PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
M. le président. La séance est reprise.
DÉPÔT DU RAPPORT ANNUEL
DE LA COUR DES COMPTES
M. le président. L'ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
Huissiers, veuillez introduire M. le premier président de la Cour des comptes.
(M. le premier président de la Cour des comptes est introduit selon le cérémonial d'usage.)
Monsieur le premier président, au nom de mes collègues et en mon nom propre, je vous souhaite une très cordiale bienvenue dans l'hémicycle du Sénat et je vous donne la parole.
M. François Logerot, premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, conformément aux dispositions du code des juridictions financières, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau du Sénat le rapport annuel de la Cour des comptes, que j'ai remis aujourd'hui même à M. le Président de la République. Je vous le remets officiellement, monsieur le président. (M. le premier président de la Cour des comptes remet à M. le président du Sénat le rapport annuel de la Cour des comptes.)
Je vous remercie de m'autoriser, selon une tradition désormais bien établie, à commenter brièvement à cette occasion les travaux de la Cour effectués en 2002.
Ce rapport annuel n'est plus - tant s'en faut, et le Sénat le sait bien - l'unique publication de la Cour. Cette année, nous avons publié, en juin, le rapport sur l'exécution des lois de finances pour 2001 et, en septembre, le rapport sur l'exécution de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.
Dans les deux cas, la Cour a été extrêmement sensible à l'intérêt porté par la représentation nationale à ces deux rapports, comme en témoignent les auditions organisées par les commissions compétentes. Les questions posées, les propositions d'origine parlementaire dans ces domaines, confirment le sentiment d'utilité que ressent la Cour dans sa mission d'assistance au Parlement.
L'année 2002 a également été marquée par la publication de quatre rapports particuliers, portant sur : la gestion du risque accidents du travail et maladies professionnelles ; la politique de la ville ; la préservation de la ressource en eau face aux pollutions d'origine agricole dans le cas de la Bretagne ; le contrôle de la navigation aérienne.
Ces interventions plus nombreuses, propres à élargir notre audience, exigent que le traditionnel rapport public annuel trouve une place renouvelée dans son rôle et dans son contenu. C'est ce que nous avons entrepris dans deux directions : la production d'un véritable rapport d'activité des juridictions financières et l'analyse des suites réservées par les autorités compétentes aux observations et critiques de la Cour et des chambres régionales des comptes.
S'agissant du rapport d'activité qui est, dès cette année, plus développé, je souhaite souligner quelques aspects spécifiques de nos travaux en 2002.
D'une part, nous avons poursuivi nos efforts d'amélioration des méthodes de contrôle et de partage des connaissances, afin de renforcer nos capacités d'expertise.
D'autre part, nous avons engagé un vaste chantier pour nous préparer à appliquer, pour ce qui concerne la Cour, et dans toutes ses dispositions, la loi organique du 1er août 2001 qui tend à réformer l'organisation financière et comptable de l'Etat ; elle nous impose en effet des modifications substantielles de nos méthodes de travail. Par exemple, la certification des comptes de l'Etat exigera le recours aux techniques d'échantillonnage et de test, l'établissement de seuils de signification et l'évaluation des possibilités de recourir à des expertises particulières.
Quant aux effets de ses interventions antérieures, la Cour s'efforce en permanence de démontrer que, contrairement à une idée trop répandue, ses contrôles produisent des effets positifs et significatifs. Malheureusement, cette efficacité ne se mesure pas sans un certain délai, et les commentateurs ne s'avisent pas toujours que la Cour n'est pas habilitée à adresser des injonctions aux pouvoirs publics. A cet égard, le relais que le Parlement veut bien apporter à nos observations et recommandations, comme contribution à l'exercice de sa propre fonction de contrôle, est évidemment essentiel. Comme vous le verrez dans notre rapport d'activité, nous avons classé les suites positives réservées à nos contrôles en quatre rubriques distinctes.
Améliorer la transparence financière : je citerai, à titre d'exemples, la suppression par le ministère des finances du régime des dépôts de fonds particuliers et la rebudgétisation des dépenses de fonctionnement et de rémunérations qu'ils finançaient, la modification de la nomenclature du budget de la défense, qui permettra d'individualiser les coûts des grands programmes d'armement ou la publication, réclamée par la Cour, du règlement administratif et financier des offices agricoles qui clarifie le système de distribution des aides européennes et nationales.
Rendre plus efficace l'action publique : on peut citer à ce titre les enquêtes qui ont accéléré et accompagné les réformes de statut et d'organisation conduisant à la transformation de la direction des constructions navales en une entreprise, celles qui ont incité le ministère de la culture, qui avait une connaissance très imprécise de son patrimoine, à se doter d'instruments de pilotage de sa politique immobilière, ou les améliorations apportées dans le fonctionnement d'institutions ou d'organismes aussi divers que la Cour de cassation, le Centre national de la recherche scientifique, le Laboratoire central des ponts et chaussées ainsi que le groupe de la Caisse des dépôts et consignation.
Assurer la sécurité juridique : le contrôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel, exercé uniquement, bien entendu, dans la partie « gestion » de son activité, a permis une remise en ordre des textes internes à cette autorité indépendante ; dans un autre domaine, le contrôle des chambres d'agriculture a conduit le Parlement à préciser dans la loi le régime de la taxe qui est leur principale ressource et il a permis de mettre fin à des anomalies dans la gestion des personnels.
Garantir le recouvrement des recettes publiques : pour illustrer les résultats que produisent les contrôles juridictionnels sur les comptables, je n'évoquerai que les mesures prises par la direction générale des impôts en vue d'améliorer nettement le recouvrement des arriérés de taxes financières émises au nom de l'Etat.
En dehors de ces résultats, dont les lecteurs du rapport public de cette année trouveront d'autres exemples significatifs, celui-ci contient plusieurs insertions, dites de « suivi », qui analysent plus en détail, et contradictoirement avec les administrations concernées, l'avancement des réformes préconisées par la Cour. Ainsi, le chapitre consacré à la fonction publique de l'Etat comprend, outre de nouvelles observations sur les personnels des affaires étrangères et des finances, l'examen des mesures prises à la suite des deux rapports particuliers de 1999 et de 2001 pour redresser de nombreuses irrégularités affectant notamment les systèmes de rémunérations accessoires des fonctionnaires. Le chapitre « transports et équipement » décrit, quant à lui, les progrès accomplis dans la conduite de la politique autoroutière.
Mais, bien entendu, notre rapport aborde de nouveaux sujets, que je ne saurais citer tous. Une large part est faite cette année au domaine de l'emploi, poursuivant l'analyse des nombreux dispositifs d'aide mis en place. Ainsi sont étudiés les contrats emploi consolidé, les stages pour demandeurs d'emploi, ainsi que la gestion des fonds versés à l'Association pour la gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés, l'AGEFIPH, pour favoriser l'insertion des personnes handicapées.
D'autres observations en matière sociale concernent les mutuelles de fonctionnaires et le régime des intermittents du spectacle, sujets dont le Parlement connaît la sensibilité et l'actualité.
Une autre dominante de ce rapport a trait aux questions d'équipement et d'environnement, avec notamment la gestion de l'établissement public Aéroports de Paris, celle de la Société française du tunnel routier du Fréjus et celle des parcs de l'équipement.
Je mentionnerai enfin l'insertion, due aux travaux des chambres régionales des comptes, d'observations sur la gestion des déchets ménagers, qui représente, nous le savons, une charge très lourde pour les collectivités territoriales.
Sur tous ces sujets, je souhaite que votre assemblée et, en particulier, les rapporteurs spéciaux ou pour avis de vos commissions trouvent, dans les observations de la Cour et les réponses qui leur sont apportées, la matière de réflexions et de propositions susceptibles d'améliorer la gestion publique.
Je voudrais, avant de terminer, évoquer encore quelques aspects importants de l'assistance que notre institution se doit d'apporter à la Haute Assemblée.
En premier lieu, l'année 2002 a vu la mise en oeuvre de certaines dispositions de la nouvelle loi organique. C'est ainsi que pour la première fois ont été appliquées les dispositions de l'article 58-6 prévoyant le dépôt d'un rapport de la Cour, conjointement au dépôt d'un projet de loi de finances rectificative, sur les mouvements de crédits opérés par voie administrative et dont la ratification législative est demandée. A deux reprises, en juillet puis en novembre 2002, la Cour a donc produit, dans des délais très rapides, un rapport destiné à l'information du Parlement concernant deux décrets d'avance.
En deuxième lieu, l'année qui vient de s'achever a été l'occasion de préciser et d'expérimenter les modalités du concours que la Cour doit apporter à votre commission des finances, en application de l'article 58-2 de la loi du 1er août 2001, grâce aux entretiens que j'ai eus avec M. Alain Lambert, alors président de la commission des finances, puis avec son successeur, M. Jean Arthuis. Dès le mois de février, nous avons été saisis d'une demande concernant quatre contrôles, dont les résultats ont pu vous être communiqués le 20 décembre 2002. Nous avons ensuite inscrit à notre programme pour 2003 les sujets que vous avez bien voulu nous indiquer.
Je tiens donc, au nom de mes collègues, à remercier la commission des finances de l'approche pragmatique et constructive qu'elle a engagée à cette occasion, ainsi que, d'une manière générale, de la façon dont elle conçoit ses relations avec la Cour. En effet, notre concours vous sera d'autant plus utile que nous aurons pu adapter le calendrier de nos travaux à vos demandes prioritaires, et donc réaliser les enquêtes demandées dans les délais les plus courts et restant compatibles avec les procédures qui s'imposent à nous, en particulier quant à la contradiction préalable avec les administrations et organismes contrôlés.
En troisième lieu, je veux remercier le Sénat de l'attention qu'il porte aux juridictions financières, comme il vient encore d'en témoigner à plusieurs occasions.
Ainsi, c'est sur son initiative qu'a été adopté l'article 4 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, qui prévoit le dépôt par le Gouvernement d'un rapport présentant les suites données aux recommandations formulées par la Cour dans son rapport annuel sur la sécurité sociale. De même, il a introduit, dans la dernière loi de finances, un amendement élargissant l'origine des rapporteurs susceptibles d'exercer cette fonction à la Cour des comptes, concernant les militaires. Enfin, le souhait de la Cour de se voir adjoindre le concours précieux d'administrateurs du Sénat a reçu une première réponse avec la mise à disposition d'un haut fonctionnaire, ce dont je remercie vivement votre assemblée.
Je me permets d'appeler votre bienveillante attention sur les moyens de la Cour. J'ai déjà souligné le défi que représente pour l'Etat, pour ses finances publiques, et donc pour la Cour des comptes qui en sera l'auxiliaire, la mise en oeuvre de la certification des comptes de l'Etat dès 2006. Il paraît exclu que nous puissions faire face à cette mission nouvelle avec des moyens inchangés. Je serai amené à présenter au Gouvernement, dès cette année, des propositions de renforcement, qui ne seront d'ailleurs pas seulement d'ordre quantitatif, car nous devrons nous adjoindre des compétences plus spécialisées dans des disciplines comptables, besoin que nos recrutements traditionnels ne permettent pas de satisfaire totalement. Je forme le voeu que le Sénat veuille bien, le moment venu, être attentif à ces demandes.
En conclusion, monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, mes collègues et moi-même nous félicitons du resserrement incessant des liens entre la Cour et le pouvoir législatif, liens conformes à la Constitution et accrus par la nouvelle loi organique. Soyez assurés de notre concours pour contribuer à l'efficacité du contrôle parlementaire, en vue de tendre vers une gestion publique toujours améliorée et plus économe des deniers publics. (Applaudissements.)
M. le président. Monsieur le premier président, le Sénat vous donne acte du dépôt de ce rapport et vous remercie des compliments que vous avez bien voulu lui adresser.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, mes chers collègues, comme à son accoutumée, le premier président de la Cour des comptes a brillamment résumé le rapport public annuel qu'il vient de déposer au Sénat.
Ce rapport ne constitue toutefois que la figure de proue ou la partie émergée de la mission d'assistance au Parlement que l'article 47 de notre Constitution a confiée à la Cour des comptes, mission dont je souhaite à mon tour souligner les récents développements et les résultats prometteurs.
Tout d'abord, la Cour des comptes transmet en temps utile au Parlement une part croissante du produit de ses investigations.
D'une part, le rapport de la Cour des comptes sur l'exécution des lois de finances de l'année n - 1 est désormais publié au moment où les rapporteurs de chaque assemblée préparent leurs questionnaires budgétaires. Nous savons que cela soumet les magistrats de la Cour à de très fortes contraintes de délais, mais cela nous permet de mettre en place un « chaînage vertueux » entre l'examen de la loi de règlement de l'année n - 1, celui du budget de l'année n + 1, et, à compter des tout prochains mois, l'exécution en cours de l'année n, puisque nous avons prévu des rendez-vous rapprochés avec les ministres, ce qui renforce encore l'intérêt de nos débats budgétaires. Nous serons attentifs, dans les prochaines semaines, à l'exécution de la loi de finances pour 2003.
D'autre part, en application de la nouvelle rédaction de l'article L. 135-5 du code des juridictions financières résultant de la loi de finances initiale pour 2001, les référés du premier président de la Cour aux ministres et les réponses desdits ministres sont désormais transmis de droit aux commissions des finances.
Progressivement montée en charge, cette procédure fonctionne aujourd'hui à la satisfaction de tous : d'un côté, j'ose espérer que la perspective de voir leurs réponses transmises au Parlement constitue un puissant aiguillon pour les ministères ; de l'autre, les membres de la commission des finances utilisent de plus en plus le contenu de ces référés, parfois austères, sans doute, mais toujours instructifs.
Au total, dans les seuls fascicules budgétaires publiés cet automne par la commission des finances du Sénat, à l'exclusion, notamment, des rapports de contrôle ou d'information, les rapporteurs spéciaux de la commission ont ainsi cité les travaux de la Cour des comptes plus de deux cents fois, et le nombre de citations augmente d'année en année.
En outre, je tiens à le souligner, les réductions de crédits de certains départements ministériels adoptées par le Sénat sur l'initiative de la commission des finances lors de l'examen du projet de budget pour 2003 se sont largement appuyées sur les constats et sur les recommandations formulées par la Cour des comptes.
Ces réductions se fondaient d'ailleurs sur un double constat que nous partageons avec la Cour : les dépenses publiques ne peuvent « vivre leur vie » indépendamment de l'évolution des recettes et, comme l'esprit et la lettre de la loi organique nous y invitent, dépenser mieux ne signifie pas dépenser plus.
Ainsi le Sénat a-t-il tiré les leçons des observations de la Cour des comptes soulignant la dérive des réserves financières des universités en réduisant de 2 millions d'euros la hausse des subventions de fonctionnement aux établissements d'enseignement supérieur, à charge pour le ministère de répartir cette réduction, relevant du symbole, sur les seuls établissements disposant d'importantes réserves mobilisables, afin de leur donner un signal fort en faveur d'une meilleure gestion. Les universités, comme tous les organismes bénéficiant de fonds publics provenant de l'Etat, n'ont pas vocation à accumuler une trésorerie dormante.
Tous ces constats démontrent l'apport de la Cour des comptes aux travaux du Sénat. Ils expliquent aussi que la loi organique du 1er août 2001 ait fait naître au sein du Parlement de nouvelles attentes à l'endroit de la Cour des comptes, point qui constituera l'un des grands chantiers des années à venir et, en tout état de cause, l'une de mes priorités à la présidence de la commission des finances.
Mon prédécesseur, Alain Lambert, avait d'ailleurs déjà longuement exposé, à l'occasion du dépôt du rapport public annuel pour 2002, c'est-à-dire il y a presque un an, le souhait que la Cour soit le maillon fort de la mise en oeuvre de l'ordonnance organique et, surtout, que la Cour et le Sénat fassent vivre l'ensemble des dispositions de l'article 58 de la loi organique du 1er août 2001 qui sont entrées en vigueur le 1er janvier 2002.
C'est désormais, pour une large part, chose faite, et je m'en félicite tout particulièrement.
A la veille de Noël, la Cour des comptes a en effet communiqué à la commission des finances les résultats des quatre enquêtes dont la réalisation lui avait été demandée, en application de l'article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances.
Soyez assurés, monsieur le premier président, mes chers collègues, que nous donnerons suite à ces enquêtes lors de nos prochaines réunions de commission. Je souhaite que puisse s'organiser, en tant que de besoin, une confrontation entre le magistrat responsable de l'enquête et le ministre concerné. Tel pourrait être le préalable à la publication des rapports d'enquête.
En accord avec le premier président de la Cour des comptes, je puis, par ailleurs, vous confirmer, mes chers collègues, que nous mettrons en oeuvre, dans le cadre du programme de contrôle de la commission des finances pour 2003, les dispositions de l'article 58-1 de la loi organique prévoyant l'assistance concrète de la Cour à ces missions.
Je suis convaincu que cet approfondissement des relations entre la Cour des comptes et le Parlement sera un enrichissement mutuel pour nos deux institutions et un puissant levier de modernisation de la gestion publique, au profit de tous nos concitoyens.
Je suis tenté d'ajouter que ce sera aussi un puissant levier pour la réforme de l'Etat, à condition que la volonté politique s'exprime avec force et opiniâtreté. Nous avons le devoir de faire vivre cette volonté sans faille.
A l'occasion du dépôt sur le bureau de notre Haute Assemblée du rapport public annuel de la Cour des comptes, je souhaitais donc à la fois remercier l'ensemble des magistrats de la Cour de leur assistance au Parlement et rappeler que nous attendons, avec confiance, encore beaucoup d'eux pour la mise en oeuvre de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances.
Nous serons, monsieur le premier président, attentifs à l'exigence d'adéquation entre les missions qui vous sont confiées et les moyens mis à votre disposition. C'est l'intérêt de l'Etat comme celui de nos concitoyens, et c'est l'intérêt de la France. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. En ma qualité de président de la commission des affaires sociales, laquelle entretient avec la Cour des comptes des liens institutionnels constants et étroits, je veux m'associer aux propos de M. le président de la commission des finances.
Monsieur le premier président, je tiens à vous dire combien les travaux de la Cour nous sont précieux, et je vous serais donc reconnaissant de bien vouloir transmettre à l'ensemble des magistrats de la Cour les remerciements de la commission que je préside. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. le président. Huissiers, veuillez reconduire M. le premier président de la Cour des comptes.
(M. le premier président de la Cour des comptes est reconduit selon le même cérémonial qu'à son entrée dans l'hémicycle.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Daniel Hoeffel.)
PRÉSIDENCE DE M. DANIEL HOEFFEL
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement, la lettre suivante :
« Monsieur le président,
« J'ai l'honneur de vous informer qu'en application de l'article 48 de la Constitution, et de l'article 29 du règlement du Sénat, le Gouvernement souhaite, en accord avec la commission des affaires sociales du Sénat, que la séance du jeudi 30 janvier 2003 se poursuive, l'après-midi après les questions au Gouvernement et le soir, avec l'ordre du jour suivant :
« - projet de loi relatif à la bioéthique.
« Je vous prie d'agréer, monsieur le président, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
« Signé : Jean-François Copé. »
Acte est donné de cette communication et l'ordre du jour du jeudi après-midi et soir sera ainsi modifié.
