SEANCE DU 2 DECEMBRE 2002


M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant le budget annexe des Monnaies et médailles.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Bertrand Auban, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget que nous examinons aujourd'hui est celui d'un service public entré dans un demi-sommeil, après avoir été particulièrement sollicité depuis 1998 pour la fabrication de l'euro.
En effet, son activité principale, la frappe de notre monnaie courante, s'effondrera en 2003 : il ne sera plus demandé à l'établissement monétaire de Pessac, en Gironde, que de fabriquer 400 millions de pièces d'euros. Si l'on se souvient du pic de production de 2,7 milliards de pièces enregistré en 2000, on prend aisément la mesure de cet effondrement.
Les crédits demandés pour 2003, quasiment divisés par deux par rapport à l'année précédente, s'élèvent à 96 millions d'euros. Cette diminution, certes énorme, résulte essentiellement d'un effet mécanique sur le chapitre des achats, directement lié à l'activité de frappe, qui passe de 101 millions à 24 millions d'euros.
Les frais de personnel diminuent de 3 % et s'établissent désormais à 47 millions d'euros. Les embauches ont été gelées après les recrutements effectués en 1997 et en 1998, et aucun départ en retraite n'est compensé. Du reste, 82 postes vacants d'ouvrier sont supprimés, ce qui ramène l'effectif autorisé à 857 postes.
Parallèlement, les recettes d'exploitation, divisées par trois, tombent à 66 millions d'euros. Quasiment privée de sa recette « administrative » provenant de la cession des pièces de monnaie françaises au Trésor, la direction des Monnaies et médailles dépend désormais essentiellement d'activités commerciales, fortement concurrentielles. Certaines demeurent dans sa tradition : c'est le cas de la fabrication des monnaies courantes étrangères, des monnaies de collection, des médailles, des décorations, etc. D'autres s'en éloignent un peu, comme les fontes d'art ou les créations de bijoux. Quoi qu'il en soit, la prévision de recettes commerciales de 45 millions d'euros semble à la fois réaliste et volontariste.
Dès lors que les recettes diminuent davantage que les dépenses, le budget annexe, qui, depuis 1999, était présenté d'emblée en équilibre, ne peut se passer en 2003 du recours à une subvention, d'un montant sans précédent de 30 millions d'euros, représentant le prix à payer pour sauvegarder le savoir-faire et l'outil industriel de la Monnaie de Paris.
J'en viens aux observations, voire aux inquiétudes, que cette situation m'inspire.
Le bon déroulement du passage à l'euro ne doit pas occulter le fait qu'il a été demandé trop de pièces à la Monnaie de Paris, par suite d'une surestimation de la quantité de monnaie métallique en circulation. Ainsi, 8,9 milliards de pièces d'euros ont été produites alors que seules 5,1 milliards d'entre elles ont été injectées dans le circuit économique, soit un surplus de 43 %.
S'agissant du projet de budget pour 2003, il n'est pas exclu que certains chapitres de dépenses soient surestimés et fassent ultérieurement l'objet d'annulations de crédits.
On ne peut nier un effort d'adaptation à la récession, notamment une gestion rationalisée des ressources humaines qui, au-delà des suppressions de postes, porte sur le développement de la polyvalence, le recentrage sur les métiers de la monnaie, ainsi que sur de possibles redéploiements de fonctionnaires d'administration centrale au sein du ministère de tutelle.
Par ailleurs, une réorganisation des activités devrait permettre la rentabilisation des plus porteuses - je précise que certaines d'entre elles ont déjà été transférées de Paris vers l'établissement monétaire de Pessac, aujourd'hui surdimensionné - et la disparition des activités structurellement déficitaires.
Enfin, une réflexion approfondie sur les achats a conduit à des progrès en termes d'expression des besoins, de gestion des délais, d'application des procédures, et à l'utilisation plus systématique des techniques de négociation. En outre, la démonétisation du franc devrait favoriser la reconstitution, à bon prix, de stocks de métaux et d'alliages.
Ces orientations sont bonnes, mais des synergies devraient pouvoir être trouvées, notamment avec la direction du Trésor et la Banque de France, pour lesquelles la direction des Monnaies et médailles doit rester un prestataire prioritaire de services.
