ? Envisagez-vous d'étendre leurs compétences
en matière de santé scolaire, d'intégration des handicapés, à travers la
question du transport, de gestion matérielle des établissements, avec les
personnels ATOSS, de mise en place de la carte scolaire, de financement des
centres d'information et d'orientation, pour lequel les départements
interviennent déjà de façon importante alors que la loi en fait une compétence
exclusive de l'Etat, ou même des centres de documentation pédagogiques, dans
lesquels le rôle des conseils généraux est maintenant loin d'être négligeable
?
Le chantier est vaste. Je suis bien conscient que vous ne pouvez pas répondre
à tout dès maintenant et que tout ne peut se faire dans l'immédiat, d'autant
que vous souhaitez, avec raison, échapper au syndrome de la grande réforme.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry,
ministre.
Je suis en parfait accord avec vous sur un point essentiel de
votre intervention, la nécessité de diversifier les parcours au sein du
collège. C'est précisément le projet qui préside à la mise en place des classes
en alternance dès la quatrième.
Nous devons en effet réfléchir à une véritable diversification des parcours au
collège, diversification qui n'a pas véritablement - c'est le moins que l'on
puisse dire - été réussie par l'introduction des intinéraires de découverte. Si
ces derniers ont permis une certaine interdisciplinarité, que l'on peut, par
ailleurs, trouver positive, ils n'ont toutefois nullement répondu au véritable
objectif poursuivi, la diversification des voies à l'intérieur du collège.
Pourquoi suis-je néanmoins attaché à l'idée que les collégiens qui vont entrer
dans ces classes en alternance avec les lycées professionnels, voire avec les
entreprises, demeurent des collégiens ? C'est précisément parce que j'ai la
conviction qu'il faut maintenir l'idéal de l'enseignement général pour tous.
Ceux qui auront choisi la voie professionnelle ne doivent pas se retrouver en
fin de parcours privés du bagage de culture générale qui leur permettrait, par
exemple, de passer un brevet de technicien supérieur, de suivre une section de
technicien supérieur, voire d'aller dans un IUT. Il faut donc que nous
maintenions cet idéal, mais que nous diversifiions aussi réellement les
parcours. Je crois que, sur ce point, nous sommes tout à fait d'accord.
S'agissant de la décentralisation, notamment de l'autonomie des
établissements, je pense qu'un certain nombre de chantiers extrêmement
prometteurs vont se mettre en place très rapidement.
J'évoquais tout à l'heure le copilotage des cartes de formations
professionnelle, chantier très important sur lequel nous avons beaucoup à
gagner. Sur le chantier de l'orientation, de même que sur le chantier de la
mise en réseau des écoles communales, nous avons également beaucoup à gagner de
la décentralisation. Nous avons des progrès à faire.
Vous avez évoqué la question délicate - mais, à mon avis, prometteuse entre
toutes - de l'autonomie plus grande des établissements. Sachez que nous allons
l'expérimenter dans un certain nombre de régions avec, par exemple, des
dotations budgétaires globales, des fongibilités de lignes de crédits, la
possibilité d'avoir des recettes, et une formation continue plus déployée
qu'elle ne l'est aujourd'hui, permettant ainsi le recrutement de personnels non
enseignants.
Cela étant dit, bien sûr, il faut toujours contrebalancer les choses, comme
vous le disiez fort justement. Il est clair que les fonctions régaliennes de
l'Etat seront maintenues : le recrutement des enseignants - cela va de soi -,
la validation, la définition des diplômes nationaux, la définition des voies de
formation, ainsi que la mission essentielle de péréquation et d'égalisation des
conditions entre les régions.
Les expérimentations que vous évoquez me paraissent, en effet, tout à fait
prometteuses, et nous les mettrons en place dès janvier ou février prochain
dans certaines régions qui sont déjà candidates.
M. le président.
La parole est à M. André Lardeux.
M. André Lardeux.
Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse qui rejoint tout à
fait mes souhaits, ainsi que ceux de bon nombre de sénateurs de mon groupe.
Il est très important, en effet, que l'alternance au collège se mette en
place. On voit l'efficacité des maisons familiales rurales, par exemple, dans
ce genre de formation, et je crois que l'éducation nationale a beaucoup de
choses à glaner pour permettre aux jeunes de trouver leur voie dans la vie.
