SEANCE DU 28 NOVEMBRE 2002
L'amendement n° II-12, présenté par MM. Arthuis, Marini et Lachenaud, au nom
de la commission des finances, est ainsi libellé :
« Réduire ces crédits de 2 000 000 euros. »
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jean-Philippe Lachenaud,
rapporteur spécial.
Je tiens tout d'abord à exprimer mes très vifs
remerciements à M. le ministre, dont les réponses ont été très riches
d'informations et ont ouvert des voies fort intéressantes de réflexion et
d'action pour les années qui viennent.
M. le ministre a été très compréhensif à l'égard de l'ensemble des sénateurs
aux questions desquels il a apporté des réponses positives.
Avant de laisser la parole à M. le président de la commission des finances, je
voulais réparer un oubli. En effet, tout à l'heure, au terme de l'exposé de mon
rapport, j'ai omis d'indiquer que la commission des finances avait émis un avis
favorable sur l'ensemble des crédits de l'enseignement supérieur.
M. Ivan Renar.
Quelle tristesse !
M. Jean-Philippe Lachenaud,
rapporteur spécial.
Cependant, depuis lors, dans des circonstances
d'extrême urgence, des révisions extrêmement importantes pour l'évaluation des
recettes et les conditions d'équilibre du budget sont intervenues. MM. Arthuis
et Marini ont donc décidé de déposer un certain nombre d'amendements, sans
d'ailleurs pouvoir les soumettre aux commissions compétentes, en l'espèce, à la
commission des finances et à celle des affaires culturelles. Je suis le premier
en ligne - ne tirez pas sur le pianiste
(Sourires)
de tous côtés de
l'hémicycle ! - puisque j'ai cosigné un amendement dont le contenu et la portée
vont maintenant être exposés par M. le président de la commission des
finances.
M. Ivan Renar.
Quel malheur !
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes
chers collègues, nous vivons un débat en temps réel, et c'est tout à l'honneur
du Gouvernement que d'avoir joué la carte de la transparence. Lorsque le
conseil des ministres a approuvé le projet de loi de finances pour 2003,
c'était sur la base de prévisions qui, depuis lors, ont dû être révisées.
(Mme Danièle Pourtaud s'exclame.)
C'est ainsi qu'en vertu d'une exigence de sincérité le Gouvernement, hier, au
moment du vote de l'article d'équilibre, a proposé au Sénat un amendement
faisant apparaître une réduction des recettes fiscales de 700 millions
d'euros. La commission des finances a alors considéré que, pour atteindre
l'équilibre, il fallait adopter une démarche appliquée et courageuse de
réduction de dépenses.
Mme Danièle Pourtaud.
C'est extraordinaire ! Mieux vaut tard que jamais !
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
Madame Pourtaud, lorsque la
situation se modifie, la responsabilité politique oblige à en tirer les
conséquences.
M. Claude Estier.
Pas n'importe comment !
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
Nous ne sommes pas là pour
appliquer une politique virtuelle. Chaque rapporteur spécial a recherché, dans
le budget dont il a la charge, les économies qui pourraient être réalisées.
J'ai, comme chacun d'entre nous, été très attentif aux propos de M. le
ministre ; je l'ai écouté avec beaucoup de satisfaction exprimer les
convictions qui l'animent, et je n'ai pas de doute sur la pertinence de la
politique qu'il entend mettre en oeuvre.
Cela étant, la politique budgétaire, c'est le réalisme. Au cours de l'examen
attentif auquel nous avons procédé avec Jean-Philippe Lachenaud, qui est le
premier à présenter au Sénat un amendement tendant à réduire les crédits, nous
avons trouvé dans votre budget, monsieur le ministre, au moins un sujet
d'interrogation : les réserves des universités.
Ces réserves ont progressé de 30 % entre 1995 et 2000. Leur montant est
supérieur à un milliard d'euros, ce qui équivaut à près d'un an de subventions
de fonctionnement ou à 235 jours de dépenses de fonctionnement, alors que la
norme retenue pour le niveau du fonds de roulement des universités est de 90
jours de dépenses de fonctionnement.