Il appartiendra à la conférence des présidents du mardi 4 février d'envisager une autre date pour l'examen du projet de loi relatif à la répression de l'activité de mercenaire.
CANDIDATURES
À UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la lettre suivante :
« Monsieur le président,
« Conformément à l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, j'ai l'honneur de vous faire connaître que j'ai décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi pour la sécurité intérieure.
« Je vous serais obligé de bien vouloir, en conséquence, inviter le Sénat à désigner ses représentants au sein de cette commission.
« J'adresse ce jour à M. le président de l'Assemblée nationale une demande tendant aux mêmes fins.
« Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération.
« Signé : Jean-Pierre Raffarin. »
J'informe le Sénat que la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale m'a fait connaître qu'elle a procédé à la désignation des candidats qu'elle présente à cette commission mixte paritaire.
Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l'article 9 du règlement.
BIOÉTHIQUE
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la bioéthique.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le gouvernement précédent avait fait adopter le 22 janvier 2002 par l'Assemblée nationale, en première lecture, le projet de loi relatif à la bioéthique, qui avait fait l'objet d'un véritable consensus au terme de débats souvent passionnants.
Vous avez eu la sagesse, monsieur le ministre, de reprendre ce texte, ce qui a très certainement permis d'accélérer les choses. Nous savons, en effet, combien le monde scientifique, mais aussi l'ensemble de nos concitoyens, passionnés par tout ce qui touche à la vie et par les implications qui peuvent en découler pour tout un chacun, attendaient une évolution du texte de 1994, voire l'apport de certaines précisions.
Puisque j'en suis aux motifs de satisfaction, je voudrais aussi féliciter M. le rapporteur et M. le président de la commission d'avoir su, depuis quelques mois, au travers des auditions qu'ils ont menées, rendre encore plus attractives, et souvent beaucoup plus compréhensibles, des notions qui sont, pour la plupart d'entre elles, accessibles aux seuls experts.
J'axerai mon propos sur deux questions essentielles que vise à résoudre le présent projet de loi, lequel comporte, certes, des imperfections, parfois des contradictions, que je ne manquerai pas de relever.
Premièrement, quel contenu juridique souhaitons-nous donner à la notion de respect du corps humain ?
Deuxièmement, quel statut scientifique conférer à l'embryon, tout en réaffirmant notre objectif de protection de la vie et de lutte contre la marchandisation du vivant ?
S'agissant de la première question, parmi les intentions primordiales qui sous-tendent le projet de loi figure la volonté de garantir la protection des droits de l'homme dans le contexte d'un prodigieux développement de la bioéthique.
Cette volonté est fondée sur trois piliers.
Il s'agit, tout d'abord, de l'encadrement des pratiques d'examen des caractéristiques génétiques de la personne : l'encadrement des possibilités de test génétique est une bonne chose. Circonscrire le recours à ce type de pratiques à celles qui sont menées à des fins médicales ou scientifiques, avec le consentement explicite de la personne, permet d'atteindre un juste compromis entre le respect dû à celle-ci et les aspirations médico-scientifiques.
A cet égard, la sévère pénalisation du non-respect des règles de recours à ces examens donne corps au principe de non-discrimination sur la base du patrimoine génétique dont nous appelons de nos voeux l'affirmation, en écho aux dispositions de la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, votée sous la précédente législature.
L'amendement de la commission prévoyant par ailleurs la possibilité, pour le médecin, en cas de découverte d'une maladie grave, de conseiller au patient de prévenir les membres de sa famille me paraît judicieux.
Le deuxième pilier a trait à la régulation du don et du prélèvement des éléments et produits du corps humain. L'activité de transplantation, bien acceptée aujourd'hui, est en plein développement, ce qui pose, en France, le problème du manque de greffons. Dans ce domaine, notre pays détient, d'autres orateurs l'ont dit avant moi, la lanterne rouge parmi les Quinze.
Au regard de cette situation, l'Assemblée nationale avait prévu d'élargir le cercle des donneurs potentiels aux personnes ayant un « lien étroit et stable » avec le receveur. Il est regrettable, monsieur le rapporteur, que la commission, même si elle prévoit d'allonger la liste des collatéraux, revienne sur cette notion, niant ainsi le caractère social et non biologique de l'acte de don. Elle argue bien sûr du risque de voir apparaître une dimension commerciale dans les rapports entre donneurs et receveurs ; mais est-on certain que, dans la cellule familiale, ne s'établissent pas des rapports de sujétion, d'obligation, d'autorité, voire d'intérêt matériel, qui dénatureraient le don d'organe en tant que disposition généreuse envers autrui ?
La solution paraît résider dans un contrôle renforcé et une pénalisation accrue des dons en cas de manquement, notamment lorsqu'ils ont pour origine un compromis marchand, plutôt que dans une définition limitative des individus habilités à devenir donneurs.
Enfin, en matière d'ovocytes, il me semble tout à fait nécessaire d'inscrire dans la loi l'obligation d'informer la donneuse des conditions de stimulation ovarienne et de prélèvement ovocytaire, ainsi que des risques et des contraintes liés à cette technique.
Le troisième et dernier pilier, c'est la question de la non-brevetabilité du vivant.
Nous connaissons la difficulté induite par la superposition du droit européen et du droit français dans la hiérarchie des normes juridiques, que vous avez rappelée, monsieur le ministre. Nous savons que, à l'instar de votre prédécesseur, Mme Guigou, vous vous battez et avez entrepris une négociation de la directive européenne, non encore transcrite en droit français et dont l'article 5 est paradoxal. Je souligne d'ailleurs que le précédent gouvernement n'avait pas adopté ce fameux article en conseil des ministres, ou avait du moins émis de très sérieuses réserves.
Loin de souhaiter la non-brevetabilité de méthodes ou de procédés scientifiques, qui aurait pour conséquence immédiate de décourager la recherche et le développement de ses applications, nous demandons que soit affirmée, sous réserve d'une mise en conformité des législations française et européenne, la non-brevetabilité du vivant, ainsi que celle du génome. Nous souhaitons que l'esprit qui sous-tendait l'amendement de M. Jean-Claude Lefort, que l'Assemblée nationale avait adopté en première lecture et qui avait semblé faire l'unanimité sur tous les bancs, soit ainsi préservé, et que les négociations soient menées sur cette base. Le corps humain n'est pas, en effet, une marchandise, quel que soit le stade de son développement.
Dans la seconde partie de mon intervention, j'évoquerai les problèmes liés à l'embryon et à sa place dans la recherche scientifique. Là se trouve le coeur du débat : entre les parlementaires d'abord, au sein de la communauté scientifique ensuite, dans la société civile enfin, car celle-ci y participe.
Réaffirmer l'interdiction du clonage reproductif et le pénaliser fortement ne peut que recueillir l'assentiment de tous, y compris, je l'espère, de la communauté internationale. Chacun ici comprend quelle serait la gravité, pour l'espèce humaine, du recours à une telle pratique.
Nous avons tous la volonté de punir très sévèrement les contrevenants, comme vous le proposez, monsieur le ministre. A ce titre, la constitution d'une catégorie pénale relative aux « crimes contre l'espèce humaine » semble de nature à susciter l'approbation générale.
Toutefois, autant nous partageons votre point de vue en ce qui concerne le clonage reproductif, autant nous sommes circonspects quant à votre attitude vis-à-vis de la recherche sur l'embryon et à l'éventualité du recours au clonage thérapeutique. Ainsi, pourquoi cette frilosité à propos de l'article 19, que vous souhaitez réécrire, monsieur le ministre, de manière tout à fait jésuitique, si je puis dire, au travers de nombreux amendements tendant successivement à rappeler l'interdiction de la conception in vitro d'embryons d'abord à des fins de recherche et d'expérimentation, puis à des fins thérapeutiques par le biais du clonage, enfin à quelque finalité que ce soit, pour aboutir à autoriser, par dérogation...
M. Jean Chérioux. Par transgression !
M. Bernard Cazeau. ... - non, par dérogation, monsieur Chérioux, c'est le texte même des amendements - et selon un moratoire, cette même recherche sur l'embryon et les cellules embryonnaires par le biais des embryons surnuméraires ?
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Dans des conditions précises d'encadrement !
M. Bernard Cazeau. C'est là qu'est le jésuitisme !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Non !
M. Bernard Cazeau. Le monde scientifique rappelle pourtant aujourd'hui, de manière presque unanime, l'intérêt de l'étude des cellules embryonnaires, grâce auxquelles nous pourrions mieux comprendre les développements tissulaires qui, à terme, permettront d'améliorer le traitement d'un certain nombre de maladies, voire de les guérir. L'Académie des sciences est allée plus loin, ces jours derniers, puisqu'elle a préconisé, de façon quelque peu obscure d'ailleurs, le clonage thérapeutique.
Nous savons aussi combien la recherche sur les cellules adultes, dont vous étiez et êtes certainement encore un grand défenseur, monsieur le ministre, et qui nous permettrait d'éviter l'utilisation d'embryons, en est à un stade peu avancé - Mme Haigneré l'a souligné tout à l'heure -, compte tenu des difficultés rencontrées, même si certains chercheurs, notamment nord-américains, travaillent avec ardeur sur ce sujet.
Il est d'ailleurs tout à fait naturel de lier l'une et l'autre, puisque la recherche sur les cellules embryonnaires ne peut que faire progresser celle qui porte sur les cellules adultes.
Monsieur le ministre, vous avez dit, me semble-t-il - si cela n'est pas tout à fait exact, je vous prie de m'en excuser -, que vous cheminiez dans votre réflexion sur ce thème. Je pense que, en fait, vous cheminez sur une ligne de crête très étroite...
M. Jean-François Mattei, ministre. Exact !
M. Bernard Cazeau. ... entre votre connaissance de la science, de ses besoins, de ses attentes, et celle dont font montre vos amis politiques, notamment les plus conservateurs d'entre eux, qui se réfèrent à des notions d'éthique personnelle, alors que, en tant que législateurs, nous souhaitons, en ce qui nous concerne, ne nous appuyer que sur l'esprit républicain de laïcité.
Nous ne faisons pas la confusion, pour notre part, entre le refus impératif du clonage reproductif et les réserves que l'on peut émettre à l'égard du clonage thérapeutique, dont l'autorisation nous paraît liée au seul problème de l'ovule, et donc prématurée.
Nous contestons tout à fait, par ailleurs, votre refus de donner aux médecins et aux chercheurs la possibilité de procéder à des expérimentations cliniques en matière d'assistance médicale à la procréation. Là aussi, vous tombez dans le paradoxe en déplorant, d'une part, à juste titre - un article du Figaro le démontre encore aujourd'hui -, les conditions dans lesquelles a été utilisée, sans véritable expérimentation préalable, la technique de fécondation in vitro par micro-injection de spermatozoïdes, plus communément appelée ICSI, et en refusant, d'autre part, pour l'avenir, d'ouvrir le droit d'expérimenter dans les conditions de la réalité de l'acte.
Monsieur le ministre, le texte voté par les députés en première lecture était équilibré. Il prenait en compte les règles liées au respect de la vie et de la non-marchandisation du vivant, mais aussi l'évolution des sciences de la vie et de leurs techniques, et il laissait aux individus la possibilité de mettre en oeuvre leurs projets, comme dans le cas du transfert post mortem d'embryon, manifestant ainsi, dans le respect des règles, la hauteur de vues nécessaire à une compréhension suffisante de quelques cas douloureux.
En revanche, le texte que nous présentent aujourd'hui M. le rapporteur et M. le ministre - je les associe dans mon propos, car j'ai l'impression qu'ils ont étroitement collaboré, ce qui est leur droit - témoigne, par le biais de quelques amendements, d'une véritable crispation quant à la nécessaire transformation des moeurs qu'engendrent les avancées scientifiques et quant aux possibilités de progrès humain que permet la recherche sur l'embryogenèse. Cela se traduit ici par la prohibition de toute recherche sur l'embryon, si encadrée soit-elle.
Je rappellerai pour ma part que la prudence n'est pas la frilosité.
M. Jean-François Mattei, ministre. Je suis d'accord !
M. Bernard Cazeau. Ce sont la transparence des règles bioéthiques et l'éducation de nos concitoyens à ces règles qui favorisent la compréhension collective des enjeux de la protection de la vie dans un monde en profonde mutation, où les champs du possible s'élargissent à une allure vertigineuse. Eh oui ! L'impensable d'hier est désormais notre quotidien, monsieur le rapporteur !
Pénaliser et décrier des pratiques nouvelles inacceptables dont les médias nous ont récemment présenté un pénible échantillon ne suffira pas. Il nous faut ancrer dans l'esprit de chacun de nos concitoyens les normes éthiques indispensables à l'équilibre social et au respect de l'identité humaine, tout en permettant un usage progressiste des découvertes scientifiques.
Ne prenons pas de retard, par je ne sais quel dogmatisme, au regard du formidable espoir que soulève la thérapie cellulaire, sauf à courir le risque, comme le rappelait ces jours derniers, dans la presse, Jacques Hatzfeld, d'une « dictature de l'ignorance » qui entraînerait, pour le pays, un double retard, scientifique, certes, mais aussi moral.
C'est pourquoi, tout en attendant le résultat de la discussion des amendements, nous nous montrons d'ores et déjà très réservés sur le texte remanié que vous semblez vouloir nous proposer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Après avoir rappelé que les députés avaient adopté, en janvier 2002, le projet de loi dont le Sénat se saisit aujourd'hui, je voudrais m'élever contre les détestables conditions de travail que vous nous imposez, monsieur le ministre. Cette situation est d'autant plus regrettable que les sujets évoqués touchent aux éléments fondamentaux de l'espèce humaine et que l'appropriation citoyenne de ces questions est loin d'être une réalité.
Pour ne pas perdre de temps, vous avez choisi de garder le texte de janvier 2002 comme base de travail, tout en ne cachant pas votre désaccord sur des volets importants : la recherche sur l'embryon, le clonage thérapeutique, la brevetabilité.
Au lieu de nous présenter un texte réécrit, vous avez déposé 70 amendements que nous n'avons découverts qu'en fin de semaine et qui sont venus s'ajouter à la soixantaine d'amendements antérieurement que vous aviez déposés.
Au demeurant, puisque le rapporteur, Francis Giraud, a déclaré partager pleinement vos orientations, je me demande la raison d'être de cette gymnastique contraignante entre le Gouvernement et la commission : pourquoi ces 137 amendements, qui se recoupent, s'annulent, pour aboutir finalement au même objectif.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est le respect de la liberté du Parlement !
M. Guy Fischer. Certes !
Cela étant, je remercie M. le rapporteur de nous avoir fait auditionner de multiples personnalités.
Je voudrais maintenant expliciter l'approche que mon groupe et moi-même avons du présent texte. Nous avons, nous aussi, auditionné, réfléchi, et nous avons l'honnêteté d'admettre que nous n'avons pas de position définitive sur certains sujets ; je pense au clonage thérapeutique et à l'évaluation des techniques de procréation médicalement assistée.
Quant à la brevetabilité, élément fondamental, je vais la prendre comme exemple révélateur des contradictions dans lesquelles s'enferre le Gouvernement.
Cet aspect du projet de loi, porteur de grands dangers de marchandisation en raison des amendements déposés par le Gouvernement, avait été écarté clairement dans le texte adopté en 2002.
Je rappelle que les dispositions prohibant la brevetabilité d'éléments du corps humain avaient été introduites à l'Assemblée nationale sur l'initiative des députés communistes. En effet, notre collègue Jean-Claude Lefort avait déposé - avec Roger Meï - un amendement visant à exclure tout « élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène », de l'autorisation de brevetage.
Cet amendement avait alors été voté à l'unanimité, y compris par le député que vous étiez alors, monsieur le ministre.
M. Jean-François Mattei, ministre. Certes !
M. Guy Fischer. Or force est de constater que les choses n'ont pas évolué positivement depuis puisque vous nous invitez, en quelque sorte, à transposer la directive européenne qui était visée.
Pour nous, seule la renégociation de cette directive européenne est envisageable, et ce pour deux raisons majeures.
Tout d'abord, dans un souci de clarté, nous affirmons que, lorsqu'une directive européenne porte atteinte à des droits fondamentaux - comme c'est le cas - le principe de subsidiarité doit s'appliquer.
Ensuite, dans la mesure où cette directive est loin de faire l'unanimité, que notre position ne porterait en rien préjudice à l'Europe puisque seuls quatre pays de l'Union européenne sur quinze ont aujourd'hui transposé la directive, nous estimons qu'il faudrait s'engager clairement vers une renégociation, dont la France gagnerait à prendre l'initiative.
Ce débat me semble l'occasion de redire avec force que le vivant ne peut en aucune façon faire l'objet d'une appropriation par quiconque. C'est un patrimoine commun de l'humanité et, à ce titre, il est inaliénable et inbrevetable.
Tel est le sens d'un de nos amendements, qui vise à protéger de toute marchandisation non seulement la personne humaine, mais les espèces végétales et animales.
J'en viens aux autres points importants de ce projet de loi et, tout d'abord, au clonage reproductif.
Je ne puis que souscrire à la prohibition formelle et à l'incrimination qui figurent dans les amendements du Gouvernement et de la commission. Pour notre part, nous ouvrirons un autre débat qui consistera à qualifier le clonage à visée reproductive de crime contre le genre humain. Nous aurons l'occasion d'en discuter, monsieur le ministre, mais, puisque l'on ne peut dire à la fois une chose et son contraire, vous me permettrez de formuler une observation qui rejoint mon précédent argument concernant la brevetabilité du vivant.
Dès lors que vous choisissez d'incriminer clairement cette pratique, comment pouvez-vous, dans le même temps, avec toute l'expérience et la connaissance du dossier que vous semblez avoir, aligner notre pays sur une directive européenne qui entraîne de facto la brevetabilité du vivant, donc la marchandisation, qui ouvre la porte à tous les débordements que l'on constate déjà dans les pays anglo-saxons ? Je souhaiterais vous entendre sur cette contradiction, qui n'est peut-être qu'apparente : vous devriez nous en convaincre...
J'en arrive au clonage thérapeutique, aux recherches sur l'embryon et à l'AMP.
J'ai volontairement regroupé ces sujets car ils touchent tous à des recherches que nous avons la responsabilité d'autoriser ou d'interdire, avec pour objectifs principaux l'intérêt des malades, qui fondent des espérances sur les progrès des thérapies cellulaires, celui des couples en souffrance, qui ont de la peine à mener à bien un projet de procréation, le nécessaire encadrement de la recherche appliquée à ces problématiques et enfin, l'indispensable accompagnement des couples ainsi que des enfants, dont il n'est guère fait état dans la rédaction que vous nous présentez.
Vous interdisez le clonage thérapeutique par transfert nucléaire et vous l'incriminez. Cette incrimination sans nuance n'est-elle pas excessive, monsieur le ministre, eu égard aux différents objectifs de recherche qui peuvent inciter un scientifique à cette pratique ? S'agit-il de soigner ou de répondre à la loi du marché ? Faute de permettre une telle distinction, cette incrimination est-elle fondée ?
Pourquoi fermer définitivement des portes à la rechercher foetale, s'interdire toute recherche sur l'embryon constitué par clonage, alors que des perspectives thérapeutiques existent ?
Pour ne pas paraître trop figé dans vos positions, vous faites une exception en permettant, pour une période limitée à cinq ans, que des recherches sur des embryons surnuméraires conçus dans le cadre de l'AMP puissent être menées.
