SEANCE DU 4 DECEMBRE 2002


M. le président. « Titre IV : 647 322 euros. »
Je mets aux voix les crédits figurant au titre IV.

(Ces crédits sont adoptés.)

ÉTAT C



M. le président. « Titre V. - Autorisations de programme : 8 970 000 euros ;
« Crédits de paiement : 2 602 000 euros. »
Je mets aux voix les crédits figurant au titre V.

(Ces crédits sont adoptés.)
M. le président. « Titre VI. - Autorisations de programme : 406 967 000 euros ;
« Crédits de paiement : 118 414 000 euros. »
Je mets aux voix les crédits figurant au titre VI.

(Ces crédits sont adoptés.)
M. le président. Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernantl'outre-mer.

Affaires étrangères

M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant les affaires étrangères.
Mes chers collègues, M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, nous prie de bien vouloir excuser son absence : il est aujourd'hui à Berlin avec le Président de la République et le Chancelier Schröder.
Nous avons toutefois le plaisir d'accueillir au banc du Gouvernement M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, et M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères.
La parole est à M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial.
M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, pour les affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, lors de l'examen du projet de budget du ministère des affaires étrangères pour 2002, j'avais dénoncé les impasses budgétaires, la diminution des crédits et le mauvais traitement réservé à un ministère régalien. Ces observations, partagées par mes éminents collègues de la commission des affaires étrangères, avaient conduit le Sénat à rejeter le budget, malgré la « tradition » républicaine qui consiste à voter ces crédits en période de cohabitation.
Mon analyse s'est malheureusement révélée exacte, puisque nous avons voté, dans le cadre de la loi de finances rectificative du 6 août 2002, des rallonges de crédits substantielles au profit du ministère des affaires étrangères.
Le budget du ministère des affaires étrangères pour 2002 a en revanche été une victime privilégiée de la régulation budgétaire. On ne peut évidemment pas se satisfaire d'un budget dans lequel l'autorisation du Parlement est bafouée parce que les prévisions de dépenses ne sont pas sincères et que les crédits votés ne peuvent pas être engagés.
La régulation budgétaire, dirait un bon auteur, est un mystère français destiné à répondre au vertige financier du présent.
Ses conséquences sont particulièrement néfastes pour les affaires étrangères. En effet, les projets de nos postes à l'étranger nécessitent un important travail de programmation. On ne peut pas, à la dernière minute, organiser une tournée du théâtre des Amandiers de Nanterre ou d'un corps de ballet aux Etats-Unis ou en Russie ! Des accords de coopération doivent être passés au préalable avec des partenaires locaux et, lorsque le gel « monarchique » intervient, ces projets sont bloqués alors que la France a donné sa parole, ce qui met les postes dans une situation particulièrement difficile. Fort heureusement, la parité entre l'euro et le dollar a évolué favorablement et le ministère des affaires étrangères a pu obtenir de Bercy une levée partielle du gel de ses crédits sans laquelle il eût été impossible à la plupart de nos postes à l'étranger de boucler la gestion de l'exercice.
En raison des missions qui sont les siennes, le ministère des affaires étrangères doit connaître précisément à l'avance les crédits dont il peut disposer pour l'ensemble de l'année. Il faut donc se féliciter de l'initiative du ministre délégué au budget, Alain Lambert, visant à annoncer très tôt dans l'année les crédits susceptibles d'être l'objet de mesures de régulation. C'est un pas dans la bonne direction, même s'il est insuffisant.
Il me fallait rappeler les principaux traits de l'exercice budgétaire en cours pour vous présenter le projet de budget qui nous est soumis. Celui-ci constitue, selon M. Dominique de Villepin, un budget de « sincérité » et de « transition » qui implique le choix du mouvement, et donc des trois exigences de la vérité, de la volonté et des résultats, exigences qu'il assigne à notre pays dans son dernier ouvrage.
C'est un budget de sincérité, car il vise à fixer les dotations en loi de finances initiale en fonction des prévisions de dépenses. Cet objectif se traduit par une hausse importante des crédits de paiement inscrits sur le fonds européen de développement et par une hausse, plus modérée cependant, des dotations consacrées aux contributions obligatoires et aux rémunérations des personnels.
Le projet de budget des affaires étrangères pour 2003 s'élève à 4,114 milliards d'euros, soit une hausse apparente de 13,3 %. Elle doit cependant être relativisée puisqu'elle n'est plus que de 5,6 % si on la compare à l'ensemble des crédits ouverts en 2002, y compris ceux de la loi de finances rectificative. Par ailleurs, si l'on considère l'évolution des moyens du ministère à périmètre constant sans prendre en compte la création des nouveaux contrats de désendettement-développement, qui sont dotés de 91 millions d'euros, la hausse réelle est inférieure à 3 %.
C'est un projet de budget de transistion qui vise à rétablir le cap par rapport aux années antérieures, mais cette opération ne peut s'effectuer d'un seul coup de barre - fût-il donné par Ellen Mac Arthur (Sourires) - dans le contexte budgétaire difficile que connaît notre pays.
Par conséquent, le ministère a dû établir deux priorités, qui ont été fixées par le Président de la République : la relance de notre aide publique au développement et l'amélioration des procédures d'instruction des demandes d'asile. Mon éminent collègue Michel Charasse, rapporteur spécial des crédits de l'aide publique au développement, vous en entretiendra avec infiniment de compétence.
La réforme des procédures d'asile implique, dès 2003, la création de soixante-six postes supplémentaires pour réduire les délais d'instruction des demandes et l'augmentation de près d'un quart de la subvention versée à l'Office français pour la protection des réfugiés et des apatrides, l'OFPRA.
L'accélération des procédures est indispensable, mais le problème de fond reste que notre système actuel fabrique des sans-papiers. Sur cent demandes d'asile, quatre-vingt-dix sont refusées, mais seules trois à quatre personnes sont expulsées. Les autres demandeurs ne répondent pas aux critères d'expulsion, se voient repoussés par leur pays d'origine ou, pour la plupart d'entre eux, disparaissent dans la nature. Par conséquent, la réforme annoncée par le Président de la République doit permettre d'enregistrer de réels progrès, mais l'accélération de l'examen des dossiers accroîtra, dans un premier temps, le nombre de sans-papiers si l'on ne rend pas plus efficace l'application des décisions de refus d'asile et si l'on n'améliore pas les contrôles aux frontières.
A titre d'exemple, l'aéroport de Roissy, qui constitue l'une des principales portes d'entrée des immigrants clandestins dans notre pays, a été aménagé dans une perspective commerciale et de confort des passagers. En revanche, il ne répond à aucune règle de sécurité. Lorsque l'on descend d'avion, il est très facile de disparaître quelques minutes dans les toilettes pour déchirer ses papiers et de se présenter au contrôle des frontières en prétendant ne pas connaître son nom. Ainsi, on est un demandeur d'asile supplémentaire.
Actuellement, l'aérogare de Roissy est comme le deuxième étage des Galeries Lafayette : on peut y faire tout ce qu'on veut, sauf être contrôlé ! Ce problème est grave. Si l'on veut régulariser les entrées et contrôler les flux migratoires, il faut mener une action coordonnée entre les ministères compétents.
Si l'OFPRA se voit doté de moyens supplémentaires, ce n'est pas le cas des services des visas, que le rapporteur de l'Assemblée nationale avait qualifiés, voilà deux ans, de « parents pauvres » du ministère des affaires étrangères. Des recrutements ont été effectués mais, compte tenu de la progression de la demande, le ministère évalue aujourd'hui à quatre-vingts personnes le déficit en emplois de ces services. Or le projet de budget prévoit cinquante-sept suppressions d'emplois. Par conséquent, les quatre-vingts emplois manquants devront être pourvus par redéploiement, et rien ne dit que ces personnes auront une qualification quelconque dans le domaine de l'instruction des demandes de visas. L'enjeu est de taille.
J'ai pu constater, à l'occasion de déplacements à l'étranger, combien les moyens en personnel de ces services étaient insuffisants. En effet, le nombre de dossiers qu'un agent peut traiter par an est évalué à 3 000, et à 2 500 dans les zones à fort risque migratoire. Or, entre 2000 et 2001, ce nombre est passé de 3 830 à 4 120, ce qui signifie que l'examen des demandes de visas est de plus en plus rapide et superficiel.
En outre, il est évident que les indispensables recrutés locaux travaillant dans ces services peuvent être soumis à de fortes, voire à de dangereuses pressions. Il est donc indispensable que les notifications de refus soient faites par des agents expatriés qui ne restent pas trop longtemps dans le pays.
Comme chaque année, je constate que les contributions volontaires aux organisations relevant des Nations unies servent de variable d'ajustement à notre budget et, comme chaque année, je déplore que la France occupe parmi les pays contributeurs un très médiocre douzième rang, ce qui n'est pas concevable de la part d'un membre permanent du Conseil de sécurité et réduit notre rôle dans de nombreux organismes de l'Organisation des Nations unies.
Dans d'autres domaines, le ministère des affaires étrangères est « au milieu du gué ». L'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, l'AEFE, extrêmement chère à tous mes collègues sénateurs des Français de l'étranger, présente une situation financière extrêmement inquiétante. Son fonds de réserve ne correspond plus qu'à six jours de fonctionnement et il lui faudra réaliser une économie de 6,4 millions d'euros au cours de l'exercice 2003. Le collectif de fin d'année prévoit une dotation de 4 millions d'euros, qui permettra d'augmenter quelque peu les ressources du fonds de roulement, mais qui ne règle pas le problème.
Les Français qui sont installés à l'étranger demandent pourtant instamment de pouvoir assurer à leurs enfants une scolarité dans un système éducatif français. C'est une priorité.
Nous envisageons, bien entendu, des économies. L'une d'elles consisterait à déconventionner les établissements à l'étranger où le nombre d'élèves francais est faible. En tout état de cause, il faut explorer de nouvelles pistes de financement, et des priorités très claires doivent être assignées à l'AEFE. La conclusion d'un contrat d'objectifs et de moyens permettrait peut-être de répondre à cette exigence, car, monsieur le ministre délégué, monsieur le secrétaire d'Etat, l'inquiétude sur l'avenir de l'AEFE est extrêmement forte.
Un autre volet de l'action du ministère est suspendu à des décisions qui doivent intervenir mais qui n'ont pas encore été définitivement arrêtées : il s'agit de l'audiovisuel extérieur. Les aides à la présence des chaînes françaises sur les bouquets satellitaires sont réduites en 2003 et seront supprimées en 2004, ce qui traduit l'échec de cette politique.
Quant aux autres acteurs de notre politique audiovisuelle extérieure, Radio France Internationale, Canal France International et TV5 ont été modernisés au cours des dernières années grâce, en particulier, aux investissements très importants qui ont été réalisés pour numériser leur production. Mais, dans l'immédiat, ces acteurs télévisuels ont pour public essentiel les communautés française et francophone.
Or, à travers l'avenir de l'audiovisuel extérieur, c'est la conception de la francophonie et du rayonnement culturel de notre pays qui est en jeu. Il s'agit de savoir si nous avons la volonté de toucher des publics non francophones, tels que ceux du Moyen-Orient ou d'Asie.
La création d'une chaîne internationale d'information en continu devrait faire l'objet d'une dotation de crédits en loi de finances rectificative. L'idée est excellente, mais il faudra prévoir des moyens importants. D'ailleurs, la situation décrite par le projet de budget qui nous est soumis est provisoire dans ce domaine, d'autant plus que la négociation engagée avec RFI pour conclure un contrat d'objectifs et de moyens a échoué.
Le recentrage des actions et du réseau du ministère des affaires étrangères est encouragé par la mise en oeuvre des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances. Le ministère a d'ores et déjà engagé des réformes importantes, notamment en matière de comptabilité et de globalisation des crédits. Toutefois, je vous suggère, monsieur le ministre délégué, monsieur le secrétaire d'Etat, de mettre en oeuvre un véritable contrôle de gestion. Ce sera un progrès considérable, car les procédures actuelles ne sont ni efficaces ni efficientes. Les petites ambassades sont submergées par des paperasseries aussi incompréhensibles qu'inutiles et le montage des dossiers leur prend un temps considérable. Je pense, par exemple, au COCOP, le comité d'orientation, de coordination et de projets.
Il est par conséquent nécessaire d'adapter les contrôles et les exigences formelles aux enjeux financiers et aux moyens humains. C'est un gage d'efficacité de la dépense.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, je me permets également d'appeler votre attention, comme je l'ai fait dans mon rapport écrit, sur des domaines dans lesquels des progrès restent à faire ; c'est le cas en particulier de l'immobilier. L'insuffisante coordination des services et le formalisme des procédures sont la cause essentielle de très nombreux dysfonctionnements, notamment à Chypre. Je souligne également, mais mes collègues interviendront sur ce sujet, l'importance des bourses dans l'enseignement supérieur pour faire venir davantage d'étudiants étrangers dans les écoles et les universités de notre pays, ce qui implique l'amélioration de leur accueil.
Mes chers collègues, le ministre des affaires étrangères souhaite renforcer son rôle de synthèse et de coordination de l'action extérieure de la France. Je souscris pleinement à cet objectif pour avoir, hélas ! trop souvent constaté les effets désastreux de l'absence de cohérence et de cohésion des services dans nos postes à l'étranger. Cette révolution pacifique passe par un renforcement du rôle et de l'autorité de l'ambassadeur sur l'ensemble des services français présents à l'étranger.
A vouloir tout faire, on ne fait rien convenablement, surtout lorsque l'on ne dispose pas des moyens adéquats. Il faut fixer des priorités très claires à notre action extérieure.
Notre réseau à l'étranger est le plus important au monde après celui des Etats-Unis. Au cours des dernières années, il n'a subi que des évolutions « cosmétiques ». Or l'ampleur de ce réseau a un coût extraordinairement élevé, qui réduit d'autant les crédits d'intervention du ministère.
Monsieur le ministre délégué, monsieur le secrétaire d'Etat, est-il réellement indispensable d'entretenir aujourd'hui six consulats en Allemagne, avec 315 expatriés dans l'ensemble des services administratifs français dans ce pays, alors que nous en avons trois fois moins en Chine et cinq fois moins en Pologne ? Est-il indispensable de conserver trois consulats en Belgique, avec un effectif de 45 personnes ? Je pourrais multiplier les exemples et citer encore notre consulat à Edimbourg...
Ne faudrait-il pas plutôt réduire notre réseau au sein de l'Union européenne pour renforcer notre présence dans les pays d'Europe centrale et orientale candidats à l'adhésion à l'Union européenne, en Chine et dans les pays émergents ?
En matière d'implantation de nos postes diplomatiques, le choix du mouvement doit être la règle, même si, selon mon auteur favori, « penser le destin français est une tâche redoutable ».
