SEANCE DU 16 DECEMBRE 2002


LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE
POUR 2002

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2002 (n° 95, 2002-2003), adopté par l'Assemblée nationale. [Rapport n° 97 (2002-2003).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, ce collectif répond à trois exigences majeures.
La première d'entre elles est une exigence de sincérité, puisqu'il tend à réviser à la baisse les recettes fiscales de l'exercice 2002 par rapport à la prévision associée au projet de loi de finances pour 2003.
Traditionnellement, le collectif cale les évaluations de recettes, à l'euro près, sur les hypothèses révisées du projet de loi de finances de l'année suivante, même si ces hypothèses sont devenues obsolètes. La volonté du Gouvernement est de rompre avec cette habitude et d'inscrire résolument le principe de transparence et de sincérité au coeur de la politique budgétaire.
La deuxième exigence est la traduction d'un effort important d'économie au moyen de mesures d'ajustement de dépenses par des redéploiements de crédits.
La troisième exigence vise à remettre France Télécom sur une trajectoire de réussite. Face à la situation financière très dégradée de l'entreprise, son président, Thierry Breton, a élaboré un plan de redressement. L'Etat, en sa qualité d'actionnaire majoritaire, assume ses responsabilités. Un amendement a été adopté en ce sens par l'Assemblée nationale sur l'initiative du Gouvernement.
Enfin, ce collectif tend à proposer plusieurs dispositions législatives fiscales et non fiscales rendues nécessaires pour résoudre différentes questions pendantes.
La première exigence est donc celle de la sincérité.
Les dernières évaluations font apparaître des moins-values de recettes fiscales de 1,55 milliard d'euros sur 2002.
Je me suis longuement expliqué devant vous à ce propos, à deux reprises : en présentant ce collectif à votre commission des finances, le jour même de son adoption par le conseil des ministres, puis en séance publique, lors de l'examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2003.
Comme je vous l'indiquais alors, deux séries distinctes de causes expliquent cette révision : des causes ponctuelles, dont l'incidence restera limitée à la gestion 2002, et des causes dont les effets, à hauteur de 700 millions d'euros, se prolongeront sur la gestion 2003.
Je vous rappelle, mesdames et messieurs les sénateurs, que c'est grâce au Sénat que les modifications nécessaires au projet de loi de finances pour 2003 ont été intégrées, à partir des dernières données disponibles.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Absolument.
M. Alain Lambert, ministre délégué. Ainsi, le Gouvernement applique le principe de sincérité cher au Sénat, qui figure désormais explicitement dans la loi organique relative aux lois de finances. Grâce aux efforts combinés de votre commission des finances et du Gouvernement, nous avons pu dégager les ressources supplémentaires permettant de ne pas dégrader le solde du projet de loi de finances pour 2003.
Je ne détaille pas plus avant les modifications apportées aux évaluations de recettes pour 2002. Votre rapporteur général l'a fait excellemment dans son rapport écrit. Je ne rappellerai pas non plus à l'opposition ses propos lors de la présentation de l'audit des finances publiques, alors qu'elle nous accusait de noircir délibérément la situation.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Hélas, on était loin de la vérité !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Ce collectif répond à l'exigence de maîtrise de la dépense par un effort d'économie d'un montant total de 2,6 milliards d'euros, par diverses mesures d'ajustements.
Tout d'abord, les ouvertures portent, pour le budget général, sur 2,2 milliards d'euros. Elles appellent trois observations.
Premièrement, elles sont, pour une large part, neutres sur le besoin global de financement des administrations publiques, car elles concernent les relations de l'Etat avec les autres administrations publiques.
Deuxièmement, elles couvrent souvent soit des insuffisances pour sous-budgétisations de la loi de finances initiale pour 2002, soit des dispositifs mis en place par le précédent gouvernement, notamment les ouvertures à caractère social qui dépassent 800 millions d'euros, hors prime de Noël.
En revanche, le Gouvernement assume entièrement l'ouverture de 215 millions d'euros liée au versement, en fin d'année, d'une prime de Noël aux bénéficiaires du revenu minimum d'insertion et aux chômeurs en fin de droits. Je regrette simplement d'avoir eu à financer, cette année, trois primes de Noël, puisque le précédent gouvernement n'avait pas cru bon de budgétiser les primes payées en 2000 et en 2001. J'aurai fêté trois fois Noël sur le plan budgétaire. Reconnaissez que c'est tout de même beaucoup pour un ministre du budget !
M. Philippe Marini, rapporteur général. En effet !
M. Jacques Oudin. C'est incroyable !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Enfin, le Gouvernement traduit la priorité accordée à la sécurité intérieure et extérieure. Mentionnons les 88 millions d'euros consacrés au fonctionnement des forces armées et les 191 millions d'euros consacrés à la recherche. S'agissant de la sécurité intérieure, 46 millions d'euros sont ouverts au titre de la loi d'orientation et de programmation.
Le collectif retrace, en outre, l'effort d'économie auquel nous nous étions engagés devant le Sénat. Les annulations de crédits s'élèvent en effet, pour le budget général, à près de 2,6 milliards d'euros, et la quasi-totalité des ministères est concernée.
Le déficit budgétaire s'établit, au total, à 47 milliards d'euros à l'issue des délibérations de l'Assemblée nationale.
Enfin, ce collectif contient, comme chaque année, diverses dispositions législatives, fiscales et non fiscales.
S'agissant du dispositif prévu en faveur de France Télécom, le plan proposé par le nouveau président doit être soutenu par son premier actionnaire, c'est-à-dire l'Etat. Celui-ci participera au renforcement des fonds propres en souscrivant à hauteur de sa part dans le capital, soit 9 milliards d'euros. L'Etat défend ainsi son propre intérêt patrimonial.
L'investissement de 9 milliards d'euros ne pèsera pas sur les déficits publics. Il devrait s'intituler « opération financière » en comptabilité européenne, et ne pas affecter le déficit au sens du traité de Maastricht, et donc l'équilibre budgétaire présenté pour l'année 2003.
L'effort fourni par la collectivité nationale se traduira, en revanche, dans le montant de la dette des administrations publiques et représentera, en 2003, 0,6 % du PIB.
Un tel investissement nécessitait des dispositions particulières, que le Gouvernement a prises avec un souci scrupuleux d'efficacité et de transparence.
L'Entreprise de recherches et d'activités pétrolières, l'ERAP, deviendra prochainement un actionnaire important de France Télécom et se verra apporter l'ensemble des titres détenus par l'Etat. Il souscrira à l'opération de renforcement des fonds propres à hauteur de la part détenue par l'Etat. Pour financer cet investissement, il contractera des emprunts dont le remboursement sera financé à la fois par des produits de cession de titres détenus par l'Etat et, à plus long terme, par la cession de titres France Télécom.
Afin que l'ERAP puisse emprunter aux meilleures conditions, la garantie explicite de l'Etat lui est nécessaire. Tel est l'objet de l'article additionnel adopté par l'Assemblée nationale.
Outre ce dispositif en faveur de France Télécom, je mentionnerai succinctement plusieurs autres dispositions qui concrétisent des engagements du Gouvernement.
Ainsi, s'agissant de la suppression du décalage de deux ans pour l'éligibilité au fonds de compensation pour la TVA, le FCTVA, des dépenses exposées par les communes sinistrées par les intempéries conformément à l'engagement pris lors des débats sur le projet de loi de finances pour 2003, les débats à l'Assemblée nationale ont révélé à cet égard l'utilité d'un dispositif permanent et général. C'est pourquoi je vous présenterai un amendement permettant au Gouvernement d'agir par décret afin que les communes victimes d'une catastrophe naturelle puissent bénéficier du FCTVA l'année même de réalisation des investissements.
Je me suis également appliqué à apporter des réponses concrètes à plusieurs problèmes dans le sens de voeux parfois anciens exprimés par le Parlement, notamment par le Sénat.
C'est le cas des pensions des anciens combattants de nos anciennes colonies, qui seront désormais décristallisées et définies en fonction d'un critère de résidence.
De même, une disposition fiscale résout le cas de résidence des enfants en alternance.
Une autre disposition notable est proposée : la régularisation des prélèvements opérés au titre de la couverture maladie universelle, la CMU, sur les dotations générales de décentralisation de certains départements.
C'est le même souci de répondre aux problèmes posés qui inspire le dispositif de réforme de la parafiscalité agricole, adopté par l'Assemblée nationale.
Après des échanges nombreux et constructifs avec la profession, il est proposé la création d'un établissement public, l'Agence de développement agricole et rural, l'ADAR, qui reprendra les missions de l'Association nationale pour le développement agricole, l'ANDA. A cette agence sera affectée une taxe unique, plus lisible, facile à collecter, et uniforme entre les diverses filières.
J'ai pris, lors des débats à l'Assemblée nationale, l'engagement que les transferts de charges seraient limités. Afin de conforter encore cet engagement, le Gouvernement vous proposera, par voie d'amendement, de limiter à 30 % l'augmentation pouvant résulter, pour un contribuable, du passage d'un régime à l'autre.
En matière fiscale, mentionnons encore la transposition de la directive communautaire sur la TVA applicable à la fourniture de services par l'Internet, la fixation de dates de dépôt spécifiques pour les déclarations de revenus souscrites par voie électronique, et la prorogation du dispositif en faveur des dons d'ordinateurs par les entreprises à leurs salariés.
Le texte poursuit les efforts de simplification engagés dans le projet de loi de finances pour 2003, comme les règles de facturation en matière de TVA, les modalités d'attribution des exonérations et des dégrèvements de taxe d'attribution pour les bénéficiaires de certaines aides sociales, ou encore l'institution d'un interlocuteur fiscal unique au profit des entreprises.
Le collectif, conformément aux engagements que j'avais pris devant le Sénat, soutient le développement de la flotte de transport maritime, monsieur Jacques Oudin, ainsi que les emplois dans ce secteur exposé à une vive concurrence internationale. Il prévoit un régime de taxation au tonnage, à l'instar de nombre de nos partenaires européens.
M. Jacques Oudin. Enfin !
M. Alain Lambert, ministre délégué. J'ai respecté l'engagement que j'avais pris devant vous.
Enfin, nous vous proposons de mettre en conformité le régime fiscal des biocarburants avec la réglementation communautaire.
Le Gouvernement, par ce collectif, agit conformément aux engagements pris devant vous. Il compense par des économies la baisse de 5 % de l'impôt sur le revenu mise en oeuvre cet été.