Pour ce qui est des expérimentations, je suis pleinement d'accord. En tant que
responsable de collectivité locale, permettez-moi simplement de souhaiter qu'il
y ait une grande concertation entre les départements, les régions et les
services de l'éducation nationale. En effet, quelques rouages sont actuellement
encore un peu difficiles à faire fonctionner. En matière de transport scolaire,
par exemple, nous devons nous adapter au dernier moment, notamment pour
intégrer de jeunes handicapés.
M. le président.
La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vais
d'autant moins me livrer à l'exercice de critique systématique du budget de
l'éducation nationale...
M. Ivan Renar.
Ce n'est pas interdit !
M. François Fortassin.
... que nous pourrions avoir des appréciations très diverses : M. le ministre
nous dit que son budget est excellent, moi, je peux avoir une appréciation
légèrement différente.
Permettez-moi toutefois d'insister sur quelques points.
Je commencerai par le problème des surveillants. Vous livrant à un exercice
d'illusionniste extrêmement habile et digne de Gérard Majax, vous nous avez
expliqué, monsieur le ministre, que vous supprimez des postes de surveillants
mais qu'en réalité, vous allez faire mieux. Je veux bien, moi, que le
qualitatif l'emporte sur le quantitatif ; sur cela, nous pouvons être tout à
fait d'accord.
Mais vous n'y arriverez pas en décrétant qu'on doit supprimer des postes de
surveillants dès l'instant où ces derniers ne sont pas motivés et sont absents.
Alors, je vais vous donner une recette tout à fait simple : inspirez-vous des
formations d'ingénieur ou d'autres professions, faites faire une année de «
pionicat » à tous les gens qui veulent s'engager dans l'éducation nationale.
Ils verront ce qui se passe dans la cour, ils verront ce qui se passe à
l'extérieur du collège ! Et vous n'aurez pas, au bout d'une année, toutes ces
démissions de gens qui se retrouvent avec une agrégation au milieu d'élèves
qu'ils n'ont jamais vus auparavant !
Je voudrais aussi insister sur le fait que les surveillants ont une utilité
très forte ; en effet, les surveillants, c'est une présence humaine ! Qu'on
installe des caméras aux portes des établissements scolaires, personnellement,
je n'y vois que des avantages ! Mais croyez-vous que les caméras mises en place
dans le réseau métropolitain ont été d'une grande efficacité en matière de
sécurité ? On ne peut répondre que par la négative.
Par ailleurs, j'aurais aimé, monsieur le ministre, que vous rappeliez quelques
valeurs indispensables, qui, quelles que soient nos sensibilités, peuvent nous
rapprocher. C'est ainsi qu'il me paraît utile de dire que l'école ne doit pas
être un lieu ludique.
M. Adrien Gouteyron.
Effectivement !
M. François Fortassin.
Le professeur, ce n'est pas un animateur, c'est un enseignant.
J'aurais aimé, monsieur le ministre, vous entendre dire qu'il est une autre
valeur importante, celle de la laïcité, et que la religion n'a qu'un caractère
privé. Ce faisant, on amènera de la tolérance dans les établissements scolaires
et on limitera la violence. Je crois utile par ailleurs de dire que
l'orientation ne doit pas être une fatalité à un âge précis. Certains enfants
n'ont pas forcément à douze ans la maturité qu'ils auront à treize ou quatorze
ans. Et alors, qu'est-ce que cela peut faire ? On connaît des adolescents
médiocres qui sont devenus des adultes brillants !
Il faudrait aussi que vous bannissiez le galimatias sévissant dans les
IUFM.
Mme Hélène Luc.
Galimatias ? C'est insultant pour les pédagogues !
M. François Fortassin.
Personnellement, quand je dis que des élèves jouent dans la cour de récréation
avec un ballon, je me comprends assez bien, et je crois que tout le monde
saisit mon propos. Mais quand on dit qu'« un apprenant tente de maîtriser le
paramètre rebondissant », qui devient « aléatoire » lorsqu'il s'agit d'un
ballon de rugby, « dans un espace interstitiel de liberté », je pense qu'on
pourrait parodier Louis-Ferdinand Céline qui parlait - et bien entendu,
monsieur le président, je suis obligé de châtier le langage - de sodomisation
de diptères !
(Sourires.)
Donc, il y a là un élément fort, me semble-t-il.