Je voudrais maintenant évoquer la stratégie commerciale de la Monnaie de Paris. Remporter de nouveaux appels d'offres de monnaies courantes étrangères est indispensable, mais non suffisant. Consciente de cela, la direction des Monnaies et médailles veut attirer les collectionneurs et amateurs de productions d'art. Son idée-force est de faire de la Monnaie de Paris un centre de création artistique, en exploitant au mieux le concept de marque « Monnaie de Paris ». Ce défi, certes à la hauteur du savoir-faire de cet établissement, constitue néanmoins un pari risqué en termes de compétitivité des prix.
Incontestablement, l'avenir de la Monnaie de Paris est préoccupant. Celle-ci est menacée jusque dans ses activités monopolistiques : nul ne sait aujourd'hui si tous les instituts monétaires européens survivront au sein de l'Europe.
Par ailleurs, une réflexion s'impose sur les conséquences du recours au porte-monnaie électronique, utilisable pour les paiements d'au plus trente euros. Estimé coûteux aujourd'hui, le porte-monnaie électronique peut, à terme, être jugé pratique et sûr. Le recours à cette monnaie virtuelle ralentirait alors significativement la circulation, et donc la fabrication, des pièces métalliques.
Monsieur le ministre, dans le contexte de vide de l'« après euro », comment percevez-vous l'avenir de la direction des Monnaies et médailles, dont le personnel est aujourd'hui quelque peu désorienté ? Sous réserve de ces observations, il est proposé au Sénat d'adopter les crédits du budget annexe des Monnaies et médailles.
M. le président. J'indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé à cinq minutes le temps de parole dont chaque groupe dispose pour cette discussion.
La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais formuler, en préambule, une réflexion à caractère général et républicain.
Chaque année, le Parlement examine la situation des institutions ou emblèmes républicains au travers de leurs projets de budget, qu'il s'agisse du Journal officiel , journal de la République, de la Légion d'honneur, emblème et récompense des républiques et même, jadis, du Consulat, des palmes académiques, emblème des récompenses de l'éducation et de la culture républicaines, du Conseil d'Etat, structure suprême du jugement républicain, mais aussi des Monnaies et médailles de l'Etat républicain.
Je constate que ces institutions demeurent car elles sont capables de s'adapter aux changements entraînés par l'évolution de la République, ou plutôt des républiques. C'est le cas des Monnaies et médailles.
Il est une théorie devenue étonnante, peut-être même révolutionnaire. Dans un ouvrage qui vient d'être publié, La Tragédie monétaire, que vous pouvez trouver à la bibliothèque du Sénat, Pierre Lecomte démontre que « l'idée de l'étalon-or est une idée fondatrice de justice, de liberté et de prospérité ». Il ajoute qu'« elle ne pourra jamais disparaître parce qu'elle est incontournable, tant pour réguler la mondialisation que pour rétablir la stabilité monétaire et financière internationale ».
Bien entendu, je n'accepte pas forcément toute cette théorie, mais elle induit une idée forte, à savoir que les monnaies ne laisseront pas la nation « la plus riche du monde conserver le privilège d'émettre la monnaie internationale et de pouvoir acheter une partie importante des biens du monde avec du simple papier ».
Les Monnaies et médailles ont toujours su s'adapter. Avec le passage à l'euro, l'Hôtel des Monnaies et médailles était, aux yeux de certains, voué à la disparition. Son bilan est remarquable et le rapport de M. Bertrand Auban indique que « le programme de frappe initialement prévu à 7,6 milliards de pièces a été porté à 8,141 milliards de pièces ». A la fin de 2001, la direction des Monnaies et médailles avait atteint l'objectif à 96 %. Mais, en 2003, la production nationale se réduira de près de 64 %. En revanche, la Monnaie de Paris affiche une prévision de production de 15 % des pièces « Europe 2003 », des séries de pièces courantes françaises et de pièces « commémoratives », dont celles du Tour de France.
D'autres autouts existent, grâce aux séries « belle épreuve » et « brillant universel » commandées par Monaco. Du savoir-faire des Monnaies et médailles résultent des commandes comme celles de la Grèce, de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie.
Devra également apparaître, sous forme de crédits et recettes, la progression du chiffre d'affaires export, portant sur les poinçons, les cachets de douanes et les timbres secs. Des marchés nouveaux, y compris européens, s'offrent aux Monnaies et médailles : la direction ne doit-elle pas se montrer plus ambitieuse ? La subvention d'Etat de 30 millions d'euros doit s'accompagner de projets, non pas seulement pour l'établissement parisien, mais aussi pour l'établissement monétaire, davantage fragilisé, de Pessac.
Il a été indiqué tout à l'heure que la réduction de 3,5 millions d'euros des crédits serait largement supportable par le budget des Monnaies et médailles. Je proteste contre cette vision des choses.