L'enquête réalisée en 2001 par le ministère sur un échantillon
d'établissements a démontré qu'une fraction significative de ces réserves, de
l'ordre du quart, était réellement mobilisable. Mais le projet de budget de
l'enseignement supérieur pour 2003 ne prévoit pas d'objectif d'amélioration de
la gestion de ces réserves.
Cet amendement vise donc à réparer cette omission. Il consiste à encourager le
ministère à inciter chacun de ces établissements à mieux gérer ses réserves.
Nous proposons donc, à cet effet, de réduire de 2 millions d'euros, soit 0,16 %
des crédits en cause les subventions de fonctionnement aux établissements du
chapitre 36-11, à charge bien sûr pour le ministère de répartir cette réduction
en tenant compte des réserves dont dispose chaque établissement.
C'est la responsabilité du Parlement que de voter les crédits mis à la
disposition de chaque ministère. Croyez bien, monsieur le ministre, que nous
allons conduire auprès de chacun de vos collègues la démarche que nous
entreprenons auprès de vous.
M. Jean-Pierre Sueur.
Et la recherche !
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
Notre préoccupation est de
donner du sens à la politique budgétaire. Il y a 700 millions de ressources en
moins, nous devons en tirer les conséquences.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Luc Ferry,
ministre.
Monsieur le président de la commission des finances, je crois
pouvoir vous dire en toute honnêteté que la politique dans laquelle nous allons
nous engager sur le plan budgétaire - cela a été suffisamment souligné ici -
est une politique de redéploiement et de rigueur.
Cela étant, comme vous le savez sans doute, j'ai demandé moi-même la mise en
place d'une mission d'expertise qui associera l'Inspection générale des
finances et l'Inspection générale de l'éducation nationale.
Cette mission d'expertise a une triple finalité.
Elle vise tout d'abord à faire le point sur ces fameuses réserves des
universités sur lesquelles, disiez-vous, pèse une interrogation. Laissons
peut-être venir la réponse avant de prendre des décisions drastiques !
Cette mission a par ailleurs pour objet d'évaluer l'état du patrimoine
universitaire. Après la mission conduite par M. le président Valade, je n'ai
pas besoin de souligner devant le Sénat que l'état du patrimoine universitaire
n'est pas véritablement brillant, c'est le moins que l'on puisse dire !
Enfin, cette mission devra réfléchir aux propres capacités de gestion des
universités.
Dans ces conditions, il serait très maladroit et, en tout cas, inopportun
d'adresser un signe négatif aux universités, surtout au moment où elles sont
invitées à pratiquer l'autonomie. Par ailleurs, le coût politique serait
disproportionné par rapport à la faiblesse des économies réalisées.
Il faut se donner les moyens de réaliser des économies, si nécessaire en
mettant en place des budgets de manière plus intelligente, plus réfléchie, et
ne pas obérer les chances de succès en envoyant des signes négatifs qui
entraîneront inévitablement des blocages et qui s'avéreront probablement, par
la suite, plus coûteux que bénéfiques. C'est pourquoi je me permets de demander
aux auteurs de cet amendement de bien vouloir le retirer.
M. le président.
La parole est à M. Ivan Renar, pour explication de vote.
M. Ivan Renar.
L'amendement « enseignement supérieuricide » que nous attendions est sans
surprise, mais il reste surprenant ! En effet, que les universités soient très
riches, voire trop riches, est un
scoop
, si vous me permettez cette
expression.
Par ailleurs, on peut lire dans l'exposé des motifs dudit amendement ceci : «
Le Gouvernement a constaté mercredi 27 novembre une perte prévisionnelle de
recettes pour 2003 à hauteur de 700 millions d'euros. Il convient d'en tirer
les conséquences en termes de dépenses. » Et le jeudi 28 novembre, cet
amendement est déposé !