Par ailleurs, confronté à une baisse des recettes en 2002, il choisit la transparence. Il s'interdit le jeu facile, mais si nocif, des budgets virtuels. Il va au terme de la logique de sincérité budgétaire à laquelle il s'est engagé, en traduisant les conséquences des moins-values de 2002, tout en veillant à ne pas détériorer l'équilibre du projet de loi de finances pour 2003.
Enfin, le Gouvernement poursuit l'action de modernisation et de simplification qu'il s'est fixée, en se donnant les moyens de ses priorités.
C'est pourquoi j'ai l'honneur de vous demander, mesdames, messieurs les sénateurs, au nom du Gouvernement, de bien vouloir adopter le projet de loi de finances rectificative que je vous soumets. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce collectif budgétaire pour 2002 est un texte difficile, à la fois sur le fond, compte tenu du caractère ingrat d'un certain nombre de ses dispositions, et sur la forme, compte tenu de son allongement presque au-delà du raisonnable.
Tout d'abord, au regard des conditions d'exécution de la loi de finances pour 2002, nous avons, avec ce texte, la confirmation que la « grande illusion » de la loi de finances initiale pour 2002 est bel et bien dissipée et qu'il faut faire face à une situation réellement très difficile et très préoccupante.
Monsieur le ministre, vous avez indiqué dans votre exposé que l'effort de maîtrise de la dépense d'euros s'était traduit, en particulier, par l'annulation de près de 2,5 milliards d'euros de crédits. Je souligne, pour donner un ordre de grandeur, que cette annulation est près de cent fois supérieure à celle que le Sénat, sur l'initiative de sa commission des finances, a adopté lors de l'examen des différents budgets dans le cadre de la loi de finances pour 2003. Cette observation relativise un peu les choses, me semble-t-il, notamment les cris d'orfraie passablement artificiels qu'ont pu pousser tel ou tel défenseur d'intérêts particuliers, voire certains membres du Gouvernement.
Au demeurant, les 2,5 milliards d'euros d'annulation de crédits sont à mettre en parallèle avec les 2,5 milliards d'euros de coût de l'abaissement des taux de l'impôt sur le revenu intervenu au milieu de l'année 2002. Mais il reste, monsieur le ministre - vous nous l'avez dit - une autre moins-value fiscale de l'ordre de 1,5 milliard d'euros. En réalité, les pertes de recettes fiscales en 2002 sont de l'ordre de 4 milliards d'euros : 2,5 milliards d'euros résultant d'une mesure volontaire, à savoir la baisse de l'impôt sur le revenu, et 1,5 milliard d'euros de moins-value fiscale liée à la mauvaise conjoncture économique. Sur les 4 milliards d'euros de pertes de recettes fiscales, il n'y a que 2,5 milliards d'euros d'annulation de crédits. Monsieur le ministre, nous devons bien garder en tête cette disproportion.
Au total, en 2002, par rapport à la loi de finances initiale, le déficit aura dérapé de plus de 50 % et il s'éléverait à près de 47 millions d'euros. Prudemment, on a inscrit 46,68 milliards d'euros, ce qui représente 3,3 % du produit intérieur brut. Mais en termes de solde des administrations publiques - nous pouvons remercier les collectivités locales notamment -, on se trouve à 2,8 % du produit intérieur brut, c'est-à-dire que l'on tutoie les limites sans tout à fait les atteindre pour le moment.
Nous connaissons le cadrage économique. Nous savons qu'en 2002 a été enregistrée la plus faible croissance depuis 1993, année de récession. Or cet écart considérable par rapport aux prévisions d'origine est dû non pas à une erreur de prévision mais à une stratégie délibérée de l'ancien gouvernement de placer la loi de finances initiale pour 2002 sous le signe d'un taux de croissance prévisionnelle de 2,5 % qui était, on le savait déjà il y a un an, peu réaliste.
Je ne reviendrai pas sur la révision opérée le 6 août 2002 par le premier collectif budgétaire, car les chiffres de l'audit de MM. Nasse et Bonnet sont bien présents dans nos esprits.
Ce qui importe, c'est le collectif d'hiver que nous allons examiner.
En ce qui concerne les recettes fiscales, la TVA, l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés ne sont pas au rendez-vous, ce qui explique la nouvelle diminution de 1,5 milliard d'euros que j'ai déjà évoquée.
En ce qui concerne les recettes non fiscales, l'augmentation que l'on observe est essentiellement d'origine comptable puisqu'elle tient à la façon dont sont prises en compte les dettes contractées avec des pays en voie de développement.
Au total, les recettes prévues pour l'année 2002 s'élèveraient à 224,4 milliards d'euros, ce qui représente par rapport à l'exécution de 2001, une baisse en valeur absolue de 2,4 %. Il convient de méditer un tel chiffre, car un résultat de cette nature n'a jamais été enregistré au cours des années précédentes.
Monsieur le ministre, il est vrai qu'on a pu noter un dérapage très préoccupant de la dépense au début de l'année. Il est vrai aussi qu'un effort de maîtrise a ensuite été accompli de façon volontaire - le texte initial du collectif que vous avez présenté en fait foi. L'effort ainsi réalisé grâce au ministère du budget est notable. En effet, compte tenu des ouvertures de crédits de ce collectif pour 2,3 milliards d'euros, vous aviez soumis à notre examen une loi de finances rectificative qui améliorait le solde des dépenses à hauteur de 154 millions d'euros. Aussi le texte initial, tel qu'il a été examiné par l'Assemblée nationale, proposait-il des efforts suffisants pour parvenir à une réduction du solde des dépenses plus que symbolique.
Néanmoins, cette amélioration de 154 millions d'euros est insuffisante pour faire face aux problèmes à venir, notamment ceux de 2003. Tel était d'ailleurs bien, mes chers collègues, le message que la commission des finances du Sénat voulait faire passer en soumettant péniblement de façon ingrate, centaines de milliers d'euros par centaines de milliers d'euros, millions d'euros par millions d'euros, des amendements de réduction sur les différents budgets en seconde partie de la loi de finances.
Il est vrai que l'année 2003 sera semée d'embûches, comme chacun peut s'en rendre compte, et que les mesures de pilotage budgétaire devront tenir compte de l'impérieuse nécessité, dont vous êtes éminemment conscient, monsieur le ministre, de ne pas voir davantage déraper la situation. Nous comprenons donc bien que vous deviez aujourd'hui envisager, pour le tout début du mois de janvier 2003, la mise en réserve de 3 milliards à 5 milliards d'euros de dépenses.
La commission des finances du Sénat attend bien entendu de votre part toutes les explications et les informations nécessaires à ce sujet, mais, je le répète, elle comprend le principe de cette procédure. Nous sommes à vos côtés pour dire à l'ensemble de vos collègues du Gouvernement que l'on ne peut impunément voir les recettes diminuer sans en tirer les conséquences, au moins sur le rythme de dépenses des crédits et, peut-être, sur la réalité de certains d'entre eux.
Nous ne cesserons de tenir ce langage de vérité quoi qu'il en coûte, car notre mission est bien de dire la vérité. Si l'on dit des paroles aimables pour donner l'impression à son environnement quotidien ou politique que les choses sont favorables ou faciles, un jour ou l'autre, la réalité nous rattrape et devient dès lors encore plus cruelle.
M. Jacques Oudin. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Bien sûr, monsieur le ministre, vous utiliserez des instruments de gestion, comme le pilotage des reports de crédits, dont le poids demeure assurément tout à fait excessif.
Nous constatons cependant que différentes modifications ont été apportées au projet de loi de finances rectificative initial et que ce n'est plus une amélioration du solde de la « balance des dépenses » de quelque 150 millions d'euros qui sera soumise à notre assemblée. En fait, le déficit est creusé de 223 millions d'euros supplémentaires. Ce surcroît de déficit est essentiellement lié, si l'on ne regarde que les principaux ordres de grandeur, au financement de la fameuse et sympathique prime de Noël.
Monsieur le ministre, c'est vrai, vous êtes trois pères Noël en une seule personne ! (Sourires.) Vous l'avez rappelé, et c'est parfaitement exact.
La pratique du gouvernement précédent était de ne pas budgétiser la prime de Noël. Il était tellement plus simple de faire des cadeaux avec de l'argent qui n'existait point ! Ce Gouvernement se bornait à régulariser l'opération dans la loi portant règlement définitif du budget. Mais comme personne ne s'intéresse à la loi de règlement, hélas !...
M. Denis Badré. En effet !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... les choses se passaient dans une sorte de silence général !
M. Denis Badré. C'était confidentiel !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout se passait dans la confidentialité la plus complète, en effet !
Souhaitant mettre fin à cette pratique, vous inscrivez au collectif budgétaire les 223 millions d'euros de la prime de Noël de fin 2002.
En toute rigueur, nous préférerions qu'en face de ces 223 millions d'euros, pour ne pas dégrader le solde, vous prévoyiez des annulations de crédits supplémentaires. Nous n'avons malheureusement pas le temps, monsieur le ministre, compte tenu des conditions d'examen du présent collectif budgétaire, de vous proposer des annulations de crédits pour un tel montant. Mais, en toute rigueur, c'est ce qu'il aurait fallu faire.
Ensuite, nous observons que ce collectif traite de la question de la recapitalisation de France Télécom. Celle-ci n'a pas de conséquence directe sur le solde de la loi de finances telle que nous l'appréhendons, mais, bien entendu, elle aura un impact sur le niveau de la dette publique, car l'endettement de l'ERAP sera garanti par l'Etat. Cet endettement de 10 milliards d'euros devra être considéré économiquement comme un endettement de l'Etat. De ce fait, avec un taux de 59,3 % pour 2003, nous allons nous approcher de la borne des 60 % de dette par rapport au PIB.
Je ne peux que redire à cette occasion, monsieur le ministre, qu'il n'est pas question de laisser filer le déficit, surtout avec le ralentissement prévisible de l'activité en 2003 et, éventuellement, la dérive des comptes publics. La dette par rapport au PIB sera immanquablement supérieure à 60 %, et de nouveaux grelots vont être agités à Bruxelles, à juste titre d'ailleurs, puisque le pacte de stabilité et de croissance revisité prend tout particulièrement en compte les considérations structurelles, donc la dette publique.
A cet égard, la position de la France par rapport aux autres Etats de l'Union européenne en termes de dette publique, de poids relatif de la dette publique par rapport à la richesse nationale, ne fait que se dégrader : alors que nous étions au quatrième meilleur rang en 1997, nous sommes dixième sur quinze en 2003 ; et naturellement, je ne calcule pas encore sur vingt-cinq, car je ne préjuge pas de la mise en oeuvre ni des délais de mise en oeuvre de ce qui vient d'être décidé dans son principe.