La volonté de rompre avec les mauvaises habitudes budgétaires du passé et l'espoir d'une plus grande cohérence de l'action extérieure de la France à l'avenir ont conduit la commission des finances, mes chers collègues, à proposer au Sénat l'adoption des crédits des affaires étrangères pour 2003. M. le ministre des affaires étrangères sait en effet que le temps est venu d'entendre le cri des mille gargouilles de Notre-Dame et il veut chasser sur ses terres d'élection : l'imagination, le courage, l'humilité, l'éthique, l'action. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, rapporteur spécial.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, pour l'aide au développement. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à la suite des attentats du 11 septembre 2001, le monde a commencé à porter une un peu plus grande attention aux pays en voie de développement et à la fracture économique Nord-Sud, perçue comme un des facteurs aggravants si ce n'est créateurs de la vague inédite de terrorisme à l'encontre de l'Occident.
Diverses crises, telles que la famine en Angola ou le conflit afghan, ainsi que d'importantes intiatives internationales - sommets de Monterrey et de Kananaskis, NEPAD africain, sommet de Johannesburg - ont alimenté la problématique du développement comme elles en ont souligné les cruelles défaillances.
Le contexte international est donc aujourd'hui plus favorable à l'aide au développement, mais la vigilance s'impose, car les intérêts sont encore divergents et les projets de partenariat Nord-Sud sont parfois plus conformes à la rhétorique qu'à une exigence de contenu réel.
La France a fait entendre sa voix et entend jouer un rôle moteur dans le soutien aux pays pauvres, mais tend surtout à passer aux actes - enfin ! dirions-nous à la commission des finances - en amorçant la reprise d'un effort important, ou en tout cas plus important, en faveur de l'aide publique au développement.
Au-delà des nouveaux moyens financiers, cependant, certaines orientations demeurent contestables et la stratégie de long terme mérite d'être affinée.
L'effort français d'aide publique au développement a connu une décennie de recul et a chuté de 0,42 % du PIB en 1996 à 0,31 % en 2000. Je voudrais d'ailleurs rappeler qu'à une époque où j'exerçais moi-même certaines responsabilités gouvernementales nous avions atteint 0,66 % ou 0,67 %.
Quant à l'aide agricole, qui inclut les apports nets de capitaux privés, sa diminution est encore plus marquée puisqu'elle est passée de 2 % du PIB en 1982 à moins de 0,6 % en 1999.
L'aide publique au développement, l'APD, tend ou commence à tendre aujourd'hui à se redresser et elle a fait cette année l'objet d'engagements présidentiels fermes. Elle devrait ainsi être relevée à 0,39 % du PIB en 2003, atteindre 0,5 % en 2005 et se conformer à l'objectif des Nations unies de 0,7 % d'ici à 2010. J'ajoute que les méthodes de calcul nous sont défavorables puisque un certain nombre d'aides spécifiques de coopération française n'entrent pas dans le calcul de l'APD, et je pense, en particulier, à la coopération militaire.
Il semble donc que la France prenne enfin la mesure de cette ardente obligation, mais l'ampleur de la tâche est immense et les inégalités tendent à s'accroître, particulièrement en Afrique, qui fait toujours figure de « continent oublié » de la croissance économique et est très affectée par la pandémie du sida.
Il faut également espérer que l'exécution bugétaire soit plus conforme aux prévisions qu'elle ne l'a été depuis deux ans, et plus particulièrement cette année. Si la régulation budgétaire demeure un mal nécessaire, particulièrement en ces temps de pénurie fiscale et d'atonie économique, il reste que la coopération et le développement font malheureusement trop souvent office de variable d'ajustement. Il faut dire que les affamés des pays que nous aidons ne défilent pas dans les cortèges à la Bastille, a fortiori en tête des cortèges...
Les perspectives budgétaires passablement dégradées pour 2003 imposent toutefois d'améliorer la gestion et d'accroître notablement par rapport à 2002 la consommation des crédits de certains chapitres. Il n'est en effet pas admissible que des gaspillages, chasses gardées et zones d'ombre perdurent, alors que les affaires étrangères et l'aide au développement bénéficient d'un traitement budgétaire favorable dans un contexte global très contraint.
J'attire donc votre attention, monsieur le ministre délégué, sur le fait qu'une gestion efficace de l'exécution des dépenses constitue une condition nécessaire pour que la régulation atteigne des proportions raisonnables et pour que la crédibilité budgétaire de l'action extérieure soit assurée.
La France, mes chers collègues, nous l'avions dit et répété en commission des finances, avait perdu sa position de leader de l'aide au développement au cours des années passées. Elle était ainsi en 2001 le cinquième donateur de l'OCDE en montant absolu - derrière le Royaume-Uni, qui a récemment entrepris un important effort en la matière - et le septième en part du PIB. Je rappelle que les Etats les plus généreux sont habituellement les pays scandinaves, qui sont les rares Etats à dépasser l'objectif des Nations unies de 0,7 %. La France n'a toutefois pas fait exception à la tendance globale à la diminution de l'aide au développement au sein du G7. Je ne le dis pas pour nous rassurer, mais nous n'étions donc pas, de ce point de vue, dans une situation isolée.
La baisse de l'aide française au cours de la décennie quatre-vingt-dix s'est portée essentiellement sur l'aide bilatérale, alors que les crédits alloués à l'aide multilatérale et en particulier européenne ont augmenté. Les crédits d'aide européens ont ainsi doublé entre 1996 et 2002.
Le projet de budget pour 2003 inverse heureusement cette tendance, avec une progression de 20,4 % de l'aide bilatérale et une diminution de 9 % de l'aide multilatérale, ce dont il faut se féliciter, car les crédits s'empilent à Bruxelles. C'est un drame permanent que Bruxelles ne fasse rien des moyens que lui donnent les Etats membres, en particulier la France, premier donateur !
L'aide au développement est une politique publique transversale par nature et les intervenants sont très nombreux ; l'aide est de ce fait dispersée. Outre les deux principaux chefs de file que sont les ministères des affaires étrangères et des finances, qui lui consacrent respectivement 1,9 milliard d'euros et 1 milliard d'euros de crédits budgétaires, une dizaine de ministères techniques apportent leur concours : l'éducation nationale, la recherche, qui subventionne abondamment certains organismes publics, l'agriculture, qui finance l'achat de l'aide alimentaire, et beaucoup d'autres ministères qui sont impliqués pour des montants en général réduits, à savoir l'intérieur, l'écologie, la culture, la santé, l'équipement, la justice et les sports.
Au total, ces ministères apportent une contribution de 295 millions d'euros, soit 9,3 % de l'ensemble des crédits budgétaires de l'APD.
Ces crédits budgétaires ne constituent pas l'effort global d'aide publique, puisque près de 46 % des crédits d'aide au développement ne transitent pas par le budget général mais par le prélèvement européen sur recettes, qui financent les affaires européennes, et des comptes spéciaux du Trésor, qui financent notamment les consolidations de dettes envers la France et une partie des ressources de l'Agence française de développement.
Il résulte de cette caractéristique et de la multiplicité des intervenants un manque réel de lisibilité et de cohérence, que la récente fusion des ministères des affaires étrangères et de la coopération n'a pas, bien au contraire, arrangé. En outre, les clés d'affectation des crédits d'aide au développement au sein de chaque chapitre budgétaire ne sont pas ou sont peu explicitées, ce qui permet finalement de faire en sorte que les chiffres correspondent aux priorités annoncées.
Principal opérateur en matière d'aide au développement, le Quai d'Orsay y consacre près de 46 % de ses crédits en 2003. Au sein des chapitres budgétaires, la répartition est cependant très variable.
La hausse des crédits du ministère des affaires étrangères affectés à la coopération et au développement est très importante puisqu'elle approche 25 %. Cette progression repose toutefois essentiellement sur des aides financières indirectes et sur l'impact bilatéral d'engagements multilatéraux plutôt que sur le soutien à la coopération technique et à l'aide-projet. Ainsi, les crédits de coopération militaire - ce qui, comme on dit en Auvergne, n'est peut-être pas très « finaud » dans la période actuelle - baissent de 10,3 %, étant précisé que la coopération militaire consiste à apporter une assistance technique aux armées étrangères, et non pas à fournir des troupes et des moyens à des pays étrangers.
Les crédits de coopération technique diminuent de 4 %, l'appui aux initiatives privées et décentralisées régresse de 2,3 % et la coopération audiovisuelle demeure stable.
Aussi, lorsque l'on considère l'aide publique dans son ensemble, on constate que les principaux facteurs de progression sont les suivants.
Les contrats de désendettement-développement, qui constituent une traduction française originale de l'initiative internationale pour les pays pauvres très endettés, sont dotés de 91 millions d'euros.
Une mesure de sincérité budgétaire - enfin ! monsieur le ministre délégué - en faveur du fonds européen de développement, dont la dotation avait été sous-estimée en loi de finances initiale pour 2002, est prise : le FED est ainsi d'emblée abondé à hauteur de 496 millions d'euros, contre 218 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2002.
La forte hausse des annulations et consolidations de dettes représente plus de 1,2 milliard d'euros de charge pour les comptes spéciaux du Trésor.
Bercy augmente ses versements aux fonds multilatéraux de développement, en particulier le fonds africain de développement et le fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose, auquel la France versera une première tranche de 50 millions d'euros, conformément aux engagements du précédent Premier ministre, après l'ouverture de 150 millions d'euros d'autorisations de programme cet été.
En outre, le fonds de solidarité prioritaire, le FSP, et l'Agence française de développement, l'AFD, qui sont les deux instruments majeurs de l'aide bilatérale, voient leurs autorisations de programme augmenter d'environ 25 % et leurs crédits de paiement reconduits.
Ces deux opérateurs manifestent toutefois des dysfonctionnements communs, tels que la lenteur extrême d'exécution de nombre de projets, l'impact sévère de gels massifs de crédits et une montée en puissance limitée des projets dans les nouveaux Etats de la zone de solidarité prioritaire.
Le processus décisionnel du FSP a été récemment rationnalisé et l'AFD s'est lancée - au printemps dernier, devrais-je préciser - dans une vaste réflexion sur sa stratégie et ses instruments financiers dans le but de promouvoir un positionnement plus sélectif et une maximisation de l'effet de levier, mais je tiens à dire que j'ai peu apprécié les orientations nouvelles quand elles m'ont été présentées - elles ne sont pas encore arrêtées - car l'Agence n'avait rien inventé de mieux que de se retirer progressivement des pays les plus pauvres, ce qui n'était pas vraiment très astucieux !
M. de Villepin et vous-même, monsieur le ministre délégué, avez récemment fait état de l'intention du Gouvernement d'orienter l'aide française prioritairement sur l'Afrique, contrairement donc à ce que voulait imposer l'AFD. Je me félicite de cette meilleure prise en compte des plus nécessiteux, tant il est vrai que la période récente avait été marquée par une certaine dispersion de l'aide. En 2001, les pays les moins avancés ne recevaient en effet que 28 % de l'aide française et l'Afrique subsaharienne 38 %. La programmation géographique de la direction générale de la coopération internationale et du développement, la DGCID, traduit cependant dès 2002 un redéploiement certain, que je tiens à souligner, sur le continent africain.
En revanche, la répartition sectorielle me paraît beaucoup plus critiquable, puisque 46 % des crédits de la DGCID sont consacrés à la coopération artistique et culturelle, et 17 % à la coopération audiovisuelle, secteurs qui, jusqu'à nouvel ordre, n'ont jamais contribué à apporter un grain de riz dans la gamelle de l'Africain ! Je sais bien que « qui dort dîne » et que l'on peut dormir devant la télévision, mais il y a des limites !
Mme Danièle Pourtaud, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, pour les relations culturelles extérieurs. Pas du tout !
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. A cet égard, je considère que le projet de création d'une chaîne d'informations dans les pays arabes doit être l'occasion de rationaliser notre offre audiovisuelle et de mettre fin à certains doublons avant qu'ils ne deviennent des « triplons ». Je veux parler de TV5 et Canal France International, dont nous aurons l'occasion de reparler un peu plus tard.
Mme Danièle Pourtaud, rapporteur pour avis. Oh là là !
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. C'est la Cour des comptes qui le dit !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour les relations culturelles extérieures et la francophonie. Le rapport de la Cour des comptes n'est pas la Bible !
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Quand la Cour des comptes dit quelque chose qui vous convient, vous dites que c'est bien, et, quand elle dit quelque chose qui ne vous convient pas, vous dites que c'est mal ! La Cour des comptes, c'est la Cour des comptes, et je n'ai rien inventé ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je n'ai jamais été très convaincu, lors de mes voyages en Afrique, par les diffusions de ces chaînes de télévision, notamment CFI. (Mmes Danièle Pourtaud et Monique Cerisier-ben Guiga protestent.)
Au sein de l'aide multilatérale, à présent, il convient de prêter une attention particulière au canal communautaire, et plus particulièrement à l'activité du fonds européen de développement, le FED, ou plutôt à son absence d'activité.
J'ai par le passé souligné à maintes reprises l'inefficacité chronique de ce fonds, la rigueur excessive de ses procédures et la sous-consommation dramatique des crédits.
La situation s'est quelque peu améliorée en 2001 puisque le taux de décaissement pour le huitième FED est à présent de 36 % et qu'une réforme des procédures et structures de l'aide européenne dans son ensemble a été initiée. Néanmoins, le montant de la trésorerie du FED a encore augmenté de 40 % et le montant des restes à liquider, qui sont donc des crédits dormants, approche les 8,5 milliards d'euros.
Cette situation a deux inconvénients majeurs.
D'une part, l'ampleur des versements au FED, dont la France est, avec 25 %, le premier contributeur, réduit les marges de manoeuvre de l'action bilatérale française au profit d'une aide apatride, alors même que Bruxelles est déjà influencé par les positions des donneurs scandinaves et anglo-saxons.
D'autre part, cette contribution serait plus admissible si la preuve de l'impact sur le terrain de l'aide européenne avait été faite. Or nous sommes loin du compte et l'action européenne demeure invisible pour les pays les plus pauvres. Je l'ai moi-même constaté sur le terrain à de très nombreuses reprises.
Le FED fait donc aujourd'hui figure de vaste caisse d'épargne et de parodie de politique communautaire. Dans ces conditions, il paraît indispensable - Jacques Chaumont et moi-même l'avons dit maintes fois aux autorités françaises, notamment au Président de la République - que la France, premier contributeur, accentue la pression sur la Commission et réclame une obligation de résultat au FED.
A défaut, le Gouvernement devra hausser le ton et provoquer un vrai débat, fût-il douloureux, sur l'aide européenne au développement.
En attendant une vraie amélioration de l'utilisation du FED, je suggère que soit pérennisée la formule qui a été mise en place dans le collectif de cette année. Il s'agirait d'affecter à la coopération bilatérale la part des versements de la France au FED qui n'aura pas été consommée en fin d'exercice, plutôt que d'avoir des crédits dormants.
Je souhaiterais enfin évoquer les carences de la modernisation de nos structures d'aide au développement. Sur un plan budgétaire, la fusion des deux ministères des affaires étrangères et de la coopération a induit un réel manque de lisibilité qui ne facilite pas le contrôle parlementaire - c'est le moins que l'on puisse dire - et les indicateurs et objectifs du ministère des affaires étrangères se montrent encore très parcellaires et trop axés sur l'efficience plutôt que sur l'efficacité de l'utilisation des crédits.