Quelle efficacité dans la guerre éclair de l'austérité ! On parlait tout à
l'heure de lourdeurs administratives ! Là, chapeau !
Dans les faits, les étudiants qui se retrouvent à soixante dans les travaux
dirigés, qui suivent dans le hall ou le couloir le cours normalement dispensé
en amphithéâtre apprécieront certainement d'apprendre que leurs universités
sont trop riches.
A quelques pas d'ici, nous connaissons tous sans doute, du côté de la
Sorbonne, des étudiants qui goûtent tous les jours le grand bonheur d'avoir à
traverser Paris pour suivre des enseignements éclatés dans des établissements
différents, dans la capitale ou en Ile-de-France, voire en province. Certaines
de ces universités rencontrent d'ailleurs de nombreuses difficultés pour
boucler leur budget. C'est notamment le cas de Paris-XII, où j'ai eu l'occasion
d'effectuer une mission pour Mme Luc.
De même, la grande qualité des prestations sociales et médico-sociales, des
services de restauration universitaire ou des équipements sportifs mis à
disposition des étudiants est suffisamment éloquente pour justifier mille fois
le rejet pur et simple de cet amendement brutal et sans nuance.
De la même façon, les universités où, faute de crédits, l'on coupe dès que
possible le chauffage parce qu'on ne peut plus le payer, apprécieront hautement
la proposition de la commission des finances.
Alors, bien sûr, vous nous dites, monsieur le président de la commission des
finances, monsieur le rapporteur général, monsieur le rapporteur spécial, que
l'effort ne serait concentré que sur les établissements dont la situation
financière est satisfaisante. Mais, que voulez-vous, nous ne partageons pas
votre appréciation de la situation !
Et il n'est pas interdit de penser que ce que vous appelez « réserves » n'est
jamais que l'autofinancement que ces établissements tentent de retrouver pour
faire face à certains investissements ou aux besoins des étudiants, sans parler
de l'indispensable souplesse de fonctionnement.
Devons-nous encore parler de la grande misère des bibliothèques universitaires
? Ainsi, M. Bernard Belloc, premier vice-président de la Conférence des
présidents d'université, indiquait récemment ceci : « L'autonomie des
universités est d'abord au service des étudiants. Il nous est apparu essentiel
de les mettre au centre de nos préoccupations. »
Mes chers collègues, c'est l'autonomie des universités et leur faculté à
répondre aux besoins de formation du pays qui est en cause derrière cet
amendement ! Elle part vraiment mal, l'université du IIIe millénaire !
Entrer dans cette logique, c'est remettre en cause le nécessaire renforcement
des potentiels humains dont notre pays a besoin pour disposer, demain, des
moyens de la croissance économique.
Cette logique est contreproductive par rapport à l'objectif que vous vous
assignez, car elle sera génératrice, demain, de nouvelles difficultés.
J'en appelle à mes collègues membres de la commission des affaires
culturelles, eux qui ont adopté les crédits de l'enseignement supérieur, et je
leur demande de rejeter cet amendement, de ne pas manger aujourd'hui leur
chapeau ! Notre groupe appelle solennellement le Sénat à rejeter cet amendement
par scrutin public.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe
socialiste.)
M. le président.
La parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche.
La démarche de la commission des finances que son président, Jean Arthuis, est
venu nous présenter ce matin, lors de l'examen des crédits de l'enseignement
scolaire, est pour le moins suprenante et me laisse perplexe.
S'agit-il, pour la commission des finances de démontrer qu'elle est toujours
la garante de la rigueur budgétaire ? J'en doute, d'autant plus que M. Arthuis
admettait ce matin qu'il existait des budgets « sanctuarisés » correspondant
justement aux budgets prioritaires du gouvernement actuel : la justice, la
défense et l'intérieur.