Je ne puis m'empêcher de relever encore une certaine ambiguïté dans cette position. Vous êtes dans la même contradiction que lorsque vous approuvez la non-brevetabilité du vivant tout en avalisant de facto la directive européenne.
A mon avis, le crime serait de réimplanter in vivo un embryon ; in vitro, il n'a pas pour finalité de devenir un enfant. Je voudrais à ce propos évoquer la définition très claire du statut médical de l'embryon humain qu'a proposée un groupe de travail de l'Académie de médecine qui a rendu ses conclusions le 8 janvier 2002.
M. Jean-François Mattei, ministre. J'y étais !
M. Guy Fischer. Je sais !
Le statut médical d'embryon humain, nous dit-on, suppose deux conditions : que cet embryon soit issu de la fusion de deux gamètes ; qu'il s'inscrive dans un projet parental.
Ces conditions lui confèrent le statut de patient, pour qui, naturellement, tout doit être fait afin de lui assurer les meilleurs soins possibles.
Si, en revanche, le projet parental est abandonné, il devient un « organisme » voué à la destruction.
Ce groupe de travail s'étonnait que cet âge de la vie ne puisse bénéficier d'aucune recherche ; il est le seul dans ce cas.
Il donnait aux recherches sur l'embryon trois objectifs : améliorer les techniques de l'assistance médicale à la procréation ; comprendre et éviter les anomalies ; développer nos connaissances fondamentales sur la fécondation.
Il relevait la contradiction fondamentale à laquelle nous sommes confrontés, à savoir que ces recherches impliquent le sacrifice de l'embryon en même temps qu'elles profitent directement à cette catégorie de l'âge initial de la vie.
Voilà de quoi nous rendre modestes et subordonner nos décisions à l'écoute de tous, des scientifiques notamment, de ceux qui appliquent le principe de précaution et confrontent toujours la finalité de leurs recherches aux risques qu'elles font courir à l'espèce humaine.
Je pense que c'est de la qualité de l'encadrement que dépend la dignité que l'on accorde à ces embryons humains, c'est-à-dire la différence que l'on établit entre eux et un simple matériau biologique.
Il me semble que c'est l'aspect majeur à considérer dans cette très délicate question de la recherche, du clonage thérapeutique et de l'AMP.
Prenons l'exemple de l'ICSI. En adoptant un amendement déposé par le rapporteur, l'Assemblée nationale avait mis en place un dispositif spécifique d'évaluation des nouvelles techniques d'AMP, dispositif justifié en raison des inquiétudes soulevées par cette nouvelle pratique mise en application sans évaluation préalable.
Selon vous, monsieur le ministre, cette disposition serait source de difficultés dans la mesure où le texte, par ailleurs, interdit la conception in vitro d'embryons humains à des fins de recherche et qu'elle implique l'existence de lots d'embryons témoins. Là est bien, à mon sens, le problème crucial et la contradiction que vous ne voulez pas affronter.
J'aborderai maintenant les greffes et les dons d'organes.
Alors que l'Assemblée nationale avait ouvert la possibilité de don d'organes entre vifs, la commission resserre les conditions de ce don.
Je ne nie pas que les pratiques du don d'organes et de tissus humains requièrent un solide encadrement : en effet, nous touchons là à un sujet qui fait encore l'objet de nombreux tabous. Par ailleurs, c'est toujours dans des circonstances douloureuses que les familles se trouvent confrontées à ce choix.
L'Association française pour l'information sur le don d'organes ou de tissus et plus particulièrement l'association Cercle Bleu fort des propositions pertinentes pour développer le civisme, d'une part, et permettre au corps médical de gagner du temps, d'autre part. Ne serait-il pas opportun de se ranger à l'avis de ces associations qui proposent que soit organisée une vaste campagne d'information visant à faciliter la prise de position du citoyen ?
Quant à la création de l'agence de biomédecine que vous nous proposez, monsieur le ministre, nous en discuterons ultérieurement.
Certes, il existe actuellement neuf agences de santé publique - dont l'APEGH, mort-née -, dont les compétences se superposent dans certains cas. Nous vous rejoignons donc sur la nécessaire simplification des instances de contrôle et d'évaluation.
Cependant, parallèlement, vous souhaitez la création d'une super-structure, de toute évidence omnipotente.
Les réponses que nous cherchons à apporter aux problèmes engendrés par le développement des sciences et des techniques ne sont ni évidentes ni définitives.
Ces choix de société sont d'autant plus difficiles à opérer que ces décisions échappent aujourd'hui à tout véritable débat public.
Quelles que soient nos interrogations en la matière, ce qui nous importe au premier chef est la sauvegarde de la dignité de la personne humaine, l'inviolabilité du corps humain et l'intégrité de l'espèce humaine, afin d'éviter son instrumentalisation. Ce principe constitutionnel, dont découlent les principes de primauté de la personne humaine, d'inviolabilité du corps humain et d'intégrité de l'espèce humaine, doit pouvoir se conjuguer avec la liberté de la science et de la recherche ainsi qu'avec le droit de chacun à bénéficier des progrès thérapeutiques.
C'est ce point d'équilibre que, tout au long de ce débat, nous essayerons en permanence d'atteindre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Chérioux.
M. Jean Chérioux. Je n'aurai pas la présomption de prétendre apporter des points de vue nouveaux sur les problèmes soulevés par ce texte, surtout après l'exposé magistral de M. le ministre et l'excellent rapport de Francis Giraud.
Je me contenterai d'aborder un seul point - vous savez lequel, monsieur le ministre, puisque nous avons été rapporteurs du même texte et que vous aviez perçu alors combien j'étais fasciné par ce problème -, celui qui concerne les embryons surnuméraires.
Mes chers collègues, rappelons-nous que nous sommes une assemblée parlementaire. C'est peut-être une affirmation déconcertante, mais elle se justifie dans la mesure où il est trop souvent demandé au législateur que nous sommes de se prononcer dans des domaines qui ne sont pas les siens.
Dans le cas qui nous intéresse aujourd'hui, le Parlement n'étant ni une assemblée conciliaire - du moins je le crois - ni un comité scientifique, en dépit de la présence de nombreuses personnalités scientifiques éminentes, la tâche qui lui revient est tout simplement d'organiser juridiquement les situations que la science a fait naître et les possibilités qui en découlent.
Il s'agit en l'occurrence des embryons nés de la fécondation in vitro. Leur réalité, notamment celle des embryons surnuméraires, est d'ordre scientifique, mais la réponse que nous devons apporter à leur existence relève, elle, du domaine de l'éthique.
Comme la loi de 1994, le texte que nous examinons aujourd'hui - c'est-à-dire le texte voté par l'Assemblée nationale sortante - interdit la création d'embryons hors du cadre d'un projet parental. Cet avis est largement partagé. Il doit, par conséquent, être la pierre angulaire du statut juridique de l'embryon in vitro. D'ailleurs, la protection que le législateur doit lui assurer devrait se borner, autant que possible, à calquer sa situation sur celle des embryons conçus naturellement. Il s'agit bien entendu, monsieur le rapporteur - nous en avons parlé - d'une analogie et non d'un décalque absolu. Or il semble que les problèmes d'éthique posés par les embryons surnuméraires sont en fait contradictoires. Certains s'interrogent sur la légitimité de leur destruction. D'autres insistent plutôt sur le danger de leur réification, comme ce serait le cas s'ils étaient utilisés à des fins scientifiques.
Au cours des auditions auxquelles a procédé la commission des affaires sociales, il est apparu qu'un consensus quasi général existait entre les éminentes personnalités que nous avons entendues sur le fait que l'embryon ne doit pas être considéré comme une chose puisqu'il est le point de départ d'une vie humaine, un être humain en puissance, avec tout son devenir génétique.
Le législateur de 1994 avait été en quelque sorte obsédé - je parle en tout cas pour le rapporteur du Sénat ; je ne sais s'il en allait de même pour le rapporteur de l'Assemblée nationale - par le sort des embryons surnuméraires, qu'il ne serait pas possible de transférer. Il avait alors privilégié l'idée fait de ne pas permettre leur destruction. Le problème de ces sept dernières années a d'ailleurs été l'accumulation de ces stocks d'embryons. Aucune règle n'avait donc été retenue dans le texte avec l'espoir que, dans les cinq ans d'application prévus avant la révision des lois de bioéthique, l'évolution des techniques scientifiques permettrait d'éviter leur production.
Il y a eu l'ICSI, mais il semble que ce n'était pas une très bonne solution. On avait surtout envisagé à l'époque la possibilité d'une congélation des ovocytes, mais celle-ci n'est toujours pas possible actuellement.
La question du devenir de ces embryons reste donc posée.
Evidemment, une solution logique, qui est adoptée par d'autres pays européens, consisterait à limiter drastiquement sinon interdire la production des embryons surnuméraires. Cette position n'a pas été retenue jusqu'ici dans notre pays et ne semble pas devoir l'être.
Un peu hypocritement, le présent texte refuse le principe de la création d'embryons en vue de mener des recherches, mais il envisage l'utilisation éventuelle des embryons surnuméraires à cette fin.
Il est bon de souligner que cette proposition risquerait de rendre les laboratoires dépendants, pour leur recherche, de l'évolution des projets parentaux voire d'une évolution des techniques scientifiques. Supposez que, demain, il n'y ait plus d'embryons surnuméraires, que deviendrait-on ?
Or, autant la réification - la « chosification », comme disent certains - des embryons doit être condamnée absolument sur le plan éthique, autant le fait de ne pas laisser survivre ces embryons au projet parental ne pose pas, semble-t-il, de difficultés.
En effet, la fécondation in vitro s'inscrit dans la même logique que le processus de fécondation naturelle, qui voit un grand nombre d'embryons n'ayant pu nidifier être rejetés par l'organisme. Je sais que l'on peut discuter sur l'état dans lequel ces embryons sont rejetés, mais des embryons ont été créés et, faute de nidification, ils sont rejetés et donc disparaissent.
Ce que l'on appelle le transfert de l'embryon, dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation, n'est en fait pas autre chose qu'une nidification artificielle. L'embryon est, en quelque sorte, sanctuarisé par le projet parental dont il est l'émanation. Le projet parental ne connaît pas, en effet, d'embryons surnuméraires - même s'il en existe sur le plan de la règle scientifique - mais seulement des embryons en attente de transfert, en attente de nidification. La nidification est la concrétisation physique du projet parental. Si ce dernier n'existe plus, et il devra nécessairement être limité dans le temps - vous avez prévu cinq années, monsieur le ministre, ce qui semble un maximum -, la nidification devient alors impossible : l'existence de ces embryons est naturellement condamnée et leur conservation, traduction technique de l'existence du projet parental, devient elle-même sans objet.
C'est cette analogie avec le processus naturel de la fécondation qu'il nous appartient de traduire dans des termes juridiques pour inscrire dans le droit le fait que le destin de l'embryon créé in vitro est d'être implanté et, sinon, de disparaître.
Demeure la question de la science et de ses besoins.
Des perspectives existent dont on nous dit qu'elles impliquent des expériences utilisant des cellules embryonnaires. La presse a beaucoup magnifié, sûrement très imprudemment - n'est-ce pas, monsieur le ministre ? - les vertus des thérapies géniques. Mais ce miracle n'est-il pas encore un mirage ?
Les promesses thérapeutiques qui légitiment le recours à ces recherches sont loin d'être vérifiées : de l'aveu même de toutes les personnalités que nous avons auditionnées, nul ne peut indiquer dans quelle mesure ces promesses seront réalisées.
Bien plus, ces mêmes scientifiques - et de très grands ! - constatent dans le même temps que les thérapies cellulaires ne reposent pas, loin s'en faut, sur cette seule piste de recherche. En effet, des expériences ont déjà été faites sur des cellules souches adultes, dont on pourrait fort bien découvrir, dans un futur proche, qu'elles permettent des avancées qui rendraient superfétatoire le recours à la recherche sur l'embryon.
L'interdiction de la recherche sur l'embryon ferme donc une voie dont on ne connaît pas, ou mal, l'aboutissement, mais dont on sait les implications éthiques - elle suppose la réification de l'embryon - et qu'elle engendre d'incommensurables difficultés d'encadrement, alors même que celui-ci est indispensable pour éviter les pires dérives. Or, au cours de ces dernières années, voire de ces derniers mois, elles ont été nombreuses.
Je conclurai mon intervention, mes chers collègues, par la question suivante : devons-nous accepter d'enfreindre nos principes éthiques les plus révérés pour un gain escompté qui reste encore très incertain ?
Pour ma part, je ne le pense pas. C'est pourquoi je défendrai un amendement dans lequel je privilégie le respect de l'embryon dans le cadre du projet parental, le préservant ainsi de tout danger de réification.
Telle est, mes chers collègues, la petite pierre que j'entendais apporter à l'énorme édifice que constitue ce projet de loi relatif à la bioéthique, qui, je le répète, a été présenté de façon remarquable, à la fois par M. le ministre et par l'excellent rapporteur de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la révision des lois dites de bioéthique à laquelle nous procédons aujourd'hui répond à une double exigence.
Elle tend, conformément au souhait du législateur de 1994, à adapter notre législation à la réalité scientifique actuelle, dont les progrès sont fulgurants. Pensons simplement aux prodigieuses découvertes concernant le génome humain ou à « l'avancée » que constitue, par exemple, le clonage. Elle vise en outre à définir les limites légales dans lesquelles la recherche, si bénéfique soit-elle, doit être circonscrite.
Le sujet est incontestablement technique, ses implications sont multiples et complexes. Elles mêlent en effet des revendications également légitimes, mais parfois antagonistes, touchant à la demande pressante des malades d'être soignés ou soulagés, à la nécessité pour la recherche d'aller vite et de rester compétitive, ainsi qu'à l'obligation, consubstantielle à nos sociétés démocratiques, de respecter la personne humaine.
Plutôt que de m'exprimer sur les divers aspects de ce texte, je n'évoquerai que l'une de ses dispositions - à mes yeux capitale -, celle qui a trait à la recherche sur l'embryon humain.
Le raisonnement est simple : les cellules souches embryonnaires offriraient à la médecine des espoirs immenses, même si nous ne disposons pas encore de résultats suffisamment approfondis. La technique de la procréation médicalement assistée, qui vient redonner espoir à des centaines de couples sans enfant, s'accompagne de la création d'embryons en surnombre. Congelés en attendant leur éventuelle réimplantation, ils sont, en l'état actuel de la législation, détruits au bout de cinq ans s'ils se trouvent dépourvus de « projet parental ».
Dans l'intérêt des malades en attente de traitement et dans l'intérêt de la science, pourquoi ne pas utiliser à des fins scientifiques ces embryons voués à la destruction ? Ce sont, me semble-t-il, exactement les termes du débat.
Le débat est technique, donc, mais il est aussi éthique. Il en appelle à nos consciences, à nos moeurs et au visage que nous entendons donner à notre société.
Autoriser ou interdire la recherche sur l'embryon revient à définir l'attitude qu'il convient d'avoir à son égard et à poser cette autre question : de quoi, ou de qui s'agit-il ? Est-il possible, légalement, d'effectuer des recherches sur l'embryon ou sur ses cellules souches, dès lors que cela est envisageable techniquement ?
Vous l'annonciez récemment, monsieur le ministre, le Gouvernement souhaite supprimer la possibilité de créer des embryons pour l'évaluation de nouvelles techniques d'assistance médicale à la procréation. Permettez-moi de vous remercier de cette position sage et courageuse, qui nous permettra, sans instantanément porter préjudice aux couples souhaitant avoir recours à la procréation médicalement assistée, de réfléchir avec le recul nécessaire aux enjeux posés par la bioéthique.
« L'embryon doit entrer dans le champ de la médecine », estimez-vous par ailleurs, monsieur le ministre. Même s'il faut donner la priorité à la recherche sur les cellules souches adultes, on ne peut pas « faire l'économie d'évaluer comparativement durant un temps les travaux sur les cellules souches embryonnaires », ajoutez-vous. Ces recherches devront garder un caractère « dérogatoire et transitoire » pour une durée de cinq ans, dites-vous encore.
Votre nouvelle position n'est pas dénuée de prudence ni de sagesse. Elle me pose pourtant un véritable cas de conscience. Dans le doute, concernant la nature de l'embryon, et puisqu'il n'est ni de notre compétence ni de notre ressort de trancher, je choisirai de faire un pari, comme le fit Pascal, et d'adopter son attitude, apparemment aléatoire et pourtant scientifique.
Si l'embryon est une personne, alors il ne peut servir à aucun programme de recherche, fût-il circonscrit dans l'espace et dans le temps, dût-il sauver d'autres vies humaines. Car on ne sert pas la personne humaine si on la guérit d'un côté en l'éliminant de l'autre. On ne promeut pas la personne humaine si l'on éprouve de la convoitise pour ce qu'elle a d'utile, mais du mépris pour ce qu'elle est. A ce titre, je préférerais promouvoir des solutions alternatives, puisqu'elles existent, et, en l'espèce, encourager la recherche, elle aussi prometteuse, sur les cellules souches adultes.
Si, à l'inverse, l'embryon n'est pas une personne, alors nous aurons peut-être perdu du temps, et je sais combien ceux qui souffrent et espèrent dans la recherche attendent qu'on aille vite. Nous aurons peut-être perdu du terrain au tableau des pays les plus compétitifs ; nous aurons peut-être perdu de l'argent, ou que sais-je encore. Mais nous l'aurons fait pour garder une éthique, celle du respect de la dignité de ce que nous considérions comme un être humain vivant, respect sans lequel il n'est pas de vie en société.
A l'heure d'aborder la discussion de ce texte et d'en étudier les aspects scientifiques et éthiques, je tenais à vous livrer en préalable ces quelques réflexions et à vous faire part de ma conviction, je crois largement partagée, selon laquelle la loi est chargée non pas de valider les progrès de la science - tel est le sens de notre condamnation solennelle du clonage dans toutes ses variantes -, mais bien de les encadrer et de les guider, en vue du plein épanouissement de la personne humaine. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Chabroux.
M. Gilbert Chabroux. Comme vous, monsieur le ministre, nous souhaitons tous que le projet de loi relatif à la bioéthique dont nous débattons aujourd'hui ne soit pas prétexte à la polémique, à des affrontements partisans.
Est-ce bien l'orientation que vous prenez ? Est-ce bien dans ce sens que va le rapport présenté par Francis Giraud ? Le texte tel qu'il a été voté il y a un an par l'Assemblée nationale à une très large majorité - avec vingt et une voix contre - est un texte d'équilibre, de consensus ; il dépasse les clivages partisans. Faut-il le remettre en question parce que s'est produite, dans l'intervalle, une alternance politique ? La loi bioéthique doit-elle être une loi politique au sens partisan du terme ?
Certes, les convictions religieuses ou philosophiques qui pèsent sur un tel débat sont parfaitement respectables, mais nous sommes dans une République laïque et nous devrions pouvoir tendre vers une éthique universelle. Nous devons faire preuve de beaucoup d'objectivité, d'autant que notre action doit s'inscrire nécessairement dans un contexte international, faute de quoi elle risque tout simplement d'être vaine.