Sur un plan organisationnel, la nouvelle direction générale mise en place en 2000, quelle que soit la qualité de ceux qui l'ont dirigée ou qui la dirigent, fait parfois figure de « monstre » administratif difficilement gérable et exerce un contrôle moins approfondi de son action sur le terrain. Au niveau local, l'ambassadeur ne dispose pas de l'autorité fonctionnelle et de la responsabilité budgétaire propres à assurer une bonne coordination entre les multiples intervenants des ministères.
Pour conclure, je reviens sur les principales caractéristiques de ce budget et sur mes propositions, qui sont celles, d'ailleurs, de la commission des finances.
Au chapitre des points positifs figurent le relèvement important de l'effort français d'aide au développement, les engagements pris sur le long terme et un effort de sincérité budgétaire.
De même, le recentrage au profit de l'Afrique et l'augmentation de l'aide bilatérale constituent des motifs de satisfaction.
En revanche, l'inefficacité persistante de l'aide communautaire, le soutien insuffisant à la coopération technique et militaire, les incertitudes entourant l'aide-projet et l'inachèvement de la modernisation des structures contribuent à nuancer fortement cette appréciation.
La commission des finances suggère de pérenniser l'aide-projet par une stratégie claire, car il s'agit de l'aide la plus visible pour les populations, et de rationaliser l'organisation de l'aide alimentaire par un regroupement, au sein du budget des affaires étrangères, des lignes afférentes au financement de l'achat et du transport des denrées. J'ajoute que l'on pourrait en outre s'assurer de temps en temps que lesdites denrées arrivent, qu'elles ne sont pas volées dans les ports au moment du débarquement ou qu'elles ne disparaissent pas - mais pas pour tout le monde ! - quelque part en mer ! Nous pourrions réaliser ainsi quelques économies budgétaires...
La commission des finances suggère encore de renforcer la coordination financière exercée par les ambassadeurs, qui doivent être les uniques ordonnateurs secondaires de l'action extérieure de la France, comme les préfets dans les départements, et de doter les ambassades d'un secrétaire général, comme dans les préfectures, pour assurer l'administration.
La commission des finances propose enfin qu'un véritable programme de « coopération et aide au développement » soit défini dans le cadre d'une mission, éventuellement interministérielle, sur l'action extérieure de la France, servie par des indicateurs synthétiques et cohérents. La loi organique du 1er août 2001 devrait à cet égard être un levier utile de modernisation du fonctionnement du Quai d'Orsay.
C'était bien, je le signale au passage, l'une des intentions des commissions des finances du Sénat et de l'Assemblée nationale, comme des deux coauteurs de la loi organique que sont Didier Migaud à l'Assemblée nationale et Alain Lambert dans cette assemblée.
Mes chers collègues, sous le bénéfice de ces observations, et comme M. Jacques Chaumont l'a fait voilà un instant, je vous propose, au nom de la commission des finances, de voter le projet de budget de l'aide au développement, ce qui recouvre non seulement les crédits consacrés à l'aide au développement du budget des affaires étrangères que nous examinons en cet instant, mais aussi l'ensemble des crédits d'aide au développement inscrits dans les autres budgets ministériels, dont j'ai donné la liste tout à l'heure et sur lesquels la commission des finances a aussi émis un avis favorable.
J'abuserai encore un instant de mon temps de parole, monsieur le président, pour féliciter notre collègue Jacques Pelletier, qui vient d'être nommé président du Haut Conseil de la coopération internationale. (Applaudissements.)
J'ai siégé dans cet organisme. Jusqu'à présent, il ne servait à rien et j'avais proposé sa suppression. (Rires.) Cette année, je me retiendrai, et j'espère que, l'année prochaine, je n'aurai qu'à me féliciter de cette retenue ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Monsieur Pelletier, nous nous associons aux compliments de M. le rapporteur spécial !
M. Jacques Pelletier. Je vous remercie !
M. le président. La parole est à M. Jean-Guy Branger, rapporteur pour avis.
M. Jean-Guy Branger, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour les affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il est difficile, après que des orateurs aussi éminents que les rapporteurs spéciaux de la commission des finances sont intervenus, d'apporter des éléments nouveaux sur le projet de budget du ministère des affaires étrangères. Tout a été dit, et je limiterai donc mon propos à trois remarques.
Tout d'abord, le projet de budget qui nous est présenté se révèle meilleur que celui de l'an passé. Si, effectivement, l'augmentation de plus de 13 % des crédits est le résultat de changements de périmètre, la hausse, sans ces modifications, est supérieure à 3,5 %. Rappelons que, en 2001, la progression du budget était inférieure à l'inflation.
Ensuite, cette augmentation permet d'accroître la part des crédits du ministère des affaires étrangères dans l'action extérieure de la France et dans le budget de l'Etat. Le rôle du Quai d'Orsay en matière de pilotage interministériel des affaires étrangères en est conforté.
Mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées soutient cette évolution et appuie la volonté du ministre des affaires étrangères d'engager une réflexion approfondie sur le rôle interministériel du Quai d'Orsay et sur les implantations françaises à l'étranger.
En effet, il n'est pas normal que chaque ministère développe, sans coordination ou presque, son implantation extérieure. L'ambassadeur, à l'instar du préfet dans le département, doit voir son autorité affirmée à l'étranger, sur les services consulaires comme sur la chancellerie, ainsi que sur les services des autres départements ministériels.
Monsieur le ministre, j'appelle votre attention sur ce dernier point, sur lequel la commission des affaires étrangères, unanime et fortement appuyée par l'ensemble des membres de la commission des finances, a insisté cette année de façon particulière. Je crois donc qu'il mérite d'être pris en compte, et nous serons attentifs, au cours de l'année à venir, aux progrès qui, nous l'espérons, seront enregistrés dans ce domaine.
Enfin, comme l'a souligné M. Jacques Chaumont, les implantations françaises à l'étranger doivent être réexaminées et repensées.
Trop souvent, nous avons déploré que le réseau n'évoluait pas suffisamment, et toujours selon une logique comptable : pour ouvrir quelque part, il fallait impérativement fermer ailleurs. Il faut aujourd'hui nous engager dans une réflexion approfondie et courageuse. Le travail diplomatique au sein de l'Europe a changé, tout le monde le constate : tirons-en les conséquences.
De même, l'harmonisation des conditions de vie doit conduire à une conception différente de la protection consulaire pour nos ressortissants. C'est là aussi un point qui a été fortement mis en exergue.
Plus largement, la coordination régionale ou thématique de l'action de nos postes bilatéraux est devenue un impératif. Pourrez-vous nous confirmer, messieurs les membres du Gouvernement, l'échéancier de ces réflexions ? Le Parlement en aura-t-il bien la primeur ?
Je terminerai mon propos par deux questions relatives à la gestion des personnels et à la préparation de la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF.
Selon le rapport de la Cour des comptes sur l'exécution budgétaire en 2001 - M. Michel Charasse y a fait référence tout à l'heure -,...
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Il faut le faire avec prudence ! (Sourires.)
M. Jean-Guy Branger, rapporteur pour avis. ... le ministère des affaires étrangères emploierait de 20 000 à 25 000 personnes, ce qui représente plus du double des emplois budgétaires inscrits au « bleu ».
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Il y a des contractuels !
M. Jean-Guy Branger, rapporteur pour avis. Je m'inquiète donc, et je ne suis pas le seul, de la manière dont cette situation sera clarifiée lorsque le ministère devra, conformément à la loi organique relative aux lois de finances, indiquer les effectifs nécessaires à la réalisation de tel ou tel programme ou mission.
Par ailleurs, le ministère a procédé à la fusion des crédits de rémunération des personnels recrutés localement avec les crédits de fonctionnement à l'étranger. Une fois la loi organique entrée en vigueur, recourir à une telle solution ne sera plus possible, et je voudrais donc savoir quelles mesures il est envisagé de prendre pour remédier à cette siuation.
En conclusion, parce que ce projet de budget constitue une évolution positive, permet une clarification, assure une mise à niveau des crédits et prépare des décisions importantes en ce qui concerne le réseau et le rôle interministériel des affaires étrangères, la commission vous propose, mes chers collègues, d'approuver les crédits du ministère des affaires étrangères pour 2003. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour les relations culturelles extérieures et la francophonie. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je comptais consacrer le temps de parole qui m'est imparti à la seule situation financière de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, l'AEFE, mais je ne peux laisser passer sans réagir ce que j'ai entendu dire à propos de notre audiovisuel extérieur, qui constitue tout de même une remarquable réussite. Il ne faut pas oublier que TV5 est reçue par 130 millions de foyers dans le monde, qu'elle est relayée par quarante et un satellites et 6 000 réseaux câblés. Actuellement, huit émissions différentes sont diffusées simultanément, les programmes étant adaptés aux fuseaux horaires et un sous-titrage étant possible en huit langues. Ce n'est pas rien ! On ne peut pas dire que notre audiovisuel extérieur ne vaut rien ! (Mme Hélène Luc approuve.)
M. Jean Chérioux. Le rapport !
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Ce n'est pas TV5 qui est en cause, c'est CFI !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis. On ne peut pas prendre en considération les avis d'une Cour des comptes qui a rédigé un rapport entièrement fondé sur une comparaison implicite et permanente avec la BBC. Nous n'avons pas la BBC, nous ne l'aurons jamais !
M. Jean Chérioux. Le rapport !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis. La BBC a quatre-vingts ans d'âge et dispose d'un budget de 5,1 milliards d'euros, une fois et demie supérieur à celui de l'ensemble de notre audiovisuel extérieur. Elle compte 24 000 salariés et, produisant elle-même ses programmes, elle a donc la maîtrise des droits, ce qui n'est pas notre cas. Par conséquent, cessons d'écouter une Cour des comptes peuplée de gens peut-être très intelligents mais qui établissent des rapports sur l'audiovisuel extérieur sans y connaître grand-chose ! (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. C'est noté ! La prochaine fois que la Cour des comptes dira quelque chose qui vous arrangera, je penserai à vous le rappeler !
Mme Hélène Luc. Mme Cerisier-ben Guiga a raison !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis. J'en viens maintenant à la situation de l'AEFE, qui a été créée voilà douze ans.
Ses réussites, indéniables - il faut les garder présentes à l'esprit et ne pas sombrer dans le catastrophisme en cas de difficultés budgétaires, même si elles sont nombreuses -, tiennent, pour l'essentiel, à la cohérence acquise et maintenue d'un dispositif de près de 300 écoles réparties dans 125 pays, doté de plus de 6 000 fonctionnaires et d'autant de personnels enseignants, administratifs et de service recrutés localement.
Elles tiennent aussi à la progression régulière des effectifs scolarisés, passés de 144 000 en 1990 à 159 000 aujourd'hui, ainsi qu'à la coexistence, en leur sein, d'élèves français - 44 % du total aujourd'hui, contre un tiers en 1990 - et d'élèves étrangers, de nationalité, très diverses.
Elles tiennent enfin à des résultats excellents à tous les examens. De ce fait, le baccalauréat français obtenu à l'étranger ouvre les portes des meilleures universités françaises et étrangères. Il permet ainsi, dans bien des universités américaines, d'entrer directement en deuxième, voire en troisième année, ce qui n'est pas négligeable.
Ces succès sont obtenus dans le cadre d'une gestion du réseau marquée par une grande économie, puisque 0,7 % seulement du budget est affecté au fonctionnement du siège et que pas un seul poste de fonctionnaire n'a été créé en douze ans, alors que l'effectif accueilli s'est accru de 13 000 élèves.
Toutefois, cet ensemble est fragilisé, depuis l'origine, par un sous-financement constant, qui est aggravé par la structure du budget, composé à 82 % de salaires - un réseau d'écoles doit rémunérer ses enseignants ! -, sur lesquels se répercutent les mesures prises pour l'ensemble de la fonction publique.
Ainsi, l'augmentation de 0,7 % du point d'indice à compter du 1er décembre coûtera 1,5 million d'euros en année pleine à l'Agence, dont le budget s'élève à 420 millions d'euros.
Alors qu'une participation croissante est demandée aux familles pour financer les frais de scolarité de leurs enfants, le budget de l'Agence stagne, avec une hausse moyenne annuelle de 2,17 % depuis 1995, qui ne couvre pas l'inflation cumulée et des effets change-prix souvent défavorables.
La situation de l'Agence est aujourd'hui difficile, cette dernière ayant dû effectuer en 2002 une forte ponction sur son fonds de roulement pour équilibrer son budget, ce qui fait que ce fonds de roulement ne représente plus qu'environ une semaine d'activité. Rappelons que, avant les premières ponctions opérées par le ministère des finances en 1994, l'AEFE avait constitué un fonds de roulement représentant près de trois mois d'activité. Ce sont nous, parents d'élèves, qui avions contribué à la constitution de ce fonds de roulement, mais le ministère des finances l'a ponctionné à partir de 1994.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Il ne faut jamais laisser dormir des tas de noisettes ! (Sourires.)
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis. Certes, mais c'est quand même nous qui avions constitué ce fonds !
Aujourd'hui, le point de rupture est atteint, avec l'inscription dans le projet de budget d'une économie de 6,4 millions d'euros, au titre d'une rationalisation du réseau dont le contenu reste indéterminé. Cet abattement budgétaire correspond à la suppression d'au moins cent postes d'enseignant titulaire ou au déconventionnement forcé de nombreux établissements.
C'est pourquoi, à la suite de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, la commission des affaires étrangères du Sénat a adopté un amendement relatif à cette question. Il ne sera pas présenté en séance, puisque nous savons très bien que le règlement nous interdit de le faire, mais il visait en fait à soutenir le ministère des affaires étrangères dans ses négociations avec le ministère chargé du budget.
La commission des affaires étrangères considère que, au regard du budget global de l'Etat, cette économie est dérisoire, mais qu'elle aura un effet disproportionné sur les capacités de l'AEFE à remplir sa mission.
Par conséquent, je vous demande instamment, monsieur le ministre délégué, monsieur le secrétaire d'Etat, au nom de l'ensemble des membres de la commission que je représente ici, de nous exposer, d'une part, les motifs de cette pseudo-économie de 6,4 millions d'euros, et, d'autre part, les dispositions que vous envisagez de prendre pour réduire ses effets néfastes.
Sous ces réserves, la commission des affaires étrangères a donné un avis favorable à l'adoption des crédits des relations culturelles pour 2003. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Paulette Brisepierre, rapporteur pour avis.
Mme Paulette Brisepierre, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour l'aide au développement. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la part dévolue à l'aide au développement au sein du budget des affaires étrangères semble connaître, cette année, un début de redressement, conforme aux engagements pris par le Président de la République de ramener le montant de cette aide financière à un niveau plus proche des besoins et des attentes de nos partenaires.
L'aide française au développement, passée, ces dernières années, au second plan des priorités, devait afficher des ambitions claires dans un climat international profondément changeant, dont l'instabilité se nourrit, ne l'oublions pas, des inégalités de développement. Défaitisme et indifférence ne sont donc plus de mise.
Dans ce contexte, les orientations dessinées par ce projet de budget me paraissent positives à plusieurs égards, même si, au vu des événements récents, des motifs d'inquiétude persistent.
Le volume de notre aide est certes en augmentation, sous l'effet notamment de l'effort consacré à la question difficile du traitement de la dette. Mais cet effort était indispensable, alors qu'un continent entier demeure à l'écart des flux de financement internationaux.