La commission des finances vole, en réalité, au secours du Gouvernement qui,
depuis plusieurs mois, a tablé sur une croissance nettement supérieure à celle
effective de 2,5 % alors que, dans les milieux économiques, tous s'accordaient
pour dire qu'elle serait au mieux de 1,8 %, M. Ernest-Antoine Seillière ayant
même récemment affirmé qu'elle se situerait entre 1,5 % et 2 %.
Il était donc couru d'avance qu'un budget établi sur de telles bases poserait
quelques problèmes. Toujours est-il que les réductions proposées par la
commission des finances, au nom de l'équilibre budgétaire, vont toucher les
budgets déjà les plus maltraités par le Gouvernement.
Il en est ainsi pour le budget de l'enseignement supérieur, avec 2 millions
d'euros de réduction supplémentaire alors qu'à structure constante ce projet de
budget accuse déjà une baisse qui n'est pas raisonnable.
Il n'est pas réaliste d'affirmer que les universités se sont constitué un
matelas depuis sept ou huit exercices et il est dangereux d'amputer des crédits
figurant au titre III qui finance l'ensemble des dépenses de personnels alors
que seules 1 160 créations, toutes catégories de personnels confondues, sur les
2 000 créations de postes prévues au titre de l'année 2003 par le plan
pluriannuel sont honorées dans ce projet de budget.
Le groupe socialiste votera donc contre l'amendement de la commission des
finances, et demande un scrutin public.
(Applaudissements sur les travées du
groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur.
Monsieur le ministre, j'ai été très surpris de vos propos.
Vous avez déclaré, s'agissant de MM. Allègre et Lang, que, bien qu'appartenant
à la même formation politique que moi, ils ne manquaient pas de bon sens,...
M. Jean-Philippe Lachenaud,
rapporteur spécial.
C'était un compliment, il fallait le prendre comme
tel !
M. Jean-Pierre Sueur.
... ce qui, si les mots ont une signification, veut dire que les Français
appartenant au parti socialiste seraient dépourvus de tout bon sens. Cette
déclaration tout à fait insultante de votre part à l'égard d'une formation
politique de ce pays ne sied pas au statut intellectuel qui est le vôtre.
Ensuite, s'agissant de l'allocation d'autonomie, vous avez simplifié et
caricaturé.
D'abord, l'UNEF ne parle plus de « salaire étudiant » depuis une trentaine
d'années, monsieur le ministre.
M. Jacques Valade,
président de la commission des affaires culturelles,
et M.
Jean-Philippe Lachenaud,
rapporteur spécial.
C'est faux !
M. Jean-Pierre Sueur.
Vous le savez très bien. L'allocation d'autonomie a été conçue par l'UNEF lors
de son dernier congrès, c'est-à-dire il y a près de dix-huit mois. L'UNEF n'a
jamais considéré que cela ne devait concerner que les seuls étudiants, et M.
Jospin comme M. Lang avaient donné leur accord à l'UNEF pour organiser une
discussion afin que l'on puisse creuser cette idée tout en veillant à ce qu'un
nouveau dispositif ne porte pas atteinte à l'équité, à la justice, qui sont,
naturellement, tout à fait nécessaires. Le gouvernement de M. Jospin a fait en
sorte que 30 % des étudiants reçoivent une bourse. Il ne faut donc pas
caricaturer !
Enfin, monsieur le ministre, vous nous avez affirmé que votre budget
augmentait, ce qui est faux. « Une progression de 1,05 % reste une progression
», avez-vous dit.
Mais le minimum de probité intellectuelle devrait vous conduire, monsieur le
ministre, à considérer que, si votre budget augmente de 1,05 % mais que
l'inflation atteint 1,5 %, votre budget, en réalité, baisse. Et je récuse, de
la part d'un intellectuel comme vous, cette attitude qui consiste à dire et à
redire quelque chose qui est faux, en pensant que c'est ainsi qu'on fait de la
politique « intelligente », pour employer un adjectif que vous semblez
particulièrement affectionner.