Le rapporteur, notre collègue Francis Giraud, dont je salue la science en rendant hommage au travail qu'il a accompli, a proposé à la commission des affaires sociales, qui les a adoptés, une soixantaine d'amendements : certains complètent le texte initial et nous les accueillerons favorablement ; d'autres ont en revanche pour objet - je cite M. Giraud - de « rectifier sensiblement » le projet de loi tel qu'il a été voté par l'Assemblée nationale.
Vous-même, monsieur le ministre, présentez au nom du Gouvernement de très nombreux amendements, certains d'entre eux modifiant substantiellement le texte initial ou en prenant même le contre-pied, par exemple sur le problème de la non-brevetabilité du corps humain, ou sur celui de l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines.
Je le répète, sur les points essentiels, il serait délicat et dangereux de rompre l'équilibre qui a été atteint et qui reste, nous le savons bien, très fragile.
Avant d'exprimer avec beaucoup d'humilité mes interrogations et mes inquiétudes sur un tel sujet, je voudrais relever, comme je l'ai déjà fait devant la commission des affaires sociales, que les malades ont été quasiment oubliés par Francis Giraud dans son rapport, ou ne figurent qu'à l'arrière-plan. Comment peut-on aborder les questions de bioéthique sans avoir à l'esprit leurs souffrances, leurs attentes et leurs espoirs, même s'ils sont parfois insensés ? On a beaucoup trop parlé ce soir de mirage.
Comment ne pas penser aux drames qu'ils vivent, eux et leurs familles ? Comment ne pas évoquer les maladies qui restent incurables en l'état actuel de la médecine ? Comment ne pas poser ce principe absolu à la base d'un texte comme celui que nous examinons aujourd'hui : les malades ont le droit d'être soignés et de bénéficier de nouvelles thérapeutiques ? Le droit des malades est un impératif éthique et le devoir médical qui en résulte passe nécessairement par des recherches, même si nous ne savons pas à quoi elles vont aboutir, comme il est presque toujours de règle en matière de recherche.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. La recherche n'est pas interdite !
M. Gilbert Chabroux. Mais la recherche peut aboutir ! Encore faut-il l'autoriser et l'encourager !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il faut prendre les bonnes voies de la recherche !
M. Gilbert Chabroux. De même, nous devrions faire preuve de beaucoup d'humanité face à la souffrance des couples qui sont confrontés au problème de l'infertilité et qui recourent à l'assistance médicale à la procréation. Nous n'avons pas le droit, de surcroît, de les culpabiliser. Les recherches peuvent être longues, monsieur le président de la commission, laborieuses et décevantes à certains moments.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. On ne sait pas le faire chez le singe et on veut le faire chez la femme ! Quel respect !
M. Gilbert Chabroux. Elles comportent une part de risque, mais qui douterait que des progrès déterminants peuvent être obtenus ? Sans être pour autant fasciné par la science, on peut mesurer l'importance des découvertes réalisées ces dernières années, particulièrement dans le séquençage du génome humain.
Il faut bien croire aux progrès de la science et de la médecine quand on engage, comme vous le faites, monsieur le ministre, le combat contre le cancer et que l'on fait de la lutte contre cette maladie une urgence politique. Le Président de la République a pleinement raison de faire de cette lutte un grand chantier, et nous sommes tous persuadés que l'on découvrira des traitements innovants et que des progrès considérables seront réalisés.
Mais, tandis que les médias faisaient leurs gros titres sur le rapport commandé par Jacques Chirac et sur les témoignages de patients et de leurs proches, quelques journaux publiaient, en plus petit, les chiffres relatifs à la maladie d'Alzheimer cités par Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées.
Le nombre de personnes souffrant de cette maladie a augmenté d'environ 30 % au cours des dix dernières années. Il y aurait à ce jour, selon M. Falco, 769 000 malades...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Non : 610 000 !
M. Jean-François Mattei, ministre. Alors, vous allez voter l'augmentation de la CSG !
M. Gilbert Chabroux. ... et 140 000 nouveaux cas devraient se manifester chaque année. C'est un sujet grave.
M. Jean-François Mattei, ministre. Mais vous ne le prenez pas sérieusement !
M. Gilbert Chabroux. Bien sûr, le vieillissement joue un rôle, mais doit-on considérer pour autant que la maladie ne serait pas aussi terrible ? Ne devrait-elle pas être combattue avec autant de force et ne mériterait-elle pas qu'on lui applique un plan d'urgence ?
A l'horizon 2010, chaque famille comptera une personne atteinte de ce mal. Hubert Falco avait eu cette réflexion : « Aujourd'hui, la maladie d'Alzheimer menace de devenir un calvaire collectif ».
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Eh oui, mais justifiez vos choix !
M. Gilbert Chabroux. Vous aviez déclaré, monsieur le ministre, au cours d'un débat avec Philippe Meyer organisé par le Figaro Magazine au mois de novembre 2000 : « Le clonage thérapeutique, sous certaines conditions, ne semble pas une mauvaise chose, dans la mesure où il permettrait par exemple de guérir avec des cellules nerveuses des maladies telles que celle d'Alzheimer. » Vous ajoutiez : « Il y a là une nouvelle thérapeutique qu'il faudra bien encadrer. »
M. Robert Bret. Il n'était pas ministre !
M. Gilbert Chabroux. On pourrait citer bien d'autres maladies. Que diriez-vous aujourd'hui de ces nouvelles thérapeutiques ?
Vous dites volontiers que vos positions ont évolué, que vous avez cheminé et que, ce faisant, vous comprenez un certain nombre de choses ; mais, dans l'hebdomadaire La Vie daté du 16 janvier dernier, vous paraissez très en retrait par rapport à certaines des positions que vous aviez prises. Vous êtes revenu carrément en arrière.
Vous avez rappelé devant la commission que « la médecine ne peut avancer que par des transgressions », et vous avez cité l'autopsie, la transfusion, les greffes d'organes.
La première greffe du coeur, réalisée par le professeur Barnard, est restée dans nos mémoires.
M. Jean-François Mattei, ministre. Oui : c'était en 1967 !
M. Gilbert Chabroux. Les lois doivent-elles toujours survenir longtemps après pour entériner une situation de fait ? Doivent-elles être toujours autant décalées ? Ne pourraient-elles avoir aussi pour rôle de favoriser les progrès de la médecine ?
Notre ancien et éminent collègue Claude Huriet, dont on connaît le rôle important dans le domaine de la bioéthique, citait, lors de son audition par la commission, un exemple frappant de ce que peut faire la médecine régénatrice : il parlait de vessies artificielles fabriquées en partant d'un moule en substance biodégradable sur lequel on va mettre en culture, de part et d'autre, des cellules vésicales. Il s'agit bien de culture, de thérapie cellulaire. Ces dispositifs « mixtes » sont actuellement hors la loi et n'apparaissent dans aucun texte national ou européen.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Précisément, la loi va les autoriser !
M. Gilbert Chabroux. Claude Huriet soulevait à leur sujet un certain nombre de questions et souhaitait que le législateur fournisse des réponses avant que le problème ne se pose de façon trop aiguë.
Mais j'en viens au texte qui nous est présenté.
Notre rapporteur, Francis Giraud, écrit dans son rapport que « la question de l'embryon est sans nul doute le point le plus délicat abordé par le projet de loi ».
Il ajoute : « Tel fut-il en 1994, tel reste-t-il aujourd'hui. » C'est le moins que l'on puisse dire tant sont grandes les réserves que vous mettez à la recherche sur les embryons surnuméraires, tant sont dissuasifs les propos que tiennent les orateurs de la majorité ! On se demande, à vous entendre, si cette recherche est autorisée ou si elle est interdite.
De fait, elle sera interdite...
M. Francis Giraud, rapporteur. Non !
M. Gilbert Chabroux. ... sauf dérogation.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Donc, elle sera autorisée !
M. Gilbert Chabroux. Lorsque, par exception, elle sera autorisée, elle se trouvera de fait fortement dévalorisée ou découragée. On ressent comme un interdit moral ! Or cette recherche ne doit pas être mise à l'index, elle n'est pas infamante. Il faut affirmer - et nous attendons cela de vous - qu'elle est légitime et digne autant qu'une autre.
Il s'agit bien - et il ne peut y avoir aucune ambiguïté à ce sujet - de recherche sur les embryons surnuméraires qui, pour des raisons diverses, n'ont finalement pu être réimplantés et qui seraient voués de toute façon à la destruction.
Au lieu de mettre l'accent sans cesse sur ce qui est négatif - et cela a été le cas pratiquement tout au long de cette discussion générale -, ne peut-on pas faire preuve d'un peu plus de confiance et de foi en l'avenir ?
Certes, il faut mettre en garde nos concitoyens quant aux espoirs que font naître les thérapies cellulaires, qu'elles recourent d'ailleurs aux cellules embryonnaires ou aux cellules souches adultes...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ou foetales !
M. Gilbert Chabroux. ... - « mais - et je reprends ce que dit M. le rapporteur, peut-on et doit-on fermer à jamais la porte à la recherche sans rien connaître de sa potentialité et de son innocuité » ? Alors, si la porte est ouverte, qu'on le dise, et qu'elle le soit véritablement, qu'elle ne soit pas simplement déverrouillée.
Peut-être faudrait-il pour cela clarifier la terminologie.
La commission des affaires sociales a eu l'excellente initiative d'inviter les représentants des différentes religions à participer à une table ronde sur la bioéthique. Or l'on ne peut qu'être frappé - vous l'avez été, nous l'avons été - par les différences qu'ils expriment. Beaucoup d'entre eux ne considèrent pas du tout l'embryon in vitro de la même façon que l'embryon in vivo. Vous avez dit vous-même, monsieur le ministre, que « l'embryon in vivo a spontanément un destin qui va vers le développement d'une vie ». Il n'en est pas de même pour l'embryon in vitro s'il n'y a pas transfert ! Ne pouvons-nous pas nous entendre sur ce schéma simple ?
Beaucoup considèrent que l'embryon résulte d'un double processus, la fécondation suivie de l'implantation dans l'utérus. Mais les positions des différents pays reflètent bien souvent celles des religions qui y sont pratiquées. Les Britanniques ne parlent de vie humaine qu'après le quatorzième jour. L'Académie de médecine ne pourrait-elle pas nous aider à clarifier ce débat ?
Nous sommes, bien sûr, sous le choc de l'annonce de la naissance du premier clone humain. Il s'agit certainement d'une supercherie - lugubre - mais nous partageons votre indignation et nous sommes d'accord avec vous pour créer une incrimination de crime contre l'espèce humaine, qui serait passible d'une très lourde peine. Le clonage reproductif humain est un acte criminel qui porte atteinte à l'intégrité de l'espèce humaine et constitue une pratique eugénique.
Le projet de loi, tel qu'il a été voté par l'Assemblée nationale, est déjà très clair à ce sujet. Il prévoit l'interdiction de « toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant ou se développer un embryon humain qui ne serait pas directement issu des gamètes d'un homme et d'une femme ».
Ce critère de la reproduction asexuée a l'avantage d'être facile à comprendre pour tout le monde. Le critère technique d'identité génomique que vous voulez lui substituer est plus difficile à appréhender.
D'après le texte initial, le clonage reproductif humain serait puni d'une peine de vingt ans de réclusion criminelle pour les médecins et autres praticiens en cause, et de cinq ans d'emprisonnement pour la personne qui accepterait de se faire prélever une cellule en vue d'un tel clonage. Vous y ajoutez de fortes amendes ainsi qu'un délai de prescription de trente ans. Nous sommes d'accord avec vous pour faire preuve de la plus grande sévérité.
Il est nécessaire de condamner, de condamner lourdement, mais comment allez-vous faire pour que cet interdit soit repris dans les mêmes termes par l'ONU, si vous mettez, ou si le Sénat puis l'Assemblée nationale mettent pratiquement sur le même plan le clonage reproductif et le clonage thérapeutique ?
Vous dites, en évoquant l'article 19 qui va être réécrit : « Le clonage thérapeutique fait désormais lui-même l'objet d'une interdiction spécifique inscrite dans les dispositions du code de la santé publique. »
J'ai entendu certains de nos collègues de la majorité parler de clonage sans distinction. Je les ai entendus demander de lourdes peines d'emprisonnement pour punir le clonage thérapeutique. Vous présentez d'ailleurs un amendement, monsieur le ministre, pour demander sept ans d'emprisonnement !
Si vous faites l'amalgame - et vous le faites -, il ne pourra y avoir aucun accord international sur ce sujet.
Peut-être, là aussi, y a-t-il un problème de terminologie ? L'utilisation du mot clonage peut prêter à confusion. Par le clonage thérapeutique, il ne s'agit pas de parvenir au développement d'un être humain, mais d'obtenir, à partir des cellules somatiques d'un patient, des cellules souches dont la différenciation contrôlée permettrait de traiter l'affection dont il est porteur sans provoquer de phénomène de rejet.
Je rappelais tout à l'heure vos propos sur la maladie d'Alzheimer. Vous avez admis vous-même que vous étiez d'accord au sujet de cette nouvelle thérapeutique, à condition qu'elle soit bien encadrée : nous demandons la même chose !
M. Jacques Blanc. La thérapie cellulaire, ce n'est pas le clonage !
M. Jean-François Mattei. ministre. Ne vous énervez pas, monsieur Chabroux, restez calme !
M. Gilbert Chabroux. J'essaie d'être convaincant, même si je sais que j'aurai de la peine à vous convaincre... Pourtant, certains pays sont bien convaincus puisque la Grande-Bretagne, les pays nordiques, la Belgique récemment, bien d'autres dans le monde, y ont vu une piste pour la recherche. Faut-il les condamner ?
Il faut bien reconnaître que l'enjeu du clonage thérapeutique est le même que celui de la recherche sur les cellules embryonnaires ou les cellules souches adultes !
M. Jacques Blanc. Eh non !
M. Gilbert Chabroux. Il s'agit de faire en sorte qu'une médecine régénératrice remplace un jour cellules et organes défaillants.
Beaucoup de maladies sont liées à la dégénérescence cellulaire et à la destruction de tissus que l'on n'a pas aujourd'hui les moyens de remplacer.
Vous savez très bien, monsieur le ministre, qu'il ne peut y avoir de future convention internationale qui couvre l'interdiction de tout clonage, y compris à des fins thérapeutiques.
Cette prise de position est considérée comme trop absolue par nombre d'Etats. Faut-il rappeler qu'en France l'Académie des sciences vient de se prononcer en faveur du clonage thérapeutique ?
Alors, comment faire ? Quelles initiatives comptez-vous prendre, monsieur le ministre, pour que le clonage reproductif humain soit interdit par l'ONU ? C'est le problème essentiel, et ô combien urgent !
De même, comment comptez-vous faire entendre la voix de la France sur la question de la non-brevetabilité du vivant ?
L'Assemblée nationale avait adopté une position claire. L'article 12 bis, voté à l'unanimité, prévoit ainsi qu'« un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène, ne peut constituer une invention brevetable ».
Il est vrai que cet article 12 bis est contraire aux dispositions de l'article 5 de la directive européenne 98/44.
M. Jean-François Mattei, ministre. Voulue par le gouvernement que vous souteniez ! Je vais vous répondre sur ce point !
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le ministre, le gouvernement précédent a déposé un projet de loi sur le bureau du Sénat pour transposer cette directive, à l'exception de l'article 5 !
M. Jean-François Mattei, ministre. Je vais vous répondre dans le détail !
M. Gilbert Chabroux. Quelle est votre position ? Je ne vous la demande pas, vous l'avez déjà exprimée. Vous nous expliquez que vous ne pouvez pas laisser subsister cette disposition - l'article 12 bis - et qu'il faut s'aligner sur la directive européenne. Voilà la négociation que vous nous proposez !
Nous savons bien - ou plutôt nous imaginons - quels sont les intérêts économiques immenses qui sont en jeu pour les grands laboratoires et les firmes de biotechnologies. Mais on ne peut pas sacrifier, pour ces intérêts, les principes sur lesquels vous vous êtes pourtant battu, monsieur le ministre - ce qui nous désole encore plus -, et d'abord le principe de non-marchandisation du vivant.
Il faut faire bouger la Commission européenne. C'est elle qui doit modifier l'article 5 de sa directive, et c'est pour cela nous devons tous nous arc-bouter sur l'article 12 bis.
M. Ivan Renar. Très bien !
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le ministre, nous éprouvons aujourd'hui une sorte de malaise. Alors que l'Assemblée nationale était parvenue à un équilibre, nous avons le sentiment que vous voulez, avec la majorité sénatoriale, remettre en question, sur des aspects essentiels, un texte qui a recueilli un large consensus.
Les sénateurs du groupe socialiste suivront avec beaucoup d'attention le débat qui va avoir lieu sur les différents articles.
M. Jean-François Mattei, ministre. Très bien !
M. Gilbert Chabroux. Nous ne cachons pas notre inquiétude. Nous adopterons tout ce qui est conforme au texte initial ou pourrait éventuellement le compléter judicieusement, mais nous ne pourrons, en revanche, vous suivre lorsque vous vous en écarterez par trop, et encore moins lorsque vous le dénaturerez.
Nous attendrons la fin du débat pour nous prononcer sur l'ensemble du texte tel qu'il aura été modifié par la majorité sénatoriale, mais nous ne sommes pas, hélas ! très optimistes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe du RDSE.)
M. Jean-François Mattei, ministre. Vous avez raison !
M. le président. La parole est à M. André Lardeux.
M. André Lardeux. « Il ne faut pas plier les réalités du présent aux rêves de l'avenir », écrivait Chateaubriand. S'il est, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, des domaines où cette maxime de prudence s'applique, ce sont bien ceux qui sont couverts par le projet de loi de bioéthique, qu'il faut examiner avec recul. En effet, il ne faut pas se laisser emporter, en biomédecine, par des espoirs très souvent déçus, les thérapies dite géniques en étant peut-être le meilleur exemple. On vient d'en avoir encore récemment la preuve.
Les dispositions à prendre dans ces domaines complexes et difficiles sont nécessaires dans une société où la règle du chacun pour soi est de plus en plus fréquente, dans une société atomisée et transformée en « foule solitaire ».
Cela s'accompagne - pas seulement chez les scientifiques - de stratégies de plus en plus utilitaristes où la fin justifie tous les moyens qui apportent le succès et où les moyens deviennent la raison des fins.
Le recul de l'influence des institutions et des organisations collectives ainsi que des valeurs qui les sous-tendent débouche sur l'un des paradoxes qui caractérisent notre époque. En effet, l'homme moderne croit de moins en moins au ciel ou à ce qui, pour lui, en tient lieu. Or, moins il croit, plus il paraît souhaiter l'éternité. A défaut de croire à une autre vie, il exprime des fantasmes d'immortalité ou, à tout le moins, le souhait de mourir en bonne santé.
En conséquence de quoi, il est prêt à un certain nombre de transgressions. La plus anodine est un « jeunisme » qui fait la fortune des chirurgiens esthétiques. Si la cryogénisation des corps reste une aberration, les folles entreprises de diverses sectes ou des docteurs Folamour, comme Antinori et Zavos, sont bien réelles.
Les progrès considérables des connaissances biologiques et des techniques biomédicales donnent l'illusion que la médecine peut tout faire et que l'on peut se prendre pour Prométhée ou jouer au docteur Frankenstein en manipulant la vie et en évacuant le plus grand tabou de notre temps : la mort.