La part bilatérale de notre aide voit son érosion enfin enrayée, sur fond d'augmentation générale des crédits. Les autorisations de programme dévolues au fonds de solidarité prioritaire et à l'Agence française de développement progressent, et c'est heureux car la diminution des crédits enregistrée ces dernières années ne permettait plus à la France d'honorer ses engagements sur le terrain, au risque d'une réelle perte de crédibilité. Ce redressement, assorti d'une stabilisation des effectifs de notre assistance technique, qui n'avaient cessé de décroître depuis la mise en oeuvre de la réforme de notre outil de coopération, était indispensable. Il devra être confirmé.
Les priorités de notre action apparaissent plus clairement, même si l'évolution du périmètre de notre zone de solidarité prioritaire, ou ZSP, est modeste. La ZSP doit permettre une plus grande concentration de l'aide là où elle est le plus nécessaire, c'est-à-dire dans les pays les moins avancés d'Afrique subsaharienne, où l'aggravation de la pauvreté constitue un véritable défi, ainsi que dans les pays partenaires incontournables de la France - je pense particulièrement ici aux pays du Maghreb.
Aussi, monsieur le ministre délégué, monsieur le secrétaire d'Etat, mon intervention d'aujourd'hui est-elle, sur les points évoqués, à l'opposé de celle de l'année dernière. La commission des affaires étrangères s'en félicite, mais, sur certains points, ce projet de budget me paraît perfectible. J'évoquerai plus particulièrement, à cet égard, trois sujets.
Le premier concerne directement notre travail de parlementaires. Les crédits consacrés à l'aide au développement restent très peu lisibles, tout comme, d'ailleurs, ceux qui sont alloués aux relations culturelles, auxquels ils sont souvent mêlés. Pourtant, chacun s'accorde sur le fait qu'il s'agit de deux budgets tout à fait différents. Pourquoi, dès lors, ne pas identifier plus clairement chaque dotation ?
Mon deuxième sujet de préoccupation tient à la part croissante de notre aide dévolue au canal européen.
La réforme entamée sous présidence française commence à porter ses fruits, mais les décaissements sont encore beaucoup trop lents, les procédures d'instruction anormalement longues et l'efficacité globale nettement insuffisante. La pertinence d'une aide européenne au développement n'est pas en cause, mais notre pays ne peut accepter, devant des besoins immenses et urgents, que des crédits considérables restent dormants. L'absence d'évolution dans ce domaine ne pourrait qu'affecter la confiance de nos concitoyens quant à l'efficacité, et donc à la nécessité, d'une aide aux pays les plus pauvres.
Mon troisième sujet de préoccupation, qui est même un sujet de profonde inquiétude, concerne la baisse, poursuivie cette année, des crédits de coopération militaire, et ce pour tous les postes. Ces crédits diminuent depuis plus de six ans et, avec eux, le nombre de coopérants militaires, le nombre de stagiaires étrangers et notre assistance aux organisations régionales. La réduction constatée des crédits inscrits au budget des affaires étrangères n'est pas compensée par l'effort, pourtant remarquable en qualité, effectué sur le terrain par le ministère de la défense.
Cette diminution des crédits, dans le contexte d'instabilité que connaît l'Afrique, où les organisations régionales ne sont manifestement pas en mesure de prendre le relais, ne paraît absolument pas raisonnable. On peut d'ailleurs se demander si les événements de Centrafrique se seraient produits si nos deux bases militaires, remarquables et performantes, n'avaient pas été brutalement supprimées en 1998 et transférées aux troupes centrafricaines.
M. Jacques Legendre, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, pour la francophonie. Très juste !
Mme Paulette Brisepierre, rapporteur pour avis. A la lumière des événements récents, il est évident que tant la consolidation de l'Etat de droit que la professionnalisation des armées locales ne sont pas encore des acquis suffisants pour rendre possible un désengagement de notre pays en Afrique.
Tels sont, monsieur le président, monsieur le ministre délégué, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les bémols que je souhaitais apporter aux appréciations, par ailleurs tout à fait positives, de la commission des affaires étrangères sur ce projet de budget.
L'effort budgétaire n'illustre pas à lui seul la contribution française à l'aide au développement, mais il est essentiel pour que nos intervenants, sur le terrain, puissent retrouver l'enthousiasme et le souffle dont ils étaient porteurs. Notre pays s'est donné des objectifs ambitieux, à la mesure des attentes dont il est l'objet. Dans la logique de partenariat qui est la nôtre, l'utilisation des crédits alloués à l'aide au développement engage particulièrement notre responsabilité. Ces dépenses publiques ayant pour corollaire un impératif d'efficacité, nous avons la double obligation d'être les garants de cette exigence et, surtout, de ne pas décevoir. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Danièle Pourtaud, rapporteur pour avis.
Mme Danièle Pourtaud, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, pour les relations culturelles extérieures. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il est particulièrement difficile d'évaluer avec précision l'effort budgétaire de l'Etat en matière de relations culturelles extérieures.
En effet, la rationalisation des structures ministérielles, qui s'est concrétisée par la création de la direction générale de la coopération internationale et du développement, la DGCID, ne s'est malheureusement pas traduite par la clarification de la présentation des crédits alloués aux actions culturelles de la France à l'étranger.
En dépit de ces difficultés, il reste néanmoins possible de distinguer les principales actions destinées à favoriser le rayonnement culturel de notre pays à travers le monde.
S'agissant de l'enseignement français, je tiens d'abord à souligner les excellents résultats obtenus par le réseau de nos établissements scolaires à l'étranger.
Ce réseau a ainsi accueilli près de 160 000 élèves en 2002. En dix ans, ce sont plus de 8 000 élèves supplémentaires qui se sont ainsi inscrits dans nos établissements.
Cette progression des effectifs s'accompagne de la forte augmentation du nombre d'élèves français étudiant dans les établissements du réseau et bénéficiant d'une bourse. Entre 2000 et 2002, ce nombre a progressé de 13 %, pour atteindre aujourd'hui plus de 18 500.
A titre personnel, je crois qu'il conviendrait néanmoins, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'on se préoccupe non seulement du sort des élèves français, mais également de celui des élèves nationaux de ces établissements. Il serait en effet souhaitable de limiter la progression des droits d'inscription, ou que ces élèves bénéficient, eux aussi, de bourses. Car on ne peut pas faire subir à ces élèves et à leurs familles l'augmentation régulière et non négligeable des frais d'écolage des établissements du réseau tout en déplorant le départ des élèves vers des établissement anglophones.
La commission se félicite, par ailleurs, de la progression des crédits alloués à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, l'AEFE. Ceux-ci progressent de 6 %, pour atteindre 335 millions d'euros en 2003.
Il paraît néanmoins nécessaire de rappeler que cet effort financier reste insuffisant : l'AEFE sera confrontée l'année prochaine à un besoin de financement de 6 millions d'euros. Face à cette situation, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, pouvez-vous nous dire comment sera assuré le financement de l'Agence pour l'année à venir ?
S'agissant de l'action audiovisuelle extérieure, on peut regretter que les subventions allouées aux opérateurs diminuent de 1,9 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2002. Et je crains que ce ne soit même pis à la fin de cette séance !
Certains d'entre eux bénéficieront cependant de mesures nouvelles.
C'est le cas à la fois de RFI, dont la subvention augmente de 1 %, et de TV5, qui bénéficie d'une mesure nouvelle de 2,15 millions d'euros. Votre rapporteur ne peut que se féliciter de cette progression, qui consacre le travail effectué par la chaîne au cours des dernières années. En effet, reçue dans cint vingt-cinq pays sur les cinq continents par 132 millions de foyers, soit plus que BBC World et que CNN International, TV5, qui a régionalisé ses programmes, recruté de grandes signatures et donné la priorité à l'information, est devenue une chaîne mondiale de référence, dont la France détient six neuvièmes du capital et fournit plus de 66 % des programmes.
J'ajouterai que les séquences d'information diffusées à heures fixes sont désormais réalisées à Paris et que la relance de TV5 Etats-Unis semble sur le point de réussir.
Je tiens néanmoins à rappeler que les 2,15 millions d'euros de crédits supplémentaires accordés à la chaîne seront insuffisants pour financer deux des priorités du plan stratégique 2002-2005. En effet, l'effort financier nécessaire pour permettre d'augmenter le volume de programmes sous-titrés et d'introduire de nouvelles langues telles que le russe et le chinois a été évalué à 10 millions d'euros par an. De même, l'objectif consistant à faire de l'information sur TV5 une référence mondiale nécessiterait 5 millions d'euros supplémentaires.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, alors que les modalités exactes du projet de chaîne d'informations internationale ne sont, semble-t-il, toujours pas arrêtées, pourquoi, au lieu de se lancer dans la création ex nihilo d'une chaîne qui nécessiterait au moins 100 millions d'euros d'investissements, ne pas miser sur l'existant et garantir à TV5 les moyens financiers indispensables à son développement ?
Pour ces raisons, j'émets personnellement quelques réserves à l'égard de ce budget. Néanmoins, la commission des affaires culturelles a donné un avis favorable à l'adoption des crédits des relations culturelles extérieures pour 2003. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre, rapporteur pour avis.
M. Jacques Legendre, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, pour la francophonie. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en tant que rapporteur, j'ai pour mission de donner un avis sur les crédits du ministère chargé de la francophonie. Mais ces crédits sont loin de rendre compte de l'effort français en ce domaine.
Ainsi, depuis 1987, sur l'initiative de notre regretté collègue Maurice Schumann, le Gouvernement présente, en annexe de la loi de finances, un état des crédits concourant au développement de la langue française et à la défense de la francophonie.
Ces crédits s'élèvent, pour 2003, à 883,25 millions d'euros, contre 873,52 millions d'euros en 2002, soit une hausse d'un peu plus de 1 %.
Même si d'autres ministères - culture, éducation, recherche - apportent leur contribution à l'action internationale en faveur de la francophonie, celle-ci relève, pour plus de 90 %, du ministère des affaires étrangères, et plus particulièrement de deux services. Le premier, c'est la DGCID, et notamment sa sous-direction du français - notre collègue Mme Pourtaud vient d'en rendre compte. Le second, c'est le service des affaires francophones, qui est, lui, chargé de l'action multilatérale en faveur de la francophonie. C'est lui qui prépare et suit les instances politiques de la francophonie et ses « opérateurs ». Il est en particulier chargé de l'appui aux associations, pour lesquelles son enveloppe de crédits est identique à celle de l'an dernier.
Quant au financement des opérateurs - Agence internationale de la francophonie, Agence universitaire de la francophonie, Association internationale des maires francophones et Université Senghor -, il s'effectue par versements au Fonds multilatéral unique, qui regroupe les contributions des différents membres de la francophonie, par les chefs d'Etat.
Au sommet de Beyrouth, le chef de l'Etat s'est engagé à augmenter le concours de la France à l'occasion du projet de loi de finances rectificative pour 2002.
D'ores et déjà, la France, tous apports confondus, est de loin le premier bailleur de la francophonie, puisqu'elle finance 62 % de l'Agence internationale de la francophonie, 89 % de l'Agence universitaire de la francophonie, 98 % de l'Association internationale des maires francophones et 80 % de l'Université Senghor. Elle finance aussi, on vient de le rappeler, l'essentiel de TV5.
Cet effort financier important est-il justifié ?
Le sommet de Beyrouth nous permet de répondre oui. Il a été un succès. Il démontre que la francophonie est bien une dimension majeure de la politique étrangère de la France. Quoi de plus symbolique que de réunir un sommet en pays arabe, à Beyrouth, sur une ligne de fracture du monde ? Quoi de plus réconfortant que de voir que ce sommet a attiré cinquante-cinq pays et qu'il traitait de thèmes qui sont des thèmes de fond et des thèmes d'actualité : la défense du multilinguisme et de la diversité culturelle, le dialogue des cultures et le refus de la guerre des civilisations dont nous menace M. Huntington, ainsi que la volonté de faire adopter par l'Unesco une convention internationale garantissant le multilinguisme ?
Quant à la prise de position ferme de la France sur l'Irak, elle a été approuvée par l'essentiel des participants et relayée à l'ONU, où certains pays francophones ont apporté un appui précieux aux thèses françaises.
Il est donc bien clair que la francophonie est un élément de notre diplomatie d'influence au service de la paix.
Pour autant, tout va-t-il bien ?
La francophonie linguistique demeure menacée. Elle l'est d'abord en France, et nous avons constaté la remise en cause de la loi Toubon à travers un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes, l'arrêt Geffroy. Il a fallu une réaction énergique des autorités françaises pour qu'un décret en date du 1er août 2002 précise que, si les langues étrangères peuvent être utilisées en France pour l'information des consommateurs, elles doivent l'être outre information en français et elles ne sauraient se substituer - elles ou des pictogrammes - à l'information en français de nos consommateurs.
Cette aventure - la menace d'une condamnation par la Cour européenne de justice - montre combien il est nécessaire que les représentants français veillent scrupuleusement au volet linguistique des décisions qui sont prises à Bruxelles avant que ces décisions ne soient prises et non après, quand il nous faut chercher à en atténuer des effets que l'on n'avait pas prévus suffisamment.
Il faut une indispensable pugnacité pour enrayer une évolution défavorable. Je pense, par exemple, au comportement de la Commission européenne et, il faut bien le dire, à M. Prodi, qui a tendance à faire de l'anglais la langue de communication extérieure de l'Union. Je pense au programme européen Socrates-Comenius, qui est réservé, dans la pratique, aux enseignants européens ayant une parfaite maîtrise de l'anglais, même si l'on veut s'en défendre. Je pense à certains renoncements de décideurs politiques et à ce grand parti politique européen qui rassemble des partis politiques qui sont représentés ici et dont le président international signifie aux partis membres que la seule langue de ce parti est l'anglais. Pour nous, c'est inacceptable !
Il faut impérativement obtenir que la diversité linguistique soit inscrite dans le futur traité constitutionnel européen.
M. Jacques Pelletier. Très bien !
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Pas forcément les langues régionales ! (Sourires.)
M. Jacques Legendre, rapporteur pour avis. En attendant, je voudrais saluer la très claire et salutaire prise de position du président de notre assemblée, M. Poncelet, qui, récemment, dans un discours à Brives, a déclaré : « J'affirme que c'est la Commission et même la Cour de justice de Luxembourg qui sont en situation d'infraction aux principes mêmes qui fondent la volonté des Européens de vivre ensemble », quand elles veulent nous contraindre aux aberrations linguistiques que je rappelais à l'instant.
Puissions-nous garder cette détermination à l'esprit quand il nous reviendra d'examiner le traité sur le brevet européen, que nous ne sommes pas très pressés de ratifier, monsieur le ministre !
Sous le bénéfice de ces remarques, et après avoir rappelé son souhait de voir la francophonie bénéficier d'un ministère qui lui soit propre, la commission des affaires culturelles a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la francophonie pour 2003. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. André Dulait, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les principales données chiffrées du budget du ministère des affaires étrangères pour 2003, que les rapporteurs viennent d'analyser avec une grande précision.