Vous êtes, messieurs les ministres, l'un et l'autre, des universitaires de
haut vol. J'aurais souhaité, incontestablement, que vous donniez un souffle à
la rupture que vous voulez amenez à l'éducation nationale.
Je poserai enfin une autre question, plus précise celle-ci, concernant les
personnels ATOSS. Nous sommes un certain nombre de présidents de conseils
généraux ou de conseils régionaux à ne pas être forcément hostiles à nous
occuper des personnels ATOSS. Mais il faut être clair : dans ce cas précis, les
gestionnaires et les intendants des lycées doivent aussi faire partie du «
paquet cadeau », pour autant qu'il s'agisse d'un cadeau ! On ne comprendrait
pas, en effet, que la gestion des personnels ATOSS incombe aux départements et
aux régions et que ceux qui sont censés les encadrer ou les commander restent
dans le cadre de la fonction publique d'Etat.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry,
ministre.
Monsieur François Fortassin, vous évoquiez Gérard Majax tout à
l'heure, et vous me compariez à lui, ce qui est beaucoup d'honneur, car j'ai
beaucoup d'admiration pour lui.
(Sourires.)
J'ai toutefois l'impression que vous avez escamoté vous-même la question ; du
moins n'ai-je pas eu le sentiment de la retrouver dans votre intervention !
(Nouveaux sourires.)
Vous avez abordé des thèmes très importants : les IUFM, les passerelles entre
enseignement général et enseignement professionnel, l'histoire des religions,
le fait que l'enseignement ne doit pas être ludique.
Sur ce dernier point, je me permettrai de vous répondre que, dans la
conclusion du petit ouvrage qui publie les programmes et qui s'intitule
Qu'apprend-on au collège ?,
j'ai expliqué pourquoi l'enseignement
n'avait pas pour mission essentielle d'être ludique et pourquoi il fallait bien
considérer que la transmission des savoirs n'était pas toujours de l'ordre du
jeu.
Sur la question des MI-SE, il me semble vous avoir déjà suffisamment répondu.
Peut-être voulez-vous que je vous lise un court extrait du rapport remis à Mme
Ségolène Royal et à M. Claude Allègre en 1999 ?
M. François Fortassin,
ministre.
Avec plaisir !
M. Luc Ferry,
ministre.
Il mérite, me semble-t-il, d'être porté à votre connaissance :
« Il apparaît qu'en raison de l'âge des dispositifs en vigueur et de la
distinction dépassée entre MI et SE et l'inadaptation croissante de la
réglementation avec la vie des établissements, une refonte d'ensemble s'impose
incontestablement. La qualité du service susceptible d'être assumé par les
jeunes étudiants n'est plus compatible avec les exigences posées par
l'encadrement des élèves dans la plupart des établissements actuels. » En
clair, ce n'est pas bon pour les établissements ! « En outre, les intéressés
ne peuvent pas suivre normalement des études en premier cycle universitaire.
[...] Nous demandons donc d'urgence une refonte du statut des MI-SE. » Voilà la
conclusion de ce rapport.
J'avais, au mois de juin dernier, ayant pris connaissance de ce rapport, deux
possibilités : ou bien je remettais 5 600 étudiants dans ce dispositif dont mes
prédécesseurs eux-mêmes disaient qu'il était absurde, ou bien je gardais les
crédits pour les consacrer à un nouveau dispositif, dont je vous redis, puisque
vous me posez à nouveau la question, qu'il sera meilleur sur trois points : un
recrutement par les établissements - probablement par les conseils
d'administration - afin d'assurer la présence physique dans leurs murs, une
formation accrue et une possibilité de validation des acquis qui permettra à
ces étudiants de moins échouer à leur DEUG qu'aujourd'hui.
Quand au souffle, tous les chantiers que j'ai proposés, à savoir la prévention
de l'illettrisme, la lutte contre l'échec scolaire dans les premiers cycles
universitaires, l'autorité et le métier d'enseignant - les deux sont liés -,
l'engagement des jeunes, la refonte professionnalisante des IUFM, tous ces
chantiers, donc, vont dans le même sens, celui de la lutte contre la fracture
scolaire.
J'aurais pu choisir d'autres thèmes, comme l'élitisme républicain, certains
l'ayant d'ailleurs fait avant moi. Mais quand on sait que 160 000 jeunes
sortent chaque année du collège ou du lycée sans aucun diplôme ou sans
qualification, quand on sait, surtout, que 20 % des élèves arrivent en sixième
pratiquement sans savoir ni lire ni écrire, la priorité des priorités doit être
la lutte contre l'échec scolaire.