Enfin, il est proprement scandaleux que la commission des finances du Sénat
propose de réduire encore les crédits de l'université !
Mes collègues viennent de le dire avec beaucoup de force, monsieur le
ministre, il y a moins de crédits, il y a moins de postes que ce qui était
prévu, le budget d'investissement, le budget de maintenance et le budget de
fonctionnement ont diminué ; pourtant, malgré tout, on nous propose benoîtement
un amendement tendant à réduire encore de deux millions d'euros les crédits de
l'enseignement supérieur !
C'est un vrai scandale ! C'est un signe qui sera perçu de manière
extraordinairement négative par tous les chercheurs, par tous les
enseignants-chercheurs, par tous les étudiants de ce pays. Nous sommes
totalement et fondamentalement opposés à cet amendement. Il est vraiment triste
qu'on puisse présenter ici, s'agissant de l'enseignement supérieur, une telle
proposition !
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du
groupe CRC.)
M. le président.
La parole est à M. Pierre Laffitte.
M. Pierre Laffitte.
Je voudrais tout d'abord souligner le courage du président de la commission
des finances du Sénat, qui présente un amendement non pas scandaleux, mais
cohérent avec la mission normale d'une commission des finances, qui, surtout au
Sénat, a prôné de tout temps les vertus de la diminution des charges et des
déficits publics.
Néanmoins, dans le cas particulier, la position de M. Luc Ferry, ministre
responsable, membre du Gouvernement, me paraît parfaitement justifiée. Surtout,
je ne pense pas qu'il soit sain pour notre assemblée, qui a toujours défendu
fortement la recherche et l'enseignement supérieur, de donner un signal ne
correspondant pas à notre volonté traditionnelle, laquelle est la recherche des
mauvaises dépenses.
Or, je ne crois pas que l'on puisse dire que le budget, tel qu'il a été
présenté aujourd'hui par M. Ferry, tel qu'il a été défendu et approuvé par un
certain nombre de personnalités de nos différentes commissions, en particulier
la commission des affaires culturelles, mérite d'être réduit, même s'il ne
s'agit pas d'une sanction.
Je conçois bien qu'il s'agit là d'un système général. Mais voyons comment ce
dernier pourra permettre de recueillir les 700 millions d'euros d'économies qui
sont nécessaires. Ce n'est pas avec 2 millions d'euros de réduction sur un
budget qui est tout de même un des budgets les plus importants de la nation
qu'on y arrivera !
Il faudra donc trouver autre chose. Prenons le temps de réfléchir pour savoir
où dégager ces sommes, où dégager les délais d'exécution de façon à avoir une
organisation dans le plan. Par conséquent, je suis, comme mon groupe, favorable
à la position de M. le ministre.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jean-Philippe Lachenaud,
rapporteur spécial.
Nous avions bien évidemment conscience, lorsque nous
avons étudié et préparé la rédaction de cet amendement, qu'il nous faudrait du
courage face aux objections qui nous seraient présentées. Nous ne sous-estimons
pas non plus l'impact politique négatif du signal que pourrait susciter
l'adoption de cet amendement.
Mais à ce stade du débat, je me réserve la possibilité de changer de position
en fonction des arguments qui seront échangés ici.
M. Ivan Renar.
Vous nous avez suffisamment caricaturés tout à l'heure !
M. Jean-Philippe Lachenaud,
rapporteur spécial.
Premièrement, il s'agit de 2 millions d'euros, et ce
ministère n'est évidemment pas le seul sur lequel nous allons faire de telles
propositions de réduction de crédits : il y en aura d'autres, étudiées et
préparées par les rapporteurs spéciaux de la commission des finances, qui
seront présentées dans la suite du débat budgétaire. Le calendrier veut que je
sois, avec le ministre chargé de l'enseignement supérieur, en première ligne.
Mais, je le répète, il s'agit d'un ensemble de mesures.
Mme Danièle Pourtaud.
Il faut bien financer le porte-avions !
M. Jean-Philippe Lachenaud,
rapporteur spécial.