Je voudrais cependant relever certains éléments novateurs dans le documents qui nous est soumis cette année, en particulier l'innovation de vérité des crédits, qui explique la hausse apparente substantielle du budget, de plus de 13 %. La dotation au Fonds européen de développement et la dotation en faveur de notre participation aux organisations internationales, largement sous-évaluées dans le passé, retrouvent un niveau initial correspondant à nos ambitions dans ces secteurs.
Les actions permises et les priorités retenues par ce budget correspondent bien à des préoccupations que notre commission exprimait depuis longtemps : il en est ainsi de l'effort réalisé en matière d'aide au développement, qui redonne plus de place à notre action bilatérale.
Sur le plan de l'action audiovisuelle extérieure, le projet de chaîne d'information continue, dû à l'initiative de M. le Président de la République, répond à un besoin avéré pour tous ceux qui recherchent une continuité et une logique de programmation - que TV5, par définition, ne peut guère offrir aujourd'hui -...
Mme Danièle Pourtaud, rapporteur pour avis. Ce n'est pas vrai ! Regardez-la !
M. André Dulait, président de la commission des affaires étrangères. ... et privilégie une présentation spécifique de l'actualité internationale. La faisabilité d'un tel outil semble toutefois difficile compte tenu, d'une part, de son impact financier et, d'autre part, des engagements multilatéraux qui caractérisent aujourd'hui notre organisation télévisuelle extérieure. Je vous serais reconnaissant, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, de compléter notre information sur ce projet.
Au-delà des questions budgétaires, je voudrais saluer la volonté affichée du ministre de redonner de la cohérence à nos structures d'action extérieure, dont la dispersion est illustrée par un seul chiffre : la part minoritaire du Quai - 40 % - dans l'ensemble de nos moyens d'action à l'étranger.
C'est évidemment au ministère des affaires étrangères que doit revenir le rôle d'impulsion et de coordination de notre action internationale. De même, dans les postes diplomatiques, il doit clairement être donné à l'ambassadeur la possibilité de remplir sa mission de synthèse et de mise en cohérence des services de l'Etat à l'étranger. L'éparpillement des crédits, des centres de décision et des moyens d'application de notre action à l'étranger est source d'inefficacité, de surcoût et de confusion.
Pour remédier à cette situation, le ministère des affaires étrangères doit pouvoir s'appuyer sur une volonté gouvernementale collective : la mise en place d'une structure interministérielle s'impose donc pour symboliser l'engagement collectif des différents ministères engagés dans l'action extérieure de la France, structure dont il faut espérer qu'elle poursuivra et dépassera l'action engagée en 1996 par le Comité interministériel des moyens de l'Etat à l'étranger, le CIMEE.
On peut également attendre de la mise en oeuvre, à compter de 2006, de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, si celle-ci permet d'aller au-delà des informations fournies par l'actuel « jaune » budgétaire, une clarification des missions et des programmes y afférents. Nous espérons qu'elle sera l'occasion de supprimer les doublons, de rationaliser les dépenses et d'harmoniser les actions.
Il faut aussi - et c'est l'un des chantiers difficiles que le ministre a décidé d'ouvrir - travailler au redimensionnement de notre réseau diplomatique consulaire et culturel.
Nous connaissons les difficultés politiques considérables qui peuvent naître avec nos partenaires étrangers à l'occasion d'éventuelles fermetures d'implantations. Sachez, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, que la commission est consciente des difficultés que présente cet exercice, mais également de sa nécessité. Elle est prête à concourir à votre réflexion dans le cadre de l'information complète et précise du Parlement sur les données, sur les enjeux et sur les orientations du ministère sur ce dossier.
Si toute notre diplomatie repose sur des moyens humains, sur des structures cohérentes et sur des financements adaptés, ce n'est pas son seul ressort. Je voudrais ici saluer, après d'autres, le volontarisme de notre action internationale depuis plusieurs mois : il suffit de rappeler le dossier irakien, qui a été géré avec habileté et efficacité, ou la sollicitude active témoignée à l'occasion des crises africaines, de Madagascar à la Côte d'Ivoire, même si notre action sur le terrain est quelquefois mal perçue ou mal appréciée par une certaine presse locale, toujours orientée. La France a, sur ces différents thèmes, des messages, des responsabilités et des capacités d'action particuliers, qu'elle utilise au mieux des intérêts de la paix.
S'agissant de l'Irak, quelle lecture, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, notre pays fait-il, à ce stade, des premiers jours d'application de la résolution 1441 et des nouvelles modalités d'inspection qu'elle prévoit ? Pourriez-vous également nous indiquer sur quelles décisions reposent les opérations aériennes conduites, en ce moment même encore, par les forces britanniques et américaines dans les zones dites de non-survol, et nous préciser la position de la France sur le sujet, sachant les conséquences qui pourraient être tirées de ces opérations au regard de la résolution 1441 ?
Pour ce qui concerne la Côte d'Ivoire, je vous serais reconnaissant, monsieur ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, de nous faire part de la réaction de la France face aux préoccupants développements intervenus ces derniers jours dans ce pays, où notre diplomatie comme nos soldats se sont retrouvés de nouveau en première ligne.
Je voudrais aborder brièvement, pour terminer, un des aspects de la construction de l'Europe, qui figure désormais au premier rang de nos priorités diplomatiques. Je me limiterai à un des éléments qui relève au plus près des préoccupations de notre commission, celui de l'« Europe puissance » à travers l'Europe de la défense.
L'échec de la reprise par l'Union, le 15 décembre prochain, de la mission « Renard roux » en Macédoine, entraînant la prolongation de l'action de l'OTAN, n'a pas été une bonne nouvelle pour la crédibilité de l'ambition européenne en ce domaine. Nous en connaissons tous la cause immédiate : la difficulté de parvenir à un accord entre l'Union et l'OTAN sur l'utilisation des capacités de cette dernière. Peut-on raisonnablement espérer que, d'ici au mois de février prochain, date d'échéance de cette prolongation, les blocages seront levés ? Et, si c'est le cas, à quel prix et avec quelles conséquences sur la nature même de la mission ?
Il est peut-être une cause plus profonde aux obstacles rencontrés : la difficulté de construire à quinze - et demain à vingt-cinq - un véritable cadre d'action politique européen dans ce domaine. C'est pourtant sur ce pari que reposait le bel édifice dont les fondations furent jetées à Helsinki. Il n'est pas perdu, certes, mais force est de constater que son cheminement est laborieux.
Dans ce contexte difficile, monsieur le ministre, la récente initiative conjointe franco-allemande décidée à Prague, le 21 novembre dernier, en vue d'enrichir sur ce point le débat de la Convention européenne me semble constituer une démarche positive. Outre l'inscription de la notion de solidarité et de sécurité commune dans le futur traité, le texte conjoint prévoit comme condition à la flexibilité de la politique européenne de sécurité et de défense, la PESD, la mise en place de coopérations renforcées, jusqu'alors proscrites dans ce domaine, dont les conditions de déclenchement se trouveraient, parallèlement, allégées.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées avait en son temps déploré que le traité de Nice écarte la défense du domaine des coopérations renforcées. L'initiative est donc heureuse et doit être poursuivie. Néanmoins, des interrogations demeurent. Est-il possible d'imaginer un cadre de coopération militaire européen n'incluant pas la Grande-Bretagne ? Pourtant, celle-ci est résolument hostile, précisément, à tout mécanisme de coopération renforcée.
Ce sujet nous place au coeur d'une question essentielle : peut-on espérer une « Europe-puissance » à quinze, puis à vingt-cinq, voire plus, ou bien le réalisme ne commande-t-il pas plutôt de faciliter, dans le domaine redevenu central de la défense, la stratégie des « groupes pionniers », qui, seule, pourrait conjuguer ambition et efficacité ? Merci, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, de bien vouloir répondre à nos questions.
Mes chers collègues, c'est au regard de notre diplomatie active et ambitieuse que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous propose de voter les crédits du ministère des affaires étrangères pour 2003. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 44 minutes ;
Groupe socialiste, 40 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 18 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 7 minutes.
Je vous rappelle que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Hubert Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'examen du projet de budget des affaires étrangères pour 2003 survient à un moment crucial pour la diplomatie française, celui où elle retrouve toute sa force et sa capacité à influer sur les affaires du monde.
Je ne citerai que trois exemples : la résolution des Nations unies sur l'Irak, pour laquelle la France a permis d'aboutir à une décision équilibrée ralliant l'ensemble de la communauté internationale ; le retour du binôme franco-allemand, qui peut laisser espérer des initiatives nouvelles dans une Union européenne qui en a bien besoin ; enfin, tout récemment, l'implication de la France en Colombie pour contribuer à la libération des otages détenus par les Forces armées révolutionnaires colombiennes, au nombre de 800, dont la sénatrice franco-colombienne Ingrid Betancourt, figure rayonnante de la francophonie qui défend courageusement la démocratie dans ce pays rongé par quarante ans de guerre civile. (Mme Hélène Luc approuve.)
Une telle action à l'extérieur, claire et déterminée, a besoin du relais d'une administration efficace aux moyens renforcés.
Les moyens renforcés s'inscrivent dans le projet de budget des affaires étrangères pour 2003, qui s'élève à 4,1 milliards d'euros, traduisant en fait une augmentation de 5,6 % pour des mesures nouvelles. Félicitons-nous de cette amélioration pour le ministère des affaires étrangères, dont les crédits, non prioritaires, avaient été réduits régulièrement ces dix dernières années.
Une administration efficace requiert aussi une réforme des structures de l'aide extérieure de la France, le ministère des affaires étrangères devant être le centre de coordination et d'impulsion de toute l'action extérieure de l'Etat. En effet, douze ministères concourent actuellement au fonctionnement des réseaux à l'étranger. Sur les 8 629 agents de l'Etat ayant exercé à l'étranger en 2001, 5 522 relèvent du département, soit seulement les deux tiers ; quant aux crédits, ils sont répartis sur 28 sections budgétaires.
Certes, les ambassadeurs assurent la coordination et l'animation de toutes les actions françaises à l'étranger. Mais ne conviendrait-il pas, monsieur le ministre, que, comme les préfets en France, ils soient les ordonnateurs uniques des dépenses de l'Etat dans leur pays d'accréditation, même si la complexité de l'action extérieure rend cette unicité fort délicate ?
Afin de parvenir à une plus grande rationalisation des crédits, il me semble que la politique immobilière du ministère pourrait être améliorée s'il évitait de coûteuses opérations de location de résidences et de bureaux pour les ambassades et les consulats. La formule d'achat par crédit-bail, autorisée par la loi du 2 juillet 1966, permettrait de répartir les montants des achats sur des durées étalées jusqu'à quinze années et plus. Ainsi seraient évités le renouvellement de baux toujours plus onéreux ainsi que l'obligation, à la fin des baux, de remettre les lieux dans l'état où ils ont été reçus lors du premier bail. Le contrat de location-vente peut définir exactement le montant des annuités d'amortissement de l'achat, c'est-à-dire l'opération d'investissement, la différence avec le crédit budgétaire représentant les intérêts, soit le coût opérationnel. De nombreux pays ont régulièrement recours à cette formule et obtiennent de sociétés immobilières spécialisées ou de banques d'excellentes conditions de crédit, avec des taux d'intérêt très bas. Pourquoi pas la France ?
Deux secteurs de dépenses prioritaires retiendront mon attention.
L'aide publique au développement étant tombée de 0,57 % du PIB en 1994 à 0,32 % en 2000, le Président de la République s'est engagé, lors du sommet de Johannesburg, à la majorer de 50 % en cinq ans, puis à la doubler pour atteindre l'objectif « idéal » de 0,70 % du PIB d'ici à dix ans. Cet objectif généreux, qui vise à réduire la pauvreté dans le monde, est aussi un objectif responsable, susceptible de réduire les risques du terrorisme international. La France peut et doit montrer l'exemple dans sa volonté de coopération pour le développement et pour la paix.
Autre dépense prioritaire, les crédits en faveur des Français de l'étranger progressent dans trois domaines essentiels : la sécurité des communautés françaises à l'étranger, dont les crédits font l'objet d'un renforcement important - de 30 % - pour mieux répondre aux risques grandissants dans le monde, et l'intervention française en Côte d'Ivoire pour assurer la protection de nos ressortissants est un exemple de cette priorité du Gouvernement ; l'aide sociale aux Français défavorisés, dont le nombre s'accroît chaque jour à l'étranger, qui voit aussi ses crédits progresser de 4,3 %, enfin, l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, l'AEFE, dont les dotations augmentent de 7,7 %.
Il faut dire un mot des établissements d'enseignement français à l'étranger, dont la situation financière est préoccupante. L'AEFE, qui a dû faire face à un afflux de 10 000 élèves supplémentaires en dix ans sans que ses crédits croissent en proportion, a puisé dans son fonds de roulement, qui n'est plus aujourd'hui que de trois jours. Cette quasi-inexistence de marge de manoeuvre est aggravée par le fait que les mesures d'amélioration du statut des enseignants résidents, arrêtées l'an dernier, sont financées sur ce fonds. L'Agence pourra-t-elle continuer longtemps ainsi, alors qu'il lui est demandé, dans le même temps, de rationaliser son réseau pour réaliser 6,4 millions d'euros d'économies ?
De même, l'augmentation inexorable des coûts de scolarité supportés par les familles, compensée pour les familles françaises à revenus modestes par l'attribution de bourses, pèse maintenant sur les familles à revenus moyens, qui éprouvent souvent des difficultés à maintenir leurs enfants dans l'enseignement français. Il faudrait donc encore abonder les crédits des bourses.
De fait, le réseau scolaire français à l'étranger - l'un des plus importants au monde, et qui jouit d'une réputation d'excellence - représente un coût certain pour le petit budget du ministère des affaires étrangères. Pour résorber cette crise de croissance, n'est-il pas temps de donner la cotutelle de l'AEFE à l'éducation nationale, dont le budget pourrait utilement renforcer notre réseau scolaire à l'étranger ? Le maintien de la francophonie dans le monde en dépend en grande partie.
Enfin, il serait juste de reconnaître le travail accompli par les associations gestionnaires de parents d'élèves en leur témoignant davantage de confiance. Demanderez-vous à l'Agence, monsieur le ministre, de s'abstenir des multiples contrôles, tatillons et répétés, qui font perdre du temps et ne présentent pas de réel intérêt pour la bonne marche des établissements ?
Monsieur le ministre, nous connaissons votre attachement à nos compatriotes expatriés. Nous soutenons votre effort budgétaire en leur faveur pour 2003. Pour l'avenir, et dans le cadre que tracent les lois de décentralisation, une réforme du Conseil supérieur des Français de l'étranger est indispensable pour parvenir à une meilleure représentation de nos ressortissants établis hors de France. Nous comptons sur vous pour l'appuyer le moment venu.