C'est donc la mienne. Si vous trouvez qu'elle manque de souffle, je suis
désolé, car j'ai l'intention d'insister sur ce sujet pendant les deux ou trois
ans qui viennent, si Dieu me prête vie et le Président de la République aussi !
(Sourires. - Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin.
Je prends acte des déclarations de M. le ministre, j'observe toutefois qu'il
n'a pas répondu à la suggestion que je lui ai faite et qui consisterait à faire
faire aux futurs enseignants du pionicat pendant quelques mois.
Hier, monsieur le ministre, j'ai rencontré pendant une heure des élèves d'une
classe de première et je leur ai demandé les souhaits qu'ils voulaient que je
vous transmette.
Ils souhaitent d'abord une présence humaine dans des lieux où il n'y en a pas,
c'est-à-dire en dehors des salles de classe où sont les professeurs.
Ils souhaitent aussi que soient respectées certaines lois, comme la loi Evin,
ce qui signifie que les jeunes ne sont pas forcément hostiles à une forme de
hiérarchie et de discipline, car il est clair que l'autorité naît de la
compétence et du savoir.
J'ai également rencontré des étudiants qui, eux, souhaitent un peu plus de
cohérence au niveau de la faculté afin, par exemple, que celui qui a passé un
bac comptabilité ne se retrouve pas forcément en sociologie ou en lettres
modernes !
S'agissant des suppressions de postes, qui sont toujours douloureuses,
certains passent leur temps dans l'administration, à établir des statistiques
qui sont fausses et que personne ne lit ! A ce propos, permettez-moi de citer
un exemple que mes collègues apprécieront.
Connaissez-vous, monsieur le ministre, le classement des établissements
scolaires en fonction du taux de réussite au brevet des collègues et au
baccalauréat ? Je n'ai jamais pu obtenir, ni dans mon académie ni dans mon
département, le classement réel des établissements autres que les trois
premiers. Cela prouve que les statistiques ne sont pas très performantes !
On devrait en faire un peu moins et se consacrer davantage aux familles qui
s'adressent à ces établissements pour y inscrire leur enfant, afin de les
recevoir plus courtoisement que ce n'est le cas actuellement !
M. le président.
La parole est à M. René-Pierre Signé.
M. René-Pierre Signé.
Monsieur le ministre, la formule des questions-réponses vous amène souvent à
répondre par avance aux autres questions qui vont vous être posées. C'est mon
cas.
Je rappellerai toutefois que l'éducation nationale est le premier des services
publics, par son importance tant quantitative que qualitative. Au-delà de sa
mission première, l'éducation a une responsabilité plus globale d'intérêt
général et d'aménagement du territoire.
Or votre budget n'est plus celui d'un service public. La suppression des
aides-éducateurs, des MI-SE, même avec le recrutement d'assistants d'éducation
- mais quel sera leur nombre, leur rôle, leur statut, leur financement ? - a
déjà été dénoncée. On savait que certains de vos amis libéraux les plus
radicaux voulaient déjà réduire le nombre de fonctionnaires. Il semble qu'ils y
réussissent.
Mais la qualité de l'enseignement en sera-t-elle renforcée ? Dans cette
perspective, permettez-moi d'attirer votre attention sur la situation des
directeurs d'école.
Aujourd'hui, plusieurs milliers de postes de directeur sont vacants, les
mouvements de grève perdurent, ce qui nuit, malheureusement, au bon
fonctionnement de nos écoles.
Vous nous annoncez pour l'année prochaine un effort budgétaire à hauteur de 12
millions d'euros, qui permettra d'élever le taux moyen d'indemnité et, surtout,
de verser celle-ci à tous les directeurs, quelle que soit la taille de l'école,
soit 925 euros.
En outre, il est prévu d'étendre la décharge complète, aujourd'hui réservée
aux directeurs d'école de treize classes, à ceux de cinq classes. Peut-on
prétendre que cela suffira à faire taire leurs revendications ?
En bloquant le recrutement des jeunes enseignants qui devraient remplacer
leurs aînés en 2005 - le plan de recrutement pluriannuel semble bien oublié !
-, est-on certain de ne rien retrancher au service public ?