Deuxièmement, malgré les délais extrêmement brefs qui
nous étaient impartis, ces mesures ont été étudiées et témoignent d'une
connaissance approfondie, je puis l'affirmer, de la gestion et des conditions
de gestion du ministère chargé de l'enseignement supérieur.
Je voudrais préciser à M. le ministre que, ce faisant, notre idée était de
l'aider plutôt que de lui rendre la vie plus difficile.
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
Bien sûr !
M. Jean-Pierre Sueur.
Quelle magnifique assistance !
Mme Hélène Luc.
Si vous lui demandez de l'argent, cela lui rendra la vie difficile !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Qui aime bien châtie bien !
Mme Danièle Pourtaud.
C'est la corde qui soutient le pendu !
M. Jean-Philippe Lachenaud,
rapporteur spécial.
J'ai bien noté !
J'ai été très sensible à la position de M. le ministre, position qui est
aussi, je le sais, celle de M. le président de la commission des affaires
culturelles.
Sur ce chapitre 36-11, il y a effectivement des problèmes de gestion, des
problèmes de répartition des moyens entre les différentes universités ; il y a
un système analytique de répartition des moyens que l'on baptise San Remo, qui
est incompréhensible pour tout le monde et qui entraîne des injustices, des
inégalités et des difficultés croissantes pour telle ou telle université
nouvelle ou ancienne, qui se voit affecter des moyens ne correspondant pas
réellement à ses projets de développement. Je citerai, à cet égard, le cas de
l'université de La Rochelle.
Quelle est la situation de la trésorerie ? Pour améliorer la gestion, nous
proposons un signe, le retrait de 2 millions d'euros sur un crédit de 1 211
millions d'euros.
La trésorerie, c'est quand même un vrai problème ! Des études ont déjà été
réalisées sur l'origine de ces trésoreries : une partie des fonds provient des
excédents de subventions ; une autre partie a été apportée par les organismes
de recherche ; une autre partie encore correspond à la capitalisation de moyens
pour financer un investissement ultérieur. C'est dire que les fonds des
trésoreries de roulement ont des origines diverses.
En tant que responsable, un temps, des collèges puis des lycées dans une
grande région, j'ai pu conduire des opérations de modulation, année après
année, du volume des subventions attribuées en fonction de l'état réel de
disponibilité et de liberté d'une trésorerie excessive. Dans le cas présent,
ces réserves correspondent aujourd'hui, il faut le savoir, à un an de
fonctionnement de l'ensemble des universités françaises.
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
Bien sûr !
M. Jean-Philippe Lachenaud,
rapporteur spécial.
Notre objectif est une gestion rationalisée. Nous
voulons attirer l'attention de M. le ministre sur la nécessité, après les
inspections qu'il a très heureusement lancées et auxquelles il a fait allusion,
de modifier et d'améliorer le système de répartition des moyens. Nous entendons
souligner la nécessité de prendre en compte la partie franchement libérée des
fonds de réserve pour moduler les subventions. Tel est l'objet de notre
amendement.
Nous avons noté avec intérêt, monsieur le ministre, que vous partagez ces
soucis de rationalité dans la répartition des moyens de subventions entre les
établissements. En fonction du dialogue qui va se poursuivre, j'arrêterai de
manière définitive ma position sur l'amendement que j'ai cosigné avec M. le
président de la commission des finances et avec M. le rapporteur général.
M. Jean-Pierre Sueur.
Quel embarras ! Vous voilà bien embarrassé !
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, je suis de ceux qui considèrent que, dans le
domaine de l'enseignement supérieur, de l'éducation nationale en général, une
nouvelle donne est en train d'être réalisée et que le ministre, M. Luc Ferry,
par sa personnalité, par son brio, par sa volonté de faire évoluer les
choses...
M. Jean-Pierre Sueur.
... n'a pas besoin d'argent !