Par ailleurs, le collectif tient compte d'une opération tout à fait essentielle réalisée dans des conditions remarquables de rentabilité et de professionnalisme : je veux parler de la cession du restant de la participation de l'Etat dans le Crédit lyonnais qui a rapporté 2,2 milliards d'euros.
Monsieur le ministre, vous savez que la commission des finances est très admirative à l'égard de M. Francis Mer et des équipes qui ont travaillé à cette opération, car cette dernière a été menée dans les meilleures conditions patrimoniales pour l'Etat.
Cette opération rapporte 2,2 milliards d'euros, dont 500 millions d'euros peuvent être inscrits au crédit de cette chose étrange qu'est le fonds de réserve pour les retraites. Or cette cagnotte que se donne un Etat aussi fortement endetté n'a naturellement de sens que si les intérêts rapportés par cette cagnotte sont plus élevés que ceux qui sont payés sur la dette publique correspondante.
Enfin, monsieur le ministre, je souhaiterais insister - pardonnez-moi de le faire, mais c'est mon rôle, et vous le savez bien - sur quelques considérations de méthode et de forme.
Nous avons vu entrer à l'Assemblée nationale un collectif de quarante articles. Trente articles additionnels s'y sont déjà ajoutés, et je ne préjuge pas de ceux qui vont suivre dans notre assemblée. Beaucoup de ces articles sont d'origine gouvernementale.
Parfois on s'interroge sur la qualification qu'il faut donner au collectif de fin d'année. On évoque la « voiture balai fiscale» ou « le concours Lépine fiscal », autant d'expressions imagées pour dire, monsieur le ministre, que, si nous sommes naturellement à votre disposition pour tâcher de traiter des questions urgentes, il en est d'autres qui ne sont pas nécessairement urgentes et qui peuvent et doivent même être examinées, avec toute la pondération nécessaire, sans que la limite du 31 décembre à minuit soit invoquée.
Le caractère urgent d'un certain nombre de mesures ne saurait certes être contesté. C'est le cas des annulations - conversions de créances, en particulier avec l'Algérie où le ministre des affaires étangères va se rendre, de la garantie de l'Etat pour les prêts de restructuration financière accordés au Liban, de la nécessité de répondre à un certain nombre de questions qui n'ont pu être techniquement résolues dans le projet de loi de finances initial pour 2003 et sur lesquelles une réponse a pu être apportée en une quinzaine de jours.
Bien des mesures nous semblent en revanche un peu moins urgentes.
A titre d'exemple, je citerai l'article 26 bis relatif à la neutralisation du dispositif de réduction des bases de taxe professionnelle écrêtées en faveur des communautés de communes soumises au régime de la taxe professionnelle unique. Même notre collègue le professeur Fréville a eu du mal à nous expliquer la mesure !
Je citerai aussi l'article 30 septies concernant l'exonération de taxe sur les conventions d'assurance des exploitants de remontées mécaniques. Cet article a été adopté par l'Assemblée nationale alors que les propositions de notre collègue Amoudry ici même, au Sénat, ont été repoussées pour différentes raisons.
Je citerai aussi l'article 30 undecies. Pourquoi l'exonération d'impôt sur le revenu pour les primes des médaillés olympiques ne figurait-elle pas dans le texte initial ? Pourquoi un amendement « extérieur » a-t-il été déposé sur ce sujet dans ce texte-ci ?
Pourquoi un article 27 bis concernant le renforcement des peines en cas d'infraction à la réglementation sur le tabac alors qu'il s'agit d'un doublon avec une disposition qui figure déjà dans le code général des impôts ?
Pourquoi, surtout - c'est plus important -, traiter d'une partie de l'avenir des taxes parafiscales ? Tout d'un coup, avec l'article 30 nonies, on prévoit une régularisation pour certaines catégories de professions. Ne vaudrait-il pas mieux poser l'ensemble du problème, comme cela avait été dit ici même par le Gouvernement à notre collègue Jacques Oudin pour l'inviter à retirer un amendement ?
Les propositions de notre collègue en direction des professions du transport ont été repoussées par le Gouvernement au Sénat ; et on les a vu refleurir à l'identique à l'Assemblée nationale. C'est tant mieux pour les professionnels concernés. Mais pensons à tous les autres professionnels qui réclament eux aussi de bénéficier des mêmes mesures.
Je vais arrêter là cette énumération. Mais croyez bien, monsieur le ministre, que, si je l'ai faite, c'est dans un souci tout à fait constructif. Vous nous avez en effet souvent dit que, sous la statue de Portalis, il fallait faire très attention à ce que l'on inscrit dans la loi, qu'il fallait du temps pour faire de la bonne législation, qu'il fallait éviter d'empiler les normes difficilement lisibles, qu'il fallait raisonner dans l'intérêt général et donc avoir le courage de repousser des dispositions répondant à des attentes singulières.
Toutes vos remarques constituent, vous l'imaginez bien, monsieur le ministre, le corps de doctrine de la commission des finances du Sénat. (M. le ministre délégué sourit.) Vous ne serez donc pas surpris que je termine cette intervention par ce petit couplet sur les réactions que l'on ne peut pas ne pas exprimer lorsqu'on doit faire face, en très peu de jours et très peu de nuits, à un collectif budgétaire. Traiter de sujets aussi divers dans de telles conditions est véritablement à la limite de ce que peut faire la machine parlementaire ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Denis Badré.
M. Denis Badré. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au mois de juillet dernier, nous avons adopté un premier collectif budgétaire qui visait deux objets : recaler la loi de finances pour 2002 - elle en avait bien besoin ! - et mettre en oeuvre dès cette année notamment une réduction de l'impôt sur le revenu qui représentait l'un des principaux engagements de la nouvelle majorité.
Le collectif qui nous est soumis aujourd'hui intervient dans un contexte économique qui demeure très indécis, et c'est le moins que l'on puisse dire. Malgré la bonne tenue relative de la consommation des ménages, le ralentissement de la croissance se confirme en France, alors que de timides signes de reprise sont perceptibles aux Etats-Unis, mais dans un contexte international lui-même loin d'être apaisé.
Le dollar est à la baisse, ce qui constitue un handicap pour les exportations des pays de l'Union européenne ; le pétrole est à la hausse, d'où un gonflement de nos importations.
Dans ce contexte général, j'exprimerai d'abord un regret, puis je vous ferai part de deux satisfactions.
Comme M. le rapporteur général, Philippe Marini, vient excellemment de le souligner, il est particulièrement difficile pour le Sénat de jouer pleinement son rôle, comme il le souhaiterait, alors qu'il ne dispose que d'un délai très court pour examiner ce texte : deux jours seulement pour trente articles additionnels qui sont pour la plupart d'origine gouvernementale.
Je pense notamment à la réforme du financement du développement agricole, un dispositif qui préoccupe à juste titre l'ensemble de la profession agricole ainsi que ses organisations représentatives. Or, combien de fois avons-nous répété au cours du débat budgétaire que tout ce qui touche à l'agriculture, à la fiscalité agricole en particulier, justifierait un vrai débat de fond !
Nous sommes en train d'aborder ce débat d'une manière quelque peu rapide, ponctuelle, sommaire. Nous pensions faire mieux d'autant que, après la réunion de la commission mixte paritaire, le texte définitif devrait être adopté dès jeudi prochain. Nous touchons là les limites de l'improvisation législative. Je joins donc ma voix aux demandes que la commission des finances a exprimées sur ce sujet.
Je développerai maintenant, au nom du groupe de l'Union centriste, deux sujets de réelle satisfaction.
Tout d'abord, en dépit du retournement de la conjoncture dans notre pays, les prévisions de déficit retenues par le projet de loi de finances rectificative que nous avons examiné au mois d'août - 46 milliards d'euros - sont respectées. La régulation a donc bien fonctionné. Le Gouvernement est parvenu à contenir le déficit tout en réduisant les impôts. C'était un tour de force, et vous êtes en train de le réussir, monsieur le ministre.
Par ailleurs, je tiens à féliciter le Gouvernement de son effort de sincérité, rejoingnant là aussi les propos de M. le rapporteur général.
Comme vous l'avez vous-même indiqué avec insistance dans votre exposé liminaire, monsieur le ministre, il fallait que le terrain soit net, que nos projets soient sincères et clairs pour que les Français nous comprennent. La voix de la vérité est la seule possible. Ce choix de la transparence, qui est le nôtre et qui est le vôtre, était déjà manifeste dès l'examen du collectif de l'été dernier, élaboré à partir des conclusions du rapport remis par MM. Nasse et Bonnet.
Nous en avons eu une nouvelle illustration lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2003 dans lequel vous avez courageusement proposé, monsieur le ministre, de réduire les recettes fiscales de 700 millions d'euros au vu des moins-values fiscales constatées cette année. C'était un choix lucide, et, je le répète, courageux, d'autant que les recettes pour 2003 avaient déjà été évaluées avec prudence sur la base d'une croissance ralentie par rapport aux prévisions antérieures. Le contraste est grand par rapport aux errements antérieurs ! Le gouvernement précédent n'avait-il pas sous-évalué les dépenses de 2,8 % ? Ce n'est pas du tout négligeable ! Quant aux recettes nettes, hors diminution de l'impôt sur le revenu, elles seront inférieures de 7 milliards d'euros aux chiffres annoncés dans la loi de finances initiale. Nous voyons là la différence des situations.
Toutefois, jouer la sincérité budgétaire oblige à retenir d'indispensables mesures visant à réduire les dépenses. Tel a été le choix du Sénat et de sa commission des finances au cours de l'examen de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 2003, ainsi que M. Philippe Marini vient de le souligner. A nos yeux, ce choix a valeur de témoignage, mais pas seulement de témoignage, à en juger par les réactions qu'il a provoquées sur certaines de nos travées.
Le Parlement est là non pour supplier le Gouvernement d'augmenter certaines dépenses, mais pour voter une loi de finances si possible équilibrée en recettes et en dépenses.
Combien de fois avons-nous évoqué ici, depuis un mois, le principe - fondamental, en démocratie - du consentement à l'impôt ? Le citoyen y consent d'autant mieux qu'il voit sa contribution par rapport aux dépenses en débat ; et que l'une et les autres sont très soigneusement calibrées. Elles le sont de manière liée, la notion de déficit devant absolument être bannie.