M. Robert Del Picchia. Très bien !
M. Hubert Durand-Chastel. Les tâches qui vous attendent pour renforcer la place de la France dans le monde sont donc considérables. Le présent budget, qui est un budget de transition, n'y suffira pas, mais il constitue un premier pas vers un redressement et vers une ambition nouvelle pour une France forte dans une Europe puissante. Tel est le message du projet de budget du ministre des affaires étrangères, que je voterai avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme MoniqueCerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous, Français établis à l'étranger, Français d'Argentine et de tous les pays en proie à des crises financières, Français d'Israël et de Palestine, tant de fois endeuillés, Français de Côte d'Ivoire et de toute une Afrique victime de la guerre, nous mesurons l'aggravation de la situation internationale. Nous en subissons de plein fouet les conséquences, sous la forme de la perte d'emploi et de ressources et, parfois, sous la forme de l'exode. Nous sommes fréquemment exposés à la menace terroriste et aux guerres.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, à l'occasion de ce débat budgétaire, j'évoquerai les deux sujets que sont les capacités du ministère à venir en aide aux Français de l'étranger en difficulté et les menaces de guerre et la lutte contre le terrorisme d'aujourd'hui.
En 2003, les consulats auront-ils les capacités de mener une action sociale efficace en faveur non seulement de ces Français que les crises économiques et politiques de leur pays d'accueil laissent démunis, mais aussi de ceux auxquels la chance n'a pas souri dans une expatriation toujours risquée ?
Ce sujet me tient à coeur : en 1999, je remettais au Premier ministre un rapport sur l'exclusion sociale dans les communautés françaises à l'étranger. J'y faisais des propositions qui ont été reconnues comme aussi pragmatiques et mesurées que possible. J'insistais alors sur la nécessité de franchir le fossé qui sépare l'assistanat du xixe siècle de l'insertion sociale d'aujourd'hui.
Les principales mesures que j'avais proposées ont été depuis lors testées et validées. Notons l'autonomie des comités consulaires pour l'action et la protection sociale, qui a facilité l'action du poste de Buenos Aires face à la crise financière et à ses conséquences pour les Français. Relevons aussi l'allocation locale d'insertion sociale, dont les résultats ont été positifs pour ses bénéficiaires, tant à Madagascar qu'au Sénégal, ainsi que l'instauration à Dakar, sur le modèle de ce qui avait été réalisé à Tananarive, de la formation professionnelle destinée aux jeunes adultes.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, étendrez-vous ces mesures de modernisation en 2003 ? L'augmentation de 2,7 % des crédits d'aide sociale consulaire stricto sensu permet-elle d'espérer une amélioration qualitative et quantitative de l'aide sociale pour les Français à l'étranger ?
L'espoir est faible, car trop de faits démentent la promesse des crédits. Notre inquiétude naît de trois facteurs.
Pour la première fois en vingt ans d'histoire de l'aide sociale française à l'étranger, le gel budgétaire a frappé, en août 2002, les crédits d'aide consulaire à hauteur de 15 %, ce qui représente une perte de 2,6 millions d'euros. Cette mesure aurait entraîné une diminution de 50 % à 60 % des allocations versées aux personnes âgées et aux handicapés si elle n'avait été levée le 23 octobre. Mais les aides à durée déterminée ont été supprimées jusqu'à la fin de l'année. Or c'est le seul instrument qui permette aux consulats de faire face aux situations de détresse accidentelles.
Notre inquiétude s'alimente aussi des consignes données à certains consultats de diminuer le taux de base local, prélude à une baisse des allocations pour 2003. Nous voudrions comprendre pourquoi de nombreux consuls déclaraient encore à la fin du mois de novembre, soit six semaines après ladite levée, ne pas être informés de la levée du gel budgétaire. Que signifie cette rétention de l'information ? Où a-t-elle eu lieu ?
Autre motif d'inquiétude : l'absence de toute création de poste d'assistants sociaux, alors que le ministère estime qu'il lui manque 80 postes dans les consulats et que la réforme du mode de paiement des visas exigera 30 postes supplémentaires en 2003. Qui gérera l'aide sociale quotidienne ? Qui gérera les bourses scolaires ? Leur nombre atteint maintenant plus de 18 000 par an : il faut les gérer, et bien les gérer, car ce sont les deniers de l'Etat.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Les ambassadeurs sont payés pour cela !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Qui gérera la mise en oeuvre de la troisième catégorie solidaire de la Caisse des Français de l'étranger, la CFE ? Là aussi, il faut du personnel compétent pour que les deniers de l'Etat soient bien attribués.
Quelles assurances donnerez-vous aux Français de l'étranger, monsieur le ministre ? Quels engagements fermes prendrez-vous en matière d'aide sociale qui soient de nature à apaiser leurs inquiétudes, qui sont multiples ?
Inquiétude sur le devenir des crédits d'aide sociale que nous votons aujourd'hui : gelés une première fois, pourquoi ne le seraient-ils pas une seconde fois ?
Inquiétude, car, en l'absence de personnel spécialisé, on continuera de distribuer des aides à la mode du xixe siècle, sans faire la nécessaire réinsertion sociale.
Inquiétude, car le ministère prend actuellement des dispositions qui laissent présager son désengagement de la formation professionnelle à l'étranger.
Le Conseil supérieur des Français à l'étranger, le CSFE, et sa commission spécialisée seront-ils mis devant le fait accompli après-demain, à l'occasion de la réunion de son bureau permanent ? A quoi sert notre conseil consultatif ? A écouter des discours ? Je vous ferai remarquer que ce que veut le CFSE, c'est avoir prise sur la réalité. Il attend de la considération et des pouvoirs, et non pas seulement des discours.
J'aborderai maintenant mon deuxième propos, qui concerne les menaces de guerre et la lutte contre le terrorisme d'aujourd'hui, et je le ferai au nom du groupe socialiste.
Tout d'abord, la France a fait du très bon travail à l'ONU. Nous avons fait triompher le droit international, nous avons fait triompher le multilatéralisme.
M. André Dulait, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Nous devons rendre hommage à l'action du ministre des affaires étrangères et de notre représentation à l'ONU.
M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial. Du très bon travail !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Toutefois, nous sommes au bord d'une nouvelle crise internationale majeure. Les inspecteurs font leur travail en Irak et, pendant ce temps, les Etats-Unis poursuivent leurs préparatifs militaires. Cette situation nous fait sérieusement réfléchir.
Mme Hélène Luc. C'est une situation inacceptable !
M. Serge Mathieu. Tout à fait inacceptable !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le ministre, quelle sera l'attitude de la France si les Etats-Unis déclenchent une opération militaire contre Bagdad ? Si le Gouvernement envisage d'associer la France à cette guerre, nous vous demandons fermement un débat et un vote préalable au Parlement.
Mme Danièle Pourtaud. Absolument !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. En effet, la dictature irakienne menace beaucoup plus, de notre point de vue, son propre peuple que la paix du monde. Une intervention armée étrangère apportera-t-elle un soulagement à ce peuple ? Nous ne le croyons pas. Ceux qui parient sur les résultats incertains d'une guerre et sur un renouveau politique apporté dans les convois de l'armée américaine font très probablement un mauvais calcul.
Mme Danièle Pourtaud. Tout à fait !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. La situation actuelle en Afghanistan est là pour nous éclairer sur ce point.
Rien ne décrédibilise plus les notions de démocratie et de droits de l'homme aux yeux des peuples qui en ont toujours été privés par l'Occident - ou avec sa bienveillante approbation - que d'aller défendre des intérêts pétroliers en agitant cette bannière. Rien n'alimente mieux les discours fallacieux des propagateurs du terrorisme contemporain.
Ayant longtemps vécu en Afrique du Nord, et après dix ans de voyages dans le monde, je peux dire que, vue d'Afrique, d'Amérique latine, du monde arabe, d'Asie, l'histoire contemporaine fait apparaître une contradiction flagrante entre les progrès de la démocratie depuis le xixe siècle dans nos pays et une politique internationale qui en a souvent bafoué tous les principes. Nous croyons que c'est l'une des explications du succès actuel de la propagation des idéologies fondées sur la violence auprès de peuples qui n'ont jamais connu que l'oppression, la colonisation, puis les simulacres de démocratie et de politique de développement dont nous nous sommes bien accommodés depuis les années soixante, à cause de la guerre froide et tant que nos grandes entreprises en tiraient profit.
Depuis le 11 septembre 2001, les maux profonds et meurtriers qui secouent la planète ont-ils disparu ? Les famines, les conflits en Afrique, la répression en Corée du Nord, au Tibet et en Chine, l'oppression des paysans en Bolivie ou au Brésil, le conflit meurtrier entre Israël et les Palestiniens, tout cela a-t-il disparu ? Nous craignons que la hantise légitime du terrorisme internationalisé n'occulte ces problèmes de fond. Or ce sont ces problèmes qui constituent le terreau fertile où prospère la propagande terroriste anti-occidentale.
Sommes-nous en train d'apporter les bonnes réponses aux défis du terrorisme ?
L'incapacité de la communauté internationale à faire respecter une seule des résolutions du conseil de sécurité destinées à protéger le peuple palestinien est-elle la bonne réponse au terrorisme ?
Notre complaisance à l'égard des régimes qui prospèrent grâce à la captation de la rente pétrolière, de l'Arabie Saoudite à l'Algérie, est-elle la bonne réponse au terrorisme ?
Notre indifférence face à la poursuite de la guerre russe en Tchétchénie est-elle la bonne réponse au terrorisme ?
Notre laisser-faire face aux dégâts de la mondialisation libérale dans le tiers monde est-elle la bonne réponse au terrorisme ?
Les désordres du monde actuel trouvent leur origine dans la violence qui n'a jamais cessé de s'exercer tout au long du xxe siècle. Dans les pays arabes et en Iran dès les années cinquante, en Indonésie dans les années soixante, en Amérique latine dans les années soixante-dix, les groupes sociaux porteurs de modernité ont été persécutés, les dirigeants syndicaux assassinés, les élites décimées et contraintes à l'exil. Cette violence généralisée a créé des vastes zones de non-démocratie et de non-droit.
Le plus souvent, cette violence a été le fait de politiques délibérées menées par les grandes puissances. On peut citer le plan Condor en Amérique latine, orchestré par les Etats-Unis, et l'assassinat des opposants en Afrique, réalisé avec la collaboration de divers services secrets. Ce n'est pas un hasard si ces régions du monde connaissent aujourd'hui des situations de grande instabilité et une violence chronique. Faute de véritables élites, disparues dans la tourmente dans ces quarante dernières années, les faux prophètes et les seigneurs de guerre y ont le champ libre.
La lutte indispensable contre le terrorisme international ne suffira pas à calmer les tempêtes qui agitent les trois quarts de la planète, surtout si on l'envisage sous le seul angle militaire. La part du renseignement et de la coopération policière internationale est le volet immédiat et essentiel de cette lutte. Les changements fondamentaux de la politique internationale, sous l'égide des Nations unies, est le second volet de l'action à long terme.
En politique internationale, les pays démocratiques ont le devoir de mettre en accord - enfin ! - leurs actes avec leurs principes. A défaut, nous laisserons aux générations futures un monde où les fragiles conquêtes des droits de l'homme et des droits des peuples nées, au xviiie siècle, de la Révolution américaine et de la Révolution française, seront submergées par des violences qui s'alimentent de nos propres contradictions. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon intervention portera sur les relations franco-allemandes, d'une part, et sur le Conseil de l'Europe, d'autre part.
Nous savons tous que le moteur franco-allemand a été l'élément qui a permis, depuis la fin de la guerre, de faire progresser la construction européenne. En effet, aucune grande avancée dans la construction de l'Union européenne ne s'est réalisée sans un accord prélable entre la France et l'Allemagne. Chaque fois qu'un grain de sable s'est inséré dans ces relations, il s'en est suivi une période de stagnation pour l'Union européenne.
Nous allons, le mois prochain, célébrer le quarantième anniversaire du traité de l'Elysée, fondement de cette coopération qui a résisté à toutes les alternances politiques, d'un côté comme de l'autre. Ce fut la force du moteur franco-allemand ! Cette commémoration ne doit pas simplement nous inciter à porter un regard sur le passé, elle doit surtout marquer le point de départ d'une époque nouvelle, car je suis persuadé que si la coopération franco-allemande a été un moteur important dans une Europe qui est passée de six à quinze Etats, elle le sera également dans une Europe à vingt-cinq Etats.
M. Robert Del Picchia. C'est exact !
M. Daniel Hoeffel. Si les deux pays sont d'accord, de nouvelles avancées et une stabilisation de l'Union européenne se réaliseront. S'ils ne le sont pas, une menace pèsera sur l'unité de l'Europe.
Cette coopération ne s'est pas exercée seulement sur le plan politique. Elle s'est aussi appuyée sur le rapprochement des entreprises, des universités. Les collectivités locales y ont beaucoup contribué à leur manière. D'autres instruments ont été créés, notament l'Office franco-allemand pour la jeunesse, la chaîne de télévision Arte - laquelle devrait d'ailleurs se recentrer sur la coopération franco-allemande, qui fut sa vocation première -, mais aussi les centres d'études et de recherches franco-allemands.
Permettez-moi en cet instant de formuler quelques remarques à propos de l'intervention de Jacques Chaumont, rapporteur spécial. Il a estimé qu'il était souhaitable - et, sur le principe, il a raison -, que les représentations consulaires françaises dans les pays d'Europe soient réduites au profit d'implantations consulaires sur d'autres continents.
Je suis d'accord sur le principe, mais en l'assortissant d'une exception sur le plan culturel : je regrette, pour ma part, que les délégations culturelles et les centres culturels français en Allemagne aient fait l'objet d'un véritable démantèlement, ...
M. Guy Penne. Bravo !
M. Daniel Hoeffel. ... à un moment où la coopération culturelle, scientifique, universitaire et linguistique me paraît fondamentale pour consolider les liens d'amitié entre la France et l'Allemagne.
M. Pierre Laffitte. C'est vrai !
M. Daniel Hoeffel. C'est à partir d'une coopération sur les plans linguistique et culturel que l'on pourra intéresser à nouveau la jeunesse et créer un support plus solide en matière de relations économiques entre les deux pays. Comment ne pas regretter qu'en vingt ans l'enseignement de la langue allemande en France ait régressé de 50 %...
M. Jacques Legendre. Très bien !
Mme Hélène Luc. C'est vrai !
M. Daniel Hoeffel. ... et que l'évolution de l'enseignement du français en Allemagne ait connu la même évolution ?
Et l'on s'étonne après de l'hégémonie progressive de l'anglais sur le continent européen ! Si nous n'apprenons pas à nouveau la langue du voisin, nous contribuerons à cette évolution que notre collègue Jacques Legendre regrettait, à juste titre, tout à l'heure.
Mme Hélène Luc. C'est vrai !
M. Daniel Hoeffel. Ma deuxième observation concernera le Conseil de l'Europe.
Si certains de nos collègues sont mieux placés que moi pour en parler, je pense que, venant d'une région où est implanté, depuis 1949, le Conseil de l'Europe, je puis l'évoquer rapidement.
Voilà une institution qui est implantée sur le sol français depuis plus de cinquante ans qui est pourtant mal connue, trop souvent sous-estimée, pas assez valorisée ni utilisée.
Or, faut-il le rappeler, le Conseil de l'Europe a un bilan positif à son actif. Bien des réalisations qui ont eu lieu dans le domaine des droits de l'homme sur notre continent européen sont à mettre à son crédit.