(Rires.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
M. le président, je le suppose, donnera la parole à
ceux qui seront habilités par le règlement à s'exprimer !
M. Jacques Valade,
président de la commission des affaires culturelles.
Pas à M. Sueur, car
il a déjà parlé !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Le ministre, M. Luc Ferry, a devant lui des enjeux
tout à fait essentiels, non seulement pour sa mission, ses responsabilités, son
ministère, mais aussi pour le pays. Parmi les novations à apporter, il y a très
certainement celles qui relèvent de la communication et du langage que l'on
doit adopter par rapport à la réalité des choses.
Si le Parlement est une enceinte convenue, où l'on se livre à des exercices
convenus, où l'on distribue les appréciations en fonction du taux
d'augmentation des crédits, où l'on ne prête pas vraiment attention à la
réalité de la gestion, si le Parlement, en quelque sorte, est un lieu où les
votes sont privés d'effet, privés d'intérêt par une sorte d'atmosphère
officielle,...
M. Jean-Philippe Lachenaud,
rapporteur spécial.
Liturgique !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... naturellement, notre République perd elle-même de
sa réalité.
L'exercice auquel nous nous efforçons de nous livrer n'est pas un exercice
facile.
Mme Hélène Luc.
Ça c'est clair !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
C'est un exercice de vérité : nous estimons qu'il ne
sert à rien de répandre des illusions. A partir du moment où la conjoncture est
ce qu'elle est, à partir du moment où la réalité des recettes de 2002 a conduit
à réviser, par une baisse de 700 millions d'euros, la prévision des recettes de
2003, la dépense publique, où qu'elle soit, ne peut être immunisée.
Je suis sûr, monsieur le ministre, que, où que ce soit, et notamment dans le
monde si intelligent de l'enseignement supérieur, on préfère entendre la vérité
plutôt que des messages plus ou moins convenus, qui passent pour être des
signaux optimistes mais en lesquels personne ne croira !
On est assurément d'autant plus fort pour faire avancer les choses, pour les
changer, pour accroître l'effort de la nation dans les domaines les plus
prioritaires que l'on est respecté pour avoir dit la vérité.
Pour notre part, au sein de la commission des finances, nous nous efforçons
simplement d'exercer notre mission et de jouer notre rôle dans l'intérêt de
l'Etat, dans l'intérêt général. Nous avons la chance de disposer, à longueur
d'année, de nos rapporteurs spéciaux, de nos collaborateurs, et nous sommes en
mesure, parfois mieux que d'autres, de dire quelle est la réalité des
budgets.
En vérité, monsieur le ministre, au moment où vous avez pris vos fonctions, à
quelques mois de cette alternance, vous avez observé comme nous que les crédits
votés par la représentation nationale n'arrivent pas toujours où il le
faudrait, comme il le faudrait.
Et le système est tel que des décalages peuvent se produire entre les sommes
que nous votons et le sentiment souvent justifié de rareté ou d'insuffisance
dans un certain nombre d'endroits, dans beaucoup d'universités, notamment.
C'est bien cela la question que nous posons.
Notre université recèle assurément - nous en sommes tous certains - les
meilleurs esprits de la planète et toutes les chances de notre pays pour
l'avenir. Mais sommes-nous certains qu'il est justifié d'avoir fait croître
globalement les réserves de plus de 30 % entre 1995 et 2000 ? Sommes-nous
certains que la réduction, au demeurant symbolique, de 0,16 % que nous suggère
M. le rapporteur spécial est de nature à adresser un signal si négatif que cela
à celles et à ceux qui nous entendent ou qui nous liront ?
Ne sommes-nous pas au contraire en train d'expliquer, par ce type de mesure,
une vérité qui existe ? N'allons-nous pas susciter pour demain et après-demain
plus de confiance, plus d'adhésion à une politique tournée vers l'avenir qui
doit nécessairement aussi être une politique de réforme ?
Alors, oui, cet amendement est le premier de la série. Et c'est vrai, nous
n'avons pas, nous, membres de la commission des finances, le rôle facile.