Cela engendre, pour reprendre les termes du philosophe Dominique Janicaud, la « pénétration omniprésente d'un "techno-discours" » à composante mythifiante, qui contribue à brouiller les limites entre l'effectif et le souhaitable au profit d'incitations politico-économiques, de luttes d'influence entre laboratoires, de conquêtes de marché entre puissantes entreprises, voire de promotions commerciales ou d'intoxications purement publicitaires ».
Là où nos ancêtres se contentaient de chercher l'élixir de longue vie, nous sommes menacés par une nouvelle utopie : le technicisme, au moins aussi pernicieux que les précédentes utopies.
Aussi, nous ne devons pas laisser les médecins et les scientifiques seuls face à ces questions. Ne nous réfugions pas derrière l'idéologie de l'expertise, dangereuse illusion pour les responsables politiques. Il ne faut pas s'en remettre à la science pour résoudre des problèmes d'essence politique. Le droit doit modérer sa foi dans le progrès scientifique.
Face à ces questions, on peut non seulement affirmer des certitudes que, pour ma part, j'espère raisonnées, mais aussi exprimer des doutes et des interrogations qui sont, me semble-t-il, raisonnables.
Même si la technoscience promet plus qu'elle ne peut tenir, elle conduit à ne voir que la performance en oubliant les hommes, et elle nous propose de commettre de nouvelles transgressions. Est-ce acceptable ?
Je suis convaincu qu'il faut fixer des limites : on ne construit pas une personne ou une société sans interdit ; on ne vit pas sans interdit. Une société montre, me semble-t-il, son degré de civilisation dans sa capacité à se fixer des limites. En effet, il nous faut veiller à ne pas retomber dans la situation abominable de l'arrêt Perruche, où, par un raccourci saisissant, un médecin était condamné pour ne pas avoir donné la mort ou permis de la donner.
Les tentations de transgression proposées par la bio-médecine sont majeures, et la loi doit s'efforcer de les éviter le mieux possible.
Pour ma part, j'en distinguerai trois : tout d'abord, la transgression du principe même de la singularité individuelle de l'être humain ; ensuite, la transgression de l'inceste ; enfin, la transgression du temps.
Pour la première transgression, certains pourraient objecter qu'il faut définir la vie et l'être humain. Pour l'humanité de l'être, elle se constate ; pour la vie, c'est une énigme où la réponse est métaphysique et renvoie chacun à ses interrogations.
Le premier risque est la réification de l'homme, c'est de le ramener, lui et ses organes, au statut de marchandise.
La loi doit affirmer clairement que les éléments de l'homme ne peuvent faire l'objet d'un commerce, d'un profit, quelle que soit l'échelle de l'élément. En effet, le corps humain est inviolable, il est soustrait à la possession. L'homme lui-même ne possède pas son corps, il est son corps... et son âme.
A la suite de Kant, on doit traiter l'humanité aussi bien dans sa personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen.
L'homme ne peut donc être instrumentalisé, ni approprié, ni vendu, ni utilisé comme matière première. La distinction que font certains entre « matériel vivant » et « sujet vivant » relève de la casuistique. Dans l'esprit de tout être conscient, le corps ne peut être ramené au rang de matériau, la personne ne se réduit pas à la matérialité fonctionnelle, ni de son corps, ni de son cerveau, ni a fortiori de son génome.
Toujours dans le même ordre d'idée, l'extension du cercle des donneurs vivants pourrait paraître positive. Mais, là aussi, la tentation du commerce existe. Dans ces conditions, de même que nous luttons contre le tourisme sexuel, il faut veiller à empêcher le « tourisme des organes » qui serait un nouveau scandale humanitaire.
Les donneurs éventuels limités à la famille doivent agir dans les conditions les plus éclairées possible, en dehors de toute pression intéressée, notamment de leurs proches, particulièrement quand il s'agit de mineurs ou de majeurs protégés.
Le donneur et ses proches ne doivent pas encourir de risques inconsidérés, sinon le remède serait pire que le mal. Si, pour sauver quelqu'un, but éminemment louable, on provoque la mort d'un donneur qui laisse une famille ou des ayants droit en grande difficulté morale et matérielle, où, le progrès ? La décision ne peut donc être prise seulement dans le cadre médical.
Ces donneurs vivants apparaissent comme le recours devant l'insuffisance des donneurs décédés. Pour contourner la difficulté, on avait pensé que le consentement présumé suffirait, mais il se heurte aux réticences bien humaines des familles et des proches et, manifestement, « il n'est pas humain de prélever des organes malgré l'opposition de la famille ».
Il me paraît donc préférable de réfléchir à des dispositifs visant à développer le consentement explicite du vivant des donneurs, par exemple lors des journées de préparation à la défense auxquelles participent tous les jeunes de ce pays.
L'article 12 bis est le bienvenu, car la brevetabilité du vivant doit être totalement exclue. Son dispositif devra cependant être renforcé à l'avenir, car il faut être très vigilant : le risque que l'homme devienne objet de brevet est très fort ; c'est un pas que la directive européenne 98/44 a inconsidérément franchi, ce qui démontre qu'il manque à l'Europe l'essentiel, à savoir une âme.
Au regard de la singularité individuelle de l'être humain, la question de la recherche sur les embryons est fondamentale. L'histoire nous enseigne que le statut que l'on accorde à l'embryon reflète celui que l'on concède à l'homme. Et manquer de respect à l'embryon en raison de l'absence de ses capacités, c'est se mettre sur le chemin du manque de respect à « l'homme sans qualités ».
On traite l'homme selon l'idée qu'on s'en fait ; de même que l'on se fait une idée de l'homme selon la manière dont on le traite.
Si l'embryon est une personne, ce que je pense, il ne peut être l'objet de recherche et de manipulation. Aussi faut-il tout d'abord refuser le clonage thérapeutique, comme le déclarait, en février 2001, le Président de la République : « Je ne suis pas favorable à l'autorisation du clonage scientifique. Il conduit à créer des embryons à des fins de recherche et de production de cellules et, malgré l'interdit, rend matériellement possible le clonage reproductif et risque de conduire à des trafics d'ovocytes. »
L'argument selon lequel « de toute façon, cela se fera » n'a pas de valeur éthique ; il est même une régression.
Par ailleurs, comme le souligne le professeur Axel Kahn, une éventuelle thérapie qui en découlerait serait très coûteuse et réservée à quelques vieillards milliardaires et cacochymes.
Le professeur Sicard, de son côté, souligne que mettre en route des embryons pour la recherche est inacceptable.
Interdire le clonage thérapeutique n'évacue pas le problème, car il y a les embryons surnuméraires. Faut-il faire des recherches sur les cellules souches embryonnaires ? Qui doit en décider si la loi l'autorise ? Est-ce le corps médical ou les parents à l'origine de ces embryons ? Dans ce dernier cas, comment faire pour que ces personnes donnent un consentement parfaitement éclairé ?
Il y a des arguments pour : leur existence momentanée, puisqu'ils ne sont pas le sujet d'un projet parental et qu'ils sont voués à disparaître ; comme cela se pratique dans d'autres pays, il sera possible d'importer des produits issus de ces recherches, ce qui serait contradictoire avec l'interdiction de cette pratique en France ! l'intérêt économique et l'intérêt scientifique, enfin.
Mais il y a aussi des arguments contre : ces embryons sont des personnes potentielles et, ensuite, il y a toujours le handicap ou l'obstacle de la réification.
Si l'on accepte ces recherches, comment s'assurer qu'on n'ira pas vers des dérives inacceptables. Pour ma part, je pense qu'il est préférable de mettre l'accent sur la recherche concernant les cellules souches adultes et d'y consacrer d'importants moyens. La distinction entre embryons et cellules embryonnaires risque en effet de ne pas tenir.
Mes dernières remarques à ce propos porteront sur l'évaluation des nouvelles techniques de procréation médicalement assistée, prévue à l'article 18 du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale.
Selon ce texte, les embryons ne peuvent faire l'objet de recherche. Mais comment évaluer sans recherche ?
Cette affirmation milite, me semble-t-il, en faveur de l'interdiction de cette recherche. Le professeur Huriet a d'ailleurs fait remarquer que la PMA se faisait pour l'embryon, mais la recherche sur lui.
Un autre risque du développement de ces techniques est la discrimination entre les hommes. Avec le diagnostic prénatal et, plus encore, le diagnostic préimplantatoire, notre société est devenue eugéniste sans en formuler véritablement la demande, et surtout, sans vouloir le reconnaître.
Le recours aux tests génétiques de façon systématique est un moyen de discrimination. Et l'on n'ose imaginer l'usage que pourraient en faire les assureurs ou les employeurs au moment de l'embauche. Le droit au travail n'y résisterait pas ! Une telle situation poserait le problème de l'égalité entre les citoyens.
De plus, on connaît les penchants de la société ! Au moment de la conception, on serait tenté d'opérer une sélection en faveur des garçons au détriment des filles. C'est un vieux rêve de l'humanité !
La tentation de l'eugénisme et donc très forte, car on veut des enfants parfaits et l'on entend à ce propos les arguments qu'en d'autres temps - je pense à la Suède des années trente - certains utilisaient pour justifier le recours à la stérilisation.
On introduit ainsi un concept redoutable entre tous : celui des normes et de la normalité. La normalité, dans ce domaine, est pour moi un concept totalitaire, qui permet de mesurer le danger de ces techniques de diagnostic. Au nom de la normalité, on aurait pu éliminer beaucoup de monde.
La seconde grande transgression permise par la technique du clonage reproductif est l'inceste. Cette transgression peut tout simplement détruire l'homme.
Le clonage reproductif, en effet, n'est rien d'autre que l'inceste absolu puisque, dans ce cas, l'individu n'a pas de plus proche parent que lui-même.
L'idée de la filiation est vidée de son sens. Un auteur a dépeint ainsi la situation : « Le clone d'un homme : de son père, il est le fils et le frère jumeau. Il est le fils et le beau-frère de sa mère, qui est aussi sa belle-soeur. Il est à la fois le fils et le petit-fils de ses grands-parents, le frère de son oncle, l'oncle de ses frères. Il deviendra père et grand-oncle de ses enfants. A moins que ceux-ci ne soient clonés à leur tour, auquel cas ils seront frères de leur père et de leur grand-père et à nouveau beau-frère de leur grand-mère. » (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. André Lardeux. Quel code civil résisterait à cela ? Il faut compter avec les conséquences sur la structuration de la personne dans le cas d'une filiation si trouble. La psychiatrie, dans ces conditions, a de beaux jours devant elle !
Par ailleurs, comme le disait Axel Kahn lors des auditions : « De quel droit et sous quel prétexte accepter que des hommes se voient reconnaître ce privilège unique et inouï de décider que d'autres vont naître qui leur ressembleront si étroitement, dont ils auront décidé de tant de traits essentiels ? »
Or l'une des bases biologiques de notre liberté, c'est notre indétermination, qui assure notre autonomie. Quel est l'espace de liberté et d'épanouissement pour un enfant cloné ?
Il faut ajouter les menaces sur la diversité génétique, la consanguinité, la perte du lien social. La reproduction sexuée est une fantastique machine à créer de la diversité, à créer un être humain radicalement unique. On n'ose penser aux usages que certains pourraient faire dans le domaine sportif - ce serait peut-être le moindre des maux - ou à des fins militaires.
Il ne faut pas confondre la reproduction humaine avec l'élevage.
Le clonage est un renoncement à l'aventure humaine, la certitude d'un enfermement misérable, comme le soulignait le professeur Sicard.
Le clonage est donc bien un crime contre l'humanité, même si, juridiquement, il est difficile de le classer ainsi.
Il faut le sanctionner comme tel parce que c'est une instrumentalisation de l'homme et qu'il y a expérimentation sans consentement de la personne issue du clonage. Il est donc urgent d'agir sur le plan international pour éviter l'apparition de « paradis procréatifs ».
La troisième grande transgression que la science rend possible est celle du temps.
Elle est réalisable par l'implantation d'embryons post mortem.
Cette question ne peut se traiter dans l'émotion que suscite telle ou telle situation particulière souvent difficile et extrêmement rare, comme l'a souligné le professeur Giraud.
Je crois qu'il ne faut pas autoriser le clonage, car cela ouvre la porte à de nombreuses dérives, comme on le voit en ce moment aux Etats-Unis.
Cela débouchera aussi sur d'insolubles problèmes juridiques lors des successions.
Pourquoi faire naître des orphelins ? Dans ce cas, c'est le désir des adultes qui est sacralisé au détriment de l'intérêt de l'enfant.
Enfin, il y a la situation des couples qui peuvent procréer normalement. Une disposition permettant l'implantation post mortem les inciterait à demander qu'on leur donne les mêmes possibilités que les couples qui ont besoin de la procréation médicalement assistée. Au nom du principe d'égalité pourrait-on le leur refuser ?
Aussi, dans les domaines où cela est possible, la loi relative à la bioéthique doit poser des garde-fous solides parce que tout ce qui est possible n'est pas nécessairement bon et qu'il n'y a pas de lien entre la pertinence scientifique et la pertinence juridique ou morale.
Plus que jamais, l'identité et la dignité de l'homme sont en question dans une civilisation technicienne qui ne connaît plus rien de sacré et ne s'assigne point d'autre valeur que sa propre efficience. Plus que jamais, on a besoin d'un supplément d'âme.
Nous devons éviter la tentation du moins-disant éthique. Pour cela, l'agence prévue à l'article 16 doit comprendre, à terme, tous les organismes compétents en ces domaines, mais ses pouvoirs doivent être limités, car ni la société ni les pouvoirs politiques ne doivent être dessaisis de ces questions.
La loi doit permettre le véritable exercice d'une éthique de responsabilité dans le respect des consciences. Votre démarche, monsieur le ministre, va dans ce sens et elle est confortée, dans sa sagesse, par le rapporteur de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le ministre, j'ai hésité à prendre la parole sur un projet de loi aussi complexe et essentiel tant j'ai été séduit par votre exposé introductif. La hauteur de vue, la compétence dont vous avez fait preuve m'incitent à vous apporter mon entier soutien.
Toutefois, rentrant chez moi, je me suis souvenu des débats de 1994, au cours desquels nous avions échangé beaucoup d'idées. A l'époque, nous étions bloqués - M. Chérioux s'en souvient - par le diagnostic préimplantatoire et par le problème des embryons surnuméraires, qui avaient totalement obscurci notre réflexion.
Aujourd'hui, l'excellent rapport de M. Giraud répond à nombre de mes questions, et je félicite la commission ainsi que son président pour les auditions très instructives et la réflexion de qualité qui ont été menées sur le sujet.
Monsieur le ministre, je suis favorable à votre projet de loi, modifié par les amendements de la commission, et ce pour quatre raisons.
En premier lieu, le texte qui nous est proposé tient largement compte des progrès enregistrés depuis neuf ans en France comme à l'étranger : la fécondation in vitro, le diagnostic prénatal, la réorganisation des agences sanitaires - c'est le Sénat qui les a créées, souvenez-vous ! -, le débat sur les cellules souches. Cette recherche nouvelle est très intéressante ; elle marque des progrès qu'il faut saluer.
En deuxième lieu, j'approuve totalement l'interdiction du clonage reproductif et, bien entendu, l'aggravation des sanctions en la matière.
Vous avez inventé, monsieur le ministre, la notion de « crime contre l'espèce humaine » ; nous y souscrivons tous, et il est bien évident qu'il nous faut défendre cette thèse dans les instances internationnales.
En troisième lieu, j'ai trouvé très intéressant le pragmatisme dont vous avez fait preuve. Vous avez parlé d'une ligne de crête entre des abîmes. Mais vous avez l'esprit pratique : vous posez des principes, vous fixez des limites, vous créez des procédures, vous prévoyez un certain nombre de sanctions, mais vous admettez des dérogations. Vous permettez en effet l'utilisation à des fins scientifiques des embryons surnuméraires non réclamés dans le cadre de projets parentaux.
C'est une très grande ouverture pour la recherche, et c'est un très grand projet. Je sais que, sur ce point, vous serez combattu d'un certain côté, mais il était nécessaire d'aller jusque-là.
En quatrième et dernier lieu, je suis très intéressé par la tentative astucieuse de combler le fossé entre la législation française et la direciton européenne sur la brevetabilité du corps humain et ses limites. Il est évident que ces deux textes sont totalement contradictoires. Mais ce que vous nous proposez, qui consiste non pas à rendre brevetable le gène lui-même, c'est-à-dire à adopter la théorie européenne, mais à breveter le procédé qui permet d'y parvenir, me paraît intéressant.
Je ne suis d'ailleurs pas étonné que vous ayez imaginé cette voie, qui peut certainement trouver des partisans au sein de l'Union européenne.
Par ailleurs, trois questions m'obsèdent.
La première concerne les dons d'organes.
Il me semble que c'est une erreur de vouloir élargir les perspectives offertes pour les dons d'organes par des personnes vivantes car c'est générateur de commercialisation et c'est générateur de pression sur les donneurs, comme vous l'avez très justement dit dans votre discours liminaire, monsieur le ministre.
Pourquoi sommes-nouss obligés de soulever la question des dons d'organes par des personnes vivantes ? Parce qu'on ne trouve pas suffisamment de greffons post mortem.
A ce sujet, il faudrait, selon moi, avoir le courage - c'est une suggestion, monsieur le ministre - d'inverser le système actuel. Au lieu d'avoir un registre des refus que personne ne consulte et qui n'est jamais utilisé quand c'est nécessaire, il faudrait demander à tous les Français majeurs, lorsqu'ils demandent ou renouvellent leur carte d'identité, d'indiquer s'ils acceptent, après leur mort, un don d'organes. Cela éviterait - les anatomo-pathologistes qui travaillent dans l'hôpital dont j'ai la charge me l'ont dit à plusieurs reprises - d'avoir à demander à une famille éplorée, en deuil, l'autorisation de prélever un organe, ce qu'elle a tendance - et c'est naturel - à refuser.
Par l'inversion du mécanisme et la mention de l'accord sur la carte d'identité, on éviterait des discussions extrêmement pénibles et on obtiendrait le nombre de greffons nécessaires qu'il soit besoin d'étendre sans les possibilités de dons d'organe par les personnes vivantes.
J'approuve donc les amendements de la commission qui réduisent les possibilités des dons par des vivants adoptées par l'Assemblée nationale. Ce serait trop dangereux. Il ne faut pas prendre un tel risque sous prétexte qu'on n'a pas le courage d'inverser la procédure actuelle.
Ma deuxième question est plus délicate, monsieur le ministre. La non-ratification par la France de la convention d'Oviedo et le caractère très limitatif que vous donnez aux recherches éventuelles sur l'embryon en disant, d'un côté : « j'interdis » et, d'un autre côté : « j'instaure quelques dérogations » vont créer, j'en ai peur, un sentiment de frustration dans la communauté scientifique.
Quand je parle de la communauté scientifique, je ne parle pas des gens « arrivés », qui siègent à l'Académie des sciences ou à l'Académie de médecine et qui ont gravi de nombreux échelons ; je pense à tous ces jeunes chercheurs qui, à l'heure actuelle, à l'Institut Pasteur, à l'INSERM ou ailleurs se lancent dans des recherches biomédicales et que le côté quelque peu trop restrictif et affirmé de votre position et de celle du Sénat risque de faire fuir à l'étranger.