Mais le point le plus important tient plus aux écoles elles-mêmes et à leur
fragilité, notamment en milieu rural. L'éducation est, jusqu'à preuve du
contraire, nationale, c'est-à-dire territorialement égalitaire.
Le Gouvernement défend, pour sa part, une vision particulière de la
décentralisation, incluant de nombreux risques qui pèseront sur la fiscalité
locale, sur la cohérence des politiques publiques, sur l'égalité d'accès à ce
service public. Cette décentralisation programmée sans concertation ni
explication ne manque pas d'inquiéter. Accorder une autonomie de gestion, telle
qu'elle semble se dessiner au niveau régional, est possible, à condition
qu'elle soit accompagnée non pas d'une autonomie financière, mais d'une
péréquation ou d'une redistribution à partir des ressources de l'Etat. Comment
rester aveugles aux disparités, aux inégalités entre régions, entre communes,
et à leurs conséquences ?
L'imprécision concernant les moyens est manifeste. On peut ainsi habilement
cacher ses intentions et en arriver à attaquer sévèrement l'éducation
nationale. Je sais que, sur ce point, vous vous voulez rassurant, mais
êtes-vous vraiment convaincant ?
Le Gouvernement a l'intention, semble-t-il, de passer d'une culture de moyens
à une « culture de résultats ». L'éducation nationale, ses professeurs, ne
seraient pas « efficients ». On dépenserait trop, pour trop peu de résultats.
Vous mettez l'accent sur la bonne gestion - soit ! -, sur une allocation
rationnelle de l'argent public - soit encore ! Qui pourrait être contre ? Qui
pourrait s'opposer également au fait que l'on doit toujours mieux faire pour
rendre nos écoles, nos collèges et nos lycées toujours plus justes, plus
accueillants, plus à l'écoute de notre jeunesse. Mais, si je vous rejoins sur
les prémices, je ne puis partager vos conclusions.
Qui critique-t-on ? Quelques explications sur ce point me semblent utiles.
Vous avez évoqué récemment la création d'une nouvelle structure appelée «
réseau d'écoles », qui serait une sorte de regroupement pédagogique
intercommunal agrandi. Qu'entendez-vous exactement par « réseau d'écoles » ?
Quels en seraient les acteurs, les contours et surtout le financement ? Je
crains que les collectivités locales ne soient, là encore, sollicitées. Plus
largement, quelle politique d'enseignement entendez-vous conduire pour garantir
l'avenir des jeunes et des enseignants dans les milieux ruraux et, au final,
l'égalité territoriale du service public essentiel que constitue l'éducation
?
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry,
ministre.
Monsieur le sénateur, s'agissant tout d'abord des postes dans
le premier degré, nous avons fait plus que ce qui était prévu dans le plan
pluriannuel pour l'éducation de Jack Lang, dit PPE Lang. Il n'y a donc pas, sur
ce point, de problème majeur entre nous. Il est un autre problème que vous
auriez pu évoquer, c'est celui des listes complémentaires.
Elles sont passées, au cours des trois dernières années, d'environ 2 500
personnes à 6 500 personnes, ce qui est un véritable scandale ! En effet, les
derniers reçus, ou les premiers collés, se retrouvent donc devant des classes
sans avoir reçu aucune formation, en IUFM ou autre. Quand on aborde une
question, il faut évoquer l'ensemble des questions. Je m'engage à réduire cette
liste complémentaire afin d'en revenir à un chiffre raisonnable de 2 000 ou 2
500 dans les années qui viennent.
Il en va de même pour les directeurs d'école. S'il y a un problème que je n'ai
pas inventé, c'est bien celui-là ! Aussi loin que je remonte dans ma mémoire,
j'entends parler - depuis dix ans - de ce problème des directeurs d'école, que
ni mon prédécesseur ni le ministre qui l'avait précédé n'ont résolu. N'attendez
donc pas que je le fasse dans les trois mois à venir.
Pour l'instant, nous avons pris une mesure d'urgence que vous avez eu la
bienveillance de rappeler : 12 millions d'euros, ce n'est par rien ! Si nous
voulons trouver une solution réelle, nous n'y parviendrons, bien évidemment,
que dans le cadre de la décentralisation et de la mise en réseau des écoles. Il
s'agit non pas de transformer les écoles en établissements publics locaux
d'enseignement, mais de les mettre en réseau, ce qui permettra de faire des
économies d'échelle, de mutualiser les moyens, d'avoir une tête de réseau et
donc de régler ce problème, en tout cas d'en avoir une bien meilleure approche.