Au demeurant, je reviens sur les cris d'orfraie évoqués par M. le rapporteur général que cette démarche de la Haute Assemblée a provoqués sur certaines travées voilà quelques jours encore. Qui peut nous reprocher, dans ce contexte, d'assumer nos responsabilités, lorsque nous réduisons des crédits inscrits sur des chapitres laissant apparaître des crédits non consommés ? Nous sommes aussi dans notre rôle, celui qui consiste à contrôler l'exécutif - je parle sous le contrôle de M. le président de la commission des finances, à qui ce thème est cher - lorsque nous encourageons l'exécutif à la bonne gestion.
Je sais que nous avons en votre personne, monsieur le ministre, un allié résolu dans cet effort de rationalisation budgétaire. C'est une excellente chose qu'en application de la réforme de l'ordonnance de 1959 le Parlement soit informé des mesures de régulation prises par le Gouvernement. Tel est l'esprit dans lequel j'interviens.
Toutefois, il faut aller plus loin en associant directement la représentation nationale à certains arbitrages au cours d'un débat budgétaire qui ne retrouvera toute sa signification qu'à ce prix.
La maîtrise de la dépense est une ardente obligation. Il y va du respect de nos engagements européens, du respect du pacte de stabilité - nous avons lourdement insisté sur ce point pendant le débat et je n'y reviendrai donc pas -, et, enfin, de la compétitivité de notre pays dans un monde ouvert.
Vous savez combien je tiens à cette maîtrise, monsieur le ministre. Au risque de me répéter, je l'affirme à nouveau : je suis totalement convaincu que nous sommes bien loin du compte dans ce domaine et que nous devons inlassablement vous demander d'afficher à temps et à contretemps votre volonté d'assurer l'attractivité, la compétitivité de notre pays. C'est un problème d'affichage, tout d'abord, et, au-delà, de volonté ferme et résolue. Il faudra prendre un certain nombre de mesures, mais affichez, affichez encore votre volonté : c'est la première chose à faire si vous voulez que la confiance revienne, à l'intérieur, vis-à-vis de l'Etat, et à l'extérieur, vis-à-vis de la France.
Alors que le taux de croissance des prochains mois est incertain, c'est en partie grâce à notre effort de rigueur budgétaire que nous pourrons dégager les marges de manoeuvre nécessaires aux mesures de réduction d'impôts et de charges que des secteurs entiers de l'économie attendent.
J'en viens maintenant aux mesures fiscales de ce projet de loi de finances rectificative pour 2002.
Permettez tout d'abord au rapporteur spécial du budget des Communautés européennes au sein de la commission des finances, qui est en même temps auteur de plusieurs rapports relatifs à la taxe sur la valeur ajoutée en Europe, d'effectuer quelques commentaires sur l'article 14 de ce projet de loi.
Cet article a pour objet la transposition dans le droit français de la directive européenne destinée à simplifier et harmoniser les conditions de facturation en matière de TVA.
Le texte européen est un progrès incontestable : tous les opérateurs établis au sein de l'Union européenne devraient disposer d'un cadre juridique commun. Parmi les simplifications prévues par la directive, il faut noter la possibilité de l'émission de la facture par le client du fournisseur ou par une tierce personne, ainsi que le recours à une facturation périodique pour les assujettis qui réalisent de nombreuses opérations avec un même client sur une courte période. Le texte même de l'article 14 reprenant fidèlement les grandes lignes de la directive, la commission des finances propose d'émettre un vote conforme.
A l'instar de M. le rapporteur général, j'émettrai néanmoins une réserve s'agissant de la date d'entrée en vigueur du dispositif. Le délai de transposition de la directive est fixé au 1er janvier 2004. Le Gouvernement propose d'anticiper cette transposition au 1er juillet 2003. Soit, mais il importe que le Gouvernement donne consigne à l'administration fiscale d'examiner de manière attentive la situation des entreprises qui n'auraient pas eu le temps de procéder, avant le 1er janvier 2004, aux aménagements prévus qui ne sont pas simples.
En outre, le dispositif devra être complété par des mesures réglementaires répondant à certaines inquiétudes. Tout d'abord, la directive permet aux Etats membres d'alléger les formalités des factures d'un montant peu élevé, ce qui est de nature à faciliter la gestion des PME. Un seuil de 150 euros paraîtrait à cet égard raisonnable, un tel seuil est fréquemment utilisé en matière de TVA.
Il convient aussi de réduire le plus possible les mentions devant figurer dans un document modificatif comme dans le cadre d'une ristourne quantitative de fin d'année. Parler de simplification n'est pas suffisant ; il faut également la mettre en place. Nous avons l'occasion de le faire sur un point très concret.
Venons-en maintenant à l'article 18 du projet de loi de finances rectificative relatif aux biocarburants. L'accord de Kyoto fixe à 21 % le taux d'énergie renouvelable. Or la France atteint seulement le taux de 15 %. Dans son rapport, la commission des finances s'inquiète très justement des conséquences économiques pour la filière des biocarburants de la baisse des réductions de taxe intérieure sur les produits pétroliers, la TIPP. Avec mes collègues MM. Deneux et Détraigne, nous avons jugé nécessaire d'alerter le Gouvernement sur ce point en déposant plusieurs amendements tendant à accroître ces réductions d'impôt. Nous y reviendrons au cours du débat.
Enfin, en ce qui concerne le développement agricole, le Gouvernement propose un système homogène de taxation assis sur le chiffre d'affaires. Je partage l'avis du rapporteur général quant au caractère plutôt équitable de ce système.
Personnellement, je m'interroge néanmoins sur les conséquences de la réduction des moyens financiers consacrés au développement rural, c'est-à-dire à la solidarité à l'égard des territoires défavorisés et des filières de production les plus modestes. Monsieur le ministre, c'est un sénateur des Hauts-de-Seine qui vous le dit. Je m'exprime donc en toute objectivité, en tant que parlementaire du pays et non de mon département. (Sourires.)
Sous réserve de ces observations, et en félicitant de nouveau M. Marini, rapporteur général, et M. Arthuis, président de la commission des finances, d'avoir effectué, dans un temps très court, un travail remarquable, je confirme que les sénateurs du groupe de l'Union centriste voteront le projet de loi de finances rectificative pour 2002, tel qu'il sera, je l'espère, amendé par le Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Demerliat.
M. Jean-Pierre Demerliat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n'ai, hélas ! identifié dans le projet de loi de finances rectificative pour 2002 qu'une seule disposition intéressante : le remboursement de la TVA aux collectivités locales victimes d'intempéries en 2002, l'année même de la réalisation des travaux.
Cette mesure avait d'ailleurs été vivement souhaitée par le groupe socialiste, qui avait déposé, lors de l'examen du projet de budget pour 2003, un amendement allant dans ce sens. Nous vous remercions, monsieur le ministre, de la reprendre à votre compte et de nous la proposer dans ce collectif.
Mais la caractéristique principale de ce projet de loi est bien d'entériner une grave dérive des finances de l'Etat, et là, nous ne pouvons évidemment délivrer le moindre satisfecit au Gouvernement.
Le déficit s'envole à 47 milliards d'euros. La droite se prétend financièrement vertueuse, mais ses actes ne viennent pas corroborer ses beaux discours.
Dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement actuel a creusé le déficit de 2,55 milliards d'euros. En effet, la loi de finances rectificative du mois d'août prévoyait un déficit de 46 milliards d'euros contre 43,5 milliards d'euros avant l'allégement de l'impôt sur le revenu.
Dans le collectif, vous creusez à nouveau le déficit d'un milliard d'euros supplémentaire, en dépit de nombreuses annulations de crédits censées couvrir le coût de la baisse des impôts dont profitent les plus fortunés.
En outre, comme le déficit atteignait 52,6 milliards d'euros à la fin du mois d'octobre, la sincérité de la prévision retenue - 47 milliards d'euros - est particulièrement contestable. Le vrai chiffre sera assurément plus proche de 50 milliards d'euros, d'autant plus qu'à la fin du mois d'octobre le solde de l'impôt sur le revenu est déjà « tombé » dans les caisses de l'Etat. Il est vrai que celui-ci a diminué de 2,55 milliards d'euros en raison du cadeau fiscal que la droite a réservé à sa clientèle électorale. La mesure était financièrement irresponsable - nous l'avons dénoncée -, mais, bien sûr, nous n'avons pas été entendus !
Aujourd'hui, ce sont les Français les plus modestes, comme toujours avec vous, qui vont en faire les frais, car ils seront les premiers pénalisés par les nombreuses annulations de crédits.
Sans tour de passe-passe budgétaire, il vous sera particulièrement difficile de remonter la pente, monsieur le ministre ! De 52,6 milliards en octobre à 46,8 milliards en décembre, le trou supplémentaire, qui est tout de même de 5,8 milliards d'euros, fragilise un peu plus la crédibilité du Gouvernement, déjà bien entamée par les pratiques contestables mises en oeuvre cet été et plus récemment encore dans le budget pour 2003 ; je pense, entre autres, aux prévisions de croissance fantaisistes, aux amendements révisant les recettes fiscales ou encore à l'annonce de gel massif de crédits.
La dégradation du déficit imputable au Gouvernement est ainsi au minimum de 3,5 milliards d'euros, soit un dérapage de 8 % en à peine six mois !
Je me permets de rappeler que, revenue aux responsabilités en 1997, la gauche avait été confrontée à une situation des finances publiques nettement moins bonne que celle que vous avez trouvée en juin 2002. En effet, l'audit réalisé en 1997 avait révélé un déficit public égal à 3,5 % du PIB, déficit que la gauche avait ramené à 3 % en fin d'année. Cela avait permis à la France d'être qualifiée pour l'entrée dans la zone euro.
Aujourd'hui, le Gouvernement hérite d'une situation plus favorable mais, au lieu de l'améliorer encore, il la dégrade. De 2,3 % à 2,6 % du PIB, selon l'audit réalisé en juin, le déficit passe à 2,8 % à la fin de cette année. Les résultats, on peut le constater, sont assurément moins brillants en 2002 qu'en 1997.
Afin de noircir encore le bilan du gouvernement de Lionel Jospin, le déficit de référence avait été aggravé par votre refus d'inscrire les annulations de crédits préconisées par l'audit. Celles-ci viennent pourtant aujourd'hui alléger fort opportunément le déficit du collectif. Belle manoeuvre de la part des hérauts autoproclamés de la sincérité budgétaire !
Tous ces chiffres, consternants et inquiétants, sont le résultat de votre mauvaise gestion. Les compteurs avaient été remis à zéro en août ; le coup de l'héritage socialiste ne peut donc plus être utilisé cette fois encore. Pourtant, dépourvu de courage politique et de bonne foi, le Gouvernement s'en prend encore et toujours à la gestion précédente. Mais, contraint d'innover un peu, il invoque maintenant, pêle-mêle, la conjoncture internationale, l'Irak, les Etats-Unis et même, depuis quelques jours, la politique économique de nos amis allemands !