Dans l'exercice de mes fonctions, j'ai eu assez souvent l'occasion de rencontrer des jeunes chercheurs en partance pour les Etats-Unis ou pour l'Angleterre : de tels départs, à l'évidence, tendent à appauvrir un peu la recherche française.
Je crois qu'il faut faire un signe à nos jeunes chercheurs. Il faut montrer que le Gouvernement actuel et la majorité qui le soutient sont favorables à la recherche, même si des limites doivent être posées et si des mécanismes de contrôle et d'évaluation sont nécessaires.
A cet égard, la fusion de toutes les agences, puisque nous en avons créé d'abord une puis deux et que maintenant nous en sommes à cinq, est une bonne chose.
Nous ne devons pas, nous, au Sénat, avoir l'air d'être trop en retrait par rapport à la communauté scientifique, notamment par rapport aux jeunes, parce que ce sont eux qui permettront à la recherche de faire des progrès. Il serait dommage, me semble-t-il, de leur donner un telle impression.
J'ai participé, dès l'origine, au Téléthon, cette formidable quête que permettent les moyens audiovisuels. Dans chaque mairie, dans chaque club sportif, dans chaque village, de l'argent est collecté pour financer un certain nombre de recherches. Toutefois, je déplore l'écart qui existe entre les sommes dont dispose le secteur privé et les moyens qui sont accordés au secteur public.
Nous devons encourager tous ces jeunes, tous ces instituts et toutes ces organisations, nous devons leur donner un signal positif à la double condition de poser dans la loi des limites aux recherches et de mettre en place des procédures d'évaluation. Les médecins, quant à eux, sauront mettre en place des procédures cliniques ou scientifiques.
Enfin, monsieur le ministre, je voudrais aborder le vrai sujet de ce débat, même s'il me paraît quelque peu dépassé - il me semble donc que nous avons tort d'en faire le sujet d'un débat -, à savoir le clonage thérapeutique.
Ce qu'a dit M. Chabroux sur la maladie d'Alzheimer était tout à fait intéressant.
Il se trouve qu'il existe dans ma commune une unité spéciale destinée à stimuler les malades atteints de la maladie d'Alzheimer. Dans ce domaine, nous sommes un peu en avance sur d'autres ; c'est dire combien nous nous intéressons à ce problème.
Récemment, certains ont fait croire que, grâce à la thérapie cellulaire, la maladie d'Alzheimer ou d'autres maladies, comme le cancer, allaient pouvoir être éradiquées, grâce à un vaccin ou à une thérapie génique. Or tout le monde sait qu'à l'heure actuelle la thérapie génique n'en est qu'aux balbutiements.
L'autre jour, le professeur Arnold Munnich, que la commission a auditionné, est venu faire une conférence dans ma ville, puisque l'INSERM a enfin décidé de sortir de la clandestinité et de mener une action de communication publique, ce dont je me félicite car, si nous avons des chercheurs, encore faut-il qu'ils fassent connaître le résultat de leurs recherches au grand public.
Je crois que l'expression « clonage thérapeutique » ne convient pas.
M. Nicolas About, président de la commission, et M. Francis Giraud, rapporteur. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade. Nous sommes opposés au clonage ! Tous les orateurs qui sont intervenus, notamment le rapporteur, ont rappelé le danger du clonage, qui nous ramène à l'époque du nazisme et qui, par conséquent, doit être condamné.
Employer le même nom pour le clonage thérapeutique et pour le clonage reproductif est sûrement une erreur. Ce que nous voulons essayer de développer, c'est la thérapie génique,...
M. Jacques Blanc. Cellulaire, pas génique !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... qui permettra peut-être un jour, lorsque l'ensemble des éléments seront connus, de trouver les gênes sur lesquels il faut agir pour essayer d'éradiquer quelques maladies qui, à l'heure actuelle, gouvernent le vieillissement de la population et créent un certain nombre de difficultés.
Vous devez vous prononcer à cet égard. La position de l'Académie des sciences me paraît quelque peu anachronique. Il faut donner un signe positif aux chercheurs et encourager les recherches sur les cellules souches et sur les embryons surnuméraires. Il faut développer les diagnostics préimplantatoires et traiter tous ces sujets dans les conditions qui sont prévues. Ne nous battons pas sur des mots, alors que la réalité de la recherche est ailleurs.
Telles sont, monsieur le ministre, les questions que je voulais vous poser. Elles procèdent plus d'une réflexion tournée vers l'avenir que d'une critique du projet de loi que vous nous proposez. C'est la raison pour laquelle je voterai ce texte. Je soutiens surtout l'avancée technique et politique qu'il représente. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard.
M. Yann Gaillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui s'ouvre devant le Sénat pour la révision des lois de bioéthique de 1994 est important, moins pour des raisons politiques que pour des raisons morales.
Qu'il me soit permis, à cet égard, de me référer au cri du coeur d'un collègue que certains d'entre vous ont bien connu et à qui j'ai eu l'honneur de succéder dans notre assemblée en juillet 1994 : Bernard Laurent. Au cours du débat qui se tenait le 19 mai 1994, dans l'une de ses dernières interventions dans cet hémicycle, il évoqua avec émotion « ce drame du législateur qui doit légiférer pour tous sans violer sa conscience ». Il insista sur des thèmes qui lui étaient chers et des inquiétudes qui le taraudaient, et dont, hélas ! aucune ne serait apaisée aujourd'hui. Il voulait que la loi affirmât la primauté de la personne dès le début de sa vie, soulignant le pronom possessif, garant de l'individualité. Il s'effrayait de la multiplication des embryons qu'entraîne le développement de la fécondation in vitro. Il réclamait pour cet embryon une définition qui puisse être « une barrière contre toutes le dérives : embryons surnuméraires, sélection in vitro et in utero, eugénisme sous toutes ses formes, voire clonage ». Ce « voire » est une précaution de langage dépassée si l'on en croit les scandales récents, qu'il s'agisse d'opérations réelles ou imaginées.
A vrai dire, on préférerait une escroquerie de haut vol à un crime contre l'humanité, pour parler comme notre ministre de la santé qui nous demande de qualifier ainsi, avec raison, le clonage reproductif.
Qu'il me soit également permis de rappeler cette incidente agacée d'un honnête homme qui parlait avec toute la force de sa conviction, sans prétendre rivaliser avec les spécialistes, à propos de toutes les étapes qui vont de l'oeuf au foetus : « Mes chers collègues, nous légiférons, nous n'écrivons pas un traité de biologie. »
Si nous n'avons pas la possibilité, nous législateur, d'être tous des grands « patrons » de la médecine, fort heureusement, nous avons pour nous éclairer aujourd'hui le professeur Jean-François Mattei, ministre de la santé, et notre rapporteur, son collègue et ami, le professeur Francis Giraud. Du reste, la Haute Assemblée n'a jamais manqué de telles compétences, comme celle dont fit preuve, à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, notre ancien collègue Claude Huriet.
Devons-nous pour autant nous laisser enfermer dans un langage accessible aux seuls initiés et, en quelque sorte, leur déléguer notre décision ? Ce serait oublier la portée humaine des textes qui nous sont soumis sur les empreintes génétiques, le don d'organe par des vivants ou post mortem, le don de gamètes, le clonage, l'assistance médicale à la procréation, les recherches sur les embryons et les cellules embryonnaires ou foetales.
Le Parlement avait délibéré sur tous ces sujets voilà dix ans et, même si le principe n'en est pas posé, il ne faut pas douter que ceux-ci ne manqueront pas de revenir sur le tapis, quelle que soit la rigueur des barrières que l'on cherche à dresser face aux dangers récurrents que l'homme ne cesse de faire courir à sa propre espèce.
Le premier danger est celui de la recherche, c'est-à-dire de la concurrence acharnée, qui n'a pas que des motivations pures, entre pays et laboratoires. Les docteurs Folamour de la biologie ne sont pas moins effrayants que ceux de la physique nucléaire ; peut-être même le sont-ils aujourd'hui davantage.
Fabriquer un être humain, depuis le Frankenstein de Mary Shelley jusqu'aux divagations raéliennes, en passant par Les Couscous de Midwich de John Wyndham, a toujours été le b.a.-ba de la science-fiction.
Mais redescendons sur terre ! En ce qui nous concerne, nous avons, entre autres, à nous prononcer sur quelques problèmes complexes.
Tout d'abord, quid de la non-brevetabilité des éléments du corps humain - il s'agit de l'article 12 bis - et de la contradiction partielle entre la directive 98/44 CE et l'article voté en première lecture par l'Assemblée nationale, qui semble nécessiter un assouplissement, lequel est du reste inévitable compte tenu de la primauté du droit communautaire.
Deuxième problème : l'expérimentation sur le sujet en état de mort cérébrale - coma dépassé - ou en état végétatif chronique. Nous avons tous reçu les appels de l'Association pour le développement de l'expérimentation en médecine, l'ADEM. Dans l'esprit de leurs rédacteurs, cette question est liée à celle de l'euthanasie, comme s'il s'agissait de montrer que la meilleure protection de ces sujets était de leur conférer une utilité protentielle. Quoiqu'il en soit, pour ma part, je serais assez d'accord sur la proposition d'un « registre des refus ». Le grand sociologue Norbert Elias a décrit, dans un très beau livre, la « solitude des mourants ». C'est bien vrai qu'il s'agit des plus menacés parmi les être humains en dépit du travail admirable que fit notre ancien collègue Lucien Neuwirth sur les soins palliatifs.
Troisième problème, parmi beaucoup d'autres : celui du clonage thérapeutique et des recherches sur l'embryon. Notre commission propose, à l'article 19, une interdiction de principe, assortie d'une possibilité de transgression transitoire pour cinq ans, délai nécessaire pour vérifier que cette recherche sur l'embryon peut être rendue inutile par l'utilisation de cellules souches. Elle propose aussi que cette transgression ne puisse concerner que les embryons surnuméraires. Avec tout le respect que je porte à notre commission et à son rapporteur, je crains qu'il ne s'agisse là que d'une acceptation différée.
Un autre danger menace de bouleverser l'équilibre législatif que nous voudrions instaurer, après celui de la recherche incontrôlée ; je veux parler de cette dérive sociétale vers l'enfant qui est considéré comme un bien, voire un bien de consommation. Comme le disait Bernard Laurent il y a dix ans, « le moment est venu d'affirmer avec force » - je dirai, pour ma part, de réaffirmer - « qu'il n'y a pas, au sens juridique du terme, de droit à l'enfant et encore moins de droit à l'enfant parfait, sélectionné parmi plusieurs embryons ». Notre ministre est, certes, sur la même ligne et je m'en réjouis, lui qui s'est élevé avec force contre « l'acharnement thérapeutique ».
Ce faisant, il a développé des arguments sur les risques médicaux que font courir aux futurs « produits » de l'AMP des techniques telles que la stimulation ovarienne ou la micro-injection de spermatozoïdes. Les produits ainsi menacés seront peut-être des enfants, ne l'oublions pas. Je remarque au passage que l'assistance médicale à la procréation est désormais si répandue qu'elle a droit, dans le langage courant, à son acronyme.
Outre ces arguments médicaux, si pertinents, il convient aussi, sur un plan général, de s'interroger sur les risques philosophiques, j'allais dire métaphysiques, que cette AMP fait courir à la personne - je parle de cette personne définie en termes kantiens, qui est à elle-même sa propre fin.
Comme un récent article du journal Le Monde nous y invite, nous sénateurs, je me suis penché - une fois n'est pas coutume - sur l'ouvrage, tout frais paru, et même tout frais pondu, du philosophe allemand Jürgen Habermas. Ce livre magnifique a pour titre L'Avenir de la nature humaine - Vers un eugénisme libéral ? Désormais, nous explique l'éminent auteur, l'intervention sur la génétique humaine n'est plus celle d'une société totalitaire qui cherche à créer une race de seigneurs ; elle est le fait de parents acheteurs sur cataloque, et du marché rémunérateur que la science met désormais à leur disposition pour assouvir des fantasmes ou compenser leurs complexes. Selon Habermas, « la protection juridique pourrait trouver son expression dans un droit à un héritage n'ayant pas été soumis à une intervention artificielle ». Il accepte, certes, un eugénisme négatif, justifié par des raisons médicales, mais réclame la reconnaissance d'un droit fondamental à un héritage non manipulé, droit dont on a déjà débattu à l'assemblée du Conseil de l'Europe.
Pouvons-nous, mes chers collègues, à l'issue de ce débat, faire un pas vers la reconnaissance d'un tel droit ? N'est-il pas déjà trop tard ? Comme le reconnaît Jürgen Habermas : « Ces orientations axiologiques très "vieille Europe" ne passent-elles pas déjà, aux Etats-Unis et ailleurs, pour des marottes, certes aimables, mais néanmoins inadaptées à notre époque ? » Faut-il l'en croire ? Faut-il le craindre ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ce début de siècle marqué par le 11 Septembre, dans ce monde de fous où les découvertes de la science, notamment dans le domaine de la génétique, laissent entrevoir des perspectives qui peuvent être effrayantes, mais qui sont parfois formidables, je trouve tout à fait rassurant qu'un tel débat se tienne aujourd'hui au Sénat.
Ceux qui montrent du doigt les politiques seraient peut-être étonnés du niveau que vous avez su donner, monsieur le ministre, à cette discussion générale. Vous-même, le président et le rapporteur de la commission, ainsi que tous les orateurs qui se sont succédé, vous avez placé au coeur de vos interventions la question fondamentale qui est posée aujourd'hui : la reconnaissance de l'homme.
On a ouvert le siècle en parlant de risque de bogue informatique. Or, depuis deux mille ans, sous l'influence du christianisme, l'homme a été placé au coeur de toute démarche, il a été sublimé. Mais, que l'on soit croyant ou non, l'humanisme ne réduit pas l'homme à une addition de matières : pour les uns, il a une âme ; pour tous, il a ce quelque chose d'infini qui fait qu'on ne peut pas le traiter comme les autres espèces. Et c'est dans la recherche de règles visant à protéger cette position fondamentale de l'homme dans toute société que se situent à la fois les lois de 1994 et les mesures qui nous sont aujourd'hui proposées pour les modifier.
Peu importe qui a voté ! Ce n'est pas parce qu'un texte a été voté qu'il est bon ; ce n'est pas parce qu'on ne l'a pas voté qu'il n'est pas bon. Aujourd'hui, le grand mérite de M. le ministre est d'avoir posé le problème en termes fondamentaux. Pour quelqu'un qui, comme moi, a été médecin voilà déjà de nombreuses années, qui a procédé à des accouchements, qui a consacré une grande partie de sa vie au problème des handicapés, pour un député qui a participé au débat sur l'avortement, à celui sur l'abolition de la peine de mort, c'est aujourd'hui une fierté de pouvoir intervenir dans ce débat.
Je vous soutiens, vous et le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, car votre approche n'est pas partisane. Vous avez su poser clairement les vraies questions.
D'ailleurs, je souhaiterais que vous diffusiez auprès de mes collègues le texte d'une leçon inaugurale intitulée « Génétique : nouvelle mythologie et permanence de l'homme », que vous avez prononcée le 13 novembre 2002 à Montpellier, en ouverture du congrès sur le thème : « Cancer du sein et qualité de la vie ». C'était une vraie leçon d'un grand patron. Vous avez su rappeler que, quelles que soient les évolutions de la génétique, on retrouvait dans les problèmes posés ce qui était analysable dans la mythologie en raison de la permanence de l'homme.
Aujourd'hui, c'est bien de la permanence de l'homme qu'il s'agit. La fécondation in vitro a représenté une avancée considérable pour ceux qui, comme moi, ont vécu le drame de familles ne pouvant pas avoir d'enfants. N'oublions pas le bonheur qu'a apporté la procréation médicale assistée à un grand nombre de femmes et d'hommes : ils ont trouvé un sens à leur vie.
Bien sûr, au départ, on a éprouvé quelques frayeurs. Il importe, bien évidemment - vous l'avez rappelé avec force - de respecter l'intérêt de l'enfant. On ne va pas procéder à une fécondation in vitro pour faire plaisir à une mère. Il s'agit de donner naissance à un être humain, qui pourra s'épanouir au sein d'un cadre familial. On sait bien que ce cadre est fragile et que des drames peuvent survenir.
Mais ne faisons pas n'importe quoi à des fins de séduction, en adoptant un système de pensée unique. C'est ce que vous avez dit, et c'est ce que le projet de loi rappelle. Cela me paraît important. L'intérêt de l'homme, donc l'intérêt de l'enfant, prime sur la satisfaction d'aspirations, aussi légitime soient-elles. On ne peut pas sacrifier l'intérêt de l'enfant.
En ce qui concerne les greffes d'organes, je rends hommage, au passage, à toutes ces équipes qui sauvent des vies humaines. Je salue également la logistique qui existe en ce domaine : lorsqu'une personne a un accident, on ne mesure pas toujours ce que la transplantation d'organe suppose en termes d'organisation et de volonté.
Il est vrai que beaucoup reste à faire pour changer les mentalités. Notre collègue Jean-Pierre Fourcade et d'autres l'ont rappelé : il est toujours difficile, au moment de la mort, de dire que l'on va prélever un organe. Dans ce domaine, il est fondamental d'anticiper.
Permettez-moi de tenter de dissiper maintenant, au risque de sembler immodeste, un certain nombre de malentendus.
Il ne faut pas confondre les expériences sur des cellules embryonnaires, la culture d'embryons aux fins d'expériences, la thérapie cellulaire, le clonage et la manipulation génétique.
Je m'explique.
Autant nous sommes l'un et l'autre d'accord, monsieur le ministre, pour refuser l'idée même que l'on puisse créer des embryons aux fins d'expériences, parce que tout embryon est porteur d'une vocation à la vie qui doit être respectée, autant on peut s'interroger sur la recherche à partir d'embryons ayant perdu cette vocation, soit parce qu'il n'y a plus de projet parental, soit parce qu'ils sont surnuméraires.
Pourquoi refuser, dans un cadre maîtrisé et aux termes de protocoles bien précis, la recherche sur des cellules embryonnaires qui ne sont pas des cellules thérapeutiques en elles-mêmes, mais qui peuvent constituer des repères pour étudier et développer les cellules souches adultes, les cellules de mésenchyme capables de se régénérer et de susciter, elles, des thérapeutiques nouvelles ?
Dans ce cas-là, la recherche porte sur des embryons condamnés, parce qu'il y a eu un blocage dans le projet, ou pour d'autres raisons légitimes, peu importe ; il s'agit alors d'utiliser un embryon condamné pour essayer de faciliter d'abord la recherche sur des cellules souches adultes. C'est cela, aujourd'hui, la thérapie cellulaire. Je souhaite, monsieur le ministre, qu'on la reconnaisse.
Par exemple, à Montpellier, nous avons inscrit dans le contrat de plan Etat-région un centre de biothérapie cellulaire ; il y a là une équipe formidable autour du professeur Rossi, et elle comprend des non-médecins. Les cellules de mésenchyme, qui vont pouvoir se développer et se différencier, seront susceptibles de régénérer les tissus du coeur, du foie, de la moelle, et servir l'acte thérapeutique.
Il serait donc dramatique de ne pas poursuivre très vigoureusement cette recherche dans le domaine de la thérapie cellulaire.