On peut attendre beaucoup de cette mise en réseau pour résoudre ce problème qui
n'était pas un cadeau laissé par mes prédécesseurs !
M. le président.
La parole est à M. René-Pierre Signé.
M. René-Pierre Signé.
Monsieur le ministre, je suis tout à fait d'accord avec vous s'agissant des
réseaux d'écoles. D'ailleurs, ma question ne comportait aucune critique sur ce
point. Mais les regroupements pédagogiques ont montré leurs limites et ne
permettent plus de sauver les écoles dans toutes les communes.
En revanche, mon interrogation portait sur le financement de ces réseaux, qui
nécessitent des moyens : organisation de visioconférences, ordinateurs,
transports des élèves et des enseignants. Tout cela, on le sait bien, sera à la
charge des collectivités locales. Il existe un réseau de collèges dans le
département de la Nièvre, et je sais bien qui finance le transport ! Je voulais
attirer votre attention sur le fait que l'éducation nationale semble chercher à
se désengager sur ces différents points. Bien sûr que le problème des
directeurs d'école n'a pas encore été réglé ! Mais on progresse chaque année un
peu plus, et je pensais vraiment qu'on allait maintenant s'attaquer à cette
question, car le fait qu'elle n'ait pas été résolue précédemment ne signifie
pas qu'elle ne devrait pas l'être maintenant.
S'agissant du plan pluriannuel pour l'éducation, ce que je sais, c'est que
l'on va recruter 1 000 professeurs d'école contre 2 400 l'année dernière ! M.
le président de la commission des finances trouve que c'est encore trop. Je
vous accorde que le problème des « reçus-collés » n'était pas très glorieux. Il
est donc d'autant plus important d'y mettre fin.
Je m'interroge encore sur le devenir de l'école et surtout sur la
participation qui va être demandée aux collectivités locales, du fait de la
décentralisation de ministères essentiellement régaliens. Il n'est nullement
fait état, dans vos programmes, de la façon dont seront compensées les
disparités, les inégalités existantes qui auront des conséquences fâcheuses -
il ne faut pas avoir peur des mots - sur le pacte républicain en vertu duquel
tout le monde doit être traité avec égalité, en particulier pour l'accès au
savoir.
M. le président.
La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar.
Monsieur le ministre, notre débat intervient quelques semaines après que vous
avez rendu public votre projet de revalorisation de l'enseignement
professionnel, et j'ai bien pris note de la réponse que vous avez faite tout à
l'heure à M. Carle.
Votre ambition d'en faire une « voie d'excellence » ne peut que nous
satisfaire. En revanche, l'examen des mesures préconisées et leur corollaire,
l'abandon du collège unique, appellent un certain nombre de remarques.
S'il est une réalité, c'est que les filières professionnelles souffrent d'une
mauvaise image et sont souvent vécues et considérées comme un échec par les
élèves, par les familles, mais aussi par les enseignants des filières
générales.
Si un élève sur trois est aujourd'hui en enseignement professionnel, cette
orientation se fait le plus souvent par défaut. Le lien entre l'origine sociale
et la formation professionnelle se vérifie : 40 % des élèves inscrits en lycée
professionnel sont des enfants d'ouvriers, tandis que 12,5 % sont des enfants
de chômeurs. En fait, je le reconnais, la situation est contrastée.
En effet, ce constat, s'il est réel, gomme les progrès qui ont été réalisés
dans cette filière : profonde rénovation des lycées professionnels, en termes
tant d'équipements que de diplômes. Avec un taux de réussite de 77 %, le bac
professionnel permet d'accéder aux BTS, aux IUP, ou instituts universitaires
professionnalisés, et à la licence professionnelle.
Mais, avant le bac, combien d'échecs enregistre-t-on, quels débouchés ces
jeunes ont-ils, quels diplômes et pour quels métiers ?
Si nous voulons que les filières professionnelles ne soient plus des voies de
relégation scolaire et sociale, si nous voulons en plus ne pas enfermer les
jeunes dans un corporatisme précoce et étroit, il faut à l'évidence apporter
des réponses budgétaires en conséquence.