Premièrement, ce sont exclusivement les personnels qui feront les frais de cette réduction portant notamment sur les salaires et les indemnités. Cela est injuste : vous décidez à l'avance que les crédits destinés à financer les dépenses de personnel seraient trop importants. Cela signifie également que vous n'avez nullement confiance dans le plan de relance de l'administration des Monnaies et médailles, qui, avec le personnel, a l'intention de se battre pour redresser une situation loin d'être définitivement compromise.
Avant d'aborder les possibilités de développement et de renouveau, je voudrais attirer l'attention sur la situation assez dramatique dans laquelle se trouve plongé l'Hôtel des Monnaies et médailles : le laminoir de Pessac est arrêté ; quatre-vingt-deux départs à la retraite ne sont pas compensés ; les acquis sociaux sont remis en cause ; les salaires sont insuffisamment revalorisés.
Cette année, le projet de budget est très insuffisant, comme l'est, notoirement, la subvention de 30 millions d'euros, pour répondre à la crise que traversent les Monnaies et médailles.
Le projet de budget annexe des Monnaies et médailles présente des prévisions de dépenses divisées par deux par rapport à 2001. Elles s'élèvent à 96,4 millions d'euros, en diminution de 86,4 millions d'euros par rapport à 2002. Les crédits du chapitre « achats » décroissent de 76,5 %, la baisse atteignant 89 % pour l'établissement de Pessac. Quant aux recettes, divisées par trois, elles s'établissent à 66 millions d'euros.
Pour aggraver cette situation déjà inquiétante, vous proposez une réduction des crédits. Pour la Monnaie, votre proposition de réduction de 3,5 millions d'euros des crédits affectera quatre chapitres : 1,5 million d'euros au titre des charges, le même montant au titre des traitements externes, 0,2 million d'euros de primes et indemnités et 0,3 million d'euros au titre des prestations et cotisations sociales.
Comment l'Hôtel des Monnaies et médailles, privé des aides nécessaires et victime maintenant de ce mauvais coup, pourra-t-il envisager son redressement ? Car ce redressement est possible ! N'y aurait-il que M. Marini pour ne pas y croire ?
Avec cette nouvelle proposition, on aggrave la situation des Monnaies et médailles et on ruine l'espoir justifié par un plan de reclassement que présente de façon encore trop timide la direction des Monnaies et médailles, ainsi que l'action des organisations syndicales ; qui croient en une possibilité de renouveau des Monnaies et médailles, de même que M. le rapporteur spécial et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
J'ai rencontré les représentants des salariés : ils sont conscients de la gravité de la situation, mais aussi de l'existence de possibilités réelles, qui peuvent se révéler fécondes.
Premièrement, il convient de conserver l'unité de l'Hôtel des Monnaies et médailles, en développant les deux sites de Paris et de Pessac de façon complémentaire, ainsi que l'ensemble de l'outil de travail.
Deuxièmement, une offre internationale doit se développer. Le savoir-faire des ouvriers, des créateurs, peut-être mis au service d'autres pays, dans le cadre d'une coopération à mettre en place.
Troisièmement, la nécessité de créer et de produire de nouvelles petites pièces mieux étudiées apparaît. Autant les pièces d'un euro et de deux euros sont réussies, fonctionnelles et admises, autant les plus petites seront à revoir. Il faudra d'ailleurs peut-être en accroître le nombre.
Quatrièmement, ne faut-il pas maintenir l'exclusivité de la fabrication des médailles officielles, du type de la Légion d'honneur ?
Cinquièmement, la qualité des petites pièces est loin d'être parfaite. Un tri régulier des pièces endommagées est nécessaire. Un service de la Monnaie ne devrait-il pas s'en charger ?
Sixièmement, la livraison des pièces ne devrait-elle pas également revenir à la Monnaie ?
Septièmement, en matière artistique, Paris ne peut-il pas développer la fabrication des médailles commémoratives destinées à la désignation d'établissements ? A cet égard, il existe un savoir-faire exceptionnel, qui reste à valoriser.
Les pistes de recherche ne manquent pas. Je constate, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, que le Gouvernement n'a pas la volonté d'aller assez loin, assez vite pour les explorer. Notre groupe ne votera donc pas ce projet de budget, qui a été encore amputé par rapport aux propositions initiales. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. J'indique, pour la troisième fois, que je répondrai au rapporteur spécial conformément au principe retenu pour la discussion modernisée de la deuxième partie du projet de loi de finances.