Quant au clonage, je crois qu'il faut en rappeler la définition : il s'agit d'énucléer des ovocytes pour introduire en leur sein le noyau prélevé sur l'homme aux fins, soit in utero, soit in vitro, de créer un embryon. Ce clonage, nous le condamnons fortement, énergiquement, car il n'a rien de thérapeutique. Il s'agit d'une manipulation génétique destinée à créer un être humain conforme à la cellule différenciée dont le noyau a été greffé. Sans discussion possible, cette manipulation encourt de notre part une condamnation totale.
Dans votre propos liminaire, monsieur le ministre, vous avez rappelé que c'était le mythe de l'immortalité qui trouvait à s'exprimer ici comme un besoin. Pour nous, c'est un crime qu'il faut condamner. En revanche, il ne faut pas le confondre avec telle ou telle manipulation génétique qui n'est pas un clonage et qui sert un but thérapeutique pour un certain nombre de maladies.
Ces malentendus dissipés, et ces faux débats évités, on retrouve contact avec la réalité.
Par rapport à la réglementation européenne, la France aurait dû davantage se battre au départ. Mais vous avez eu l'intelligence, au lieu de vous bloquer, de trouver une solution astucieuse, et qui respecte fondamentalement nos volontés.
Et n'oublions pas la dimension de l'éthique, qui n'est pas une science, mais qui est peut-être une quête de sagesse. J'espère, à cet égard, que l'Asemblée nationale épousera les thèses qui sont défendues ici et que l'on ira encore de l'avant. Le Parlement s'honore de légiférer non pas pour se substituer aux scientifiques, mais pour montrer qu'il est le gardien de la place de l'homme dans cette société. Telle est notre responsabilité : rappeler que c'est pour l'homme, pour le servir, que doit être organisée notre société ; rappeler que l'homme ne peut pas être assimilé aux autres espèces, qu'il tient une place prépondérante dans le vivant.
Je terminerai par les recherches embryonnaires. Vous avez osé, monsieur le ministre, envisager pour demain - pourquoi pas ? - une thérapeutique sur l'embryon. Nous le savons l'un et l'autre pour avoir proposé ensemble des modifications législatives après l'arrêt Perruche, si, demain, à la suite du diagnostic prénatal d'une anomalie ou d'une malformation, nous sommes en mesure de proposer un traitement et de sauver l'embryon, au lieu de le condamner, nous aurons fait un progrès formidable ! Je rends hommage, au passage, à tous ceux qui ont assumé et assument encore la prise en charge d'enfants handicapés. Certes, l'idée de norme n'est pas acceptable par rapport à l'homme, mais, si l'on peut sauver les chances de l'embryon, donc de l'enfant, cela vaut la peine de développer ces recherches. Merci de nous l'avoir proposé ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste).
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Je tiens tout d'abord à renouveler mes remerciements à M. le rapporteur pour la clarté de son exposé, qui ne m'étonne d'ailleurs pas. M. Francis Giraud a bien posé les termes du débat, lesquels ont d'ailleurs été repris par les uns et par les autres sous tel ou tel angle particulier. Je vais donc m'efforcer de répondre rapidement aux intervenants, me réservant la possibilité de reprendre et de développer mon argumentation dans la discussion des articles.
Madame la représentante de la délégation aux droits des femmes, vous avez d'abord évoqué l'acharnement procréatif, en appelant à la prudence : « On ne peut pas non plus aller trop loin », avez-vous dit. Comme vous avez raison !
Voilà trois semaines, une revue internationale de génétique confirmait les conclusions d'une étude publiée un an plus tôt : avec l'ICSI, mais également avec la fécondation in vitro, on multiplie par quatre le risque d'anomalie génétique, dont le taux passe de 1,2 % à 4 % des foetus. Le phénomène n'avait jamais encore été mis en évidence !
Or la vérité est due à tous les patients qui consultent ; il faut les mettre en garde sur les risques encourus avec les inducteurs de l'ovulation : prématurité, grossesses multiples, enfants de faible poids et séquelles éventuelles, sans oublier désormais ces problèmes de génétique. On voit bien que, si ces techniques ont constitué et constituent encore un réel progrès, en permettant à des couples qui ne pouvaient pas transmettre naturellement la vie de pouvoir désormais la donner, il ne faut pas non plus banaliser ces pratiques, qui continuent de transgresser un certain nombre de lois naturelles, de court-circuiter un certain nombre de processus naturels, et qui vont progressivement dévoiler tous leurs inconvénients.
Certes, cela ne suffit pas à condamner ces techniques, mais cela impose de les réserver à des indications précises et raisonnées. D'ailleurs, vous avez vous-même insisté sur le suivi des enfants.
Vous savez que le professeur Georges David, fondateur des CECOS, les centres d'études et de conservation des oeufs et du sperme humains, par ailleurs membre de l'Académie de médecine, avec lequel j'ai travaillé sur ces sujets, souhaite que l'on installe ce qu'il appelle une « AMP vigilance », sur le modèle de la pharmacovigilance. Ainsi, tous les enfants nés grâce à ces techniques feraient l'objet d'une surveillance tout au long de leur vie. On pourrait donc vérifier au fil du temps si ces enfants ne souffrent pas de troubles psychologiques, s'ils ne développent pas tel ou tel type de pathologie, s'ils ont la même intelligence que les autres.
Cela étant, je ne suis pas certain que la mesure soit humaine et réaliste, et donc dépourvue de dangers. Car la pratique nous a montré que, lorsqu'un couple vient solliciter le recours à ces techniques, il n'a qu'un souci, une fois la grossesse confirmée, c'est de retourner dans l'anonymat de tous ceux qui ont des enfants de façon « naturelle ». Il ne serait pas anodin de convoquer tous les ans ou tous les deux ans le couple et les enfants pour s'interroger sur l'apparition de tel ou tel problème. Cela serait susceptible en soi d'entraîner des troubles.
Il y a là une difficulté que je ne sais pas résoudre, que nous ne savons pas résoudre. Le problème, c'est que le sujet d'observation a la même durée de vie que l'observateur !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Tout à fait !
M. Jean-François Mattei, ministre. S'il fallait attendre vingt ans pour condamner une technique que l'on met en oeuvre aujourd'hui, l'interdiction que nous prononcerions alors n'aurait plus aucun objet. En effet, les techniques auraient été remplacées par d'autres.
Nous sommes donc dans l'incertitude. C'est la raison pour laquelle, dans la procréation médicalement assistée, nous devons absolument - et c'est un message fort - veiller à ce que les indications soient mesurées pour ne pas banaliser le recours à ces techniques.
Vous avez ensuite insisté sur la pénurie d'ovocytes, qui est également pour moi un sujet de préoccupation. Il faudra que nous revoyions les conditions de sécurité sanitaire du prélèvement des ovocytes et que nous nous interrogions pour savoir s'il est nécessaire de congeler absolument, comme cela avait été demandé en 1996, en raison de la séropositivité. Cette question devra être étudiée, car il n'est pas besoin de continuer à s'enfermer dans des précautions devenues inutiles.
En revanche, madame Desmarescaux, on ne peut évidemment pas comparer le don d'ovocyte au don de sperme, parce que les dons d'ovocytes nécessitent très généralement des traitements préalables et, en tout cas, des gestes loin d'être aussi simples que ceux qu'exige la collecte de spermatozoïdes.
Dans ces conditions, s'il apparaît légitime de se plaindre de la pénurie d'ovocytes, je ne vois véritablement aucune solution au problème dans la mesure où l'on ne donne pas un ovocyte aussi facilement que l'on donne son sang.
Monsieur le président de la commission des affaires sociales, en effet, nous ne devons pas nous enfermer dans un débat de spécialistes. Vous avez eu raison d'évoquer les deux cents auditions de personnalités et de représentants d'associations et autres institutions. Je constate cependant que certains ici en sont encore à réclamer un débat public qui, visiblement pour eux, n'a pas eu lieu... Je leur répondrai que la Comité national consultatif d'éthique, qui a été créé en 1983, rend public chaque année ses avis et ses recommandations. Je rappelle encore que le rapport du président Braibant, en 1988, avait déjà fait l'objet de discussions et que, depuis, le débat n'a pas cessé.
Qui ne se souvient de l'affaire Pires, à propos de du transfert d'embryon post mortem et du débat médiatique qu'elle a provoqué ? Qui ne se souvient des problèmes de Mme Parpalaix demandant à recevoir le sperme congelé de son mari décédé ? Qui ne se souvient de tous ces débats-là, qui ont donné lieu à de tels reportages que l'opinion publique en a été naturellement alertée ?
En revanche, je voudrais savoir quels sont les sénateurs qui, dans leur département, ont saisi l'occasion de conférences et de débats destinés au grand public pour tenter de faire progresser la réflexion. Je me tourne vers les travées du groupe communiste républicain et citoyen : Roger Meï avait organisé, à Gardanne, un grand débat sur la non-brevetabilité du génome, et j'y avais participé, à son invitation. Lorsqu'on évoque ces sujets-là, il faut, en effet, dépasser les clivages. Ce sont des problèmes de société, et le débat doit être le plus large possible.
C'est M. Renar, je crois, qui a évoqué l'enseignement de l'éthique. Oui, l'enseignement de l'éthique doit pénétrer à l'école ; oui, l'enseignement de l'éthique doit pénétrer dans nos facultés de médecine.
C'est d'ailleurs bien le sens de la mission que j'ai confiée à M. Alain Cordier et au terme de laquelle il formulera des propositions pour introduire l'enseignement de l'éthique et mieux prévoir, sans qu'ils deviennent pour autant des spécialistes exclusifs, la formation de ces enseignants d'éthique.
Monsieur le président de la commission, vous avez également fait allusion à la difficulté d'établir des normes éthiques partagées à l'échelle internationale : vous en avez fait l'expérience quand vous étiez au Conseil de l'Europe pendant cinq ans, à mes côtés ; vous avez bien vu combien il est difficile, dans cette Europe, de trouver des positions communes. Pendant deux ans, nous avons discuté, au sein du comité directeur de bioéthique, d'un protocole additionnel concernant les transplantations d'organes : nous sommes parvenus à un texte commun sur la non-commercialisation et sur l'anonymat c'est déjà beaucoup ! En revanche, nous sommes restés en désaccord total sur quatre points, le premier étant la définition de la mort.
C'est extraordinaire de penser qu'en Europe, selon les pays, les définitions de la mort diffèrent. A la France qui a retenu la notion de « mort cérébrale », d'autres rétorquent qu'à partir du moment où la mort est qualifiée de « cérébrale », c'est que ce n'est pas la mort « tout court ». On se heurte donc à une première difficulté.
La deuxième difficulté concerne le consentement présumé, sur lequel nous n'avons pas trouvé plus d'accord : la France a introduit la présomption de consentement en 1976, à l'instigation de M. Caillavet ; certains pays prônent au contraire, dans le doute, l'abstention, soit le raisonnement exactement inverse.
Il est extrêmement difficile, entre une Europe du Nord plutôt pragmatique, plutôt utilitariste, et une Europe du Sud plus « essentialiste », de trouver des points d'accord.
Vous imaginez, dans ces conditions, les difficultés auxquelles nous nous heurtons outre-Atlantique ! Personnellement, au gré des congrès scientifiques, par exemple sur la brevetabilité du génome, je me suis beaucoup investi et j'ai trouvé l'expérience particulièrement instructive. Ainsi, quand je suis allé en Chine, les Chinois m'ont dit que le problème leur était complètement égal et que, forts d'une population de 1,6 milliard d'individus, ils utiliseraient les séquences, mais quand ils en auraient besoin. Et les Indiens - ils sont 1 milliard ! - disent la même chose.
En définitive, une partie du monde occidental est en train de se figer dans des règles dont une autre partie du monde souhaite s'affranchir parce qu'elle n'en reconnaît pas le bien-fondé.
Ainsi, il est probablement utopique d'espérer un accord à l'échelon international, sauf peut-être sur deux ou trois dispositions, comme le clonage reproductif. C'est donc par là qu'il faut commencer pour traduire ce premier accord dans un texte international. Ensuite, nous discuterons et nous verrons bien où nous allons.
Enfin, monsieur About, vous avez également parlé du suivi. Vous avez raison : les parlementaires devront être représentés à l'Agence de biomédecine. Evidemment !
Monsieur Seillier, ce que je retiens de votre intervention, mais parce que nous nous connaissons, c'est ce tiraillement intérieur que j'ai perçu chez vous, comme vous l'avez perçu chez moi. Tout en reconnaissant qu'il existe des interdits, vous admettez qu'il est quelquefois nécessaire de les transgresser.
Vous avez dit, à différentes reprises, bien que j'aie pris la précaution d'écarter toute idéologie, qu'il y avait toujours une position philosophique derrière tout choix éthique. Vous avez naturellement raison, mais vous parliez sans doute d'éthique de conviction. Or ici, certains l'ont rappelé, nous sommes au Parlement de la République et, avant d'être porteurs d'une éthique de conviction, nous le sommes d'abord d'une éthique de responsabilité, quelles que soient précisément nos convictions.
C'est la raison pour laquelle un certain tiraillement peut se faire sentir chez tel ou tel parlementaire, car les choix qu'il propose ne sont peut-être pas ceux qu'il ferait dans sa vie personnelle.
M. Francis Giraud, rapporteur. Eh oui !
M. Jean-François Mattei, ministre. Mais nous ne sommes pas là pour représenter tel ou tel courant de pensée. Nous sommes là pour légiférer dans une république laïque.
J'ai déjà parlé il y a quelques années du modèle de la laïcité pour aborder la bioéthique. Je pense que nous devons effectivement garder présent à l'esprit ce modèle de la laïcité tout au long de notre réflexion et lorsque nous aurons à nous prononcer.
M. Renar, au-delà de l'enseignement sur la bioéthique, a parlé d'un point très important, qui est sous-tendu par tout ce que nous faisons : l'interaction entre les gènes et l'environnement, c'est-à-dire, en définitive, la façon dont nous allons exprimer ce que nous portons en nous-mêmes en fonction de ce qui nous entoure. C'est le débat éternel, que nous n'allons pas régler ce soir, entre l'inné et l'acquis. Il a souligné, à juste raison, que nous n'étions pas seulement le résultat de notre patrimoine génétique.
Monsieur Lorrain, dans votre intervention, très complète et très argumentée - en tant que membre du Comité national consultatif d'éthique, vous êtes naturellement, très au fait de ces questions -, vous avez insisté sur la gratuité, sur le respect de l'enfant à naître. Vous avez évoqué des problèmes majeurs, comme celui des « bébés médicaments », que je ne développerai pas maintenant, car nous aurons l'occasion d'y revenir ultérieurement.
Il y a cependant un point que je souhaiterais éclaircir.
Vous avez justifié le refus de telle ou telle technique au motif que des difficultés se posaient. Vous avez raison : il y a des difficultés techniques. Toutefois, j'attire votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, sur le fait que nous ne devons pas aujourd'hui refuser une technique en fonction des difficultés éventuelles, car le jour où ces difficultés auront été réglées, par avance, nous aurions entériné la technique.
Nos refus doivent se fonder sur des principes plutôt que sur des contingences techniques ou économiques. Ces contingences, en effet, finissent toujours par disparaître. Pour autant, nous n'aurions alors peut-être pas voulu faire le choix de la technique en question.
Monsieur Mercier, vous avez parlé en personne de bon sens ; vous avez à la fois exprimé vos doutes, votre fascination, votre espoir et insisté sur la force des signaux que nous avons à donner. « Ce n'est pas la connaissance qui est dangereuse, mais l'utilisation qu'on en fait », avez-vous dit. Cela me paraît essentiel.
A ceux qui pensent qu'on veut brider la science, je répondrai que ce n'est pas le cas. Bien entendu, l'homme a toujours eu pour ambition d'accroître son savoir, de mieux comprendre qui il est, d'où il vient et où il va. En revanche, là où notre responsabilité est engagée, c'est sur le point de savoir ce que nous allons faire de ces nouvelles connaissances. Combien de scientifiques ont regretté d'avoir communiqué au monde leurs découvertes, compte tenu de l'utilisation qui en a ensuite été faite ? (M. le rapporteur opine.) C'est un message extrêmement fort, et vous avez d'ailleurs terminé votre intervention en disant : « Faut-il ouvrir la porte ? » J'aurai l'occasion, au cours du débat, de vous répondre davantage sur ce point.
Il faut avoir confiance en l'homme. Quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, il a traversé les millénaires. L'homme a résisté à la guerre du feu, il a survécu à des guerres qui ont ravagé la planète. Lorsque l'on regarde en arrière, on constate que l'homme n'a cessé de progresser.
Aujourd'hui, ce que nous voulons tout simplement éviter, parce que nous sommes à un tournant décisif, c'est de perdre un peu de notre humanité. Nous sommes responsables de l'avenir ; voilà pourquoi, si nous sommes d'accord pour progresser dans la connaissance, nous devons le faire avec une prudence extrême quant à l'utilisation de cette connaissance.
Monsieur Barbier, vous avez évoqué, avec raison, le champ des possibles. En effet, le champ des possibles est une chose, le champ de l'interdit en est une autre.
Vous avez parlé du syndrome de précaution, qui n'est pas le syndrome de prédiction. Vous avez en définitive conjugué incertitude et espérance. Je crois que nous aurons, tout au long du débat, l'occasion d'y revenir.
Monsieur Cazeau, nous avons effectivement souhaité conserver le texte qui a été voté en première lecture pour ne pas devoir répéter toute une procédure de consultations du Conseil d'Etat et de nombreuses instances, puis recommencer une première lecture. Vous avez aussi rappelé que le texte a été voté à l'Assemblée nationale à une très large majorité.
A cet égard, M. Chabroux, qui me fait l'honneur de lire tous mes écrits, de regarder toutes les émissions télévisées auxquelles je participe et de s'intéresser à tous mes entretiens à la radio, aura également lu, dans le compte rendu des débats de l'Assemblée nationale, les propos que j'avais alors tenu : j'avais dit en effet que je m'abstiendrais lors du vote sur ce texte pour préserver l'avenir et laisser ouvert le débat, car celui-ci était appelé à se poursuivre.
Telle est la raison pour laquelle je n'avais pas voté contre ce texte, qui me paraissait comporter un certain nombre d'avancées.
Aujourd'hui, notre devoir est de poursuivre le débat et de le recentrer en fonction des nécessités qui nous paraissent fondamentales.
Monsieur Cazeau, vous avez également abordé la laïcité, point sur lequel je viens de vous répondre. J'ajoute qu'il faut rendre à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui lui appartient.
Monsieur Fischer, permettez-moi de vous dire que vous n'avez pas bien commencé votre intervention. Vous m'avez fait de la peine en évoquant les conditions détestables dans lesquelles nous travaillons, insistant sur les 137 amendements du Gouvernement, dont plus de la moitié ont été déposés tardivement.
Mais, monsieur Fischer, à partir du moment où vous créez une agence de biomédecine qui vient se substituer à l'APEGH, vous avez au moins 25 amendements de cohérence qui visent simplement à remplacer dans les articles les mots « Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines » par les mots « Agence de biomédecine ». Vous constaterez donc, et j'espère que vous aurez l'honnêteté de le reconnaître, que la moitié au moins de ces 137 amendements sont des amendements de précision, de rédaction ou de cohérence.