L'apprentissage de la démocratie dans les pays d'Europe centrale et d'Europe de l'Est est en partie l'oeuvre du Conseil de l'Europe où pouvait se dérouler le dialogue franc et loyal entre tous les pays, de l'Atlantique à l'Oural, sinon au Conseil de l'Europe ? Mais c'est aussi le seul endroit où a lieu un débat sur une politique d'aménagement du territoire européen : il ne se déroule plus nulle part ailleurs.
Voilà pourquoi, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, un soutien moral, un soutien budgétaire sans équivoque, un soutien politique clair au Conseil de l'Europe me paraît essentiel pour stabiliser cette institution, à laquelle la France doit porter un intérêt au moins équivalent à celui que lui portent les pays d'Europe de l'Est. Elle a besoin de considération ; je suis persuadé que le Gouvernement français fera tout pour qu'il en soit ainsi.
Je terminerai par une question : la charte européenne de l'autonomie locale a été élaborée il y a un certain nombre d'années au Conseil de l'Europe. Elle a été signée, mais quelles sont les perspectives de son éventuelle de sa ratification par la France ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Danielle Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous vivons dans un monde de violence, de conflits plus ou moins ouverts, d'Etats fragilisés, mais aussi de résistances appuyées sur les valeurs universelles de justice et de droit.
Les événements du 11 septembre 2001 ont permis aux Etats-Unis de légitimer leur rôle de victime ayant droit à réparation. Ils ont désigné leurs adversaires et veulent les punir eux-mêmes dans le lieu et au moment où ils le décideront. Si, durant les guerres du Golfe, du Kosovo et de l'Afghanistan, les Etats-Unis ont bénéficié d'un large appui international, la position du président Bush concernant l'Irak ne fait plus l'unanimité.
De nombreux pays, notamment ceux de l'Union européenne, inquiets de cette volonté impériale, ont choisi de soutenir le droit international comme rempart à cet interventionnisme unilatéral.
Après huit semaines de négociations difficiles, où la diplomatie française a joué un rôle particulièrement efficace, la résolution 1441 a été adoptée à l'unanimité du Conseil de sécurité et acceptée par les autorités irakiennes.
Cette résolution, malgré l'interprétation américaine, met l'accent sur la mission politique de contrôle des inspecteurs de l'ONU et ouvre la possibilité d'un règlement pacifique. Dans leur déclaration commune, la France, la Russie et la Chine insistent sur le fait qu'elle « exclut toute automaticité dans le recours à la force » et que « le Conseil de sécurité reste au coeur des décisions à venir ».
La guerre ne doit pas être inéluctable. Tout doit être mis en oeuvre pour que cette mission se déroule sans entrave ni provocation de part et d'autre. Il faut soutenir cette initiative.
La France et l'Union européenne ne pourraient-elles pas envoyer une mission parlementaire pluraliste et multinationale pour conforter l'action menée par les inspecteurs, sous la direction de Hans Blix ?
En effet, le gouvernement américain prend des initiatives contestables et provocatrices : opposition à la reconduction pour 180 jours de la résolution « pétrole contre nourriture », qui permettait d'importer des denrées nécessaires au peuple irakien, déjà affamé par l'embargo ; bombardements récents sur la ville de Bassora, qui ont fait quatre morts et une vingtaine de blessés. Ces actions, loin de gêner le régime dictatorial de Saddam Hussein, ne font qu'aggraver la vie quotidienne de la population. Elles ne visent qu'à créer un incident.
Au-delà de la volonté d'éliminer les armes de destruction massive, la stratégie américaine vise en fait d'autres objectifs : la mainmise sur les ressources pétrolières et la mise en place d'un gouvernement favorisant ses intérêts économiques et géostratégiques.
Les menaces de guerre sont donc particulièrement réelles. La France, l'Allemagne et l'Union européenne, qui ont déjà tenu un rôle positif et constructif, doivent tout faire pour sauvegarder la paix.
Déjà, le Forum social européen qui s'est tenu à Florence a mobilisé un million de personnes pour la paix. Les conséquences d'une guerre seraient en effet considérables. Elles le seraient pour le peuple irakien, qui vit depuis plus de dix ans un drame quotidien. Elles le seraient par la déstabilisation de la région qu'elles pourraient entraîner par l'éclatement des frontières qu'elles occasionneraient, par les pleins pouvoirs qu'elles laisseraient au gouvernement israélien ultranationaliste pour régler, à sa manière, le problème palestinien.
En renforçant l'emprise des Etats-Unis, une guerre conforterait un nouvel ordre mondial, fondé sur leur volonté hégémonique.
Enfin, elle pourrait avoir des répercussions à l'intérieur même des pays européens, où les populations musulmanes - notamment les jeunes - sont particulièrement sensibles aux injustices des politiques « deux poids, deux mesures ».
Comme le problème irakien, le dramatique conflit israélo-palestinien doit trouver le plus rapidement possible une solution politique. Depuis plus de cinquante ans, le peuple palestinien lutte pour la reconnaissance de sa dignité. Il aspire à la création d'un Etat, avec Jérusalem-Est comme capitale.
Après des avancées considérables, l'arrivée au pouvoir d'Ariel Sharon, qui est fondamentalement hostile à cette perspective, a fait échouer toute négociation sérieuse. L'extension continuelle des colonies et de leurs routes de contournement, la multiplication des check-points, le bouclage systématique des territoires, les couvre-feux imposés vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans les villes autonomes et dans les camps palestiniens, enfin, la récente construction d'un mur de séparation entre les deux communautés ont créé les conditions d'une vie quotidienne totalement inhumaine.
Le chômage frappe désormais de 50 % à 80 % des Palestiniens, dont la majorité vit avec moins de 2 dollars par jour.
Malgré cela, si des formations extrémistes, comme le Hamas et le Djihad islamique, s'appuient sur le désespoir pour organiser des attentats terroristes contre les populations civiles israéliennes, le peuple palestinien, dans sa majorité, refuse de cautionner de tels actes, continue de soutenir la perspective d'une solution politique en espérant l'aide et l'engagement des pays démocratiques.
A la demande de la communauté internationale, Yasser Arafat a annoncé des élections législatives pour janvier 2003. Cette échéance doit être tenue. L'Union européenne, qui défend la sécurité, le respect des droits de l'homme et la démocratie, doit s'engager davantage. Elle pourrait proposer une présence internationale et demander l'évacuation des territoires occupés par l'armée israélienne pour garantir le bon déroulement de ces élections.
La France peut-elle prendre l'initiative, avec d'autres pays européens, d'envoyer sur place des observateurs internationaux ? Au-delà de leur mission de contrôle, ils pourraient être un facteur d'apaisement et préparer ainsi les conditions d'une reprise de négociations ultérieures.
Si nous apprécions le retour de la Russie sur la scène internationale et le rôle que sa diplomatie peut y jouer, la guerre en Tchétchénie reste, pour nous, une grande préoccupation. Là encore, la dramatique prise d'otages de Moscou a montré la nécessité pour l'Europe et la France d'aider à une reprise des négociations entre les autorités russes et tchétchènes pour un règlement politique de ce conflit.
Mais l'élément fondamental de la situation internationale demeure l'inégalité criante et croissante entre la pauvreté des pays du Sud et la richesse des pays du Nord. Près de trois milliards d'hommes survivent avec moins de 2 dollars par jour. La dette et le sida peuvent illustrer cette injustice à dimension planétaire.
La dette des pays pauvres, qui atteignait 534 milliards de dollars en 1980, est passée à 2 068 milliards de dollars en 2000. Le service annuel de cette dette est sept fois supérieur à l'aide au développement. Nous réclamons son annulation, qui serait un facteur de solidarité ouvrant d'autres perspectives.
Quant aux derniers chiffres publiés sur le sida, ils sont terrifiants : 42 millions de personnes contaminées ! Les pays riches possèdent les traitements, mais l'accès à la trithérapie est réservé à seulement 4 % de la population mondiale. Là encore, il y a une véritable faillite de la solidarité, et l'argent attribué au Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme, créé en juin 2001, n'a toujours pas commencé à être distribué.
L'aide au développement et le rôle de la coopération sont des thèmes essentiels sur lesquels ma collègue Hélène Luc interviendra.
C'est dans ce contexte que nous examinons aujourd'hui, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, votre projet de budget. Nous constatons avec satisfaction qu'il bénéficie d'une hausse sensible, en progression de 13,24 % par rapport à 2002, ce qui représente 4,11 milliards d'euros.
Si nous observons que les contributions obligatoires augmentent de plus de 10 %, nous regrettons la stagnation des contributions volontaires.
Le problème le plus préoccupant est celui des fonds accordés à l'UNWRA, l'agence des Nations unies pour l'aide aux réfugiés de Palestine. Après le gel de la subvention de 2002, le ministère a décidé le déblocage d'un engagement de 2 millions d'euros. Cette somme, identique à celle qui fut accordée en 2001, n'a toujours pas été versée. Ce qui est encore plus grave, c'est l'absence de réponse de la France à un appel d'urgence lancé par l'UNWRA pour faire face aux besoins accrus des Palestiniens en matière d'aide alimentaire.
Pouvez-vous nous indiquer quelles sont, dans ce domaine, les intentions du Gouvernement ? Cette question paraît d'autant plus d'actualité que nous venons d'apprendre la destruction, par l'armée israélienne, d'un entrepôt du programme alimentaire mondial installé à Gaza.
Enfin, si nous apprécions l'augmentation de 127 % de la somme accordée au Fonds européen de développement, nous souhaiterions plus de transparence quant au fonctionnement de cette institution et une complète utilisation de ces crédits.
Compte tenu de tous ces éléments, le groupe CRC a décidé de s'abstenir sur ce projet de budget. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il y a quelques temps paraissait à Paris le livre d'un ancien Premier ministre centrafricain, M. Jean-Paul Ngoupandé, intitulé L'Afrique sans la France . En quelques mots tout est dit de la rumeur qui court de Dakar à Brazzaville selon laquelle l'Afrique doit apprendre à se passer de la France, car la France ne s'intéresse plus à l'Afrique.
Or l'Afrique est en difficulté. La Côte d'Ivoire en offre une bien triste illustration. Abandonner un ami en difficulté est évidemment un comportement inacceptable. Je sais bien, monsieur le ministre, que telle n'est pas votre attitude - je vous connais trop pour en douter un seul instant - ni celle du Gouvernement, ni celle du Président de la République. Vous venez d'ailleurs de le montrer par des actes et vous le montrez encore par l'effort significatif que vous proposez d'accomplir en faveur du développement dans le présent projet de budget. C'est pourquoi nous vous soutenons et c'est pourquoi, en ce qui me concerne, je le voterai sans aucune réserve.
Mais il est temps d'accomplir d'autres actes forts, car la France et l'Afrique, la France et les Africains risquent de se méconnaître et de s'éloigner.
Nombreux ont été les jeunes Français qui ont servi jadis comme coopérants en Afrique. Ils ont appris à connaître et à aimer ce continent. Nous ne voyons plus guère de ces jeunes coopérants puisqu'il n'y a plus de service militaire.
Qu'allez-vous faire, monsieur le ministre, pour favoriser la présence en Afrique de nombreux jeunes Français apportant toute leur générosité ? Ne faudrait-il pas songer à créer une sorte d'office franco-africain de la jeunesse favorisant des rencontres, des séjours, une action partagée ?
Car les jeunes Africains sont eux aussi de moins en moins nombreux à connaître véritablement notre pays. Les étudiants africains des années soixante et soixante-dix - dont certains sont maintenant ministres ou chefs d'Etat - avaient une véritable connaissance de notre pays, pour avoir fréquenté, par exemple, les quartiers universitaires de Lille et de Montpellier ou le Quartier latin. Ils y avaient d'ailleurs parfois, et même souvent, dénoncé le colonialisme. Et ils sont maintenant nos meilleurs amis !
Si l'élite africaine des pays francophones parle encore le français, ses références, ses souvenirs sont de plus en plus à Montréal, à Atlanta, à Washington ou à New York.
Qu'allez-vous faire, qu'allons-nous faire, pour assouplir l'excessive sévérité des visas étudiants, rouvrir nos universités et nos grandes écoles à une jeunesse qui trouve encore naturel d'y être accueillie et qui ne se résigne à aller voir ailleurs que parce que, décidément, il est trop difficile de venir étudier en France ?
Au-delà de l'action urgente à mener pour concourir au rétablissement de la concorde dans de nombreux pays africains, il y a cette nécessaire action de fond à conduire pour que la France garde en Afrique son influence, sa place, et qu'elle puisse continuer à y oeuvrer avec efficacité.
Qu'allez-vous faire, monsieur le ministre, pour que notre diplomatie conserve en son sein les véritables connaisseurs et sincères amis de l'Afrique que furent longtemps nos ambassadeurs sortis de l'Ecole nationale de la France d'outre-mer ? (Très bien ! sur le banc des commissions.) Est-il prévu de corriger, chez nos jeunes diplomates, ce tropisme qui les porte trop souvent à préférer les postes en Europe ou dans les organisations internationales ?
Comment comptez-vous donner à la France cette nouvelle génération d'experts, mais aussi de passionnés de l'Afrique, dont notre diplomatie a besoin et dont, après tout, M. Dominique de Villepin est sans doute un bon exemple ?
Dans quelques semaines, se tiendra à Paris un sommet franco-africain. Puisse-t-il être l'occasion de réaffirmer avec éclat et de populariser cette sympathie profonde que beaucoup de Français et beaucoup d'Africains éprouvent les uns envers les autres !
Puisse-t-il aussi être l'occasion, pour la France, de manifester sa détermination à agir vite et fort dans deux domaines qui oblitèrent l'avenir de l'Afrique, à savoir la crise profonde de son système éducatif et l'extension galopante du sida !
Notre désengagement est allé trop loin. Cessons de redouter d'être suspectés de je ne sais quelle ingérence. Nous avons, à l'égard de nos partenaires africains, un devoir de respect. Ils sont indépendants, et nous les avons d'ailleurs souvent aidés à installer leur indépendance.
Des Etats déstructurés et pauvres - je pense, notamment, pour bien la connaître, à la malheureuse République centrafricaine - ont besoin, pour se reconstituer, d'une présence plus forte de Français, en particulier d'experts français.
Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, sur le Gouvernement et sur le Président de la République pour affirmer que, demain, à nouveau, la France sera aux côtés des Africains. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans le monde entier, la France symbolise la liberté, l'exercice de la démocratie et renvoie au siècle des Lumières.
La qualité des participants au premier sommet francophone à s'être tenu en terre arabe - c'était à Beyrouth, en octobre dernier - a montré que ce sommet était une tribune permettant de faire écho à l'ensemble des préoccupations du monde puisqu'y ont été abordés le terrorisme, la menace irakienne, le rôle des Nations unies, le conflit israélo-arabe et la politique des Etats-Unis.
Certes, la langue est un élément de reconnaissance identitaire mais elle est avant tout un moyen de communiquer.
Néanmoins, ce qui unit les membres de la famille francophone dépasse le strict cadre de la langue. Les événements ont montré que cette communauté a accompagné des processus de démocratisation et de défense des droits de l'homme.
Au-delà de l'expression d'une civilisation, une langue est donc un lien entre des civilisations différentes, pour lesquelles elle devient une référence de valeurs.