C'est la faute de tout le monde, sauf la sienne ! Attitude singulière pour des responsables politiques, ou plutôt des irresponsables politiques, car vous ne seriez responsables de rien !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout ce qui est excessif est insignifiant !
M. Jean-Pierre Demerliat. Je vous remercie, monsieur le rapporteur général ! J'apprends beaucoup avec vous depuis que je fréquente cette noble assemblée...
Le Gouvernement avait annoncé que l'allégement de l'impôt sur le revenu serait sans conséquence sur le solde du budget de l'Etat, mais telle n'est pas la réalité aujourd'hui. Comment pouvait-il d'ailleurs en être autrement ?
Du côté du déficit public, qui regroupe le solde de l'Etat, de la sécurité sociale et des collectivités locales, la situation est malheureusement encore plus mauvaise. Le Gouvernement n'a cessé d'utiliser l'audit des finances publiques réalisé en juin pour dénoncer la gestion de son prédécesseur. Selon vous, l'audit était une image fidèle de l'état des finances publiques laissées par la gauche. Or, force est de le constater aujourd'hui, en partant des conclusions de l'audit, dont vous avez tant vanté le réalisme, vous ne pouvez pas nier que le déficit public passant de 2,3 % à 2,8 % du PIB s'est creusé de 21 % en six mois ! Cette belle performance est à mettre au compte du Gouvernement et, comme pour le déficit de l'Etat, vous n'assumez pas vos responsabilités.
Pour compenser au moins une partie de la baisse de l'impôt sur le revenu des Français les plus aisés, le Gouvernement maltraite les services publics en annulant 2,6 milliards d'euros de crédits. Là encore, les Français les plus modestes sont pénalisés par le désengagement de l'Etat, d'autant que les ministères de l'emploi, de la solidarité, de l'éducation sont les plus touchés.
Même les priorités du Président de la République ne sont pas épargnées, puisque les annulations frappent le budget de la sécurité routière ! Et que penser des économies réalisées sur la sécurité maritime, alors que la marée noire du Prestige menace aujourd'hui nos côtes ?
En réalité, seul le ministère de la défense tire son épingle du jeu. Mais, s'il s'agit de rivaliser avec les Etats-Unis, je crains que nous ne soyions un peu « courts ». Il serait certainement préférable de faire porter nos efforts sur la mise en place d'une véritable défense européenne. Comme en matière monétaire avec la création de l'euro, ce serait le moyen d'accéder à une certaine indépendance, et peut-être à une indépendance certaine.
Avec ce collectif, le Parlement doit valider les divers gels de crédits opérés dans le secret des cabinets au mois d'août, pratique contestable, car il était tout à fait possible de les inclure dans la loi de finances rectificative discutée seulement quelques jours auparavant. Mais le débat au grand jour semble faire peur au Gouvernement.
Aujourd'hui, la plupart des crédits dont la suppression est demandée ne pourraient de toute façon plus être consommés, faute de temps. Ainsi, le Parlement est mis devant le fait accompli : curieuse conception de la démocratie !
Le Gouvernement a, hélas ! atteint son objectif : faire payer à l'ensemble des Français la baisse des impôts qui ne profite qu'à une minorité. Nous condamnons bien sûr avec force cette politique de régression sociale.
De gels en dégels, le Gouvernement fait souffler le vent de la rigueur sur les Français les plus défavorisés, et nous savons aujourd'hui qu'il est prévu de poursuivre ces mauvaises pratiques en 2003.
La consommation et la croissance, déjà mal en point, seront encore plus affaiblies, le chômage n'est plus combattu faute de crédits suffisants et de volonté politique ! Jamais les difficultés des Français n'ont été aussi grandes, mais, bien évidemment, cela vous laisse de marbre !
Le groupe socialiste ne votera bien évidemment pas ce collectif, car, d'une part, il entérine une grave dérive des finances, dérive qui obère l'avenir, et, d'autre part, il comporte des annulations de crédits préjudiciables à la majorité de nos concitoyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Oudin.
M. Jacques Oudin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un contexte économique et budgétaire dégradé - les orateurs précédents, notamment M. le ministre et M. le rapporteur général l'ont rappelé -, ce projet de loi de finances rectificative, comme le projet de loi de finances initial que nous avons voté, comportent des mesures nécessaires et courageuses. La dégradation de nos comptes publics est l'héritage direct d'une gestion passée que l'on doit malheureusement qualifier de calamiteuse.
Le rapport de MM. Bonnet et Nasse n'a jamais été contredit. Y sont soulignées l'absence criante de réforme et les dépenses sans recettes correspondantes. Aujourd'hui, nous devons acquitter la facture ! La France a d'ailleurs fait l'objet d'une procédure d'avertissement pour déficit excessif de la part des instances européennes.
A ce titre, je rappellerai quelques ratios, qui sont tout à fait significatifs. Le ratio de déficit public a doublé, passant de 1,4 % en 2001 à 2 % en 2002. Quant au ratio de la dette publique, il a augmenté par rapport au niveau moyen d'endettement de l'Union européenne. En effet, en 1997, avec un taux d'endettement de 59,3 % par rapport à notre PIB, nous étions au quatrième rang de l'Union européenne, qui, elle, avait un taux moyen de 71,1 %. En 2003, l'Union européenne a abaissé ce taux de 71,1 % à 62,5 %, mais la France, qui est restée à 59,3 %, est tombée au dixième rang ! Cela est parfaitement significatif !
Dans ce contexte, le Gouvernement a lancé une politique à long terme qui s'appuie sur diverses réformes : des réformes structurelles, des réformes de modération des dépenses et des réformes liées à la réduction de l'impôt sur le revenu. Des lois d'orientation et de programmation ont cadré cette action à long terme pour la justice, la sécurité intérieure et le soutien à l'emploi des jeunes en entreprise.
Ce projet de loi de finances rectificative contient une réforme importante qui a été soulignée à la fois par M. le ministre et par M. le rapporteur général. C'est une réforme certes ponctuelle, mais qui s'inscrit dans le cadre d'une réforme globale et urgente de notre politique maritime : il s'agit de l'article 16 relatif au régime de la taxation au tonnage des bénéfices imputables des entreprises maritimes. Il était temps de mettre un terme au déclin de la flotte de commerce française. Il serait opportun que cette volonté de réformer notre politique maritime s'inscrive dans ce qui devra être, à terme, je l'espère, une politique globale non seulement des transports maritimes mais aussi des transports en général, qui réponde aux aspirations de nos concitoyens et aux besoins de nos entreprises.
L'article 16 de ce projet de loi prévoit d'introduire un nouveau mode de taxation des entreprises d'armement au commerce, mode optionnel qui se substituera à l'impôt sur les sociétés, à l'instar des régimes de taxation pratiqués par une grande partie des Etats membres de l'Union européenne. Ce mode de taxation va dans le sens d'une harmonisation fiscale accrue et favorisera la sécurisation de l'environnement économique et social des entreprises d'armement.
Il permettra enfin à l'Etat de mieux anticiper l'impôt à recouvrer. D'ailleurs, l'amendement que j'avais déposé l'année dernière à cet égard avait été voté par le Sénat. Mais la disposition a été ensuite supprimée, un peu imprudemment, me semble-t-il, par l'Assemblée nationale. En 2001, les dépenses avaient été estimées à 15 millions d'euros. En 2002, entre les 7 millions d'euros et les 11 millions d'euros envisagés, vous avez retenu la fourchette haute de 11 millions d'euros. Bref, c'est une dépense réelle, mais elle reste modeste par rapport à l'enjeu.
Je rappelle que ce système existe déjà dans tous les grands pays maritimes : l'Allemagne, l'Espagne, la Grèce, la Norvège, les Pays-Bas, le Danemark et la Grande-Bretagne. Il sera bientôt appliqué en Finlande, en Belgique et en Suède. Comment voulez-vous que la France puisse rester isolée dans un tel domaine ?
En ce qui concerne les conditions d'application du barème, l'Assemblée nationale a utilisé celui que j'avais proposé l'année dernière. Simplement, elle a abaissé le seuil d'application de 100 à 50 unités du système de jaugeage universel, ou UMS. C'est une bonne mesure, que je vous proposerai d'adopter. Mais il nous appartiendra ensuite de développer une grande politique des transports, notamment des transports maritimes, de réaliser les conditions d'une nouvelle ambition maritime pour la France, comme le préconisait le groupe d'études de la mer du Sénat, que j'ai l'honneur de présider, dans un document, publié en juin 2001, s'intitulant Trente-six propositions pour une stratégie de l'économie de la mer.
Je sais, monsieur le ministre, que le Gouvernement y est attaché. Nous aurons l'occasion d'en reparler, car la situation de la flotte de commerce française n'est pas acceptable : elle se situe en effet au vingt-huitième rang mondial, alors qu'elle était au quatrième rang mondial voilà quarante ans. Or nous représentons le troisième espace maritime !
A l'heure actuelle, comment parler de politique maritime sans évoquer la politique de sécurité maritime ?
Le problème est lancinant : le Prestige a coulé, l'Espagne est touchée, et les côtes européennes sont une fois de plus confrontées à une situation dramatique.
L'Europe a d'ailleurs tardé à prendre des décisions. Rappelez-vous : le drame de l' Erika est intervenu en décembre 1999. Or le paquet Erika I n'a été voté par l'Union européenne qu'en décembre 2001 ; deux ans pour prendre des décisions urgentes, c'est un peu long ! Le paquet Erika II, qui, en fait, applique les mesures contenues dans le paquet Erika I, n'a été voté qu'en juin 2002.
Le naufrage du Prestige est survenu en novembre 2002. On compte actuellement cent cinquante naufrages de bateaux par an dans le monde. Le week-end dernier, un navire transportant deux mille huit cents voitures a sombré dans la Manche par trente mètres de fond. Le porte-conteneurs qui l'a heurté aurait pu également couler, mais ce ne fut pas le cas.
La sécurité maritime est donc, je le répète, un problème lancinant et récurrent et, pour y faire face, nous devons mettre en oeuvre des mesures draconiennes.
La France a tardé, c'est vrai, à agir. Les contrôles sont insuffisants : nous avions prévu de contrôler 25 % des bateaux, nous en sommes à peine à 14 %, et nous en étions à 9 % en juillet.