L'interaction des pratiques et des savoirs demande des champs de connaissances
plus larges. Aussi, la qualité de l'enseignement exigée demande-t-elle une
formation de pointe des personnels, comme c'est le cas dans les cursus
d'enseignement général.
Nous retrouvons donc ici les questions que les uns et les autres ont soulevées
quant aux mesures que le Gouvernement a prises dans le secteur de l'éducation
nationale dans son ensemble, à savoir les emplois précaires, les réductions de
personnel d'encadrement, les bourses, les internats, le nombre des
établissements scolaires, les équipements en général, sans oublier le « coup de
froid » que la commission des finances a annoncé ce matin.
La question plus spécifique que pose l'enseignement professionnel, avec son
pendant qu'est l'apprentissage, est aussi celle de la relation avec les
entreprises et la politique locale de l'emploi. Nous rejoignons là les débats
relatifs à la décentralisation.
D'abord, la carte scolaire varie selon les régions, et l'orientation des
jeunes est plus souvent subie que choisie. Les formations dans le secteur
tertiaire, celles qui relèvent du domaine sanitaire et social, sont créées en
plus grand nombre parce qu'elles ne demandent pas un gros investissement, mais
elles deviennent très vite des voies de garage. Le BEP, ou brevet d'études
professionnelles, renvoie souvent les jeunes qui n'ont pas de débouchés dans un
centre d'apprentissage. Si nous voulons développer l'apprentissage des nouveaux
métiers, l'investissement en équipements, en machines et en outils est
essentiel, sans compter le personnel enseignant ainsi que le personnel
d'encadrement et de maintenance.
Toutefois, revaloriser cette filière, n'est-ce pas aussi revaloriser les
professions qui s'y rattachent ? Je veux parler de l'amélioration des salaires,
de l'évolution des carrières, de la lutte contre la précarité, la pénibilité du
travail. Je crois que, dans ces domaines, la responsabilité du patronat doit
être pleinement engagée.
Au-delà de cette question, une autre se pose : celle du collège unique, qui
est aujourd'hui contesté au sein même du corps enseignant en raison des
difficultés d'y enseigner et d'assurer la réussite de tous. Faut-il pour autant
y mettre fin ?
La filière professionnelle, donc notre système éducatif, doit-elle ajuster une
offre de main-d'oeuvre aux bassins d'emplois ou former des citoyens à part
entière de la société et du monde d'aujourd'hui ?
Je suis de ceux qui considèrent qu'il est de notre responsabilité d'offrir un
socle commun de connaissances stables pour tous. En remettant en cause le
collège unique, ne prend-on pas le risque de rejeter la faute sur les élèves au
lieu de reconnaître l'échec de l'école ?
Si tous les jeunes ne peuvent pas accéder aux mêmes savoirs, ne s'impliquent
pas tous dans leurs études de la même façon, ne réagissent pas pareillement aux
contraintes de la vie scolaire, ils peuvent tous, selon moi, accéder à une
culture commune moderne, ouverte, ambitieuse. Seulement, il faut non plus
considérer l'élève comme une notion abstraite, mais prendre en compte les
différences à tous points de vue.
Je vous poserai donc une double question, monsieur le ministre.
En proposant les classes en alternance, ce qui revient à réintroduire un
palier d'orientation dès la cinquième, ne prend-on pas le risque de renforcer
le fait que l'orientation vers une filière professionnelle sera plus une
contrainte qu'un choix réel ?
Si les élèves n'ont pas au moins acquis le niveau de troisième, ne
craignez-vous pas qu'ils éprouvent beaucoup plus de difficultés à appréhender
les évolutions auxquelles ils seront confrontés ?
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry,
ministre.
Monsieur le sénateur, jamais je n'ai envisagé l'abandon du
collège unique, ce qui pourtant, à certains égards, me faciliterait la tâche,
comme vous pouvez l'imaginer, d'autant que, je le sais maintenant, j'aurais
même l'appui d'une majorité d'enseignants !
Pourquoi ne l'ai-je pas fait ? Parce que - je l'ai expliqué tout à l'heure -
je tiens à ce que les collégiens restent des collégiens, même s'ils s'engagent
dans la voie de l'enseignement en alternance, en partenariat avec les lycées
professionnels, voire avec les entreprises. Je tiens à l'idée de passerelle. Je
suis convaincu que le maximum d'enseignement général doit être maintenu pour
tous.