M. Guy Fischer. Je le savais déjà !
M. Jean-François Mattei, ministre. Pour le reste, un certain nombre d'amendements sont effectivement importants.
Cependant, je m'élève contre la situation de contradiction dans laquelle M. Chabroux et vous-même avez souhaité m'enfermer, contradiction au regard de la brevetabilité ou du clonage thérapeutique.
S'agissant de la brevetabilité, permettez-moi de réagir avec calme mais avec détermination, car, s'il y a quelqu'un qui, dès le début, a mené le combat que vous prétendez aujourd'hui récupérer, c'est bien moi !
J'étais rapporteur en 1994 ; or qui a introduit, dès la loi de 1994, l'interdiction de breveter le gène en totalité ou en séquences partielles ? Relisez les textes, relisez le Journal officiel : c'est moi !
Qui, en 1995, lorsque le Parlement européen a repoussé pour la deuxième fois un projet de directive sur le vivant, a été chargé par la délégation européenne à l'Assemblée nationale d'un rapport intitulé Breveter le vivant : pour une solution à la française ? C'est moi.
Dans ce rapport, je disais que l'on ne pouvait pas breveter le vivant. Je pensais d'ailleurs que ce sujet ne posait aucun problème, puisqu'une proposition de résolution avait été votée à l'unanimité à l'Assemblée nationale contre les brevets de gènes.
Mais, puisque vous m'avez poussé dans mes retranchements et que vous me forcez à la polémique, alors que je ne la souhaitais pas, je tiens à vous dire que c'est M. Claude Allègre, en 1998, avec la complicité de Matignon, qui a soutenu cette directive de biotechnologie. Lorsque je m'en suis aperçu, j'ai demandé un rendez-vous au Premier ministre, mais il ne m'a jamais reçu !
Lorsque j'ai soulevé de nouveau le problème, on a pensé que ma démarche était politique. J'ai alors fait circuler sur Internet une pétition dont le succès fut considérable.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Absolument !
M. Jean-François Mattei, ministre. Je reconnais que le groupe communiste dans sa totalité l'a signée à l'Assemblée nationale. Quelques socialistes l'ont également signée ; les autres ont reçu...
M. Francis Giraud, rapporteur. La consigne !
M. Jean-François Mattei, ministre. ... la consigne, en effet, de ne pas la signer. J'ai ensuite continué à travailler avec MM. Claeys et Schwarzenberg et, manifestement, il était toujours dans les intentions du précédent gouvernement de ratifier cette directive, de la transposer dans notre droit positif.
Heureusement, comme ce fut le cas pour l'arrêt Perruche, l'opinion publique sait se faire entendre et les académies - que vous écoutez tant ! - aussi. Or celles-ci se sont prononcées contre la brevetabilité des gènes. C'est alors qu'effectivement, au début de l'année 2002, le ministre de la recherche, M. Schwarzenberg, m'a reçu et m'a dit que son gouvernement travaillait sur une transposition partielle de cette directive sans l'article 5.
Entre 1998 et 2002, trois ans se sont donc écoulés pendant lesquels rien n'a été fait pour corriger le tir, ce qui aurait d'ailleurs été inutile si l'on avait fait preuve d'un minimum de bons sens !
Je n'accepte donc pas que, maintenant, on me reproche de revenir sur la non-brevetabilité des gènes ! J'essaye de gérer, avec la conscience qui doit être celle de tout responsable politique, une situation impossible que vous n'avez pas réglée quand vous étiez aux affaires !
Que dois-je faire maintenant que la directive, qu'il y ait ou non transposition, s'impose en France ?
Vous pouvez toujours vous protéger derrière l'article 12 bis qui, d'ailleurs, n'est que redondance par rapport au texte de la loi de 1994. La réalité, c'est que la directive s'impose ! La réalité, c'est que je connais le dossier sur le bout des doigts ! Le Luxembourg, il y a quinze jours, a refusé de transposer la directive. Voici quelle a été, en substance, la réponse de la commission : « Le Luxembourg a refusé de transposer : c'est sa responsabilité, mais c'est la Commission qui fait la loi ! » Vous savez que l'Italie et les Pays-Bas avaient déposé un recours : vous avez probablement lu l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes condamnant ces deux recours...
Nous n'aurions jamais dû signer cette directive à Bruxelles mais, puisque cela a été fait, comment pouvons-nous agir pour lever cette ambiguïté ? Il ne s'agit pas de renoncer à lutter contre la brevetabilité des gènes, bien au contraire !
J'ai fait la tournée des capitales européennes. J'ai vu les Danois, qui ont accepté la transposition et qui le regrettent parce qu'elle mécontente leurs chercheurs. J'ai vu les Finlandais, qui ont accepté la transposition par discipline, dans le délai de quatre mois, mais qui ont voté, à côté, un texte pour expliquer que leur interprétation divergeait de celle qui est inscrite dans la directive. J'ai vu les Britanniques, qui, eux, sont tout à fait fermes sur la question. Quant aux autres, ils sont, comme nous, piégés par cette législation européenne.
Je vous propose, moi, une solution originale qui consiste à dire que les gènes ne sont pas brevetés en tant que tels, que tout le monde pourra y accéder mais que leur utilisation sera soumise à des brevets de méthode. Je crois que c'est la solution intelligente et responsable qui nous permettra, probablement, d'aboutir, sinon à la négociation, du moins à une nouvelle interprétation.
Telle est la proposition que je vais vous soumettre : on verra bien, alors, si vous campez sur des positions totalement inefficaces et purement symboliques ou si votre sens des responsabilités politiques est assez développé pour nous aider à régler les problèmes créés par le précédent gouvernement, pour dire les choses telles qu'elles sont. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
MM. Jean-Pierre Fourcade et Jacques Blanc. Très bien !
M. Jean-François Mattei, ministre. Vous nous parlez maintenant de contradictions sur le clonage ; s'il en est un qui s'est contredit, c'est quand même, permettez-moi de le dire, le Premier ministre du gouvernement précédent, annonçant qu'on allait légiférer sur le clonage thérapeutique et l'autoriser, parlant des « cellules de l'espérance », pour finalement dire qu'il ne fallait pas le faire.
Et je vous fais remarquer que ce texte, si intéressant, qui a été voté en première lecture voilà maintenant un an, interdisait le clonage thérapeutique. Un débat franc et loyal avait eu lieu. Je me souviens très bien des positions d'Henri Emmanuelli et des propos que je lui avais tenus.
A cet égard, monsieur Chabroux, quand vous me citez - ce dont je vous remercie - notamment dans mes entretiens au Figaro Magazine, vous devriez avoir la courtoisie de citer la totalité de mes propos. Je n'ai pas varié sur ces sujets, comme vous pourriez le constater en consultant les livres que j'ai pu écrire. Oui, la thérapie cellulaire est une thérapie d'avenir. Oui, il est intelligent de penser remplacer des cellules vieilles par des cellules jeunes, des cellules malades par des cellules normales.
Et où peut-on trouver ces cellules jeunes et normales ? Premièrement, chez l'embryon, deuxièmement, avec le clonage thérapeutique, troisièmement, avec les cellules souches adultes.
M. Jacques Blanc. Tout à fait !
M. Jean-François Mattei, ministre. J'ai effectivement dit que la thérapie cellulaire avait de l'avenir, qu'elle pourrait peut-être traiter la maladie d'Alzheimer, la maladie de Parkinson et bien d'autres affections. Mais j'ai ajouté que le prélèvement sur l'embryon nous faisait franchir un interdit, ce qui, on le sait, n'est malgré tout pas facile. Et, comme vous le savez, je le dis très humblement, j'ai longtemps hésité. J'aurais espéré que vous puissiez, vous aussi, cheminer un peu vers d'autres positions, comme je l'ai fait.
Le clonage thérapeutique, vous savez très bien pourquoi je suis contre.
Premièrement, je considère qu'aujourd'hui s'accrocher au mot de « thérapeutique » une escroquerie intellectuelle.
M. Francis Giraud, rapporteur. Bien sûr !
M. Jean-François Mattei, ministre. En effet, je ne connais pas de recherche biomédicale qui ne soit pas thérapeutique, figurez-vous !
Deuxièmement, je ne connais pas la nature de cette cellule ainsi créée. Est-ce un embryon ? Peut-être puisque, d'un côté, si on l'implante, elle va donner un être vivant, comme un embryon. Mais d'un autre côté, est-ce qu'on peut obtenir un embryon sans fécondation ? Je n'en sais rien ! Je ne suis pas sûr que le débat philosophique, théologique, anthropologique ait encore eu lieu et que nous soyons prêts à décider du statut de cette cellule.
Troisièmement, nous l'avons vu, le clonage thérapeutique implique le marché des ovules.
Enfin, quatrièmenent, il est la porte ouverte au clonage reproductif. Voilà pourquoi je suis opposé aujourd'hui au clonage thérapeutique. Il n'y a aucune contradiction dans mon esprit.
Il n'y a pas non plus de contradiction à faire du clonage reproductif un crime contre l'espèce humaine, ce qui n'est pas le cas pour le clonage thérapeutique. Ce crime est passible d'une peine de vingt ans, ce qui n'est pas le cas pour le clonage thérapeutique. La règle de l'extraterritorialité s'applique, ce qui n'est pas non plus le cas pour le clonage thérapeutique.
D'ailleurs, pour aller au fond des choses, on pourrait peut-être parler de l'initiative franco-allemande de 2001 devant l'ONU, qui tendait à faire condamner le seul clonage reproductif. On pourrait également évoquer l'opposition des Etats-Unis qui cherchaient à « laver plus blanc que blanc », c'est-à-dire à interdire de manière globale les clonages thérapeutique et reproductif.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Pour aller délibérément à l'échec !
M. Jean-François Mattei, ministre. Au final, rien n'est interdit, ni le reproductif ni le thérapeutique et les Etats-Unis jouent, je l'ai déjà dit, sur cette ambiguïté : l'Etat fédéral peut interdire, mais le privé peut tout faire.
Il faut interdire le clonage reproductif le plus vite possible et engager éventuellement par la suite une discussion sur le clonage thérapeutique. Mais, je vous le confirme, dans mon esprit, les deux choses ne sont pas du même ordre et il n'y a aucune contradiction de ce point de vue.
Enfin, monsieur Fischer, vous avez fait allusion, et je vous en remercie, aux travaux de l'Académie de médecine, auxquels j'ai participé puisque j'ai coécrit le texte avec Georges David. Effectivement, nous avons souhaité que l'embryon entre dans le cadre de la médecine parce qu'il existe un continuum de la fécondation à la mort. La médecine doit remonter le fil et l'embryon être désormais considéré comme un patient, quel que soit, par ailleurs, son statut juridique, philosophique ou autre.
Monsieur Chérioux, vous avez soulevé beaucoup de problèmes au sujet des embryons surnuméraires. Nous en reparlerons, si vous le voulez bien, lorsque votre amendement viendra en discussion. Néanmoins, vous voyez bien la contradiction qu'il y a aujourd'hui - et c'est un des éléments qui m'a fait avancer dans ma réflexion - à vouloir interdire assez hypocritement la recherche sur les cellules des embryons conçus en France mais à en autoriser l'importation sans même savoir si les règles éthiques qui devraient avoir présidé à leur conception dans un autre pays ont été respectées. Il nous faut donc tenter, d'une façon ou d'une autre, d'être le plus en accord possible avec nous-mêmes.
Madame Payet, j'ai très bien compris le cas de conscience que vous nous avez exposé. J'ai bien suivi votre cheminement et la façon dont vous pesiez le pour et le contre. Je respecte parfaitement, pour les partager, vos interrogations, votre prudence et votre souci de prendre en compte le cas particulier.
Monsieur Chabroux, je vous ai déjà en partie répondu. Lors de votre intervention, vous m'avez donné le sentiment - peut-être est-ce dans votre nature, je ne vous connais pas suffisamment pour l'affirmer - d'être polémique. Vous avez sans arrêt manié l'injonction et agité un doigt vengeur !
Non, il n'y a pas une remise en cause profonde du texte précédent. Sinon, nous ne l'aurions pas repris, comme nous le vérifierons d'ailleurs étape après étape, tel quel !
Ce qui peut-être vous ennuie, c'est que nous ayons finalement, le rapporteur et la commission m'ayant rejoint dans cette démarche, décidé d'ouvrir la recherche sur les cellules embryonnaires.
En dehors de cela, où irez-vous chercher la contradiction ? Vous n'allez probablement pas trouver anormale la simplification de nos agences. Vous n'allez pas trouver anormal que le clonage thérapeutique, interdit en première lecture, le soit encore cette fois-ci. Vous n'allez pas trouver anormal que nous prohibions plus strictement encore le clonage reproductif. Vous n'allez pas trouver anormal que, finalement, nous autorisions la recherche sur les cellules embryonnaires. Vous n'allez pas trouver anormal que nous élargissions aux vivants le cercle des donneurs tout en posant quelques repères supplémentaires.
Vous avez désespérément cherché à cultiver la différence. Pardonnez-moi, je ne vois pas très exactement ce que vous avez voulu démontrer. En tout cas, peut-être sans le vouloir, vous avez été blessant à la fois pour Francis Giraud et pour moi.
Vous avez simplement oublié que nous avons passé trente-cinq ans de nos vies dans les hôpitaux, que nous avons consacré trente-cinq ans à nous occuper des malades, à nous occuper d'enfants, d'enfants malades, d'enfants atteints de maladies génétiques ! Vous avez oublié que nous avons, avec une unité de recherche de l'INSERM, l'un et l'autre créé la génétique médicale et que notre souci constant a été d'encourager le progrès médical pour soulager les enfants et leurs familles.
Et vous nous reprochez d'avoir laissé les malades avec leurs souffrances, leurs attentes, leurs espoirs ?
Permettez-moi de vous répondre que vous parlez de situations que nous connaissons aussi bien - car je suppose que vous connaissez des malades - que vous !
Je n'accepte pas, entendez-vous, que l'on fasse à des médecins le procès de n'être préoccupés que de médecine, quand la médecine n'est pas autre chose que le don de soi aux malades.
Ne nous donnez pas de leçons sur l'attitude du médecin envers les malades !
Ne nous faites pas non plus apparaître comme des conservateurs ou des réactionnaires qui auraient passé trente-cinq ans de leur vie à refuser le progrès médical !
Nous sommes simplement prudents, et nous le sommes parce que nous avons appris, à l'hôpital, au chevet des malades, que l'on regrette parfois d'avoir trop précipitamment recouru à une nouvelle technique.
Une des principales vertus, dans l'application de la médecine, et plus généralement de la science, devrait justement être une prudence de chaque instant et, j'ai le regret de vous le dire, je ne vous trouve pas assez prudent à cet égard.
Monsieur Fourcade, l'Académie des sciences demande - et c'est normal, c'est son rôle - davantage de liberté. Vous le savez bien, moi-même, quand je m'exprime en tant que scientifique, je veux lever les barrières, dépasser les limites, aller là où je pense pouvoir aller. Mais nous ne sommes pas à l'Académie des sciences, et pas davantage à l'Académie pontificale. Nous sommes ici pour légiférer, et nous devons prendre la mesure des choses.
La mesure des choses, c'est un progrès après l'autre : qui aurait dit en 1994 qu'en 2003 l'expérimentation et la recherche sur les cellules embryonnaires seraient autorisées ?
Monsieur Fourcade, vous dites qu'il faut donner un signal aux jeunes, mais c'est moins la possibilité de chercher que les situations, les moyens, les équipements qui attirent les jeunes à l'étranger.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et les salaires !
M. Jean-François Mattei, ministre. Je ne veux pas donner une connotation politique à mon propos, mais force est de constater qu'alors que pendant vingt ans, dans ce pays, on nous a dit que la recherche était une priorité, les chercheurs continuent à partir. Je le regrette, mais il est vrai que notre recherche n'est pas assez soutenue.
Si les chercheurs s'en vont, c'est parce qu'ils ne trouvent ici ni les moyens, ni les situations, ni les postes qu'ils espèrent. Ce n'est pas parce qu'ils n'ont pas de sujets de recherche, d'autant que l'on est capable en France de mener un sujet de recherche aussi bien que partout ailleurs : que ce soit dans l'imagerie, en cancérologie, en immunologie, en génétique ou ailleurs, nous n'avons pas à rougir. Mais nous ne disposons pas toujours des moyens nécessaires.
J'ai répondu à vos questions, monsieur Chabroux, mais si vous voulez que notre discussion se poursuive sur un ton responsable, calme et respectueux, je vous invite à ne pas tenir de propos blessants. Vous ne l'avez sans doute pas fait intentionnellement, mais je préfère vous dire, car c'est, je crois, le moyen d'empêcher que la discussion ne se poursuive sur ce ton, que je ne manque pas d'arguments.
Il se trouve en effet que je suis ce dossier depuis maintenant plus de vingt ans. Je sais qui a fait quoi, quand et sur le fondement de quel argument. On ne me fera pas prendre des vessies pour des lanternes ! Je sais où sont les responsabilités des uns, où sont les manquements des autres : il y en a ici comme il peut y en avoir là. Soyons donc responsables, et avançons calmement.
M. Gilbert Chabroux. Je demande que ce soit dans le rapport, c'est tout !
M. Jean-François Mattei, ministre. Monsieur Gaillard, vous avez dit, avec raison, qu'il fallait légiférer pour tous sans violer sa conscience.
Je crois en effet que c'est ce qu'il nous faut faire : nous devons légiférer en ayant conscience des difficultés et du fait que les problèmes dont nous traitons sont profondément humains.
Monsieur Lardeux, dans un très bel exposé, vous avez exprimé vos craintes quant aux transgressions de la singularité, du tabou de l'inceste et du temps. Vous avez fait part de vos convictions intimes, de vos convictions personnelles, et j'ai beaucoup apprécié les termes de votre délibération intérieure : quand vous avez pesé le pour, quand vous avez pesé le contre, je crois que vous avez exprimé à haute voix ce que les uns et les autres nous nous disons en nous-mêmes dans ces instants.
Monsieur Fourcade, je crois avoir répondu à vos questions sur l'élargissement aux vivants du cercle des donneurs. Aller trop loin serait une erreur, et c'est pourquoi nous mettons des restrictions. Sur la frustration des scientifiques, je viens de vous répondre à l'instant. Enfin, sur le clonage thérapeutique, j'ai dit quelles étaient les quatre raisons pour lesquelles je m'y opposais.
M. Jacques Blanc a donné le mot de la fin en parlant de la permanence de l'homme. Les problèmes que nous évoquons aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs, sont en effet des problèmes de toujours. La maîtrise de la vie, le refus de la mort, l'égoïsme et le narcissisme, l'homme qui se prend pour plus que ce qu'il est, cela se retrouve dans la mythologie, pas seulement d'ailleurs dans la mythologie grecque, mais dans toutes les mythologies, mésopotamiennes, asiatiques ou autres.
Cela signifie que, dans les trois jours qui viennent, nous traiterons de problèmes profondément humains qui nous amèneront probablement à définir pour notre société de futurs repères. Les débats de cette nature sont suffisamment riches et suffisamment rares pour que nous y mettions le meilleur de nous-mêmes. Je suis sûr qu'ainsi nous parviendrons à faire progresser notre société sur des chemins qu'elle attend sans doute de voir s'ouvrir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.