Les infrastructures, par exemple les stations de déballastage dans les ports, sont également insuffisantes : lorsqu'un pétrolier décharge sa cargaison dans un port, il ne devrait pas pouvoir repartir sans avoir dégazé. Or, pour cela, il faut que le port soit équipé d'une station de déballastage ou de dégazage. Actuellement, il n'existe qu'une seule station de déballastage en France : dans le port du Havre. A Donges, à Dunkerque, à Marseille, les bateaux repartent en ayant encore du pétrole dans leur soute, et ils dégazent en mer. Les quantités de pétrole qui sont ainsi rejetées sont autrement plus importantes que celles que peut causer le naufrage d'un pétrolier.
Le naufrage du Prestige a souligné les conséquences dramatiques de ces insuffisances, mais il a également eu des répercussions bénéfiques en termes de prise de conscience.
Les populations maritimes sont excédées, et je m'en fais le porte-parole, moi qui suis l'élu d'une partie littorale de notre nation. Les marins-pêcheurs sont mobilisés. A cet égard, monsieur le ministre, je voudrais que vous nous confirmiez que sont bien inscrites dans le budget de l'Etat les sommes nécessaires à l'indemnisation des marins-pêcheurs qui participeront aux missions de service public. Ils ramasseront les nappes de pétrole en utilisant la nouvelle technique de chalutage en couple, qu'ils maîtrissent parfaitement.
Il nous a été indiqué que cette indemnité s'élèverait à 7 620 euros par jour et par bateau. Je souhaiterais que confirmation nous soit donnée, premièrement, que cette indemnité est bien prévue, deuxièmement, qu'elle est de ce montant et, troisièmement, qu'elle sera rapidement débloquée, comme le souhaitent les marins-pêcheurs.
Après la catastrophe du Prestige, un axe France-Espagne - pays méditerranéens s'oppose, comme vous le savez, à un autre axe de nations qui sont davantage soucieuses de liberté de circulation que de sécurité ; je le regrette.
Désormais, les orientations sont claires et nettes. L'Agence européenne de sécurité maritime doit être mise en place et fonctionner le plus rapidement possible, elle a tenu sa première réunion le 4 décembre dernier. Il faut interdire définitivement les pétroliers âgés à coque simple transportant du fioul lourd. Il faut lutter contre les pavillons de complaisance et mettre en cause la responsabilité financière des acteurs, et ce à un degré quasiment illimité. Il faut tenir éloignés à plus de deux cents milles de nos côtes les navires dangereux. Une grande partie du monde maritime et du Gouvernement est désormais d'accord à cet égard.
Au-delà de la politique maritime, il est nécessaire d'intégrer l'ensemble de ces mesures dans une politique à long terme des transports. Monsieur le ministre, le Gouvernement a pris au moins trois mesures courageuses en la matière : d'abord, il a lancé un audit sur la rentabilité de tous les grands projets d'équipements de transport qui sont actuellement à l'étude en France ; ensuite, il a demandé à la DATAR de mener une réflexion stratégique et d'établir un plan à long terme de la politique des transports en France ; enfin, au printemps prochain, le Parlement aura à débattre de manière approfondie de ce sujet.
Pour ma part, je pense que trois dispositions doivent être mises en oeuvre de toute urgence.
Premièrement, pour conduire une politique des transports, monsieur le ministre, il faut se fonder sur les besoins des régions, donc sur les schémas régionaux de transports ; nous l'avons fait dans une instance extra-parlementaire. Je souhaite que le Gouvernement, après avoir actualisé les schémas régionaux de transport, puisse établir, sur cette base, un schéma national à long terme des besoins de transport.
Deuxièmement, il faut analyser la pertinence des grands chantiers. Nous souhaitons participer à cette réflexion. D'ailleurs, demain, je ferai l'objet d'un audit par le Conseil général des ponts et chaussées, qui est chargé de cette étude avec l'inspection générale des finances. Au-delà de cette étude, il faut engager une concertation pour un examen, je dirai réciproque, de l'ensemble de ces projets.
Enfin, troisièmement, il convient de mettre au point des modalités acceptables pour le financement de cette politique des transports. Un tel financement dépend largement des solutions qui sont mises en place pour les transports ferroviaire et autoroutier.
Je formulerai deux observations quant à la nécessité de conduire une politique de vérité dans ce domaine.
S'agissant du système ferroviaire, je relisais ce week-end le Livre blanc des transports de la Commission européenne de septembre 2001 et j'y ai noté cette phrase : « Tel Janus, le ferroviaire présente une image ambivalente où se côtoient modernité et archaïsme. D'un côté les performances du réseau et des trains à grande vitesse, de l'autre, l'archaïsme des services de fret et la vétusté de certaines lignes saturées. »
En ce qui concerne la SNCF, la filiale routière Geodis affiche un chiffre d'affaires de 3,5 milliards d'euros. Mes chers collègues, ce chiffre d'affaires est supérieur à celui du fret ferroviaire. C'est tout dire !
Le système ferroviaire représente un endettement de 40 milliards d'euros. Ce même système ferroviaire concentre 60 % de l'effort budgétaire de la France en matière de transports, alors que sa part modale n'est que de 16 %, tant pour les marchandises que pour les voyageurs. Encore faut-il préciser que ce chiffre traduit des indicateurs physiques en tonnes-kilomètre ou en voyageurs-kilomètre. En valeur, la part du ferroviaire représente 4 %, soit 7 milliards d'euros de chiffre d'affaires sur 190 milliards d'euros au total. Une opération vérité s'impose, et je pense que nous avons tous à coeur de nous y employer.
Ma deuxième observation concerne le système autoroutier. En France, nous n'avons jamais réussi, depuis quarante ans, à mettre en place un système pérenne et clair de financement de nos routes. En 1949 a été créée la taxe intérieure sur les produits pétroliers, qui était destinée à financer le réseau routier national. Cette taxe a reçu une autre affectation et elle a été intégrée dans le budget général. Ensuite, a été instauré le fonds spécial d'investissement routier, le FSIR. Il a disparu ! Puis a été mis en place le fonds des grands travaux. Il a également disparu !
La loi de 1995, qui a fait l'objet de débats approfondis au Sénat, a créé deux institutions : d'une part, le fonds d'intervention des transports terrestres et des voies navigables, le FITTVN - celui-ci a disparu en 2001 - et, d'autre part, la taxe d'aménagement du territoire, la TAT, qui rapporte actuellement 3 milliards de francs dans les caisses de l'Etat ; or cette TAT n'est plus affectée aux transports, ou indirectement. C'est l'échec sur toute la ligne depuis trente ans, et il nous faut donc revoir l'ensemble de notre dispositif.
Par ailleurs, se pose le problème de la privatisation des sociétés d'autoroutes. Il mérite une réflexion approfondie et ne doit pas conduire à prendre des décisions hâtives, comme cela a été fait pour la privatisation de la première partie d'Autoroutes du sud de la France, celle-ci a rapporté 40 milliards de francs de recettes, dont la plus grande partie a été affectée aux fonds de retraite. C'est très bien pour les fonds de retraite, mais c'est dommage pour les transports.
Actuellement, le système autoroutier est extrêmement productif pour l'Etat, puisqu'il lui rapporte 11 à 12 milliards de francs de recettes par an. Il le sera encore plus à l'avenir, parce qu'il y a plus de projets après 2008 et que les concessions ont été prorogées jusqu'en 2032.
Il s'agit là d'un problème très important et je souhaite, monsieur le ministre, qu'il soit résolu dans la clarté, que vous avez d'ailleurs soutenue puisque, sur ma proposition, le Parlement a voté l'article 12 de la loi de finances rectificative du 6 août 2002. Les futurs comptes des transports présentés par la commission des comptes des transports de la nation devront nous permettre de réfléchir à long terme sur ce dossier.
J'en termine sur ce thème des transports en disant simplement que les masses financières dans ce domaine sont considérables et que la demande augmentera inéluctablement de 2,5 % par an au cours des vingt années à venir.
En outre, l'Europe est en construction et, après le sommet de Copenhague, nous savons que cette Europe, élargie à vingt-cinq va engendrer des flux de transports considérables et en augmentation.
Enfin, dans le domaine des transports, la France détient le carton rouge en matière d'investissements publics. Au cours de la dernière décennie, alors que la demande a augmenté, les investissements publics ont diminué, passant de 0,65 % à 0,40 % du PIB.
Ces remarques étant formulées, monsieur le ministre, il me semble que, loi de finances après loi de finances, loi de finances rectificative après loi de finances rectificative, nous allons bâtir le nouveau cadre financier et budgétaire de la France, et ce dans le contexte de la loi organique du 1er août 2001. Nous avons un devoir de clarté à l'égard de nos concitoyens. Nous avons un devoir d'efficacité à l'égard de tous ceux qui bâtissent cette France, de tous les entrepreneurs, mais également de tous les usagers.
Je souhaite que la réflexion se poursuive. Je sais que vous en avez la volonté, monsieur le ministre. Vous disposez, avec le Parlement, d'un partenaire qui ne demande qu'une chose : discuter et élaborer la France de demain. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma première observation portera bien entendu sur les conditions mêmes d'organisation de ce débat budgétaire de fin d'année.
Adopté la semaine dernière après un premier report, le présent projet de loi de finances rectificative nous est soumis à peine deux jours francs après que la commission des finances a eu la possibilité de découvrir son contenu et ses évolutions.
En effet, pendant sa discussion à l'Assemblée nationale, le texte est passé de quarante à soixante-dix articles, dont une bonne part d'ailleurs ont été insérés sur l'initiative du Gouvernement, accentuant ainsi le caractère disparate du projet de loi de finances rectificative, ce au plus grand mépris de la représentation nationale. Nous nous demandons même si nous ne sommes pas en présence de l'un des modèles les plus achevés en cette matière.
Quelle image de la vie politique donne aujourd'hui le Gouvernement ! Il impose à sa majorité sénatoriale, à peine regroupée pour l'essentiel sous la bannière de l'UMP, d'adopter sans discussion, conforme, le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République. Et, désormais, il lui demande de voter à toutes forces un collectif dont les dispositions sont calamiteuses.
Je ne peux manquer de le souligner ici : l'encre de la loi de finances n'est même pas sèche, le texte n'est pas encore promulgué, que la presse, toujours bien informée, nous indique que 3 à 5 milliards d'euros des crédits votés sont appelés, dès le mois de janvier, à être gelés.
Encore une fois, cela montre le peu de crédit, si l'on peut oser cette formule, que le gouvernement en place laisse à la discussion parlementaire et celles et à ceux que peut porter la représentation nationale. Car c'est bien de cela dont il s'agit quand on regarde d'un peu plus près encore le contenu de cette loi de finances rectificative.