Quand on va sur le terrain visiter des classes en alternance dans les
collèges, on s'aperçoit que les enfants qui ont découvert des métiers pendant
quinze jours dans un lycée professionnel s'intéressent à nouveau à
l'enseignement général.
C'est la raison pour laquelle j'ai demandé au recteur Joutard de piloter un
groupe de refonte des programmes scolaires. Je lui ai confié une double
mission, dont vous comprendrez le sens. Elle est, dans mon esprit, inséparable,
d'une part, d'une révision complète des programmes de technologie dans les
collèges, d'autre part, dans le même mouvement - je dis bien : « dans le même
mouvement » -, d'une amélioration de l'enseignement général des filières
professionnelles et, pour cette année, des BEP.
Je considère - je le dis entre nous - que l'enseignement technologique dans
les collèges n'est pas bon, qu'il n'est pas très attractif. C'est un peu, comme
le disait un orateur précédent, un galimatias. De plus, il faut le rendre
beaucoup plus concret qu'il ne l'est actuellement. En même temps, il faut
valoriser, adapter l'enseignement général des voies professionnelles et donc du
BEP.
Je vais rencontrer tous les proviseurs de lycée professionnel et tous les
chefs de travaux...
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. Luc Ferry
ministre.
... à l'occasion d'un tour de France pour voir avec eux
comment mettre en place, au-delà des mini-stages qu'ils organisent pour les
collégiens, ces classes en alternance qui ne sont pas un retour au palier
d'orientation en fin de cinquième, dont je ne veux pas, malgré la demande de
certains syndicats, lesquels ne sont d'ailleurs pas toujours de droite !
Je souhaite que l'on maintienne l'idée des passerelles et que cette découverte
des métiers en alternance avec les entreprises ou les lycées professionnels se
fasse avec l'accord des familles et des élèves, avec un regard de l'inspecteur
d'académie et une possibilité de retour en arrière si nécessaire, ce qui existe
dans les classes en alternance.
M. le président.
La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar.
Monsieur le ministre, lorsque je vous entends, j'éprouve toujours à la fois
une satisfaction intellectuelle et une frustration politique.
(Sourires.)
La question posée, y compris sur le collège unique, sur
lequel le débat est ouvert mériterait, que nous le voulions ou non, un débat
qui excède de beaucoup les limites du débat budgétaire.
La question essentielle est de savoir quel est le minimum de connaissances
dont a besoin un être humain, même s'il suit une filière professionnelle. Nous
devons avoir des ambitions élevées à cet égard
(M. le ministre
acquiesce),
et - je vous rejoins sur ce point. Il convient non pas
d'éduquer les jeunes en fonction de besoins productifs à court terme, mais de
former des citoyens aptes à maîtriser le monde qui les entoure. Pour ce faire,
il faut à l'évidence disposer des moyens financiers nécessaires.
Par ailleurs, le système éducatif doit prendre en compte, dès le primaire, les
caractéristiques de l'élève et ne pas délaisser ceux qui sortent du moule.
Cette remarque rejoint le combat contre l'illettrisme.
L'échec du collège unique est également dû à des causes antérieures : comme
vous le savez, le collège reste soumis aux mêmes découpages disciplinaires que
ceux qui ont été appliqués aux lycées en 1802 et 1902 !
C'est une vraie question de société, une question éminemment politique, au
meilleur sens du terme, qui nécessite l'ouverture d'un débat national.
(M.
le ministre acquiesce de nouveau)
. Naturellement, celui-ci inclurait les
élèves, les parents, les élus, bref, les citoyens. Vous-même, aviez proposé, me
semble-t-il, voilà quelques années, que ce débat ait lieu au Parlement.
(M.
le ministre acquiesce une nouvelle fois.)
Cette question est en effet trop
importante pour être réglée uniquement dans un face à face entre les
enseignants et leur ministre. Ce sont tous des personnes respectables, bien
évidemment, mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit.
Tant que ce travail n'aura pas été effectué, le collègue unique, puisque c'est
la base du problème, restera un idéal inaccessible, et les professeurs
continueront de s'y sentir mal à l'aise. C'est la raison pour laquelle,
monsieur le ministre, je renouvelle solennellement cette demande de débat. Les
conditions doivent être créées pour qu'il puisse se tenir dans les mois qui
viennent, y compris sur les contenus. C'est, en effet, le rôle de la
représentation nationale d'aborder ces questions.
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