Je voudrais tout d'abord dire à M. Bertrand Auban que j'ai retrouvé, dans son rapport, la qualité maintenant légendaire des travaux de la commission des finances.
Je soulignerai que la direction des Monnaies et médailles tient compte de l'évolution de la circulation des moyens monétaires, qui a abouti à une véritable contraction, constatée dans l'ensemble de la zone euro à partir du début de l'année 2002. Elle a d'ailleurs démontré sa capacité à adapter son outil de production à la première mise en circulation de l'euro et à réaliser des programmes de frappe tout à fait exceptionnels, qui font notre fierté. Je tenais à insister sur ce point.
Ce phénomène de contraction de la circulation fiduciaire a d'ailleurs concerné les pièces comme les billets. Il est probable que les encaisses dormantes, c'est-à-dire les pièces stockées, pour des raisons diverses, par les particuliers, les commerçants, les entreprises ou les banques, et qui représentent traditionnellement une part importante de la circulation fiduciaire, se reconstituent très lentement. C'est, en tout cas, l'explication que nous avons trouvée à cette situation.
Alors qu'il était prévu de frapper, en 2002, 2,1 milliards d'euros métalliques, ce contingent a été ramené à 1,1 milliard d'euros pour tenir compte des besoins réels. En 2003, le programme de frappe des monnaies courantes françaises atteindra, au total, 400 millions d'euros métalliques, avec des valeurs faciales comprises entre un et dix centimes.
Une telle réduction d'activité impose donc la recherche de solutions pérennes, qui permettent aux Monnaies et médailles de sauvegarder leur savoir-faire séculaire, tout en s'adaptant aux réalités économiques d'aujourd'hui et de demain.
Quels sont les objectifs de la direction des Monnaies et médailles ? L'évolution économique, qui s'inscrit dans la durée, appelle des mesures adaptées conduisant à résorber le déficit de l'activité concurrentielle et à redimensionner l'établissement monétaire de Pessac. En pratique, un certain nombre d'orientations, différenciées selon les sites, sont d'ores et déjà mises en oeuvre.
Pour le site de Pessac, un plan d'urgence a été mis en place, s'articulant autour de trois axes : la préservation de l'emploi, la sauvegarde du savoir-faire industriel et la préférence donnée à l'emploi industriel sur l'emploi administratif.
Pour l'établissement parisien, l'analyse du déficit structurel de l'établissement a été engagée, par le biais de l'examen de la rentabilité des produits du secteur concurrentiel et de l'amélioration de leur commercialisation.
Ces mesures visent à compléter l'action déterminée que la direction des Monnaies et médailles a entreprise en vue de réduire le déficit prévisionnel pour l'année 2003.
Sur le fond, M. le rapporteur spécial m'a demandé de tracer des perspectives d'avenir pour les Monnaies et médailles, après la frappe de l'euro. Je lui répondrai que la direction des Monnaies et médailles veille à ce que le savoir-faire des établissements soit sauvegardé. Néanmoins, personne n'échappe, c'est la loi de l'économie, à l'obligation de recentrer son activité sur ses métiers de base, notamment, en l'occurrence, sur la mission de frappe des monnaies métalliques.
Dans un contexte de surcapacité provoquée par l'introduction de l'euro, le marché international est devenu de plus en plus difficile. Cependant, des besoins existent et la Monnaie de Paris optimisera tous les éléments de coût qui entrent dans la détermination de ses prix, ce qui, au fond, représente la meilleure chance d'améliorer sa performance.
Le transfert à Pessac des activités liées au domaine monétaire est d'ores et déjà engagé. S'agissant de l'établissement parisien, la résorption de son déficit structurel constituera le principal défi à relever. Il conviendra d'évaluer rapidement la rentabilité relative, comme je le disais tout à l'heure, des activités commerciales de la Monnaie de Paris qui s'exercent dans le secteur concurrentiel, afin de rectifier la situation existante, en tant que de besoin, et de rétablir un niveau normal et acceptable de productivité pour de telles activités.
Pour conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais vous dire que je me réjouis du très vif souci de concertation que manifeste le nouveau directeur des Monnaies et médailles, dont je salue d'ailleurs la présence au banc du Gouvernement, afin que l'évolution de ce service public puisse se poursuivre, au terme de la frappe de l'euro, dans les meilleures conditions et à la satisfaction de tous. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits concernant le budget annexe des Monnaies et Médailles et figurant aux articles 40 et 41 du projet de loi.

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