En effet, la dégradation de la situation économique s'accentue, et cela ne peut être imputé de manière exclusive au précédent gouvernement.
En fait, que constatons-nous ? Une nouvelle dégradation du niveau des recettes fiscales, dépassant le milliard et demi d'euros, et touchant tous les grands impôts, mais singulièrement la TVA, signe évident d'une dévitalisation économique majeure.
Posons encore la question : à quoi a donc servi la baisse de l'impôt sur le revenu que vous avez votée dans le collectif de cet été si la consommation n'a pas été relancée ? Nous répondrons : à gonfler encore les bas de laine, à se perdre dans une « épargne » dont chacun sait fort bien qu'elle est synonyme de spéculation financière pour ceux qui ont le plus profité de la baisse de l'impôt sur le revenu.
Décidément, voilà bien plus de 2,5 milliards d'euros utilisés à mauvais escient et qui n'ont pas servi à relancer l'activité économique, puisque l'un des autres paramètres en oeuvre est l'accroissement sensible du chômage ; je rappelle les 80 000 chômeurs supplémentaires enregistrés entre les mois de septembre et décembre.
Quelles réponses apportez-vous d'ailleurs à cette situation ?
Vous le savez, les plans sociaux se multiplient, et vous ajoutez à la liste la suppression des emplois-jeunes, qui constituaient pourtant une réponse adaptée aux besoins collectifs et permettaient à de nombreux jeunes de commencer de se construire un projet personnel, gâchant d'ailleurs pour cela quelques milliards d'euros supplémentaires à les indemniser au titre de l'allocation chômage.
N'ayons pas peur de le dire : si vous en êtes à trouver de quoi les indemniser une fois les contrats dénoncés, alors, vous pouviez fort bien payer le maintien du dispositif !
Autre réponse au développement du chômage que nous allons apprécier dès cette semaine : la refonte de la loi sur la modernisation sociale, demandée - que dis-je, exigée ! - par le MEDEF, et que vous vous apprêtez à voter des deux mains, là encore sans discussion et par le biais d'un vote conforme, pour pouvoir la mettre en oeuvre au plus tôt.
Ne soyez donc plus réceptifs qu'aux voeux d'une organisation patronale qui, pourtant, ne représente même pas fidèlement ses mandants, et qui vient, dans le cadre des élections prud'homales, de subir un recul majeur de son influence de plus de sept points !
M. Philippe Marini, rapporteur général. La CGT est aussi en voie d'érosion !
M. Thierry Foucaud. La seule réponse que ce gouvernement trouve aux problèmes qui se font jour aujourd'hui est celle que nous voyons inscrite dans ce projet de loi de finances rectificative : baisse de la dépense publique, annulation massive de crédits et, singulièrement, restriction des dépenses d'équipement civil.
On constate certaines dépenses nouvelles. Pour l'essentiel, d'ailleurs, elles sont centrées sur les conséquences un peu mécaniques des variations de recettes observées et sur la persistance des difficultés sociales et économiques d'une part importante de la population.
Cependant, on annule aussi plus d'un milliard d'euros de dépenses utiles en fonctionnement des services et en interventions publiques - nous reviendrons d'ailleurs sur ces chapitres lors de l'examen des articles - et on supprime pour plus de 500 millions d'euros de dépenses en capital, notamment dans le logement, où, par exemple, on réduit de quelque 10 % de son montant initial la dotation des PLA - PALULOS, aidés et les primes à l'amélioration des logements à usage locatif et à occupation sociale.
Le projet de loi de finances rectificative pour 2002 présente donc la caractéristique essentielle de consacrer un nouvel accroissement du déficit - les orientations qui ont été fixées l'été dernier n'ont pu le contenir - dans un contexte où l'on crée les conditions de nouveaux déficits cumulés - nous l'avons souligné à plusieurs reprises.
Moins de dotations PLA, par exemple, c'est moins d'emplois dans un secteur du bâtiment particulièrement inquiet et dont les perspectives d'activité sont faibles. A terme, c'est donc encore plus de chômage, plus de récession, et un ralentissement de la consommation, sans parler du manque de logements sociaux, qui sont pourtant vitaux.
C'est donc aussi toujours autant de mal-logés, au moment même où le rapport du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées établit que trois millions de nos compatriotes sont aujourd'hui dans une situation précaire en ce domaine.
Vos décisions, monsieur le ministre, sont donc à la fois anti-sociales et anti-économiques.
Vous me permettrez, pour conclure, de procéder à une analyse, certes rapide, du véritable inventaire à la Prévert qui figure dans la seconde partie du projet de loi de finances rectificative.
Malgré tout, quelques mesures vont dans le bon sens, notamment la « décristallisation » des pensions des anciens combattants de nationalité aujourd'hui étrangère de l'armée française.
C'est une bonne chose que cette situation soit enfin réglée et l'injustice réparée, après des années et des années de silence et grâce à une prise de conscience même un peu tardive de ce dossier.
Pour le reste, je ne reviendrai pas sur les articles visant à tenir compte de la disparition programmée des taxes parafiscales du fait de la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances, mais je ne peux manquer de proposer un retour sur les articles ultimes de ce projet de loi de finances rectificative.
Ainsi en est-il de l'article 44, relatif à la poursuite et à l'extension du pacte de relance pour la ville, notamment des zones franches urbaines. On observera que ce texte, issu d'un amendement soutenu par le ministre de la ville lui-même, consacre un choix idéologique clair, celui de la sollicitation de la dépense fiscale,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est le choix de l'emploi !
M. Thierry Foucaud. ... en l'occurrence, de l'ensemble des exonérations de cotisations ou d'impôts, plutôt que celui de la dépense publique. En effet, le ministère de la ville figure aussi en bonne place dans le collectif, avec une réduction de crédits de 58 millions d'euros !
Alors, quand vous parlez d'emploi, monsieur le rapporteur général, vous êtes bien mal placé !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous choisissons d'inciter plutôt que de contraindre !
M. Thierry Foucaud. Il me semble que ce n'est pas ainsi que l'on rendra plus opérante une politique de la ville qui, d'ailleurs, cherche encore sa voie.
Enfin, on ne peut passer sous silence l'article 45, censé matérialiser le soutien que l'Etat apporte au plan de redressement de France Télécom.
Ce plan de redressement a naturellement fait l'objet d'un long débat à l'Assemblée nationale. Il en sera sans doute de même au sein de la Haute Assemblée, compte tenu de l'importance du sujet.
Cependant, vous me permettrez de relever ici les conclusions pour le moins hâtives que tire M. le rapporteur général de cette situation en parlant de « faillite de l'Etat actionnaire ».
Un tel concept est assez audacieux, surtout quand on sait que certaines de nos entreprises privatisées - je pense, par exemple, à Paribas ou à Suez - ont été, quelques années après leur privatisation, à deux doigts de disparaître du paysage économique.
De surcroît, une partie de la facture a été supportée par la collectivité, à travers de multiples mesures d'allégement fiscal mises en oeuvre à l'occasion du « dégonflage » de la bulle spéculative de l'immobilier, par exemple.
Non, la faillite, je la vois plutôt, mes chers collègues, dans l'introduction de critères de stricte rentabilité financière dans les entreprises de réseau et d'infrastructures, dans la course effrénée à la taille critique, dans les prix de croissance externe exorbitants. Et je pourrais encore prolonger cette énumération.
La faillite, ce n'est pas, par exemple, la qualité du service public, lui qui a cependant souffert des choix imposés par la logique libérale et concurrentielle animant la gestion de ces entreprises.
Ce qui est en faillite, chers collègues de la majorité, c'est le modèle de développement futur de notre secteur des télécommunications que vous nous aviez invités à voter au printemps 1996, tout d'abord, en décidant de transposer la directive européenne en matière de régulation du secteur des télécommunications,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il faut donc sortir de l'Europe ?
M. Thierry Foucaud. ... puis, en modifiant le statut de France Télécom.
C'est cela qui est en faillite, et rien d'autre. Nous aurons l'occasion d'y revenir lors de la discussion de l'article 45, mais il importait que cela soit dit dès maintenant.
Pour autant, compte tenu de l'ensemble des éléments que je viens de rappeler, je tiens à vous indiquer d'emblée que les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ne voteront pas ce projet de collectif budgétaire pour 2002. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Lambert, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de renouveler mes compliments à M. le rapporteur général pour la qualité du rapport qu'il a signé ; je ne manquerai pas de m'y référer tout au long de l'examen des articles.
Certes, monsieur le rapporteur général, les collectifs de fin d'année sont toujours ingrats et ils prennent, au fil des jours, un embonpoint regrettable. Mais n'est-ce pas propre aux années d'alternance, qui conduisent à résoudre des problèmes laissés pendants en fin de législature précédente ?
J'ai entendu, sur un sujet plus grave encore, une forme de mise en garde, délicate, comme toujours, mais non ambiguë quant à votre souhait de voir des réductions de dépenses venir compenser non seulement des baisses volontaires d'impôt décidées par le Gouvernement, mais encore les moins-values fiscales constatées à la suite du ralentissement de notre économie.
Vous connaissez la théorie économique bien mieux que moi, monsieur le rapporteur général : l'idée est de respecter sans faiblesse la norme de dépense et de laisser jouer les stabilisateurs automatiques en cas de baisse de recettes, le tout, naturellement, sans dépasser la limite des 3 % de déficit.
Cela étant, je sais bien, pour l'avoir appris à vos côtés, monsieur le rapporteur général, monsieur le président de la commission des finances, que cette théorie n'a de sens que si l'équilibre budgétaire est la règle, et le déficit, l'exception, et non l'inverse, comme actuellement.
Cela étant, je partage votre horreur de la dépense lorsqu'elle est excessive et je suis, comme vous, attaché à éviter autant que possible ces dérives de dépenses et de déficit. Soyez assurés de ma vigilance totale et de ma volonté de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour maîtriser nos dépenses.
Cependant, mesdames, messieurs les sénateurs, le Parlement dispose d'un pouvoir considérable que vous ne devez jamais sous-estimer, celui d'autoriser souverainement les dépenses. Vous êtes donc fondés à rappeler vos exigences à l'exécutif, qui n'est pas composé du seul ministre délégué au budget ! D'autres ministres se feront, j'en suis sûr, un plaisir de venir non seulement vous dire leurs besoins de financement, mais aussi vous rendre compte du talent dont ils sont prêts à faire preuve pour maîtriser leurs dépenses. (Sourires.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. Sûrement, oui !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. En effet !