M. Serge Lagauche.
On va pleurer !
Mme Hélène Luc.
Là, vous êtes en train de chercher un alibi, mais ce n'est pas sérieux !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Nous ne cherchons pas un rôle facile. Mais nous
disons, en toute conscience et à partir des analyses auxquelles nous avons
procédé, que cet amendement, élément d'un ensemble, bien entendu, ne porte
aucunement préjudice aux universités. Il est au contraire de nature à vous
aider, monsieur le ministre, à faire prévaloir les exigences d'une saine
gestion,...
Mme Hélène Luc.
Voyons, voyons, vous n'êtes pas sérieux !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... d'une modernisation qui vous permettra d'apporter
plus à toutes celles et à tous ceux qui le méritent au sein de nos équipes de
recherche et d'enseignement, ainsi qu'aux étudiants, pour véritablement relever
tous les défis qui sont devant nous.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
Mme Hélène Luc.
Ça, c'est scandaleux !
M. le président.
La parole est à M. Claude Estier, pour explication de vote.
M. Claude Estier.
J'ai écouté avec beaucoup d'attention les deux dernières interventions de M.
le rapporteur spécial et de M. le rapporteur général, explications qui me
paraissent d'ailleurs extrêmement embarrassées. C'est tout à fait
compréhensible dans la mesure où ils défendent aujourd'hui une position qui
n'est pas celle qu'ils avaient adoptée à l'origine, lors du débat devant la
commission des finances.
Ce que vient de dire M. Marini est très intéressant, parce que nous avons la
preuve que cette initiative ne concerne pas seulement le budget de
l'université. On nous annonce toute une série d'amendements : autrement dit,
sur tous les budgets qui vont nous être soumis, un amendement sera déposé
tendant à proposer des réductions de crédits pour essayer de retrouver les 700
millions d'euros manquant à l'appel.
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
Non, il ne s'agit pas de 700
millions !
M. Claude Estier.
D'ailleurs, à mon avis, vous ne les trouverez certainement pas !
Cela dit, vous avez parlé d'une nouvelle donne. Alors, nouvelle donne, soit,
mais ce qui m'étonne dans cette affaire, c'est que cette nouvelle donne soit
apparue en vingt-quatre heures ! Le mardi, en effet, l'Assemblée nationale a
voté la loi de finances pour 2003 qui comportait les données présentées à
l'origine par le Gouvernement.
Mme Hélène Luc.
Absolument !
M. Claude Estier.
Et c'est le mercredi matin, c'est-à-dire moins de vingt-quatre heures après,
que l'on s'est aperçu d'un « trou » de 700 millions.
Alors, c'est vraiment du travail en temps réel, comme vous l'avez dit tout à
l'heure ! Encore faut-il dire qu'il y a quand même là une grande première, le
Sénat étant saisi pour la première fois d'un budget qui n'est pas celui qui a
été voté la veille par l'Assemblée nationale.
Nous sommes en présence de toute une série de choses qui d'ailleurs méritent
peut-être une réflexion du Conseil consitutionnel. Cela, nous le verrons
éventuellement le moment venu.
Mais, ce que je veux dire, au stade où nous en sommes aujourd'hui, c'est que
tous les arguments de MM. Lachenaud et Marini selon lesquels, avec 2 millions
d'euros de moins, le budget de M. Ferry serait bien meilleur que celui qui a
été présenté à l'origine, c'est du pipeau ! En effet, il ne s'agit pas
simplement, je le répète, du budget de l'université, puisque nous aurons le
même problème sur tous les budgets qui vont nous être présentés !
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Philippe Lachenaud.
M. Jean-Philippe Lachenaud.
Monsieur le président, je demande au nom du groupe des Républicains et
Indépendants, une suspension de séance de cinq minutes.
M. le président.
Le Sénat va, bien sûr, accéder à votre demande, mon cher collègue.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept
heures quarante-cinq.)