L'attirance pour l'organisation internationale de la francophonie a conduit certains à se gausser sur la démarche de pays dont le français n'était pas précisément la langue véhiculaire mais qui souhaitaient rejoindre les cinquante-cinq nations qui constituent cette structure. En fait, cette volonté prouve la confiance des pays pauvres dans la mission des quatre nations industrialisées que sont la France, le Canada, la Suisse et la Belgique : celles-ci constituent un rempart contre les conséquences de la mondialisation. Comment, sinon, faire face aux exigences, aux contraintes techniques et juridiques posées par l'Organisation mondiale du commerce ?
Aussi cocardiers que nous soyons, la préservation de l'usage du français dépasse donc l'orgueil hexagonal. Pourtant, le français n'arrive plus qu'au neuvième rang des langues les plus pratiquées. Au-delà des ambassades et des consulats, pourquoi ne pas profiter davantage du réseau des alliances, qu'il faudrait aider plus significativement, ainsi que des SOFTE, les services officiels français du tourisme à l'étranger, dans le domaine du tourisme ?
Afin d'optimiser l'utilisation des crédits consacrés à la francophonie, il conviendrait de les réunir dans un budget global. Aujourd'hui, ce sont une demi-douzaine de ministères qui interviennent à travers un nombre difficilement estimable d'associations subventionnées et une petite dizaine d'instances multilatérales qui mènent des actions de toutes sortes. L'opacité dans la répartition des tâches et des moyens est telle que l'on est bien en peine d'en déchiffrer l'organisation.
Or, selon un chiffrage fondé sur les informations qui ont pu être réunies et qui, évidemment, ne sont pas exhaustives, les sommes consacrées à la francophonie dépassent 2,4 milliards d'euros. La logique voudrait que ces crédits soient gérés par un seul ministère.
Deux points me semblent préoccupants par rapport au repli entamé : d'une part, on s'achemine, par simple voie administrative et sans aucun débat politique, vers un régime linguistique fondé sur une seule langue, l'anglais, au sein de la Commission européenne et du Conseil de l'Europe ; d'autre part, la traduction en français des brevets européens est abandonnée.
L'Angleterre ayant été à la pointe de l'industrialisation, beaucoup de nouvelles techniques ont été nommées dans son idiome. Aujourd'hui, l'anglais est devenu la langue d'échange dans les communautés scientifiques, et il s'impose sans pour autant avoir de réelle légitimité.
Il n'y a aucune fatalité à cela. Il convient de réagir.
Ce n'est ni de la paranoïa ni du nombrilisme ; c'est la mise en exergue d'une rédaction de plus en plus systématique dans la seule langue anglaise des documents de travail européens que stigmatise un syndicat de fonctionnaires de cette sphère.
Tout repose sur un distinguo subtil : langues officielles et langues de travail. Le règlement adopté en 1958 n'opère pas de distinction entre ces deux catégories. Il est convenu que ce choix unique conduit à une perte de créativité, de pensée, à un appauvrissement des institutions. Si l'on pousse à l'extrême ce diktat linguistique, on finira par choisir des intervenants pour leur seule capacité à s'exprimer en anglais et non pour leurs compétences.
Il me semble que, si l'on veut que l'Europe existe comme bloc culturel et économique face aux Etats-Unis d'Amérique, il est nécessaire qu'elle affirme sa spécificité au regard tant de l'expression que des règles. Il me serait agréable de connaître la position du Gouvernement à ce sujet.
Le « tout anglais », pour ce qui concerne les brevets, est encore évitable puisque le précédent gouvernement n'avait pas ratifié les dispositions incriminées dans le protocole de Londres, texte qui vise à mettre fin à l'obligation de traduction des brevets européens pour les rendre juridiquement opposables en France. En fait, 93 % des brevets européens sont rédigés en allemand ou en anglais.
L'entrée en vigueur de ce texte profiterait en premier lieu aux principaux déposants de brevets européens, qui sont majoritairement des entreprises américaines et japonaises. Cela achèverait de marginaliser les sociétés françaises, déjà distancées. Elles seraient alors soumises à un afflux supplémentaire de textes non traduits.
L'Espagne, l'Italie et le Portugal ont refusé de signer le protocole.
Si l'on occulte le fait que la France est en retard dans la « course aux premiers dépôts », c'est-à-dire ceux qui servent de base aux extensions de protection à l'échelle européenne, le protocole, s'il était validé, augmenterait l'incertitude juridique sur la portée de certains droits en favorisant les politiques de dépôts massifs des grands déposants. La filière française de la propriété industrielle ne traiterait plus que 7 % du total des brevets délivrés, les consultations et expertises des 93 % de brevets restants, dorénavant non traduits en français, revenant aux conseils allemands, pour 18 %, et surtout anglais, pour 75 %.
Notre Premier ministre s'étant élevé contre la signature du protocole de Londres par le précédent gouvernement, je souhaiterais connaître les intentions du Gouvernement sur un sujet qui engage une partie de la capacité innovante de la nation. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Serge Mathieu.
M. Serge Mathieu. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la discussion du projet de budget des affaires étrangères pour 2003 s'inscrit dans un contexte international principalement marqué par le Moyen-Orient, l'impasse persistante du conflit israélo-palestinien et la reprise des inspections en Irak.
La situation de la communauté internationale vis-à-vis de l'Irak a considérablement évolué depuis notre débat du 9 octobre dernier. La résolution 1441 du 8 novembre dernier a été adoptée par le Conseil de sécurité, et les inspections, dont nous demandions la reprise, ont commencé de manière opérationnelle voilà quelques jours.
Je voudrais tout d'abord réitérer mon appui à notre diplomatie. Dans un contexte extrêmement difficile, notre pays a joué un rôle moteur au sein du Conseil de sécurité pour la recherche d'une solution à la crise irakienne, dont nous espérons que l'issue sera pacifique.
Au moment où nous parlons, rien ne nous permet d'affirmer que cette longue crise - elle dure depuis plus de dix ans - va trouver son aboutissement. Tout, en effet, dépend aujourd'hui de l'Irak : d'ici à quelques jours, le 8 décembre, la déclaration de l'ensemble des armements prohibés que détiendrait l'Irak devra être faite au Conseil de sécurité.
La situation humanitaire en Irak demeure un sujet de très vive préoccupation. Il est évident qu'une intervention militaire serait une catastrophe pour la population, non seulement en termes de pertes civiles directement dues aux opérations à terre et aux bombardements, mais aussi parce que la distribution de vivres et de rations alimentaires serait alors purement et simplement interrompue.
Le représentant à Bagdad du programme alimentaire mondial rappelait récemment que 60 % de la population ne survivait que grâce à ces rations et que l'interruption du programme reviendrait à laisser 15 millions de personnes dans le dénuement.
Comme vous le savez, l'équilibre financier du programme « pétrole contre nourriture » n'existe plus depuis lontemps du fait de la baisse considérable des exportations irakiennes. Plus de 1 600 contrats, représentant 3 milliards de dollars, ne peuvent être exécutés faute de trésorerie. Parmi ceux-ci figurent évidemment de nombreux contrats portant sur l'approvisionnement en nourriture.
J'ai toujours indiqué que nous devions donner à l'Irak une perspective claire de sortie de l'embargo. La fermeté nécessaire de la communauté internationale ne doit pas exclure la générosité, bien au contraire. Nous ne pouvons qu'être extrêmement préoccupés par le développement du sentiment anti-occidental dans ce pays. La propagande anti-américaine du régime de Bagdad ne peut que s'étendre, à mon avis, à l'Occident tout entier. L'exacerbation du sentiment national et la résurgence d'un certain extrémisme islamique, dont témoignent les attentats contre les chrétiens, sont les produits directs du désespoir de la population.
Dans le rapport de notre groupe d'amitié, publié en février dernier, nous avions appelé à des « gestes réciproques ». Le premier de ces gestes devait être l'acceptation par l'Irak du retour des inspecteurs. Que ce retour ait été obtenu par la menace et la contrainte importe peu. Le résultat est celui que nous voulions, c'est-à-dire prouver que l'Irak n'est pas un danger dans la région et que ce pays se conforme aux dispositions des résolutions du Conseil de sécurité. La résolution 1441 a fixé des échéances claires et rapprochées pour atteindre cet objectif.
Il me semble que, parallèlement à cette action, nous devons envoyer un message d'espoir à la population irakienne en indiquant clairement, comme l'a du reste fait M. Hans Blix, que, si les conditions de désarmement sont respectées, l'embargo sera alors définitivement levé. Il s'agit, là aussi, du respect des dispositions des résolutions précédentes.
Mais nous devons aller plus loin, en permettant et en assurant l'approvisionnement alimentaire de la population dès maintenant. Comment pouvons-nous imaginer que l'état de sous-nutrition organiséee dans lequel est maintenu l'immense majorité du peuple irakien ne soit pas interprété comme une punition volontairement infligée par les puissances occidentales ?
J'avais soutenu comme un moindre mal les modifications du dispositif de sanction qui, avec la nouvelle Goods Review list, aurait dû permettre une amélioration très sensible du programme « pétrole contre nourriture ». Il n'en a rien été et l'administration américaine, en demandant une révision de cette liste pour y inclure de nouveaux produits, contribue encore à donner aux citoyens irakiens l'impression d'une volonté implacablement répressive.
J'ajoute - mais faut-il une nouvelle fois répéter cette évidence ? - que développement économique et démocratie vont toujours de pair. De ce point de vue, la reconduction pour neuf jours du programme humanitaire, en dépit de nos efforts, ne peut qu'apparaître comme un message très négatif aux citoyens irakiens.
Ainsi, notre fermeté nécessaire sur la question du désarmement ne doit pas exclure l'autre volet de notre politique qui est, à terme, la stabilisation de la région. Je sais que c'est le but évident de notre diplomatie. Pourtant, l'attitude de certains de nos alliés ne me paraît pas aller dans ce sens et pourrait être interprétée comme des tentatives de pousser l'Irak à la faute.
Je pense aux récentes déclarations du secrétaire d'Etat américain à la défense, qualifiant de « violation patente » de la résolution 1441 les incidents sur les zones de non-survol. La France s'est retirée ou a interrompu sa participation à ces opérations depuis longtemps. Nous avons, pour notre part, dénoncé clairement les bombardements réguliers, dont la fréquence semble s'être accélérée depuis quelques mois. Encore hier, des bombardements sur l'Irak se sont soldés par des morts civils. Si l'Irak, aux termes de la résolution 1441, doit s'abstenir de tout acte susceptible d'aggraver la tension, il me semble aussi que les puissances occidentales doivent s'appliquer la même règle.
A travers des déclarations de ce type, les occidentaux donnent l'impression au peuple irakien que la guerre est inéluctable et que l'autorité des Nations unies n'est qu'un habillage destiné à donner une légalité juridique internationale à une intervention militaire américaine.
Mme Marie-Claude Beaudeau. C'est tout à fait cela !
M. Serge Mathieu. Comme vous l'avez récemment rappelé, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, la résolution 1441 prévoit un dispositif en deux temps qui passe obligatoirement par un rapport de M. Blix ou de M. El Baradei sur les violations éventuelles de l'Irak. Ce n'est que dans un second temps, et sur la base de ce rapport, que le Conseil de sécurité déciderait des actions à entreprendre.
Il importe de montrer que la guerre n'est pas une fatalité et que nous travaillons avec un esprit de générosité à la sortie de la crise.
J'évoquerai à présent les relations que nous avons avec un autre pays qui me tient à coeur et qui vous est cher aussi, monsieur le secrétaire d'Etat : l'Albanie.
L'Albanie joue un rôle central pour la stabilité et la paix dans la région et je me félicite que notre pays soutienne fermement les efforts considérables faits par les gouvernements successifs pour construire un Etat démocratique. Les progrès politiques récents doivent être signalés.
La récente élection d'un président de consensus, M. Moisiu, qui a été élu, en juin dernier, à la majorité absolue au premier tour de scrutin par le Parlement, constitue un grand succès et marque la capacité des deux principaux partis à s'entendre. Depuis cette date, les rapports entre la majorité et l'opposition semblent apaisés et le boycott du Parlement a pris fin. Pour les prochaines échéances électorales, les deux partis travaillent ensemble à proposer des réformes du code électoral, des listes et peut-être, si cela s'avère nécessaire, de la Constitution.
De même, la constitution du gouvernement que dirige M. Fatos Nano a marqué la fin des tensions internes du parti au pouvoir dont les différends avaient conduit à une certaine instabilité politique. Le fait que la lutte contre la corruption et les trafics soit identifiée comme une priorité du gouvernement contribue à donner une image très positive de l'Albanie.
Il n'est donc pas étonnant que ces progrès se soient traduits par la décision de l'Union européenne d'ouvrir les négociations de l'accord de stabilisation et d'association que nous appelions de nos voeux voilà un an. Je sais le rôle que la France a joué dans cette décision. Il nous faut, à présent, accompagner l'Albanie dans ses efforts continus pour développer l'Etat de droit. L'étape de l'accord d'association est capitale puisque l'assimilation des normes européennes est un impératif qu'il faudra progressivement réaliser dans les années à venir. Je souhaite que notre coopération permette d'oeuvrer en ce sens dans tous les domaines, y compris le domaine parlementaire.
Autre fait marquant, au sommet de la francophonie à Beyrouth, l'Albanie est devenue membre à part entière. Cette décision, très attendue, est d'autant plus méritée que 30 % des élèves albanais apprennent le français dans le système scolaire obligatoire. (M. le secrétaire d'Etat acquiesce.) En dépit des offensives de l'anglais, notre langue demeure la deuxième langue apprise en Albanie.
Nous nous devons de poursuivre nos efforts et je sais que notre Alliance française est fort active. Je suis persuadé que nous pouvons encore accentuer notre présence, notamment en ayant enfin un centre culturel français digne de ce nom à Tirana.
La présence de notre langue est un atout culturel qui est également important pour développer nos investissements. De ce point de vue, la présence économique française est insuffisante. Certes, l'investissement ne se décrète pas et je sais que la législation sur la propriété et sur le droit des sociétés doit encore être améliorée. Il n'en demeure pas moins que, comparée à celle que prennent les entreprises italiennes, la place qu'y occupe notre pays n'est pas celle que son influence devrait lui valoir. Sans doute le fait de disposer à Tirana d'un poste d'expansion économique de plein exercice pourrait-il favoriser l'investissement français !
Je me félicite, monsieur le ministre, de la reprise des contacts au plus haut niveau entre nos deux pays. Lors d'un entretien entre M. Chirac et M. Nano, à l'occasion du sommet de Beyrouth, l'hypothèse d'une visite d'Etat du Président de la République française en Albanie a été évoquée. Une telle visite serait effectivement l'occasion de relancer nos relations bilatérales dans tous les domaines avec un pays auquel nous lient des relations d'amitié anciennes et solides.
Tels sont, mes chers collègues, les quelques mots que je voulais prononcer à l'occasion de l'examen du projet de budget des affaires étrangères. Derrière ces crédits, il y a des pays amis de la France et des hommes qui attendent de nous aide, assistance et amitié. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux : nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.
La séance est suspendue.