M. Alain Lambert, ministre délégué. S'agissant maintenant du délai qui vous est imparti pour travailler, sur lequel vous avez tous insisté, permettez-moi un témoignage personnel. En passant alternativement d'une assemblée à l'autre, je mesure mieux désormais l'influence du calendrier et du temps dont elles disposent chacune pour mener leur propre travail.
Le projet de loi de finances initiale donne au Sénat l'opportunité de pouvoir travailler en amont de manière très approndie. Je pense qu'il en a fait un excellent usage cette année. En effet, il a mis à profit ce temps pour mener une réflexion poussée, ce qui lui a permis de réaliser des avancées tout à fait considérables.
A l'inverse, le projet de loi de finances rectificative offre à l'Assemblée nationale le temps de mener à bien son travail pendant que le Sénat poursuit et achève l'examen du projet de loi de finances initiale. Mais alors, il est vrai, le Sénat est contraint d'étudier le collectif budgétaire sans délai. Combien de fois ne l'ai-je moi-même déploré, monsieur le rapporteur général, en qualité de président de la commission des finances...
Cela dit, chacune des assemblées doit respecter l'autre. C'est le gage d'une législature réussie. Je forme des voeux pour qu'une concertation plus approfondie s'instaure entre le Gouvernement et les deux assemblées. Cette législature, j'en sus convaincu, constituera une étape décisive sur la voie d'une coopération accrue entre le Parlement et le Gouvernement. En tout cas, pour les sujets qui concernent mon département ministériel, ne doutez pas de ma résolution.
Il est vrai que certains des amendements adoptés par l'Assemblée nationale ont dû être examinés par le Sénat dans la précipitation, ce qui n'est pas satisfaisant. En revanche, et vous l'avez reconnu, les amendements déposés par le Gouvernement étaient souvent fondés et marqués du sceau de l'urgence. Vous reconnaîtrez également, s'agissant des amendements adoptés sur l'initiative des députés, qu'il n'est pas facile pour le Gouvernement tout à la fois d'affirmer sa considération pour l'initiative par lementaire et de s'opposer systématiquement à tous les amendements d'origine parlementaire.
Au reste, si nombre de ces amendements ont fait l'objet d'une demande de retrait lors de la discussion du projet de loi de finances initiale, comme il est malheureusement habituel en ces matières, entre-temps, les dispositifs ont été très nettement améliorés. C'est ainsi que le délicat problème des taxes parafiscales du secteur du bâtiment a trouvé une solution après de nombreux débats. Je pense que, désormais, la réforme est mûre.
M. Denis Badré a évoqué la réforme de l'Association nationale pour le développement agricole. Si elle a été présentée par voie d'amendement et de manière assez tardive, c'est pour respecter les exigences de la concertation préalable avec la profession. A défaut, le texte vous aurait sans doute été transmis plus tôt, mais on nous aurait reproché le manque de concertation.
M. Denis Badré a encore évoqué l'article 14 et la date limite fixée pour la transposition de la directive sur la facturation électronique, prévue au 1er janvier 2004. Comme vous le savez, beaucoup d'entreprises ont d'ores et déjà anticipé cette date et souhaitent que ces dispositions de simplification entrent en vigueur le plus tôt possible.
C'est pourquoi, dans l'article 14, le Gouvernement a retenu la date du 1er juillet 2003. Cela étant, je confirme bien volontiers à M. Denis Badré et au Sénat tout entier que mes services recevront pour instruction de traiter avec bienveillance et compréhension les entreprises qui ne seraient pas en mesure de respecter cette échéance anticipée.
J'en viens à M. Jean-Pierre Demerliat, qui s'est exprimé au nom du groupe socialiste. Il s'inquiète de ce qu'il qualifie de « grave dérive des dépenses ». J'imagine que ce jugement sévère qu'il porte concerne la gestion du précédent gouvernement ! M. Demerliat sait que les baisses d'impôt sur le revenu ont été financées par une annulation de crédits à due concurrence, ce qui montre que le dérapage des dépenses est lié aux sous-budgétisations du précédent gouvernement et à des dispositifs non financés. La prime de Noël, comme cela a été rappelé par M. le rapporteur général, résume d'ailleurs tout de la politique budgétaire du précédent gouvernement : la prime de Noël de 2000 n'était pas financée, pas plus que la prime de 2001, ce qui me vaut de payer ces deux factures non financées et, comme l'a dit M. le rapporteur général, d'être trois fois le père Noël en cette fin d'année, ce qui n'est pas, je vous prie de le croire, budgétairement très confortable !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Lourde charge !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Lourde hotte ! (Sourires.)
S'agissant des annulations de crédits que vous avez dénoncées, cher Jean-Pierre Demerliat, je tiens à votre disposition la liste des annulations décidées par le précédent gouvernement : je ne doute pas que cette lecture vous incitera à soutenir le présent gouvernement ! M. Michel Charasse. Quelle cruauté !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Vous esquissez une comparaison entre l'année 1997 et l'année 2002, toutes deux années d'alternance, en effet, comme pour tenter de démontrer que le précédent gouvernement aurait été mieux inspiré que son successeur.
Deux différences, fondamentales et objectives, me paraissent devoir être relevées entre les deux années. D'abord, en 1997, admettez, d'une part, que la croissance reprenait, d'autre part, que les impôts avaient été massivement relevés. Aujourd'hui, la croissance que nous trouvons n'est pas celle que vous nous aviez promise, en tout cas dans la loi de finances initiale pour 2002, et reconnaissez que, là où vous aviez augmenté les impôts, nous avons décidé de les baisser, afin précisément de soutenir la croissance et l'emploi.
En ce qui concerne les gels de crédits, la nouveauté n'est pas dans la pratique elle-même, mais dans la transparence dont nous avons décidé qu'elle serait désormais assortie : nous nous sommes fixé de soumettre ces gels au Parlement pour qu'il en soit informé et qu'il statue lui-même sur les annulations, ce qui n'était pas le cas précédemment.
M. Jacques Oudin a lui-même évoqué l'évolution de la situation entre 1997 et 2002. Il a raison de rappeler que notre déficit est resté quasi identique, alors que tous nos voisins ont progressé en ce domaine. Ce constat conduit de nombreux observateurs objectifs à affirmer que les belles années de croissance ont été, de ce point de vue, gaspillées.
S'agissant des marins pêcheurs, je reconnais, avec M. Jacques Oudin, qu'ils participent à la lutte contre la marée noire. Il n'y a pas de raison, monsieur Oudin, que les informations qui vous ont été fournies soient inexactes, si elles proviennent du ministère chargé des transports ou du ministère chargé de l'écologie. En tout état de cause, je vais saisir mes deux collègues de vos préoccupations en veillant à ce qu'ils vous apportent eux-mêmes des réponses au plus vite. La question de l'indemnisation des marins pêcheurs relèvent de leurs compétences, et je souhaite que vous puissiez recevoir une réponse aussi précise que possible.
Vous avez évoqué l'article 16 du présent collectif, qui crée un nouveau mode de taxation des entreprises d'armement au commerce, qui se substitue, sur option, à l'impôt sur les sociétés. Depuis plusieurs années déjà vous souteniez cette réforme, et vous aviez raison, car elle s'imposait.
En effet, il était temps d'aligner le régime fiscal de nos armateurs sur celui qui est pratiqué par nos principaux partenaires, afin de donner à la flotte de commerce française les moyens de lutter à armes égales avec la concurrence étrangère. Cette réforme, indispensable pour soutenir efficacement l'armement au commerce, est le fruit d'une concertation approfondie avec les entreprises concernées, mais également avec le Parlement. Je salue, à cet égard, votre implication personnelle, monsieur Oudin, qui a été déterminante pour l'aboutissement rapide de cette réforme.
S'agissant du financement public des transports, en effet, il y a lieu de progresser dans la transparence du financement des grands projets. C'est ainsi que nous finançons, par une ouverture de crédits, le projet Perpignan-Figueras, afin de limiter progressivement les débudgétisations.
Cela étant dit, les questions relatives au transport méritent également des réponses plus approfondies, et je les transmettrai à mes collègues chargés de ces dossiers au Gouvernement.
Comme je l'indiquais à M. Jean-Pierre Demerliat, monsieur Thierry Foucaud, les gels de crédits ont toujours existé. A la différence des pratiques antérieures, nous les assumons et nous en parlons de manière transparente devant le Parlement. Je rappelle que le Parlement vote des plafonds de dépenses et un solde budgétaire. L'objectif de la régulation, c'est de respecter le solde voulu par le Parlement, qui est la représentation du peuple français.
M. Michel Charasse. Il n'y a que cela qui compte ! C'est impératif !
M. Alain Lambert, ministre délégué. J'ai toujours insisté sur ce sujet, et je ne l'ai pas oublié en entrant au Gouvernement. Lorsque j'entends ici ou là que l'exécutif pourrait prendre quelques facilités avec le solde voté par le Parlement,...
M. Michel Charasse. Quelle horreur !
M. Alain Lambert, ministre délégué. ... je considère que c'est une atteinte au respect que nous devons à la représentation du peuple français.
Je terminerai par la question du calendrier qu'a longuement évoquée Thierry Foucaud. Ce dernier a porté une critique qui était sans doute liée à l'énergie que l'on peut dégager un lundi matin après un week-end de repos...
M. Thierry Foucaud. Quand on est maire, on n'a pas de week-end de repos !
M. Michel Charasse. Comme les curés !
M. Alain Lambert, ministre délégué. C'est vrai également pour les membres du Gouvernement.
Je voudrais simplement rappeler que l'Assemblée nationale a choisi de reporter la discussion du collectif au mardi suivant. Respectueux des souhaits du Parlement, et non pas à la demande du Gouvernement, j'en ai tenu compte.
J'admets la difficulté de la tâche pour le Sénat comme pour l'Assemblée nationale, sachez qu'elle n'est pas beaucoup plus simple pour le ministre du budget et ses collaborateurs.
Puis-je simplement rappeler au Sénat combien fut fructueuse la discussion sur le projet de loi de finances initiale pour 2003 ? Je vous laisse imaginer le temps dont a disposé l'Assemblée nationale pour préparer la commission mixte paritaire alors que nous avions achevé la nuit précédente la discussion sur le collectif.
En ce qui concerne le nombre de dispositions législatives que nous introduisons dans notre corpus juridique, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, il n'est pas de solution magique. Je suis de ceux qui pensent qu'il faut sortir du domaine de la loi tout ce qui n'aurait jamais dû y entrer. Nous aurons alors tout le temps d'élaborer de la belle et durable norme, comme nous y invitait Portalis, que vous avez bien voulu citer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.